Chapitre 2. Les atouts et faiblesses d’une distribution grossiste largement encadrée par l’État
La Came et les grossistes répartiteurs du Bénin
p. 67-86
Texte intégral
Introduction
1La distribution grossiste de médicaments a été décrite comme occupant une position subalterne dans les mondes pharmaceutiques par rapport à ses fournisseurs que sont les firmes productrices et ses clients, les pharmacies, qui se partagent tous deux la grande partie des marges économiques (Lomba, 2014). Pourtant au Bénin, dans un contexte de très faible production, le système pharmaceutique est centré sur l’importation et la distribution en gros des médicaments par un nombre réduit d’acteurs : cinq, comme nous le verrons. Cette distribution grossiste est fondée sur le monopole du pharmacien, dont il sera question dans le chapitre suivant. Elle est strictement encadrée par l’État et mobilise d’importants capitaux, toute chose qui modifie la position de ces acteurs et cristallise des enjeux à la fois économiques et politiques. Ces enjeux aboutissent parfois à des crises et à une redéfinition des rapports de force. La configuration actuelle de cette distribution grossiste est le fruit de choix successifs du pouvoir politique associés à d’autres facteurs d’ordre économique et idéologique. Il va en être question dans ce chapitre.
2Au Bénin, comme dans la plupart des pays colonisés, le médicament pharmaceutique est introduit pendant la période coloniale (Fassin, 1987 ; Baxerres, 2013 a). C’est à cette époque qu’est créée la Pharmacie nationale d’approvisionnement (Pharmapro), chargée d’approvisionner le système public de soins, composé des dispensaires et des garnisons militaires. Des structures de ce type existent dans tous les pays d’Afrique lors de la colonisation française. À côté de ce dispositif colonial, les missionnaires religieux distribuent des médicaments aux populations en milieu rural, tandis que des comptoirs ou des dépôts de marchandises tenus par des compagnies commerciales européennes approvisionnent les trois principales villes côtières du pays (Cotonou, Porto-Novo, Ouidah).
3Après l’indépendance, à laquelle le Bénin accède le 1er août 1960, le jeune État indépendant fait le choix de maintenir ce système hérité de la colonisation. La Pharmapro est maintenue, comme service du ministère de la Santé, renforcée par la création en 1964 de l’Office national des pharmacies. Les deux structures fonctionnent grâce à des dotations budgétaires de l’État. Tandis que la Pharmapro continue à approvisionner les structures publiques de soins en médicaments, l’ONP est chargé de l’importation et de la distribution des médicaments via des dépôts pharmaceutiques publics et une vente itinérante au moyen de camions, afin de pallier l’absence d’officines en zone rurale.
4Parallèlement, dans le secteur privé, l’approvisionnement des pharmacies d’officine est assuré par le Groupement des pharmaciens du Dahomey et du Niger (GPDN), devenu plus tard Groupement des pharmaciens Bénin-Niger (GPBN). Cette première structure grossiste privée a été mise en place par un pharmacien français, Jean Mazuet1 (Baxerres, 2013 a).
5En 1972, à l’instar de plusieurs pays d’Afrique durant cette période de « guerre froide », le Bénin opte pour un régime communiste prônant une idéologie marxiste-léniniste. Les initiatives privées sont alors fortement freinées, pendant que les deux structures publiques voient s’accroître leurs prérogatives. Les officines privées se retrouvent obligées de s’approvisionner à travers l’ONP, à qui l’État a conféré le monopole de l’importation des produits pharmaceutiques. Cependant, dans les années 1980, comme c’est le cas dans la plupart des pays francophones d’Afrique (Van der Geest, 1987), l’ONP et la Pharmapro sont confrontés à de nombreux problèmes. Les dotations budgétaires sont difficiles à mobiliser par l’État en difficulté et les dettes s’accumulent. À cela s’ajoutent des problèmes de gestion tels qu’une mauvaise organisation des dépôts, un effectif pléthorique d’agents et des problèmes de trésorerie. Les fournisseurs exigent que les commandes soient prépayées. Cette situation entraîne des ruptures régulières d’approvisionnement de médicaments. Face à ces difficultés, le monopole d’importation qui avait été conférée à l’ONP a d’abord été revu de manière à laisser aux pharmaciens la possibilité de s’approvisionner eux-mêmes2, puis il a ensuite été abandonné complètement. Avec un nombre de plus en plus important de pharmaciens nationaux3 qui s’installent en officine, le secteur privé se réorganise avec la naissance du tout premier grossiste répartiteur privé en 1980. Il s’agit de la Coopérative des pharmaciens d’officine du Bénin (Copob) qui deviendra, deux ans plus tard, le Groupement d’achat des pharmaciens d’officine du Bénin (Gapob). Son actionnariat est constitué presque exclusivement de pharmaciens béninois. Il sera suivi d’un deuxième grossiste privé en 1985, la Société des pharmacies du Bénin (Sophabe) (Baxerres, 2013 a).
6En 1989, dans le contexte du premier programme d’ajustement structurel que le Bénin a connu, l’ONP et la Pharmapro ferment définitivement leurs portes au profit d’une nouvelle structure, la Came. Le secteur privé voit lui aussi naître deux nouveaux grossistes répartiteurs : l’Union béninoise des pharmaciens (Ubphar) en 1990, et Promopharma, filiale du groupe international Eurapharma, en 19914. Cette ouverture du marché des médicaments intervient dans un contexte particulier, celui de la conférence nationale des forces vives de la nation (CNFVN), tenue en février 1990, qui marque la transition vers un régime démocratique et un certain désengagement de l’État, notamment dans les secteurs de l’éducation et de la santé (Boidin et Savina, 1996).
7Le présent chapitre décrit le système de distribution grossiste qui s’est ainsi mis en place. D’une part, il analyse le processus de création et le mode de fonctionnement de la Came, une structure de droit privé puis associatif ayant une mission de service public et, d’autre part, il examine le mécanisme de formation d’un système de distribution privé ainsi que les enjeux économiques qui l’animent. Il souligne qu’au-delà de certains dysfonctionnements et des tensions inhérentes aux intérêts financiers en jeu, ce système de distribution grossiste, publique et privée, présente des atouts indéniables en termes d’efficience et de respect des exigences de santé publique. Néanmoins, il cristallise également des enjeux politiques, en termes de souveraineté de l’État face aux acteurs transnationaux dans le secteur public, et des enjeux idéologiques au sein de la profession de pharmaciens dans un contexte postcolonial dans le cas du secteur privé. Ainsi, la conclusion sera consacrée au contexte actuel de remise en question de ce système par le pouvoir politique béninois5.
La Came, entre mission de service public et quête d’autonomie
Histoire d’une institution recommandée mais contestée
8Créée par le décret no 89-307 du 28 juillet 1989, la Came est mise en activité à partir du mois d’octobre 1991 dans le cadre du projet de développement des services de santé de la Banque mondiale. La première étape du projet consiste en un audit de l’ONP et de la Pharmapro, dont les conclusions aboutissent à la liquidation des deux structures. Ensuite, les différents acteurs de la santé sont invités à discuter en vue de mettre en place une structure de remplacement. Outre la Banque mondiale, l’État et les professionnels de la santé (Ordre des médecins, Ordre des pharmaciens, universitaires), les discussions impliquent d’autres acteurs transnationaux, comme l’Unicef, la coopération allemande et la coopération suisse, qui développent différents projets de santé. Les discussions vont dans le sens de la création d’une structure qui pourrait permettre d’approvisionner le pays entier en médicaments, une structure qui pourrait remplacer la Pharmapro et l’ONP sans en avoir les faiblesses, notamment en termes de dépendances budgétaires vis-à-vis de l’État. Le tout premier directeur de la Came explique : « Vous savez, l’ONP était un office étatique […] avec le changement à la tête de la structure au gré de l’arrivée des ministres, l’ONP était une structure inféodée au ministère de la Santé, qui travaillait sous dotation budgétaire. On a voulu faire une rupture en mettant en place un certain nombre de principes. Tout d’abord, on a voulu que cette centrale soit autonome, et que son directeur ne soit pas nommé par une instance ministérielle, mais qu’il soit recruté, et qu’il ait un contrat de performance avec son conseil d’administration. On a voulu mettre en place un comité de gestion, qui doit être complètement dégagé pour prendre des décisions, avec un contrôle de l’État à travers un comité de pilotage, où le ministère de la Santé, le ministère des Finances, et quelques autres ministères soient représentés, et les bailleurs de fonds. Ce qui doit pouvoir garantir une certaine autonomie à la structure. C’est ainsi qu’on a démarré… et une structure qui doit être tout à fait légère, parce que quand on voit l’effectif de l’ONP, qui utilisait plus de 500 personnes, la centrale d’achat a démarré avec onze personnes. » (entretien, Cotonou, le 15 janvier 2016).
9La Banque mondiale plaide pour une institution autonome, tandis que l’État tient à garder sous son contrôle l’offre publique de médicaments.
10Les discussions devenant longues, l’État adopte un décret instituant la Came sous la forme d’un projet exécuté par le ministère de la Santé, avec comme condition qu’elle devienne autonome au bout de deux ans. La Came naît ainsi dans un double contexte à la fois sanitaire et économique. Sur le plan sanitaire, il s’agit de l’Initiative de Bamako en 1987, deux ans avant la naissance de la Came, dont les recommandations ont été mises en place au Bénin en 1988, et à l’introduction des médicaments essentiels dans le secteur public6. En inaugurant la vente de médicaments dans les structures sanitaires publiques, l’Initiative de Bamako réglait un des questionnements liés au mode de fonctionnement d’une centrale d’achat à vocation publique : l’autonomie financière. Sur le plan économique, la centrale d’achat est née, comme mentionné plus haut, dans le contexte des plans d’ajustement structurel (PAS) dans lesquels le Bénin s’est engagé de 1989 à 1991 et de 1991 à 1994. Ces PAS, promus par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), entendent limiter les dépenses des États par la baisse de l’emploi public et la privatisation progressive des entreprises nationales (Baxerres, 2013 a). Ces politiques économiques et de santé publique sont décrites comme ayant introduit, en matière d’offre de médicaments et de structuration du système pharmaceutique, une évolution du rôle de l’État et, conjointement, de celui du secteur privé. Alors que le modèle étatique hérité de la colonisation prévoyait une forte implication des pouvoirs publics, l’Initiative de Bamako et les PAS introduisent un désengagement de l’État, notamment des activités d’approvisionnement et de distribution au profit d’acteurs privés, et une remise en cause des prestations sociales publiques (Boidin et Savina, 1996). L’État renforce néanmoins son investissement dans le domaine de la régulation et de la réglementation, comme le souligne le chapitre précédent.
11La Came démarre donc ses activités en 1991, mais selon les informations recueillies, c’est finalement au bout de cinq ans, en 1996, que les textes ont été modifiés pour lui accorder les statuts définitifs d’une structure autonome. Cependant, au cours des discussions, le ministre de la Santé d’alors se serait opposé à ce que le terme « association » soit mentionné, bien que la Came fonctionne comme telle. Ainsi, les statuts mentionnent qu’« il est créé en République du Bénin une Centrale d’achat des médicaments essentiels et consommables médicaux régie par les dispositions de droit privé et soumise à l’obligation de contrôle du gouvernement » (article 1, statuts 1996). L’État souligne ainsi qu’il tient à maintenir un droit de contrôle sur la Came. Selon un ancien directeur de cette structure, « ça a été très difficile, parce que les autorités sanitaires qu’on avait voulaient s’accaparer la structure. J’ai connu des ministres qui m’ont dit : “Moi, je ne donnerai jamais un statut indépendant à cette structure.” » (entretien, Cotonou, le 15 janvier 2016).
12L’autonomie comme mode de gestion de la Came, qui avait été fermement affirmée dès le départ, était censée en faire un dispositif de type apolitique, permettant d’éviter les blocages politiques, les conflits de pouvoir, la corruption, au profit d’une gestion purement technique. Le recrutement par le conseil d’administration d’un directeur devant être, selon les statuts, un pharmacien justifiant d’au moins douze années d’exercice dans la gestion d’établissement pharmaceutique, participe de cette vision technocratique prônée par la Banque mondiale. Mais, dans la mise en œuvre, cela n’a fait qu’exacerber les conflits de pouvoir. Un ancien directeur explique : « On m’a traité de ministère dans un ministère […] La Came, ça irritait… C’était une autonomie et ça ne plaisait pas, ça ne plaisait pas. » (entretien, Cotonou, le 15 janvier 2016).
13Face à l’État, tous les autres acteurs du système (syndicat des médecins, syndicat des pharmaciens, acteurs transnationaux) plaident pour une structure autonome. Le président du comité de gestion7 de la Came relate, de son point de vue, comment le statut d’association a fini par être obtenu : « On se battait pour que le statut de la Came soit révisé, de façon adéquate, en souhaitant que ça soit un statut qui en fasse une structure gérée par la loi 1901. Et donc, le syndicat des pharmaciens, et puis d’autres structures travaillaient pour ça. Il y a eu un atelier, un séminaire… Du séminaire, il y a eu une délégation pour aller voir le ministre, tout ça… Bref, en tout cas, ces pressions-là, avec les partenaires techniques et financiers qui, également de l’autre côté, mettaient leur pression pour que ces statuts-là soient pris, garantissant une meilleure stabilité, enfin une stabilité de la structure, que ce ne soit pas un truc, qu’on ne sache pas après si c’est toujours l’État ou si c’est autonome. » (entretien, Cotonou, le 23 mars 2015).
14Finalement, le passage à un statut associatif s’est fait avec l’entrée en jeu du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Un autre ancien directeur argumente : « Il y avait le Fonds mondial, l’appui aux maladies prioritaires, le palu, la tuberculose et le sida, et ils voulaient passer par la Came. Et ils disent : “Mais, pour passer par la Came, il faut que ça ait une personnalité juridique claire.” Donc on a commencé encore les réflexions une troisième fois, et cette fois-ci, les bailleurs de fonds ont recruté un juriste et, en tout cas deux spécialistes, pour aider le gouvernement à mettre en place un statut vraiment sans ambiguïté, et clair, et on est arrivé aux statuts actuels qui font de la Came une association à but non lucratif, donc c’est clairement défini, et c’est à partir de là que nous avons commencé à avoir des contrats avec les partenaires. » (entretien, Cotonou, le 17 mars 2016).
15C’est en 2010 que la centrale adopte de nouveaux statuts qui stipulent qu’« il est créé en République du Bénin, une association à but non lucratif dénommée Centrale d’achat des médicaments essentiels et consommables médicaux dont le sigle est Came » (article 1, statuts 2010).
Les enjeux autour de l’approvisionnement
16L’article 1 de la convention entre la Came et le gouvernement béninois8 établit expressément : « Aux termes de la présente Convention, le gouvernement confie à la Came, qui accepte l’exécution de la mission d’utilité générale suivante : l’approvisionnement régulier en médicaments essentiels de qualité, en réactifs de laboratoire, en consommables et équipements médicaux, des clients suivants : les formations sanitaires publiques et privées à but non lucratif, les établissements pharmaceutiques privés9, les établissements hospitaliers privés pour les produits de monopole10 à un prix accessible aux populations. » Ainsi, l’approvisionnement et la distribution de médicaments essentiels constituent le cœur de métier de la centrale.
17Pour s’approvisionner, la Came lance tous les deux ans, un appel à candidatures pour la présélection des fournisseurs des produits dont elle a besoin. La sélection se fait sur la base de critères liés au fonctionnement des firmes (documents juridiques et financiers) et aux produits (assurance qualité, inspections internationales). Après sélection, une liste, appelée « liste des fournisseurs préqualifiés », est établie et seules les entreprises retenues reçoivent les appels d’offres. Il ne s’agit pas de la préqualification de l’OMS11, mais la Came s’en inspire concernant les produits et les firmes, avec des exigences néanmoins plus modérées. Elle a en outre des préoccupations importantes quant aux prix des produits, aux volumes à pourvoir et aux facilités de paiement accordées par les fournisseurs. En accord avec la définition des médicaments essentiels de l’OMS (2002), les critères de sélection les plus importants sont constitués par le couple « qualité-prix ». Le choix est porté sur le fournisseur qui propose le meilleur produit à un prix raisonnable.
18À travers la question du couple « qualité-prix », la Came se voit confrontée en permanence à la fois aux exigences de la santé publique et à des questions économiques. La forme galénique proposée par le fournisseur est aussi prise en compte parce qu’il s’agit, au-delà des questions de santé publique, d’un marché de prescripteurs et de patients à satisfaire.
Distribuer les médicaments essentiels génériques et les intrants des programmes verticaux de santé
19La Came est communément perçue comme la structure chargée d’approvisionner les centres de santé publics. En effet, lors de sa création en 1989, il avait été spécifié par les acteurs transnationaux qu’elle approvisionnerait les centres de santé publics ainsi que les centres privés à but non lucratif. Ce principe a été inscrit dans ses statuts, en visant particulièrement, pour ces derniers acteurs, les centres de santé confessionnels et à vocation humanitaire, qui jouent un rôle important pour l’accès aux soins des populations les plus défavorisées (Baxerres, 2013 a). Mais dans l’évolution de la structure, des négociations se sont engagées à plusieurs reprises, pour mener à la configuration actuelle, à savoir l’approvisionnement, outre des clients originels, des officines de pharmacie et des centres de santé privés à but lucratif. Les officines de pharmacie peuvent officiellement s’approvisionner à la Came à partir de 1994, à l’avènement de la dévaluation du franc CFA. Les médicaments vendus en pharmacie avaient doublé de prix, devenant inaccessibles pour la grande majorité de la population, pendant que la Came, avec l’aide des coopérations française et danoise, était parvenue à maintenir les prix. L’État demande alors à la centrale de mettre certains produits à disposition des pharmacies. Les petits centres de santé et les grandes cliniques privés constituent une large part de l’offre de santé en milieu urbain depuis les années 1980 (Boidin et Savina, 1996). Dans les petits centres, les frais de consultation sont fixés très bas et l’essentiel des revenus provient de la vente de médicaments (Baxerres, 2013 a). Ces centres ne sont pas censés vendre les médicaments mais les utiliser en leur sein pour les soins qu’ils dispensent. Selon le chef magasinier de l’agence de la Came à Cotonou12, afin de contourner cette norme contraignante pour eux, certains de ces centres se transforment en ONG, entre autres pour avoir accès aux médicaments de la Came. D’autres passent par des centres autorisés à travers des relations personnelles afin d’avoir accès à ces médicaments ; et la grande majorité s’approvisionne tout simplement dans le marché informel (Baxerres, 2013 a). Cette situation étant connue des agents de la centrale, au début des années 2010, le directeur insiste auprès du comité de gestion pour qu’une accréditation soit accordée à ces centres de santé privés afin qu’ils aient un accès direct et que la Came puisse en retour avoir un droit de regard et de contrôle sur leurs activités pharmaceutiques13. Un des anciens directeurs relate : « Normalement, les centres de santé privés n’ont pas accès à la centrale. Mais moi, je trouve cela comme une injustice parce qu’il n’y a pas de malade privé. Tous les malades, c’est des Béninois, si bien qu’ils jonglent, ils passent par des formations agréées, pour s’approvisionner […] Oui, et on leur donne l’agrément. Parce que de toutes les façons, si tu refuses, ils vont passer par une autre structure, pour venir prendre. Moi, je connais des cliniques coopératives qui achetaient pour des centres privés. Mais je dis : mais ça, c’est une farce. Il vaut mieux que… le centre privé n’a qu’à venir. » (entretien, Cotonou, le 15 janvier 2016).
20Même si les textes régissant la Came n’ont pas encore été modifiés en vue de prendre en compte cette catégorie d’acteurs, dans les faits, le comité de gestion accorde aux centres privés une accréditation leur permettant d’être clients de la centrale.
21Par ailleurs, la Came a en charge le stockage et la distribution des produits des programmes verticaux de santé14. En effet, l’épidémie de sida étant survenue au début des années 1980, en pleine période de crise économique et de désengagement des États africains prôné par le FMI et la Banque mondiale, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que les traitements antirétroviraux (ARV) soient rendus disponibles sur le continent (Desclaux et Égrot, 2015). Comme cela a été constaté dans la plupart des pays du Sud, la lutte contre cette épidémie a eu une incidence majeure sur la structuration de l’offre publique de médicaments et plus largement sur la politique pharmaceutique dans ces pays (Loyola, 2009 ; Chabrol, 2012 ; Desclaux et Égrot, 2015). Au Bénin, la configuration actuelle de la Came ainsi que ses performances sont liées en partie à cette lutte contre le sida. Après le stock initial de médicaments fourni par les acteurs transnationaux pour le démarrage des activités de la centrale, la participation active de ces acteurs dans la distribution du médicament au Bénin a commencé dans les années 2000 avec les ARV, lorsque le Programme national de lutte contre le sida (PNLS) a commencé à déposer ces médicaments à la Came pour qu’ils y soient stockés. Selon nos informateurs, ces premiers produits étaient financés par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). À partir de 2002, des réactifs se sont ajoutés à ces premiers médicaments, ainsi que les produits de lutte contre les infections opportunistes. L’Unicef et MSF confient également le stockage des ARV à la Came, tandis que le PNLS se charge de la distribution. Pour la centrale, l’enjeu est de taille, le volume de médicaments à gérer est sans pareil et va contribuer à donner un autre visage à ses activités.
22En intégrant le système de lutte contre le sida, le Fonds mondial crée à partir de 2008, au sein de la Came, une unité de gestion qui rassemble les initiatives précédentes et centralise l’approvisionnement et la gestion des stocks d’ARV et de produits contre les infections opportunistes. Puis, en 2010, après des discussions menées entre l’État, la Came et les acteurs transnationaux, l’unité de gestion s’élargit en s’ouvrant à d’autres acteurs et à d’autres programmes pour devenir l’Unité de gestion des programmes spécifiques (UGPS). Celle-ci constitue un département de la Came, avec à sa tête un pharmacien responsable et un logisticien de santé qui gère les stocks. Ainsi, la Came se dote d’un mandat supplémentaire, ajouté aux statuts de 2010, il s’agit de « l’acquisition, l’entreposage, la gestion et la distribution, pour le compte des programmes nationaux de santé, de médicaments et matériels médicaux fournis par l’État béninois ou des partenaires extérieurs » (article 1, convention État/Came, 2010) (voir portfolio, photo 8).
23Bien que l’arrivée des acteurs transnationaux ait apporté des transformations majeures dans la structuration de la Came, la valeur des médicaments distribués par l’UGPS est marginale aujourd’hui, comme le souligne le tableau 1, comparée aux chiffres d’affaires de la Came.
Tableau 1. Les médicaments de l’UGPS au sein des ventes de la Came.
Année | Chiffres de ventes Came (CFA) | Valeur des produits de l’UGPS* (CFA) |
2018 | 12 794 044 095 | 4 316 393 857 |
2017 | 12 582 299 098 | 3 716 213 396 |
2016 | 11 354 224 129 | 3 818 190 875 |
24En 2018, la Came réalise un chiffre d’affaires de près de 13 milliards de francs CFA (environ 20 millions d’euros) et distribue pour le compte des acteurs transnationaux des médicaments d’une valeur de plus de 4 milliards de francs CFA (environ 6 millions d’euros), soit un total d’environ 17 milliards de produits distribués (environ 26 millions d’euros). Ces chiffres ne constituent néanmoins qu’une partie du marché pharmaceutique béninois, dont la plus grosse partie est constituée par l’offre privée15.
La distribution grossiste privée : une offre sous tension
Installation conflictuelle des grossistes répartiteurs
25Au Bénin, les sociétés grossistes privées naissent souvent dans un environnement conflictuel, tel que le souligne l’extrait d’entretien suivant : « Vous voyez, c’est toujours des initiatives personnelles, des gens qui se sont fâchés avec quelqu’un, pour pouvoir créer ça. On n’a jamais rien créé au Bénin, dans le domaine pharmaceutique, pour le bien de la consommation béninoise. » (entretien, directeur général d’une société grossiste répartiteur, Cotonou, le 15 juillet 2015).
26Dans les années 1980, alors que face aux difficultés de l’ONP à approvisionner les pharmaciens, l’État demande aux pharmaciens d’officine de s’organiser en vue d’assurer eux-mêmes leurs approvisionnements, deux idées sont en concurrence parmi les pharmaciens béninois. Le GPBN existe et les approvisionne mais il s’agit d’une structure perçue comme « française » puisque, comme mentionné plus haut, elle a été créée et dirigée par le pharmacien français Jean Mazuet. Certains pharmaciens se mettent d’accord pour que le GPBN prenne le relais et devienne une grosse structure chargée d’approvisionner toutes les pharmacies béninoises en produits pharmaceutiques. Mais un autre groupe de pharmaciens prône l’établissement d’une structure grossiste « typiquement béninoise ». Ces derniers créent en 1980 la Coopérative des pharmaciens d’officine du Bénin (Copob), qui deviendra plus tard le Groupement d’achat des pharmaciens d’officine du Bénin (Gapob). Ce groupe de pharmaciens, en refusant le maintien du GPBN, s’inscrit dans une idéologie d’anti-hégémonie occidentale. Les premiers malentendus au sein de la distribution grossiste privée de médicaments au Bénin commencent ainsi dès ses origines et sont liés à des questions idéologiques encore très prégnantes aujourd’hui. Le médicament, comme le dit Didier Fassin, fait l’objet d’investissements idéologiques très peu étudiés en sciences sociales, entendant par idéologie, « un ensemble de discours qui légitiment ou contestent un ordre des choses » (Fassin, 2007 : 94). Malgré le vœu d’une société purement béninoise, la Copob est créée avec l’appui d’une structure française, l’Office central d’achat (OCA Sarl). Le premier groupe de pharmaciens quant à lui finit par créer, avec l’appui technique et financier du GPBN qui cessait ses activités, la Société des pharmacies du Bénin (Sophabe) en 1985, après de nombreuses oppositions. Aux dires d’un directeur d’une société grossiste, un groupe de pharmaciens s’opposant à ce que la Sophabe soit créée a fait du lobbying auprès du ministre de la Santé de l’époque. Celui-ci dans un courrier a d’ailleurs affirmé dans un premier temps « maintenir jusqu’à nouvel ordre, le refus opposé par mon ministère à la Sophabe16 ».
27Le 18 mars 2014, soit vingt-neuf ans après l’installation de la Sophabe (qui est devenue plus tard Medipharm), le quotidien béninois Fraternité publie au sujet d’un grossiste répartiteur voulant s’implanter au Bénin : « Depuis six ans, le dossier Ubipharm a été l’objet de désaccord entre le ministre de la Santé et l’Ordre national des pharmaciens du Bénin. En effet, le 23 mars 2009, les dirigeants d’Ubipharm-Bénin ont sollicité auprès du ministre de la Santé une licence d’ouverture et d’exploitation d’une société grossiste […] Mais jusqu’à ce jour, aucune suite n’a été donnée à la demande d’Ubipharm-Bénin, ni par l’Ordre national des pharmaciens du Bénin, ni par le ministre de la Santé17. » Un mois après, le 18 avril 2014, le journal de presse Le Matinal écrit sur son site web : « Affaire Ubipharm : les Ordres de la santé ont donné une conférence de presse hier jeudi 17 avril 2014 au siège de l’Ordre national des pharmaciens du Bénin à Cotonou. Ils ont dénoncé la décision illégale d’autorisation d’exercice de la multinationale Ubipharm-Bénin SA […] par le gouvernement. Ils ont appelé à la mobilisation générale de tous les Ordres du Bénin et du peuple béninois en vue de décourager les violations flagrantes des lois par le chef de l’État visant à déstabiliser les organisations nationales. » Ce même article de presse se fait aussi le porte-parole de l’un des deux syndicats de pharmaciens du Bénin qui accuse, quant à lui, l’Ordre d’être motivé par « des conflits d’intérêts, d’abus de pouvoir, de délit d’initiés, d’abus de biens sociaux et de trafic d’influence ».
28L’idéologie nationaliste et anti-hégémonique affichée dès les débuts de la constitution de la distribution grossiste privée refait surface ainsi, dès que la multinationale Ubipharm entreprend des démarches pour s’installer.
29Si Didier Fassin évoque, dans le cadre du sida en Afrique du Sud, la contestation de la biomédecine dite souvent « occidentale », ici, il s’agit bien de la contestation d’entreprises occidentales au départ et multinationales aujourd’hui, au profit de sociétés nationales. Les grossistes qui se réclament être « locaux » se mettent dans une position de « dominés » affirmant, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, « dévoiler la domination qu’ils subissent pour s’en affranchir, d’une part, en la dénonçant comme complot et, d’autre part, en la contrant par un projet nationaliste » (Fassin, 2007 : 94). Aussi avons-nous pu recueillir auprès d’un dirigeant d’une société grossiste des propos du genre : « Les multinationales sont là pour diviser la profession, parce qu’ils savent que si ce n’est pas divisé, ils ne pourront pas s’installer, vendre au marché. Et le président de la République est derrière ça […] Regardez Ubphar, Medipharm et Gapob, l’actionnariat est composé rien que des Béninois. On est unique ! C’est le seul pays où la répartition est encore majoritairement assurée par des locaux. Ils peuvent acheter les autres, mais moi, ils ne m’auront pas. Ils ne peuvent pas m’acheter ! » (entretien, Cotonou, le 7 octobre 2015).
30Cependant les raisons idéologiques ne sont pas tout. Les enjeux économiques sont très présents dans les tensions et les conflits qui secouent la distribution grossiste au Bénin. Dans le parcours des deux premières sociétés, à savoir Gapob et Sophabe, d’autres conflits autour de l’accès par les pharmaciens d’officine à un nombre plus élevé de parts d’actions ont amené au retrait de ces sociétés des pharmaciennes propriétaires des trois plus grandes pharmacies de Cotonou. Ces trois pharmaciennes s’associent et créent à la fin des années 1980 Mareli Distribution, une société grossiste qui a cependant du mal à décoller. Lorsqu’elles fondent leur structure, le secteur pharmaceutique béninois public est en faillite et les fournisseurs n’acceptent pas de leur offrir des conditions de paiement en différé pour leur permettre de développer leurs activités. Elles reçoivent une proposition d’appui technique de la part d’Eurapharma. La multinationale, dont il a été question précédemment, intervient également comme centrale d’achat et dispose de sa propre logistique. Ainsi, Mareli Distribution devient Promopharma à partir de 1991, une filiale d’Eurapharma18. En 2011, pendant que Ubipharm essaie d’obtenir sa licence d’ouverture et d’exploitation au Bénin, l’Ordre des pharmaciens intente un procès au directeur général et au directeur commercial de Promopharma, un pharmacien français et un pharmacien congolais, au motif qu’en tant qu’étrangers, ils ne doivent pas exercer légalement en tant que pharmaciens au Bénin. En effet, selon la législation béninoise, pour s’installer au Bénin, une société grossiste doit « être dirigée par un pharmacien de nationalité béninoise engagé exclusivement pour cette activité ; ce pharmacien peut être d’une autre nationalité à condition qu’il existe des clauses de réciprocité entre son pays et le Bénin ; il est appelé pharmacien responsable19 ». Pour satisfaire à cette clause, Eurapharma prend le soin de nommer un pharmacien responsable qui soit béninois, mais celui-ci n’est pas le directeur général ni le directeur commercial. Selon le directeur commercial en place lors de nos entretiens, à travers ce procès, l’Ordre des pharmaciens du Bénin veut « envoyer un signal fort, ils voulaient marquer un coup. C’était de l’intimidation à l’endroit d’Ubipharm pour leur dire : “si ceux qui sont là depuis longtemps sont attaqués, ne croyez pas que vous allez être épargnés” ». Ce procès s’est soldé par le retrait de la plainte en 2015 à la suite de l’élection du bureau de l’Ordre qui avait été entièrement renouvelé20.
31L’arrivée d’autres pharmaciens d’officine sur le marché ainsi que des conflits internes (financiers, idéologiques et de pouvoir) dans les différentes sociétés grossistes amènent certains pharmaciens à se retirer et à créer en 1995 l’Union béninoise des pharmaciens (Ubphar), une structure dont le capital est entièrement détenu par des pharmaciens béninois. Le marché pharmaceutique continuant à croître, les nouveaux pharmaciens ainsi que ceux qui n’arrivent pas à accéder à des parts d’actions plus importantes dans les sociétés grossistes existantes, sollicitent Ubipharm, dont le mode de fonctionnement leur apparaît très intéressant. Il est similaire à celui d’Eurapharma en matière d’approvisionnement auprès d’une unique centrale d’achat, mais en outre il leur permet, en plus d’avoir accès à des actions dans la société grossiste locale, d’en obtenir également au niveau de la « société mère », la holding.
32Sous l’effet combiné de ces enjeux idéologiques, économiques et de pouvoir, le secteur de la distribution grossiste du médicament au Bénin se divise en deux types d’acteurs, les trois « locaux » (dont les actions sont détenues exclusivement par des pharmaciens béninois, majoritairement installés en officine) et les deux grossistes multinationales (filiales de grands groupes pharmaceutiques installés à Rouen en France). Par ailleurs, qu’elles soient locales ou internationales, les sociétés grossistes sont soumises par le législateur béninois à d’importantes contraintes qu’elles essaient de respecter ou de contourner afin d’acquérir de plus grandes parts du marché pharmaceutique privé et de développer leurs activités.
La répartition pharmaceutique : contraintes législatives et stratégies de contournement
33Aux termes de l’article 1 du décret no 2000-450 du 11 septembre 2000 et de l’article 7 de l’arrêté interministériel no 006 du 18 février 2002, les grossistes répartiteurs sont chargés de « l’importation, de l’achat en gros et de la répartition des médicaments aux officines privées et aux formations sanitaires publiques de l’État et à tout autre établissement pharmaceutique » (article 1 décret no 2000-450). « Ils ne sont pas autorisés à céder directement des médicaments aux formations sanitaires privées, aux sociétés d’État ou privées et aux dépôts pharmaceutiques installés en milieu rural. » (article 7, arrêté interministériel no 006).
34Dans les faits, les grossistes répartiteurs ont comme principaux clients les pharmacies d’officine présentes sur toute l’étendue du territoire national. Tous les grossistes approvisionnent toutes les pharmacies, avec néanmoins des différences de volumes en fonction de leur approche, de stratégies commerciales et d’affinités personnelles. Outre les pharmacies, certains grossistes approvisionnent des hôpitaux publics et des cliniques privées.
35Pour tous les grossistes, la répartition est faite de façon quotidienne pour les pharmacies installées à Cotonou et dans les grandes villes proches (Abomey-Calavi, Porto-Novo, Ouidah). Les pharmacies des autres localités sont approvisionnées une à deux fois par semaine ou par décade, au moyen de vans de distribution ; le reste de leur approvisionnement se fait à travers des expéditions via des taxis ou des bus de transport de voyageurs. Le grossiste Gapob dispose d’une agence dans la ville de Bohicon et d’une autre à Parakou. Ubphar possède également une agence à Parakou, ce qui permet à ces deux grossistes une meilleure couverture du territoire que leurs concurrents. En matière de couverture, chaque grossiste utilise sa stratégie. Pendant que Ubphar et Gapob se positionnent à travers leurs agences à l’intérieur du pays, Promopharma se concentre sur les plus grosses pharmacies du Bénin qui lui permettent de réaliser son chiffre d’affaires. Le directeur commercial de l’une des sociétés grossistes répartiteurs apprécie : « Je dirais qu’essentiellement le chiffre d’affaires de Promopharma, c’est fait par six officines. Tout le reste, c’est accessoire… c’est une autre stratégie commerciale. C’est-à-dire, vous pouvez choisir d’embrasser tout le monde, avec le risque de mal étreindre aussi les gens, comme vous pouvez choisir de ne cibler que ce qu’il y a de mieux, de ne vous occuper que de ça. » (entretien, Cotonou, le 21 octobre 2015).
36Ubipharm, qui démarrait ses activités lors de la collecte des données, a mis en place quant à elle, une plateforme internet qui permet à chaque pharmacie, n’importe où au Bénin, d’avoir à tout moment accès à toutes les informations concernant la disponibilité de ses produits et de passer des commandes en ligne. Elle effectue chaque jour des expéditions pour les pharmacies localisées à l’intérieur du pays et livre celles qui sont installées à Cotonou et dans ses environs. Pour le paiement, le délai accordé aux pharmaciens est de quinze jours, bien que certains d’entre eux paient comptant.
37Les grossistes confrontés à la législation béninoise, qui leur interdit la concurrence par les prix en fixant leur marge bénéficiaire (voir chapitre 3), développent plusieurs stratégies pour obtenir une plus grosse part de marché. L’une des principales stratégies commerciales est d’être le grossiste privilégié du maximum possible d’officines. En effet, les pharmaciens choisissent généralement un grossiste principal auprès duquel ils passent au quotidien l’essentiel de leurs commandes. C’est lorsque certains des produits dont ils ont besoin sont en rupture auprès dudit grossiste qu’ils ont alors recours au second de leur liste, puis au troisième et ainsi de suite. Ce choix de grossiste privilégié ne s’opère pas au cours des années d’activité de l’officine, il se fait généralement plutôt au moment de la création de celle-ci.
38Étant donné les importants moyens financiers nécessaires à l’installation d’une officine, les banques demandent souvent aux pharmaciens la caution d’un grossiste comme garantie. Le grossiste qui cautionne un pharmacien lui fournit son premier stock de médicaments, qui sera payé suivant un échéancier négocié entre les deux parties. Il arrive aussi que certains grossistes prêtent sans intérêt l’argent nécessaire aux pharmaciens. La contrepartie étant qu’aussi longtemps que l’officine n’aura pas fini de rembourser la banque pour le prêt et le grossiste en question pour son premier stock, il devra s’approvisionner principalement chez ce dernier. Le directeur commercial d’une structure grossiste l’exprime ainsi : « Nous sommes dans le monde des affaires, soyons honnêtes, il n’y a pas de cadeaux. On ne vous installe pas pour vos beaux yeux. On vous installe parce qu’on veut faire de vous un client. Donc, vous vous installez, vous commencez à acheter chez celui qui est votre grossiste principal. Quand vous ne trouvez pas le produit chez lui, vous passez au suivant, quand vous ne trouvez pas au suivant, vous passez au troisième, ainsi de suite. » (entretien, Cotonou, le 21 octobre 2015).
39Ainsi, dès que le ministère de la Santé publie la carte pharmaceutique nationale, ce qui a lieu tous les trois ans, chaque grossiste approche les nouveaux pharmaciens autorisés à s’installer et leur propose ses conditionnalités ; à chaque pharmacien ensuite d’apprécier et de faire son choix. À travers ce système, le fait que l’un des grossistes ait une agence à Bohicon et une autre à Parakou constitue pour lui un atout majeur auprès des pharmacies installées dans ces zones, qui choisissent souvent cette structure comme grossiste principal en raison des facilités d’approvisionnement. Cela induit une forte présence de Gapob ainsi que d’Ubphar dans certaines zones du pays, qui peut apparaître comme un partage du territoire par les grossistes. La question de l’installation d’une officine de pharmacie constitue ainsi un enjeu de taille dans la structuration de la distribution grossiste au Bénin.
40Les stratégies commerciales des grossistes sont perceptibles également dans l’accompagnement, les visites qu’ils réalisent auprès des pharmacies, les conseils qu’ils donnent quant à l’organisation de la pharmacie et à la disposition des produits. Certains grossistes effectuent des visites à la faculté de Pharmacie, lors des rencontres scientifiques des pharmaciens, pour se faire connaître des jeunes étudiants en pharmacie.
41Une autre stratégie commerciale, parmi les grossistes « locaux », consiste à choisir d’être dépositaires de certaines firmes au Bénin. En tant que tels, ils ont l’exclusivité de l’approvisionnement de leurs produits et se chargent ensuite de fournir ces produits aux autres grossistes en même temps qu’aux pharmacies. Bien que la législation oblige les grossistes à détenir « un assortiment de spécialités représentant au moins les neuf dixièmes de celles autorisées au Bénin », elle ne dit rien sur la possibilité d’être dépositaire d’une marque ou d’un produit. Ce vide juridique est alors exploité par les grossistes afin d’accroître leur chiffre d’affaires. Il s’agit de changements importants qui commencent à modifier les pratiques des grossistes béninois et les rapprochent peu à peu de ce qui se pratique dans des systèmes plus libéraux comme celui du Ghana (Baxerres, 2013 a) ; il en est question dans les chapitres 3 et 6 du livre.
42Une autre stratégie commerciale consiste, pour les grossistes, à surveiller la disponibilité de certains médicaments d’usage courant et de s’assurer de les avoir en stock, si besoin en passant par la voie aérienne plus coûteuse, lorsque ces produits sont en rupture auprès de la concurrence. Les grossistes utilisent aussi les produits de parapharmacie, dont les prix sont libres, pour stimuler la concurrence économique avec leurs compétiteurs. Comme l’a affirmé le directeur d’une des sociétés grossistes : « La parapharmacie n’est pas enregistrée, donc chacun fait ce qu’il veut. » (entretien, Cotonou, le 15 juillet 2015).
43Enfin, la concurrence se joue aussi au quotidien sur la rapidité dans la livraison des commandes, les remises, les cadeaux offerts, la souplesse des délais de paiement, les appels en corporate21. Certains grossistes proposent des voyages professionnels ou d’agrément à leurs meilleurs clients à la fin de l’année, la plupart du temps en Europe ou en Amérique, grâce aux remises accordées à ces clients tout au long de l’année. L’une des destinations prisées est le salon Pharmagora, qui réunit chaque année à Paris des pharmaciens du monde entier.
44Ces enjeux financiers concernant les parts du marché pharmaceutique constituent, nous semble-t-il, la source des conflits qui agitent ce secteur privé de distribution grossiste du médicament au Bénin. Ces conflits se manifestent davantage lors de l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur ou encore à travers les autorisations d’ouverture de nouvelles officines de pharmacies. Il en découle également des rapports de pouvoir assez prégnants avec l’Ordre des pharmaciens, ainsi qu’avec le ministère de la Santé, qui constituent les deux autorités de régulation en matière de distribution pharmaceutique.
Conclusion : un système pharmaceutique en effervescence
45Le système de distribution grossiste béninois, publique et privée, présente des atouts indéniables en termes d’efficience et de respect des exigences de la santé publique. La Came s’est progressivement constituée comme un acteur indispensable de la distribution pharmaceutique béninoise. Malgré les défis inhérents à son activité dans un contexte de pays à faible revenu (principalement des ruptures de stock), elle présentait au moment de notre étude un niveau de performance certain. Si en 1991 la Came a débuté avec un stock de médicaments d’une valeur de 450 000 francs CFA (686 euros) financé par l’Union européenne, en 2017 la Centrale fait un chiffre d’affaires de plus de 16 milliards de francs CFA (presque 25 millions d’euros), dont 12,5 milliards (environ 19 millions d’euros) de vente en propre et 3,7 milliards (environ 6 millions d’euros) d’achat de vaccins pour le compte de l’État, sans oublier la distribution de produits d’une valeur de 3,7 milliards de francs CFA pour le compte des acteurs transnationaux. Le chiffre d’affaires de la Came a connu une évolution constante sur la durée, au fur et à mesure du renforcement de ses capacités techniques et humaines, et à mesure de l’évolution de son statut juridique vers une autonomie plus grande. Ainsi, il est passé de 5 milliards de francs CFA (7,6 millions d’euros) en 2007, à 7 milliards en 2010 (10,7 millions d’euros), 10,5 milliards en 2013 (16 millions d’euros) et 12 milliards à partir de 2015 (18,3 millions d’euros)22. De plus, son système d’approvisionnement étant ouvert depuis le début aux producteurs de génériques notamment indiens, la Centrale répondait convenablement à sa mission de mise à disposition de médicaments essentiels, selon le couple « qualité-prix » dont il a été question. Elle constitue également, à travers l’UGPS, une plateforme logistique efficace pour la distribution des médicaments financés par les acteurs transnationaux. Le fonctionnement des grossistes répartiteurs également, garanti par la législation stricte qui encadre leurs activités, assurait un bon niveau de disponibilité et de traçabilité des produits distribués. Il en sera question dans le chapitre suivant, notamment en comparaison du secteur de la distribution grossiste privée au Ghana. Toutefois, les sources d’approvisionnement restaient limitées et centrées exclusivement sur la France (Baxerres, 2013 a) et les prix des médicaments vendus en officine relativement onéreux. Cependant, nous l’avons vu, ce secteur d’activité, public comme privé, est l’objet d’enjeux politiques, idéologiques et économiques.
46Les tensions qu’a connues la distribution grossiste au Bénin depuis 2014 et l’installation du grossiste Ubipharm ont entraîné un bras de fer entre le ministère de la Santé et l’Ordre des pharmaciens, qui a abouti à des bouleversements et, comme cela a été décrit au sujet de la crise des métiers de la santé en France, à « une reconfiguration de l’espace social, à une redéfinition des domaines de compétence et de leurs frontières et à un rapport nouveau entre les professionnels, la société et l’État » (Aïach et Fassin, 1994 : 1). Cet état de choses a été grandement exacerbé depuis l’avènement d’un nouveau président de la République en 2016. Dès les premiers mois de son mandat, le gouvernement « de la rupture » du président Talon affiche une volonté de différenciation totale avec toute pratique antérieure, dans le domaine pharmaceutique mais pas uniquement23. Dans ce cadre, l’éradication du marché informel de médicaments a figuré en première place dans l’agenda pharmaceutique gouvernemental.
47Depuis les années 1990, plusieurs actions avaient été entreprises pour assainir le système pharmaceutique, notamment par les différents ministres de la Santé, mais aucune opération n’avait eu l’ampleur et le retentissement médiatique de l’opération Pangea IX lancée le 24 février 2017. Le ministre de l’Intérieur dans sa conférence de presse du 27 février déclarait : « L’opération a été minutieusement préparée et sa mise en œuvre sera de façon continue sur toute l’étendue du territoire national24. » C’est dans la suite de cette mise en œuvre que l’arrestation d’un homme transportant une certaine quantité de produits pharmaceutiques a conduit à l’arrestation, au procès et à la condamnation des directeurs de cinq des grossistes en exercice au Bénin et d’un député élu de l’opposition, représentant par ailleurs un laboratoire pharmaceutique. Les directeurs des grossistes ont tous été condamnés en première instance le 13 mars 2018 à quarante-huit mois de prison ferme et à deux amendes : l’une de 10 millions de francs CFA (15 300 euros) versée par chacun, l’autre de 100 millions (153 000 euros) de dommages à verser conjointement à l’État. En appel, la sanction a été allégée à quarante-huit mois d’emprisonnement, dont dix-huit fermes, et à 100 millions (153 000 euros) d’amende25.
48À l’issue du conseil des ministres du 14 mars 2018, au lendemain de la condamnation des grossistes en première instance, le gouvernement suspend l’Ordre national des pharmaciens pour six mois. Le 20 juin 2018, nouveau coup de théâtre, l’État retire, par décret, son agrément à la Came26. Un autre décret signé ce même jour concerne l’ensemble du secteur pharmaceutique. Il s’agit du décret no 2018-252 du 20 juin 2018 portant mise en place du Comité de pilotage de la réforme du secteur de la pharmacie, du médicament et des explorations diagnostiques au Bénin, dénommé « Comité Pharmed », dont la mission est de « proposer un nouveau cadre juridique et institutionnel des activités de la pharmacie, du médicament et des explorations diagnostiques et d’accompagner le ministère de la Santé dans la gestion de la période subséquente à la suspension de l’Ordre des pharmaciens du Bénin ». Deux ans après, en juin 2020, la Came a été dissoute et remplacée par la Société béninoise pour l’approvisionnement en produits de santé (Sobaps), une société anonyme ayant l’État béninois comme seul et unique actionnaire. En revanche, la DPMED a acquis plus d’autonomie en devenant l’Agence béninoise de régulation pharmaceutique (ABRP).
49Cette situation fait écho à ce qui s’est produit au Burkina Faso, où la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques (Cameg) construite entièrement sur le modèle de la Came béninoise a été secouée pendant plusieurs mois (approximativement entre mai 2016 et avril 2017) par ce que la presse burkinabé qualifie de « bataille politico-économico-juridico-judiciaire27 ». La crise burkinabé a débuté lorsqu’un nouveau gouvernement, à travers son ministre de la Santé, a essayé de remplacer le directeur général et le président du conseil d’administration de la Cameg.
50Sous quel angle décrypter ces coups d’éclat et ces nouvelles dispositions fermes de la part d’un gouvernement ? Rappeler la présence de l’État, notamment face aux acteurs transnationaux ? Un État désormais fort et capable ? Un État qui tente de reprendre la main ? Les polémiques autour de l’autonomie de la Came (comme peut-être de la Cameg du Burkina Faso), actrice de prime importance au Bénin où la production pharmaceutique est faible et où les enjeux financiers entourant le médicament, nous l’avons vu, se cristallisent sur l’importation et la distribution, face au ministère de la Santé, sembleraient plaider en ce sens. Le discours du président Patrice Talon à la conférence internationale sur l’accès aux médicaments et autres produits médicaux de qualité en Afrique francophone à Genève, le 22 mai 2018, rappelle également cette position : « Il faudra en effet que la lutte devienne sincère, à tout point de vue. Et que les grands laboratoires cessent de développer des chaînes de production exclusivement dédiées aux pays pauvres [silence]. Une telle discrimination est immorale ! Elle viole l’éthique, côtoie pour le moins l’illicite et fragilise dans tous les cas notre lutte contre les faux médicaments. Est-il d’ailleurs possible dans un même pays, qu’il y ait des médicaments produits pour les pauvres et non recommandés pour les riches ? Pourquoi au plan international, il y a des fabrications des productions de médicaments qui sont destinés aux pays pauvres et non aux pays développés ? […] La lutte contre les faux médicaments n’est pas encore une réelle volonté des pays développés. L’expérience que nous menons à Cotonou nous fait constater tristement que nous sommes seuls dans ce combat. Au Bénin, il y a des députés qui sont en prison, parce que barons du trafic de faux médicaments. Il y a des expatriés qui sont en prison, parce qu’impliqués dans le trafic de faux médicaments28. »
51Les événements récents dans le champ pharmaceutique au Bénin montrent tout à la fois l’importance stratégique de ce secteur spécifique dans le pays, mais aussi ses faiblesses structurelles. Ce dernier point a été mis en évidence dans le précédent chapitre. Il est également perceptible à travers les hésitations du pouvoir concernant les mesures à prendre29. Ainsi, nous pouvons nous demander si, en passant par la mise à plat actuelle du système pharmaceutique, le gouvernement entend réformer en profondeur ce champ d’activité et dans quelle direction il ira : un éloignement d’un système et d’une législation issus de la colonisation française ? Une libéralisation économique assumée ? Un investissement accru en matière de production locale ? Quelles que soient les options prises, il sera difficile de faire l’économie d’un renforcement important des capacités et compétences de régulation pharmaceutique nationale, tant techniques et matérielles qu’en termes de ressources humaines qualifiées.
Notes de bas de page
1 Jean Mazuet est un pharmacien français auquel certains ont donné le surnom de « père de la pharmacie africaine ». Il a installé, dans les années 1950-1960, des sociétés de distribution de médicaments « en gros », gérées par des pharmaciens, dans plusieurs pays d’Afrique francophone : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Niger et Sénégal (Mazuet, 1987). Il en est aussi question dans le chapitre 1 concernant la Côte d’Ivoire.
2 Les pharmaciens pouvaient importer directement des médicaments, mais devaient reverser à l’ONP 2 % du prix d’achat des produits qu’ils avaient importés (Baxerres, 2013 a).
3 Il n’y avait pas à cette époque de faculté de Pharmacie au Bénin. Les pharmaciens, pour la plupart, étaient formés en France, en Russie et au Sénégal.
4 Le groupe eurapharma, dont il a également été question dans le chapitre précédent, appartient à la multinationale CFAO, elle-même filiale du groupe Pinault-Printemps-Redoute. Son siège social est basé à Paris. Il est spécialisé dans la distribution de médicaments, au départ en direction des départements et territoires d’outre-mer français ainsi que des pays francophones d’Afrique, anciennement colonisés par la France. Il existe aujourd’hui vingt-trois implantations d’eurapharma en Afrique dont, depuis le début des années 2000, sept dans des pays non francophones (Kenya, Ouganda, Angola et, depuis 2008, Tanzanie, Ghana, Nigeria et Zambie). Le groupe élargit ainsi son implantation au-delà des pays francophones. Sources : www.eurapharma.com et www.cfaogroup.com, consultés en mai 2019.
5 Pour des informations sur la collecte des données, se référer au chapitre sur la méthodologie.
6 Le concept de « médicaments essentiels » émerge au début des années 1970. Il souligne la nécessité, dans des pays à faibles revenus, d’acquérir en priorité un nombre limité de médicaments essentiels à la santé de leur population et peu coûteux. Quatre propriétés constitutives de ces médicaments sont mises en avant : l’efficacité thérapeutique, la sécurité, la satisfaction des besoins de santé des populations et l’économie. À la fin des années 1970, l’Oms établit une liste de « médicaments essentiels » et, à partir des années 1980, les agences internationales, les gouvernements des pays et des ong adoptent cette nouvelle politique (Whyte et al., 2002). La 1re liste nationale de médicaments essentiels remonte aux années 1987-1988.
7 Composé de treize membres élus par chacune des catégories d’acteurs présentes à l’assemblée générale, le comité de gestion est l’organe exécutif de la Came. Il se réunit une fois par trimestre. Un représentant du personnel de la Came participe aux réunions du comité de gestion en tant qu’observateur, et le directeur de la Came et son adjoint y participent également, mais leurs voix sont consultatives. Le mandat des membres du comité de gestion est exercé à titre gratuit et pour une durée de trois ans, renouvelable une fois. Seuls les frais engagés par eux pour l’exercice de leur mission sont remboursés, sur une base forfaitaire.
8 La convention a été signée en 1997 et réactualisée en 2010.
9 Il s’agit des grossistes répartiteurs privés et des officines de pharmacie.
10 Les produits de monopole sont les produits dont la Came a le monopole d’importation. Il s’agit de tous les stupéfiants et des médicaments essentiels qui sont encore sous brevets.
11 La préqualification OMS est une procédure de certification de médicaments mise en place par l’OMS au début des années 2000 pour garantir la qualité des médicaments pour la prise en charge du VIH, de la tuberculose et du paludisme. Elle a ensuite été élargie à la certification de médicaments pour le traitement d’autres maladies, de matières premières et de laboratoires de contrôle de qualité (Pourraz, 2019).
12 La Came a trois agences réparties sur le territoire : une à Cotonou pour alimenter le sud et le centre du pays, une à Natitingou pour approvisionner le nord-ouest et une à Parakou pour le nord-est.
13 Nous n’avons pu obtenir la date précise à laquelle la Came a commencé à délivrer ces accréditations.
14 Ce sont des programmes de santé initiés par les acteurs transnationaux, dont les deux plus importants au Bénin sont le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ainsi que l’agence américaine Usaid.
15 Une étude précédente rapportait, à partir de chiffres de 2007, que le volume financier du secteur privé était plus de quatre fois supérieur à celui du secteur public : d’environ 21 milliards de francs CFA (32 millions d’euros) contre 4,6 milliards de francs CFA (environ 7 millions d’euros) (Baxerres, 2013 a). Depuis 2007, le marché pharmaceutique béninois a considérablement augmenté mais nous n’avons pu obtenir de chiffres pour en préciser les tendances respectives des secteurs public et privé.
16 Le courrier nous a été montré et a été lu lors de l’entretien avec ce directeur, Cotonou, 15 juillet 2015.
17 Il a été question de la société Ubipharm dans le chapitre 1 de l’ouvrage. Issue du groupe Eurapharma, à travers son antenne locale en Côte d’Ivoire, cette société est devenue l’un des leaders de la distribution du médicament dans les pays francophones d’Afrique.
18 Il s’agit ainsi d’une filiale d’Eurapharma, tout comme Laborex Côte d’Ivoire, qui a ensuite subi le putsch des pharmaciens ivoiriens (voir chapitre 1). Ceux-ci ont créé Pharmaholding, futur Ubipharm, qui la même année se dote d’une plateforme d’achat, Planetpharma, très semblable à celle d’Eurapharma, dont le nom est Continental Pharmaceutique. La politique du groupe Eurapharma est de monter, en partenariat avec des sociétés locales, des grossistes répartiteurs implantés dans les différents pays.
19 Voir l’article 2 du décret no 2000-450 du 11 septembre 2000 portant application de la loi no 97-020 du 11 juin 1997, portant fixation des conditions d’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales et relatif à l’ouverture des sociétés de grossistes répartiteurs en République du Bénin.
20 En comparaison de la situation qui prévaut au Ghana, où c’est une entité publique (Pharmacy Council) qui est chargée de la régulation de la pratique de la pharmacie, il est intéressant de constater qu’au Bénin (tout comme en France), c’est l’Ordre des pharmaciens qui est chargé de cette régulation. Les pharmaciens se trouvent ainsi, comme nous l’ont fait remarquer nos interlocuteurs ghanéens, à la fois juges et parties. Au Royaume-Uni, ce n’est que depuis 2010 qu’une telle entité publique existe : le General Pharmaceutical Council, qui a d’ailleurs succédé cette année-là à la Royal Pharmaceutical Society of Great Britain (Mahalatchimy, 2017).
21 Arrangement selon lequel le grossiste distribue des téléphones portables à ses clients pour qu’ils passent commande à ses propres frais. Il s’agit d’un service qu’offrent les opérateurs de téléphonie mobile et qui permet, moyennant un tarif fixe prépayé, à un nombre limité de numéros de s’appeler sans autres frais.
22 Source : service de la comptabilité de l’UGPS, Came, juillet 2019.
23 C’est aussi le cas, entre autres, en matière de réappropriation de l’espace public, de nomination des doyens et chefs d’établissements des universités publiques et de pratiques de la biomédecine dans le secteur privé.
24 Source : le quotidien d’information Les Pharaons, consulté en mars 2019 : https://www.lespharaons.com/le-benin-interdit-la-vente-des-medicaments-contrefaits/.
25 Voir le quotidien béninois La Nation du 14 mars 2018.
26 Voir le décret no 2018-253 du 20 juin 2018 portant retrait de l’agrément accordé à la Came, selon lequel « le ministre de la Santé est autorisé à dénoncer la convention de partenariat entre la Came et le gouvernement signée le 29 septembre 2010 ».
27 Voir le site web d’actualités burkinabé lefaso.net du 09 avril 2017, consulté en mars 2019 : http://lefaso.net/spip.php?article76583.
28 L’un des directeurs des grossistes répartiteurs emprisonnés est de nationalité française.
29 Suite au retrait de l’agrément de la Came le 20 juin 2018, un communiqué ultérieur a fait part du maintien finalement jusqu’à nouvel ordre de la structure le 28 juin 2018. https://lanouvelletribune.info/2018/06/benin-retrait-dagrement-a-la-came-le-ministre-hounkpatin-clarifie-son-homologue-de-la-justice-menace/, consulté en avril 2019. En 2019 également, une annonce présidentielle a mis en demeure la Came de ne s’approvisionner plus qu’auprès de fournisseurs certifiés internationalement ainsi que par l’OMS, avant de revenir quelque temps après sur cette décision. La toute récente création de la Sobaps et la dissolution de la Came montrent néanmoins la direction prise à ce sujet aujourd’hui par le gouvernement.
Auteurs
Doctorante en sociologie-anthropologie à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin) et à l’EHESS, Paris.
Anthropologue médical à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin) et actuel responsable du Laboratoire d’anthropologie médicale appliquée (Lama).
Professeur de sociologie et d’anthropologie médicale à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin).
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