Insécurité alimentaire dans le monde
Implications pour les pays européens
p. 111-116
Texte intégral
1Cette contribution présente une vue d’ensemble de l’évolution de la production alimentaire dans le monde et fournit quelques caractéristiques et tendances des crises alimentaires de ces trente dernières années. Elle passe ensuite en revue les tendances actuelles et leurs conséquences pour les politiques européennes. Quelques aspects des travaux de la FAO en ces domaines sont enfin évoqués.
Croissance de la production alimentaire : réelle mais insuffisante et mal répartie
2Par rapport à 1970, la quantité d’aliments produits dans le monde s’est accrue. Leur valeur alimentaire en termes de kilocalories par personne/jour a augmenté de 18 %. Cependant, ces gains ont été très inégaux entre diverses régions du monde et à l’intérieur de chaque pays.
3L’Afrique subsaharienne, en particulier, demeure le continent qui reste au plus bas niveau alimentaire généralisé.
4Malgré les engagements pris par la communauté internationale durant le Sommet mondial de l’alimentation en 1996 pour réduire la malnutrition de moitié en 2015, les progrès accomplis cinq ans après demeurent insuffisants. Si pendant cette période on a pu diminuer le nombre des mal nourris de 6 millions par an, il aurait fallu tripler ce nombre pour atteindre l’objectif de 2015.
5Globalement, l’aide au développement stagne et prend de plus en plus des allures d’aide d’urgence, surtout en Afrique subsaharienne où l’investissement dans l’agriculture au titre de l’aide et du financement multilatéral a considérablement diminué.
6Toutes les régions du monde ont réalisé des progrès depuis les années soixante-dix ; les avancées les plus notoires en termes absolus et relatifs ont eu lieu en Asie du Sud-Est (fig. 1).
Crises alimentaires : variété et complexité des facteurs déterminants
7Les crises alimentaires aiguës attirent l’attention, mais le fait est que la majeure partie de la malnutrition est « silencieuse » ; elle frappe les couches les plus pauvres des populations de nombreux pays. Les désastres naturels, surtout s’ils ont lieu en Asie, peuvent frapper un grand nombre de personnes, mais les effets se font généralement sentir à court ou moyen terme. Une plus petite proportion de la population du monde est atteinte par des crises à la fois aiguës et prolongées, en majeure partie en Afrique subsaharienne.
8La cause principale de la malnutrition chronique dans le monde demeure la pauvreté. Les crises alimentaires frappent actuellement presque 40 pays, dont 23 en Afrique subsaharienne. Les crises alimentaires sont de deux natures. Les premières sont dues à des phénomènes naturels, tels que la sécheresse. Ces crises tendent à être de courte durée (bien qu’il existe des pays où elles sont récurrentes). Les autres sont principalement dues à des conflits entretenus par la rente de l’exploitation des ressources extractives et basés sur un état déficient de participation populaire aux mécanismes politiques et de gouvernance. Ces crises sont plus complexes et peuvent perdurer pendant de nombreuses années.
9La figure 2 illustre la distribution actuelle des crises alimentaires aiguës et leurs causes principales. La situation est parfois compliquée par le fait que, pour les crises à long terme, les facteurs humains et naturels se conjuguent pour entraîner une prolongation ou récurrence de la crise.
10Le Smiar1 a récemment fait une étude rétrospective des causes de crises alimentaires dans le monde pour la période 1986-2003. Celles-ci sont nombreuses, mais peuvent être organisées en trois catégories principales :
- causes naturelles (sécheresses, inondations, tremblements de terre, etc.) ;
- crises dues à des causes humaines (guerres civiles, conflits frontaliers ou internationaux, etc.) ;
- effets simultanés ou combinés des deux causes précédentes.
11Les données pour la période 1986-2003 suggèrent que l’année 1992 a été une période charnière avant laquelle le nombre de pays en crises naturelles dominait, alors qu’à partir de 1992, les crises causées par l’homme sont devenues dominantes en nombre de pays affectés.
12Pour certains pays, des crises de type différent se sont succédé sur une longue période.
13C’est le cas par exemple de l’Angola pendant dix-huit ans, de la Mongolie pendant douze ans, de Haïti pendant seize ans et du Tadjikistan pendant douze ans.
Tendances majeures à moyen terme (2010)
14On prévoit que la croissance globale de l’offre et de la demande en produits alimentaires tombera au niveau de 0,3 % par an et par personne. Il est probable que les régions de croissance alimentaire les plus rapides seront en Asie (Chine, Inde en particulier). Dans les pays en voie de développement, la croissance de la demande alimentaire sera de l’ordre de 0,4 % par an et par personne.
15On assistera cependant probablement à un ralentissement du commerce mondial des produits de base et à un raffermissement des cours de produits alimentaires, surtout les céréales. La Chine, en particulier, se profile comme gros acheteur futur sur le marché mondial des céréales.
16L’augmentation escomptée des prix des denrées alimentaires de base aura probablement des conséquences négatives pour les pays en développement importateurs nets d’aliments ; leur facture d’importations alimentaires sera vraisemblablement à la hausse.
17Globalement, les perspectives actuelles pour les pays déficitaires en aliments ne sont pas encourageantes, en raison des contraintes internes et externes qui continuent de peser sur leurs secteurs agricoles et sur les revenus de leur population. Par conséquent, il est peu probable que l’on puisse réduire sensiblement la malnutrition dans le monde à court ou moyen terme.
Politiques européennes : une complexité croissante...
18L’éventail des politiques européennes qui portent directement ou indirectement sur la sécurité alimentaire dans le monde est très vaste, même si l’on ne considère que les politiques mises en œuvre au nom d’une Union européenne en voie d’expansion.
19En premier lieu, l’aide au développement appuie la production agricole et l’augmentation des revenus des populations, la sécurité alimentaire étant à la fois affaire de disponibilité et d’accessibilité, c’est-à-dire de pouvoir d’achat. La Commission veille en outre de très près à ce que l’aide alimentaire fournie en cas de crises n’ait pas d’effets négatifs sur les prix et les revenus des producteurs agricoles des pays concernés.
20L’impact de la politique agricole commune sur certains pays en développement peut être négatif ; les compensations offertes en échange à travers un certain nombre d’accords spéciaux sont réparties en fonction de la capacité de divers pays à se « positionner » sur certains créneaux clés dont l’avantage fluctue au fil des années.
21Au niveau des pays européens, de nombreuses politiques peuvent aussi avoir des effets complexes. Par exemple, une politique d’immigration peut-elle prévoir comment l’augmentation de rapatriements monétaires vers un pays d’origine peut être contrecarrée par la disponibilité de main-d’œuvre agricole immigrée en Europe, conduisant à un renchérissement des importations et à une érosion des préférences.
Un rendez-vous à ne pas manquer
22En tant que puissance économique mondiale majeure, l’Europe peut influer grandement, pour le meilleur ou pour le pire, sur les conditions dans lesquelles les pays moins favorisés peuvent réduire la pauvreté et sa conséquence directe, la malnutrition. L’intérêt européen à long terme à promouvoir la croissance et la stabilité économique de par le monde est évident. L’Europe a les moyens analytiques et financiers d’effectuer les investissements nécessaires en exigeant un engagement proportionnel chez ses partenaires. Il reste à s’assurer que les moyens politiques de le faire sont tout aussi bien mis en œuvre.
Notes de bas de page
1 Le Smiar (Système mondial d’information et d’alerte rapide) suit régulièrement la situation alimentaire dans le monde et produit cinq publications annuelles concernant les produits alimentaires de base, cinq publications sur la situation alimentaire par pays, pour tous les pays du monde, et trois rapports spéciaux sur l’Afrique. Le Smiar fait aussi, avec le Programme alimentaire mondial, 20 à 25 évaluations de la situation dans les pays en crise et publie des rapports suite à ces missions.
Auteur
Économiste, FAO, chef du Système mondial d’information et d’alerte rapide (Smiar).
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