Qualité des aliments, qualité de l’alimentation
p. 43-55
Texte intégral
Introduction
1Comme chaque mammifère, l’Homme est caractérisé par l’existence de besoins nutritionnels élevés, indispensables pour satisfaire aux différentes fonctions qu’impliquent sa physiologie et son mode de vie. Ces besoins sont couverts à partir de différents constituants prélevés dans le milieu extérieur sous forme d’aliments, d’eau et d’oxygène. Cela est assuré par les fonctions métaboliques et de respiration. Selon leur devenir, on peut classer ces différents éléments en deux groupes : ceux qui servent de matériaux pour la synthèse des différentes molécules biologiques et ceux dont l’oxydation permettra de dégager l’énergie nécessaire pour transformer la matière afin de constituer des molécules de la vie. Un troisième groupe correspond à des substances qui sont des éléments de contact avec l’extérieur : molécules « signal », agents infectieux, éléments toxiques, etc.
2À côté des éléments métaboliques proprement dits, les fonctions cognitives supérieures qui sont au centre du « comportement alimentaire », grâce à l’intégration de données psycho-affectives, socio-économiques et environnementales, font partie également de la complexité du tableau final. De ce fait, la nutrition et l’alimentation qui l’assure doivent être comprises comme dépassant très largement le cadre de la simple fourniture de substrats vers une fonction de relation avec les différents éléments de l’environnement, intégrés au sein d’un vaste réseau de signalisation permettant la défense et l’adaptation des organismes dans toute la complexité du règne vivant.
3Ainsi l’alimentation s’avère une fonction beaucoup plus complexe que ne le laisserait penser la simple somme des différents aliments qu’elle contient, de la même façon que les aliments ne peuvent pas être résumés à la somme des nutriments qui les constituent. L’objectif de cette brève revue est de mettre en lumière différentes situations physiologiques caractéristiques de l’homme, ou de certains modèles animaux, afin d’illustrer la subtilité de leurs relations avec la complexité de l’alimentation.
Le métabolisme énergétique : généralités
4Parmi les mammifères de taille comparable, les besoins énergétiques de l’homme sont particulièrement élevés. Ils sont chez l’adulte de l’ordre de 30 à 35 kcal/kg/jour en fonction de différents éléments dont naturellement la dépense liée à l’activité musculaire. Chez l’enfant en croissance, ils sont beaucoup plus élevés, et ce d’autant plus que l’enfant est jeune (le double chez le nouveau-né). De grandes disparités de dépenses existent entre les différents organes en rapport avec les fonctions principales qu’ils assurent (fig. 1). Ainsi, le cerveau, le foie, le cœur et les reins, qui tous ensemble ne représentent qu’à peine 5 % du poids du corps, correspondent à eux seuls à plus de 60 % de la totalité des dépenses énergétiques. Le cerveau, dont la masse représente à peine 2 % du poids du corps, consomme à lui seul plus de 20 % de l’ensemble de la dépense énergétique de l’organisme. Ce haut niveau de dépense énergétique correspond principalement au maintien de gradients ioniques élevés de part et d’autre de la membrane cellulaire permettant d’atteindre des potentiels importants, base de la genèse des influx nerveux. Ce n’est pas tant la « pensée » qui coûte cher que le maintien en l’état d’un système capable de penser ! Le foie représente lui aussi à peu près 2 % du poids du corps et 20 % de la dépense énergétique, un coût expliqué par des fonctions de synthèses métaboliques majeures, le foie étant la plus grande « machine à transformer et à synthétiser » les biomolécules de l’organisme. Le cœur, comme l’ensemble des deux reins, représente 0,5 % du poids du corps et 10 % de la dépense énergétique, pour la fonction mécanique de pompe sanguine dans le cas du myocarde et pour la réabsorption de l’eau et du sel, à travers une fonction rénale éminemment coûteuse mais indispensable à la vie. À l’opposé, si l’on considère la masse musculaire totale, qui représente 45 % du poids du corps et plus de 80 % de la totalité des protéines de l’organisme, cet ensemble ne représente que 20 % des dépenses énergétiques de repos.
5Une partie notable de la dépense énergétique est liée au coût représenté par le maintien actif de la température corporelle au niveau constant de 37 °C. En effet, si le coût énergétique est réellement exorbitant, l’avantage potentiel est décisif, qui permet à nos cellules de fonctionner de la même manière quelles que soient les contraintes thermiques extérieures. Ainsi, si l’on compare les dépenses énergétiques de l’Homme avec celles d’un reptile, on constate que pour une masse équivalente, un crocodile a une dépense énergétique environ dix fois plus faible. Cela permet bien évidemment une réduction des besoins alimentaires en rapport, car le coût de l’entretien métabolique de cet animal est également de l’ordre de 10 fois inférieur à ce qu’il est chez un mammifère. On voit bien l’avantage alimentaire évident en faveur du crocodile. Cependant, le fait que cet animal soit dépendant de la température du milieu pour assurer le maintien d’une température indispensable à la réalisation de fonctions métaboliques (fonctionnement des enzymes) le rend particulièrement dépendant des conditions extérieures. Ce sont d’ailleurs justement les différentes conditions environnementales qui, in fine, font des caractéristiques métaboliques d’une espèce ou d’une évolution données un avantage ou un handicap. Cet aspect de la thermogenèse doit être largement considéré dans la réduction des besoins énergétiques de l’Homme moderne, car à côté de la voiture, de l’ascenseur et plus généralement des différentes machines réalisées par l’Homme, les moyens modernes de chauffage ont conduit à une réduction importante des dépenses.
6Le second poste variable de dépense énergétique qui peut être considérable est représenté par l’activité physique. Ainsi, et à titre d’exemple, certaines étapes particulièrement difficiles du Tour de France peuvent représenter jusqu’à 6 000 ou 8 000 kcal par jour, c’est-à-dire une quantité qui est à la limite de ce qu’un intestin normal peut métaboliser et absorber. Là encore, cet élément qu’est la variabilité de la dépense énergétique liée à l’activité physique doit être pris en compte dans la réflexion sur l’augmentation de la masse corporelle liée à l’obésité, laquelle est de plus en plus fréquemment rencontrée dans notre société. En effet, la situation sédentaire de la société moderne a réduit considérablement ces différents postes de dépense énergétique et peut ainsi contribuer notablement à l’augmentation du stockage adipeux.
Le métabolisme énergétique aérobie : place de l’oxygène dans la vie
7Le métabolisme énergétique de l’homme, comme celui de tout animal aérobique, est caractérisé par une dépendance étroite vis-à-vis de l’oxygène. Lors des conditions initiales de l’apparition de la vie sur la terre, l’oxygène n’était présent qu’à l’état de traces dans l’atmosphère. Son apparition quantitative est le résultat du métabolisme énergétique d’espèces qui ont utilisé (et utilisent encore !) directement l’énergie de la lumière solaire. En effet, le dérivé métabolique final (ou déchet) de la photosynthèse est l’oxygène moléculaire qui est libéré dans l’atmosphère. De ce fait, le métabolisme énergétique des organismes photosynthétiques tels que les plantes ou certaines bactéries qui initialement vivaient dans les océans a conduit à l’accumulation progressive de l’oxygène sur la terre il y a environ 2,5 milliards d’années jusqu’à atteindre la concentration que nous connaissons aujourd’hui (20,93 %) et dont la constance est le fait de l’équilibre entre production (photosynthèse avec fractionnement de l’eau en oxygène et hydrogène) et consommation (métabolisme aérobie avec réduction de l’oxygène en eau). Cette accumulation d’oxygène dans l’atmosphère s’est révélée être un élément très toxique. En effet, l’oxygène est un puissant oxydant à cause de sa structure chimique particulière : existence de deux électrons célibataires sur sa couche périphérique. De ce fait, il est capable d’oxyder la plupart des molécules biologiques telles que l’ADN, les lipides membranaires ou les protéines, en les rendant impropres à leur fonction initiale, voire dangereuses. Il est un toxique considérable et le prix Nobel Christian de Duwe a pu parler « d’holocauste par l’oxygène » au cours de cette période, tant les conséquences sur la vie terrestre de l’apparition de l’oxygène ont été considérables. En effet, cette apparition de l’oxygène s’est accompagnée d’une disparition relativement importante des espèces vivantes de l’époque que l’on estime grossièrement à plus de 90 %. L’adaptation des espèces qui ont réussi à supporter de telles conditions drastiques de stress oxydant est passée par deux voies principales : le développement d’une vie strictement anaérobie, c’est-à-dire en se cachant soigneusement de l’oxygène (c’est le cas de certaines espèces du monde bactérien) ou l’émergence de puissants moyens de défenses antioxydantes. La stratégie de défense antioxydante est essentielle à la survie de toute forme de vie exposée à l’oxygène (le parallèle avec les radiations ionisantes émanant du soleil ou du génie de l’Homme est intéressant). Elle a pris le chemin de deux voies complémentaires : la synthèse de molécules capables d’absorber les éléments dangereux (les radicaux libres) – il s’agit des antioxydants – et l’émergence de voies métaboliques spécifiques capables de se débarrasser des molécules toxiques en reformant les composés initiaux, condition indispensable pour assurer la stabilité de l’environnement. La multiplicité des réponses apportées rend bien compte du danger majeur que représente cette exposition à l’oxygène et explique bien l’extrême variété des solutions métaboliques (les défenses antioxydantes) sélectionnées. Cependant, l’une d’entre elles mérite d’être distinguée par l’ampleur des bouleversements physiologiques qu’elle a apportés. Il s’agit de la respiration. En effet, la réponse la mieux adaptée, apportée par l’évolution à l’apparition de l’oxygène à partir de la photosynthèse, a été d’assurer sa « retransformation » en eau dans la mitochondrie grâce à la chaîne respiratoire. Le couplage de cette libération d’énergie à la synthèse d’ATP (la phosphorylation oxydative) a permis, suprême élégance, de se débarrasser d’un composé toxique, l’oxygène, en le transformant en une source quasi inépuisable d’énergie sous forme d’ATP. Ainsi, notre alliance avec l’oxygène est-elle la plus étroite possible : strictement indispensable à la vie, l’oxygène est en même temps l’élément le plus toxique auquel les êtres vivants sont exposés.
Le métabolisme énergétique aérobie : glucides ou lipides ?
8Alors que les plantes constituent l’essentiel de leurs réserves sous forme de glucides (amidon), les animaux eux constituent celles-ci sous forme de lipides. La sélection d’un stockage énergétique sous forme lipidique chez les animaux est probablement le fait d’un avantage considérable en termes de masse, facteur important dans la gestion des contraintes imposées par les mouvements. En effet, les lipides contiennent davantage d’énergie que les glucides puisque 1 g de lipide libère environ 9 kcal, tandis que 1 g de glucide n’en libère que la moitié, c’est-à-dire environ 4 kcal. De plus, le stockage de glucides s’accompagne d’un stockage d’eau proportionnel pour répondre aux contraintes osmolaires, alors que le stockage des lipides est strictement dépourvu d’eau du fait de leur nature hydrophobe. Ainsi, au total et à masse équivalente, la quantité d’énergie stockée dans 1 g de glycogène est beaucoup moins importante que celle stockée dans 1 g de graisse, d’où l’avantage évident en termes de gestion de la masse corporelle. De fait, le stockage lipidique est largement privilégié en valeur absolue chez l’homme puisqu’un sujet en bonne santé de 70 kg possède environ 100 000 kcal dans sa masse lipidique, alors qu’il ne contient que 700 kcal environ comme réserve glucidique (glycogène) (fig. 2).
9La prédominance du stockage énergétique sous forme de lipides contraste fortement avec le fait que le métabolisme énergétique repose largement sur une oxydation de glucose. Ainsi, le cerveau, dont le métabolisme représente à lui seul environ 80 % de la quantité de glucose oxydé par l’organisme, en consomme 150 grammes par 24 h, ce qui correspond à la libération de 600 kcal. Ce contraste est d’autant plus saisissant que l’Homme ne possède pas l’équipement métabolique lui permettant de synthétiser du glucose à partir des lipides. Ainsi, alors que le stockage lipidique est prédominant, l’oxydation de glucose reste un poste incontournable. Cela explique que l’organisme ait dû développer différentes voies métaboliques lui permettant de réconcilier ces deux aspects opposés, notamment à travers la gluconéogenèse qui permet à l’organisme de synthétiser de nouvelles molécules de glucose à partir des acides aminés contenus dans les protéines musculaires. L’impossibilité d’utiliser les acides gras du tissu adipeux explique que la synthèse de novo de glucose soit totalement assurée par les protéines musculaires. En d’autres termes, cela signifie que lors d’apports glucidiques exogènes insuffisants, l’organisme humain doit impérativement utiliser ses propres protéines musculaires pour la synthèse de glucose. Le corollaire est que même chez les obèses ayant d’importantes réserves énergétiques, le jeûne ou la restriction calorique impliquent une fonte musculaire qui représente une limite importante aux régimes restrictifs mal contrôlés.
Abondance alimentaire et longévité
10Différents travaux effectués sur plusieurs espèces animales ont mis en lumière une relation entre la quantité de nourriture consommée et la longévité. En particulier, il a été montré chez des rongeurs comme chez d’autres espèces – et cela pourrait concerner les primates, voire l’homme – que la réduction de la prise alimentaire était responsable d’une augmentation de la longévité. Si l’on considère une courbe actuarielle de survie, c’est-à-dire l’évolution du nombre d’individus vivants à chaque instant donné, on peut décrire deux valeurs caractéristiques : le temps écoulé jusqu’à la mort de 50 % des animaux (médiane) et le temps caractérisant la longévité de l’animal qui a vécu le plus longtemps (longévité maximale). De nombreux éléments intercurrents peuvent interférer avec la durée de survie correspondant à la médiane, comme par exemple la survenue d’événements délétères précoces pathologiques. Par contre, la longévité maximale correspond aux caractéristiques métaboliques effectives qui conditionnent la longévité de l’espèce. Ainsi, des souris nourries ad libitum présentent une longévité maximale qui s’allonge proportionnellement à la réduction de la prise calorique de 85 à 50, voire 40 kcal par semaine. Entre une prise alimentaire ad libitum ou réduite à 40 kcal par semaine, on constate que la longévité double pratiquement, passant de 34 semaines à 60 semaines (fig. 3). Cela laisse penser bien sûr que l’excès de prise alimentaire a un effet négatif sur la longévité. Si cet élément est sans doute vrai, il faut également considérer que le choix que fait spontanément l’animal n’est pas celui de la longévité maximale, mais celui d’une prise alimentaire plus importante. Il s’agit probablement de l’une des nombreuses conséquences de la vie particulière de ces animaux en cage, des conditions où l’activité est extrêmement réduite et la disponibilité alimentaire considérable, contrairement à ce qui se passe dans les conditions normales de vie sauvage, où l’animal doit chercher activement sa propre subsistance. Il est intéressant de souligner combien les conditions dans lesquelles l’animal présente une survie prolongée en réponse à une restriction calorique sont particulières, l’animal n’ayant par exemple jamais à fuir devant un danger. Il est vraisemblable que la condition particulière de restriction calorique extrême dans l’exemple de la survie la plus prolongée ne soit pas compatible avec des conditions de vie normale sauvage comportant la recherche de nourriture et la fuite devant des prédateurs. De manière intéressante, des rats naturellement obèses ont une durée de survie qui est considérablement plus longue que celle de leurs congénères non obèses lors d’un jeûne prolongé (80 jours versus 10-12 jours). Ainsi, un fort ou un faible stockage énergétique sous forme de graisse peut représenter tour à tour un avantage ou un inconvénient en termes de survie, l’avantage ou l’inconvénient étant complètement le fait des conditions extérieures.
Le stockage adipeux : une capacité essentielle à la survie
11Ainsi, la faculté de stockage sous forme de tissu adipeux peut représenter dans certaines situations physiologiques très particulières un avantage considérable. Les manchots sont des oiseaux qui ont été conduits à se reproduire dans des conditions très inhospitalières sur la banquise de l’Antarctique, loin de la mer où l’abondance nutritionnelle est importante, avec des températures extérieures extrêmement basses et un environnement tout à fait hostile, sans doute pour échapper aux prédateurs. Cet environnement métabolique très particulier de leur reproduction (ponte de l’œuf par la femelle et couvée de celui-ci et du poussin par le mâle) correspond à une phase de jeûne considérable. Les oiseaux mâles sont capables de jeûner entre 2 et 3 mois dans ces conditions très inhospitalières. La capacité considérable de stockage lipidique de ces oiseaux lorsqu’ils vivent dans l’environnement d’une abondance nutritionnelle importante, comme les eaux poissonneuses proches de la banquise, alliée à une adaptation métabolique particulièrement marquée à la situation de jeûne prolongé, permet à ces animaux une survie dans ces conditions inhospitalières pour la plupart des autres animaux.
12Il est intéressant de rapprocher cette situation métabolique de celle de l’homme lors de sa naissance. En effet, le nouveau-né humain se trouve dans une situation métabolique extrêmement précaire. Durant toute la vie embryonnaire in utero, le fœtus a été alimenté à partir des nutriments fournis par la mère, notamment le glucose. L’acquisition de capacités métaboliques gluconéogéniques spécifiques après la naissance est un impératif absolu pour la survie. Cependant la transcription et la synthèse, pour la première fois, de la PEPCK, enzyme clé de la gluconéogenèse, ne sont possibles que si l’insuline est très basse, ce qui impose que la glycémie soit également très faible, un événement potentiellement très délétère pour le cerveau. Contrairement à la plupart des autres fœtus, le fœtus humain accumule au cours du dernier trimestre de la grossesse une certaine quantité de tissus adipeux qui représentent une réserve énergétique tout à fait notable. Ce stockage adipeux, caractéristique de l’espèce humaine, lui permet de passer le cap difficile de la naissance du point de vue énergétique. En effet, les besoins du cerveau constituent chez le nouveau-né humain environ 80 % du métabolisme énergétique total, une dépense énergétique élevée qui représente une fragilité considérable. Ainsi, à la naissance, le nouveau-né a à résoudre une équation difficile : des besoins énergétiques très élevés, un stockage énergétique principalement lipidique et une quasi-absence de capacité de synthèse de glucose. Cette situation de contrainte métabolique extrême est résolue grâce à une voie métabolique très spécifique qui est la cétogenèse. Celle-ci permet de fabriquer des corps cétoniques pour alimenter le cerveau à partir des lipides stockés dans le tissu adipeux. Ainsi, les premières heures d’hypoglycémie suivant la naissance n’ont pas de conséquences délétères sur le cerveau, du fait de la synthèse de ces mêmes corps cétoniques à partir des lipides. C’est la raison pour laquelle les prématurés, qui n’ont pas ces réserves énergétiques lipidiques peuvent se trouver en situation de faillite énergétique importante.
13À côté de leur contenu énergétique, une autre propriété importante des lipides réside dans la forte quantité d’oxygène que nécessite leur combustion. Cette quantité est bien plus grande que pour les glucides. Là encore, il s’agit d’un avantage ou d’un inconvénient selon l’environnement. Un exemple permet de situer simplement cette question. Le cœur est un gros consommateur d’énergie, dont la source principale est représentée par les lipides puisque 80 % de la dépense énergétique cardiaque est assurée par l’oxydation des acides gras. Cependant, si l’oxygène devient un facteur limitant, par exemple lors de la vie à très haute altitude des sherpas dans l’Himalaya, il a été montré que l’utilisation de glucose devenait préférentielle, l’avantage de la plus faible consommation d’oxygène compensant le moindre contenu énergétique.
La plasticité métabolique : l’atout pour une survie dans des conditions très variées
14Des différents éléments rappelés ci-dessus, il ressort que le métabolisme est d’une extrême plasticité. Cette plasticité est l’atout qui permet l’adaptation optimale aux nombreuses contraintes environnementales et/ou comportementales physiologiques ou pathologiques. Il est aussi vain que faux de prétendre que, dans l’absolu, tel ou tel nutriment est préférable ou néfaste. Il est troublant de réaliser qu’actuellement vivent sur terre des populations aux habitudes alimentaires très éloignées, voire opposées, et pourtant elles vivent... Ainsi l’alimentation traditionnelle des populations esquimaudes comporte à certaines époques de l’année une proportion très élevée, sinon exclusive, de viande et de graisse (obtenue à partir de la chasse aux phoques), tandis qu’à un autre endroit de la planète des peuples asiatiques pauvres ont une nourriture essentiellement faite de riz et de quelques végétaux. Dans les deux cas, le métabolisme se moule sur l’environnement. À côté des contraintes environnementales, les modifications comportementales représentent une autre classe importante de pression évolutive. La réponse métabolique est avant tout une réponse dont la finalité n’est sans doute pas le maintien d’une composition corporelle définitive ou « idéale ». Toute la difficulté de l’appréhension du phénomène métabolique planétaire qu’est l’obésité réside dans la confrontation de contraintes psychologiques, environnementales et métaboliques différentes, voire potentiellement opposées (la prise alimentaire en réponse à un stress psychologique, par exemple). La coexistence de dénutrition majeure et d’obésité dans la plupart des pays pauvres illustre bien la difficulté à laquelle se heurte notre compréhension. L’histoire de l’alimentation de l’homme a oscillé entre les nécessités de survie au cours des grandes famines et l’adaptation aux situations de pléthore et la caractéristique majeure du métabolisme réside justement dans son extrême plasticité, c’est-à-dire une quête permanente d’adaptation des moyens à une fonction ou à une finalité.
Bibliographie
Référence bibliographique
Weindruch R., Walford R.L., Fligiel S., Guthrie D., 1986 – The retardation of aging by dietary restriction in mice : longevity, cancer, immunity and lifetime energy intake. J. Nutr., 116 : 641-654.
Auteur
Nutritionniste, professeur à l’université Joseph-Fourier, Grenoble, directeur scientifique NHSA, Inra, Paris.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le monde peut-il nourrir tout le monde ?
Sécuriser l’alimentation de la planète
Bernard Hubert et Olivier Clément (dir.)
2006
Le territoire est mort, vive les territoires !
Une (re)fabrication au nom du développement
Benoît Antheaume et Frédéric Giraut (dir.)
2005
Les Suds face au sida
Quand la société civile se mobilise
Fred Eboko, Frédéric Bourdier et Christophe Broqua (dir.)
2011
Géopolitique et environnement
Les leçons de l’expérience malgache
Hervé Rakoto Ramiarantsoa, Chantal Blanc-Pamard et Florence Pinton (dir.)
2012
Sociétés, environnements, santé
Nicole Vernazza-Licht, Marc-Éric Gruénais et Daniel Bley (dir.)
2010
La mondialisation côté Sud
Acteurs et territoires
Jérôme Lombard, Evelyne Mesclier et Sébastien Velut (dir.)
2006