Une méthodologie pluridisciplinaire
p. 29-39
Texte intégral
1La méthodologie de collecte des données que nous avons utilisée mêle l’observation longue et approfondie, l’entretien libre et semi-directif, la consultation d’archives et la passation de questionnaires auprès d’échantillons représentatifs de la population1. Elle témoigne de la richesse que produit la confrontation des approches et des disciplines : essentiellement qualitative, des outils au croisement de l’ethnographie et des techniques utilisées en histoire, du qualitatif et du quantitatif, des aspects purement quantitatifs.
2Il nous semble primordial pour appuyer les aspects que nous discutons dans le livre de décrire très précisément les données que nous avons collectées et les méthodes utilisées pour cela. Elles constituent le fondement de nos apports et soutiennent la crédibilité de nos travaux. Nous avons choisi de les présenter selon trois approches : 1) une approche principalement ethnographique de la distribution, la circulation et des usages du médicament ; 2) une approche socio-historique des CTA, de la production locale et des régulations (trans)nationales ; et 3) une approche populationnelle de la consommation pharmaceutique2.
Approche ethnographique de la distribution, de la circulation et des usages du médicament
3Ces études ont été principalement conduites au Bénin, au Ghana et au Cambodge entre les années 2014 et 2017, à la fois dans la capitale économique ou administrative des pays (Cotonou, Accra, Phnom Penh), et en milieu semi-rural : département du Mono, situé entre 50 et 80 km au nord-ouest de Cotonou au Bénin ; Breman Asikuma et les localités voisines de Jamra, Ayipey et Kuntanase à environ 150 km au nord-ouest d’Accra au Ghana ; et la province de Battambang au nord-ouest du Cambodge à 250 km de Phnom Penh.
4Au Bénin et au Ghana a été réalisée l’ethnographie, durant quatre à six mois, de différents distributeurs grossistes et détaillants, ces derniers pouvant être uniquement distributeurs ou se charger également de prodiguer des soins. Au Bénin, Anani Agossou, Moïse Djralah, Aubierge Kpatinvoh et Stéphanie Mahamé, alors étudiants en master ou assistants de recherche, ont ethnographié deux grossistes, trois officines de pharmacie, deux dépôts pharmaceutiques, cinq vendeuses informelles, de même que quatre centres de santé publics de différents niveaux sur la pyramide sanitaire nationale, deux centres de santé confessionnels et trois centres de santé privés. Au Ghana, Eunice Ayimbila, Sandra Serwah Bredu3, et Grace Kumi Kyeremeh, qui avaient les mêmes statuts que leurs homologues au Bénin, ont ethnographié trois pharmacies privées, six OTC Medicines shops (OTCMs), un hôpital confessionnel, trois centres de santé publics de niveaux différents et un centre de santé privé4. Durant ces ethnographies, de nombreux entretiens libres étaient menés avec le maximum d’acteurs, distributeurs comme acheteurs et fournisseurs. Au croisement des approches qualitatives et quantitatives, des informations étaient de plus collectées systématiquement concernant les produits vendus, leur nom, leur prix, leur quantité et la manière dont ils avaient été achetés (suite à la présentation d’une ordonnance, en demandant des conseils, en précisant spontanément le produit voulu). Consignées dans des fichiers Excel, ces données ont permis des quantifications qui sont précisées dans le livre. À l’issue de chacune de ces ethnographies, des entretiens semi-directifs étaient conduits avec entre dix et vingt personnes choisies délibérément en fonction de la catégorie à laquelle elles appartenaient (personnel de la structure, clients, fournisseurs, représentants pharmaceutiques, etc.) et de l’intérêt qu’elles représentaient ainsi pour l’étude.
5Au Ghana, Carine Baxerres s’est chargée de l’étude de la distribution grossiste et des représentants pharmaceutiques. Celle-ci s’est globalement déroulée autour du marché Okaishie d’Accra, qui joue un rôle de centralité important au sein de la distribution pharmaceutique grossiste au Ghana5 (voir portfolio, photo 1). L’ethnographie de deux grossistes privés a été réalisée à travers huit séjours de recherche de quinze jours entre 2014 et 2016. Puis, une quarantaine d’entretiens semi-directifs ont été conduits auprès de détaillants (qui étaient accompagnés ensuite lors de leurs achats pharmaceutiques), de directeurs ou de représentants travaillant pour des grossistes privés de taille variable ainsi que pour des firmes pharmaceutiques, d’acteurs informels exerçant dans le marché Okaishie, et enfin d’acteurs institutionnels et transnationaux.
6Au Bénin, Stéphanie Mahamé, à la suite des données collectées de 2014 à 2016 sur la distribution grossiste, a réalisé l’étude des représentants pharmaceutiques de 2017 à 2020 dans le cadre d’une thèse de sociologie-anthropologie6. La collecte des données a consisté à effectuer vingt mois d’ethnographie au cours desquels des observations ont été faites dans un centre de santé confessionnel, dans une clinique privée et en suivant trois représentants pharmaceutiques dans leurs activités quotidiennes. L’ethnographie a été également ponctuée d’entretiens semi-directifs avec des représentants, des agents de santé et des acteurs étatiques. Au total, 52 entretiens ont été conduits au Bénin. Puis, un séjour de recherche de quinze jours en Côte d’Ivoire a permis de prolonger certains questionnements à travers des entretiens avec des représentants pharmaceutiques et des pharmaciens de la direction des pharmacies (9 entretiens).
7Pour investiguer les usages des médicaments, Anani Agossou, Émilienne Anago, Audrey Hémadou, au Bénin, et Emelia Agblevor et William Sackey, au Ghana, ont réalisé des entretiens semi-directifs avec la mère et éventuellement le père et/ou une grand-mère de trente familles au Bénin et de trente familles au Ghana, choisies en fonction de leurs statuts socio-économiques (revenus, logement, possession de véhicule(s), types d’activité, niveau de scolarisation), de manière à rencontrer un panel relativement large des situations existantes dans les contextes urbains et semi-ruraux étudiés7. Sur la base des observations lors des enquêtes, les étudiants et assistants de recherche dans les deux pays ont classé les familles comme appartenant à un groupe « aisé », « intermédiaire » ou « démuni ». Chaque famille devait compter au minimum un enfant de moins de 5 ans. Suite aux entretiens, comme précédemment au croisement du qualitatif et du quantitatif, un suivi bimensuel de la consommation médicamenteuse des membres de ces familles a été conduit pendant quatre à huit mois en fonction de la disponibilité des familles.
8Ève Bureau-Point était chargée de l’étude menée au Cambodge, qu’elle a réalisée entre janvier 2015 et juin 2016 avec Malinda To, assistante de recherche. Des entretiens semi-directifs et libres ont été réalisés auprès de trente détaillants (en pharmacie et en dépôt pharmaceutique), huit propriétaires de cabinets médicaux privés (médecin, infirmier, sage-femme), dix vendeurs semi-grossistes, sept personnels de centres de santé publics, trois vendeurs informels, trois délégués médicaux, cinq représentants de « compagnies pharmaceutiques » et quinze agents du ministère de la Santé8. Auprès de ces différents acteurs de la distribution, des observations directes ont été menées in situ sur les modes d’interactions entre les vendeurs et les acheteurs. Comme précédemment au Bénin et au Ghana, un outil au croisement du qualitatif et du quantitatif a permis de collecter des informations systématiques concernant les produits vendus et les modes d’achat au sujet de 270 interactions d’achats de médicaments à Phnom Penh et de 121 à Battambang. Concernant les usages des médicaments, des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec vingt-quatre mères de famille d’horizons socio-économiques diversifiés9. Puis, un suivi bimensuel de la consommation pharmaceutique de ces familles a également été réalisé pendant une durée moyenne de trois mois et demi.
9Enfin, Maxima Missodey, doctorante dans le cadre de Globalmed, a été chargée d’étudier les questions entourant la standardisation des médicaments à base de plantes au Ghana. Son étude ethnographique a mobilisé l’observation participante et l’entretien. Les observations ont été réalisées auprès de deux OTC Medicines sellers à Breman Asikuma et dans une boutique de phytothérapie et une pharmacie à Accra, sur une période de huit mois entre 2016 et 2017. Les entretiens ont été menés avec quatorze fabricants et dix distributeurs de médicaments de phytothérapie standardisée. En outre, des « entretiens de sortie » (exit interviews) ont été réalisés avec des clients volontaires venus acheter auprès de ces détaillants (trente clients de la boutique de phytothérapie et sept de la pharmacie à Accra). Ils portaient sur les médicaments achetés et sur des informations générales au sujet de la consommation de la phytothérapie.
10Ces études ont été supervisées par Carine Baxerres, qui s’est associée à Adolphe Kpatchavi au Bénin, à Daniel Arhinful au Ghana et à Ève Bureau-Point au Cambodge. Les mêmes outils de collecte des données (grilles d’observation, guides d’entretien, fiches de suivi de la consommation pharmaceutique de familles, fiches de collecte d’informations sur les achats de médicaments) ont été utilisés dans les trois pays. Eunice Ayimbila, Carine Baxerres, Aubierge Kpatinvoh, Stéphanie Mahamé, Maxima Missodey et Kelley Sams se sont chargés de l’analyse des données collectées au Bénin et au Ghana. Ève Bureau-Point s’est chargée de celle des données collectées au Cambodge.
Approche socio-historique des CTA, de la production locale et des régulations (trans)nationales
11Principalement menée au Bénin, au Ghana et en Côte d’Ivoire, cette série d’études a aussi nécessité des déplacements dans différents lieux d’innovation et de production ainsi qu’au siège d’organisations internationales, à travers l’Europe et l’Afrique.
12Maurice Cassier a étudié la trajectoire des CTA entre les années 2008 et 2019 en s’appuyant sur plusieurs types de sources. Il a étudié les récits des inventeurs chinois ayant découvert l’artémisinine et inventé des combinaisons thérapeutiques, notamment ceux de leurs collaborations avec l’OMS et les firmes multinationales10. Il a également consulté les archives du groupe de recherche Tropical Diseases Research (TDR), de l’OMS et de Roll Back Malaria à Genève, notamment les accords industriels en matière de R&D11, d’industrialisation et de distribution. Il a aussi dépouillé les archives des brevets déposés sur les combinaisons à dose fixe, en un seul comprimé, particulièrement sur l’artéméther-luméfantrine (AL). Enfin, il a utilisé les matériaux d’une enquête circonstanciée sur l’invention et l’industrialisation de la combinaison artésunate-amodiaquine (Asaq), réalisée en deux vagues en 2008-09 (dans le cadre du programme Pharmasud financé par l’Agence nationale de la recherche française) et en 2016-2019, à travers la réalisation d’entretiens semi-directifs menés auprès des universitaires et des start-ups qui développèrent la combinaison de l’Asaq à dose fixe, auprès d’agents de la firme Sanofi qui l’industrialisa, et des organisations MSF (Médecins sans frontières) et DNDI (Drugs for Neglected Diseases Initiative) qui gouvernèrent ce dispositif. Cette enquête conduisit Maurice Cassier de la ville de Bordeaux en France aux usines de Sanofi à Casablanca au Maroc, en passant par Genève et par le siège de Sanofi à Paris. Maurice Cassier a par ailleurs dirigé et coordonné les recherches sur la production locale conduites au Ghana, au Bénin et en Côte d’Ivoire.
13Jessica Pourraz a mené ses recherches dans le cadre d’une thèse de sociologie (Pourraz, 2019) à l’EHESS. Le recueil des données empiriques a été réalisé durant quatorze mois entre août 2014 et mai 2017 à Cotonou, à Accra, à Genève et à Paris. Elle a mené des entretiens semi-directifs et des observations auprès des différents acteurs impliqués, tels que les autorités nationales de régulation pharmaceutique – la Direction des pharmacies, du médicament et des explorations diagnostiques (DPMED) au Bénin et la FDA au Ghana – les acteurs transnationaux finançant les CTA (l’United States Agency for International Development Usaid, la President’s Malaria Initiative, le Fonds mondial, l’Unicef, la Banque mondiale), l’OMS, les programmes nationaux de lutte contre le paludisme et les ministères de la Santé dans les deux pays, ainsi que les industries pharmaceutiques au Ghana et leur syndicat. Au total, Jessica a conduit près d’une centaine d’entretiens (trente-deux à Cotonou, cinquante-huit à Accra, cinq à Genève et deux à Paris). Elle a également réalisé des observations au sein d’une firme pharmaceutique produisant des CTA à Accra, ainsi que de la DPMED et de la FDA à l’occasion des commissions techniques qui délivrent les AMM. Elle a également observé des réunions de travail entre les programmes nationaux de lutte contre le paludisme et leurs partenaires transnationaux, entre les industriels ghanéens et l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi), ainsi qu’à l’occasion d’une formation sur les politiques pharmaceutiques organisée pour les pharmaciens régulateurs africains par l’OMS à Genève. Pour finir, Jessica Pourraz a conduit un travail approfondi de recherche au sein des Archives nationales du Ghana afin de collecter les sources historiques permettant de retracer l’histoire du secteur industriel pharmaceutique ghanéen depuis l’indépendance, ainsi qu’au sein des archives de l’OMS à Genève au sujet de l’histoire de la lutte contre le paludisme en Afrique (voir portfolio, photo 9). Daniel Arhinful au Ghana et Adolphe Kpatchavi au Bénin ont apporté un soutien précieux à Jessica Pourraz pour la conduite de son enquête en l’introduisant auprès des différents acteurs au sein des ministères de la Santé, et en partageant leur connaissance fine du système de santé de leur pays.
14Claudie Haxaire a étudié en Côte d’Ivoire certains des aspects dont Jessica Pourraz s’est chargée au Bénin et au Ghana. Pharmacienne-anthropologue, elle a enseigné à la faculté de Pharmacie d’Abidjan de 1979 à 1984 et a séjourné régulièrement dans le pays par la suite pour des missions de recherche ethno-pharmacologique. Entre 2014 et 2017, ceci lui a donné l’opportunité d’une observation participante et de rencontres informelles avec les acteurs de la pharmacie du pays. Ces rencontres ont orienté les entretiens semi-directifs qu’elle a menés par ailleurs et facilité les observations participantes plus ciblées (visite de trois unités de production, de la pharmacie de la santé publique, du laboratoire d’analyse, participation à une réunion du comité technique en vue de la délivrance des AMM). Relève également de cette méthodologie la participation à plusieurs colloques, dont Sympoindus19 à Abidjan en février 2019 pour l’industrialisation et la production pharmaceutique en Afrique de l’Ouest, ainsi qu’à l’atelier d’élaboration du nouveau Code de la santé publique de Côte d’Ivoire portant sur le médicament. L’analyse de la littérature grise et d’informations collectées sur internet et dans des revues spécialisées lui a permis d’identifier les industries données comme productrices de CTA (4 sur 8), les grossistes répartiteurs (3 puis 4), la centrale d’achat publique, le Laboratoire national de la santé publique (LNSP), la Direction de la pharmacie du médicament et des laboratoires (DPML) ainsi que le Programme national de développement de l’activité pharmaceutique (PNDAP). Sur ces bases ont été ensuite menés quarante-cinq entretiens semi-directifs avec les acteurs identifiés (experts auteurs des rapports, directeurs et sous-directeurs des structures étatiques, pharmaciens responsables des unités de production privées ou des grossistes répartiteurs, directeurs d’unités de production pour l’aspect financier, délégués commerciaux, experts internationaux). La période de ce projet a vu la réforme de l’autorité de régulation (DPML) en agence. Claudie Haxaire a suivi ce long processus en contact avec les experts en charge de la proposition de textes de loi et décrets d’application fondant l’agence du médicament en Côte d’Ivoire. Elle a recueilli les opinions de différents acteurs sur cette question qui reste à suivre.
15Tout au long de nos études, nous avons été attentifs, au-delà des entretiens réalisés auprès d’eux, à être en discussion étroite avec des acteurs nationaux chargés, au moment des enquêtes ou par le passé, de la régulation de la pharmacie et du médicament. La préface du livre, écrite par Joseph Nyoagbe, directeur du Pharmacy Council du Ghana entre 2005 et 2016, en est une illustration. Nous avons réalisé au Bénin, au Ghana et au Cambodge en 2016, 2017 et 2018 des restitutions de nos travaux auprès des autorités sanitaires et des acteurs du système pharmaceutique. Enfin, en mars 2018, nous avons organisé à Ouidah au Bénin un colloque international au sujet des enjeux actuels concernant le médicament en Afrique, dont la table ronde finale était illustrative des ponts que nous avons cherché à créer tout au long de cette recherche collective entre les champs universitaires, étatiques et transnationaux, entre les chercheurs et les étudiants en sciences sociales et en pharmacie, ainsi qu’avec les acteurs politiques nationaux et régionaux (Baxerres et Marquis, 2018) (voir portfolio, photo 6). Le professeur de socio-anthropologie Roch Appolinaire Houngnihin au Bénin a largement contribué à la bonne tenue de cet événement scientifique, témoin du caractère de « recherche-action » que nous avons voulu donner à notre travail.
Approche populationnelle de la consommation pharmaceutique
16Il s’agit ici d’une série d’enquêtes quantitatives menées en population générale, à Cotonou et Accra, en milieu urbain, et dans les mêmes zones que les études qualitatives décrites ci-dessus pour le milieu rural. Concernant ce dernier, nous souhaitions enquêter dans des zones plus reculées que celles étudiées en qualitatif, que nous avons alors qualifiées de semi-rurales. Ainsi, les enquêtes ont été réalisées dans le département du Mono au Bénin, dans la commune de Lobogo, et à Breman Asikuma au Ghana, dans la localité de Kuntanase (voir carte 1).
17Pour garantir la représentativité de l’échantillon de population interrogée, nous avons tiré au sort les foyers à partir de leurs coordonnées GPS (Apetoh, 2020). La même méthodologie a été appliquée à Cotonou, à Madina (un quartier d’Accra) et à Lobogo. Dans un premier temps, dans chacune des zones d’enquête, nous avons délimité, sur des bases administratives, la zone d’étude. Nous avons considéré à Cotonou l’ensemble de la ville (treize districts, près de 800 000 habitants) et en zone rurale, l’arrondissement de Lobogo (17 000 habitants) dans le département du Mono. À Accra, notre zone d’étude a été le quartier de Madina (près de 140 000 habitants), dans la banlieue est de la ville, dont les habitants présentent une certaine diversité de statuts socio-économiques, comparable à la composition de la ville de Cotonou12. Pour obtenir une puissance suffisante dans les tests statistiques, nous avons calculé le nombre de familles à investiguer suivant la formule de Schwartz (Schwartz, 1996), ce qui nous a donné un minimum de 600 familles à visiter13. Kuntanase, localité située dans l’arrondissement de Breman Asikuma, a constitué une exception : au regard de la taille de ce village, nous avons choisi de réaliser une visite exhaustive des 853 familles. Pour constituer notre échantillon dans les trois autres zones, nous avons tiré au sort dans l’espace délimité un nombre suffisant de points GPS, en utilisant l’application Google Earth ProTM et le site geomidpoint.com pour générer les points (Apetoh, 2020 ; Damien et al., 2020). Pour chaque coordonnée GPS, nous avons identifié le bâtiment le plus proche du point. Ces bâtiments ont été visités par les enquêteurs socio-anthropologues. Si le bâtiment ne contenait qu’une seule famille, celle-ci a été incluse dans l’étude après recueil du consentement éclairé d’une personne responsable de la famille14. S’il y avait plusieurs familles dans le bâtiment, l’une d’elles a été tirée au sort et incluse dans l’étude. Dans chaque famille, la personne responsable a été interrogée sur les caractéristiques socio-économiques de la famille et sur les pratiques de soins habituelles, notamment en cas de suspicion de paludisme.
18Pour étudier les problèmes de santé rencontrés, les pratiques de soins et la consommation des médicaments, nous avons tiré au sort un adulte (≥ 18 ans) et un enfant (< 12 ans). L’adulte ainsi que la personne s’occupant de l’enfant ont été interrogés par questionnaire selon deux approches. Dans un premier temps, ils ont été interrogés sur les « événements de santé15 » (EDS) rencontrés dans la semaine précédant le passage de l’enquêteur. Ils devaient décrire les symptômes présentés, les décisions et les modalités de prise en charge (automédication, consultation, conseil auprès de la famille ou de proches), le(s) traitement(s) pris et le lieu d’achat de ce(s) traitement(s). Dans un deuxième temps, s’il n’y avait pas eu d’EDS durant la semaine écoulée, il leur était demandé de dire à quand remontait la dernière prise de médicament, quel médicament avait été pris, pour quel motif (symptômes, maladies), dans quel but (préventif, curatif, maintien de la santé), si le médicament avait été prescrit ou pas et où il avait été acheté.
19La collecte de ces données quantitatives a été réalisée par Edwige Apetoh au Bénin dans le cadre de sa thèse d’épidémiologie (Apetoh, 2020) et au Ghana par William Sackey, assistant de recherche également impliqué dans les études qualitatives. Ils étaient supervisés dans les deux pays par Jean-Yves Le Hesran qui s’est associé à Daniel Arhinful au Ghana. Ils étaient assistés au Bénin et au Ghana par des enquêteurs socio-anthropologues, dont certains étaient aussi impliqués dans les études qualitatives : Anani Agossou, Inès Boko, Ruth Boko, Moïse Djralah, Audrey Hemadou, Bernadette Kokoye, Aubierge Kpatinvoh au Bénin, et Salomey Pomaah Adjani, Alberta Addo, Emmanuel Andam, Esther Appiah, Derrick Frimpong, Raymond Lamptey, Éric Nartey, Ohene Sakyi au Ghana. Ils ont réalisé un travail remarquable permettant, avec patience et pédagogie, un très bon contact avec les personnes enquêtées et la collecte de données de qualité. L’analyse des données a été réalisée par Georgia Damien, Michael Addo Preko Ntiri, Edwige Apetoh dans le cadre de sa thèse, et Marina Tilly, Arnaud Gbenou et Hajar Ahachad dans le cadre de leur master de santé publique (Tilly, 2017 ; Gbenou, 2017 ; Ahachad, 2020).
Notes de bas de page
1 Tous les prénoms mentionnés dans le texte sont des pseudonymes.
2 Des autorisations de recherche ont été obtenues auprès de comités d’éthique nationaux au Ghana (10/05/2014, GHS-ERC), au Bénin (30 du 03/12/2013, CER-Isba), au Cambodge (466, NECHR) et en France (10 et 11/12/2013, CCDE).
3 Sandra Serwah Bredu est décédée au cours du programme Globalmed, suite à un cancer. Nous lui rendons hommage ici.
4 Les systèmes pharmaceutiques du Bénin et du Ghana, étant fondés par des législations différentes, impliquent chacune des catégories d’acteurs de la distribution pharmaceutique différentes. Les OTC Medicines sellers du Ghana sont des acteurs privés autorisés à vendre des médicaments OTC (Over-The-Counter), qui ne nécessitent pas de prescription médicale. Ils ne disposent pas du diplôme de pharmacien. Au Bénin, les dépôts pharmaceutiques, installés uniquement en milieu rural, sont des commerces tenus par des non-pharmaciens qui doivent distribuer une liste limitative de médicaments et être supervisés par le pharmacien de l’officine la plus proche. Les vendeuses informelles du Bénin distribuent des médicaments hors des circuits formels imposés par l’État : dans les marchés, dans des boutiques, de porte en porte, à domicile, etc. Nous retrouvons ces catégories d’acteurs dans les différents chapitres du livre.
5 Le secteur drug lane du marché Okaishie d’Accra est spécialisé dans la vente de médicaments. Il joue un rôle de centralité dans la distribution pharmaceutique grossiste au Ghana. Il est constitué de sept immeubles privés qui regroupent plus d’une centaine de sociétés investies dans le commerce du médicament (Baxerres, 2018). Carine Baxerres publiera prochainement un livre consacré aux marchands ghanéens du médicament dans lequel une part importante sera dédiée à ce secteur du marché Okaishie.
6 Cette thèse est réalisée en cotutelle entre l’université d’Abomey-Calavi au Bénin et l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris en France. Elle s’intitule Les représentants pharmaceutiques et leurs activités au Bénin. Contribuer à l’étude de la construction sociale des marchés du médicament en Afrique et a été soutenue début 2022.
7 Par famille, nous entendons ici les personnes qui vivent dans une unité de résidence et qui partagent les repas qui ont été préparés ou achetés à leur intention à toutes.
8 Comme précédemment, les catégories d’acteurs impliqués dans la distribution pharmaceutique au Cambodge, en fonction de la législation en place, diffèrent de celles en exercice au Bénin et au Ghana. Les dépôts pharmaceutiques en exercice au Cambodge sont tenus par des professionnels de santé (pharmaciens assistants ou médecins, infirmiers, sages-femmes retraitées) et sont présents en milieu rural comme urbain. Les vendeurs informels exercent dans des pharmacies non enregistrées, dans des épiceries ou directement dans la rue. Selon son utilisation locale, le terme « compagnie pharmaceutique » renvoie à la fois aux firmes locales de production et aux sociétés d’import-export et de distribution de médicaments. Elles disposent d’une licence spéciale du ministère de la Santé pour importer et exporter des médicaments. Les semi-grossistes s’approvisionnent auprès de « compagnies pharmaceutiques », ils vendent en gros ou au détail et ils ont une licence de pharmacie. Ils ne sont pas autorisés à importer. Parfois, ils disposent en parallèle de leur pharmacie d’une compagnie d’importation.
9 Trois vivant avec moins de 100 USD par mois, dix avec entre 100 et 400 USD par mois, huit avec entre 400 et 2 000 USD par mois, et trois avec plus de 2 000 USD par mois.
10 Tu Youyou, découvreuse de l’artémisinine ; Zhou Yiqing, inventeur de la combinaison artéméther et luméfantrine ; Li Guoqiao, inventeur de la combinaison dihydroartémisinine et pipéraquine ; ainsi que l’ouvrage publié par Jianfang (2013).
11 R&D : cette abréviation fait référence aux activités de recherche et de développement, ici de spécialités industrielles réalisées au sein des firmes pharmaceutiques ou dans des organisations de taille plus réduite (laboratoires universitaires, start-ups, etc.).
12 La ville d’Accra est composée de nombreux quartiers très hétérogènes (huppés, populaires). Beaucoup plus étendue que Cotonou, travailler sur l’ensemble de la ville aurait nécessité de stratifier les quartiers. Nous avons choisi de nous concentrer sur le quartier de Madina, habité par des classes populaires et moyennes, dont la population se rapproche le plus de celle de Cotonou que nous avons étudiée au Bénin.
13 Nous utilisons ici la même définition de la notion de famille que celle employée dans les études qualitatives, à savoir une unité de résidence et de consommation des repas.
14 C’est-à-dire un adulte responsable de la famille présent au moment du passage des enquêteurs et qui était apte à répondre aux questions concernant les caractéristiques de la famille et les pratiques de soins. Dans la majorité des cas, il s’agissait de la mère de famille.
15 Nous avons forgé cette notion d’EDS en épidémiologie sociale pour les besoins de la présente étude. L’idée était d’interroger les familles plus largement qu’uniquement au sujet des « problèmes de santé », tels que peut les définir la biomédecine. Par « événement de santé », nous incluons ainsi toutes les raisons pour lesquelles les personnes recourent au médicament quel qu’il soit, spécialités industrielles ou phytothérapie.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Du social hors la loi
L’anthropologie analytique de Christian Geffray
Yann Guillaud et Frédéric Létang (dir.)
2009
Gestion durable des eaux et des sols au Maroc
Valorisation des techniques traditionnelles méditerranéennes
Éric Roose, Mohamed Sabir et Abdellah Laouina
2010
Madagascar face au défi des Objectifs du millénaire pour le développement
Bénédicte Gastineau, Flore Gubert, Anne-Sophie Robilliard et al. (dir.)
2010
Le projet majeur africain de la Grande Muraille Verte
Concepts et mise en œuvre
Abdoulaye Dia et Robin Duponnois (dir.)
2010
La Grande Muraille Verte
Capitalisation des recherches et valorisation des savoirs locaux
Abdoulaye Dia et Robin Duponnois (dir.)
2012
Parcours de recherche à Madagascar
L’IRD-Orstom et ses partenaires
Christian Feller et Frédéric Sandron (dir.)
2010
Pratiques et représentations linguistiques en Guyane
Regards croisés
Isabelle Léglise et Bettina Migge (dir.)
2008
Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest
Benjamin Sultan, Richard Lalou, Mouftaou Amadou Sanni et al. (dir.)
2015
Aires marine protégées ouest-africaines
Défis scientifiques et enjeux sociétaux
Marie Bonnin, Raymond Laë et Mohamed Behnassi (dir.)
2015