L’Ifpri et sa contribution à la recherche et à l’action dans le domaine des politiques alimentaires et nutritionnelles
p. 77-86
Texte intégral
L’Ifpri, sa mission, sa vision et ses sphères d’action
1Au cours des dernières années, d’impressionnants progrès dans les sciences de l’agriculture et dans la production alimentaire ont contribué à nourrir une population mondiale croissante. Mais d’énormes défis restent à relever. Parmi les 4,5 milliards de personnes vivant dans le monde en développement, 1,2 milliard sont chaque jour confrontées à la pauvreté et à ses conséquences ; environ 800 millions font face à l’insécurité alimentaire, tandis que 160 millions d’enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition. Les ressources naturelles sur lesquelles repose la production alimentaire se dégradent et la productivité agricole, qui bénéficiait jusqu’ici d’une croissance rapide, est en déclin. En 2020, la planète comptera 1,5 milliard de personnes supplémentaires, ce qui contribuera à augmenter considérablement la pression sur les ressources naturelles.
2La perspective de l’Ifpri (International Food Policy Research Institute) est un monde libéré de la faim et de la malnutrition.
3Cette perspective se fonde sur le droit fondamental à une nourriture suffisante qui est indissociable de la dignité intrinsèque de la personne humaine. Il s’agit d’un monde dans lequel chaque personne a accès à la nourriture en quantité et qualité suffisantes pour mener une vie saine et productive et dans lequel les décisions concernant l’alimentation sont prises de manière transparente et avec la participation des consommateurs et des producteurs.
4La mission de l’Ifpri est d’apporter des solutions permettant de réduire la faim et la malnutrition. Cette mission découle de celle du CGIAR (Consultative Group on International Agricultural Research) : « Parvenir à une sécurité alimentaire durable et réduire la pauvreté dans les pays en développement par le biais de la recherche et d’activités liées à la recherche dans les domaines tels que l’agriculture, l’élevage, l’exploitation des forêts, la pêche, la politique et la gestion des ressources naturelles. »
5Afin d’atteindre ses objectifs, l’Ifpri met l’accent sur :
- une recherche pertinente et de qualité dans le but d’identifier et d’analyser diverses politiques internationales, nationales et locales qui peuvent contribuer à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition. L’accent est mis sur l’amélioration de la situation dans les pays pauvres et particulièrement les populations en situation de précarité alimentaire, et sur la gestion solide des ressources naturelles, lesquelles constituent les piliers de l’agriculture ;
- le renforcement des capacités des populations et institutions dans les pays en développement qui participent à la recherche sur les politiques alimentaires ;
- la communication : l’Ifpri s’engage activement dans la communication auprès des politiques, diffusant les résultats de recherche auprès de tous ceux qui sont susceptibles de les appliquer ou de les utiliser, et maintient un lien permanent entre la recherche et l’action sur le terrain.
6Les activités de recherche et de communication sur les politiques alimentaires et nutritionnelles à l’Ifpri s’effectuent par l’entremise de quatre divisions de recherche et de vulgarisation, et d’un département de communication ainsi que d’une initiative, Perspective Vision 2020. Un court résumé de ces différentes sphères d’activité est présenté ci-dessous.
71/ La division de l’Environnement et la Technologie de la production : la pauvreté, une productivité agricole insuffisante et la dégradation de l’environnement contribuent à la détérioration des conditions de vie dans le monde en développement. Afin de formuler des politiques susceptibles de freiner cette détérioration, la recherche à l’Ifpri se penche sur des domaines comme la gestion de l’eau, les terres fragiles, les droits de propriété et l’intensification durable des systèmes de production agricole. L’Ifpri poursuit également des recherches sur les problèmes liés à la biotechnologie ainsi que sur les opportunités que cette technologie peut offrir aux pays en développement.
82/ La division de la Consommation alimentaire et Nutrition : la sécurité alimentaire repose fondamentalement sur l’amélioration de l’accès économique à la nourriture et sur la capacité d’utiliser les aliments pour la croissance et la nutrition. Afin d’éliminer les contraintes qui limitent la capacité des plus pauvres à se nourrir, l’Ifpri poursuit des recherches sur les programmes visant à réduire la pauvreté, sur les programmes de micro-finance, la sécurité alimentaire en zones urbaines, la sexo-spécificité du développement et la répartition des ressources au sein des ménages, et les carences alimentaires, en mettant l’accent sur les carences en micro-nutriments.
93/ La division de Marchés, Politiques commerciales et Institutions : des politiques, des institutions et une infrastructure rurale inadéquates produisent des marchés agricoles inefficaces où les pauvres paient plus cher pour leur nourriture et les producteurs sont moins rémunérés pour leurs produits. Afin de rendre les marchés, les politiques commerciales et les institutions qui les supportent plus favorables pour les populations pauvres, l’Ifpri poursuit des recherches sur les effets des accords commerciaux internationaux et régionaux, et sur ceux de la mondialisation et des réformes de politique macro-économique dans le contexte de l’agriculture, sur l’efficacité institutionnelle, la diversification de la production et des revenus, les activités post-récolte et l’industrie agroalimentaire.
104/ La division de Stratégies du développement et Gestion publique : dans leur effort pour atteindre les Objectifs de Développement du Millénaire (Millenium Development Goals), les gouvernements et les agences de financement se tournent de plus en plus vers l’Ifpri pour recevoir son appui en ce qui concerne le développement de stratégies et de politiques d’investissement et de réformes institutionnelles. Dans son travail sur les stratégies alimentaires et agricoles, l’Ifpri utilise une approche globale qui prend en ligne de compte l’ensemble de l’économie. Afin de juger de la possibilité de mettre sur pied des réformes, l’Ifpri prend aussi soin de bien étudier les contraintes et les modèles de gestion publique existants.
115/ Le département de Communication : les résultats de recherche sur les politiques qui sont à la pointe du progrès doivent être communiqués de manière à encourager I action et à s’assurer que les pauvres en bénéficient. L’Ifpri fournit une information destinée à améliorer les conditions de vie des pauvres en guidant les décideurs, en renforçant la capacité des pays en développement à mener leur propre recherche en politiques alimentaires et en contribuant à une meilleure compréhension des thèmes sous-jacents aux politiques alimentaires.
126/ L’Initiative Perspective 2020 : elle a été lancée par l’Ifpri en 1993, dans le but de développer et promouvoir une vision commune et un consensus pour l’action de manière à répondre aux besoins alimentaires, tout en réduisant la pauvreté et en protégeant l’environnement. Cette initiative génère, elle aussi, de l’information et encourage des débats qui influencent l’action des gouvernements, des organisations non gouvernementales, du secteur privé, des organisations internationales et d’autres acteurs de la société civile. Un de ses buts principaux est de développer une information de qualité, pertinente et disponible à temps sur les questions les plus urgentes.
La recherche sur les politiques alimentaires et nutritionnelles à l’Ifpri
13Étant donné la nature spécifique de la mission et de la vision de l’Ifpri, le thème de la nutrition est un thème commun à la majorité de ses programmes et de ses activités de recherche. Cet exposé, cependant, met l’accent sur trois programmes en particulier, qui touchent différents aspects des politiques alimentaires et nutritionnelles. Ces programmes sont les suivants : 1) changements globaux dans les modèles alimentaires et la qualité de l’alimentation ; 2) le programme de biofortification ; 3) l’analyse de l’établissement des politiques et du rôle de l’État, du secteur privé et des sociétés civiles en matière de politiques alimentaires, agricoles, nutritionnelles et de gestion des ressources naturelles.
14Pour chacun de ces programmes, un bref résumé de la problématique qui motive le programme de recherche est présenté, de même que ses objectifs et activités principaux, et enfin l’impact espéré.
Changements globaux dans les modèles alimentaires et la qualité de l’alimentation
15Pour assurer la sécurité alimentaire des populations pauvres, il ne suffit pas simplement de leur assurer l’accès à une quantité suffisante d’aliments répondant à leurs besoins énergétiques, mais il faut aussi s’assurer que la qualité de leur régime alimentaire est adéquate. Le terme qualité de l’alimentation se réfère à un régime qui assure un apport adéquat en nutriments essentiels, en particulier les micro-nutriments, soit les vitamines et les minéraux, qui sont essentiels pour assurer la santé, la croissance, le développement et la survie des individus.
16Il est maintenant reconnu que les carences en micro-nutriments sont parmi les problèmes nutritionnels les plus répandus dans le monde et que la carence en fer, par exemple, est un problème extrêmement fréquent chez les femmes, y compris celles qui vivent dans les pays industrialisés (fig. 1).
17Par ailleurs, avec le phénomène d’urbanisation rapide que connaissent de nombreux pays en développement, l’obésité est maintenant un des problèmes nutritionnels les plus communs, au troisième rang après les carences en fer et en iode. Cette tendance est due principalement aux énormes changements dans les modèles alimentaires qui, à leur tour, sont dus en grande partie à la croissance économique, à l’augmentation de la disponibilité d’un nombre varié d’aliments et à un accès plus facile à ces aliments, même parmi les fractions les plus pauvres de la population. Les changements dans le style de vie, incluant un rythme de vie accéléré et l’incorporation d’un nombre croissant de femmes sur le marché du travail, contribuent également aux changements dans les habitudes alimentaires. Les populations consomment de plus en plus d’aliments prêts à servir (fast food), lesquels ont souvent une forte teneur en sel, en sucre raffiné et en graisses saturées. Ces éléments, lorsqu’ils sont consommés en trop grande quantité, et aux dépens des fruits et légumes frais, des céréales à grain entier et d’autres aliments riches en fibres, augmentent les risques de maladies chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l’obésité et certaines formes de cancer. Ces problèmes, qui autrefois étaient concentrés chez les populations de niveau économique élevé, sont maintenant de plus en plus communs au sein des populations à faible revenu, même dans les pays en développement. Ce phénomène global lié à l’urbanisation et à la mondialisation est appelé transition nutritionnelle.
18Le résultat de ces tendances est un nouveau paradigme : les pays en voie de développement, qui sont toujours aux prises avec l’énormité du problème de la malnutrition, doivent maintenant développer de nouvelles approches et stratégies pour aussi prévenir (et réduire) la croissance des maladies chroniques et de l’obésité. Ce phénomène, dénommé « double fardeau », afflige un nombre croissant de pays à divers niveaux de la transition nutritionnelle. On peut observer ce phénomène de coexistence des problèmes de malnutrition et d’obésité au sein d’un même pays et les changements dans l’importance relative de l’obésité à mesure que les pays progressent dans leur développement économique (fig. 2).
19Il est important de reconnaître aussi que les problèmes d’obésité et de maladies chroniques ne sont plus uniquement des problèmes de « riches ». Un exemple frappant est celui du Mexique (fig. 3), où la prévalence de l’embonpoint au sein des populations à plus faibles revenus était presque aussi élevée (53,5 %) que chez les groupes à plus hauts revenus (62,4 %) en 1999. L’augmentation extrêmement rapide de l’embonpoint à travers tous les groupes socio-économiques au cours d’une période d’à peine 10 ans est aussi très frappante et témoigne à la fois de l’importance et de la rapidité du phénomène de la transition nutritionnelle dans certains pays.
20Le but principal du programme de l’Ifpri est d’identifier les politiques alimentaires et nutritionnelles qui peuvent aider à améliorer la qualité des régimes alimentaires des populations pauvres. Ce programme a pour objectif ultime la réduction et l’élimination des carences en micro-nutriments et la prévention des effets néfastes de la transition nutritionnelle.
Le programme de biofortification
21En collaboration avec le Centre international sur l’agriculture tropicale (Ciat), l’Ifpri a récemment mis sur pied un vaste programme de recherche et de communication sur la biofortification. Ce programme définit la biofortification comme étant « l’utilisation de méthodes traditionnelles et avant-gardistes pour augmenter la teneur en micro-nutriments de certaines cultures de subsistance, avec comme objectif ultime l’amélioration de l’état nutritionnel des individus et populations qui les consomment ». L’élimination des carences en micro-nutriments requiert l’intégration d’une variété d’approches complémentaires, telles que l’approvisionnement en suppléments des groupes de population les plus à risques, l’enrichissement de certains produits alimentaires consommés par la majorité de la population ainsi que la diversification alimentaire. La biofortification est une approche additionnelle et complémentaire qui a l’avantage de pouvoir atteindre les populations les plus marginales, c’est-à-dire celles qui vivent de l’agriculture de subsistance de même que les populations qui reçoivent la majorité de leurs calories et autres nutriments des céréales de base. Un autre avantage de la biofortification est que, contrairement à d’autres approches comme par exemple la diversification alimentaire, elle ne requiert pas que les populations changent leurs habitudes alimentaires. La biofortification permet aussi d’améliorer l’état nutritionnel des populations en fournissant plus d’un micro-nutriment à la fois ; par exemple, la sélection de variétés à haute teneur en fer permet habituellement d’obtenir aussi une haute teneur en zinc. Qui plus est, les variétés à haute teneur en minéraux comme le zinc et le fer sont également des variétés offrant de nombreux avantages agronomiques, tels qu’une meilleure résistance aux infections et un plus haut rendement. Le résultat est une situation où tous les partis sont gagnants : les producteurs bénéficient de produits agricoles plus performants et les consommateurs bénéficient d’aliments plus riches en micro-nutriments.
L’analyse de l’établissement des politiques et du rôle de l’État, du secteur privé et des sociétés civiles
22Cette recherche se centre sur les thèmes suivants :
- les rôles complémentaires des différents intervenants et secteurs dans le domaine de la politique alimentaire et les responsabilités qui leur incombent, y compris les outils nécessaires à une politique visant à une information efficace des populations en situation de précarité alimentaire et le besoin d’orientations internationales cohérentes sur la sécurité alimentaire ;
- la manière dont est structurée la politique visant à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle - comprenant 1’influence de la recherche sur la mise en place des politiques - et la manière dont les politiques sont appliquées, y compris les rapports entre la santé, 1’alimentation et la nutrition ;
- le niveau des gouvernements (décentralisation) dans 1’accomplissement des politiques liées à la sécurité alimentaire et dans la mise à disposition de biens publics liés à la nutrition ;
- les principes d’une bonne gestion publique, comme la prise de responsabilités, les droits de 1’homme (y compris le droit de l’homme à une alimentation adéquate), la transparence et la conscience sociale de la gestion des entreprises au sein du système alimentaire.
23Le fait d’associer plus étroitement la recherche sur 1’appartenance sexuelle à la recherche sur les systèmes politiques et sur la gestion publique apportera un nouveau regard sur la situation. L’Ifpri et ses partenaires sont aussi en train d’accroître la recherche actuelle visant à comprendre le rôle des institutions de marché et non commerciales au sein des systèmes alimentaires locaux et nationaux.
Conclusion
24Il est possible d’accélérer considérablement le progrès vers l’Objectif de Développement du Millénaire visant à réduire de moitié la faim dans le monde dans les douze années à venir, et d’avancer rapidement vers la concrétisation d’une sécurité alimentaire durable pour tous. Les activités de recherche sur les politiques alimentaires, de renforcement des capacités et de communication des politiques qui sont menées par l’Ifpri et ses organisations partenaires sont à même de jouer un rôle essentiel dans l’éradication de la faim. Le gain sera énorme en termes de bien-être humain, de croissance économique, d’équité et de durabilité écologique.
Auteur
Nutritionniste, Ifpri, Washington, D.C.
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