Les éponges de Polynésie française
p. 122-131
Texte intégral
1L’étude des éponges a été délaissée jusqu’à présent en Polynésie française, leur faible attrait s’expliquant peut-être par leur esthétique, une méconnaissance globale, ou bien encore la concurrence avec d’autres espèces et variétés végétales et animales. Lors de nos campagnes océanographiques, de nombreuses espèces ont pu être récoltées et répertoriées. Leur intérêt comme source de molécules innovantes est indiscutable et les perspectives en termes d’applications dans différents domaines comme la santé, l’environnement, ou la cosmétologie sont importantes.
Résumé
Les récifs coralliens comptent parmi les écosystèmes les plus diversifiés de la planète mais aussi parmi les plus menacés. Ce sont des milieux d’une grande diversité, milieux auxquels la France a accès dans ses territoires et départements d’outre-mer dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique. La Polynésie fait partie des points chauds de la biodiversité qu’il convient de protéger au mieux et de valoriser. L’équipe s’est principalement intéressée aux éponges, très peu connues en Polynésie française et qui ont montré après les premières étapes de leur étude un intérêt fondamental : plus de 30 % d’espèces nouvelles en ce qui concerne les spongiaires des îles de la Société et des Marquises. Environ 150 espèces devraient être répertoriées à la fin de l’exploration menée par l’équipe de chimie marine.
Les éponges sont aussi une source intéressante de nouvelles molécules que l’on cherche à valoriser dans différents domaines, en particulier pour des applications liées au milieu marin et à l’environnement (antifouling, aquaculture) mais aussi en santé humaine avec des perspectives à plus long terme.
Cette recherche repose sur un travail de terrain à l’échelle de la Polynésie française, la suite des travaux étant une recherche minutieuse sur des centaines d’échantillons dont certains résultats sont déjà concrets.
Tumu parau
Te auraa parau i roto i te oraraa vaamataèinaa, te peu tumu, e te faaravaìraa faufaa.
Te mau aau, e mau vāhi ia tei î i te mau mea oraora e rave rau, e hau atu to rātou rauraa i te tahi atu mau vāhi oraora o te paraneta. A tae hoì ē, tē mōrohirohi noa atu nei rā rātou. Te fenua Farāni anaè tē fānaò i tera mau vāhi (Moana Âtaranētita, Moana Initia, Moana Patifi ta). Tei nià ò Porinetia i te tāpura o te mau vāhi e mea rau te mau mea oraora, e tià ia ia pāruruhia e ia haafaufaahia.
Ua tūtonu te pupu māìmi i te parau o te mau rimu titià, tei òre i mātau-maitaì-hia i Porinetia nei. Ua faaìte mai te ômuaraa o taua mau māìmiraa i te hoê vāhi faufaa roa, ò ia hoì, hau i te 30 % mau huru rimu tītià âpī tei ìtehia i te mau motu Totaiete e i te Henua Enana. Fātata e 150 huru rimu tītià tē tāpaòhia e te pupu māìmi ia oti te tītororororaa. E vāhi faufaa atoà no te hāmani i te mau rāveà âpī faaòhipahia no te moana ānei, no te arutaimareva ānei e no te ea.
Tera rā, e tià ia ravehia taua mau māìmiraa ra i te mau motu atoà o Porinetia farāni. Ia oti te reira tuhaa òhipa, e hiòpoà-maite-hia tau hanere mau huàhuà rimu tītià no te àpo mai i to rātou faanahoraa. Ua matara aèna mai te faufaa o teie māìmiraa na roto i te faaòhiparaa pāpū i noaa mai.
Contexte socioculturel et économique
2Les récifs coralliens comptent parmi les écosystèmes les plus diversifiés de la planète mais aussi parmi les plus menacés. Milieux de très grande biodiversité, ils intéressent un demi-milliard d’êtres humains dans plus de 100 pays, presque tous en développement, et sont très sensibles aux perturbations tant locales (pollution, surpêche, aménagement littoral) que globales (réchauffement des eaux et événements climatiques). L’initiative internationale sur les récifs coralliens (Icri) estime que 20 % des récifs du monde ont déjà été détruits, 24 % sont actuellement en grave danger et 26 % supplémentaires le seront en 2050.
3La France occupe le 4e rang mondial de par la surface de ses récifs coralliens et elle est le seul pays à avoir accès à des récifs coralliens dans tous les océans où ils se développent (océan Atlantique, océan Indien, océan Pacifique). L’Agence française de développement a pris l'initiative d’actions d’envergure en termes d’appui au développement durable dans les milieux coralliens, répondant au souci de favoriser l’insertion des collectivités françaises du Pacifique (programme Crisp). De plus, la Nouvelle-Calédonie vient de voir reconnaître son patrimoine corallien au titre d’héritage mondial par l’Unesco, et l’archipel des Marquises est actuellement aussi en voie de classement par l’Unesco. La définition d’une politique de conservation de la biodiversité dépend essentiellement du rôle économique de ladite biodiversité pour les populations locales et de la valeur patrimoniale ou culturelle que ces mêmes populations lui attribuent. La conservation des ressources renouvelables s’apparente à une gestion de patrimoine où l’on doit gérer l’actuel pour ne pas dilapider le futur.
4Les valeurs de la biodiversité se déclinent en plusieurs types :
valeurs patrimoniales (importantes pour l’écotourisme) ;
valeurs d’option (substances actives, conchyliculture par exemple) ;
valeurs de consommation directe (poissons, mollusques, crustacés) ;
valeurs productives (produits issus de mollusques et impact sur l’environnement).
5La biodiversité des départements et pays d’outre-mer est le plus souvent remarquable : ces îles se situent en général dans des hot-spots de biodiversité, et leur isolement, comme celui de la Polynésie française, a conduit à des phénomènes de spéciation des organismes et à des taux d’endémisme importants. Les études scientifiques fondamentales, comme les programmes de bioprospection qui conjuguent connaissance du patrimoine biologique (valeurs patrimoniales) et recherche d’activités biologiques (valeurs d’option), contribuent ainsi à leur niveau à la prise de conscience par les communautés de la richesse du patrimoine naturel et de l’importance de sa conservation. Au niveau de la Polynésie française, l’importance du milieu marin, en particulier récifal, est considérable : elle se compose de 118 îles, d’origine volcanique ou corallienne, couvrant une superficie émergée de 4 200 km² (soit la moitié environ de la surface de la Corse) dispersée sur 2 500 000 km² (équivalent à la surface de l’Europe), réparties en 5 archipels. Les populations dépendent étroitement des ressources récifales, et la zone 0-80 m a été définie comme zone prioritaire d’étude et de protection dans le plan d’action du Ruahatu (contribution locale au Grenelle de la mer) pour le développement de cet archipel.
Le navire océanographique Alis
L’Alis est l’un des deux navires océanographiques de l’IRD mis à la disposition de la communauté scientifique. Ce navire de 28m est un excellent outil au service de la Science. Il permet de réaliser différentes missions dans les eaux des archipels de Polynésie française comme par exemple en 2013 les campagnes Tuhaa Pae dédiée à l’exploration de la biodiversité des spongiaires des iles Australes, ou encore Polyperl pour l’étude des lagons perlicoles et Pristine ayant pour but la définition des milieux peu impactés aux Gambiers. Depuis avril 2006, l’entretien et le fonctionnement des navires ainsi que la gestion des marins, est confié au Groupement d’intérêt économique Genavir (Gestion de navires de recherche océanographique) qui est aussi l’opérateur des navires océanographiques de l’Ifremer, ainsi que des engins et des équipements utilisés dans le cadre de la recherche océanographique française.
Depuis le 2 mars 2011, L’UMS Flotte océanographique française élabore et met en œuvre la programmation intégrée des navires et des équipements lourds ouverts aux appels d’offres nationaux (hauturiers et côtiers).
6Les engagements pris relèvent des 4 thématiques suivantes :
mieux connaître la mer et le littoral ;
protéger la biodiversité marine ;
favoriser le développement des métiers de la mer et des transports maritimes ;
valoriser les ressources marines.
7C’est dans ce contexte socioculturel et économique que se situe ce projet d’étude de la biodiversité benthique de la Polynésie française entrepris par l’IRD en collaboration avec l’université de Polynésie française, dont les équipes concernées par ce projet sont réunies depuis 2010 au Centre de recherches sur la biodiversité insulaire (CPRBI, Arue, Tahiti), créé suite aux recommandations de l’expertise collégiale sur les substances naturelles de Polynésie française.
Pourquoi les éponges ?
8Les éponges ou spongiaires sont des invertébrés qui vivent dans tous les milieux marins, sous toutes les latitudes et à toutes les profondeurs. Ce groupe est particulièrement important dans les eaux tropicales, en particulier à proximité des foyers de dispersion de la biodiversité marine, comme aux Antilles où elles couvrent plus de 75 % des récifs. En Polynésie, seulement 3 espèces ont été répertoriées dans la littérature et inscrites dans le GBIF à ce jour. Devant ce manque d’information sur ces organismes, deux hypothèses pouvaient être émises : soit ce groupe est effectivement rare, soit personne ne s’est donné la peine de l’étudier, la tâche étant à la taille de la Polynésie française ! Cependant, les notes de Pierre Laboute mises à notre disposition, essentiellement sur Tahiti et les Tuamotu, sont en faveur de la deuxième hypothèse.
9Contrairement aux végétaux terrestres, les populations n’utilisent ces organismes ni en alimentation ou en cosmétique (il n’y a pas d’éponge de toilette en Polynésie), ni pour se soigner. De plus, ces organismes n’ont aucun attrait esthétique et ne peuvent être collectionnés contrairement aux mollusques pour lesquels une partie importante des connaissances provient de collectionneurs amateurs. Pourtant, les éponges présentent un intérêt important comme source de molécules innovantes, ce qui a motivé leur étude lors de grands programmes de pharmacochimie, en particulier dans le Pacifique. Les spongiaires sont à la source de médicaments anticancéreux et antiviraux, dont des analogues de synthèse comme l’AZT sont utilisés pour soigner les infections à VIH, les hépatites chroniques, les leucémies ou d’autres tumeurs solides. L’expertise collégiale menée en 2006 sur le potentiel des ressources naturelles vivantes en Polynésie française a révélé le peu de travaux menés dans ce domaine à partir du milieu marin : seules certaines ressources comme les micro-organismes isolés du kopara sont bien valorisées, certains produits étant commercialisés à l’exportation.
10Dans ce contexte, après avoir mené des programmes pendant de nombreuses années dans l’ouest du Pacifique en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu, aux îles Salomon et aux Fidji, l’inventaire et l’étude pharmacochimique des éponges de Polynésie française ont été entrepris par une équipe IRD qui travaille sur les substances naturelles marines.
Exploration et résultats
11Nous avons entrepris ce travail d’échantillonnage et de recueil de données sur l’environnement de ces organismes grâce aux moyens importants mis à notre disposition par l’IRD, à savoir le navire océanographique Alis, suivant un programme de campagne échelonné sur plusieurs années : îles de la Société et îles Marquises en 2009 (41 jours, 275 plongées, 2 200 miles, 79 espèces), archipel des Tuamotu, Tetiaroa et Mehetia (Iles du Vent) en 2011 (41 jours, 209 plongées, 2 300 miles, 103 espèces), archipel des Australes programmé en mars 2013 (36 jours, 250 plongées, 1 800 miles). Ces campagnes ont été complétées par des missions menées en collaboration avec le Criobe en 2010 (Gambiers, projet Corals-pot), l’Agence des aires marines protégées en 2011 (campagne Pakaihi i te Moana, aux Marquises : îles d’Eiao, Hatuta et Fatu Huku) ou encore avec la Living Océan Foundation en 2012 (Global Reef Expédition, leg Société : îles Mopelia, Bellighausen, Scilly et Tupai).
12Au total, environ 150 espèces ont été récoltées. Les résultats de la première campagne aux iles de la Société et aux îles Marquises ont permis de montrer que si le nombre d’espèces est relativement faible, environ 30 % sont nouvelles pour la science. Trop peu de travaux ont été menés dans les archipels environnants pour affirmer que ces espèces sont endémiques, mais l’éloignement et l’isolement de ces récifs et lagons ont clairement contribué à l’adaptation et la spéciation de ces organismes. Seulement 4 espèces sont communes aux îles Marquises et à la Société, dont 3 ont été aussi trouvées aux Tuamotu.
13Une comparaison des efforts de récoltes menés aux Marquises et aux îles Salomon situées à la même latitude avec les mêmes stratégies et méthodes montre qu’à effort identique, le nombre d’espèces récoltées est 3 fois inférieur, mais par contre le taux d’espèces nouvelles est 2 fois plus important. Une autre comparaison a été réalisée entre ce travail aux îles Marquises et les travaux d’inventaire menés aux îles Hawaii, d’une morphologie et d’un isolement analogues : elle montre que si ces îles ne partagent pas d’espèces communes, elles présentent un arrangement qualitatif et quantitatif similaire au niveau ordinal, générique et spécifique.
Perspectives
14La valorisation des collections tant des spécimens que de leurs extraits (environ 25 % seulement sont présents en quantités suffisantes pour une étude chimique et des propriétés des extraits) est soutenue par différents programmes financés par l’État et le Territoire (BioPolyVal 2012-2014), le Grand Observatoire du Pacifique Sud (action incitative Gops Tuam’2011), ou encore l’ANR (projet Pomare Netbiome 2012-2015). Un intérêt particulier est porté sur les thématiques d’un fort intérêt local ou pour les pays du Sud, comme l’aquaculture ou la perliculture, en privilégiant des applications en milieu marin pour des molécules d’origine marine, sans toutefois négliger les autres applications possibles en santé humaine comme les substances antitumorales. Pour finir, l’ensemble des données acquises est pérennisé au sein de la base de données Cantharella, conçue par l’équipe des substances naturelles marines et développée avec le soutien de l’IRD.
Bibliographie
Bibliographie
Sites en ligne
Ouvrages et revues
Guezennec, C. ; Moretti, C. ; Simon J.-C. (2006) Substances naturelles en Polynésie française. Paris IRD, collection Expertise collégiale.
Hall, K.A.; Debitus C. et al. Affinities of sponges (Porifera) of the Marquesas and Society Islands, French Polynesia, Pacific Science 2013, sous presse.
Kornprobst, J.-M. (2005) Substances naturelles d’origine marine. Tec & Doc, 2005.
Levi, C. et al. (1998) Sponges of the New Caledonian lagoon, ed. Orstom, 1998.
Annexe
Lexique
A
ANR
Agence nationale de la recherche. L’Agence nationale de la recherche a pour mission d’augmenter la dynamique du système français de recherche et d’innovation en lui donnant davantage de souplesse. A ce titre, l’ANR doit favoriser l’émergence de nouveaux concepts, accroître les efforts de recherche sur des priorités économiques et sociétales, intensifier les collaborations public-privé et développer les partenariats internationaux. L’ANR accompagne l’ensemble des communautés scientifiques publiques et privées.
C
Cantharella (base de données)
Le Système d’information (SI) Cantharella vise à pérenniser et partager via internet de manière sécurisée et raisonnée les données pharmacochimiques des substances naturelles quelle qu’en soit l’origine (terrestre, marine, microorganisme).
Crisp
« Coral Reef Initiative for the South Pacific » (initiative corail pour le Pacifique) Initiatives est une initiative engagée par la France pour la protection et la gestion des récifs coralliens dans le Pacifique. Ouverte à toutes les contributions, elle a pour but de développer pour l’avenir une vision de ces milieux uniques et des peuples qui en dépendent ; elle se propose de mettre en place des stratégies et des projets visant à préserver leur biodiversité et à développer les services économiques et environnementaux qu’ils rendent, tant au niveau local que global.
G
GBIF
« Global Biodiversity Information Facility ». Le GBIF, consortium international fondé à l’initiative de l’OCDE, est un programme qui tente de rassembler toutes ces données et de les mettre en commun à la disposition des chercheurs et du grand public. Ainsi la biodiversité sera mieux connue, mieux étudiée et mieux utilisée. Les collections seront aussi plus visibles et mieux mises en valeur, et les régions mieux connues. Enfin, il sera plus facile aux chercheurs étudiant la biodiversité de préparer leurs recherches, de les comparer et de les mettre en relation avec les travaux antérieurs.
H
Hot-spot
Un point chaud de biodiversité. C’est une zone géographique (terrestre ou marine) possédant une grande richesse de biodiversité.
Icri
L’Organisation internationale pour les récifs coralliens (Icri) est un partenariat entre gouvernements, organisations internationales et organisations non gouvernementales. Il s’efforce de préserver les récifs coralliens et les écosystèmes associés en mettant en oeuvre le chapitre 17 d’Action 21, et d’autres conventions et accords internationaux.
K
Kopara
Le kopara est un assemblage de différents microorganismes, cyanobactéries et bactéries, formant un sédiment vivant que l’on trouve dans des mares sur les atolls des Tuamotu.
U
Unesco
Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
Auteur
Chargée de recherche, centre IRD de Polynésie française Ecosystèmes Insulaires Océaniens, UMR 241
cecile.debitus@ird.fr
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