Chapitre 7
Les marchés fonciers
Dynamiques, efficience, équité
p. 471-540
Remerciements
Nous remercions Gérard Béaur, Juan Carmona et Philip Woodhouse, ainsi que nos collègues du Pôle foncier de Montpellier, pour leurs apports à l’amélioration de ce texte. Nous restons responsables des imperfections qui demeurent.
Texte intégral
Introduction
1Ce chapitre traite des marchés fonciers et de leurs liens avec le développement rural, notamment en matière d’équité et d’efficience. Les marchés fonciers sont définis ici comme des ensembles de transactions foncières marchandes. Une transaction foncière correspond à un transfert de droits sur la terre – « droits » entendus dans une acception de sciences sociales, c’est-à-dire comme les actions socialement autorisées sur un bien. Le droit de transférer correspond à l’une des composantes du faisceau de droits (cf. chap. 1). Les transactions foncières englobent typiquement les achats-ventes, définis comme des transferts marchands définitifs du faisceau complet de droits de propriété, les contrats de faire-valoir indirect1 (location, métayage, mise en gage, rente en travail), définis comme des transferts temporaires de droits d’usage, ainsi que certaines formes hybrides (comme les contrats de plantation). Dans ce chapitre, nous utilisons le terme « marché » par commodité, mais notre entrée reste celle des transactions foncières marchandes à une échelle locale.
2Le chapitre repose sur une combinaison d’apports théoriques et d’éléments de discussions contextualisées, tirés d’une revue de la littérature ainsi que de l’expérience de recherche des auteurs au Mexique, en Côte d’Ivoire, à Madagascar ou en Algérie2. Du fait des contraintes de volume, les références aux situations empiriques resteront allusives, pour privilégier la présentation de clés de lecture des transactions foncières.
3Le texte s’organise autour de la trame suivante. La première partie interroge la notion même de « marché foncier », qui ne va pas de soi, ainsi que les conditions de marchandisation de l’accès à la terre et des dynamiques de développement des marchés. La deuxième partie décrit les grands types de transactions foncières. Le chapitre propose ensuite en troisième partie une grille de lecture permettant de rendre compte à la fois de la diversité et des régularités empiriques dans le jeu des marchés fonciers, en s’intéressant aux conditions d’interactions entre arrangements institutionnels et logiques d’acteurs socialement et économiquement situés, dans des contextes d’information et de marchés imparfaits.
4Une fois ces bases posées, le chapitre examine en quatrième partie comment les marchés fonciers sont susceptibles de contribuer aux processus d’allocation de la terre, et, au-delà, au développement économique et social local. Un premier enjeu est celui des tensions ou conflits que le processus de marchandisation et le jeu des marchés fonciers sont susceptibles d’induire – une question rarement intégrée par les politiques publiques récentes. Les rapports entre marchés fonciers et développement suscitent par ailleurs d’importantes controverses autour des enjeux d’équité (est-ce que les marchés sont un facteur de concentration et d’exclusion, ou au contraire de redistribution et d’accès ?) et d’efficience (est-ce que les marchés réallouent la terre vers des producteurs qui ont la capacité et l’incitation à investir ?).
5La question de savoir si les marchés fonciers représentent un moteur ou un frein au développement, et qui en sort gagnant ou perdant, renvoie à des débats anciens. Les controverses continuent de se poser sous des formes renouvelées, avec notamment les dynamiques récentes de grandes acquisitions foncières (même si ces dernières ne passent pas toujours par le marché3), la prise en compte croissante des critères de durabilité environnementale (susceptibles d’entrer en contradiction avec l’efficience technique) et des avancées théoriques en économie du développement (en particulier relativement aux imperfections de marchés et à la question de la sécurité des droits fonciers, qui débouche sur celle de la sécurité des transferts). Le problème est complexe, non seulement en raison de difficultés méthodologiques (choix conceptuels, accès aux données sur les transactions foncières, construction et mesure d’indicateurs d’efficience, d’équité et de sécurité, importance des contextes locaux), mais aussi parce que les critères d’évaluation des performances des marchés fonciers sont potentiellement antagoniques et que les postures normatives renvoient in fine à des arbitrages et des choix de société (sur les niveaux d’inégalités, sur la gouvernance foncière, sur les modèles agricoles) qui dépassent les débats scientifiques.
6Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les politiques publiques relatives aux marchés fonciers puissent suivre des orientations diamétralement opposées, entre différents pays ou entre différentes périodes pour un pays donné. C’est là l’objet de la cinquième et dernière partie de ce chapitre. On peut schématiquement distinguer une posture de promotion, visant à instaurer et développer le marché, et une posture de cantonnement, visant à circonscrire, voire à proscrire le marché. Entre ces deux options, une troisième voie consiste à canaliser et organiser le marché selon divers principes directeurs (favoriser l’inclusion de certains profils d’acteurs, favoriser le développement de certains types de transactions, améliorer la circulation de l’information, proposer des dispositifs de sécurisation des transferts et de règlement des conflits). Cette dernière partie présente les différentes options et leurs principaux instruments, en esquissant des éléments de bilan.
Marché foncier et marchandisation de la terre
Qu’est-ce qu’un marché foncier ?
7Qu’est-ce qu’un marché ? La question, rarement posée dans la littérature économique, est plutôt traitée par la sociologie et l’anthropologie économiques. Cette réflexion s’avère incontournable pour un bien comme la terre, que Polanyi qualifie de « marchandise fictive » (au même titre que le travail), pour la distinguer des marchandises classiques, définies comme « des objets produits pour la vente sur le marché » (Polanyi, 1983 : 107).
8Parler de marché foncier sans s’interroger sur la définition et sur les limites de la catégorie comporte en effet des risques sur les plans conceptuel et méthodologique, mais aussi en termes d’action publique. Ces risques sont particulièrement importants dans des contextes de droits coutumiers et de pluralisme juridique. L’objectif de ce chapitre n’est pas de fournir une définition absolue mais plutôt d’attirer l’attention du lecteur sur ces difficultés, et de lui fournir des éléments pour forger ses catégories en connaissance de cause.
9Le concept d’échange marchand tel qu’il est mobilisé ici renvoie au transfert de droits d’appropriation ou d’usage contre une contrepartie exigible, établie sur la base d’un système d’équivalence : le prix (Testart, 1997). La notion de prix n’implique pas systématiquement le recours à la monnaie : un accès à la terre contre une partie de la production, ou encore contre du travail, sera également qualifié d’échange marchand.
10La typologie des transferts proposée par Schmid (1987 ; cf. chap. 1) distingue les transferts marchands d’autres catégories de transferts en conservant le critère du prix, mais en le complétant par une qualification de la nature de la relation entre les parties prenantes : un transfert marchand se caractérise par une négociation bilatérale, par opposition à un transfert qui serait gouverné par des positions sociales ou qui résulterait d’une allocation par la puissance publique. Toutefois, dans un contexte local marqué par la personnalisation des relations, la distinction entre un transfert gouverné par des positions sociales et un transfert gouverné par une négociation bilatérale relève davantage d’un positionnement sur un continuum que d’une franche dichotomie. Qualifier un échange de marchand devient une question de degré, qui n’exclut pas un certain niveau d’enchâssement social pouvant se traduire de diverses manières : prix d’ami, sélection des tenanciers4 dans un réseau social proche, mobilisation de la confiance comme mécanisme de contrôle des engagements contractuels.
11Dans l’acception retenue par la nouvelle sociologie économique (Granovetter, 1985), l’enchâssement social se réfère à l’insertion des actions économiques dans des réseaux sociaux. En amont, d’autres formes d’enchâssement renvoient à la construction cognitive, culturelle et sociale des échanges. Di Maggio (1990) parle à ce propos de scripts normatifs fondant des significations partagées dans les échanges et définissant, en un temps donné, les standards5 et la légitimité des pratiques. Cette conception élargie de l’enchâssement des transactions s’avère particulièrement utile pour analyser les transferts réalisés dans un cadre coutumier (Chimhowu et Woodhouse, 2006 ; Colin et Woodhouse, 2010). En particulier, les transferts de droits fonciers posent les questions de l’interprétation par les parties (et, ultérieurement, par leurs héritiers) de l’objet de la transaction (la terre ou le droit d’exploitation ?), de la légitimité du transfert du point de vue du groupe social d’appartenance du cédant (notamment lorsque les acquéreurs sont des « étrangers ») et du caractère libératoire ou non de la transaction (le règlement du montant de la transaction libère-t-il l’acquéreur de toute obligation vis-à-vis du cédant ?).
12Deux autres dimensions de l’enchâssement peuvent être mentionnées. Dans des contextes où le cadre légal régule effectivement le marché, l’enchâssement « politico-légal » fait référence au fait que les marchés sont structurés par, opèrent dans et influent sur les institutions et les rapports de pouvoir qui les organisent – une dynamique restituée par le concept de legal-economic nexus (Samuels, 1989). La dimension politique intervient également à travers l’enchâssement socio-politique des relations foncières (dont les transferts, marchands ou non). Cette dimension socio-politique est inhérente au fait que les droits et obligations à propos de la terre et de ses usages sont imbriqués dans des relations sociales et dépendent de la position de leurs détenteurs dans la structure sociale. Les transferts fonciers sont ainsi, de fait, les vecteurs d’une politisation de la question foncière, lorsqu’ils interviennent entre des populations locales et des allogènes, paysans immigrants ou acteurs urbains acquéreurs de terre. L’enchâssement socio-politique renvoie alors à la régulation de l’insertion de ces allogènes dans les communautés d’accueil (Chauveau, 2006 ; Chauveau et Colin, 2010 ; Jacob et Le Meur, 2010).
La marchandisation de la terre
13Dans ce chapitre, l’expression « marchandisation de la terre » désigne les processus conduisant à l’émergence de transactions marchandes comme dispositifs d’accès à la terre, à travers l’incorporation du droit de vendre ou de céder en faire-valoir indirect (FVI) dans le faisceau des droits fonciers. Cette définition permet d’inclure des processus divers à la fois dans leurs modalités et dans leur degré d’aboutissement. Le concept de marchandisation fait sens même lorsque le désenchâssement social des transactions est incomplet (ce qui est de fait souvent le cas). La marchandisation, tout particulièrement lorsqu’elle s’inscrit dans un processus historique endogène, est indissociable des formes de régulation locales, renvoie à des questions de normes et de légitimité et se déroule souvent indépendamment du cadre légal dans les pays du Sud.
14Certaines analyses contestent une lecture en termes de marchandisation des droits sur la terre dans les sociétés non capitalistes où ces droits ne pourraient être qualifiés de « droits de propriété privée », et considèrent l’émergence (voire la formalisation) d’un tel droit comme un prérequis pour qu’il y ait marchandisation de l’accès à la terre. Ce n’est pas la position retenue dans ce chapitre. L’émergence et le développement des transactions foncières marchandes sont empiriquement observés – dans des pays du Sud comme en Europe dès le Moyen Âge (Feller et Wickham, 2005 ; Béaur et Chevet, 2013) – sans qu’ait toujours émergé antérieurement un droit de propriété individuel « absolu » (voir supra la discussion de l’enchâssement des transactions, ou encore, infra, les transferts marchands illégaux de terres allouées dans le cadre de réformes agraires) ni, a fortiori, légalement formalisé.
La terre non marchande
15L’inaliénabilité de la terre est souvent présentée comme une caractéristique de facto de la communauté villageoise dans de nombreuses sociétés dites traditionnelles ou coutumières. Les membres de la communauté bénéficient d’une garantie d’accès à la terre, fondée sur leur appartenance au groupe social, au nom de principes d’économie morale (Scot, 1976), mais uniquement sous la forme de droits d’usage. Les mécanismes d’allocation de la terre sont alors de nature non marchande. Ils relèvent des autorités locales ou coutumières puis, au sein de chaque lignage ou famille, de dispositifs de délégation intrafamiliale de droits sur la terre.
16L’inaliénabilité peut être associée à la dimension magico-religieuse de la terre, en particulier à travers les liens mystiques terre-ancêtres-génies-fécondité (Biebuyck, 1963 ; Kouassigan, 1966). Il faut cependant rester prudent vis-à-vis de l’argumentaire de la sacralité de la terre et de son inaliénabilité intrinsèque, très répandu relativement à l’Afrique subsaharienne. Cet argumentaire tend à ignorer la diversité et le caractère évolutif des systèmes fonciers précoloniaux – y compris l’émergence de transactions foncières marchandes dès l’époque précoloniale, dans certains contextes (références in Colin et Woodhouse, 2010). Le discours sur le foncier coutumier non marchand tend également à négliger le fait que la « coutume » a pu faire l’objet d’une construction ou d’une réinvention par les pouvoirs coloniaux et certaines élites africaines (Colson, 1971).
17D’une manière générale, il y a une forme d’anachronisme à poser l’interdiction de l’aliénation comme une caractéristique immuable des sociétés coutumières, alors même que les conditions de cette pratique n’étaient pas remplies. Dans des contextes caractérisés par une abondance foncière, de faibles densités de population, une occupation temporaire du sol par les cultures vivrières, entrecoupée de longues périodes de jachères, et par l’absence ou le développement limité des marchés pour les produits agricoles, la terre n’a pas de valeur d’échange et la question du marché foncier ne se pose pas (Colson, 1971 ; Colin, 1998).
Facteurs et processus de marchandisation6
18Un double processus institutionnel accompagne et rend possible la marchandisation endogène de la terre : l’individualisation du droit d’usage des parcelles et l’élargissement du faisceau de droits à la possibilité de vendre ou de céder en FVI (Platteau, 2000). L’individualisation des droits ne signifie pas nécessairement que les formes antérieures de régulation collective disparaissent totalement, mais plutôt que leurs contours sont redéfinis. Dans certains cas, l’instauration de facto de transactions marchandes est indéniable ; dans d’autres, la marchandisation reste partielle. Même lorsque le principe du transfert marchand des droits fonciers est reconnu localement, des restrictions d’ordre coutumier, légal ou relevant des normes sociales locales continuent fréquemment à s’appliquer, par exemple à travers une stigmatisation des ventes dans une logique de préservation des patrimoines familiaux.
19La mise en évidence de régularités empiriques dans des contextes géographiques et historiques variés permet de dégager une série de facteurs associés aux processus de marchandisation (et d’individualisation) de la terre et de produire des récits stylisés7. Ces facteurs renvoient directement ou indirectement à l’accroissement de la pression foncière et de la valeur économique de la terre :
- pression démographique endogène ou induite par l’arrivée de migrants ou, plus récemment, par le retour au village de natifs ayant séjourné en milieu urbain ;
- passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture de marché, monétarisation de l’économie ;
- changements techniques : introduction de la culture attelée ou motorisée (qui augmente les capacités individuelles de mise en culture et donc la demande de terre), développement de plantations pérennes (pouvant faire elles-mêmes l’objet de transactions « glissant » vers la vente des terres portant les plantations du fait du caractère lié investissement/support foncier), irrigation ;
- périurbanisation ;
- politiques publiques (nous reviendrons en détail sur ce point dans la suite du chapitre).
20La marchandisation de l’accès à la terre s’observe ainsi le plus souvent sur des terres à fort potentiel productif (périmètres irrigués, terres fertiles sous bonnes conditions pluviales, ou encore propices au développement de plantations pérennes) ou en contexte périurbain. En filigrane, elle suppose un minimum de différenciation socio-économique entre acteurs (en termes de richesse, de systèmes productifs, de dotations en facteurs de production, de préférences), pour qu’une offre et une demande puissent émerger. Elle suppose également un changement dans les systèmes de valeurs des acteurs, changement auquel contribuent le renouvellement générationnel ou encore le retour au village de natifs ayant séjourné en milieu urbain ou dans des régions où l’accès à la terre est d’ores et déjà largement « marchandisé » (comme dans le cas de Burkinabè de retour de Côte d’Ivoire forestière).
21La marchandisation de la terre a été théorisée par la théorie évolutionniste des droits de propriété (Demsetz, 1967 ; Johnson, 1972 ; voir Alston et Mueller, 2005 pour une formulation plus récente) : de nouvelles institutions (la propriété privée, le marché) émergent lorsque des changements dans les dotations en facteurs, dans les techniques mobilisées ou dans les préférences conduisent à un changement dans les prix relatifs des facteurs et à de nouveaux rapports coûts/bénéfices qui sont en déphasage avec les anciennes institutions. Selon les termes de Demsetz (1967), l’augmentation de la valeur de la terre conduirait à l’émergence de la propriété privée lorsque le gain dérivé du changement institutionnel en dépasse le coût. Cette théorie a le mérite de fournir un cadre explicatif général à des dynamiques observées dans des contextes géographiques et historiques très divers. Elle prête cependant le flanc à la critique par le caractère linéaire et déterministe des mécanismes de causalité mis en avant (Platteau, 1996).
22La marchandisation de l’accès à la terre ne s’opère en effet pas toujours selon la dynamique simple suggérée par le modèle évolutionniste.
23On a pu observer une monétarisation de l’accès à la terre dans des régions de faible ou de très faible densité démographique, comme en Côte d’Ivoire (Colin, 2005) – intervient ici le rôle des politiques publiques (cf. infra), ou, tout particulièrement ces dernières années, l’arrivée d’acteurs urbains proposant d’accéder à la terre à travers un dispositif marchand, dans des contextes où ces derniers étaient absents, indépendamment de toute pression foncière.
24À l’inverse, l’accès à la terre dans des régions densément peuplées et sièges d’une production agricole tournée depuis des décennies vers le marché reste parfois régulé par des dispositifs non marchands (pays sereer au Sénégal, Mali hors zones périurbaines et périmètres irrigués). La non-émergence de régulations marchandes alors que les conditions semblent s’y prêter peut venir d’une contrainte légale – lorsque la prohibition est effectivement rendue exécutoire, comme en Éthiopie après la réforme de 1975 (Segers et al., 2010). Dans les contextes ouest-africains joue plutôt le maintien d’un contrôle social fort, lorsque les normes locales prohibent une telle régulation. L’absence de différenciation nette de la société locale (condition pour l’émergence d’un marché foncier dynamique) peut également être mobilisée comme intuition dans l’explication de ces situations de non-marchandisation. Une autre interprétation possible tient en l’existence d’options migratoires réduisant la pression foncière locale. La difficulté à laquelle se heurte ce type de constat, même s’il s’appuie sur une profondeur temporelle conséquente, tient au fait qu’il ne permet pas de préjuger de l’avenir – cette précaution valant pour toute interprétation du (non-) changement institutionnel (cf. chap. 6).
25La marchandisation de la terre peut être induite (ou se voir renforcée) non pas directement par le jeu de la raréfaction foncière, mais par des politiques publiques. Ainsi, avec des politiques menaçant les droits fonciers des populations locales (expropriations ou politique prônant « la terre à celui qui la travaille »), le risque de perte de tout contrôle foncier sans contrepartie a pu inciter au bradage des terres à travers des ventes (pour des illustrations en Afrique subsaharienne, voir références in Colin, 2017). Dans le contexte de l’Algérie du xixe siècle, la politique coloniale de transformation imposée des droits collectifs en droits de propriété privée individuelle visait explicitement à créer le marché foncier là où il n’existait pas (Ageron, 1968). Dans un tout autre contexte, les processus de décollectivisation de terres ayant fait l’objet de réformes agraires de type collectiviste tendent à stimuler l’émergence de marchés fonciers (achat-vente et FVI), (voir par exemple Kerkvliet, 2006 sur le Vietnam ; Amichi et al., 2015 sur l’Algérie ; Colin, 2003 sur le Mexique ; ce point est développé dans le chapitre 6). La marchandisation de la terre peut également être induite par des politiques de colonisation agricole, comme avec la politique de mise en valeur dans les zones arides en Algérie, qui permet l’accès des bénéficiaires à un droit de propriété privée (programme APFA) ou d’usage (concession) sur des terres publiques de parcours steppiques ou sur des terres sahariennes : par ce transfert de droits et leur individualisation, l’État a créé les conditions favorisant le processus légal ou extra-légal de marchandisation de l’accès à la terre (Daoudi et Colin, 2017 ; Daoudi et al., 2017).
26Le développement du marché foncier n’est pas toujours irréversible : on observe des cas d’involution, comme au Ghana (Amanor, 2010) ou en basse Côte d’Ivoire (Colin, 2005), qui s’expliquent par des contextes économiques ou politiques particuliers, et peuvent à leur tour être suivis par des phases de redynamisation.
27La théorie évolutionniste des droits de propriété fait par ailleurs l’impasse sur les processus de changement, y compris dans leurs dimensions sociales et politiques (Platteau, 1996, 2000). Or, le développement du marché foncier représente (et est façonné par) une transformation majeure des règles du jeu locales. Cette coévolution des pratiques et des règles est rarement synchrone ou libre de conflits : la marchandisation affecte l’équilibre des normes et des pouvoirs locaux en matière de foncier, et elle contribue à éroder les dispositifs antérieurs de gestion sociale des risques et des inégalités (intravillageoises et intergénérationnelles) (André et Platteau, 1998 sur le Rwanda).
28La mutation des systèmes coutumiers vers un accès marchand à la terre (achat-vente, location, métayage) est parfois rapide, comme dans certaines régions du Burkina Faso (voir références in Chauveau et al., 2006), mais le plus souvent le processus de marchandisation présente un caractère progressif et séquentiel. On note ainsi le passage de simples signes de reconnaissance du droit éminent sur la terre (par exemple, en pays sénoufo, en Côte d’Ivoire, remise d’une bûche au maître des lieux, Bassett et Koné, 2008) à des redevances forfaitaires en nature, puis en argent, et enfin à des redevances indexées sur les superficies (Berry, 1993 ; Lavigne Delville et al., 2003 ; Sjaastad, 2003). Des mises en gage ou des transferts de long terme entre autochtones et migrants évoluent vers des ventes (Feder et Noronha, 1987 ; Pescay, 1998 ; Colin, 2005). Des ventes initialement à réméré (avec clause de rachat) deviennent des ventes irréversibles, comme cela a été noté au Kenya (Brokensha et Glazier, 1973 ; Simmance, 1961) ou dans certains contextes malgaches (Boué et Colin, 2018)8. Des ventes d’arbres se muent en ventes de la terre qui porte les arbres, comme cela a été largement documenté en Côte d’Ivoire. Des ventes initialement confinées au cercle des membres de la communauté ou de la famille (endoaliénabilité) s’ouvrent à des acheteurs extérieurs à la communauté (exoaliénabilité) (références in Colin, 2017).
29Les conditions d’émergence du faire-valoir indirect sont quant à elles décrites, de façon convergente dans la littérature, comme un passage du prêt (avec ou sans durée établie, et contre l’expression de simples signes symboliques de reconnaissance) à un accès à la terre pour une durée limitée contre le versement d’une rente, fixe ou proportionnelle à la production. L’évolution d’un accès temporaire à la terre par emprunt (sur la base du principe d’économie morale selon lequel il convient de laisser à tout individu un accès aux ressources nécessaires à sa subsistance) à un accès marchand a pu porter sur des parcelles que le preneur destinait à des cultures de rapport, le prêt continuant à réguler l’accès à la terre pour une production vivrière d’autoconsommation. Dans certains contextes africains, le métayage trouve ses racines dans l’abolition d’anciennes relations de production esclavagistes (par exemple au Sénégal, au nord du Mali, au sud du Bénin ou à Madagascar) (voir références in Colin, 2017).
30On a noté plus haut que la marchandisation de l’accès à la terre est un processus de transformation des normes qui ne va pas de soi. De fait, on observe souvent, dans les phases initiales de marchandisation, des formes de travestissement des pratiques, visant à les rendre acceptables au regard des normes locales. Selon les cas, des ventes de terre sont ainsi présentées comme des prêts, des locations ou des mises en gage9, ou encore comme des ventes portant non sur la terre, mais sur les investissements réalisés, plantation d’arbres en particulier (Feder et Noronha, 1987 ; Bruce, 1993 ; Mathieu et al., 2002) – l’aliénabilité des investissements étant généralement reconnue. À l’inverse, le principe d’inaliénabilité de la terre est susceptible d’être mobilisé sur un registre sociopolitique, en particulier dans le cadre d’une idéologie d’autochtonie contestant les cessions de terres aux « étrangers », alors que des pratiques marchandes sont déjà monnaie courante, comme en Côte d’Ivoire (Chauveau et Colin, 2010).
31La marchandisation de la terre peut se dérouler en complète déconnexion du cadre légal10 : on peut observer des marchés fonciers endogènes dynamiques en dépit d’une législation restrictive mais non appliquée dans les faits, nous y reviendrons. L’inscription du marché foncier dans un cadre légal peut venir formaliser des évolutions institutionnelles endogènes, en reconnaissant un marché auto-institué, mais cette inscription est loin d’être systématique. Les régimes coutumiers notamment, et les transactions qui s’y nouent, sont fréquemment laissés dans un vide juridique. Inversement, un gouvernement peut décréter ou chercher à provoquer l’ouverture d’un marché foncier alors que le processus de marchandisation endogène de la terre au niveau local n’est pas encore abouti, ni parfois même enclenché – on en a eu une illustration avec la politique coloniale en Algérie.
32Le constat d’une progressivité dans la marchandisation de la terre, d’un déphasage voire d’un divorce entre règles (légales ou locales) et pratiques, et de la permanence de formes d’enchâssement a comme corollaire, tout particulièrement en Afrique subsaharienne, le développement de marchés composés non seulement de ventes informelles, mais souvent, également, de ventes incomplètes, déguisées, ambiguës, susceptibles de se prêter à des interprétations divergentes. Cela pose des défis pour la caractérisation empirique de ces transactions. Cela a également des implications en matière de sécurité des droits pour les acteurs du marché foncier, sur lesquelles nous reviendrons.
Le droit d’échanger, les droits échangés
33Même lorsque les transactions marchandes sont socialement reconnues, des restrictions d’ordre coutumier, légal ou relevant des normes locales continuent fréquemment de s’appliquer. Lorsqu’on aborde le marché foncier en termes de faisceau de droits, on s’intéresse à plusieurs fibres du faisceau. Une première fibre concerne les droits de vendre et de céder en FVI, ce qui pose les questions de qui a le droit de vendre ou de céder, quelle terre, à qui ? Une deuxième fibre, souvent négligée, concerne le contenu des droits acquis et des devoirs induits par une transaction foncière, pour les acheteurs ou les tenanciers. En troisième lieu, le marché foncier renvoie à des droits d’administration : qui définit et qui fait appliquer les règles précédentes ?
34Les droits et les restrictions relatifs aux transactions foncières peuvent émaner du cadre légal (droit positif), comme de la régulation coutumière ou des normes locales, et les pratiques sociales hybrident fréquemment ces différents registres normatifs. Les règles légales et les règles locales peuvent être en phase, déconnectées, ou encore en contradiction, voire en conflit. C’est souvent le cas lorsque le cadre légal marque un changement institutionnel exogène, « par le haut », que ce soit en instituant un marché foncier ex nihilo (notamment dans un cadre de colonisation foncière, ou de grands aménagements), dans des contextes coutumiers régis par l’inaliénabilité ou l’exo-inaliénabilité, ou, à l’inverse, en interdisant le marché foncier ou certaines de ses composantes (notamment dans un cadre de réformes agraires), alors même que la marchandisation de la terre est engagée localement. Par ailleurs, les conditions d’applicabilité des règles sont très variables d’un contexte à un autre, et d’une règle à une autre, ce quel que soit le registre (légal, coutumier, normes sociales). Par conséquent, une analyse empirique doit pouvoir tenir compte du pluralisme normatif, de la possibilité de déconnexion et de contradictions entre différents registres, et de la possibilité de divorce entre règles et pratiques.
35Les restrictions peuvent prendre différentes formes et combinaisons.
36Le droit de vendre ou de céder en FVI variera parfois selon l’origine de l’appropriation foncière (héritage, donation, achat, dotation par un « tuteur » ou la puissance publique, etc.). Dans les contextes africains, une distinction est ainsi couramment établie entre les biens propres – acquis par l’individu –, qui sont susceptibles de faire l’objet de transactions, et les biens familiaux – hérités dans le segment de lignage –, pour lesquels ces transactions sont usuellement exclues ou pour le moins contraintes (Goody, 1958 ; Berry, 1993 ; Colin, 2008 ; cf. chap. 2).
37Il peut être nécessaire d’informer ou de demander l’accord préalable d’une autorité (coutumière, lignagère, familiale) ou des personnes ayant initialement accordé au cédant des droits de possession – par exemple, lorsqu’un immigrant ayant eu accès à la terre désire la céder.
38Des restrictions portent parfois sur le type de transfert : droit de céder en FVI mais pas de vendre, vente avec clause de rachat, droit de céder en métayage mais pas en location (ou l’inverse).
39Ces restrictions peuvent concerner le bénéficiaire du transfert foncier, via l’exo-inaliénabilité (Sandron, 2008 à Madagascar ; Hallaire, 1991 au Nord-Cameroun) ou encore le droit de préemption au bénéfice des membres de la famille11 ou de la communauté du cédant (Ageron, 1968 en Algérie ; Bouquet, 2009 au Mexique ; Di Roberto et Bouquet, 2019 à Madagascar) (cf. chap. 2).
40Un dernier registre de restriction (relevant d’un principe d’économie morale) s’applique au motif de la cession et à l’usage des revenus qui en sont tirés : certains motifs et usages sont jugés légitimes (parer à un choc, réinvestir dans une autre activité), d’autres non (Hagberg, 2006 ; Colin, 2008 ; Kouamé, 2010).
41L’étendue des droits acquis à travers la transaction est également variable et sujette à restrictions. Pour les achats-ventes, un élément essentiel porte sur la complétude et le caractère libératoire de la transaction. La vente est dite complète lorsqu’elle libère l’acquéreur de toute obligation vis-à-vis du cédant. L’acquéreur ne jouit cependant pas toujours du droit de transférer à son tour la terre acquise. Pour le FVI, des restrictions portent très généralement sur les droits d’usage de la terre (choix culturaux, droits de planter des cultures pérennes, de procéder à des aménagements) (cf. chap. 6).
42La multiplicité des restrictions et des registres de régulation potentiels ouvre des possibilités de divergences d’appréciation par les parties prenantes de l’échange ou leurs groupes sociaux d’appartenance. Ces questions sont importantes, car cette multiplicité est susceptible de déboucher sur des conflits et des enjeux de sécurisation foncière pour les cédants et/ou pour les preneurs.
Régularités et diversité dans les transactions foncières
43Cette partie propose un cadre descriptif des transactions foncières, visant à repérer des régularités et à restituer leur diversité. On peut distinguer plusieurs grands types d’échanges marchands. Nous insisterons dans ce chapitre sur les achats-ventes et sur le FVI à travers ses deux grandes modalités, le fermage (accès à la terre contre une rente fixe) et le métayage (au sens d’accès à la terre contre une rente proportionnelle à la production)12, sans ignorer pour autant les autres modalités d’accès marchand à la terre : certaines formes de mise en gage, l’accès à la terre contre des prestations de travail manuel ou mécanisé, ou encore des contrats au pourcentage ne relevant pas du métayage tel que défini ici.
44La transaction peut porter sur une ou des parcelles d’un patrimoine foncier, ou sur l’intégralité de ce dernier ; elle peut, ou non, être enregistrée légalement (transaction « formelle » au regard du droit positif).
Les arrangements institutionnels d’accès marchand à la terre
45Les contraintes de volume excluent de restituer toute la richesse des pratiques en matière de transactions foncières marchandes, au-delà des grandes catégories génériques. Quelques types d’arrangements seront néanmoins présentés. Même si le nombre d’options contractuelles (différents types de contrats, différents termes d’un même type de contrat) est potentiellement considérable, on observe des régularités, des systèmes d’équivalences de nature conventionnelle, qui limitent de fait le nombre d’options, créent de l’inertie et facilitent ainsi les processus cognitifs et la coordination des acteurs, au moins sur le court terme. Sur ce socle commun se greffent éventuellement des processus d’aménagements contractuels ou d’innovations (Colin, 2002). Notons que l’identification empirique des types de contrats demande des précautions, dans la mesure où un même terme peut avoir localement des contenus très différents : ainsi les arrangements abusa et abunu au Ghana (Ruf, 2010), ou abougnon en Côte d’Ivoire (Colin, 2012 a).
Achats-ventes
46Les ventes représentent un transfert définitif du faisceau complet de droits. Dans de nombreux contextes ouest-africains, les transactions restent entourées d’un certain flou, relativement, on l’a vu, à la légitimité du vendeur, à l’interprétation de la nature de la transaction par les différents acteurs (achat de la terre ou du droit de planter, transfert définitif ou avec une échéance déterminée implicitement par la durée de vie de la culture mise en place), au contenu des droits transférés et aux obligations de l’acheteur « étranger » vis-à-vis du cédant autochtone (Colin, 2005). L’éventuelle incomplétude des transactions tient en particulier à l’enchâssement social des transferts fonciers. L’accès des « étrangers » à la terre s’opérait traditionnellement dans le cadre d’un système pérennisé d’obligations liant le migrant à son « tuteur », impliquant (implicitement) un « devoir de reconnaissance » du migrant et des restrictions quant aux droits sur la terre concédée (Chauveau, 2006). La référence aux « ventes » peut en fait traduire un alourdissement et la monétarisation du devoir de reconnaissance du migrant, le transfert foncier conservant, du moins dans l’esprit des cédants, une dimension relationnelle forte. Le paiement ne clôt pas alors la relation, il l’instaure ou la perpétue (Colin, 2005 ; voir également Chauveau et al., 2006). En d’autres termes, l’existence d’un flux financier ne permet pas toujours de conclure à une vente ferme, définitive, incontestable. Le terme de « vente » est donc à manier avec précaution, d’autant que les obligations du preneur vis-à-vis du cédant ne sont pas forcément exprimées et qu’elles peuvent être réactivées par le cédant (ou ses héritiers) selon les conditions du moment. Ces questions se posent en effet tout particulièrement au renouvellement des générations, avec la propension des héritiers des cédants à remettre en cause le contenu des droits acquis par les acheteurs ou leurs héritiers. Le principe d’une vente complète semble cependant de plus en plus reconnu, du moins dans certaines régions (voir références in Colin, 2017).
47Même lorsque les acteurs conceptualisent la vente comme définitive, un lien social demeure souvent, exprimé non sur un registre économique, mais sur ceux de la morale et de la sociabilité (entretenir de bonnes relations, faire des gestes de reconnaissance). Derrière une telle position pointe parfois assez explicitement une stratégie de sécurisation foncière des acquéreurs – soigner la qualité de la relation avec les cédants et la communauté locale (le capital social) afin de réduire le risque de contestation future de la transaction (cf. infra).
48En tout état de cause, la question de l’éventuel enchâssement social ou socio-politique des transactions foncières et les formes prises par cet enchâssement restent des questions empiriques, à explorer dans les contextes concernés par la recherche.
Location
49La location correspond à l’usage d’une parcelle contre le versement d’une rente fixe indexée sur la superficie. La durée du contrat est variable : une saison de culture, une année, quelques années ; les locations à long terme restent exceptionnelles dans le contexte des pays du Sud13. Cette durée influe sur les choix culturaux et les incitations à investir, y compris dans le maintien de la fertilité du sol, et parfois sur la destination de la production. Les cultures pratiquées sont ou non précisées lors de l’accord passé entre preneur et cédant. La location s’accompagne usuellement de restrictions, la première d’entre elles étant l’interdiction de réaliser des plantations pérennes (hors locations à long terme), qui seraient susceptibles d’être utilisées par le locataire comme argument pour revendiquer la propriété de la parcelle. La prohibition de la sous-location est également de règle. À travers la littérature, la location apparaît comme relativement « désenchassée socialement », comparativement aux ventes, le rapport contractuel se limitant le plus souvent au rapport foncier correspondant à l’accès à la terre contre le versement de la rente.
Mise en gage
50La pratique de la « mise en gage » correspond à l’une des modalités de transfert marchand d’un droit d’accès à la terre, à travers laquelle le prêteur avance au propriétaire14 une somme d’argent en échange du droit d’usage d’une parcelle. Deux cas de figure se présentent. Dans le premier cas, le capital doit être remboursé, l’exploitation de la parcelle par le prêteur jusqu’au terme du remboursement correspondant à la perception des intérêts (empeño de tierra au Mexique, rahnia en Kabylie à une époque, certaines variantes du contrat dien au Vietnam et en Chine historiques ; voir Colin, 2003 ; Hanoteau et Letourneux, 2003 [1893] ; McAleavy, 1958). Ce type de mise en gage peut se muer en une vente de fait, si le capital n’est pas remboursé. Dans le deuxième cas, le transfert du droit d’exploitation sur une durée définie à l’avance correspond à la fois au remboursement du capital et des intérêts (antichrèse en termes juridiques). L’arrangement est alors équivalent à une location de moyenne ou longue durée avec paiement intégral ex ante (avant mise en culture) de la rente, comme dans certaines mises en garantie de plantations pérennes en Côte d’Ivoire.
Accès à la terre contre un partage du produit
51Certains contrats impliquant un partage du produit renvoient en fait à des rapports de travail, lorsque le preneur n’apporte que son travail, sans responsabilité de gestion ni pouvoir de décision. C’était par exemple le cas du khammesat (contrat au cinquième) en Algérie, avant l’indépendance, ou encore de certaines formes du contrat d’abusa (abusa laborer, contrat au tiers), au Ghana pour la production cacaoyère ou caféière. D’autres arrangements contractuels, qui sont ceux qui nous intéressent ici, correspondent effectivement à une modalité d’accès à la terre – et éventuellement à d’autres facteurs. Il peut alors y avoir une contribution des deux acteurs aux charges de production, sous la forme d’apports de facteurs complémentaires (terre et semences contre travail et engrais, par exemple), ou d’un préfinancement de certaines charges par l’un des partenaires, avec une déduction de leur coût avant le partage du produit. L’arrangement intègre alors la dimension foncière, mais la dépasse. L’implication du cédant peut se limiter à un préfinancement partiel de la production (outre le partage des risques et la composante « crédit sur le paiement de la rente »), mais elle peut être plus forte, lorsqu’il intervient dans la gestion de la parcelle.
52Le partage porte sur la valeur de la production sur pied ou nette des frais de récolte, ou encore sur la valeur de la production nette d’une partie des coûts de production.
53Selon les apports de chacun des acteurs et leur participation à la prise de décision, le métayage peut ainsi être interprété comme un rapport de travail, comme un rapport foncier (le propriétaire n’apportant que la terre) ou comme une forme de partenariat (équilibré ou non) (voir Colin, 2003 pour une illustration de cette diversité dans le contexte mexicain).
54Les taux de partage propriétaire/tenancier varient selon les contextes et les contrats, mais ils renvoient très généralement à des points focaux : 1/2-1/2, 1/3-2/3, 1/4-3/4 qui jouent un rôle central dans l’établissement d’une convention, en favorisant la convergence des attentes réciproques des différents acteurs (Colin, 2002). La part du cédant est souvent le quart ou le tiers du produit lorsqu’il ne participe pas au procès de production, la moitié ou les deux tiers dans le cas contraire, avec une variabilité selon l’intensité de la pression foncière, l’importance et la structure des coûts de production et la qualité du sol.
55Un élément central du rapport contractuel est le type de système de production concerné : fondé sur les facteurs terre et travail (manuel et/ou attelé) seulement, ou impliquant, avec le changement technique, l’usage d’intrants à acquérir sur le marché (semences, fertilisants, produits phytosanitaires…). Dans ces derniers cas, la terre et le travail (manuel) deviennent parfois secondaires dans l’arrangement, face aux contraintes de financement et d’expertise techno-économique.
Accès à la terre contre une prestation de travail
56L’accès à la terre peut être permis par des arrangements correspondant à des échanges de court terme terre/travail manuel ou mécanisé, avec donc une dimension marchande affirmée, même s’il n’y a pas versement d’espèces ou de produit : accès à une parcelle contre des journées de travail sur d’autres parcelles du propriétaire (comme le navétanat au Sénégal) ; accès à une parcelle contre le débroussage d’une autre parcelle ; prêt d’une parcelle pour des cultures annuelles implantées dans une jeune plantation pérenne (palmier, hévéa), ce qui en assure provisoirement l’entretien ; accès à une parcelle contre des prestations de travail mécanisé sur une autre parcelle, etc.
Contrats de plantation
57Un contrat de plantation est défini ici en termes génériques comme un arrangement contractuel par lequel un exploitant gagne l’accès à un droit d’usage de long terme, voire à un droit de propriété du sol, à travers la réalisation d’une plantation pérenne et son entretien jusqu’à l’entrée en production. Au moment de l’entrée en production, un partage est réalisé. Trois types de contrats se distinguent, au regard de l’objet du partage (Colin et Ruf, 2011). Le premier correspond à un partage de la plantation et de la terre : à l’entrée en production, l’exploitant qui a réalisé la plantation conserve une partie de cette dernière et la terre qui la porte ; un tel contrat permet d’accéder à un droit de propriété foncier. Le second correspond à un droit sur la plantation pour la durée de vie de cette dernière, mais non sur la terre : la plantation est partagée entre l’exploitant et le propriétaire foncier, le cédant conservant son droit de propriété sur l’ensemble de la terre. Une fois le partage réalisé, chacun exploite indépendamment sa part de plantation. Relativement à la partie revenant au preneur, il y a donc une dissociation du droit de propriété sur la terre (conservé par le cédant) et sur les arbres (revenant au preneur). Dans le troisième type de contrat, il n’y a pas de partage de la plantation (ni a fortiori de la terre), mais partage de la récolte. À partir de l’entrée en production, la personne qui a réalisé la plantation l’exploite en versant au cédant une partie de la production. Dans ce cas, la terre reste la propriété du cédant et les arbres relèvent d’une co-propriété.
58Les contrats de plantation pourraient être considérés comme une forme de métayage, le principe du partage étant au fondement des deux types de contrats. La convergence est en particulier forte lorsqu’il y a partage de la récolte – la différence avec un métayage classique venant du fait que le preneur produit lui-même le capital végétal (la plantation), qu’il exploite ensuite en reversant une partie de la production au propriétaire de la terre. En revanche, le rapprochement ne peut pas être opéré dans le cas d’un contrat avec partage de plantation : le niveau de la rente ne varie pas alors avec la production, mais correspond au coût de réalisation de la partie de la plantation revenant au propriétaire de la terre. Le contrat avec partage de la plantation et de la terre s’éloigne encore davantage du métayage puisqu’il y a transfert du droit de propriété sur la terre.
59Ce type d’accès à la terre a été ou est pratiqué dans les environnements les plus divers : en Afrique de l’Ouest (certaines variantes des contrats abusa et abunu au Ghana, Hill, 1956, 1963 ; et planter-partager en Côte d’Ivoire, Colin et Ruf, 2011), en Afrique du Nord (moughârasâ, Milliot, 1911), en Indonésie (bagi tanah, Ruf, 2010)15.
Note sur les contrats liés
60Tous les contrats qui viennent d’être mentionnés peuvent potentiellement être « liés », au sens où les clauses relatives à la relation foncière sont imbriquées avec des clauses relatives à un autre type de contrat – de travail (emploi du tenancier comme manœuvre temporaire), de logement, de consommation, de crédit (fourniture d’un crédit de consommation par le propriétaire foncier à son tenancier, par exemple), de fourniture d’intrants, de prestation de service, etc. (Bardhan, 1980). En soi, un contrat de métayage constitue une transaction liée, en mettant en rapport au minimum trois facteurs susceptibles d’être disponibles sur des marchés différents : la terre, le travail et le crédit (le paiement de la rente après la récolte pouvant être interprété comme une forme de crédit accordé par le cédant au preneur). La question des contrats liés dépasse ce premier niveau et prend en compte des liens entre métayage et crédit à la consommation, crédit de campagne, marché des produits, etc.
Prix et coûts de transaction
61Le prix de la terre a une signification relativement immédiate dans le cas d’une vente. Ce prix ne s’exprime pas toujours en numéraire. Des paiements en nature sont possibles. Le niveau des prix est à mettre en rapport avec les niveaux relatifs de l’offre et de la demande, la qualité des sols, la valeur de la production, les relations entre les parties, l’urgence du besoin financier du vendeur, les disponibilités en trésorerie de l’acquéreur, l’accessibilité et plus largement la localisation de la parcelle. Dans certains contextes, la demande des acteurs urbains pour des terres rurales exerce une forte pression à la hausse des prix. Dans le périurbain, le marché est guidé par la perspective d’urbanisation, avec alors des prix sans commune mesure avec ceux des terres agricoles.
62Dans le cas du FVI, on parle généralement de rente (au sens de revenu périodique, de loyer, le concept de rente foncière ayant d’autres acceptions que nous n’aborderons pas dans ce texte). Dans le fermage comme dans le métayage, la rente peut être versée en espèces ou en nature. Par construction, le règlement de la rente d’un contrat de métayage intervient en fin de contrat. Pour le fermage, le règlement de la rente intervient souvent en début de contrat, en particulier pour des locations portant sur une saison de culture ou une année. Le niveau de la rente est généralement moindre pour le fermage que pour le métayage – le différentiel étant interprété en termes de prime de risque payée par le métayer (le propriétaire assumant une partie du risque en cas de mauvaise récolte), ou comme un intérêt payé par le métayer sur le paiement de la rente « à crédit » (ce paiement intervenant en fin, et non en début, de cycle).
63La théorie économique standard établit une relation entre l’espérance mathématique de revenu d’exploitation de la parcelle, la rente et le prix d’achat, en considérant la rente comme indexée sur le revenu d’exploitation, et le prix d’achat comme la somme actualisée des flux de revenu tirés de la rente. Cette relation est infirmée lorsqu’on observe une certaine rigidité du niveau de la rente, qui semble plus relever de la convention locale, avec une inertie importante, que d’une indexation réactive sur des variations de niveaux de revenu associés à des changements techniques ou culturaux (Colin, 2002). Le rapport entre prix d’achat et rente peut également s’éloigner des prévisions du modèle théorique standard pour nombre de raisons, sur lesquelles nous reviendrons.
64Les coûts de transaction correspondent aux coûts induits par le fait de devoir trouver un partenaire, de négocier l’accord, de contrôler la qualité du bien ou du service échangé, de contrôler le respect des termes du contrat, de régler les différends. Ils incluent également les pertes induites par le comportement opportuniste des acteurs. Les coûts de transaction renvoient généralement à des questions d’information incomplète, menant à des contrats eux-mêmes incomplets, et à des questions d’information asymétrique, pouvant induire des comportements opportunistes. Dans le cas des transactions foncières, ils sont susceptibles de venir, pour les preneurs, d’incertitudes sur l’identité des détenteurs de droits à céder, sur le contenu de leurs droits16, ainsi que de la distance physique entre les acteurs, lorsqu’ils ne résident pas tous sur place. Les coûts de recherche d’une parcelle peuvent varier en fonction de critères agro-pédologiques, de taille ou encore de localisation. Pour les cédants, dans le cas du métayage, la présence d’une dimension aléatoire importante dans l’activité de production agricole (en raison notamment des risques climatiques et phytosanitaires) induit des coûts de transaction spécifiques liés à l’inobservabilité de certains comportements et donc à l’impossibilité d’imputer de manière certaine un niveau de résultat à un niveau d’effort ou d’intensité/maîtrise du preneur dans l’utilisation d’intrants. Pour le FVI plus généralement, les coûts de transaction associés à la recherche et à la sélection d’un partenaire fiable, à la négociation des termes du contrat, au suivi de son exécution, etc. peuvent être importants.
65Ces coûts de transaction doivent être identifiés et pris en compte, même s’ils ne sont pas toujours mesurables, car ils contribuent à façonner le jeu des marchés fonciers, leur niveau d’activité, la gamme des choix possibles et les logiques d’acteurs pour arbitrer entre les différentes options. Des coûts de transaction trop importants bloqueront l’émergence des marchés fonciers, même en présence d’une offre et d’une demande potentielles. Leur structure compte également. Ainsi, des coûts de transaction fixes (non proportionnels à la superficie des parcelles) inhiberont les échanges portant sur de petites superficies et induiront une segmentation des marchés fonciers, si les grandes exploitations ne sont pas fractionnées, et si les échanges interviennent entre acteurs appartenant à une même classe de superficie foncière (nous y reviendrons). Cela a des implications à la fois en termes d’efficience (la terre ne circule pas nécessairement de manière optimale) et d’équité (ces processus peuvent jouer à l’encontre des petits propriétaires et des petits producteurs sans terre) (Carter et Mesbah, 1990 ; Skoufias, 1995 ; Carter et Zegarra, 2000 ; Deininger et Feder, 2001) (cf. 4e partie du chapitre).
Logiques d’acteurs et configurations de marché
Logiques d’acteurs
66Nous limiterons ici l’analyse aux achats-ventes et aux pratiques de faire-valoir indirect.
Ventes et achats
Ventes
67La décision de vendre une partie ou l’ensemble des parcelles est à mettre en rapport avec diverses logiques potentielles, très différentes dans leur nature et dans leurs implications en matière de développement.
68La cession peut venir d’une sortie de l’agriculture, avec une reconversion lors d’un retrait délibéré, total ou partiel, de l’activité agricole : départ à la retraite (ce type de situation concerne avant tout les pays du Nord), émigration en ville ou à l’étranger (qui concerne davantage les pays du Sud). Plus fréquemment au Sud interviennent des ventes « de détresse », lorsque la cession ne relève pas d’un projet mais constitue l’unique moyen d’obtenir les liquidités nécessaires pour parer à un choc économique ou domestique (voir par exemple André et Platteau, 1998). Ce deuxième type pose clairement des questions d’équité et de justice sociale, dans des contextes de défaillance des dispositifs publics ou privés d’assurance et de sécurité sociale. Les ventes pour rembourser une dette ou faute de ressources pour mettre en valeur la terre relèvent également d’une transaction subie. La vente peut aussi venir d’un besoin de financement de dépenses sociales importantes (comme des frais de funérailles), ou d’acquisition de biens de consommation.
69Dans certains contextes, la vente, on l’a vu, anticipe le risque d’être dépossédé de la terre : politiques publiques (ou slogans politiques) du type « la terre à celui qui la travaille » ; risque d’expropriation, en zone périurbaine tout particulièrement ; cessions de terres faisant l’objet de litiges entre villages ; conflits socio-politiques avec risque, pour des propriétaires « étrangers », de se voir « arracher » la terre ; vente par un individu prévoyant de quitter le village, du fait de la crainte de voir la terre inexploitée saisie par des proches ou par les autorités locales, faute de mise en valeur (pour l’Afrique de l’Ouest, voir références in Colin, 2017).
70Dans le cas de ventes de terres coutumières effectuées par des autorités villageoises à des élites urbaines ou à des investisseurs étrangers, la décision peut être motivée, au-delà des intérêts financiers, par des attentes vis-à-vis des acquéreurs, considérés comme de futurs promoteurs du développement local : facilitation d’accès aux infrastructures publiques du fait de leur capital social, investissement dans des réalisations collectives comme la construction d’écoles ou de dispensaires, la réalisation de forages, création d’emplois.
71Certaines cessions sont réalisées avec l’objectif d’en utiliser le produit pour acheter de la terre de meilleure qualité ou localisation, ou encore comme moyen de gérer l’héritage en sortant de l’indivision, en cas de conflit ou lorsque le patrimoine est trop réduit pour être partagé entre les héritiers (cf. chap. 2).
Achats
72L’acquisition peut intervenir dans une logique productive : achat de terre à exploiter soi-même ou à faire exploiter, ou à mettre en garantie pour s’assurer un meilleur accès au crédit (ce qui suppose l’existence d’un système de crédit formel adossé à des garanties foncières). Elle peut s’inscrire dans une logique patrimoniale : constitution ou agrandissement d’un patrimoine transmissible à la génération suivante ; maintien de la terre dans un patrimoine familial élargi, pour éviter qu’une parcelle mise en vente par un membre de la famille ne sorte du contrôle exercé par le groupe familial (cf. chap. 2).
73L’achat peut également viser la terre en tant qu’actif refuge contre l’inflation (cas fréquent en Amérique latine à la fin du XXe siècle), ou comme source de spéculation (notamment en milieu périurbain ou en anticipation de l’expansion urbaine), de prestige ou d’acquisition d’un pouvoir politique.
74Dans certains contextes d’Afrique de l’Ouest, l’achat vise à sécuriser un transfert foncier réalisé antérieurement dans un cadre coutumier – rendu contestable par le cédant (ou ses héritiers) du fait de la valorisation économique nouvelle de la terre. Notons également que les acquisitions par des femmes leur permettent parfois d’accéder à la terre (et en particulier à la propriété foncière) dont elles sont exclues dans le système coutumier.
75En filigrane, ces logiques sont suspendues à la capacité de financement des acheteurs. Au Sud, compte tenu des défaillances des systèmes de crédit pour des investissements de cette nature, cette capacité de financement repose essentiellement sur des fonds propres, ce qui pose d’emblée des questions d’équité (les capacités d’achat des pauvres et des sans-terre sont très faibles) et d’efficience : la capacité d’achat étant déconnectée de l’espérance de flux de revenus futurs tirés de la parcelle, les acheteurs ne sont pas nécessairement les producteurs les plus efficients. Nous revenons sur ces questions en quatrième partie.
Participation au marché du faire-valoir indirect
76À la différence des logiques d’achat-vente, qui trouvent parfois leurs racines en dehors du cadre de la production agricole stricto sensu, la prise ou la cession en FVI renvoient plus directement à des questions productives agricoles. L’ajustement des facteurs de production (typiquement terre et travail, mais aussi d’autres facteurs tels que la traction attelée, les prestations de services mécanisés, les intrants monétaires, la maîtrise technique et/ou commerciale) joue un rôle central. L’analyse du marché du FVI renvoie ainsi à l’environnement de marché dans lequel se déroule l’activité agricole, et notamment aux imperfections qui émaillent le fonctionnement de ces marchés. La gestion du risque joue également un rôle important.
Cession en faire-valoir indirect
77La première logique de cession en FVI est l’accès à une rente, sous forme monétaire ou en nature (notamment pour les productions vivrières). Cet objectif peut être structurel, avec des profils d’acteurs très contrastés. Il concerne les grands propriétaires-bailleurs non résidents ou engagés dans des activités hors exploitation agricole, mais aussi les propriétaires ne disposant pas des ressources pour une exploitation directe (exploitants agricoles sans équipement, ou âgés et sans aide familiale, etc.), ou encore dont la dotation foncière est trop réduite pour que son exploitation fasse sens – la cession en FVI étant alors conjuguée à une autre source de revenu, comme un emploi de manœuvre agricole. La cession en FVI peut aussi être plus conjoncturelle : en cas d’insuffisance temporaire de force de travail familiale, pour accéder à des liquidités (y compris pour financer des achats d’intrants agricoles pour d’autres parcelles) ou pour assurer une rotation culturale sur ses propres parcelles.
78À l’instar des ventes de détresse, certaines locations relèvent de locations « de détresse » lorsqu’elles visent à accéder rapidement à des liquidités pour faire face à un choc (ce qui suppose que la rente foncière est réglée en début de contrat). Lorsque les besoins en liquidités sont importants, elle se traduit parfois par une cession sur plusieurs années, avec paiement anticipé pour la durée de la cession. À la différence des ventes de détresse, la location de détresse n’implique pas une décapitalisation foncière. Elle fragilise cependant l’économie du ménage à plusieurs titres. Tout d’abord, les conditions de mise en location impliquent potentiellement une moindre capacité de négociation du contrat, et donc une valeur locative défavorable au propriétaire. Ensuite, la cession en location d’une parcelle représente un manque à gagner pour le ménage agricole sur la ou les campagnes agricoles suivantes, que ce soit sous forme de revenu monétaire ou de production vivrière (Gebregziabher et Holden, 2011).
79La cession en FVI peut aussi venir d’une stratégie visant à se dessaisir de parcelles jugées peu intéressantes (éloignées, moins fertiles), mais relève de façon générale d’une démarche de mise en adéquation des facteurs de production, en fonction de contraintes qui se posent sur des facteurs autres que la terre (travail, intrants, équipement, financement, maîtrise technique et de mise en marché). Ces contraintes renvoient aux conditions de fonctionnement des marchés pour ces facteurs, ainsi qu’aux implications de la monétarisation. Le FVI (et tout particulièrement la cession en métayage) s’analyse alors comme une alternative au faire-valoir direct (FVD) combiné au recours au marché pour chaque facteur considéré. Ces marchés peuvent être absents ou entravés par du rationnement ou des coûts de transactions qui vont peser dans les arbitrages. Le recours au marché pour ces différents facteurs est susceptible également d’être restreint par des contraintes de liquidités dans des contextes de rationnement du crédit. Enfin, l’arbitrage entre FVI et FVD peut s’inscrire dans une logique de gestion du risque dans un contexte d’absence du marché de l’assurance : report complet du risque sur le tenancier dans le cas du fermage, partage dans le cas du métayage. Selon la nature des contraintes sur les différents facteurs, la cession en FVI portera sur l’ensemble du patrimoine foncier, ou seulement une partie, le reste étant exploité en FVD. Les paragraphes qui suivent illustrent ce cadre d’analyse en considérant différents types de facteurs de production.
80Céder en FVI peut obéir en premier lieu à une logique d’accès au facteur travail, comme alternative à l’embauche de main-d’œuvre salariée. Cette logique rassemble des catégories très hétérogènes : propriétaires actifs mais peu disponibles pour l’agriculture, y compris pour embaucher et superviser de la main-d’œuvre salariée (on rejoint alors la logique rentière présentée plus haut) ; propriétaires qui sont à la fois sous contrainte de travail et sous contrainte financière, dans l’impossibilité de payer des salaires : personnes âgées, veuves, en incapacité ponctuelle pour cause de maladie ou d’accident, etc. La cession en FVI peut également s’imposer sur tout ou partie de la superficie possédée si des imperfections du marché du travail salarié se traduisent par des difficultés à trouver des travailleurs en nombre suffisant et au moment approprié (en particulier lors de certains pics liés à la saisonnalité des cycles de culture), ou encore si l’itinéraire technique pour certaines cultures requiert des compétences spécifiques non maîtrisées par le propriétaire.
81Avec l’évolution des conditions de production agricole (changement technique et monétarisation des coûts), la gamme des facteurs de production susceptibles de motiver la cession en FVI s’élargit – notamment avec un usage accru des intrants et de l’équipement agricole. Les intrants (semences améliorées, produits phytosanitaires, fertilisants, eau d’irrigation) peuvent, dans de nombreux contextes au Sud, faire l’objet de difficultés d’approvisionnement en quantité et en qualité suffisantes, et aux moments opportuns. Leur financement est par ailleurs souvent problématique. L’accès à l’équipement (traction attelée, motorisée, matériel d’irrigation) pose des problèmes de même nature, et la question du financement est particulièrement cruciale, en raison des montants en jeu. Il s’y ajoute un problème d’indivisibilité, qui rend certains investissements inenvisageables en deçà d’un certain seuil de surface exploitée, sauf à amortir cette acquisition à travers la fourniture de prestations de service, si une demande existe. L’accès aux équipements via le marché de la location ou des prestations de service n’est pas toujours une option praticable, même lorsque ce marché existe, si l’offre est limitée en raison de coûts de transactions élevés (risques de dégradation de l’équipement par exemple) ou en raison de synchronicité dans les calendriers culturaux, qui induisent des phénomènes de congestion au moment des pics de demande.
82La complexification des itinéraires techniques et de la mise en marché de certains produits agricoles produit également un nouveau type de logique de cession en FVI, visant à accéder à des savoir-faire qualifiés sur le plan technique et/ou commercial (par exemple au Mexique, Bouquet et Colin, 2003 ; ou en Algérie, Daoudi et al., 2017), dans des contextes de fortes défaillances dans la fourniture (publique comme privée) d’expertise et de conseil agricole. Sous ces nouvelles conditions de production agricole, la logique de transfert ou de partage du risque avec le tenancier prend également une importance particulière.
83Enfin, la cession en FVI (souvent via un contrat de métayage) correspond parfois à un arrangement intrafamilial visant à assurer un accès à la terre aux enfants arrivés à l’âge adulte et démarrant une activité agricole indépendante (cf. chap. 2). Elle peut aussi parfois, dans le cas de propriétaires non résidents, viser non seulement la perception d’un revenu foncier, mais également la sécurisation des droits sur la terre : afficher une continuité dans la mise en valeur limite les risques de revendications par des tiers (y compris au sein de la famille).
Prise en faire-valoir indirect
84On l’a noté, à la différence des achats de terre, la prise en FVI obéit exclusivement à une logique d’accès au foncier pour la production agricole, et de mise en adéquation de la superficie cultivée avec la disponibilité en facteurs de production (propres ou obtenus via le marché). S’il s’agit très généralement d’étendre le foncier exploité, la prise en FVI peut également obéir à une logique d’adéquation en termes de type de terre exploitée (localisation, rotation culturale, état phytosanitaire, accès à l’irrigation) plutôt qu’en termes de superficie : prise en FVI pour pouvoir mettre en jachère sa propre terre (Edja, 2003), ou encore recherche, via le FVI, de parcelles plus fertiles ou mieux irriguées que les terres en propriété (Segers et al., 2010).
85On peut distinguer deux profils de tenanciers, qui font face à des choix et des enjeux très différents : des paysans sans terre ou des petits propriétaires sous contrainte foncière au regard de leur force de travail (qui, alternativement, s’emploient comme manœuvres), et des tenanciers aisés sous contrainte foncière au regard de leurs moyens de production autres que le travail.
L’alternative fermage-métayage
86La question du choix entre location et métayage a fait l’objet d’une imposante littérature théorique et empirique (voir références in Otsuka et al., 1992 ; Colin, 1995 ; Dasgupta et al., 1999). Cette question, qui fait sens tant en termes académiques qu’en termes de politiques publiques, interpelle particulièrement les économistes néoclassiques, qui cherchent à expliquer ce qu’ils perçoivent comme un paradoxe. Le métayage représente en effet une forme contractuelle extrêmement répandue dans toutes sortes de contextes géographiques et historiques, alors qu’il pose un problème d’incitation pour le tenancier : le partage du produit l’incite à fournir un niveau d’effort inférieur à l’optimum, ce risque de sous-fourniture de travail étant exacerbé par les asymétries informationnelles et des problèmes d’observabilité et de contrôle par le propriétaire.
87Le modèle dominant de l’économie des contrats explique l’existence du métayage comme résultant d’un arbitrage (par le propriétaire) entre incitations et prise en charge du risque, en considérant un tenancier averse au risque, et en élargissant le menu d’options au contrat de salariat agricole : la location fournit une incitation au travail parfaite, puisque le tenancier bénéficie de la totalité de son produit marginal, mais elle concentre également tout le risque sur lui ; à l’opposé, le contrat de travail salarié reporte tout le risque sur le propriétaire mais ne comporte aucune incitation à l’effort pour le manœuvre ; le métayage réalise un compromis (Stiglitz, 1974).
88Un type d’analyses alternatives, relevant généralement d’approches par les coûts de transaction, retient le postulat d’acteurs neutres vis-à-vis du risque. Ces analyses mettent l’accent sur l’imperfection ou l’inexistence des marchés autres que le marché de la terre : marchés du travail non qualifié, de la gestion courante de l’exploitation, de l’expertise techno-économique, des prestations de service, du crédit. Le métayage permet alors d’accéder, hors marché, à des facteurs de production difficiles à obtenir via le marché.
89Les cédants manifestent fréquemment une préférence pour le métayage, sauf si les risques de pratiques opportunistes dans ces contrats sont jugés sont trop importants, si leur aversion au risque est trop forte, s’ils sont absentéistes et ne veulent pas s’impliquer même a minima dans la gestion de la parcelle et du contrat, ou s’ils sont confrontés à un besoin urgent de liquidités. Les logiques mises en avant portent, selon les cas, sur le niveau espéré de la rente, plus élevé dans le cas du métayage, ou sur l’objectif de maintenir une implication dans la production agricole. Au-delà de la dimension productive, ce deuxième objectif peut renvoyer à un enjeu de sécurité de la tenure pour le cédant, dans des contextes de réforme agraire où la terre est censée être exploitée directement. La cession en location plutôt qu’en métayage pourra s’expliquer par un besoin de liquidités, urgent (locations de détresse) ou moins pressant (pour financer des achats d’intrants ou des besoins de consommation) ; par une aversion au risque de production ou de marché ; par la perception d’un risque trop important de pratiques opportunistes du métayer ; ou encore par des contraintes en moyens de production (travail familial, attelage, trésorerie) qui excluent une forme de contrat de métayage requérant l’implication du cédant dans le procès de production. Le choix contractuel opéré par le cédant peut aussi être orienté par la qualité des sols – cession en métayage de parcelles de bonne qualité et cession en location de parcelles de moindre qualité.
90Inversement, du côté des preneurs, on observe fréquemment une préférence pour la location, qui permet de conserver la totalité du retour sur l’investissement et sur l’expertise, de préserver une autonomie de décision et d’action, et de verser généralement une rente inférieure à celle d’un contrat de métayage. Cette logique s’exprime tout particulièrement lorsque la production requiert l’investissement d’un capital circulant important et mobilise l’expertise techno-économique du producteur. Une préférence pour le métayage viendra de contraintes de trésorerie relativement au paiement de la rente locative (si ce dernier intervient avant le cycle de production), des frais de mise en culture (si ces frais sont supportés pour partie ou en totalité par le cédant dans le contrat de métayage), ou d’un objectif de partage des risques, de certains coûts ou de certaines tâches (en lien avec des imperfections sur les marchés du crédit et des facteurs de production agricole).
91Au terme de cette évocation rapide des logiques, relevons que le contrat effectivement conclu ne correspond pas toujours au contrat recherché, faute de partenaire prêt à s’engager sur ce dernier – on touche là la question, trop peu abordée dans les études empiriques, de la distance pouvant exister entre contrat recherché et contrat pratiqué (Colin, 2003).
L’alternative faire-valoir indirect/achat-vente
92Les marchés de l’achat-vente et du FVI sont bien différenciés dans leurs modalités, mais les logiques de participation se recoupent et dans certains cas, les acteurs sont en situation d’arbitrer entre ces deux marchés. Les choix peuvent être contraints (par le contexte juridique, par le rationnement du crédit, etc.), mais également relever d’une solution recherchée en fonction de différents types de logiques et préférences.
93Pour les preneurs, l’achat présente les avantages énoncés précédemment : constitution d’un patrimoine productif (éventuellement spéculatif), perspectives sécurisées de production et d’investissement sur le long terme, possibilités (sous conditions, souvent restrictives) d’accéder au crédit (Platteau, 2000 ; Deininger et Feder, 2001 ; Holden et al., 2009). Le recours au FVI plutôt qu’à l’achat peut obéir à des contraintes financières. Cela concerne en premier lieu de nombreux petits producteurs sans-terre ou peu dotés en terre, mais on retrouve également une logique financière chez des tenanciers entrepreneurs, qui privilégient souvent l’investissement dans du capital circulant et ne souhaitent pas immobiliser leurs capitaux financiers dans une acquisition foncière. La question de l’horizon temporel peut être résolue via l’adaptation des termes des contrats : certains arrangements contractuels portent sur des durées longues, calées sur les cycles d’investissement et de production (cas des cultures pérennes par exemple). D’un autre côté, une préférence pour des arrangements de FVI sur le court terme vient parfois d’une stratégie d’exploitation minière des sols, sans contribution au maintien de la fertilité ou au contrôle de la pression parasitaire (voir par exemple Derderi et al., 2019). Enfin, le recours au FVI peut être motivé par défaut, en l’absence d’offre sur le marché de l’achat-vente, ou dans les contextes juridiques marqués par de fortes restrictions sur les transactions foncières – si les restrictions légales à l’achat sont effectives.
94Pour de nombreux cédants, la cession en FVI constitue une alternative cruciale à la vente, car elle permet d’éviter la liquidation de l’actif foncier, de maintenir une forme d’implication dans l’activité agricole (dans le cas de certaines formes de métayage) et de conserver une place et un statut dans la communauté villageoise. La terre joue en effet souvent un rôle majeur de filet de sécurité socio-économique (Deininger, 2003). Si la situation de détresse est trop aiguë, et les dispositifs d’assurance informels insuffisants (via le FVI ou d’autres formes), le recours à la vente peut néanmoins s’imposer.
95La présence conjuguée de restrictions sur l’offre de terre en vente, de limites sur les capacités d’achat et de possibilités de contournement de certaines de ces contraintes via le FVI contribue à expliquer pourquoi, dans de nombreux contextes, le marché du FVI est nettement plus actif que celui de l’achat-vente.
Configurations de marché
96La configuration de marché est définie ici comme la caractérisation schématique du positionnement socio-économique relatif des catégories des preneurs et des cédants. Comme la diversité des modalités et des logiques d’échange le laisse supposer, les marchés fonciers se manifestent selon différents types de configuration, y compris souvent dans un même pays ou une même région. Ces grands types sont porteurs d’enjeux de nature différente, qu’il est utile de présenter brièvement avant de passer à l’examen des relations entre marchés fonciers et développement (en quatrième partie).
97Pour le FVI, la configuration classique (et historique) est celle de grands propriétaires fonciers cédant à bail à de petits tenanciers pauvres, vulnérables à la fois sur le plan économique et sur le plan des risques d’éviction. D’autres configurations existent néanmoins, et de manière non anecdotique.
98Un deuxième type pourrait être qualifié de configuration « équilibrée ». Dans cette configuration, les rôles de propriétaire et de tenancier ne renvoient pas à une différenciation socio-économique marquée. Ils ne sont pas nécessairement exclusifs, ni figés, y compris sur le court terme : cédant devenant tenancier d’une campagne à l’autre, et vice versa, ou rôles de cédant et de preneur endossés de façon synchrone sur des parcelles différentes. Par ailleurs, tant les tenanciers que les cédants exploitent parfois parallèlement d’autres terres en FVD (voir par exemple Lehman, 1986 en Équateur ; Sharma et Drèze, 1996 en Inde ; Colin, 2003 au Mexique). Dans cette configuration, les relations contractuelles peuvent relever de formes de partenariat, et les enjeux portent plutôt sur la sécurité contractuelle (respect des engagements mutuels, voir infra) ainsi que, en amont, sur les imperfections de marchés que le FVI contribue à pallier.
99Une troisième configuration, de plus en plus visible sur le terrain, est qualifiée de tenure inversée (reverse tenancy) (Colin, 2014). On désigne par là des situations dans lesquelles des petits propriétaires cèdent en FVI une partie ou la totalité de leurs disponibilités foncières à des tenanciers de plus grande envergure économique (cf. chap. 6). Ce cas de figure peut renvoyer à des dynamiques agricoles (intensification, évolution des filières, réduction de la rentabilité des formes de production traditionnelles) qui font peser sur les petits propriétaires des contraintes productives ou de nouvelles formes de vulnérabilité économique qu’ils cherchent à résoudre via la cession en FVI (par exemple en Inde, au Mexique ou en Éthiopie, voir Byres, 1981 ; Bouquet et Colin, 2003 ; Segers et al., 2010). Cette configuration est également fréquente dans des contextes de réforme agraire, lorsque la redistribution foncière ne s’est pas accompagnée de la redistribution des moyens de production, par exemple au Mexique (Centro de Investigaciones Agrarias, 1970), et dans les situations de décollectivisation impliquant un droit de propriété individuelle ou maintenant formellement un simple droit d’usage cessible (voir par exemple Kerkvliet, 2006 au Vietnam ; Swinnen et Vranken, 2007 pour l’Asie centrale et l’Europe de l’Est ; Amblard et Colin, 2009 en Roumanie ; Amichi et al., 2015 en Algérie). On la retrouve aussi dans le cône sud-américain (Guibert et al., 2011). Cette configuration n’implique pas une concentration de la propriété foncière. En revanche, elle induit une concentration du foncier d’exploitation et un renversement du rapport de pouvoir usuel dans les pratiques contractuelles agraires, au détriment des propriétaires cédant à bail.
100Pour le marché de l’achat-vente, ces trois grands types de configuration existent également, mais leurs fréquences relatives diffèrent. La division et la vente de grands domaines à de petits producteurs (symétrique de la configuration « historique » du FVI) est une configuration rare. Des marchés de l’achat-vente entre acteurs aux profils socio-économiques relativement équilibrés sont observés dans de nombreuses sociétés paysannes. Les enjeux portent alors sur l’accès à la terre pour les jeunes générations, ainsi que sur la contention des inégalités foncières locales à un niveau supportable socialement. Des enjeux socio-politiques particuliers, renvoyant aux conditions de coexistence entre communautés ethniques ou nationales, peuvent également surgir lorsque les ventes interviennent entre des populations locales et des immigrants (Chauveau et Colin, 2010 ; Jacob et Le Meur, 2010).
101Enfin, dans le cas des achats-ventes, la configuration « inversée » (achat des terres de petits propriétaires, ou relevant de communautés locales, par de grands propriétaires ou investisseurs, nationaux ou étrangers), en conduisant à une concentration foncière par le jeu du marché, pose par définition question sur le plan de l’équité. Elle s’accompagne par ailleurs d’enjeux sur l’efficience, lorsque les achats par des élites (notamment urbaines) ne sont pas motivés par des objectifs de production agricole, ou lorsque la constitution de grands domaines agricoles ne s’accompagne pas d’économies d’échelle sur la production (cf. chap. 6 et 9). La configuration inversée pose également des questions de justice sociale et de gouvernance, lorsque les ventes sont accélérées par la précarisation et la vulnérabilité économique, sont accompagnées de pressions politiques, ou court-circuitent les usagers locaux (par exemple lorsque les ventes sont réalisées par une autorité locale sans consultation des occupants effectifs, Cotula et al., 2014).
Les marchés fonciers : facteurs ou freins au développement ?
102Les marchés fonciers sont-ils un facteur de développement ou un frein au développement économique ? La question suscite de nombreux débats, souvent très polarisés, et a alimenté une gamme d’interventions publiques variées et contrastées. Elle se repose avec une acuité renouvelée dans le contexte récent de ce que l’on qualifie de grandes acquisitions ou accaparements fonciers (cf. chap. 9). Les pages qui précèdent, illustrant la complexité et la diversité des marchés fonciers, devraient d’ores et déjà avoir convaincu le lecteur qu’il n’y a pas de réponse simple à cette question, voire que la question elle-même n’est pas toujours bien posée.
103D’une manière générale, il importe d’en préciser les termes et de s’interroger sur les aspects positifs et négatifs des différents types de marchés fonciers, pour quels types d’acteurs et dans quels contextes ou configurations. Par ailleurs, certaines des défaillances imputées aux marchés fonciers concernent en fait des processus certes connectés, mais distincts. Les leviers d’action pour les politiques publiques doivent donc être raisonnés en conséquence. D’une part, les imperfections des marchés du crédit, de l’assurance, des facteurs de production et des produits agricoles ont un impact sur les conditions de fonctionnement des marchés fonciers (par exemple en induisant des ventes de détresse). D’autre part, certains phénomènes présentés comme une manifestation des marchés fonciers interviennent en réalité en marge du marché proprement dit : c’est en particulier souvent le cas des grandes acquisitions.
Conflits et sécurisation des transactions
104La question de la sécurisation des transactions est déterminante dans l’analyse du fonctionnement et des effets des marchés fonciers. Elle se pose de manière très différente selon le type de transaction et le cadre institutionnel dans lequel ces transactions se déroulent. Si les conditions de la sécurisation ne sont pas réunies, le marché foncier peut être fortement contraint, dans son niveau d’activité ou dans l’identité de ses participants, même en présence d’une offre et d’une demande potentielles. La question des tensions et conflits autour des transactions marchandes est également essentielle à prendre en compte dans une perspective de paix sociale.
105Notons en amont que le développement des transactions foncières marchandes dans les systèmes coutumiers, tout particulièrement lorsque les transferts bénéficient à des immigrants, contribue à déstabiliser les modes de régulations de ces systèmes et à créer des « zones grises » (Fitzpatrick, 2006), des « espaces indéterminés, des entre-deux transitionnels » (Mathieu, 2001), avant que de nouvelles normes locales relativement aux transactions jugées légitimes n’apparaissent ou que des dispositifs formels de sécurisation ne soient mis en place (chose qui peut ne jamais se produire).
106Il est important de distinguer sur quoi, et vis-à-vis de qui, portent les enjeux de sécurisation. Ces enjeux portent en premier lieu sur les droits de propriété et sur les droits d’usage. Pour les achats de terre, cette sécurisation concerne essentiellement les droits de propriété de l’acheteur : l’enjeu porte sur l’assurance que personne (que ce soit le vendeur, les héritiers de ce dernier, ou encore un tiers) ne viendra contester la légitimité du transfert, ou que des recours fiables et accessibles existent en cas de contestation. Dans certains cas limites (contextes de forte violence politique, par exemple), la sécurité viendra de l’assurance que personne ne sera forcé à vendre sa terre contre son gré. Pour les contrats de FVI, il peut s’agir de sécuriser les droits de propriété du cédant : l’enjeu porte sur l’assurance que le tenancier restituera la parcelle au terme du contrat et ne revendiquera pas un droit de propriété dessus au motif qu’il l’a exploitée pendant une certaine période (Lyne et al., 1997 ; Kevane, 1997). Inversement, il peut s’agir de sécuriser les droits d’usage du tenancier : l’enjeu porte sur l’assurance que le propriétaire respectera la durée du contrat et ne cherchera pas à récupérer la parcelle avant que le tenancier ait pu tirer un bénéfice de son exploitation.
107Face aux risques de litiges ou conflits auxquels ils sont confrontés, les acteurs impliqués dans les transactions foncières mettent en œuvre différentes stratégies de sécurisation (Colin, 2013, 2017).
108Certains conflits induits par des transactions foncières ne relèvent pas d’un registre contractuel mais viennent, en amont, d’incertitudes sur les droits du cédant sur la parcelle concernée. De fait, dans de nombreux pays du Sud, les transactions restent informelles, au sens où elles portent sur des droits de propriété non reconnus légalement et/ou ne font pas l’objet d’un enregistrement ayant une valeur légale. Une reconnaissance formelle des droits des cédants résoudrait une bonne partie des conflits induits par leur transfert. Les politiques de formalisation des droits initiées dans différents pays sont censées aller dans ce sens17. Elles posent l’enregistrement des droits détenus sur une parcelle foncière par un individu ou une famille comme préalable à l’enregistrement des transferts de droits. En pratique cependant, l’accès aux dispositifs de formalisation des droits demeure à l’heure actuelle très limité dans de nombreux pays, et le restera très probablement pendant longtemps, du fait de l’ampleur de la tâche en termes d’organisation et de moyens, de la lourdeur des procédures et de leur coût, ou encore des facteurs potentiels de blocages dans le processus de certification/titrage (cf. chap. 10). Dans ces conditions, l’enregistrement des transferts de droits peut être une alternative pragmatique dans les contextes où l’insécurité foncière vient pour l’essentiel des transactions foncières (Colin, 2013). Cette option n’a cependant pas toujours la faveur des pouvoirs publics.
109Même en l’absence de procédure d’enregistrement formel, de nombreuses transactions, et particulièrement les achats-ventes, font l’objet d’une « formalisation locale », extra-légale, à travers la production de documents écrits (sous seing privé) de forme et de contenu très variables (Lavigne Delville, 2003 ; sur Madagascar, Boué et Colin, 2018). Les autorités ou administrations locales sont parfois impliquées, pour viser le document ou à travers la légalisation des signatures – ce qui donne une forme de reconnaissance officielle à l’acte à défaut d’en légaliser le contenu –, voire dans le cadre d’une procédure qu’elles auront édictée.
110Notons également les pratiques qui consistent à « rendre visible » la possession, tout particulièrement après un achat : panneaux, bornes, clôtures, investissements concrets sur les terres, voire gardiens – ce que la Common Law appelle le clear act, en d’autres termes l’expression claire de la possession par l’occupation effective du terrain concerné (Rose, 1994).
111Dans le cas des contrats de FVI, au-delà de la sécurisation des droits de propriété ou d’usage, un enjeu primordial est celui du respect des engagements contractuels (il s’agit de se prémunir contre des comportements opportunistes de l’autre partie), tout particulièrement dans le cas de contrats de métayage, et plus encore de métayage avec partage des coûts. Le traitement de ce type d’enjeu peut passer par l’écrit, mais pas nécessairement. En particulier, l’incomplétude des contrats vient précisément de la difficulté d’en expliciter tous les termes. Dans un autre registre, la construction même des termes du contrat peut être porteuse d’incitations ou de mécanismes auto-exécutoires. Cette question constitue le champ de la théorie de l’agence, dont les applications au faire-valoir indirect sont nombreuses (Stiglitz, 1974 ; Otsuka et al., 1992). Ainsi, le paiement de la rente en début de contrat de location évite de fait un défaut de paiement en fin de cycle ; le métayage peut être vu comme un arrangement incitatif à l’effort de travail du tenancier, par rapport à un contrat de travail salarié, et inversement, désincitatif par rapport à une location ; le partage des coûts dans un contrat de métayage incite les deux acteurs à contribuer jusqu’au niveau optimal d’efficacité économique de la production (Braverman et Stiglitz, 198618) ; les transactions liées fournissent des incitations croisées qui s’alimentent mutuellement, etc.
112Un autre registre de sécurisation des transactions passe par le réseau social. Pour les achats de terre, entretenir de bonnes relations avec les autorités coutumières et/ou, selon les cas, l’administration locale peut s’avérer déterminant. Pour des migrants insérés dans des systèmes coutumiers africains, cela passe par diverses manifestations de gratitude et de contributions à la communauté autochtone, visant à asseoir une réputation de « bon étranger » (Colin, 2017). Pour les achats comme pour le FVI, des relations de confiance ou de connaissance mutuelle préalables peuvent primer dans le processus de sélection des partenaires (Sadoulet et al., 1997).
113Quel que soit le registre de sécurisation des transactions mobilisé par les acteurs, il est indispensable de le considérer en relation aux autres registres disponibles. Dans une démarche de caractérisation empirique, il importera de préciser, pour chaque registre de sécurisation, les conditions de sa mobilisation effective en cas de conflit ou de comportement opportuniste avéré (cf. chap. 8).
Efficience, équité et relation inverse taille-productivité
Cadre d’analyse
114L’analyse standard des liens entre marchés fonciers et développement part d’une conception du marché foncier comme dispositif d’allocation de la terre dans un contexte de dotations hétérogènes en travail et en capital, et cherche à en évaluer les propriétés selon deux grands axes : l’efficience et l’équité (Otsuka, 2007).
115L’efficience relève globalement d’un registre productif mais une source de controverses tient au fait que sa définition même varie. Elle peut se définir dans un sens étroit (en rapport avec la technologie et les fonctions de production), ou plus large, en tenant compte de la contribution à l’économie locale ou nationale (création d’emplois, croissance économique, réduction de la vulnérabilité et de la pauvreté), voire de la durabilité environnementale (renouvellement de la fertilité des sols, aspects sanitaires et de pollution, etc.). Indépendamment de la définition retenue, la discussion autour du lien entre marchés fonciers et efficience renvoie à deux grands types de questionnements. Le premier est relatif à l’hétérogénéité des producteurs agricoles : est-ce que les marchés fonciers permettent de transférer la terre vers les producteurs les plus efficients ? Le deuxième est relatif à l’échelle des structures de production : est-ce que les opérations du marché foncier permettent de constituer des unités d’exploitation efficientes ? Les réponses à ces questions (et le fait même de qualifier des exploitants ou des unités d’exploitation d’efficients) varient en fonction des contextes, des caractéristiques des systèmes productifs et de la rareté relative de la terre. Elles font elles-mêmes l’objet de débats anciens et récurrents (pour une synthèse des débats sur l’efficience comparée des petites et des grandes exploitations, voir Deininger et Byerlee, 2012).
116L’équité se décline de plusieurs façons. Elle peut en premier lieu s’envisager sous l’angle de la distribution de la propriété ou des droits d’exploitation. Les marchés fonciers (et les instruments de régulation instaurés par les politiques publiques) favorisent-ils l’inclusion, ou au contraire conduisent-ils à l’exclusion, pour certaines catégories de population (les sans-terre, les jeunes, les femmes, les dépendants familiaux, les petits tenanciers, les migrants, les pasteurs) ? Contribuent-ils à rompre (ou à empêcher un retour à) une distribution polarisée de la terre faisant coexister petits et gros propriétaires exploitants ? Favorisent-ils l’émergence et le maintien d’une classe agricole intermédiaire ? Dans un autre ordre d’idées, existe-t-il des options de cession du patrimoine foncier à des niveaux de prix ou de rente décents, permettant d’envisager une reconversion non agricole ?
117En deuxième lieu, l’équité renvoie à la nature des relations interindividuelles sous-jacentes aux échanges marchands. Il s’agit alors de détecter si des asymétries trop marquées en termes de pouvoir (économique ou politique) ou d’information se matérialisent par des échanges inéquitables (prix excessifs ou au contraire prix sacrifiés, clauses contractuelles léonines, pratiques opportunistes). La direction des asymétries n’est pas figée en fonction des rôles (acheteurs/vendeurs, propriétaires/tenanciers). Elle doit s’apprécier en fonction des configurations de marché qui prévalent localement. Par exemple, dans les configurations de tenure inversée, ce sont souvent les petits propriétaires qui se retrouvent en position de faiblesse structurelle vis-à-vis de leurs tenanciers.
118Une question importante est de savoir si ces deux objectifs d’efficience et d’équité sont conciliables, et, si oui, à quelles conditions. Aborder cette question suppose de s’intéresser à la théorie de la relation inverse taille-productivité en agriculture. En l’absence d’économies d’échelle, les exploitations familiales (recourant principalement à la force de travail des membres de la famille) bénéficieraient d’un avantage comparatif en matière d’efficience, comparativement à des exploitations capitalistes ayant recours à une main-d’œuvre salariée, du fait en particulier des coûts de transaction liés à la recherche, au recrutement et à la supervision des manœuvres. Cet argument joue potentiellement tant que la production reste essentiellement fondée sur le travail manuel et requiert des compétences techno-économiques peu spécifiques. Lorsque la production s’appuie davantage sur du capital fixe (mécanisation en particulier) et que les producteurs sont intégrés dans des chaînes de valeur imposant des standards de commercialisation, la relation inverse taille-productivité tendrait à disparaître (cf. chap. 6). Dans de telles conditions, l’efficience et l’équité des marchés fonciers ne vont plus de pair, comme nous allons le voir.
Achats-ventes
Efficience
119Le marché de l’achat-vente est théoriquement susceptible de contribuer positivement à l’efficience via trois canaux. Le premier canal est celui de l’allocation vers des producteurs plus efficients : parce qu’ils sont plus efficients, ils sont en mesure de proposer un prix supérieur au prix de réserve de producteurs moins efficients (ce qui peut inciter ces derniers à leur vendre une parcelle), ou bien un prix supérieur à celui que peuvent proposer des producteurs moins efficients (ce qui peut leur permettre de surenchérir sur une parcelle mise en vente). L’existence d’un marché de l’achat-vente est également susceptible de contribuer positivement à l’efficience via deux autres canaux : ce marché fournit des incitations à l’investissement, si la valeur des améliorations peut être incorporée dans le prix de vente, et il facilite l’accès au crédit formel, de campagne ou d’investissement, si les institutions financières s’appuient sur des garanties foncières qu’elles peuvent saisir et revendre en cas de défaut de paiement.
120En pratique, ces effets attendus en matière d’efficience sont tributaires de conditions fortes (et de ce fait rarement réunies) sur le fonctionnement à la fois du marché foncier et des marchés adjacents. Dans des situations caractérisées par une distribution duale de la terre (typiquement en Amérique latine), l’existence de coûts de transaction sur les marchés d’achat-vente peut générer une segmentation du marché par classes de superficie et contrecarrer le transfert de la terre depuis les grands producteurs vers des petits et moyens producteurs plus efficients (Carter et Zegarra, 2000). Le fait que le prix de vente incorpore d’autres éléments que le flux actualisé des revenus futurs (accès au crédit, refuge contre l’inflation, statut socio-politique, etc.), conjugué aux multiples sources de rationnement du crédit formel en milieu rural, contribue également à décourager les achats par des producteurs efficients mais contraints en termes d’autofinancement (Binswanger et Rosenzweig, 1986). L’acquisition réalisée pour des motifs non économiques (prestige, pouvoir politique) ou à des fins spéculatives ne constitue évidemment en rien une garantie d’efficience (Atwood, 1990 ; Barrows et Roth, 1990 ; Platteau, 1996).
121Par ailleurs, les incitations à l’investissement restent conditionnées à un niveau minimal de sécurisation des achats. Le rationnement du crédit formel (y compris via des formes d’auto-rationnement liées à l’aversion au risque de perdre la terre laissée en garantie) est également susceptible de peser fortement sur les perspectives d’amélioration de l’efficience via le financement à crédit des équipements et de l’itinéraire technique (Guirkinger et Boucher, 2008). Enfin, l’érosion des mécanismes d’assurance informels et la quasi-absence de produits d’assurance formels alimentent les ventes de détresse. Ces ventes touchent avant tout les petits producteurs disposant de moins d’options alternatives (notamment en matière de liquidation d’actifs) pour faire face aux chocs. Dans les situations où prévaut la relation inverse taille-productivité, les ventes de détresse peuvent ainsi conduire à un transfert de la terre depuis des producteurs plus efficients (mais vulnérables) vers des producteurs moins efficients (mais disposant de liquidités).
Équité
122Sous la double hypothèse de transactions assurant le transfert de la terre vers les producteurs les plus efficients et de l’existence d’une relation inverse taille-productivité, le marché de l’achat-vente sera porteur d’équité, dans le sens d’une redistribution foncière plus équilibrée. Comme on vient de le voir, la vérification de cette double hypothèse n’est en rien garantie. D’une part, l’existence de coûts de transaction tend à limiter le fractionnement des grandes parcelles ou des grands domaines, et donc les possibilités d’acquisition par les petits producteurs (la limitation au fractionnement pouvant venir également des politiques publiques). D’autre part, lorsque l’offre sur le marché vient principalement de ventes de détresse – une situation fréquente dans les pays du Sud –, il ne saurait être question d’équité. Ces ventes impliquent la perte d’une base fondamentale de revenu, ce qui accélère le processus de paupérisation et réduit les perspectives de pouvoir financer un rachat de terre (Berry et Cline, 1979 ; Collier, 1983 ; Eswaran et Kotwal, 1990 ; André et Platteau, 1998 ; Platteau, 2000 pour des exemples dans différents contextes d’Afrique et d’Asie). L’offre de terre étant par ailleurs généralement très limitée, ces ventes de détresse présentent souvent un caractère irréversible (Basu, 1986). On observe donc fréquemment un marché de l’achat-vente à la fois inefficient et inéquitable, avec une dynamique de concentration foncière et des effets négatifs cumulatifs pour les plus petits producteurs.
123Dans des contextes coutumiers, le développement du marché de l’achat-vente a des conséquences dommageables pour les bénéficiaires de transferts fonciers opérés antérieurement, lorsque les terres qu’ils exploitaient sont vendues par leurs propriétaires à de nouveaux exploitants (familiaux, entrepreneurs agricoles, élites urbaines, entreprises), ou lorsqu’ils doivent revalider leur accès à la terre sous forme d’achat. L’Ouest burkinabé, le Centre-Ouest et l’Ouest ivoirien illustrent ce type de dynamique (voir références in Colin, 2017). D’un point de vue intrafamilial, l’exercice d’un droit de vente individuel par le chef de ménage ou le détenteur du document de propriété formel peut également mettre en péril l’accès à la terre et à un moyen de subsistance des autres membres du ménage ou de la famille plus élargie (Bouquet, 2009 ; cf. chap. 2). Les achats de terre opérés par les investisseurs internationaux (les grandes acquisitions ne venant cependant pas systématiquement du jeu du marché, rappelons-le) conduisent à une très forte concentration foncière, comme dans le cône sud-américain ou dans les pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale (cf. chap. 6 et 9 ; voir également Luna et Mignemi, 2017 pour une perspective historique). Dans les contextes ouest-africains, les achats par les élites nationales portent généralement sur de moindres superficies (de quelques dizaines à quelques centaines d’hectares). Néanmoins, ils peuvent produire des effets de concentration foncière visibles lorsque ces acquéreurs affluent sur certains sites (Colin et Tarrouth, 2017).
124Dans ce panorama globalement sombre, quelques études font état de situations moins négatives. Au Mexique, l’ouverture d’un marché de l’achat-vente a facilité l’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs disposant d’autofinancement (Bouquet, 2009). En Inde, ce marché constitue un canal d’accès à la terre pour certains agriculteurs sans-terre (Deininger et al., 2009). Il tendrait également à égaliser les dotations foncières dans certains contextes en Ouganda (Baland et al., 2007) et au Vietnam (Deininger et Jin, 2008).
Faire-valoir indirect
Efficience
125Le FVI est susceptible de jouer sur l’efficience à travers trois canaux de causalité. Le premier renvoie à la capacité du FVI à allouer la terre à des producteurs plus efficients. Le second concerne la capacité du FVI (et plus particulièrement du métayage) à résoudre des problèmes d’allocation qui se posent pour d’autres facteurs de production que la terre (typiquement le travail, la traction attelée ou mécanisée, ou le crédit), en raison de fortes imperfections sur les marchés correspondants. Le troisième tient à ce que les termes même des contrats représentent des systèmes d’incitation différenciés, qui peuvent constituer des facteurs d’amélioration ou au contraire de recul de l’efficience productive.
126La capacité du FVI à faciliter le transfert de la terre vers des producteurs plus efficients est a priori supérieure à celle de l’achat-vente. D’une part, la demande en terre via le FVI obéit à des considérations productives, à la différence de la demande d’achat de terre qui peut répondre à des logiques spéculatives, de statut, etc. D’autre part, le niveau de contrainte financière lié au versement d’une rente est nettement plus faible que celui lié au règlement d’un prix d’achat. Les modalités mêmes du paiement de la rente dans certains contrats – rente versée ex post (après la récolte), rente en nature – contribuent à faciliter l’accès à la terre pour des producteurs efficients mais sous contrainte financière. Dans des contextes où prévaut la relation inverse taille-productivité, l’effet positif en termes d’efficience se double d’un effet positif en termes d’équité (voir par exemple Jin et Jayne, 2013 au Kenya).
127Diverses études montrent formellement que le marché du FVI peut améliorer l’efficience allocative pour des facteurs de production soumis à de fortes imperfections de marché, comme le travail, la traction attelée ou le crédit (Bliss et Stern, 1982 en Inde ; Kevane, 1997 au Soudan ; Teklu et Lemi, 2004 en Éthiopie ; Holden et al., 2009 en Éthiopie, au Kenya, au Malawi).
128La question spécifique de l’(in)efficience du métayage, comparativement au fermage, a donné lieu à de très nombreuses analyses. Dans la théorie économique standard, comme on l’a vu, le métayage est présenté comme une forme contractuelle inefficiente par rapport au fermage, car le partage du produit induit une désincitation à l’effort et à l’investissement du tenancier, dans un contexte d’asymétries informationnelles et d’observabilité imparfaite de la part du propriétaire. Dans une étude réalisée en Inde, Deininger et al. (2012) évaluent les pertes associées au métayage à près de 25 % (voir également Jacoby et Mansuri, 2009 au Pakistan). L’hypothèse d’une inefficience marquée du métayage est cependant loin d’être toujours vérifiée et elle est de nos jours contrebalancée par l’accent mis sur la capacité du métayage à résoudre d’autres problèmes, notamment en matière de risque et d’imperfections de marchés (Otsuka, 2007).
129La pertinence de ces analyses dépend également des configurations de marché. Lorsque le métayage met en relation de grands propriétaires et de petits métayers, et se présente essentiellement comme une relation de travail avec des problèmes de supervision, la question du caractère désincitatif du métayage peut effectivement se poser. Lorsque le métayage se présente comme une forme de partenariat avec partage des coûts (Jaynes, 1984 ; Braverman et Stiglitz, 1986), ou dans des configurations de tenure inversée (Colin, 2014), l’analyse en termes de désincitation s’avère peu ou pas pertinente. En particulier, certaines modalités de partage des coûts constituent des dispositifs incitatifs, on l’a noté. Dans ces conditions, le métayage peut contribuer de manière décisive à l’efficience, en contournant des défaillances de marchés, en facilitant l’accès des propriétaires au financement, à l’innovation technique et commerciale, etc.
130La durée des contrats de FVI constitue une source d’inefficience lorsqu’elle est trop courte ou insuffisamment garantie, en raison de risques d’éviction. Si le contrat s’inscrit dans un horizon de temps inadapté, il est susceptible de décourager des investissements qui présentent un retour sur le moyen ou long terme : aménagement de la parcelle, fumure de fond, ou encore réalisation de plantations pérennes (cf. chap. 6). Notons cependant que la restriction relative aux plantations pérennes trouve usuellement sa logique dans une considération de sécurisation des droits de propriété du cédant. Sans cette restriction, il est probable que le propriétaire ne prendrait pas le risque de céder sa parcelle, et le marché FVI n’émergerait pas.
131Nous avons évoqué la stratégie de sécurisation des transactions par le jeu des réseaux sociaux. Ces effets de réseau peuvent contribuer à améliorer l’efficience, en réduisant les sources et les modalités de comportements opportunistes (Sadoulet et al., 1997, aux Philippines), mais ce bénéfice s’accompagne d’un coût, lorsque les tenanciers les plus efficients sur le plan technique se situent à l’extérieur des réseaux des cédants (Otsuka et al., 1992 ; Kassie et Holden, 2007 pour l’Éthiopie ; Macours et al., 2010 en République dominicaine). Si ces tenanciers efficients mais exclus sont des petits producteurs, ce problème d’efficience se double d’un problème d’équité.
Équité
132Réfléchir aux implications du FVI en termes d’équité demande au préalable de spécifier dans quelle configuration de marché on se situe. Dans la configuration classique (grands propriétaires, petits tenanciers), le FVI permet certes un transfert de la terre vers les petits producteurs ou les sans-terre, mais souvent au prix de relations contractuelles inéquitables. Sous cette configuration, le métayage a particulièrement mauvaise presse. En configuration équilibrée, en revanche, le bilan en matière d’équité doit s’apprécier au cas par cas. En situation de tenure inversée, on assiste à une inversion dans la direction des transferts et à une concentration non de la propriété de la terre, mais de son exploitation à travers le FVI, questionnable en termes d’équité.
133L’arrivée de nouveaux tenanciers, bien dotés en capital et en savoir-faire techno-économique, pose potentiellement deux autres types de problèmes. D’une part, elle peut s’accompagner de nouvelles formes de comportements opportunistes et de domination, cette fois-ci au bénéfice des tenanciers et au détriment des propriétaires (Amblard et Colin, 2009). D’autre part, elle est susceptible de conduire à l’éviction de catégories traditionnellement incluses dans les circuits du FVI local : petits tenanciers traditionnels (peu qualifiés et peu dotés en capital) ou dépendants familiaux qui bénéficiaient de délégations de droits d’usage (Amanor, 2010 ; voir références in Colin, 2014). Le risque d’exclusion sera d’autant plus marqué que le système de production est intensif en capital (équipements, intrants) et la production, destinée à des marchés exigeants en termes de normes.
134Une question centrale, même hors configuration de tenure inversée, est celle de l’incidence d’éventuelles barrières à l’entrée sur la participation au marché du FVI en tant que demandeur. Il s’agira en particulier de la disponibilité d’un attelage, dans les systèmes agricoles à culture attelée, lorsque le marché des prestations de service pour les travaux culturaux est défaillant. Ou encore du paiement (usuel) de la rente locative en début de cycle, qui exclut les preneurs potentiels sous forte contrainte de trésorerie. Un élément qui atténue fortement cette contrainte dans certains contextes est la divisibilité des parcelles (au sens d’accessibilité sur le marché en unités élémentaires réduites) faisant l’objet de contrats de FVI – comme dans le cas de la petite production d’ananas pour l’exportation en frais, en Côte d’Ivoire, dont l’essor extraordinaire dans les années 1990 - début des années 2000 est à mettre en rapport avec le fait que, dans les conditions de production de ces petites exploitations, tous les coûts pouvaient être considérés comme variables, y compris l’accès à la terre : il était par exemple possible de trouver des parcelles de 0,1 ha en FVI (Colin, 2012 b).
135Malgré ces aspects négatifs, le FVI présente davantage d’aspects potentiellement positifs en matière d’équité que le marché de l’achat-vente. Il permet aux producteurs d’accroître leur superficie exploitée, même si des contraintes financières ou légales les empêchent d’accéder à la propriété (Pant, 1983 et Skoufias, 1995 pour l’Inde ; Carter et Salgado, 2001 pour le Paraguay ; Baland et al., 2007 pour l’Ouganda ; Holden et al., 2009 pour le Kenya, le Malawi et l’Ouganda ; Jin et Jayne, 2013 pour le Kenya ; Chamberlin et Ricker-Gilbert, 2016 et Deininger et al., 2017 sur l’Éthiopie, le Malawi, le Niger, le Nigeria, la Tanzanie, l’Ouganda ; Colin et Bignebat, 2009 sur la Côte d’Ivoire). La flexibilité dans les types et termes des contrats permet de surmonter toute une gamme d’imperfections ou de défaillances des marchés du crédit et de l’épargne, des intrants, des prestations de service, de l’assistance technique, des produits, du travail, etc. (Colin, 2003 ; Baland et al., 2007).
136La prise en FVI peut jouer un rôle clé dans une trajectoire d’accumulation, chez les jeunes agriculteurs sans terre ou chez les migrants. La théorie de l’agricultural ladder (Spillman, 1919 ; voir également Wehrwein, 1958) propose un récit stylisé reposant sur trois étapes successives parcourues par les acteurs dans le secteur agricole : simple travailleur (aide familial ou manœuvre), locataire, puis propriétaire foncier. La littérature sur l’agricultural ladder ne distingue généralement pas entre métayage et location, et considère de fait essentiellement la location. Dans la présentation qu’en fait Colin (2003), l’individu progresserait du statut d’aide familial à celui de manœuvre agricole ou de prestataire de services utilisant le matériel de l’exploitation familiale, puis de métayer, ensuite de locataire, avant d’acquérir de la terre et de la travailler en FVD, puis, sur ses vieux jours, de la céder à son tour en FVI. Au long de cette trajectoire contractuelle, il accumulerait savoir-faire, capital d’exploitation, capital financier et capital social (pour une illustration algérienne, voir Ouendeno et al., 2015).
137Enfin, le FVI peut jouer à plusieurs titres un rôle de rempart contre la décapitalisation et la paupérisation des petits producteurs. La cession en FVI en situation de détresse assure un accès rapide à des liquidités et évite (lorsque le montant du revenu locatif est suffisant) de recourir à une vente de détresse, aux conséquences beaucoup plus graves et souvent irréversibles. La cession en FVI dans une configuration de tenure inversée peut quant à elle permettre de s’engager dans des systèmes de production plus rentables (contrats avec implication du cédant dans la production) et d’accéder à des formes d’apprentissage (voir Bouquet et Colin, 2003 pour un exemple au Mexique).
Enjeux contemporains de politiques publiques
138Les questions d’équité, comme les questions d’efficience, posent des problèmes méthodologiques et de mesure importants, ce qui contribue à la persistance des controverses. Ce sont néanmoins ces deux axes qui fondent les principales justifications et, le cas échéant, les arbitrages, des politiques publiques en matière de marchés fonciers. Ces interventions publiques peuvent se classer dans trois grandes catégories en fonction de leurs finalités : 1) instaurer ou stimuler le marché (via des dispositions légales, mais également des mesures indirectes, par exemple des facilités de crédit ou des dispositifs de circulation de l’information) ; 2) réguler le marché, en fournissant des outils de sécurisation des transactions, en encadrant le niveau des prix, en proposant des mesures d’accompagnement favorisant certains acquéreurs, etc. ; 3) circonscrire le marché, voire l’interdire. Au-delà de la finalité de ces mesures se pose la question de leur faisabilité (technique, administrative et politique), et de leurs conditions d’application effectives.
Marché de l’achat-vente
139Les éléments qui précèdent convergent vers le constat que le marché de l’achat-vente a peu de chance de remplir sa fonction allocative de façon efficiente et équitable dans des contextes d’imperfections majeures des marchés du crédit, des facteurs de production et des produits agricoles, c’est-à-dire dans la plupart des contextes ruraux des pays du Sud (Deininger et Feder, 2001).
140De nombreux pays ont tenté d’interdire ou de réglementer fortement les transactions foncières, de façon générale ou plus spécifiquement dans les grands aménagements hydroagricoles (comme au Mali, au Sénégal, à Madagascar), pour les terres distribuées dans le cadre de réformes agraires (Mexique, Inde, Vietnam, Éthiopie, Algérie, etc.), ou encore pour certaines catégories de population (les communautés villageoises au Zimbabwe, les étrangers au Mexique ou en Algérie). Dans la pratique, cet instrument de politique est extrêmement difficile à appliquer (hors exclusion des étrangers, mais même dans ce cas la pratique des prête-noms permet de détourner la règle) et génère souvent un marché informel. Il peut néanmoins contribuer à contenir le marché de l’achat-vente à un niveau d’activité relativement faible, ou, par ricochet, contribuer à activer le marché du FVI.
141L’option opposée consiste à chercher à fournir les conditions d’activation d’un marché foncier formel. À ce titre, la formalisation légale des droits de propriété est souvent présentée comme un préalable indispensable. Ce chapitre rappelle cependant qu’un marché foncier dynamique peut exister sans droits de propriété formalisés. Le chapitre 10 de cet ouvrage insiste par ailleurs sur les difficultés de mise en œuvre de telles politiques et sur leurs possibles effets induits négatifs.
142Une option intermédiaire est de laisser opérer le marché de l’achat-vente, mais avec des mesures d’accompagnement pour en contrecarrer les effets pervers potentiels : mise en place d’instruments de crédit foncier ciblés sur telle ou telle catégorie (les jeunes, les sans-terre) ; régulation des prix du foncier agricole (prix planchers ou à l’inverse prix plafonnés, observatoire des prix visant à faire circuler l’information, etc.). Des instruments peuvent également être conçus dans l’objectif de favoriser certains types de transferts. Une taxation foncière sur la base des superficies possédées au-delà d’un certain seuil peut inciter les grands propriétaires peu productifs à vendre leur terre. En Inde comme au Mexique, les superficies qu’un individu peut détenir en propriété sont plafonnées et les excédents doivent être mis sur le marché. Néanmoins, les possibilités de contournement et de prête-nom sont nombreuses.
143Toujours dans un registre redistributif, des expériences de réformes agraires assistées par le marché ont été tentées (cf. chap. 11). Elles combinent plusieurs instruments, à la fois pour casser la segmentation du marché induite par la dualité de la distribution foncière (en mettant en relation des gros vendeurs et des petits acheteurs), pour contenir les prix d’achat à des niveaux accessibles, et pour faciliter le financement des achats de terre par des petits producteurs peu ou non dotés en terre. Dans la pratique, ces instruments posent des défis considérables en termes de financement, de mise en œuvre administrative et de politique, et les bilans sont peu concluants. Ainsi, dans le cas sud-africain, l’une des raisons pour lesquelles la redistribution des terres basée sur le marché n’a pas réussi est que les règles gouvernementales existantes ne permettent pas de subdiviser les grandes exploitations commerciales pour créer de plus petites zones à attribuer à de nouveaux utilisateurs. En conséquence, les grandes propriétés sont souvent cédées à des groupes de personnes qui devraient les exploiter collectivement en tant qu’unités agricoles à grande échelle – ce pour quoi elles manquent souvent d’expérience et de formation (Woodhouse, communication personnelle ; voir Lahiff, 2009).
144Un dernier type de mesure concerne la sécurité foncière juridique des acteurs du marché de l’achat-vente. Selon les cas, il s’agit de proposer des solutions d’arbitrage en cas de conflits (via des tribunaux ou d’autres dispositifs), et/ou de mettre en place des dispositifs visant à réduire ex ante l’éventualité d’un conflit, pour les acheteurs, mais aussi pour les vendeurs ou leur famille. Pour les acheteurs, il s’agit généralement de proposer des modalités d’enregistrement formel des achats. À la différence de la formalisation exhaustive des droits fonciers, l’objectif de formalisation des achats est plus réaliste et simple à mettre en œuvre, dans la mesure où l’effort de formalisation porte uniquement sur les transferts, et non sur l’ensemble des parcelles (Colin, 2013). Il est également possible d’agir sur la sécurité des vendeurs (par exemple en s’assurant, dans le cas de personnes analphabètes, qu’elles comprennent les implications du contrat de vente), voire sur la sécurité de la famille des vendeurs (avec par exemple un droit de préemption du conjoint et des enfants du vendeur). À nouveau, l’effectivité de ces dispositifs peut fortement varier selon les contextes socio-économiques et les conditions de fonctionnement de l’administration qui en a la charge.
Marché du faire-valoir indirect
145Le FVI, sous certaines conditions moins irréalistes que pour l’achat-vente, apparaît comme un dispositif de coordination plus flexible, inclusif (hors configuration de tenure inversée) et multifonctionnel, permettant selon les cas de gérer le risque, l’opportunisme, les asymétries d’information et les défaillances de marchés. À la différence du marché de l’achat-vente, qui amplifie les défaillances existant sur d’autres marchés, le FVI fonctionne dans de nombreux cas comme un palliatif. Pourtant, même si les analyses académiques convergent dans le sens d’une réhabilitation de ce type de marché (Sadoulet et al. 2001 ; Deininger, 2003 ; Otsuka, 2007), les aspects potentiellement positifs du FVI sont rarement mis en avant dans les discours de politiques publiques sur les marchés fonciers, et encore plus rarement traduits en actions spécifiques.
146Au cours du xxe siècle, des restrictions fortes ou des interdictions légales ont été promulguées dans nombre de pays, à la suite de réformes agraires. Il s’agissait d’éviter la (re)constitution d’un système d’exploitation de l’homme par l’homme, fonctionnant au bénéfice de grands propriétaires (souvent absentéistes). Le discours de justification est dans ce cas basé sur une vision purement négative du FVI, considéré comme conjuguant inefficacité économique et inéquité (voire oppression) sociale (cf. chap. 11). Ces législations interdisent selon les cas tout mode de FVI, uniquement le fermage, ou encore uniquement le métayage. Ces restrictions légales perdurent parfois jusqu’à nos jours. Lorsqu’elles sont effectives (par exemple en Asie du Sud), des politiques du type « la terre à celui qui la travaille » ou des mesures de contrôle du niveau de la rente foncière ont pour effet de réduire l’offre sur le marché du FVI, et ont donc un impact négatif sur l’accès à la terre pour les producteurs sous contrainte foncière (Holden et Otsuka, 2014). Même si elles sont souvent contournées, comme au Mexique avant 1992 (Colin, 2003 ; Bouquet, 2009), au Vietnam avant 1993 (Kerkvliet, 2006), à Madagascar (Di Roberto et Bouquet, 2019) ou en Algérie (Amichi et al., 2015 ; Daoudi et al., 2017), une insécurité latente peut néanmoins peser sur les conditions de fonctionnement du marché du FVI (Deininger et al., 2017). Les critères de sélection des tenanciers incorporent alors un objectif de réduction du risque de dénonciation et de revendication de la parcelle. Selon les cas, cela exclura des petits tenanciers (et posera donc un problème d’équité), ou des tenanciers porteurs d’innovations, mais considérés comme « à risque » (et posera donc des problèmes d’efficience). Les propriétaires peuvent adopter des pratiques de rotation des tenanciers, indépendamment de critères techniques ou agronomiques, afin d’éviter qu’un constat d’occupation prolongée de la parcelle par un tenancier ne soit retourné contre eux (Bouquet et Colin, 2003). Cela se traduira par une précarité accrue pour les tenanciers, et par de l’inefficience technique (sous-investissement dans la fertilité, etc.).
147Lorsqu’il n’est pas interdit ou fortement réglementé, le faire-valoir indirect, pourtant plus actif que le marché de l’achat-vente dans la plupart des situations, est souvent le parent pauvre, voire le grand absent des réflexions et des dispositifs en matière de politiques publiques.
148Néanmoins, l’État peut ou pourrait endosser un rôle de facilitateur dans le jeu du marché du FVI19, avec deux principaux objectifs. Le premier concerne la sécurité de la tenure, dont on rappelle qu’elle prend des significations très différentes selon qu’on l’applique aux propriétaires (sécurité des droits de propriété) ou aux tenanciers (sécurité des droits d’exploitation). La caractérisation des enjeux et des catégories potentiellement les plus vulnérables doit s’effectuer en tenant compte des configurations contractuelles en présence. En Inde, des politiques de sécurisation des tenanciers ont conduit à augmenter la durée des baux et à favoriser leur transmission d’une génération à la suivante (Deininger et al., 2009)20. Inversement, fournir des garanties aux propriétaires sur la sécurité de leurs droits de propriété peut influer positivement sur la quantité et la qualité des terres offertes sur le marché du FVI (Macours et al., 2010 ; Deininger et al., 2012).
149Le deuxième objectif concerne la sécurité des engagements contractuels. Cet enjeu se renouvelle et prend de l’ampleur lorsqu’on est en présence de contrats de partenariat complexes en matière de partage des coûts et des tâches, lorsque le champ contractuel s’élargit pour intégrer des acteurs extérieurs à la communauté, non liés par des relations personnalisées préexistantes, ou encore dans le cas de déséquilibres socio-économiques manifestes entre les parties, notamment en configuration de tenure inversée. Si cet objectif de sécurité contractuelle fait sens pour permettre au marché du FVI de remplir ses fonctions en matière d’efficience et d’équité, sa traduction en instrument de politique publique et plus encore sa mise en application rencontrent parfois des limites. Il arrive en particulier que des dispositifs de formalisation des engagements contractuels proposés dans certains pays (Mexique par exemple) ne rencontrent guère de succès, les acteurs n’en voyant pas l’intérêt ou jugeant les procédures trop coûteuses ou lourdes administrativement. Surtout, disposer d’un contrat n’est pas suffisant. L’enjeu reste d’accéder à des instances efficientes en cas de conflit.
Conclusion
150À travers ce chapitre, nous avons cherché à introduire le lecteur à la question des marchés fonciers ruraux dans les pays du Sud. L’objectif était de le sensibiliser à l’actualité du thème, tant en termes de développement qu’en termes académiques, et aux enjeux méthodologiques qu’il porte. Nous rappelons en conclusion ces enjeux majeurs, et renvoyons à d’autres chapitres de l’ouvrage pour des traitements complémentaires.
151En termes académiques, la question des marchés fonciers est particulièrement riche. Elle a alimenté et continue de susciter une abondante littérature économique. L’économie des contrats agraires en particulier souligne combien l’analyse des marchés fonciers demande à être mise en rapport avec celle des marchés adjacents – à commencer par le crédit. L’analyse des pratiques foncières marchandes demande également à être mise en rapport avec celle des transferts fonciers non marchands, en tant qu’alternatives possibles (cf. chap. 2). L’extraordinaire polymorphie et la polyfonctionnalité des arrangements institutionnels marchands restent trop souvent ignorées, alors qu’identifier la diversité de ces arrangements (y compris dans leurs liaisons à l’accès à d’autres facteurs) est indispensable s’il s’agit de comprendre, et le cas échéant de théoriser, les pratiques d’acteurs. Les marchés fonciers offrent également l’opportunité d’un retour sur le concept même de « marché », sur l’enchâssement social ou socio-politique des transactions et sur le pluralisme fréquent des normes légales ou sociales qui les régulent ou sont censées les réguler, et vis-à-vis desquelles l’agencéité (la capacité d’action) des acteurs s’exprime dans les contextes les plus divers (voir l’introduction de cet ouvrage). Une perspective diachronique éclaire les conditions du changement institutionnel, parfois des innovations institutionnelles – marchandisation de l’accès à la terre, dynamique ultérieure des arrangements institutionnels et de leurs poids locaux relatifs. Cette dimension temporelle incite à la prudence quant à la portée générale des constats sur la marchandisation de l’accès à la terre (des involutions sont possibles), comme sur sa non-marchandisation (le marché étant toujours susceptible d’émerger si les circonstances évoluent), ou encore quant aux effets structurels des marchés (une concentration foncière peut être suivie d’une fragmentation). Ce chapitre souligne enfin l’intérêt d’une analyse des pratiques foncières marchandes qui intègre la dimension intrafamiliale (le chapitre 2 développe largement cette perspective).
152En termes de méthodes, les pages qui précèdent ont fait apparaître la nécessité d’un questionnement des concepts mobilisés dans la recherche et d’une analyse combinant transferts de droits et transferts d’obligations (cf. chap. 1). Face aux nombreux biais possibles dans la production des données (cf. chap. 5), la vigilance s’impose, et les recherches empiriques fines trouvent leur valeur ajoutée – bien au-delà de leur rôle dans la production d’intuitions théoriques « issues du terrain ». On retrouve, sur le registre des méthodes, un point mentionné précédemment : l’intérêt de distinguer, dans une perspective dynamique, les différents types de transferts fonciers marchands et les différents acteurs concernés. La question de l’efficience des marchés fonciers, centrale dans les analyses économiques, demande une spécification du ou des critères retenu(s) pour la définir et l’évaluer, et demanderait désormais d’y intégrer la question de la durabilité agroécologique (cf. chap. 6). Enfin, notons que les marchés fonciers offrent un champ de mise en œuvre particulièrement fructueux de méthodes mixtes, quantitatives et qualitatives (cf. chap. 5), mais à ce jour ce potentiel est loin d’être réalisé.
153Du point de vue du développement, les enjeux clés, plus que celui de l’efficience, sont ceux de l’incidence des marchés fonciers de l’achat-vente et du FVI en termes d’inclusion-exclusion et concentration foncière (donc en termes de structures foncières de propriété ou d’exploitation, cf. chap. 6 et 9), et en termes de paix sociale susceptible d’être menacée par des dynamiques porteuses de sentiments d’injustice (cf. chap. 8). À cet égard, les éléments apportés dans ce chapitre conduisent à rejeter toute position dogmatique pro- ou anti-marché. Ils appellent à des appréciations indexées sur les situations concernées et fondées sur une base empirique rigoureuse, prenant en compte les profils des acteurs concernés (cédants comme preneurs, effectifs comme potentiels, acteurs locaux comme acteurs allogènes), les ressources productives (foncières et non foncières) dont ils disposent, les systèmes de production, les contraintes de l’environnement naturel, les politiques publiques et le cadre légal, etc. La question des effets positifs ou négatifs, en termes d’équité, du jeu des marchés fonciers reste ainsi une question empirique, avec des réponses potentiellement différentes d’un pays ou d’une région à l’autre, voire au sein même d’une région, et également potentiellement différentes d’une époque à une autre. Sur le registre de l’efficience, un élément rarement considéré est le rôle que peuvent jouer les marchés de l’achat-vente et du FVI comme vecteurs de changements techniques (cf. chap. 6), suppléant ainsi le cas échéant aux carences des dispositifs publics de développement et du système financier formel. Du point de vue des politiques publiques, les points à souligner sont les limites, voire les effets contre-productifs, des politiques prohibant les transactions ; la nécessité de politiques de sécurisation des transactions, en particulier de politiques accompagnant les dynamiques endogènes (cf. chap. 10) ; l’existence de leviers non spécifiquement « fonciers » susceptibles d’influer indirectement sur le jeu des marchés fonciers et des dynamiques de structures : fiscalité, politique de crédit, etc. – en particulier pour mitiger leurs effets négatifs en termes d’équité, si tel est l’objectif. Ces éléments viennent rappeler que le traitement des marchés fonciers par les politiques publiques renvoie fondamentalement, en amont, au modèle de développement agricole mis en avant.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Ageron C.-R., 1968 – Les Algériens musulmans et la France 1871-1919. Paris, PUF.
Alston L. J., Mueller B., 2005 – « Property Rights and the State ». In Ménard C., Shirley M. (eds) : Handbook of New Institutional Economics, Boston, Springer : 573-590.
10.1007/978-3-540-69305-5 :Amanor K., 2010 – Family values, land sales and agricultural commodification in south-eastern Ghana. Africa, 80 (1) : 104-125.
Amblard L., Colin J.-Ph., 2009 – Reverse tenancy in Romania: actors’ rationales and equity outcomes. Land Use Policy, 26 (3) : 828-836.
Amichi H., Bouarfa S., Kuper M., 2015 – Arrangements informels et types d’agriculture sur les terres publiques en Algérie : quels arbitrages ? Revue Tiers Monde, 221 : 47-67.
André C., Platteau J.-Ph., 1998 – Land relations under unbearable stress: Rwanda caught in the Malthusian trap. Journal of Economic Behavior & Organization, 34 : 1-47.
10.1016/S0167-2681(97)00045-0 :Atwood D., 1990 – Land Registration in Africa: The Impact on Agricultural Production. World Development, 18 (5) : 659-671.
Ault D. E., Rutman G. L., 1979 – The development of individual rights to property in tribal Africa. Journal of Law and Economics, 22 (1) : 163-182.
10.1086/466937 :Baland J.-M., Gaspart F., Platteau J.-Ph., Place F., 2007 – The distributive impact of land markets in Uganda. Economic Development and Cultural Change, 55 (2) : 283-312.
10.1086/508717 :Banerjee A. V., Gertler P. J., Ghatak M., 2002 – Empowerment and Efficiency: Tenancy Reform in West Bengal. Journal of Political Economy, 110 (2) : 239-280.
Bardhan P., 1980 – Interlocking Factor Markets and Agrarian Development: a Review of Issues. Oxford Economic Papers, 32 : 82-98.
Barrows R., Roth M., 1990 – Land Tenure and Investment in African Agriculture: Theory and Evidence. The Journal of Modern African Studies, 28 (2) : 265-297.
Bassett T., Crummey D. (eds), 1993 – Land in African Agrarian Systems. Madison, The University of Wisconsin Press.
Bassett T., Koné M., 2008 – « Shifting ground: land competition and agricultural change in northern Côte d’Ivoire ». In Millington A., Jepson W. (eds) : Land-Change Science in the Tropics: The Changing Countryside, Boston, Springer : 143-164.
Basu K., 1986 – The Market for Land. An Analysis of Interim Transactions. Journal of Development Economics, 20 : 163-177.
Béaur G., Chevet J.-M., 2013 – « Institutional changes and agricultural growth ». In Béaur G., Schofield P., Chevet J.-M., Pérez Picazo M.-T. (eds) : Property Rights, Land Markets, and Economic Growth in the European Countryside (Thirteenth-Twentieth Centuries), Turnhout, Brepols Publishers : 19-68.
10.1484/rurhe-eb :Béaur G., Arnoux M., Varet-Vitu A. (éd.), 2003 – Exploiter la terre. Les contrats agraires de l’Antiquité à nos jours. Rennes, Association d’Histoire des Sociétés Rurales.
Berry S., 1993 – No Condition is Permanent. The Social Dynamics of Agrarian Change in Sub-Saharan Africa. Madison, The University of Wisconsin Press.
Berry R., Cline W., 1979 – Agrarian Structure and Productivity in Developing Countries. Baltimore, Johns Hopkins University Press.
Biebuyck D., 1963 – « Introduction ». In Biebuyck D. (ed.) : African Agrarian Systems, Oxford, Oxford University Press : 1-51.
10.3917/afcul.061.0005 :Binswanger H., Rosenzweig M., 1986 – Behavioural and Material Determinants of Production Relations in Agriculture. Journal of Development Studies, 22 (3) : 503-539.
Bliss C., Stern N., 1982 – Palanpur: the Economy of an Indian Village. Oxford, Clarendon Press.
Boué C., Colin J.-Ph., 2018 – Land certification as a substitute or complement to local practices? Securing rural land transactions in the Malagasy highlands. Land Use Policy, 72 : 192-200.
Bouquet E., 2009 – State-led Land Reform and Local Institutional Change: Land Titles, Land Markets and Tenure Security in Mexican Communities. World Development, 37 (8) : 1390-1399.
Bouquet E., Colin J.-Ph., 2003 – « Dynamiques contractuelles, aléa moral et processus d’apprentissage (La Soledad, Tlaxcala) ». In Colin J.-Ph. (éd.) : Figures du métayage : étude comparée de contrats agraires (Mexique), Paris, IRD Éditions : 195-237.
Braverman A., Stiglitz J., 1986 – Cost-Sharing Arrangements under Sharecropping: Moral Hazard, Incentive Flexibility, and Risk. American Journal of Agricultural Economics, 68 : 642-652.
Brokensha D., Glazier J., 1973 – Land reform among the Mbeere of central Kenya. Africa, 43 (3) : 182-206.
10.2307/1158522 :Bruce J. W., 1993 – « Do Indigenous Tenure Systems Constrain Agricultural Development? ». In Bassett T., Crummey E. (eds) : Land in African Agrarian Systems, Madison, The University of Wisconsin Press : 35-56.
Byres T., 1981 – The New Technology, Class Formation and Class Action in the Indian Countryside. Journal of Peasant Studies, 8 (4) : 405-454.
Carmona J., Simpson J., 1999 – The “Rabasa Morta” in Catalan Viticulture: The Rise and Decline of a Long-term Sharecropping Contract, 1670s-1920s. The journal of Economic History, 2 : 290-315.
Carter M., 2003 – Designing land and property rights reform for poverty alleviation and food security. Land Reform, 2003 (2) : 45-57.
Carter M., Mesbah D., 1990 – « Economic Theory of Land Markets and Its Implications for the Land Access of the Rural Poor ». In : The reform of rural land markets in Latin America and the Caribbean: Research, theory, and policy implications (Annexe 1), Madison, Land Tenure Center.
Carter M., Salgado R., 2001 – « Land Market Liberalization and the Agrarian Question in Latin America ». In de Janvry A., Gordillo G., Platteau J.-Ph., Sadoulet E. (eds) : Access to Land, Rural Poverty and Public Action, Oxford, Oxford University Press : 246-278.
10.1093/acprof:oso/9780199242177.001.0001 :Carter M., Zegarra E., 2000 – « Land Markets and the Persistance of Rural Poverty: Post-Liberalization Policy Options ». In Lopez R., Valdes A. (eds) : Rural Poverty in Latin America, New York, St Martin’s Press : 65-85.
Centro de Investigaciones Agrarias, 1970 – Estructura agraria y desarrollo agrícola en México. Mexico, CDIA.
Chamberlin J., Ricker-Gilbert J., 2016 – Participation in rural land rental markets in sub-Saharan Africa: Who benefits and by how much? Evidence from Malawi and Zambia. American Journal of Agricultural Economics, 98 (5) : 1507-1528.
Chauveau J.-P., 2006 – « How does an institution evolve? Land, politics, intergenerational relations and the institution of the tutorat amongst autochtones and immigrants (Gban region, Côte d’Ivoire) ». In Kuba R., Lentz C. (eds) : Land and the politics of belonging in West Africa, Boston, Brill : 213-240.
Chauveau J.-P., Colin J.-Ph., 2010 – Customary transfers and land sales in Côte d’Ivoire: revisiting the embeddedness issue. Africa, 80 (1) : 81-103.
10.3366/E0001972009001272 :Chauveau J.-P., Colin J.-Ph., Jacob J.-P., Lavigne Delville Ph., Le Meur P.-Y., 2006 – Modes d’accès à la terre, marchés fonciers, gouvernance et politiques foncières en Afrique de l’Ouest : résultats du projet de recherche CLAIMS. Londres, IIED.
Cheung S., 1969. – Transaction Costs, Risk Aversion, and the Choice of Contractual Arrangements. Journal of Law and Economics, 12 (1) (2) : 23‑42.
Chimhowu A., Woodhouse P., 2006 – Customary vs private property rights? Dynamics and trajectories of vernacular land markets in Sub-Saharan Africa. Journal of Agrarian Change, 6 (3) : 346-371.
10.1111/j.1471-0366.2006.00125.x :Colin J.-Ph., 1995 – De Turgot à la nouvelle économie institutionnelle : brève revue des théories économiques du métayage. Économie Rurale, 228 : 28-34.
Colin J.-Ph., 1998 – « The emergence of private property in land and the dynamics of agricultural production: a case study from the Ivory Coast ». In Hunt R., Gilman A. (eds) : Property in economic context, Lanham, University Press of America : 317-349.
Colin J.-Ph., 2002 – Contrats agraires ou conventions agraires ? Économie Rurale, 272 : 57-72.
Colin J.-Ph. (éd.), 2003 – Figures du métayage : étude comparée de contrats agraires au Mexique. Paris, IRD Éditions, coll. À travers champs.
Colin J.-Ph., 2005 – Le développement d’un marché foncier ? Une perspective ivoirienne. Afrique Contemporaine, 213 : 179-196.
Colin J.-Ph., 2008 – Disentangling Intra-Kinship Property Rights in Land: A Contribution of Economic Ethnography to Land Economics in Africa. Journal of Institutional Economics, 4 (2) : 231-254.
Colin J.-Ph., 2012 a – Sharecropping in non-traditional agro-export production: The abougnon contract for pineapple cultivation in Côte d’Ivoire. European Journal of Development Research, 24 : 627-643.
Colin J.-Ph., 2012 b – La petite production d’ananas en Côte d’Ivoire : d’une crise à l’autre. Autrepart, 62 : 37-56.
Colin J.-Ph., 2013 – Securing rural land transactions in Africa. An Ivorian perspective. Land Use Policy, 31 : 430-440.
Colin J.-Ph., 2014 – La concentration foncière par la tenure inversée (reverse tenancy). Études rurales, 194 : 203-218.
Colin J.-Ph., 2017 – Émergence et dynamique des marchés fonciers ruraux en Afrique sub-saharienne. Un état des lieux sélectif. Pôle foncier, Montpellier, Les Cahiers du Pôle foncier, 18.
Colin J.-Ph., Ayouz M., 2006 – The Development of a Land Market? Insights from Côte d’Ivoire. Land Economics, 82 (3) : 404-423.
Colin J.-Ph., Bignebat C., 2009 – Le marché des contrats agraires en basse Côte d’Ivoire. Paris, Comité technique « Foncier et développement ».
Colin J.-Ph., Ruf F., 2011 – Une économie de plantation en devenir. L’essor des contrats de Planter-Partager comme innovation institutionnelle dans les rapports entre autochtones et étrangers en Côte d’Ivoire. Revue Tiers Monde, 207 : 169-187.
Colin J.-Ph., Tarrouth G., 2017 – Les élites urbaines comme nouveaux acteurs du marché foncier en Côte d’Ivoire. Géographie, Économie, Société, 19 : 331-355.
Colin J.-Ph., Woodhouse Ph., 2010 – Introduction: Interpreting land markets in Africa. Africa, 80 (1) : 1-13.
10.4000/transalpina.2363 :Colin J.-Ph., Blanchot Ch., Vazquez Garcia E., Navarro Garza H., 2003 – « Réorganisations productives et pratiques foncières sur un périmètre irrigué (Graciano Sanchez, Tamaulipas) ». In Colin J.-Ph. (éd.) : Figures du métayage : étude comparée de contrats agraires (Mexique), Paris, IRD Éditions : 113-157.
Collier P., 1983 – Malfunctioning of African Rural Factor Markets: Theory and a Kenyan Example. Oxford Bulletin of Economics and Statistics, 45 (2) : 141-171.
Colson E., 1971 – « The impact of the Colonial Period on the Definition of Land Rights. Vol. 3, Profiles of change: African society and colonial rule ». In Turner V. (ed.) : Colonialism in Africa, 1870-1960, Cambridge, Cambridge University Press : 193-215.
Congost R., Luna P. (eds), 2018 – Agrarian Change and imperfect property. Turnhout, Brepols.
Cotula L., Oya C., Codjoe E., Eid A., Kakraba-Ampeh M., Keeley J., Kidewa A. L., Makwarimba M., Michago Seide W., Ole Nasha W., Owusu Asare R., Rizzo M., 2014 – Testing Claims about Large Land Deals in Africa: Findings from a Multi-Country Study. Journal of Development Studies, 50 (7) : 903-925.
Daoudi A., Colin J.-Ph., 2017 – « Construction et transfert de la propriété foncière dans la nouvelle agriculture steppique et saharienne en Algérie ». In Guignard D. (éd.) : Propriété et Société en Algérie contemporaine, Aix-en-Provence, Iremam/OpenEdition Books : 158-176.
Daoudi A., Colin J.-Ph., Derderi A., Ouendeno M. L., 2017 – Le marché du faire-valoir indirect vecteur de nouvelles formes d’exploitation dans la néo-agriculture saharienne (Algérie). Géographie, Économie, Société, 19 : 307-330.
Dasgupta S., Knight T., Love A., 1999 – Evolution of Agricultural Land Leasing Models: A Survey of the Literature. Review of Agricultural Economics, 21 (1) : 148-176.
Datta S., O’Hara D., Nugent J., 1986 – Choice of Agricultural Tenancy in the Presence of Transaction Costs. Land Economics, 62 : 145-158.
10.2307/3146333 :Deininger K., 2003 – Land Policies for Growth and Poverty Reduction. A World Bank Policy Research Report. Oxford, Oxford University Press.
Deininger K., Feder G., 2001 – « Land Institutions and Land Markets ». In Gardner B. L., Rausser G. C. (eds) : Handbook of Agricultural Economics, vol. 1 A Agricultural Production, North Holland, Elsevier : 288-324.
Deininger K., Jin S., 2008 – Land Sales and Rental Markets in Transition: Evidence from Rural Vietnam. Oxford Bulletin of Economics and Statistics, 30 (1) : 67-101.
Deininger K., Jin S., Nagarajan H., 2009 – Determinants and Consequences of Land Sales Market Participation: Panel Evidence from India. World Development, 37 (2) : 410-421.
Deininger K., Byerlee D., 2012 – The Rise of Large Farms in Land Abundant Countries: Do They Have a Future? World Development, 40 (4) : 701-714.
Deininger K., Jin S., Yadav V., 2012 – Does sharecropping affect productivity and long-term investment? Evidence from West Bengal’s tenancy reforms. Policy Research Working Paper Series, 6293, The World Bank.
Deininger K., Savastano S., Xia F., 2017 – Smallholders’ land access in Sub-Saharan Africa: A new Landscape? Food Policy, 67 : 78-92.
Demsetz H., 1967 – Toward a Theory of Property Rights. American Economic Review, 57 : 347-359.
Derderi A., Daoudi A., Colin J.-Ph., 2019 – Les entrepreneurs agricoles itinérants dans les zones arides en Algérie : le cas de Rechaïga. Paris, Comité technique « Foncier et développement », AFD/MEAE.
Derouet B., 2001 – Parenté et marché foncier à l’époque moderne : une réinterprétation. Annales HSS, 2 : 337-368.
Di Maggio P., 1990 – « Cultural aspects of economic action and organization ». In Friedland R., Robertson A. F. (eds) : Beyond the Marketplace: rethinking economy and society, New York, Aldine de Gruyter : 113-136.
Di Roberto H., Bouquet E., 2019 – Le rôle de la famille dans la régulation des marchés fonciers à Madagascar. Économie rurale, 366 : 81-96.
Eastwood R., Lipton M., Newell A., 2010 – « Farm Size ». In : Handbook of Agricultural Economics, vol. 4, Elsevier : 3323-3397.
Edja H., 2003 – Les délégations de droits de culture dans le sud du Bénin, modalités et dynamiques. Paris/Londres, Gret/IIED.
Eswaran M., Kotwal A., 1990 – Implications of Credit-Constraints for Risk Behaviour in Less Developed Countries. Oxford Economic Papers, 42 : 473-82.
Feder G., Noronha R., 1987 – Land Rights Systems and Agricultural Development in Sub-Saharan Africa. Research Observer, 2 (2) : 143-169.
Feller L., Wickham C. (éd.), 2005 – Le marché de la terre au Moyen Âge. Rome, École française de Rome.
Fitzpatrick D., 2006 – Evolution and Chaos in Property Rights Systems: The Third World Tragedy of Contested Access. Yale Law Journal, 115 : 996-1048.
Gebregziabher G., Holden S. T., 2011 – Distress rentals and the land rental market as a safety net: contract choice evidence from Tigray, Ethiopia. Agricultural Economics, 42 : 45-60.
Goody J. (ed.), 1958 – The Developmental Cycle in Domestic Groups. Cambridge, Cambridge University Press.
Granovetter M., 1985 – Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness. American Journal of Sociology, 91 (3) : 481-510.
10.2307/j.ctv1f886rp :Guibert M., Sili M., Arbaletche P., Piñero D., Grosso S., 2011 – Les nouvelles formes d’agriculture entrepreneuriale en Argentine et en Uruguay. Économies et Sociétés, série Systèmes agroalimentaires, 33 (10) : 1813-1831.
Guirkinger C., Boucher S., 2008 – Credit constraints and productivity in Peruvian agriculture. Agricultural Economics, 39 : 295-308.
10.1111/j.1574-0862.2008.00334.x :Hagberg S., 2006 – « Money, ritual and the politics of belonging in land transactions in Western Burkina Faso ». In Kuba R., Lentz C. (eds) : Land and the politics of belonging in West Africa, Boston, Brill : 99-118.
Hallaire A., 1991 – Paysans montagnards du Nord-Cameroun: les monts Mandara. Paris, Orstom Éditions, coll. À travers champs.
Hanoteau A., Letourneux A., 2003 [1893] – La Kabylie et les coutumes kabyles. Paris, éditions Bouchene.
Hayami Y., Otsuka K., 1993 – The Economics of Contract Choice. An Agrarian Perspective. Oxford, Clarendon Press.
Hill P., 1956 – The gold coast cocoa farmer. A preliminary survey. London, Oxford University Press.
Hill P., 1963 – The migrant cocoa-farmers of southern Ghana. A study in rural capitalism. Cambridge, Cambridge University Press.
Holden S. T., Otsuka K., 2014 – The roles of land tenure reforms and land markets in the context of population growth and land use intensification in Africa. Food Policy, 48 (0) : 88-97.
Holden S, Otsuka K., Place F. (eds), 2009 – Land Markets in Africa. Impacts on Poverty, Equity and Efficiency. Washington, Resources for the Future.
Jacob J.-P., Le Meur P.-Y., 2010 – « Introduction. Citoyenneté locale, foncier, appartenance et reconnaissance dans les sociétés du Sud ». In Jacob J.-P., Le Meur P.-Y. (éd.) : Politique de la terre et de l’appartenance. Droits fonciers et citoyenneté locale dans les sociétés du Sud, Paris, Karthala : 5-57.
Jacoby H., Mansuri G., 2009 – Incentives, supervision, and sharecropper productivity. Journal of Development Economics, 88 (2) : 232-241.
10.1016/j.jdeveco.2008.07.001 :Jaynes G., 1982 – Production and Distribution in Agrarian Economies. Oxford Economic Papers, 34 (2) : 346-367.
Jaynes G., 1984 – « Economic Theory and Land Tenure ». In Binswanger H., Rosenzweig M. (eds) : Contractual Arrangements, Employment, and Wages in Rural Labor Markets in Asia, New Haven, Yale University Press : 43-62.
Jin S., Jayne T. S., 2013 – Land rental markets in Kenya: implications for efficiency, equity, household income, and poverty. Land Economics, 89 (2) : 246-271.
Johnson O., 1972 – Economic Analysis, the Legal Framework and Land Tenure Systems. The Journal of Law and Economics, 15 (1) : 259-276.
Kassie M., Holden S., 2007 – Sharecropping efficiency in Ethiopia: threats of eviction and kinship. Agricultural Economics, 37 (2-3) : 179-188.
Kerkvliet B., 2006 – Agricultural Land in Vietnam: Markets Tempered by Family, Community and Socialist Practices. Journal of Agrarian Change, 6 (3) : 285-305.
10.1111/j.1469-7580.2007.00715.x-i1 :Kevane M., 1997 – Land tenure and rental in Western Sudan. Land Use Policy, 14 (4) : 295-310.
Kouamé G., 2010 – Land markets and land conflicts: the intra-family and socio-political dimensions. The Abouré case in Côte d’Ivoire. Africa, 80 (1) : 126-146.
Kouassigan G. A, 1966 – L’homme et la terre. Droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique occidentale. Paris, Orstom Éditions.
Lahiff E., 2009 – « Land Redistribution in South Africa ». In Binswanger-Mkhize H., Bourguignon C., van der Brink R. (eds) : Agricultural Land Redistribution. Toward Greater Consensus, Washington, DC, The World Bank : 169-200.
10.1596/27168 :Lavigne Delville Ph., 2003 – « When farmers use “pieces of paper” to record their land transactions in francophone rural Africa: Insights into the dynamics of institutional innovation ». In Benjaminsen T., Lund C. (eds) : Securing land rights in Africa, London, Frank Cass & Co. : 89-108.
Lavigne Delville Ph., Toulmin C., Colin J.-Ph., Chauveau J.-P., 2003 – L’accès à la terre par les procédures de délégation foncière (Afrique de l’Ouest rurale) : modalités, dynamiques et enjeux. Paris, IIED/Gret, 214 p.
Lavigne Delville Ph., Colin J.-Ph., Ka I., Merlet M., avec des contributions de Kouamé G., Koudougou S., Ouatara B. F., 2017 – Étude régionale sur les marchés fonciers ruraux en Afrique de l’Ouest et les outils de leur régulation, rapport final. Dakar, UEMOA/IPAR.
Lehmann D., 1986 – Sharecropping and the Capitalist Transition in Agriculture. Some Evidence from the Highlands of Ecuador. Journal of Development Economics, 23 : 333-354.
Luna P., Mignemi N. (dir.), 2017 – Prédateurs et résistants. Appropriation et réappropriation de la terre et des ressources naturelles (16e-20e siècle). Paris, Editions Syllepse.
Lyne M., Roth M., Troutt B., 1997 – « Land Rental Markets in Sub-Saharan Africa: Institutional Change in Customary Tenure ». In Rose R., Tanner C., Bellamy M. A. (eds) : Issues in agricultural competitiveness: markets and policies, Dartmouth Publishing Company : 58‑67.
Macours K., De Janvry A., Sadoulet E., 2010 – Insecurity of property rights and social matching in the tenancy market. European Economic Review, 54 (7) : 880-899.
Mathieu P., 2001 – « Transactions informelles et marchés fonciers émergents en Afrique ». In Benjaminsen T., Lund C. (eds) : Politics, property and production in the West African Sahel. Understanding natural resource management, Uppsala, Nordic Africa Institute : 22-39.
Mathieu P., Zongo M., Paré L., 2002 – Monetary Land Transactions in Western Burkina Faso: Commoditisation, Papers and Ambiguities. The European Journal of Development Research, 1 (2) : 109-128.
McAleavy H., 1958 – Dien in China and Vietnam. Journal of Asian Studies, 17 (3) : 403-415.
10.2307/2941424 :Milliot L., 1911 – L’association agricole chez les Mulsulmans du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie). Paris, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence Arthur Rousseau.
Murrell P., 1983 – The economics of sharing: a transaction cost analysis of contractual choice in farming. Bell Journal of Economics, 14 : 283-293.
Otsuka K., 2007 – « Efficiency and equity effects of land markets ». In Evenson R. E., Pingali P. (eds) : Handbook of Agricultural Economics, Elsevier : 2671-2703.
Otsuka K., Chuma H., Hayami Y., 1992 – Land and Labor Contracts in Agrarian Economies: Theories and Facts. Journal of Economic Literature, 30 : 1965-2018.
Ouendeno M. L., Daoudi A., Colin J.-Ph., 2015 – Les trajectoires des jeunes dans la néo-agriculture saharienne (Biskra, Algérie) revisitées par la théorie de l’agricultural ladder. Cahiers Agricultures, 24 (6) : 396-403.
Pant C., 1983 – Tenancy and Family Resources. A Model and Some Empirical Analysis. Journal of Development Economics, 12 : 27-39.
Pescay M., 1998 – « Transformation des systèmes fonciers et “transition foncière” au Sud-Bénin ». In Lavigne Delville Ph. (éd.) : Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité, Paris, Karthala : 131-156.
Platteau J.-Ph., 1996 – The evolutionary theory of land rights as applied to Sub-Saharan Africa: A critical assessment. Development and change, 27 : 29-86.
Platteau J.-Ph., 2000 – Institutions, Social Norms, and Economic Development. Amsterdam, Harwood Academic Publishers.
Polanyi K., 1983 [1944] – La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps. Paris, Gallimard.
Rose C., 1994 – New Perspectives on Law, Culture, and Society. Boulder, Westview Press.
Ruf F., 2010 – “You Weed and We’ll Share”. Land Dividing Contracts and Cocoa Booms in Ghana, Côte d’Ivoire and Indonesia. Montpellier, Cirad/GTZ.
Sadoulet E., De Janvry A., Fukui S., 1997 – The meaning of kinship in sharecropping contracts. American Journal of Agricultural Economics, 79 (2) : 394-406.
Sadoulet E., Murgai R., De Janvry A., 2001 – « Access to Land via Land Rental Markets ». In De Janvry A., Gordillo G., Platteau J.-Ph., Sadoulet E. (eds) : Access to Land, Rural Poverty, and Public Action, Oxford, Oxford University Press : 196-229.
10.1093/acprof:oso/9780199242177.001.0001 :Samuels W., 1989 – The Legal-Economic Nexus. George Washington Law Review, 57 (6) : 1556-1578.
10.4324/9780203964675 :Sandron F. (éd.), 2008 – Population rurale et enjeux fonciers à Madagascar. Antanarivo/Paris, CITE/Karthala.
Schmid A., 1987 – Property, Power & Public Choice. An Inquiry into Law and Economics. New York, Praeger.
Scott J., 1976 – The moral economy of the peasant. Rebellion and subsistence in Southeast Asia. New Haven, Yale University Press.
Segers K., Dessein J., Hagberg S., Teklebirhan Y., Haile M. et al., 2010 – Unravelling the dynamics of access to farmland in Tigray, Ethiopia: The ‘emerging land market’ revisited. Land Use Policy, 27 (4) : 1018-1026.
Sharma N., Drèze J., 1996 – Sharecropping in a North Indian Village. Journal of Development Studies, 33 : 1-39.
10.1080/00220389608422451 :Simmance A. J. F., 1961 – Land Redemption Among the Fort Hall Kikuyu. Journal of African Law, 5 (2) : 75-81.
10.1017/S0021855300003314 :Singh N., 1989 – « Theories of Sharecropping ». In Bardhan P. (ed.) : The Economic Theory of Agrarian Institutions, Oxford, Clarendon Press : 33-71.
Sjaastad E., 2003 – Trends in the emergence of agricultural land markets in Sub-Saharan Africa. Forum For Development Studies, 1 : 5-28.
Skoufias E., 1995 – Household Resources, Transaction Costs, and Adjustment through Land Tenancy. Land Economics, 71 (1) : 42-56.
Spillman W., 1919 – The Agricultural Ladder. American Economic Review, 9 : 170-179.
Stiglitz J., 1974 – Incentives and Risk Sharing in Sharecropping. Review of Economic Studies, 41 (2) : 219-255.
10.2307/2296714 :Swinnen J, Vranken L., 2007 – Patterns of Land Markets Developments in Transition. Leuven, Katholieke Universiteit Leuven.
Teklu A., Lemi A., 2004 – Factors affecting entry and intensity in informal rental rental land markets in Southern Ethiopian highlands. Agricultural Economics, 30 : 117-128.
Testart A., 1997 – Les trois modes de transfert. Gradhiva, 21 : 39-58.
10.3406/gradh.1997.920 :Wehrwein C., 1958 – An Analysis of Agricultural Ladder Research. Land Economics, 34 (4) : 329-337.
Notes de bas de page
1 Dans ce chapitre, « contrat » désigne tout accord bilatéral, même non formalisé.
2 Outre les références citées au fil du texte, limitées du fait de la contrainte de volume, ce chapitre reprend largement des éléments de travaux antérieurs des auteurs, sans systématiquement y faire référence.
3 Selon Cotula et al. (2014), la majorité des grandes acquisitions prennent la forme de concessions de long terme par les États (ou des sous-entités territoriales) à des investisseurs nationaux ou étrangers. Ce cas de figure renvoie à un dispositif d’allocation de la terre via la puissance publique et n’entre pas dans l’objet de ce chapitre (cf. chap. 9).
4 Nous utilisons ce terme générique pour désigner les acteurs prenant des terres en faire-valoir indirect (locataires et métayers).
5 Comme la dimension conventionnelle des arrangements fonciers, cf. infra.
6 Le chapitre 6 revient sur la question de la marchandisation de la terre, sous le prisme des rapports entre dynamiques foncières et dynamiques productives.
7 Voir par exemple, avec un focus dominant sur l’Afrique subsaharienne, Ault et Rutman (1979), Feder et Noronha (1987), Bassett et Crummey (1993), Berry (1993), Platteau (1996), Deininger et Feder (2001), Sjaastad (2003), Chimhowu et Woodhouse (2006), Colin et Woodhouse (2010), Colin (2017), ainsi que les nombreuses références mobilisées par ces textes.
8 Des ventes à réméré existaient également dans la France de l’Ancien Régime. Notons par ailleurs que la rétrocession ne présente pas un caractère automatique ; dans la France de l’Ancien Régime, cette rétrocession avait rarement lieu (G. Béaur, communication personnelle).
9 Ces dernières étant souvent socialement acceptées dans des contextes où les achats-ventes sont prohibés ou réprouvés.
10 Pour une revue des cadres légaux relatifs aux transactions foncières en Afrique de l’Ouest rurale, très largement inopérants, voir Lavigne Delville et al. (2017).
11 Qualifié de retrait lignager dans la France de l’Ancien Régime (Derouet, 2001).
12 Dans ce texte, nous utilisons « location » et « fermage » comme synonymes. Plutôt que « métayage », on peut opter pour un terme moins « chargé » historiquement, le contrat à part de fruits. Notons que les historiens utilisent « fermage » pour désigner un accès à la terre contre une redevance fixe, et « location » comme terme générique intégrant fermage et contrats à part de fruits. La collection de textes réunis par Béaur et al. (2003) offre une excellente illustration de la diversité des contrats agraires, essentiellement dans une perspective européenne historique. Voir également Congost et Luna (2018) pour une lecture, dans le cadre européen des xviie-xixe siècles, de l’emphytéose. Ils qualifient ainsi une diversité d’arrangements institutionnels caractérisés par un transfert de droits d’usage dans la longue durée (voire perpétuel), avec une possibilité de transfert de ce droit par le preneur via l’héritage ou une transaction marchande.
13 Alors qu’elles sont la règle par exemple en France, avec la loi du fermage qui remonte aux années 1960.
14 Dans ce texte, le terme de « propriétaires » est utilisé par commodité pour désigner les vendeurs ou les cédants en FVI, même dans les situations où ceux-ci ne maîtrisent pas l’ensemble du faisceau de droits définissant une propriété privée – en particulier des possesseurs coutumiers ou des attributaires de terre dans le cadre de réformes agraires.
15 Ainsi qu’en France et en Espagne, avec les baux à complants dans la viticulture (comme le contrat de rabasa morta en Catalogne, Carmona et Simpson, 1999). Ces contrats sont interprétés comme des formes d’emphytéose dans les textes rassemblés par Congost et Luna (2018).
16 Ces deux premiers éléments ne sont pas pris en compte en économie des contrats agraires (voir par exemple Cheung, 1969 ; Murrell, 1983 ; Datta et al., 1986), qui considère les droits de propriété bien établis et leurs titulaires bien identifiés.
17 Cette formalisation est souvent également vue comme indispensable à l’activation des marchés fonciers. Un marché foncier dynamique peut cependant exister sans droits de propriété formalisés (Platteau, 1996 ; Kevane, 1997 ; Edja, 2003 ; Colin et Ayouz, 2006 ; Colin et Bignebat, 2009) – y compris, nous l’avons noté, lorsque ce marché est illégal (André et Platteau, 1998 ; Colin, 2003).
18 Le partage des coûts est le plus souvent analysé, en économie des contrats agraires, comme une incitation vis-à-vis d’un usage efficient des intrants ; dans une telle logique, il y a partage des coûts parce qu’il y a partage du produit. Jaynes (1982) renverse cette causalité : c’est parce que les coûts doivent être partagés que s’impose le métayage (ce partage résultant de contraintes dans les dotations en facteurs de production, dans un contexte d’imperfection des marchés de ces facteurs).
19 À l’image de ce qui a été entrepris en France après la Seconde Guerre mondiale.
20 Dans l’État du Bengale Occidental, en Inde, la législation édictée après l’indépendance pour sécuriser les droits des métayers et limiter le niveau de la rente était restée sans effet du fait de nombreux contournements, en particulier quant au droit de reprise de la terre par les propriétaires. Un changement de gouvernement au niveau de l’État en 1977 a conduit à une mise en œuvre plus effective de ces mesures, avec des effets notables en termes de sécurisation des droits d’exploitation des métayers et d’efficience productive (Banerjee et al., 2002).
Auteurs
Économiste institutionnaliste, directeur de recherche à l’IRD (UMR Sens), cofondateur du Pôle foncier de Montpellier. Ses travaux actuels portent sur les dimensions intrafamiliales de l’accès à la terre, les marchés fonciers ruraux et les contrats agraires, les impacts locaux des politiques foncières, les rapports entre dynamiques foncières et dynamiques productives. Il travaille ces thèmes avec des partenaires des universités Félix Houphouët-Boigny et Alassane-Ouattara en Côte d’Ivoire, et de l’École nationale supérieure agronomique en Algérie.
Économiste au Cirad. Elle mène des recherches sur les conditions de vie des ménages ruraux dans les pays du Sud, en privilégiant un travail de terrain basé sur des méthodes mixtes et le dialogue entre disciplines. Les questions foncières (nature et sécurité des droits de propriété, formels et informels, accès marchand et non marchand à la terre, contrats agraires) occupent une place importante dans son travail de recherche et d’encadrement d’étudiants.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le monde peut-il nourrir tout le monde ?
Sécuriser l’alimentation de la planète
Bernard Hubert et Olivier Clément (dir.)
2006
Le territoire est mort, vive les territoires !
Une (re)fabrication au nom du développement
Benoît Antheaume et Frédéric Giraut (dir.)
2005
Les Suds face au sida
Quand la société civile se mobilise
Fred Eboko, Frédéric Bourdier et Christophe Broqua (dir.)
2011
Géopolitique et environnement
Les leçons de l’expérience malgache
Hervé Rakoto Ramiarantsoa, Chantal Blanc-Pamard et Florence Pinton (dir.)
2012
Sociétés, environnements, santé
Nicole Vernazza-Licht, Marc-Éric Gruénais et Daniel Bley (dir.)
2010
La mondialisation côté Sud
Acteurs et territoires
Jérôme Lombard, Evelyne Mesclier et Sébastien Velut (dir.)
2006