Introduction
Analyser et comprendre les dynamiques foncières rurales contemporaines dans les pays du Sud
p. 13-40
Texte intégral
1Produit d’un travail collectif d’élaboration mené au sein du Pôle foncier de Montpellier1, cet ouvrage propose un état des lieux des savoirs en sciences sociales sur les dynamiques foncières et les liens entre foncier2 et développement rural dans les pays du Sud. Il se veut un outil de travail pour tous ceux qui, étudiants, chercheurs ou praticiens, spécialistes du foncier ou le rencontrant à l’occasion de travaux menés dans une autre perspective, souhaitent approfondir leur compréhension des questions foncières et mieux cerner leurs liens avec leur objet d’étude ou d’intervention. C’est pourquoi, alors que la majorité des ouvrages collectifs sur le foncier sont constitués d’études de cas3, celui-ci est organisé en chapitres thématiques, qui proposent un large état de la question.
2S’appuyant sur les travaux menés par les auteurs eux-mêmes et sur une abondante littérature académique francophone, anglophone et hispanophone, les textes rassemblés proposent des synthèses sur les principaux thèmes abordés par la recherche sur les questions foncières, depuis les pratiques et dynamiques locales (l’évolution des droits sur la terre et ses ressources, les dimensions intrafamiliales du foncier, les marchés fonciers, les conflits pour la terre, etc.), jusqu’aux politiques publiques (les réformes agraires, les programmes de formalisation des droits sur la terre), en passant par les enjeux de méthode de recherche et par ceux de l’expertise foncière. Chacun propose une mise en dialogue critique entre les questionnements, les catégories d’analyse et les résultats proposés par la littérature, d’une part, et les réflexions qui ont été produites au sein du Pôle foncier, de l’autre. Tout en provenant de disciplines différentes (économie, sociologie, anthropologie et géographie principalement) et travaillant sur des terrains variés (Afrique de l’Ouest, Maghreb, Madagascar, Amérique latine, Océanie), les auteurs partagent une même posture épistémologique, consolidée par plus de dix années d’échanges.
3Nous revenons dans cette introduction sur les enjeux scientifiques et politiques d’une compréhension des dynamiques foncières dans les mondes ruraux contemporains, avant de préciser le positionnement de l’ouvrage, puis son contenu.
Les enjeux scientifiques et politiques d’une compréhension des dynamiques foncières
Les enjeux du foncier rural dans les dynamiques agraires et les trajectoires étatiques
4Les sociétés rurales des pays du Sud traversent depuis plusieurs décennies des bouleversements profonds, sous les effets de leur croissance démographique, des changements environnementaux, de la « désagrarisation » de leurs économies, ou encore de l’intensification des mobilités. L’accès à la terre, son contrôle et ses usages demeurent des dimensions centrales de leurs dynamiques économiques, sociales et politiques. Les enjeux de développement associés aux questions foncières sont d’autant plus prégnants que ces sociétés sont soumises à des pressions d’exclusion qui, sans être nouvelles, sont de plus en plus aiguës, du fait des concurrences qu’elles subissent (extension de l’agrobusiness, de l’urbanisation, des mines, des programmes de conservation), alors que les politiques agricoles et foncières elles-mêmes induisent parfois des dynamiques accrues de différenciation et d’exclusion.
5Cette prégnance de la question foncière est à mettre en rapport non seulement avec les fonctions productives de la terre, mais aussi avec les multiples dimensions qu’elle revêt dans les processus de reproduction et de changement social : constitutive du patrimoine et du lien entre générations au sein des groupes familiaux et des communautés locales ; fondement de la légitimité et des hiérarchies socio-politiques dans de nombreux contextes ; objet de nouvelles convoitises dans le cadre des dynamiques de globalisation (grands investissements agricoles, extractifs ou d’infrastructures ; conservation ou restauration environnementale ; construction de logements et d’aménagements urbains ; blanchiment de capitaux illicites ; garantie de prêts ; bases de revendications pour la formation de nouvelles entités territoriales et politiques ; etc.).
6Si nous le définissons comme l’ensemble des rapports sociaux entre les hommes à propos de la possession et de l’usage de la terre, ainsi que du contrôle de cet usage, alors le foncier doit être abordé comme un opérateur central des rapports sociaux et des systèmes de gouvernance à leurs différents niveaux d’organisation, depuis la famille jusqu’aux archipels d’activités et d’échanges liant celle-ci aux diasporas migrantes, depuis les structures villageoises jusqu’aux organisations internationales où se définissent les doctrines globales, en passant par les instances politiques et étatiques nationales, et les échelons administratifs (communes, territoires autonomes…) qui maillent le territoire, ou encore depuis les exploitations agricoles jusqu’aux structures de projet et de marché qui orientent les dynamiques productives. Le foncier a notamment constitué un déterminant majeur de la trajectoire de construction des États et de leurs relations avec les pouvoirs locaux. Contrôler le territoire, octroyer des droits sur la terre font partie des enjeux centraux d’institutionnalisation et de légitimation des États, au carrefour de l’économie politique, des intérêts des élites et du contrôle administratif des populations. Les politiques foncières sont un révélateur en même temps qu’un opérateur essentiel des processus de formation des États.
7Le foncier se trouve aussi au croisement de grandes questions que les processus de globalisation en cours recomposent :
- la souveraineté alimentaire et la capacité des sociétés des pays du Sud à répondre aux enjeux d’approvisionnement en aliments sains et accessibles, alors que des usages concurrents des terres (productions minières et agro-exportatrices, urbanisation, etc.) peuvent menacer cette capacité ;
- l’intégration sociale et économique des nouvelles générations et la réduction de la pauvreté rurale, alors que la croissance démographique demeure forte dans de très nombreuses régions et que les pressions économiques et financières sur les terres agricoles augmentent ;
- la conservation des ressources naturelles, alors que les pressions productives et résidentielles sur les terres et les conséquences du changement climatique global les menacent ;
- le développement et les effets déstructurants des conflits violents, dont les liens avec la question foncière sont souvent avérés.
8Ces enjeux de la gouvernance foncière, nouvellement mis en avant dans l’actualité, se croisent avec ceux qui ont marqué les rapports historiques entre l’évolution des régimes fonciers et les trajectoires de développement sous différents angles : du point de vue des dynamiques des ressources naturelles (sols, eaux, forêts, minerais, biodiversité) ; au regard de la distribution des richesses, de la pauvreté, de l’exclusion sociale et des inégalités territoriales ; du point de vue de l’évolution des régimes politiques, de leur ouverture démocratique et de leur stabilité ; au regard des rapports de gouvernance entre État et communautés rurales, société nationale et minorités ethniques ou religieuses.
Le foncier dans les enjeux de développement et les débats de politique publique
9La question du contrôle de la terre, de son accès et de ses usages, celle de la distribution des droits fonciers entre les acteurs sont au cœur des débats sur les politiques publiques et sur le « développement »4. À travers la question des inégalités et le thème de la réforme agraire, le foncier a été au cœur de l’agenda du développement entre les années 1930 et 1970. Le tournant néolibéral a mis en veilleuse cette dimension et c’est celle du marché foncier et de la formalisation des droits sur la terre qui a pris la suite, à partir des années 1980. Plus récemment, la vague des grandes acquisitions foncières a relancé le débat sur les structures d’exploitation et les atouts et limites des très grandes exploitations ; les usages de la terre sont également des objets d’attention majeure pour les politiques de conservation de la biodiversité et de contention du changement climatique. Le foncier s’impose ainsi depuis plusieurs décennies comme un objet central des politiques et des projets de développement ; il est même de plus en plus souvent intégré comme une composante incontournable des dispositifs sécuritaires ou de sortie des conflits civils violents.
10Le foncier est en effet un champ de mise en connexion des diverses politiques sectorielles et des différentes approches et dimensions du développement (croissance économique, résilience sociale, gouvernance politique, conservation environnementale). Les politiques foncières ont leurs logiques et leurs instruments propres, mais elles sont aussi au service d’autres politiques, de développement agricole et rural, d’environnement, d’aménagement, etc. Les dynamiques foncières et les politiques à incidence foncière sont de ce fait l’objet d’enjeux et de débats qui traversent les sphères académiques et politiques et ont fréquemment une lourde charge idéologique.
11Les principales controverses qui traversent actuellement les débats de politiques foncières portent ainsi sur la nature et le contenu des droits de propriété à promouvoir, sur les dispositifs de sécurisation de ces droits et, de façon transversale, sur le rapport entre les dimensions collectives et individuelles des droits fonciers, sur la pluralité des normes5 (reconnaissance vs volonté de la supprimer), et donc sur la conception du droit et la nature et la localisation des instances chargées de leur régulation et de l’arbitrage des conflits (étatique vs communautaire ; coutumière vs juridique). Ces controverses concernent bien entendu, aujourd’hui comme hier, la distribution de la terre, en termes de possession et d’usage, et les incidences de cette distribution sur l’équité sociale et l’efficience économique, ainsi que la légitimité politique des autorités qui organisent cette distribution. Derrière les controverses sur les politiques foncières et leurs orientations sont en débat non seulement des options économiques et productives, mais aussi des choix de société et de régime de gouvernance, concernant les rapports entre l’État, les citoyens et les collectifs sociaux, le degré socialement acceptable d’inégalité, les fondements de la régulation sociale et, finalement, la nature de l’État et les conceptions de la citoyenneté dans le monde contemporain.
Les enjeux académiques de la réflexion contemporaine sur le foncier
12L’intérêt des recherches sur le foncier rural au Sud dépasse ce seul champ géographique et leur contribution aux questions de développement. Ces recherches portent des enjeux théoriques plus généraux, comme ceux qui entourent la question des droits de propriété, de leurs conditions d’exercice et de leur dynamique. Les analyses empiriques de l’évolution des droits de propriété mettent l’accent sur la diversité des fonctions qui leur sont associées et des régulations, selon les espaces et les rapports entre prérogatives individuelles et régulations collectives. Ce qui bat en brèche une lecture mécaniste du changement institutionnel.
13Ces recherches contribuent également à la réflexion épistémologique, méthodologique et conceptuelle en sciences sociales. Parce qu’ils se sont confrontés à des situations complexes, où les notions et les catégories sont problématiques, les travaux menés au Sud apportent des clés d’analyse et des concepts utiles dans d’autres contextes. Ils ont de longue date questionné la notion de propriété, mis en évidence la régularité et la diversité des régimes d’accès partagé aux ressources (les « communs »), dénoncé les lectures restrictives des droits fonciers inspirées des catégories du Code civil. Ils soulignent la multiplicité des formes d’articulation et d’imbrication entre droits individuels et collectifs, entre régulations de type marchand, étatique ou communautaire. Ils ont permis d’approfondir et d’opérationnaliser la notion de faisceau de droits6, de poser comme un enjeu scientifique et politique la question de la pluralité des normes et des systèmes d’autorité de régulation, ou encore le rapport entre « formel » et « informel » dans la régulation des droits fonciers et de leur transfert. Ils alimentent ainsi les débats contemporains autour de la propriété et de la notion de communs, à partir d’un riche corpus théorique et empirique.
Une approche institutionnelle, compréhensive et processuelle des questions foncières rurales dans les pays du Sud
Une entrée par le « foncier rural »
14Se donner pour champ de réflexion le foncier rural ne signifie pas s’enfermer dans le rural. Les frontières de ce qui relève du « rural » sont doublement incertaines. Tout d’abord, spatialement, les limites entre rural et périurbain sont souvent brouillées et on observe des interpénétrations croissantes, depuis la diffusion des activités d’assemblage industriel dans les localités rurales jusqu’à l’agriculture urbaine. La mobilité des ressortissants de communautés villageoises et l’imbrication des systèmes économiques ruraux et urbains, la « désagrarisation » communément observée des territoires ruraux sous l’effet du développement économique et des mobilités ont également gommé certaines spécificités agraires des sociétés rurales. Par ailleurs, les acteurs de ces sociétés ne sont pas seulement des producteurs ruraux, agriculteurs, éleveurs, etc. : la pluri-activité est de plus en plus la norme, et des porteurs d’intérêts qui ne sont pas, ne sont plus ou ne sont pas seulement des paysans attachés à la terre interviennent dans les enjeux fonciers : migrants, citadins originaires des communautés rurales qui y conservent des liens, politiciens, entrepreneurs agro-industriels, etc. Dans l’esprit des contributeurs de cet ouvrage, « rural » désigne simplement un champ empirique de recherche, sans préjuger d’une essence « ruraliste » des phénomènes observés.
15S’il n’y a pas de démarcation claire entre rural et urbain, la question de la spécificité d’un regard « ruraliste » se pose. On peut faire l’hypothèse qu’un certain nombre des déterminants des pratiques foncières sont transverses aux milieux ruraux et urbains. Ces variables voient cependant leur poids relatif évoluer suivant un gradient dont les pôles définissent des contextes problématiques distincts quant à la façon de poser les questions foncières et les angles de leur analyse. Au pôle « rural », la dimension « communautaire » (au sens de fortement contrainte par, enchâssée dans des rapports de parenté biologique, politique et symbolique et des relations de voisinage proche) fonde le caractère « semi-autonome »7 du champ foncier, c’est-à-dire d’un champ social inscrit dans un contexte qui le dépasse mais qui fonctionne en référence à des normes produites de façon largement endogène. À l’autre extrémité du spectre (le pôle « urbain »), même si des centres-villes peuvent demeurer « coutumiers » dans de nombreuses régions du monde et si l’informel est souvent très prégnant, au moins dans les périphéries urbaines, les droits fonciers s’organisent davantage autour de régimes de propriété privée et la régulation foncière relève plus systématiquement d’une autorité publique – en d’autres termes, d’un système institutionnel où les dispositions légales et les règles administratives pèsent plus qu’en milieu rural, quand bien même demeurent des caractéristiques de semi-autonomie du champ foncier local. Un traitement distinctif du foncier rural se justifie d’autant plus que l’on s’intéresse à une ressource physique dont les dimensions productives sont incontournables pour comprendre les enjeux, les arrangements institutionnels et les logiques d’acteurs qui pèsent sur son accès, son contrôle et ses usages.
Le foncier rural « au Sud » : un objet spécifique ?
16Partout dans le monde, le foncier est un enjeu de sens, de pouvoir et de richesse (Shipton et Goheen, 1992), aux dimensions indissolublement identitaires, politiques et économiques. Partout dans le monde, les modes d’accès à la terre conditionnent les activités agricoles et les inégalités foncières sont partie intégrante des inégalités socio-économiques. La spécificité de la question foncière « au Sud » – et donc la légitimité d’un ouvrage centré sur ces contextes – ne va donc pas de soi.
17Le label « Sud » a émergé pour remplacer celui de « en développement », connoté idéologiquement selon une conception où les « pays développés » représenteraient le modèle à suivre et l’aboutissement du processus de « transition ». Le label « Sud » se veut non normatif, plus descriptif de configurations spécifiques. Il regroupe cependant un ensemble de pays aux histoires, aux trajectoires et aux niveaux économiques hétérogènes, et aux localisations géographiques variées sur la planète – et renvoie donc à des problématiques foncières très diverses.
18Au-delà de cette diversité, la spécificité des situations du ou des « Sud(s) » – en dehors de la Chine, jamais véritablement colonisée et dont le rattachement à cet ensemble apparaît plus discutable que jamais – tient au fait que les questions foncières s’y présentent de façon bien différente qu’elles ne le font généralement dans les pays dits « du Nord ».
19La première raison est que les dimensions économiques et sociales de la terre y sont plus étroitement imbriquées, essentiellement parce que l’État n’y assume pas, ou seulement de façon très marginale, la prise en charge du lien social par le biais d’institutions spécifiques (l’impôt et sa redistribution, la régulation des rapports de salariat, l’assistance sociale, etc.), de sorte que les fonctions économiques ne sont pas « désenchâssées » des fonctions sociales, comme c’est le cas général dans les pays du Nord. De nombreuses sociétés rurales du Sud conservent de ce fait, à des degrés très variables et parfois malgré des politiques qui cherchent à les démanteler, des structures et des relations « communautaires » que les évolutions sociales et politiques qu’ont connues les pays occidentaux ont largement affaiblies, à défaut de les éliminer totalement.
20Une deuxième raison, liée directement à la précédente, réside dans le dualisme légal qui prévaut dans les pays du Sud, entre les terres objets de droits régulés par l’État, selon des régimes juridiques généralement hérités de leur histoire coloniale, et celles qui relèvent de droits de propriété « locaux », « coutumiers », régis par des autorités locales, suivant des normes qui, sans être indépendantes, demeurent partiellement autonomes vis-à-vis des cadres officiels de régulation8. Ces régulations locales peuvent conduire à des pratiques « informelles » (au sens de non enregistrées par les services de l’État ou par des corps de métier homologués par l’État, comme les notaires), qui peuvent être illégales (prohibées par le droit positif) ou « extra-légales » (non reconnues par le cadre légal, mais non prohibées).
21Une troisième raison renvoie aux politiques menées dans certains pays, souvent au cours de la période de domination coloniale, parfois après celle-ci, qui ont visé à permettre la mise en place de grands domaines sur les terres les plus fertiles et les plus facilement accessibles, à travers le déplacement et parfois l’expulsion violente des populations qui les occupaient. Ces politiques ont eu des effets particulièrement déstructurants pour les sociétés locales. Le développement de grands domaines a conduit à la construction d’une agriculture duale, qui perdure encore aujourd’hui. Avec les indépendances, leurs terres ont souvent été nationalisées, comme en Afrique et en Asie du Sud-Est, en particulier dans les régimes socialistes, puis accaparées par les nouvelles élites, mais rarement redistribuées à la paysannerie.
22Une quatrième raison de la singularité des questions foncières dans les pays du Sud tient dans l’importance des fronts pionniers, qui s’explique autant par les inégalités de peuplement que par la façon dont les migrations, spontanées ou organisées par l’État, ont permis de réguler les inégalités d’accès à la terre qui résultaient de cette structuration duale du secteur agricole.
23Ces traits saillants définissent des spécificités quant aux façons dont les questions foncières se posent dans les pays du Sud : le dualisme de l’agriculture et celui du cadre normatif ; les très fortes inégalités foncières ; les liens souvent étroits entre appartenance sociale et accès aux ressources ; la politisation fréquente de l’accès à la terre, son rôle dans le clientélisme politique et la fréquence des articulations entre conflits fonciers et violences civiles. L’implantation inégale et la légitimité fragile de l’État et du droit étatique, d’une part, les mécanismes de création « par le haut » de la propriété légale, dans une logique inverse des processus historiques de consolidation progressive des droits qu’ont connus les pays européens (Comby, 1998 ; Stamm, 2013), d’autre part, se traduisent par l’hétérogénéité des systèmes fonciers et le pluralisme des régimes de régulation. Ces éléments permettent de mieux comprendre la place persistante des droits « coutumiers », la prégnance contemporaine des politiques de formalisation de ces droits, et l’incidence des phénomènes de « grandes acquisitions foncières ». À ces caractéristiques transversales on peut en ajouter une autre, qui est plus spécifique aux pays sous régime d’aide, notamment ceux d’Afrique subsaharienne : le poids des institutions internationales, de leurs doctrines et de leurs financements dans la définition des politiques foncières, avec le cortège qui en résulte de projets, parfois parallèles et concurrents, d’experts internationaux, de firmes d’ingénierie qui vivent du marché du « développement ». Ces conditions interrogent la souveraineté des États et ont des effets importants sur les trajectoires des systèmes fonciers et des réformes qui se proposent de les réguler.
24Notons toutefois que ces différents points ne définissent pas une ligne de clivage radical entre « Nord » et « Sud ». La pluralité des normes est inhérente à toute société et les régulations locales, « coutumières » ou « informelles », sont présentes dans une grande diversité de contextes, sous des formes certes résiduelles, limitées à des configurations spécifiques. Les pays européens ont maintenu des formes de gouvernance en commun de certaines ressources (pâturages, marais, pêcheries, irrigation), qui sont parfois plus intégrées au cadre institutionnel officiel que dans les pays du Sud. La spéculation foncière est inhérente au développement des marchés et demeure corrélée aux relations politiques, au niveau national ou local. Les registres de droits fonciers sont également très variables dans les pays du « Nord » et s’éloignent souvent des prescriptions des institutions internationales : pour des raisons très différentes, ni le Royaume-Uni ni la Grèce n’ont de cadastre ; à l’inverse, il n’existe pas en France de registre public des titres de propriété, le cadastre étant une base fiscale et les actes notariaux n’attestant que des transferts de droits entre les personnes.
25Les configurations sont donc variées, tant entre pays qu’en leur sein. Elles se définissent au carrefour de plusieurs gradients ou tensions et, s’il y a spécificité des pays du Sud, celle-ci tient davantage à l’accumulation des différences pointées plus haut qu’à des traits qu’il serait possible d’essentialiser.
Une perspective centrée sur les rapports entre acteurs et institutions
26Au-delà du positionnement thématique et géographique de cet ouvrage, et de la diversité des disciplines scientifiques qui s’y expriment, sa cohérence tient à la position épistémologique partagée par ses contributeurs.
27Un premier élément de convergence des regards portés sur la thématique foncière dans cet ouvrage réside dans le partage d’une perspective institutionnelle. Les rapports fonciers sont vus comme étant régulés par des institutions, celles-ci étant entendues au sens des « règles du jeu », formelles ou informelles, légales ou extra-légales (lois et textes réglementaires, normes prescriptives et principes moraux, conventions sociales et trames cognitives), et des dispositifs (autorités, instances d’arbitrage) qui rendent exécutoires ces règles (North, 1990 ; DiMaggio, 1994 ; Douglas, 1999). Trois caractères communs sous-tendent la définition de l’institution en tant que règle du jeu : la composante « règles et contraintes » de toute institution, sa capacité à organiser les relations entre individus (par la coercition, la négociation, l’instauration de routines ou l’adhésion à un système de valeurs partagé), et un certain degré de stabilité (Nabli et Nugent, 1989). Le concept d’institution recouvre ainsi un très large spectre, souvent différencié, à la suite de Davis et North (1970), entre l’environnement institutionnel (cadre légal, politique et social – incluant les droits de propriété gouvernant les activités économiques –, systèmes de valeur, etc.), et les arrangements institutionnels (modalités spécifiques de coordination entre acteurs, comme les contrats) (Colin, 2003). Notre perspective institutionnelle cherche à éviter l’écueil d’une conception « mécanique » ou structuro-fonctionnaliste des interactions sociales organisées et régulées par les institutions, d’une part en prenant acte de la pluralité des normes et de leurs contradictions internes, et d’autre part, en décentrant le regard des institutions vers le binôme acteurs/institutions et l’analyse des comportements stratégiques des acteurs, c’est-à-dire leurs jeux (mobilisation, contestation, évitement, conflit, etc.) autour des règles du jeu. L’orientation générale de notre approche part ainsi de l’idée que les acteurs vivent et agissent dans un environnement institutionnel qui est donné et s’impose partiellement à eux, mais qui leur laisse des marges de manœuvre quant à la mobilisation ou non de certaines règles, ce qui leur permet de produire et d’utiliser une gamme variée d’arrangements institutionnels pour accéder aux ressources et les contrôler. Dans cette perspective, les normes sociales sont à la fois des contraintes et des ressources, et la régulation foncière est le résultat changeant, non équilibré, de la confrontation entre des acteurs porteurs d’une pluralité de normes, de règles et d’interprétations.
28Dans la continuité de ce positionnement, un second élément de convergence tient dans un intérêt majeur pour la question du changement institutionnel9. En reprenant les termes de Menger (1985 [1883]), on peut à cet égard distinguer les institutions « pragmatiques », dont l’émergence et l’évolution sont intentionnelles, pilotées par les acteurs, et les institutions « organiques », qui émergent de l’interaction répétée des acteurs10. Les premières résultent de jeux d’acteurs ou d’organisations (entreprises, groupes d’intérêts, etc.) en mesure d’imposer une redéfinition des règles du jeu foncier, par l’action collective et, le cas échéant, l’exercice d’un rapport de force politique ou économique, à travers, par exemple, l’instauration d’un nouveau cadre légal redéfinissant les droits sur la terre – l’action collective pouvant opérer comme moteur, mais aussi comme frein au changement institutionnel. Les secondes émergent des interactions entre acteurs, sans répondre à un projet de refondation des règles du jeu, comme il en va, par exemple, de l’individualisation des droits fonciers, ou de l’émergence de nouvelles pratiques contractuelles agraires qui, en se diffusant, se « conventionnalisent ».
29L’émergence de nouvelles règles du jeu peut venir en réponse à des changements dans les dotations en facteurs des acteurs ou dans les techniques mobilisées, qui se traduisent par de nouveaux rapports coûts/bénéfices en déphasage avec les anciennes institutions (Ruttan et Hayami, 1984). Plus largement, elle peut aussi résulter de mutations dans l’environnement naturel, économique, social ou politique, ou encore de l’émergence de nouveaux groupes d’intérêt soucieux de recomposer les règles du jeu. Dans d’autres cas, la remise en question de ces règles peut venir d’une évolution des systèmes de valeurs portés par les acteurs (relativement aux rapports de l’individu au collectif, à la perception de l’équité d’un droit, etc.) (North, 1990 ; Aoki, 1998). Le plus souvent, ces différents facteurs de changement institutionnel se combinent et interagissent.
30Les orientations prises par l’émergence ou la refonte des règles du jeu varieront, dans le cas des institutions « pragmatiques », en fonction des rapports de pouvoir et des possibilités de faire émerger un consensus (Ruttan et Hayami, 1984). Dans le cas des institutions « organiques », un changement dans l’environnement n’opère pas par simple effet mécanique : là aussi, les intérêts en jeu peuvent bloquer l’institutionnalisation d’une innovation qui se fait jour dans les interactions sociales. La dimension cognitive intervient également dans l’appréciation par les acteurs du seuil critique qui les induira à remettre en question des normes jusque-là admises comme allant de soi – par exemple, dans le transfert aux pratiques d’héritage des formes d’individualisation des usages de la terre et des stratégies économiques. Cette dimension cognitive intervient également dans les situations d’inertie des règles du jeu, en référence aux difficultés que peuvent avoir les acteurs pour concevoir des solutions alternatives (DiMaggio et Powell, 1997). De telles situations renforcent le jeu des « dépendances de sentier », souvent évoquées à propos des questions de changement institutionnel : une fois une convention établie, l’interaction entre les acteurs bénéficie de règles du jeu claires qui ne réclament plus de négociation et permettent de définir sans ambiguïté les attentes des uns et des autres – même si une convention alternative potentiellement plus efficiente est envisageable (Matthews, 1986 ; Arthur, 1990 ; North, 1990, 1993).
31Ces éléments favorisent le changement institutionnel par « traduction » (Boyer et Orléan, 1994), ou par « bricolage » (Campbell, 1997 ; Cleaver, 2003), avec le passage d’une institution à une autre par « glissement » ou déformation de l’institution initiale. Le changement institutionnel est ainsi orienté par les dépendances de sentier, mais aussi par les perceptions que les acteurs peuvent avoir de la nouvelle règle du jeu en termes d’équité et de légitimité (Bardhan, 1989). Il ne résulte pas mécaniquement des évolutions de l’environnement, mais est le produit plus contingent de l’évolution des normes et des rapports de force entre acteurs, qui selon les cas poussent ou freinent sa dynamique. Il passe par les conflits qui peuvent traduire une demande de changement institutionnel de la part de certains groupes d’acteurs, et parfois contribuer à les faire advenir. Il peut aussi procéder par empilements successifs et réorganisations partielles d’ensembles hétérogènes de normes (Bierschenk, 2014). Le changement institutionnel comme son absence demandent à être appréciés au regard de la temporalité des processus : selon le pas de temps considéré, l’appréciation que l’on pourra porter sur ce changement pourra différer grandement.
32Un troisième élément de convergence entre les contributeurs de cet ouvrage vient d’un intérêt partagé pour une perspective compréhensive et processuelle11. L’approche compréhensive, au sens wébérien du terme, consiste à appréhender les actions des individus depuis leur propre perspective, en explicitant leurs objectifs, leur perception de leur situation et des options qui leur sont offertes, leurs logiques, leurs motivations, les valeurs auxquelles ils se réfèrent pour légitimer leurs actions. En d’autres termes, les logiques d’acteurs ne sont pas postulées ou inférées, mais font l’objet d’investigations en tant que telles. L’approche processuelle, quant à elle, vise à identifier les processus à l’œuvre dans les pratiques et dynamiques foncières considérées. Elle cherche à éviter le risque de verser dans une approche structuro-fonctionnaliste qui supposerait que les droits sont la traduction directe des normes sociales, et que les pratiques correspondent naturellement aux droits : l’accès à la ressource foncière ne relève pas toujours de droits, mais découle aussi de rapports de force, et parfois de violences ; dans toute société, les pratiques diffèrent des normes à un degré ou un autre ; dans toute société, les normes correspondent aux intérêts de certains acteurs et sont contestées par d’autres ; elles ne changent pas au même rythme que l’environnement économique ou les rapports sociaux ; elles peuvent ainsi être en désajustement avec les logiques des acteurs, leurs représentations, leurs intérêts. La prise en compte des processus est une condition pour comprendre et expliquer la variabilité des situations et des décalages vis-à-vis des règles, ainsi que les tensions et conflits qui peuvent en résulter. Elle est évidemment de première importance pour penser l’appui de l’action publique aux changements et à la transition des institutions et pour mettre en œuvre des modes d’intervention adaptés aux réalités. Elle fournit aussi des clés d’analyse des situations de conflit qui accompagnent fréquemment le changement institutionnel. Qu’ils portent sur l’application des règles (leur manipulation, leur dysfonctionnement, leur inadaptation à de nouvelles situations), ou sur les règles elles-mêmes (interprétations divergentes, opposition de corps de règles qui coexistent), les conflits sont inhérents à la vie sociale ; dans la mesure où les rapports de force permettent leur expression (ce qui n’est pas toujours le cas), ils traduisent les tensions entre normes et logiques des acteurs et les demandes de changement institutionnel que ces tensions induisent.
33Nous touchons là à un quatrième point de convergence des perspectives mobilisées dans l’ouvrage : la reconnaissance du pluralisme normatif et du pluralisme des instances de régulation. Il existe toujours des ambiguïtés, des répertoires de normes en partie concurrents, suscitant des revendications contradictoires et laissant une marge d’interprétation quant à la norme qui doit s’appliquer dans la circonstance. Différentes normes et différents registres de droit coexistent fréquemment dans un espace donné, à plus forte raison dans des situations de changement institutionnel induit par une intervention extérieure. Parfois reconnue par l’État, souvent niée, une certaine pluralité de normes existe partout, même si elle est particulièrement forte, on l’a souligné, dans les sociétés rurales des pays du Sud. La distance entre droit étatique et normes locales est souvent grande, et les normes foncières locales peuvent s’opposer, mais aussi s’hybrider avec les normes légales. On parle alors du foncier comme d’un « champ social semi-autonome » (Moore, 1973), doté d’une capacité à construire ses propres régulations dans un contexte de pluralisme normatif12. Cette pluralité de normes se rencontre également au sein d’un même corps de régulations, parmi les normes locales (Jacob, 2002) comme entre des règles étatiques (par exemple entre celles que mettront en avant des administrations sectorielles différentes à propos de l’usage d’une même ressource). Elle se combine fréquemment avec une pluralité des instances d’autorité prétendant réguler l’exercice des droits fonciers (autorités locales et coutumières, élus locaux, instances étatiques, élites politiques, etc.). Dans de tels contextes, les acteurs peuvent chercher à légitimer leurs droits ou à contester les droits des autres en s’appuyant sur tel ou tel système de normes (droit positif, droit musulman, « coutume », « droit » des projets de développement, etc.) et en ayant recours aux instances d’autorité qu’ils perçoivent comme les plus favorables à leurs revendications (voir Griffiths, 1986 ; Berry, 1993 ; von Benda-Beckmann, 1981 ; Lund, 2002).
Un état des lieux sous forme de « handbook »
34On l’a dit, cet ouvrage est le produit d’un projet collectif porté par une petite équipe de chercheurs de différentes disciplines de sciences sociales partageant une longue histoire de collaborations et d’échanges scientifiques. Le projet éditorial, le sommaire, les trames des chapitres puis les versions provisoires ont été débattus collectivement lors d’ateliers réunissant le collectif des auteurs, avant d’être soumis à des relecteurs externes. Sauf exception, tous les chapitres sont coécrits par au moins deux auteurs, complémentaires dans leurs approches disciplinaires et/ou leurs compétences et leurs expériences de terrain.
Les objectifs de l’ouvrage et ses limites
35De très nombreux ouvrages de sciences sociales à portée synthétique traitent du foncier rural dans les pays du Sud, avec différentes orientations disciplinaires (anthropologie, économie, géographie), différents champs géographiques (Afrique subsaharienne, Maghreb, Amérique latine, Asie)13 et thématiques (les conflits, les contrats agraires et marchés fonciers, les politiques foncières, les questions de genre, les rapports entre foncier et appartenance sociale, etc.)14. Cet ouvrage se positionne sur un autre registre. Il se veut didactique, en proposant des clés de lecture pour aborder un ensemble de thèmes majeurs concernant la question foncière rurale en lien avec les questions de développement, à destination d’un lectorat d’étudiants, de chercheurs qui souhaitent aborder ce champ de recherche ou d’experts souhaitant alimenter leurs réflexions à visées opérationnelles. Il a ainsi été pensé dans la logique d’un handbook, texte de référence dans un champ de la connaissance, qui mobilise les contributions de divers auteurs afin de couvrir un ensemble de thèmes d’intérêt. Bien connu de nos collègues anglophones, ce type de production scientifique reste largement ignoré dans le monde francophone (de façon significative, il n’existe pas de terme pour le désigner). Il se distingue du manuel (textbook), ouvrage destiné à l’apprentissage, réducteur par nécessité, souvent normatif et rédigé par un ou deux auteurs.
36Cet ouvrage, même s’il se veut à spectre large, reste toutefois limité du point de vue des approches qui s’y expriment, des questions traitées et des champs géographiques couverts.
37Il offre une lecture du foncier rural au Sud croisant essentiellement des lectures de socio-anthropologie, d’économie politique et d’économie institutionnelle. On n’y trouvera donc pas d’approche spécifiquement juridique15 (les droits sont traités dans une acception de sciences sociales, mais leur acception juridique n’est pas pour autant ignorée), démographique (des thèmes d’intérêt majeurs des démographes, comme les migrations ou la famille, sont cependant traités), géographique (mais une sensibilité de political ecology est présente et une attention est portée à l’indexation spatiale des phénomènes analysés), ou encore historique (même si on retrouve au fil de plusieurs chapitres une lecture historicisée, attentive aux trajectoires, au temps long des processus).
38Le choix des entrées thématiques traitées à travers les différents chapitres répond à des constructions d’objets partagés au sein du Pôle foncier. Le champ de l’ouvrage reste limité à un ensemble de questions. Nombre de thèmes majeurs, comme les questions d’inégalités et d’exclusion, de pauvreté, de genre, des rapports entre foncier et sécurité alimentaire, ne sont pas traités en tant que tels. Ils sont cependant présents de façon transversale dans nombre de chapitres. Les enjeux territoriaux sont plus abordés que véritablement traités. Des configurations spécifiques (foncier pastoral, forestier, irrigué) n’ont pas fait l’objet de chapitres dédiés, mais elles sont traitées dans celui sur les ressources partagées. La question environnementale est abordée ici sous l’angle des dispositifs environnementaux, de conservation de la nature et de lutte contre le changement climatique. Ce parti-pris n’épuise bien sûr pas les multiples dimensions des rapports entre foncier et environnement, comme les liens entre milieux, modes d’exploitation de ces milieux et dynamiques foncières, ou ceux entre droits fonciers et impacts écologiques des pratiques agricoles (érosion, biodiversité, pollution).
39Les champs géographiques pris en compte sont marqués par les trajectoires de recherche des auteurs. On y trouvera ainsi des références fortes à l’Afrique (subsaharienne et Maghreb) et à l’Amérique latine, de façon plus secondaire à l’Asie du Sud-Est et à l’Océanie, et dans une moindre mesure encore à l’Asie du Sud et au Proche-Orient. L’Inde et la Chine, véritables continents en elles-mêmes, sont largement sous-représentées. Globalement, l’ouvrage traite des pays du Sud dont le passé colonial a été structurant dans leurs trajectoires institutionnelles, ce qui détermine largement la façon de formuler les questions et les angles d’analyse : pluralisme des règles et des systèmes d’autorité ; faisceaux de droits et d’obligations ; question centrale des unités d’analyse, de leur emboîtement et de leur superposition, etc.
Structure et contenu
40L’ouvrage est organisé en trois grandes parties. La première pose les bases conceptuelles et méthodologiques des recherches sur le foncier rural, la deuxième propose des états des lieux sur les grands thèmes des dynamiques foncières, la troisième, enfin, se centre sur les grandes questions et controverses que posent les politiques foncières et fait le point sur les enjeux de l’expertise.
41Cinq chapitres constituent la première partie.
42À partir d’un double regard d’économie institutionnelle et de socio-anthropologie, le chapitre 1 propose des clés conceptuelles et une grille d’analyse empirique des droits fonciers et, plus généralement, de l’accès à la terre qui sont mobilisées au fil des chapitres. Une acception des droits fonciers comme actions socialement autorisées sur la terre et ses ressources, la prise en compte du pluralisme normatif et des tensions entre logiques d’acteurs et normes sociales permettent une lecture dynamique des droits sur la terre et des processus de changement institutionnel.
43Le chapitre 2 traite des dimensions intrafamiliales de la question foncière. Il examine comment sont pensées et structurées les relations de parenté, ainsi que la façon dont elles influencent le contenu des droits fonciers, leur transférabilité, leur sécurisation, l’usage productif de la terre, ou encore les tensions et les conflits autour du foncier. Le chapitre propose une caractérisation des unités d’observation et d’analyse, une lecture des droits et des obligations autour de la terre en lien avec le cycle de développement du groupe familial puis dans une perspective de changement institutionnel, avant d’offrir une perspective spécifiquement intrafamiliale de certains des thèmes majeurs abordés dans d’autres chapitres.
44Le chapitre 3 porte sur les formes d’appropriation et de gouvernance des terres et des ressources (eau, pâturages, forêts, mais aussi poissons, etc.) qui ne relèvent pas de la propriété privée individuelle. Il discute les logiques économiques et politiques des formes d’accès partagé aux ressources, montrant que celles-ci se situent au croisement de la nature de la ressource, de l’environnement économique et démographique et des choix de société. Il met en perspective les apports et les limites des approches en termes de communs pour rendre compte de la large gamme des configurations rencontrées. Il propose un cadre conceptuel pour caractériser les différentes formes de régulation de l’accès aux ressources, leurs inégalités internes et leur dynamique.
45Le chapitre 4 s’intéresse aux politiques foncières sous l’angle des politiques publiques et des multiples fonctions et sens attachés à ces dernières. Il retrace l’évolution des paradigmes du développement, ainsi que des conceptions et fonctions du foncier dans ces paradigmes. Il analyse les enjeux liés au contrôle de la terre dans la formation des États, tant du point de vue des intérêts des élites que des modes d’ancrage local de l’État et des rapports entre institutions étatiques et pouvoirs locaux. Il discute ainsi les liens entre économie politique et choix de politique foncière. Il analyse enfin la production et la mise en œuvre des réformes foncières contemporaines de promotion du marché et de formalisation des droits, fortement influencées et financées par les institutions internationales.
46En contrepoint de ces clarifications conceptuelles, le chapitre 5 s’intéresse aux différentes façons de faire de la recherche « de terrain » dans le champ du foncier rural, en posant un regard réflexif et critique sur les enjeux épistémologiques et méthodologiques que ces démarches de terrain soulèvent. Il s’intéresse à la façon de poser les questions de recherche, aux techniques et méthodes mises en œuvre, sans faire l’économie d’une réflexion épistémologique quant à la conception de l’acteur et des interactions sociales, le rapport à la théorie, ou encore la question de l’administration de la preuve.
47La deuxième partie mobilise ces bases conceptuelles pour analyser différentes facettes des dynamiques foncières et de leurs enjeux productifs.
48L’objet du chapitre 6 est de décrypter les relations entre dynamiques foncières, dynamiques productives et dynamiques des structures agraires. Il traite ainsi de l’incidence des droits et de leurs transferts sur les usages productifs de la terre puis, symétriquement, de l’influence des pratiques techniques et de leurs évolutions sur les droits et les transferts de droits. Il s’intéresse ensuite aux rapports entre droits sur la terre, pratiques productives et structures agraires, puis au devenir de la ressource foncière dans les dynamiques d’organisation des exploitations agricoles.
49Le chapitre 7 traite des marchés fonciers et de leurs liens avec le développement, notamment en matière d’équité et d’efficience. Il interroge d’abord la notion même de « marché foncier », ainsi que les conditions de marchandisation de l’accès à la terre. Il propose ensuite une description des grands types de transactions foncières, puis une grille de lecture permettant de rendre compte à la fois de la diversité et des régularités empiriques dans le jeu des marchés fonciers. Le chapitre examine la question cruciale du rôle ambivalent des marchés fonciers en tant que moteur ou frein au développement.
50Le chapitre 8 s’intéresse aux conflits fonciers, à leurs conditions d’émergence et de diffusion dans les espaces d’interaction sociale, ainsi qu’à leurs logiques de politisation et d’articulation éventuelle avec des violences civiles. Plutôt que la recherche de leurs causes proprement dites, ce chapitre met en avant la compréhension des conditions institutionnelles et sociales de manifestation des conflits et de leur gradation, en référence à leur dimension situationnelle, comme moment de mobilisation et de confrontation de normes et d’institutions plurielles. Dans cette logique, il propose une lecture des conflits fonciers en référence à des configurations d’interactions sociales dans lesquelles ils s’expriment et aux conditions de transformation de ces conflits en conflits de nature politique.
51Le chapitre 9 porte sur les trajectoires et les effets des acquisitions foncières à grande échelle. En s’appuyant sur une mise en perspective historique, il en identifie les causes et étudie leur rôle dans les projets politico-économiques des États et l’évolution des systèmes agraires. Il s’intéresse en particulier aux écarts entre les objectifs affichés des politiques de promotion des investissements et leurs résultats, en examinant successivement les rôles des politiques foncières (les programmes d’enregistrement des droits notamment), la confrontation des projets d’investissements aux réalités locales et les structures de production effectivement déployées.
52Enfin, la troisième partie se centre sur les grandes options de politique foncière, pour en analyser les enjeux, les présupposés, les résultats.
53Le chapitre 10 présente et discute les politiques et les opérations contemporaines de formalisation des droits sur la terre, c’est-à-dire d’intégration de droits « informels » dans le droit écrit. Il met en perspective historique la question de la formalisation et analyse l’émergence du paradigme contemporain, ainsi que la tension entre deux conceptions de la formalisation, celle qui promeut la propriété privée et celle qui défend la sécurisation des droits fonciers locaux, dans leur diversité. Il discute les justifications des politiques de formalisation et propose un état des savoirs sur les impacts économiques de la formalisation. Il analyse les opérations de formalisation à travers leurs dispositifs et leurs processus de mise en œuvre, montrant comment elles transforment, à des degrés divers, les droits existants et la gouvernance foncière, au croisement du projet politique sous-jacent, des choix de mise en œuvre et de l’économie politique locale.
54Le chapitre 11 aborde la question des réformes agraires, au sens de politiques de redistribution de la ressource foncière par l’intervention publique sur des terres privées, publiques ou coutumières, en distinguant deux phases historiques bien distinctes (de la grande dépression des années 1930 au milieu des années 1970, puis du milieu des années 1990 aux années 2000), sans ignorer les programmes de démantèlement de ces réformes. L’analyse témoigne tant de la permanence des débats sur les formes de propriété et les structures d’exploitation que des contournements des régulations foncières contraignantes fréquemment imposées sur les terres redistribuées.
55Le chapitre 12 porte sur les relations entre foncier et dispositifs environnementalistes. Les dispositifs de protection et de conservation de la nature exercent sur les dynamiques foncières des effets d’ampleur variable, à travers les restrictions ou les redéfinitions qu’ils imposent à l’accès aux espaces et leurs usages, à travers les types d’acteurs et de droits qu’ils favorisent, à travers les recompositions des systèmes d’autorités et de gouvernance qu’ils promeuvent. Ce chapitre discute les formes classiques, territorialisées, de ces dispositifs, comme dans les espaces ruraux objets de gestion communautaire, les réserves ou les aires protégées, qui ont des incidences foncières directes. Mais il analyse aussi les effets fonciers indirects des dispositifs globalisés, qui ont vu le jour plus récemment en lien avec la lutte contre le changement climatique, autour des paiements pour services environnementaux et des crédits carbone.
56En contrepoint à ces états des lieux, le chapitre 13 porte sur la question de l’expertise en sciences sociales dans les processus de réforme foncière. De nombreux chercheurs et consultants sont en effet mobilisés dans de tels processus, chargés d’enjeux forts. Le chapitre explicite la notion d’expertise et son rôle dans les politiques publiques ; il analyse le rôle de l’expertise comme médiation entre connaissance et action, en mettant en lumière la simplification des énoncés inhérente aux politiques publiques et en discutant les problèmes de catégorisation du foncier et de ses dynamiques dans les représentations des acteurs de ces politiques. Il discute enfin le rôle de l’expert dans les réseaux d’acteurs et les conditions politiques et institutionnelles de l’influence de l’expertise sur l’action.
57L’ensemble de ces chapitres offre ainsi des éclairages multiples et complémentaires sur la question du foncier rural dans les pays du Sud. Les recoupements et donc les renvois croisés sont évidemment nombreux. Chaque chapitre devant pouvoir être lu indépendamment des autres, les redondances sont nombreuses et assumées.
58Même si une cohérence éditoriale a été recherchée, la marge de manœuvre des auteurs est restée grande, ce qui explique que chaque chapitre ait son identité propre, avec en particulier un équilibre variable entre la composante « revue de la littérature » et la dimension « essai », davantage cultivée lorsque le sujet a supposé une élaboration conceptuelle au carrefour de différentes approches souvent disjointes.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Résultant d’une dynamique d’échanges et de collaborations de plus de vingt ans, le Pôle foncier de Montpellier (www.pole-foncier.fr) est un groupement d’intérêt scientifique créé en 2011, qui réunit des chercheurs et enseignants-chercheurs de quatre institutions montpelliéraines (Cirad, IAMM-CIHEAM, IRD, Supagro). Il est soutenu et hébergé par la Maison des sciences de l’homme-Sud (MSHS).
2 Suivant un usage maintenant courant, nous substantivons parfois, dans cet ouvrage, l’adjectif « foncier ».
3 Y compris deux ouvrages publiés précédemment par le même collectif : Colin et al. (2009), Jacob et Le Meur (2010).
4 Nous définirons le développement, de façon générique, comme l’ensemble des processus de changement social et culturel associés aux mutations (techniques, économiques, institutionnelles, démographiques, éducatives, sanitaires…) qui ont accompagné et accompagnent les modalités variées d’articulation des sociétés du Sud au système économique et politique mondial.
5 Nous reviendrons plus bas sur cette notion. Disons simplement ici que les contextes du Sud se caractérisent de façon très générale par l’existence de plusieurs registres de règles relevant de différentes instances d’autorité et sphères de régulation (locales/coutumières, légales/étatiques, ou émanant de structures de projets, d’entreprises privées, etc.). Ces registres peuvent opérer sur le mode de la complémentarité, de la concurrence ou de l’évitement.
6 Comme on le verra abondamment au long de cet ouvrage, la notion de faisceau de droits renvoie à l’idée que les rapports au foncier ne sont pas réductibles au lien d’un individu ou d’une société avec une ressource, mais qu’ils correspondent à un ensemble d’actions socialement autorisées sur la terre et les ressources qu’elle porte (circulation, accès à certaines ressources et pas à d’autres, usages, droit de tirer un revenu de cet usage, droit de déléguer cet usage, droit d’exclure, droit d’aliéner, etc.), qu’il convient d’inventorier et dont il importe d’analyser les contenus, la distribution sociale et les formes de régulation (voir von Benda-Beckmann et al., 2006 ; Banner, 2011 ; chap. 1).
7 Sur la notion de semi-autonomie des champs sociaux, voir Moore (1973).
8 Le terme « droits coutumiers » renvoie donc pour nous à des droits dont les normes et modes de régulation sont ceux de la société locale. Certains auteurs, mettant l’accent sur le caractère contemporain des normes coutumières actuelles, sur le fait qu’elles sont évolutives et peuvent emprunter aux normes étatiques, préfèrent parler de droits « néocoutumiers ».
9 Notre présentation du changement institutionnel reprend des éléments de Colin (2002).
10 Cette dichotomie, didactique, est évidemment réductrice : de nouvelles règles du jeu peuvent émerger « organiquement » de la simple interaction entre les acteurs, mais être ensuite reconnues et révisées « pragmatiquement ».
11 Repris en partie de Colin (2004).
12 Le terme de pluralisme légal est souvent utilisé, mais avec des contenus très divers (Griffith, 1986). Dans cet ouvrage, nous privilégierons celui de pluralisme normatif, moins objet de débats.
13 Par exemple, Le Bris et al. (1982), Basset et Crummey (1993), Bruce et Migot-Adholla (1994) pour l’Afrique ; Hall et al. (2011) pour l’Asie du Sud Est, Zoomers et Van Der Haar (2000) pour l’Amérique latine.
14 On pourra consulter, entre autres, Hall (2013), Luna et Mignemi (2017) et Blanc (2018) sur les conflits ; Agarwal (1994), Deere et León (2001) et Englert et Daley (2008) sur le genre ; Lavigne Delville (1998), Deininger (2003) et Binswanger et al. (2009) sur les politiques foncières ; Bardhan (1989), Béaur et al. (2003), Colin (2003), Holden et al. (2009), Colin et Woodhouse (2010) sur les marchés fonciers et les contrats agraires ; Hall et al. (2011) et Ansoms et Hilhorst (2014) sur les processus de dépossessions et d’exclusions ; Kuba et Lentz (1986) et Jacob et Le Meur (2010) sur les questions d’appartenance.
15 Pour une tentative de fonder une théorie juridique universelle des droits sur la terre, voir Le Roy (2011).
Auteurs
Économiste institutionnaliste, directeur de recherche à l’IRD (UMR Sens), cofondateur du Pôle foncier de Montpellier. Ses travaux actuels portent sur les dimensions intrafamiliales de l’accès à la terre, les marchés fonciers ruraux et les contrats agraires, les impacts locaux des politiques foncières, les rapports entre dynamiques foncières et dynamiques productives. Il travaille ces thèmes avec des partenaires des universités Félix Houphouët-Boigny et Alassane-Ouattara en Côte d’Ivoire, et de l’École nationale supérieure agronomique en Algérie.
Socio-anthropologue, directeur de recherche à l’IRD (UMR Sens), membre du Pôle foncier. Ses recherches se centrent sur la production et la mise en œuvre des politiques foncières en Afrique de l’Ouest, en particulier autour de la reconnaissance légale des droits fonciers coutumiers. Il aborde cette question dans une logique d’enquêtes multisites, des espaces locaux aux institutions internationales, et en croisant des perspectives de policy process et d’économie politique. Après le Bénin, son terrain actuel est le Sénégal, en partenariat avec les universités de Dakar et Saint-Louis.
Socio-économiste et géographe, directeur de recherche à l’IRD (UMR Sens) et co-fondateur du Pôle foncier de Montpellier. Ses recherches portent sur les rapports entre construction étatique et construction/reconfiguration des communautés rurales en Amérique latine, à travers la construction et la mise en œuvre des politiques foncières et des dispositifs de régulation foncière. Il s’intéresse en particulier aux conflits pour la terre et aux rapports entre normes locales et dispositifs étatiques dans l’expression et la résolution de ces conflits.
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