Chapitre 8. De la ville à la région capitale : la métropolisation en débat
p. 245-275
Texte intégral
1« Le Bamako de demain se prépare aujourd’hui dans le cercle de Kati et sur ses franges rurales1. » Le constat et son analyse font finalement écho aux tendances urbaines abordées d’entrée de jeu dans cet ouvrage, sous l’angle des dynamiques démographiques et des pratiques d’habitation. En passant de la ville à son agglomération, puis à une région d’influence urbaine, de nouveaux observatoires s’imposent dans non plus une, mais deux entités administratives. L’ensemble manque pourtant de prospective territoriale, de relais économiques, d’infrastructures routières et de réseaux techniques, ce qui dans un premier temps fait douter de son rattachement à la définition des métropoles. Le processus de métropolisation est bien amorcé pourtant. Dans un continuum spatial qui se décline en localités urbaines, suburbaines, périurbaines et rurales jusqu’à plus de 40 kilomètres du centre-ville de Bamako, l’interface rural/urbain recule jusqu’aux confins du cercle de Kati. Elle interroge sur le devenir des communes créées à la fin des années 1990 et sur le fait que les plus proches du district n’ont plus de rural que le nom.
2Sur le plan méthodologique, l’aire de référence de la région capitale ainsi considérée, au-delà d’une simple extension des banlieues urbanisées en continu, passe des 240 kilomètres carrés du district de Bamako aux 16 880 kilomètres carrés du cercle englobant dans la région de Koulikoro. La délimitation de l’étalement urbain n’est pas des mieux fondée sur cette nouvelle base administrative, mais elle prend acte de la métropole ici en gestation, selon des densités globalement faibles et des peuplements souvent lâches : son contenu humain, les logiques d’émergence de nouveaux quartiers, peuvent alors être décrits à plusieurs échelles territoriales.
3La question n’est donc pas de reprendre mot pour mot les injonctions découlant de normes mondialisées de développement, cherchant à rendre « ouvertes à tous, résilientes, sûres et durables » les villes africaines en particulier pour en faire des « moteurs de croissance », des hotspots d’investissement et de « connexion aux marchés financiers mondiaux », des espaces « inclusifs et bien gouvernés ». Il s’agit d’informer l’étalement de fait de ces grandes agglomérations, les parts de contraintes et de choix qui s’imposent à leurs habitants, leurs bilans sociaux. Changent-ils la manière dont la ville se fabrique aujourd’hui, produit des formes à la fois matérielles et politiques, et accroît les discriminations marchandes ? Comment cohabitent notamment pauvres et riches, précaires et sécurisés, dans ce cadre urbain élargi ?
Nouveaux agendas urbains à l’horizon 2030
4Force est pourtant de prendre en compte l’internationalisation des références sur la gestion des villes, des modèles d’action, de financement et de pensée du futur urbain, qui affecte aussi les continents les moins urbanisés et les pays les plus en difficultés institutionnelles depuis les années 1990. Objet de la conférence Habitat III des Nations unies en 2016, le New Urban Agenda illustre ces diverses références internationales en 2016, et les contradictions sur lesquelles elles débouchent souvent sur le terrain.
5Au milieu des années 2010, le Mali n’est pas sorti des confits révélés ou amplifiés par la crise politique et territoriale de 2012 (Brunet-Jailly et al., 2014). Mais la population imputée à la capitale, l’arrivée de nouveaux réfugiés maliens, le retour des bailleurs du développement économique, l’installation de nouvelles forces militaires, relancent la nécessité d’une prospective politique et scientifique pour la capitale malienne, dont l’élargissement s’impose, de fait, sans cadre institutionnel. En extrapolant sur les résultats du précédent recensement, l’annuaire statistique du pays estime alors à 2 219 000 le nombre des habitants de Bamako2. Pour 2015 toujours, la prévision de population se monte à près de 2 782 000 personnes dans la base de données Africapolis – Geospatial database on cities and urbanisation dynamics in Africa, qui tient compte quant à elle de l’agglomération formée en continu au-delà des limites du district3.
2015 : le « grand Bamako » entre reconnaissance institutionnelle et enlisement dans une crise multidimensionnelle
6Selon cette même source, Bamako ressort dans la liste des 50 aires urbaines les plus peuplées du continent en se distinguant de ses voisines de l’Afrique de l’Ouest intérieure. Son niveau de population est en effet comparable à celui de métropoles côtières, comme Dakar ou Maputo. Son classement recule si l’on ne retient que l’aire construite, mais avec près de 500 kilomètres carrés mesurés en 2015, le double de la superficie du district, la capitale malienne dépasse aussi Abidjan en étendue. Comme la plupart des agglomérations subsahariennes, elle disparaît alors de la liste des 50 aires urbaines les plus denses qui est principalement occupée par des villes moins peuplées d’Égypte : seules Dakar et Kinshasa figurent parmi ces densités importantes (de 15 000 à 16 000 habitants au kilomètre carré), tandis que Bamako n’atteint pas les 5 600 habitants au kilomètre carré.
7Rouge en 2000 et 2014 selon une mesure satellitaire japonaise, bleue en 2015 selon celle d’Africapolis (carte 33), la tache de Bamako est donc surveillée de haut4.
Carte 33. Mesures de la tache urbaine de Bamako dans les années 2010.

Sources : Hou et al., 2016 ; Africapolis (mise à jour 2015).
82015 est surtout le moment où se termine un agenda international, celui des Objectifs du millénaire pour le développement, et où commence une autre série d’objectifs onusiens à l’horizon 2030. La problématique du développement durable s’applique désormais à tous les pays du monde. L’objectif 11 (Villes et communautés durables) compte sur ce plan plusieurs cibles dédiées aux agglomérations et à leur aménagement, ou se combine avec d’autres des 17 ODD pour questionner le futur urbain. Un an plus tard, le « Nouveau Programme pour les villes » est approuvé par les États à Quito et soutenu par diverses assemblées de gouvernements locaux.
9De nombreux pays africains montrent plus d’intéressement à l’action publique urbaine que dans les décennies précédentes, ouverts à la circulation mondiale de modèles de planification, de compacité, de connectivité, de maîtrise foncière et de sobriété énergétique. Au Mali, ces défis restent perçus comme étant plus techniques que politiques dans les ministères en charge des travaux publics, de l’urbanisme et du logement, des domaines de l’État ou encore de l’aménagement du territoire. Depuis les années 1980, ils sont surtout soumis à une logique de « projets » qui a certes diversifié les bailleurs et les partenaires, mais qui maintient de nombreux vides et défauts de coordination dans la carte des actions, des difficultés d’appropriation et de maintenance des équipements apportés, des biais et autres effets pervers dans la manière dont l’aide extérieure est allouée au développement urbain.
10De nouveaux ordres professionnels maliens confirment cependant la libéralisation de professions formées au génie urbain : topographes et géomètres, ingénieurs, architectes et urbanistes se font entendre auprès des services techniques locaux des villes et de leurs tutelles institutionnelles pour la passation de marchés publics. Les élites politiques municipales s’expriment de même sur la redéfinition de périmètres de compétence, sur la mise en œuvre de programmes financiers ou la refonte du gouvernement urbain, autant de défis qu’elles voudraient de moins en moins voir imposer d’en haut. Comme à Niamey, les débats portent sur le recul des limites du district, qui absorberait des communes rurales et fragmenterait le contrôle du territoire urbain avec un nombre accru de collectivités décentralisées. De réelles dissensions se font jour sur l’idée de transformer les communes de plein exercice en communes d’arrondissement, à l’inverse d’un « acte 3 » pris par la décentralisation à Dakar, ce qui limiterait les compétences locales au bénéfice d’un pouvoir régional représenté par la mairie centrale de Bamako. Mais l’idée de maintenir les municipalités en l’état n’est pas davantage consensuelle tant leurs performances fiscales sont médiocres, leurs concertations sont limitées, et le clientélisme y est prégnant. Force est de reconnaître que l’autonomie budgétaire et décisionnelle qui leur a été donnée par les réformes des années 1990, puis la décharge sur elles de diverses responsabilités, que l’État central n’assumait plus guère, ont sanctuarisé la gestion des ressources foncières en ville. S’il convient de mieux articuler les niveaux national, régional et communal de pilotage d’une action publique pour Bamako, il n’existe pas plus de recette miracle, ni de panacée technique pour cela depuis 2015 (Bertrand, 2015-a ; 2018).
11Quant aux associations et aux mobilisations citoyennes, elles ne s’expriment guère au Mali sur un « droit à la ville » dont d’autres plaidoyers participatifs se sont emparés dans des contextes du Nord et du Sud. Des contestations locales, des assemblées de quartier et des leaders communautaires se font davantage entendre sur les manques que révèlent l’accès à l’eau et la gestion des ordures, et posent bien des alertes sur les risques et les dérives de la gestion foncière locale. Il y a là matière à protester, plutôt qu’à illustrer comment des « parties prenantes non gouvernementales » tireraient mieux la « gouvernance urbaine » dans le sens qui satisfait leurs intérêts. Pensées ou portées de l’extérieur, les « concertations avec la société civile » font en effet bien défaut à l’action publique bamakoise.
12Différents univers sociaux, scènes institutionnelles et arènes politiques se montrent en tout cas agités par des recommandations pressantes pour faire des capitales africaines à la fois les vitrines de nouvelles technologies et des enjeux de la coordination d’action à imprimer du sommet à la base de l’État. Il leur est cependant difficile de faire passer une vision positive de l’urbanisation, dans une société où elle est avant tout perçue comme une somme de maux du quotidien et de spoliations imposées au monde rural ; difficile aussi de faire admettre de nouvelles lignes budgétaires dans un pays dont les priorités affichées sur le développement agricole restent elles-mêmes insatisfaites.
13Élaborée dans la première moitié des années 2010 (Mairie du district de Bamako, 2010), bloquée par la crise politique nationale de 2012 et ses retombées dans la capitale, la vision stratégique « Bamako 2030 » est aussi relancée au milieu de la décennie5. Il s’agit de fonder la maîtrise d’ouvrage locale qui doit supporter le nouveau schéma directeur de la ville6, puis de recadrer la programmation d’actions de développement autour de nouvelles agences régionales. Mais la conception du nouveau document d’urbanisme a beau être déléguée à des bureaux d’étude privés, être adossée à un financement extérieur et à diverses conditions d’expertise, elle se fait toujours attendre. Elle rappelle en cela comment de précédentes recommandations urbaines, venant alors de l’État central plutôt que de la collectivité décentralisée, peinent à se concrétiser dans le pays.
14Ainsi patinent, dans les années qui en rappellent pourtant l’importance, les projets d’élargissement du territoire de Bamako et de réorganisation de son gouvernement local, liés qu’ils sont par d’autres difficultés de la décentralisation dans le pays. L’étalement urbain n’est donc, de fait, ni anticipé globalement ni accompagné localement par les mesures d’aménagement et d’équipement qui s’imposeraient (chapitre 9).
Élargir et affiner la mesure de l’étalement urbain
15L’agglomération de Bamako se recompose pourtant largement au-delà du district. Selon quelles logiques spatiales : une simple continuité du tissu urbain qui ferait par conséquent « banlieue », ou selon de nouvelles discontinuités et marqueurs d’un processus de périurbanisation ? Consacrée à l’approche « longitudinale et spatialisée » de ce développement urbain, la convention d’étude Instat/IRD (2018-2020) mobilise sur ce plan de nombreuses variables caractérisant les individus, les ménages et leurs référents dans le recensement de 2009 et les deux précédents de 1998 et 1987. Leur exploitation statistique et cartographique montre surtout qu’il est possible de valoriser les données censitaires à une échelle locale, pour le moins infracommunale, et par conséquent de les croiser en tout lieu de l’espace métropolisé, du centre-ville aux franges rurales de l’agglomération, avec d’autres sources d’information territoriale.
16Dans le cercle de Kati, on est cependant embarrassé pour répartir les localités des communes rurales, toujours définies comme villages par le recensement, entre deux registres d’influence de la ville : immédiate ou plus lointaine. Toute tentative pour établir les limites de la tache urbaine, sur lesquelles le périmètre du district de Bamako devrait être agrandi ou fonder un nouveau type de gouvernement urbain, est à reprendre après quelques années comme le montrent plus haut les relevés satellitaires des années 2010. Parmi ces tendances spatiales, l’influence des routes goudronnées est manifeste mais elle n’est pas exclusive. L’étalement urbain confirme sa configuration d’ensemble « en doigts de gant », mais ce développement tentaculaire se ramifie aussi en suivant des pistes non revêtues qui soulignent la percée démographique de certaines localités rurales, tandis que d’autres restent à l’écart. D’autres logiques se font jour également à distance des routes et de leurs réseaux techniques.
17Sur ce plan, plusieurs conclusions ont été déjà tirées des biographies recueillies du nord au sud de Bamako dans les communes de Dialakorodji et de Kalabancoro : l’agglomération progresse en combinant des pressions centripètes et des mouvements centrifuges, en organisant en son sein des sous-systèmes de mobilité résidentielle et de déplacements quotidiens (chapitres 5 et 6). Reste à envisager selon quelles logiques socioéconomiques ces nouvelles bordures urbaines se peuplent : la concentration des classes aisées ou le refoulement des pauvres ? Et quel modèle de relation au centre urbain les périphéries du « grand Bamako » préfigurent ? Donnent-elles aux citadins les plus démunis, exclus des marchés du logement dans le district, quelques chances d’accéder à de meilleurs services et possibilités d’emploi que dans leurs localités d’origine, soit des perspectives d’intégration à la marge ? Ou bien filtrent-elles les plus aisés, capables de s’adapter à une marchandisation du sol qui est devenue non seulement systématique mais spéculative ?
18En même temps que les Bamakois recomposent leurs liens avec le reste du Mali et avec les mondes de la diaspora, en même temps que la ville se montre prédatrice pour son environnement rural, comment comprendre surtout une expansion qui ne s’appuie ni sur la relocalisation d’emplois formels vers des centres économiques secondaires, ni sur de grandes infrastructures susceptibles d’attirer d’autres investisseurs et activités ? Profitant de nouveaux jeux de données, cette dernière partie apporte deux types d’arguments, démographiques et fonciers, à la métropolisation qui se dessine dans les années 2010, avec son espace mouvant et son défaut de supports fonctionnels.
Des bilans démographiques à poser dans le continuum spatial Bamako-Kati
19L’exploitation des données censitaires est d’abord menée dans le cadre d’un système d’information géographique dédié à l’étalement urbain et à ses points d’ancrage locaux. Le géoréférencement des localités des communes rurales (villages) et des quartiers des communes urbaines (Bamako et Kati) permet ainsi d’aborder l’agglomération dans un double continuum : temporel en suivant les comptages démographiques sur plusieurs décennies ; spatial en dépassant les limites administratives régionales et en suivant le gradient urbain/suburbain/périurbain/rural sur toute l’étendue du cercle de Kati.
20Avant la communalisation intégrale du territoire malien à la fin des années 1990, l’évolution de l’arrière-pays bamakois ne peut s’envisager qu’à l’échelle des huit arrondissements ruraux constituant ce cercle (figure 31). Les recensements suivants de 1998 et 2009 continuent d’ailleurs de se référer à ce niveau de représentation de l’État qui devient celui du sous-préfet : le code donné aux arrondissements est conservé et englobe désormais les identifiants attribués aux nouvelles collectivités locales. Les arrondissements du cercle de Kati ont en outre l’avantage d’être équivalents en nombre, ou presque, aux communes urbaines de l’agglomération. Celle de Kati ne se confond pas démographiquement avec l’arrondissement de Kati-central, dans lequel elle est enclavée et sur les terres duquel elle aussi déborde. Elle « pointe » en effet comme ville dès 1987, avec près de 35 000 habitants, puis en grossissant sa population de deux fois et demie en deux décennies. Mais seul l’arrondissement de Kalaban-Coro, qui regroupe huit communes rurales sur les deux rives du fleuve Niger et notamment celle de Kalabancoro, la plus peuplée du cercle de Kati, offre un niveau de population équivalent aux communes méridionales de Bamako, alors que son territoire est environ vingt fois plus vaste (1 688 kilomètres carrés) que celui de la commune urbaine la plus étendue (commune VI : 87 kilomètres carrés).
Figure 31. Bilan démographique du continuum Bamako-Kati par commune et arrondissement depuis 1987.

Sources : RGPH, 1987-2009.
21L’échelle de comparaison reste cependant bien grossière. Alors que de précédentes mesures de bâti ont montré comment la capitale malienne s’inscrivait fréquemment en opposition avec son arrière-pays rural (chapitre 1), comment son niveau d’équipement faisait jouer un « privilège » urbain, une approche plus fine des données donne une image plus graduée de cette enveloppe territoriale. En suivant les principaux axes routiers dans plusieurs directions, elle semble montrer que la répartition de la population bamakoise suit aussi, sans grande originalité, des modèles gravitaires, auréolaires et radioconcentriques.
22Avec le recensement de 2009, on s’appuie pour cela sur des données de meilleure qualité que dans les précédentes opérations. Mais les codes imputés aux localités continuent de changer à chaque comptage, ce qui oblige à reprendre de longs inventaires de plusieurs centaines de localités à chaque décennie. L’appariement des bases démographiques et des données géographiques du SIG pose ainsi de nombreux problèmes : l’orthographe des noms change d’une source à l’autre, d’un recensement au suivant ; des villages restent « flottants » dans l’inventaire communal ; certains secteurs nouvellement urbanisés ne sont pas encore reconnus comme quartiers ; des localités informées en population ne sont pas retrouvées sur la carte, d’autres sont à l’inverse présentes dans la base géographique mais absentes du répertoire des villages recensés.
23Enfin, la préparation du recensement s’est montrée plus difficile en limite du district de Bamako, au contact de l’entité administrative voisine et de ses propres communes. De même, la répartition des sections d’énumération entre les différents agents recenseurs7 a posé de nombreux problèmes que l’on visualise en particulier dans quatre des huit arrondissements ruraux les plus concernés par l’influence de Bamako (carte 34) : leurs limites se superposent fréquemment en bordure des arrondissements, tandis que la carte qui résulte de ce niveau de comptage ne gagne pas nécessairement en précision par rapport au niveau de mesure des villages. Une observation fondée sur ces localités (planche 40) offre la solution la plus réaliste en matière de peuplement et la mieux ancrée dans les représentations locales.
Carte 34. Cartographie censitaire et géoréférencement des localités du cercle de Kati.

Sources : RGPH, 2009 ; MATCL-DNCT ; base Oise.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
Planche 40. Localités des communes riveraines de Bamako

Sources : base Oise/GADM database.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
Mobiliser les données infracommunales
24Encore fallait-il donner aux villages-terroirs l’étendue cartographique qu’ils n’ont pas dans les institutions maliennes. Une couche d’information géolocalisée a donc été créée pour délimiter ces localités sur une base purement géométrique, à partir des points villageois déjà référencés dans la base Oise, produite en 2009 par la Direction nationale des collectivités territoriales. En définissant ainsi les quelque 500 localités informées dans le cercle de Kati, on trouvait un compromis permettant d’ajuster le contact entre les localités-quartiers de la ville, déjà reconnues sur un plan administratif et socialement appropriées, et les localités-polygones du milieu rural. Dans ce lissage territorial, les villages rattachés au cercle de Kati pouvaient être visualisés sans empiéter sur le district ; les quartiers des périphéries bamakoises pouvaient de même être ajustés à la définition des communes rurales selon la même base GADM.
25Avec cette focale des localités, on repère plus facilement les « villages » rivalisant depuis le cercle de Kati avec certains secteurs urbains dans la liste des plus de 5 000 habitants en 2009 (tableau 88).
Tableau 88 – Dynamique des localités du cercle de Kati comptant plus de 5 000 habitants en 2009
Localité rurale (*) | Population 1998 | Population 2009 | Solde 1998-2009 | Accroissement % | Densité/km² en 2009 |
Kalabancoro | 23 996 | 96 173 | 72 177 | 300,8 | 5 743,40 |
Sangarebougou | 4 281 | 27 451 | 23 170 | 541,2 | 7 121,40 |
Kabala | 1 137 | 15 726 | 14 589 | 1 283,10 | 1 159,70 |
Moribabougou | 4 627 | 15 625 | 10 998 | 237,7 | 1 782,60 |
Sirakoro Meguetana | 4 133 | 14 596 | 10 463 | 253,2 | 602,3 |
Sarambougou | 2 568 | 13 644 | 11 076 | 431,3 | 3 869,00 |
Kanadjiguila | 4 800 | 12 263 | 7 463 | 155,5 | 1 480,60 |
Sanankoroba | 5 246 | 10 171 | 4 925 | 93,9 | 311,2 |
Ouelessebougou | 7 035 | 9 604 | 2 569 | 36,5 | 1 226,2 |
Tiebani | Non renseigné | 9 109 | NR | NR | 1 018,40 |
Niamana (Kalabancoro) | 1 237 | 8 325 | 7 088 | 573 | 627,3 |
Bancoumana | 7 068 | 7 698 | 630 | 8,9 | 218,6 |
Siby | 4 677 | 7 483 | 2 806 | 60 | 153,5 |
Gouana | 701 | 7 449 | 6 748 | 962,6 | 592,9 |
Ngabacoro Droit | 1 407 | 7 401 | 5 994 | 426 | 1 480,10 |
Nentoubougou | 2 289 | 7 354 | 5 065 | 221,3 | 682,5 |
Titibougou | 2 140 | 7 245 | 5 105 | 238,6 | 402 |
Baguineda Camp | 4 757 | 6 886 | 2 129 | 44,8 | 1 041,60 |
Banancoro (Sanankoroba) | 2 251 | 6 547 | 4 296 | 190,8 | 245,7 |
Mamaribougou (Mandé) | 754 | 6 459 | 5 705 | 756,6 | 343,6 |
Seydoubougou | 1 321 | 6 097 | 4 776 | 361,5 | 2 457,70 |
Souleymanebougou | 707 | 5 622 | 4 915 | 695,2 | 894,6 |
Ouezzindougou | 2 384 | 5 408 | 3 024 | 126,8 | 1 042,80 |
Fombabougou | Non renseigné | 5 394 | NR | NR | 358,8 |
Kobalakoro | 2 806 | 5 110 | 2 304 | 82,1 | 640 |
Dialakoroba | 3 680 | 5 017 | 1 337 | 36,3 | 131 |
(*) Dans le cas de localités ayant un ou plusieurs homonymes, le nom de la commune de rattachement est précisé entre parenthèses.
Sources : RGPH, 1998-2009 ; SIG RGPH (convention d’étude Instat/IRD).
26Sur les 86 localités concernées, 26 sont rattachées aux arrondissements ruraux, cinq correspondent aux plus gros de la quinzaine de quartiers de Kati-ville (tableau 89), les 55 autres sont des quartiers bamakois. L’ensemble porte déjà la capitale à 2 210 632 habitants en 2009, contre les 1 810 366 comptés dans les limites du district. Mais alors que la population ainsi identifiée à Bamako n’a progressé « que » de 75 % entre 1998 et 2009, celle des localités « rurales » s’est accrue de 228 % dans la même période intercensitaire.
Tableau 89 – Quartiers de la ville de Kati comptant plus de 5 000 habitants en 2009
Quartier de Kati-ville | Population 1998 | Population 2009 | Solde 1998-2009 | Accroissement % | Densité/km² en 2009 |
Malibougou | 10 232 | 15 561 | 5 329 | 52,1 | 3 246,50 |
Koko | 7 321 | 14 295 | 6 974 | 95,3 | 2 096,30 |
Sananfara | 7 118 | 12 400 | 5 282 | 74,2 | 2 490,50 |
Camp militaire | 5 160 | 7 865 | 2 705 | 52,4 | 1 903,30 |
Farada | 1 990 | 6 141 | 4 151 | 208,6 | 808,7 |
Sources : RGPH, 1998-2009 ; SIG RGPH (convention d’étude Instat/IRD).
27Aucune de ces localités du cercle de Kati ne voit diminuer le nombre de ses habitants, ce qui n’est pas le cas de quartiers bamakois montrant eux un bilan négatif parmi les plus de 5 000 habitants (tableau 90), ni de certains villages plus distants du district. Parmi les 500 de Kati, 68 présentent en effet un bilan démographique négatif en 2009 par rapport à 1998 : ils ont perdu un total de 16 034 personnes, selon une régression moyenne de 21 %. À l’inverse, la très grande majorité des localités rattachées à Kati a gagné en population et fait progresser celle du cercle de 433 041 habitants, selon un accroissement moyen de près de 100 % entre les deux dates. La dynamique démographique de ce peuplement, quelle que soit sa taille, est donc forte et plus marquée qu’en ville.
Tableau 90 – Quartiers bamakois comptant plus de 5 000 habitants en 2009 et perdant de la population
Quartier | Population 1998 | Population 2009 | Solde 1998-2009 | Accroissement % | Densité/km² en 2009 |
Bamako Coura (III) | 10 076 | 8 456 | - 1 620 | - 16,1 | 25 905,80 |
Badialan 1 (III) | 8 378 | 5 546 | - 2 832 | - 33,8 | 21 490,80 |
Korofina Nord (II) | 14 630 | 10 188 | - 4 442 | - 30,4 | 6 391,00 |
Sogoniko (VI) | 19 435 | 16 642 | - 2 793 | - 14,4 | 3 527,30 |
Sources : RGPH, 1998-2009 ; SIG RGPH (convention d’étude Instat/IRD).
28On peut rester dubitatif sur plus d’un résultat du recensement de 2009, y compris à Bamako. Il est certes possible que quelques vieux quartiers aient commencé à se dépeupler autour du centre-ville, comme dans de nombreuses villes dont les centres d’affaires et de nouveaux immeubles commerciaux mordent sur les plus anciens espaces résidentiels. L’hypothèse se retient du moins à Bamako Coura et Badialan 1 mais elle est loin de s’appliquer à des entités voisines dans la commune III (carte 35). Elle pourrait également affecter les abords de grands axes et d’équipements majeurs, comme à Korofina, traversé par la route de Koulikoro, et à Sogoniko, influencé par l’avenue de l’OUA et les activités gravitant autour de la gare routière.
Carte 35. Évolution de la population résidente entre 1998et 2009 par quartier du district de Bamako.

Sources : RGPH, 1998-2009.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
29Mais l’hypothèse d’un biais cartographique est aussi à considérer : le tracé des unités de dénombrement est sensiblement modifié d’un recensement à l’autre, et certains secteurs urbains semblent avoir changé de quartier de rattachement entre 1998 et 2009. À cette instabilité du découpage censitaire de Bamako s’ajoute le fait que le nombre de quartiers a lui aussi changé au fil des recensements, en passant de 63 en 1987 aux 68 de 2009. Dans le secteur de Badalabougou-Séma I, par exemple, bien caractérisé par l’enquête PLMU, on ne peut comprendre autrement pourquoi 594 habitants ne sont plus identifiés en 2009, après les 2 649 comptés en 1998. On ne peut comprendre non plus la légère baisse notée à Badalabougou-Séma II, tandis que le quartier de Badalabougou, qui englobe ces deux opérations immobilières de la Séma, voit sa population quasiment doubler dans la même période.
30Un autre risque de la cartographie censitaire vient du fait de rattacher à une même localité des secteurs urbains sociologiquement contrastés. C’est le cas à Bougouba qui compte en 2009 les habitants de la Cité du Niger, en pleine explosion démographique depuis les années 1990. Les occupants de parcelles coûteusement loties ici, sur l’une des îles reliées à la rive gauche du fleuve, n’ont rien en commun avec ceux du vieux noyau villageois que constitue d’abord Bougouba. Rattrapé par la croissance urbaine après l’indépendance malienne, celui-ci a conservé sa morphologie irrégulière en se densifiant fortement ; il résiste encore à la perspective d’un « redressement » qui vaudrait exclusion pour un grand nombre d’habitants, d’autant que la zone de recasement prévue pour l’opération, dans une autre commune de Bamako, a déjà été morcelée pour le compte de citadins plus nantis. À cette échelle d’agrégation, la population comptée depuis les deux secteurs donne donc une fausse impression de mixité sociale.
31De même, les programmes immobiliers lancés sur les marges de la ville au cours des années 2000, au titre de la politique des logements sociaux, aboutissent à une envolée démographique sur les vastes terres de Yirimadio, dont la sociologie n’a plus rien à voir avec celle du village d’origine. L’enquête PLMU en a montré le profil de classes moyennes salariées (chapitre 5), mais le recensement noie ces caractéristiques des « ATT-bougou » dans l’ensemble composite qu’est devenu Yirimadio : avec une population qui a augmenté de plus de 900 % entre 1998 et 2009, un record parmi les localités rattachées à Bamako, on entre surtout dans la réalité contrastée du cercle de Kati.
32Une fois franchies les limites du district en effet, seul le double chef-lieu de Kalabancoro, de commune et d’arrondissement, se démarque véritablement de la dizaine de localités les plus peuplées. Il occupe la cinquième position des localités de plus de 5 000 habitants en en ayant gagné 72 177 depuis 1998, c’est-à-dire en multipliant sa population par quatre en une décennie ! Les autres « villages » ont une population généralement en deçà de celle des quartiers de Kati-ville et surtout de Bamako. Dans cet inventaire élargi, la population moyenne des quartiers urbains est en effet de 31 350 habitants, contre 12 690 pour les localités rattachées à des communes rurales.
33En plaçant le curseur urbain à plus de 10 000 habitants dans le même cadre territorial, valeur de référence de la base Africapolis, ne ressortent plus que huit localités « rurales » du cercle et deux quartiers de Kati-ville : Kabala, Sirakoro Meguetana, Sanankoroba s’ajoutent à Kalabancoro en rive droite ; Sangarebougou et Sarambougou, Moribabougou, ou encore Kanadjiguila les complètent en rive gauche. L’ensemble totalise près de 109 500 habitants à lui seul, tandis que 16 quartiers bamakois ont disparu de l’inventaire du fait d’effectifs supérieurs à 5 000 habitants mais inférieurs à 10 000 habitants8.
34Le bilan de ces évolutions démographiques est finalement tiré pour l’ensemble du cercle de Kati quelle que soit la population des localités (planche 41). Seule la mesure relative du croît intercensitaire supporte une cartographie complète comprenant Bamako, dont les valeurs urbaines, bien que nuancées d’un quartier à l’autre, atténuent les contrastes venant de l’environnement rural. Outre quelques décroissances surprenantes notées plus haut, la tendance est plutôt celle du report des plus fortes croissances vers les marges du district.
Planche 41. Évolution de la population résidente entre 1998 et 2009 par localité du cercle de Kati

Sources : RGPH 1998-2009.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
© IRD/M. Bertrand, octobre 2018.
35Les cartes à cercles proportionnels (populations globales de 1998 et de 2009, gagnées ou perdues entre ces deux recensements) excluent par contre les valeurs bamakoises, car celles-ci feraient perdre toute visibilité cartographique aux localités de Kati. Kalabancoro tend déjà à écraser les autres, par sa masse démographique contiguë à Bamako et son ouverture déjà ancienne à des populations urbaines (chapitre 2).
36D’autres terroirs ont aussi connu de complètes reconversions d’usage sous l’influence de la ville, au point que même leurs habitants ne savent pas toujours les situer comme distincts ou faisant partie de Bamako. C’est le cas de Sangarebougou dans laquelle on entre, depuis l’est de la commune I, comme dans une véritable banlieue : sans se rendre compte que l’on sort en même temps du district. Avec ses 27 500 habitants en 2009, il s’agit du chef-lieu de l’une des communes rurales les moins étendues du cercle de Kati, et assurément de la plus urbanisée puisque ses deux autres localités représentent encore 13 600 (Samabougou) et 6 000 habitants (Seydoubougou). De même, l’expansion du quartier périphérique de Taliko a fini par générer deux localités censitaires aujourd’hui rattachées à des entités administratives différentes de part et d’autre d’un simple pont : l’ancien Talico marque l’entrée dans la commune IV de Bamako, depuis l’ouest du district, tandis que son prolongement, nommé Taliko 2, appartient à Dogodouman, la plus petite des communes de Kati qui ne compte également que trois localités.
Un gradient décroissant de densité du peuplement
37La différence entre un étalement continu, ou suburbain, et un processus plus dispersé de périurbanisation peut s’apprécier à la même échelle, selon les variations locales de densité du peuplement. Le semis des localités apparaît déjà inégalement dense sur la carte : les polygones de Thiessen ou de Voronoï qui en matérialisent l’étendue sont d’autant plus grands que les points villageois, à partir desquels ces limites sont tracées, sont distants les uns des autres. Les marges occidentales du cercle de Kati, au contact avec celui de Kita, signalent ainsi un peuplement peu important à l’approche de grands domaines forestiers situés encore loin des influences urbaines.
38La densité de population au kilomètre carré mobilise quant à elle les données censitaires (carte 36). Elle donne ses meilleurs arguments à la démarche consistant à relier population et territoire à l’échelle infracommunale (chapitre 3). De fait, les valeurs les plus importantes ont bel et bien franchi la limite du district en 2009. Avec plusieurs milliers et dizaines de milliers d’habitants au kilomètre carré, elles suivent le processus de banlieurisation dans toutes ses directions. C’est ce qui inclut aussi, bien qu’avec des valeurs moindres, la ville de Kati et ses propres quartiers dans la tache urbaine de la capitale.
Carte 36. Densité de population par localité du cercle de Kati et quartier du district de Bamako.

Source : RGPH, 2009.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
39Dans le détail, les valeurs intermédiaires soulignent une progression plus large et plus discontinue du tissu urbain. Celle-ci est orientée par le réseau des routes revêtues et par quelques carrefours, de route à piste, qui se sont déjà montrés avantageux pour les localités retenues comme chefs-lieux de communes.
Vers le nord-est, la route de Koulikoro donne à penser que le cercle de Kati ne suffira pas longtemps à mesurer l’étalement urbain dans cette direction, car sa frontière avec le cercle voisin est à moins de 30 kilomètres du centre de la capitale à vol d’oiseau. Il y a donc à parier que le territoire du cercle de Koulikoro devra être pris en compte pour suivre dans la même veine les résultats du cinquième recensement malien.
Vers l’est et le sud, les routes de Ségou et de Sikasso montrent encore des valeurs supérieures à 1 000 habitants au kilomètre carré, et la seconde fait ressortir le chef-lieu communal de Sanankoroba dans le même rayon de 30 kilomètres. Les premiers résultats de l’enquête « Loin/près des routes » (LPR) menée en 2018 sur une extension de la ville9 montrent déjà que Bamako représente plus du quart des étapes résidentielles vécues par les chefs de ménage interrogés avant leur installation à Sanankoroba. Un sur dix y travaille et s’y rend quotidiennement pour son emploi.
Six localités de la rive gauche du Niger pointent de même vers le sud-ouest, à l’entrée de la vaste commune du Mandé sur la route de la Guinée. Kanadjiguila et Mamaribougou, Kabalabougou, Samaya, Ouezzindougou et Samanko Plantation dessinent ainsi un axe d’urbanisation bien visible en amont du fleuve, miroir de celui orienté vers Koulikoro en aval.
Une fois la ville de Kati dépassée en direction de l’Ouest malien, la route de Kita apparaît mieux ponctuée de localités « intermédiaires », les chefs-lieux des communes de Diago, Dio-Gare et de Bossofala qui avaient déjà bénéficié de l’axe ferroviaire du Dakar-Niger.
40À distance de ces routes, on retrouve enfin les faibles valeurs de densité qui font le Mali rural, un bâti qui se transforme mais reste essentiellement villageois. L’influence de la ville se ressent davantage dans les activités agricoles et extractives dont sa population a besoin pour se nourrir et s’étendre.
La fabrique sociale des périphéries d’agglomération : des pauvres ou les nouveaux riches ?
41Dans ce gradient décroissant de pression démographique, assiste-t-on alors au report vers les marges urbaines des discriminations socioéconomiques déjà notées plus au centre de la ville ? Les inégalités perceptibles dans l’édification des nouveaux bâtiments se limitent-elles à la proche banlieue de Bamako, ou se donnent-elles à voir plus loin dans le cercle de Kati ? Nombre de ses nouveaux habitants, venant du district, se décrivent en effet comme les « exclus de la capitale » et les « oubliés des politiques » sous la Troisième République malienne. Une fois analysés les rôles de la migration et de la mobilité résidentielle dans le développement spatial de Bamako (chapitre 6), que signifie être pauvre dans les flux qui charpentent aujourd’hui l’agglomération ?
Photo 5. L’économie du bâtiment à l’assaut des terres délaissées par la culture : sable et gravier exploités à l’est de Bamako.

© IRD/M. Bertrand : Sirakoro Meguetana, juin 2015.
42Caractériser le profil sociologique des localités reste une affaire complexe quand leur population s’accroît aussi vite. Sur le modèle posé par les quartiers urbains, on croise de nouveau des marqueurs physiques du niveau de vie et les données censitaires disponibles en matière de standing socioéconomique. La carte des actifs salariés et celle des actifs indépendants, les seconds très liés à l’emploi informel et aux activités d’intermédiation marchande, ont déjà montré un contraste général entre la ville et son environnement rural, au moment où les valeurs atteintes par Bamako commençaient à déborder sur le cercle de Kati (chapitre 5). On peut donc en déduire que le peuplement urbain diffuse à la fois les meilleures chances de réussite et de constantes inégalités économiques liées au niveau d’étude. Sur ce plan, la pauvreté de la ville rejoint la pauvreté rurale sur les mêmes lieux de croissance démographique.
Environnements sous contraintes, défauts d’aménagement et de capacités financières
43L’impression de pauvreté ressort d’abord du peu d’action publique menée par les communes rurales, ce qui permet à « Bamako » de se débarrasser de ses ordures sur leurs terres. En ce sens, la pauvreté prend d’abord une tournure environnementale, précarité et vulnérabilité physique qui rappelle l’analyse comparée des aménités, des services d’eau, d’assainissement, d’électrification des espaces habités, dans le district de Bamako et le cercle de Kati (chapitre 1). Des dépôts réguliers aux déversements sauvages, des bords de routes aux champs reculés, en passant par les marigots et les espaces attenants aux maisons, les producteurs agricoles, les habitants et leurs édiles vivent cette décharge au quotidien. Chacun sait qu’elle est d’abord la conséquence de l’absence de dépotoir normé pour la fin de course des déchets collectés dans les quartiers et transitant tant bien que mal vers ou depuis les zones de dépôt des communes urbaines. Le financement et la conception de l’infrastructure sont annoncés, en pointillé certes, mais l’entrée en fonctionnement tarde au point de devenir improbable, et alors que le site est jugé d’avance insuffisant pour toute l’agglomération. La décharge sans vergogne des déchets urbains est donc dénoncée plus généralement comme la conséquence de ressources financières, techniques et politiques trop maigres pour permettre aux nouvelles communes de mener la riposte et d’imposer leurs propres mesures de salubrité (Bertrand, 2015-b).
44L’épandage de boues grises retirées des latrines domestiques ou de résidus solides reste alors une technique de fumure mise en œuvre par quelques actifs agricoles disposant de peu d’intrants sur leurs terres. Des spéculateurs fonciers cherchent même à donner le change en brûlant des ordures sur les parcelles qu’ils ont acquises au détriment de villageois, en attendant d’y investir ou de les revendre plus ou moins purgées des droits communautaires. Pour le reste, la décharge est de plus en plus vécue comme l’usurpation de prérogatives territoriales que la ville se permet aux dépens des communes voisines. Elle est subie comme une pratique malsaine pour leurs habitants et contradictoire au regard des coordinations institutionnelles attendues d’un développement durable.
Des besoins non satisfaits en ville : la location dans le sillage des ménages accédant à la propriété
45La géographie du district a déjà montré que les limites d’équipement et de gestion peuvent se montrer trompeuses s’il s’agit de situer le potentiel économique des ménages. En se demandant de même où se loge la pauvreté à l’échelle de l’agglomération, on doit chercher des mesures relatives aux habitants plutôt qu’à leur cadre de vie physique.
46De fait, le cercle de Kati accueille de plus en plus de citadins trop peu solvables pour se maintenir sur le marché du logement de Bamako. Pour justifier leur installation à distance, les derniers chefs de ménage enquêtés dans le cadre de l’échantillon LPR, en 2018, expliquent qu’ils sont victimes de bailleurs « trop gourmands en ville » qui les ont expulsés de précédentes locations, ou bien que les programmes immobiliers gouvernementaux qu’ils convoitaient sont trop limités en nombre et trop sélectifs à leur égard. Exclus ou déçus, ils se retrouvent alors dans la proportion non négligeable de locataires que comptent déjà certaines localités (figure 32).
Figure 32. Évolution des effectifs de propriétaires et de locataires par arrondissement et commune depuis 1987.

Sources : RGPH, 1987-2009.
47La comparaison des communes urbaines et des arrondissements ruraux montre en effet que la progression de la ville, si elle est initiée par des propriétaires, est vite suivie d’une envolée de la location. Les propriétaires, pionniers du peuplement, consacrent les changements d’usage du sol et la naissance d’un parcellaire d’habitation ; les locataires marquent quant à eux les fortes croissances démographiques et le basculement qui s’ensuit dans l’urbain. Sur le temps de trois décennies correspondant aux trois derniers recensements, la tendance ne cesse de se déporter vers les périphéries de Bamako.
Au sein du district, elle caractérise les quartiers « spontanés » profitant dès les années 1990 d’un programme de régularisation qui les normalise dix ou vingt ans après leur apparition (chapitre 6). Elle s’illustre plus globalement sur la rive droite de Bamako dont le rattrapage démographique se traduit par une forte progression des locataires entre 1987 (35 et 32 % des ménages en communes V et VI) et 2009 (45 et 43 %).
Mais ce « facteur temps » a déjà commencé à faire aussi tourner son compteur dans les communes rurales contiguës. La location y progresse à la fois en valeurs absolues et relatives, comme variable distinctive et constitutive du fait urbain. Elle suit même l’étalement de l’agglomération selon ses deux métriques auréolaire et tentaculaire (carte 37).
Carte 37. Proportion des ménages locataires par localité du cercle de Kati en 2009.

Source : RGPH, 2009.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
Photo 6. Le cercle de Kati : espace de décharge des ordures de Bamako.

© IRD/M. Bertrand, Sogonafing, juin 2014 ; Sanankorobougou, octobre 2018.
48Avec 38 % des ménages en 2009, contre 18 % en moyenne dans le cercle de Kati, la localité devient particulièrement visible dans les communes de Sangarebougou et de Kalabancoro où elle a gagné 10 à 12 points depuis 1998, et où le marché foncier commence déjà à se raréfier. Elle prend ensuite des valeurs dégradées vers les marges du cercle : elle monte encore en puissance dans les communes de Moribabougou, Dialakorodji, Ngabacoro Droit, Dogodouman et du Mandé (entre un ménage sur trois et un ménage sur cinq dans un rayon de 20 kilomètres), et s’atténue au-delà. La commune de Baguineda Camp ne montre plus qu’un ménage locataire sur six ; celles de Sanankoroba et de Ouelessebougou n’en comptent finalement qu’un sur dix. L’effet chef-lieu de commune se retrouve de nouveau dans les valeurs locales. À travers la proportion des locataires, les localités confirment un gradient de tendances suburbaines et périurbaines qui colle à celui montré plus haut par les valeurs de densités.
49À l’inverse, la location stagne ou a déjà diminué, en importance relative, dans les espaces les plus anciennement peuplés (tableau 91). Elle marque alors leur entrée dans une phase de vieillissement urbain. C’est le cas dans les communes centrales de Bamako (II et III), dans une moindre mesure dans la commune IV dont les réserves foncières n’étaient pas encore totalement consommées à la fin du siècle dernier. C’est aussi le cas à Kati-ville, dont les plus anciens quartiers ont pu reproduire une tendance déjà commentée à Bamako : la location régresse face à la densification des maisons familiales ; la cohabitation intergénérationnelle des héritiers des premiers propriétaires, ménages en usufruit, refoule les « étrangers » vers d’autres offres immobilières. Mais contrairement aux autres, cette commune urbaine dispose encore de réserves foncières en 2009, leur parcellement est depuis massif, ce qui donne aussi des marges d’installation à de nouvelles vagues de propriétaires arrivant à Kati depuis Bamako et continuant souvent d’y travailler. Comme sur les marges de la commune IV, un nouveau cycle d’investissement s’installe avec ces primo-accédants qui précèdent la venue d’autres locataires.
Tableau 91 – Quand la proportion des ménages locataires régresse relativement à la propriété (%)
Commune urbaine | RGPH, 1987 | RGPH, 1998 | RGPH, 2009 |
Bamako commune III | 45,6 | 34,1 | 33,8 |
Bamako commune II | 51,1 | 41,1 | 41,2 |
Bamako commune IV | 49,2 | 44,2 | 44,6 |
Kati commune | 48,8 | 24,0 | 26,4 |
Sources : RGPH, 1987-2009.
50Si la location progresse alors à l’échelle du cercle de Kati, elle contribue à lancer un véritable cycle de maturation urbaine : l’apparition de nouveaux fronts de peuplement renouvelant les offres de logement de l’agglomération, d’une part, le vieillissement des plus anciens quartiers, d’autre part, en sont les deux faces complémentaires. Ce marché locatif émergent rencontre alors la pauvreté rurale qu’ont déjà montrée des actifs peu qualifiés et des maisons non desservies par les services et réseaux techniques.
51Le faible accès des ménages à l’électricité, notamment, apparaissait emblématique d’une certaine médiocrité du milieu rural relativement aux possibilités d’abonnement et de consommation données dans le district : en 2009, 60 % des ménages résidant dans le cercle de Kati s’éclairaient principalement à la lampe à pétrole, contre 21 % des ménages bamakois. À peine 20 % disposaient d’un compteur de la société Énergie du Mali (EDM), contre les trois quarts à Bamako (chapitre 1). Ces contrastes redoublent de visibilité à Dogobala en 2018 : ce quatrième village de la commune de Moribabougou, le plus septentrional, marque l’avancée du front d’urbanisation entre deux lignes de hauteurs. Dix ans avant de faire l’objet des enquêtes LPR, la localité ne comptait que 54 ménages (RGPH, 2009). Mais le nouvel échantillon d’une centaine de ménages rend flagrante la différence d’équipement des ménages : certaines maisons et leurs « toiles d’araignée » de lignes deviennent des relais de connexion électrique, formelle ou informelle, dans un paysage d’ensemble où le parpaing signale mieux l’avancée de la ville que le goudron.
Photo 7. Percée urbaine sur les terres de Dogobala : avec et sans électricité.

© IRD/M. Bertrand, octobre 2018.
52Ces contrastes ne dépendent pas seulement d’un problème de gestion et du domaine de compétence EDM : ils découlent également des revenus que les ménages mobilisent pour tirer eux-mêmes des lignes électriques et sortir du recours à la lampe pétrole. Si celui-ci reste encore très majoritaire sur les marges d’agglomération, on le comprend mieux en comparant différents types de propriétés, l’une venue de la ville, et l’autre mieux représentée en milieu rural (tableau 92).
Tableau 92 – Ménages s’éclairant à l’électricité ou à la lampe à pétrole dans les communes à forte percée locative
Principaux recours | Lampe à pétrole | Électricité EDM | Total sélectionné | |||
Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | |
Propriétaires avec titre foncier | 2 423 | 42,5 | 3 273 | 57,5 | 5 696 | 100,0 |
Locataires | 10 535 | 57,6 | 7 761 | 42,4 | 18 296 | 100,0 |
Propriétaires sans titre + copropriétaires | 24 506 | 80,0 | 6 112 | 20,0 | 30 618 | 100,0 |
Source : RGPH, 2009.
53L’échantillon considéré ici est celui des dix communes les plus concernées par la montée en puissance de la location : Sangarebougou, Kalabancoro, Moribabougou, Dialakorodji, Ngabacoro Droit, Dogodouman, Mandé, Baguineda Camp, Sanankoroba, Ouelessebougou. Non seulement la location y est croissante parmi les ménages, mais elle occupe une place intermédiaire entre le standing urbain que diffusent les propriétaires dotés de titres, majoritairement abonnés au réseau EDM, et l’équipement plus limité des simples ayants droit pour lesquels l’accès à l’électricité reste minoritaire et ponctuel. En même temps qu’elle se diffuse comme tenure tierce des logements, la location révèle donc des pratiques d’équipement de plus en plus fragmentées dans les milieux sub et périurbains.
De nouvelles vulnérabilités environnementales : l’affaire des seuls ménages précaires ?
54La précarité foncière qui se reproduit à distance des premiers quartiers irréguliers, les risques environnementaux associés à des transactions non contrôlées, des constructions et des lotissements non réglementaires, désignent-ils plus particulièrement la pauvreté individuelle ? Les périphéries d’agglomération annoncent-elles des ségrégations sociospatiales accrues qui isoleraient les ménages les plus fragiles économiquement ?
55Rien n’est moins sûr, ou du moins aussi simple, comme le montrait déjà la dynamique de banlieurisation observée par l’enquête PLMU dans la commune de Dialakorodji. On avait là les caractères d’un hameau de culture (Noumoubougou) rattrapé en quelques années par une coulée de peuplement informel venue du nord de Bamako et prolongeant les quartiers déshérités de la commune I. À la pauvreté physique (route d’accès non revêtue, absence de conduites d’eau) découlant d’une nouvelle phase de croissance « spontanée », trente ans après celle de Banconi (Sarr, 1980), se mêlaient le soulagement d’accéder à la propriété et la promesse de constructions en dur. Pour des allochtones accueillis par les dépositaires de droits coutumiers, acceptés par une jeune municipalité encline au compromis, le fait d’en finir avec la location signait donc des parcours urbains ascendants.
56Différents risques environnementaux confirment aujourd’hui qu’une forte pression sur un milieu mal préparé n’est pas le fait des seuls ménages démunis, et qu’elle peut contrarier au contraire, parfois brutalement, de réels espoirs de stabilisation résidentielle. Des fonds de vallée aux hauteurs de falaises ou de buttes résiduelles, l’inventaire de ces risques reste à mener dans la tache élargie de Bamako. Leurs arguments naturels sont à relativiser dans une ligne d’injustice environnementale et selon les références de la political ecology. Mais la géographie diffuse qui se dessine déjà ne correspond pas en tout point aux cartes de la pauvreté envisagée à l’échelle des ménages ou de communautés villageoises en manque de capacités économiques. Les relations de cause à effet entre les deux ne sont pas plus systématiques dans le cercle de Kati que dans le district de Bamako (planche 42).
Planche 42. Nouvelles vulnérabilités environnementales sur les hauteurs de Bamako

© ADQ-CAMS, Mekin-Sikoro, août 2012 (no 1);
IRD/M. Bertrand, février et juin 2015 (nos 2 à 6).
57Dans la zone ACI 2000 qui est pourtant la vitrine immobilière de la capitale, deux immeubles en construction de cinq et sept étages s’effondrent ainsi à deux ans d’intervalle (octobre 2013 et septembre 2015), non sans dommages humains, parmi bien d’autres chantiers plus discrets mais guère encadrés. Les lacunes urbanistiques déplorées alors font écho aux inondations répétées dans les quartiers populaires, comme celles qui ont mis à bas des maisons de Banconi en août 2013, ainsi qu’à des incendies répétés affectant plusieurs marchés urbains. Après avoir été reconstruit au cœur du centre commercial dans les années 1990, le Marché rose part de nouveau en fumée en mars 2014, puis en décembre 2017 quelques semaines après celui de Médine.
58Cette vulnérabilité se décline donc en bâtiments écroulés jusqu’en plein centre d’affaires, en maisons adossées à des carrières en cours d’exploitation ou surplombant des contreforts non soutenus. Elle se mesure aux dégâts provoqués moins par de fortes pluies que par l’occupation du lit majeur de rivières intermittentes et l’encombrement de collecteurs d’eaux de pluie transformés en dépotoirs. Elle se manifeste également dans des cohabitations dangereuses entre de nouveaux acquéreurs de parcelles à bâtir et les gérants d’activités extractives, d’embouche, d’entreposage de bonbonnes de gaz ou de produits pétroliers qui dérogent à toute règle de zonage ou rappel de contraintes sur l’usage des sols. La vulnérabilité se nourrit ainsi du démembrement de places qui ne sont réservées comme espaces « publics » ou « verts » que sur le papier et de changements de vocation économique qui sont décidés en catimini. L’édification d’une mosquée se montre alors plus efficace que les normes de lotissement pour parer ces risques ou s’opposer à leurs conséquences. Mais nombreux sont les cas où chacun s’installe « en dur » sans riposte associative ni plaidoyer d’aménagement.
59Au fur et à mesure que l’habitat urbain monte à l’assaut du plateau mandingue, qu’il en grignote quelques restes sur la rive droite du fleuve, les périphéries d’agglomération donnent donc à voir la même combinaison de pratiques entrepreneuriales et d’installations contraintes que celle qui faisait déjà la ville dans les générations précédentes.
Photo 8. Un défaut d’aménagement général de la ville à ses marges rurales.

En haut. Inondation à Banconi, incendie au Marché rose : des dommages répétés à Bamako dans les années 2010.
En bas. Nouveaux risques sociaux et sanitaires liés à la pression foncière dans la commune de Moribabougou.
© IRD/M. Bertrand, octobre 2013 ; mars 2014 ; octobre 2018.
Les meilleurs standings d’habitation dans la continuité des quartiers périphériques du district
Des projets immobiliers de nantis
60Dans la même dynamique centrifuge, les recompositions de la richesse urbaine s’adossent de même aux derniers nés des quartiers de Bamako lotis au tournant du siècle. Alors que les locataires suivent l’avancée de l’agglomération, des propriétaires triés sur le volet et des maisons aux allures de châteaux signalent ses progressions les plus spéculatives.
61Les enquêtes de 2011 distinguaient d’abord un profil de « classes moyennes » dans les petites maisons clés en main tout juste occupées depuis 2007, à Yirimadio en limite du district (chapitre 5). Parmi diverses variables censitaires de 2009, les matériaux de construction les plus durables et le bâti le plus individualisé faisaient ressortir de même une « modernité » minoritaire en ville (chapitre 1). Des périphéries de Bamako aux communes rurales, la même combinaison de murs en parpaings de ciment, de toitures en dalles de béton et de sols carrelés signale encore aujourd’hui les projets immobiliers les plus coûteux (planche 43). Selon ce standing des « villas » avec montée en étage, certains quartiers bamakois montrent plus de continuité paysagère avec leur environnement du cercle de Kati qu’avec d’autres secteurs anciennement urbanisés et les contextes ruraux les plus distants de Bamako, qui ne sont que très ponctuellement concernés par ces maisons de haut standing.
Planche 43. Le haut standing immobilier : indicateurs du bâti moderne par quartier et localité en 2009

Source : RGPH, 2009.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
© IRD/M. Bertrand, octobre 2018.
62De nouveaux styles et produits architecturaux s’ajoutent à la promotion immobilière en même temps que l’agglomération s’étend. La petite verticalisation que connaît le bâti d’habitation, le centrage de la maison sur son terrain, une distribution interne des pièces à vivre dans ce bâtiment principal, sont des traits déjà banalisés à la fin du 20e siècle, même s’ils ne concernent qu’une petite partie des habitants. À plus grande distance du centre-ville, ils s’imposent dès le début des travaux de construction : non seulement la parcelle est d’abord clôturée en parpaings de ciment, mais l’argent du chantier devient ostentatoire. Il ne s’agit plus de simplement « réaliser » en multipliant les chambres, selon des critères de reconnaissance sociale dont les propriétaires se prévalent dans leur voisinage ; il s’agit d’« investir » et de le montrer. La devanture de la maison est personnalisée. Le garage est flanqué d’un portail ouvragé en ferronnerie, et parfois double. Copiant le style ivoirien, l’apatam est installé en terrasse de toiture, plutôt qu’au sol ; il devient une pièce ventilée en étage, de réception ou de séjour nocturne durant les mois les plus chauds de l’année, dont le chaume est remplacé par une couverture de ciment imitant la tuile. Divers revêtements muraux, ornements de façade et autres colonnades ajoutent un parti pris d’originalité et une touche de plus ou moins bon goût.
63Les productions immobilières les plus coûteuses et les plus individualisées se diffusent donc elles aussi au-delà du district de Bamako. Si elles sont représentées sur tous les pourtours de la ville, leur progression spatiale est loin d’être assurée partout dans les mêmes proportions. Mais surtout, elle ne se limite pas à quelques modes architecturales imprimées dans les paysages ; la géographie de la richesse découle plus généralement de transformations que les marchés fonciers ont connues d’abord dans le district. Amorcées dans les années 1990, résumées ici en quatre points, celles-ci se sont amplifiées en suivant l’étalement urbain, ce dont rend compte la planche suivante (planche 44).
Planche 44. Maisons individualisées, en propriété titrée, issues de la promotion immobilière en 2009

Source : RGPH, 2009.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
64Un premier changement suit en effet la mise en place en 1992 de l’Agence de cessions immobilières dont les premières opérations suivent des recommandations pressantes de la Banque mondiale (Bertrand, 2003-b). Créée comme une société mixte, même si son capital reste public dans une proportion écrasante, l’ACI introduit en effet un principe de vente aux enchères des parcelles à bâtir qu’elle met sur le marché après avoir viabilisé les terrains immatriculés que lui a cédés l’État sur son domaine privé : d’abord à Kalaban Coura et Baco Djicoroni en commune V, dans les premières années de la Troisième République, puis sur la réserve foncière de l’ancien aérodrome de Hamdallaye à partir de 1995, et enfin en mordant sur le domaine agronomique de Sotuba à la fin de la décennie. Les lots sont vendus sans restriction de cumul, et sont d’emblée dotés d’un titre foncier établi au nom de l’acquéreur. Pariant sur la clientèle la plus solvable, ces dispositions commerciales introduisent alors un « deux poids, deux mesures » par rapport aux règles administratives de concession domaniale et de simple édilité qui prévalaient jusqu’alors dans les lotissements mis en œuvre par l’État.
65Les morcellements fonciers destinés à l’habitation connaissent eux aussi des changements de gestion, car la puissance publique qui en a l’initiative historique cède aux réformes de libéralisation économique et de décentralisation des années 1990. Imposée quelque temps avant, la « viabilisation préalable » des lotissements reprend le principe des trames assainies mais n’est plus directement conduite par les services techniques de l’État, qui n’en ont guère les moyens. L’attribution des parcelles devient de plus une prérogative communale et une source d’intrigues dans les municipalités (Bertrand, 2014).
66Initié par le gouvernorat du district de Bamako, le programme urbain « Sauvons notre quartier » prévoit en effet de régulariser les quelque 25 quartiers irréguliers de la capitale, et sa mise en œuvre débordera des années 1990. Ces lotissements « de redressement » impliquent de casser quelques maisons et de reloger les propriétaires « déguerpis ». La gestion des opérations revient aux six communes urbaines qui décident alors en leur sein de nouvelles règles et compromis d’attribution dans ces lotissements « de recasement ». Après la mise en place des communes rurales, l’ensemble des élus municipaux se rodera à ces arbitrages fonciers pour tous les types d’attribution, et aux recompositions locales du clientélisme politique dont ils sont souvent l’expression (Bertrand, 2011-a).
67Le décret du 9 mars 2005 fixant les modalités de réalisation des différents types d’opérations d’urbanisme ajoute enfin la procédure des « lotissements de réhabilitation » à l’arsenal réglementaire malien. Plutôt que d’attendre de l’État central qu’il constitue et aménage de nouvelles réserves foncières dédiées à l’habitat, les édiles des communes rurales rattrapées par la croissance urbaine peuvent à leur tour prendre l’initiative d’attribuer des parcelles à bâtir. Ils le font alors non en passant par la voie réglementaire (immatriculation de la zone à morceler sur le domaine privé de l’État, puis affectation administrative à la collectivité territoriale), mais en mobilisant des communs fonciers : il s’agit de convaincre les dépositaires coutumiers de ces terres de requérir la « réhabilitation » de leur village, et de ménager sur les sites concernés de quoi produire de nouveaux lots que la mairie se charge de vendre à des étrangers au terroir. L’affaire vire rapidement à un jeu de négociations, et souvent de dupes, sur la part laissée à ces représentants communautaires pour les terres qu’ils consentent à incorporer au lotissement au-delà de l’espace nécessaire au réalignement de leurs maisons. Les promesses de compensation tournent au rabais ou sont « doublées » par d’autres ventes. Il s’ensuit couramment une forte confusion foncière qui superpose différents vendeurs et acquéreurs sur les mêmes parcelles et empêche les attributaires de la mairie d’accéder à leurs lots faute de respect du plan de morcellement.
L’investissement, vecteur de nouvelles normes de sécurité foncière
68Sur le plan technique, les divers types de lotissement diffusent malgré tout la même norme d’environ un tiers des surfaces à réserver pour servitude publique : des voies sont à redessiner ou à élargir, des places sont à désigner pour de futurs services collectifs. En pratique, l’équipement public ne vient guère les occuper, ce qui laisse aux lotisseurs des marges de démembrement pour la vente. La « voirie » reste sans « réseaux divers » et se trouve souvent obstruée du fait des transactions que mènent divers intermédiaires marchands en double jeu des municipalités. Les ventes multiples sont légion : véritables baromètres des conflits affectant les communautés locales et des « magouilles et mafias » dont les communes seraient l’épicentre à entendre la manière dont ces déclinaisons de la spéculation foncières sont reprises dans divers médias.
69Des quartiers à régulariser aux nouveaux morcellements périurbains, la réquisition de terres pour cause d’utilité publique impose également l’immatriculation préalable, au nom de l’État, des espaces à lotir. Les parcelles issues de ces opérations sont donc produites, bornées, attribuées et vendues sous le régime de la concession d’habitation : urbaine dans les communes urbaines, rurale dans les communes rurales. Pour passer de droits provisoires d’occupation10 à des droits réels entiers, c’est-à-dire irrévocables, opposables en justice et hypothécables devant les banques, le propriétaire devra encore requérir de l’État, par l’intermédiaire d’un bureau domanial déconcentré, qu’il transforme sa concession en un titre foncier définitif. Le droit de propriété est alors pleinement sécurisé selon les trois attributs d’usus, fructus et abusus. La démarche est longue et coûteuse, ce qui explique que les demandes soient peu fréquentes pour ce type de parcelle d’habitation, une fois celles-ci bâties et occupées. Elle est surtout soumise à une condition de mise en valeur et d’investissement sur le bien foncier.
70Mais alors que la masse des acquéreurs redevables de lotissements publics restait soumise aux procédures d’autorisation de la construction, de délivrance d’un « permis d’occuper », de constat et d’expertise de la valorisation immobilière, quand bien même celles-ci étaient souvent ignorées ou contournées, la clientèle fortunée de l’ACI s’est distinguée d’emblée par les titres définitifs qu’elle obtenait à l’achat des parcelles, alors que celles-ci étaient encore vierges d’investissement.
71Sur ce plan, la discrimination est plus encore économique que juridique. Mais elle inspire vite d’autres promoteurs fonciers et les sociétés immobilières privées qui font leur apparition dans les années 2000 (chapitre 9). Même si leurs activités sont principalement de parcellement et se comptent encore sur les doigts de la main, les plus crédibles procèdent en suivant le modèle de l’ACI : immatriculation du terrain à lotir, morcellement du titre-mère, créations de titres-parcelles et vente notariée de ces petits lots titrés. L’emballement que connaît ce marché affole alors les tenants de simples concessions restant redevables du droit administratif : en cas de litige, ces acquéreurs ne sont pas prééminents si des revendications contradictoires se font jour sur les mêmes terrains de la part de détenteurs de titres fonciers. Or les exemples de superposition et de chevauchement de droits se multiplient dans l’espace périurbain. S’y empilent de même diverses compétences administratives et les « papiers » venant de leurs ordres de morcellement respectifs, passés parfois dans les mêmes terroirs. Enfin, des conflits d’héritage s’ajoutent à la confusion générale en poussant de nombreux collectifs familiaux au partage ou à la vente de tout ou partie de leurs patrimoines, et en ajoutant d’autres querelles aux précédentes. Depuis les vieux quartiers bamakois qui ont vu se succéder deux à trois générations de propriétaires, jusqu’aux communs villageois, ces contestations de droits s’exposent au grand jour et devant des juridictions aujourd’hui fort encombrées.
72Devant la norme du titre définitif qui progresse avec l’étalement urbain, et force les arbitrages des juges, les occupants des anciens lotissements administrés s’inquiètent donc de la vulnérabilité foncière gagnant leur espace de vie. Les avantages comparatifs de la concession d’habitation se sont déjà atténués face aux quartiers informels, une fois ceux-ci sortis de la menace de l’éviction et « régularisés » par la délivrance de quelques lettres d’attribution municipale. Le gap d’insécurité se déplace alors entre les lotissements dont les droits réels de propriété sont établis dès la vente et ceux dont les propriétaires ne peuvent se prévaloir de titres individualisés.
73En se redéployant vers les réserves foncières du cercle de Kati, les citadins les plus solvables s’enquièrent donc des possibilités de construire vite, et plus vite encore si la condition du titre n’est pas satisfaite d’emblée : ceux dont les entreprises seraient contestées pourraient alors arguer d’investissements chiffrés par millions. Cette « ville des riches » s’annonce dans le paysage : non comme le produit d’améliorations apportées par touches à une première mise immobilière, restant modeste sur plusieurs années voire décennies, mais comme le coup de force à imposer dès le début. Devant l’argument des « sommes déjà englouties », les pouvoirs publics hésitent en effet sur l’opportunité d’une casse si la propriété de la parcelle est contestée, et mettent en avant leur propre impossibilité à se conformer ailleurs aux règles d’indemnisation. La préférence donnée à de discrets arrangements, ou aux échanges négociés en guise de compensation, est pourtant source elle-même de discordes et de rebondissement des conflits fonciers.
74La carte de diffusion de la villa se superpose donc largement à celles des propriétés titrées et des meilleures combinaisons bâties en bordure du district. La carte de la location-vente montre la même ouverture spatiale sur les terres du cercle de Kati, mais en se contractant sur le quartier de Yirimadio qui concentre les logements sociaux de Bamako. Plus loin, les programmes immobiliers promus selon ce modèle « ATT-bougou » se concentrent tout autant dans les communes de Kalabancoro et de Kati. L’hybridation progressive dont ils font l’objet au cours des années 2000, entre une impulsion gouvernementale et des promoteurs privés, est plus facile à suivre sur des images satellitaires qu’à l’appui du dernier recensement (carte 38).
Carte 38. Opérations immobilières privées greffées sur la programmation des logements sociaux à Tabakoro.

Sources : relevés Google Earth, 2008-2018 ; image Panchromatic_DIM_Spot6_P_2016-01-11_1035436 (redevable du projet Equipex Geosud : Programme investissements d’avenir/ANR-10-EQPX-20).
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
75À l’est de l’agglomération, ces programmes marquent notamment le paysage de Niamana et de Tabakoro depuis la fin des années 2000, glissant vers le sud depuis la route de Ségou. La réquisition foncière publique se voit pourtant opposer des résistances et doit céder à divers compromis : avec les opérateurs privés, d’une part, qui demandent à l’État de diligenter la création ou l’échange de titres fonciers en leur faveur en contrepartie de leur contribution à la livraison de logements imputés au partenariat public-privé ; avec les propriétaires de concessions rurales, d’autre part, qui enregistrent et morcellent leurs propres terrains, puis en vendent des parcelles aux mêmes fins d’habitation en prenant les grands opérateurs de vitesse. Alors que le boom immobilier se repère encore par grands blocs jusqu’en 2014, sa progression est déjà moins compacte dans la deuxième moitié de la décennie. Des opérations ponctuelles et une progression plus discontinue le montrent soumis à une disponibilité foncière incertaine dans les deux dernières années.
76Bien amorcée malgré sa contribution minoritaire au logement urbain (chapitre 9), l’offre immobilière fait donc nombre en dehors de Bamako stricto sensu. Au regard d’autres acquéreurs qui sont à l’affût de parcelles nues mais titrées, les attributaires de logements sociaux n’auront qu’un accès différé au titre foncier : celui-ci leur sera remis une fois remboursé le crédit garanti sur vingt-cinq ans par la Banque de l’habitat du Mali. Mais la sécurité foncière qu’offrent ces maisons et la possibilité de les occuper immédiatement concourent déjà à détourner vers les classes moyennes des programmes qui étaient pourtant dédiés à la lutte contre la pauvreté à leur lancement.
Renouvellement du logement gratuit, réponses techniques de la ville hors réseau
77Le report de formes sélectives et huppées d’accès au logement vers les marges de l’agglomération a d’autres effets provisoires et durables.
78Le premier, à court terme, concerne la diffusion de l’hébergement sans frais dans le cercle de Kati, une tenure qui concernait déjà 15 % des ménages du cercle de Kati en 2009 et qui y renouvelle un accueil résidentiel de tradition plus ancienne11. On retrouve dans ce logement temporaire, l’impact du gardiennage des chantiers, et les constats déjà menés dans le lotissement de Kalabancoro au début des années 2010 (chapitre 4). Quelques propriétaires y avaient laissé leurs parcelles en dormance après avoir reçu leur lettre d’attribution du commandant de cercle de l’époque. Vingt ans après, la construction était relancée à la faveur des retraites, de la transmission des biens aux héritiers ou à l’initiative d’acquéreurs de seconde main, ce qui démultipliait le besoin de surveillance des travaux.
79Sur les nouveaux fronts d’urbanisation du cercle de Kati, l’hébergement à titre gracieux atteint aujourd’hui des proportions qui relativisent la présence des propriétaires dans leurs maisons (carte 39). L’enquête « Loin/près des routes » menée en novembre-décembre 2018 dans huit sites périurbains en donne confirmation : une maison sur cinq ne permet de retrouver ni les propriétaires, qui dominent pourtant aux deux tiers l’échantillon des 800 ménages nouvellement installés, ni des locataires. Ce sont donc les gardiens qui représentent cette ville en train de sortir de terre, dans des proportions doubles de celles relevées avant à Bamako par l’enquête PLMU et le recensement. Encore faut-il déduire de l’échantillon LPR les logements sociaux de Kati qui, occupés depuis 2013, n’ont pas connu cette gestion de chantier (chapitre 9). Au contraire, la proportion de ménages réduits à une ou quelques personnes logées gratuitement monte à 24, 36 et 49 % des maisons visitées dans les secteurs de Samanko 2 (commune du Mandé), Dogobala (commune de Moribabougou) et Kabala-Est (commune de Kalabancoro).
Carte 39. Proportion de ménages logés gratuitement par localité du cercle de Kati en 2009.

Source : RGPH, 2009.
Réalisation : IRD/M. Bertrand.
80Même conçue pour les projets immobiliers les plus ambitieux et les propriétaires les plus déterminés à faire vite, la construction demande en effet plusieurs mois et années avant de permettre le déménagement du propriétaire. Les chantiers sont alors confiés à de jeunes parents, diplômés sans emploi ou migrants en attente d’offres de travail. Seuls ou sur une base de compagnonnage, ils constituent le ménage résidant sur la durée du chantier en se contentant matériellement de peu. Leur concentration sur le pourtour du district contraste avec la présence plus ponctuelle et plus diffuse de ménages logés gratuitement suivant des formes villageoises d’accueil.
81Entre logiques lignagères d’hébergement et offres urbaines d’emploi, ce logement constitue donc lui aussi un analyseur du paysage mouvant et composite qui caractérise ainsi l’interface rural/urbain. Que l’étalement de la ville repose sur des logiques de relégation des pauvres : irréguliers déguerpis, locataires en quête de loyers modérés, migrants sans qualification, citadins lassés des cohabitations surchargées dans les vieux quartiers, dans un nouveau cycle de production informelle ; ou qu’il soit guidé par les convoitises foncières des plus nantis, le fait est qu’il n’est généralement pas accompagné, et encore moins précédé, du prolongement des lignes d’approvisionnement en eau et électricité depuis le réseau de la ville. Les ménages nouvellement installés font donc sans pour satisfaire leurs besoins, et d’abord ceux de la construction.
82Des palliatifs et de nouvelles formules techniques prennent alors le relais des opérateurs nationaux, d’autant que ceux-ci connaissent déjà des difficultés budgétaires et d’organisation pour renouveler les infrastructures, assurer leur maintenance, une gestion efficiente des abonnements, une juste prise en compte de la donne sociale et environnementale. Dans les nouvelles banlieues parfois difficiles d’accès, cela ne rend que plus visibles les quelques investissements privés relevés pour faire monter l’eau et tirer des lignes électriques hors réseaux.
83Certains commencent en effet à constituer des « mini-réseaux » en sortant de la maison de leur promoteur et en suscitant des offres marchandes locales. Outre les petits panneaux solaires qui sont déjà popularisés pour la recharge des batteries téléphoniques, et dont l’offre commerciale est boostée par les importateurs maliens, de nouveaux complexes techniques font leur apparition à l’initiative des particuliers les plus entreprenants. Ce n’est pas seulement la perspective d’éclairer une place publique improvisée en posant des fils électriques, des douilles et des ampoules à basse consommation sur quelques piquets, démarche qui peut faire émerger des animateurs associatifs, consolider un leadership de proximité dans les quartiers en train de se dessiner ; c’est aussi le flair qu’un contexte de rareté peut aussi générer quelques rentes de situation pour ceux qui saisissent l’occasion d’ajouter forages, réservoirs, tuyaux mobiles et conduites à moitié enterrées à leur propre charge immobilière. La revente d’eau se banalise depuis les maisons de ces propriétaires et gérants avisés, selon un processus d’intéressement aux périphéries urbaines qui n’est pas encore celui des porteurs d’eau s’approvisionnant depuis les bornes-fontaines de Bamako ou les pompes et robinets installés sur projets communautaires dans les communes rurales. La privatisation d’un autre commun que celui de la terre fait ici son chemin, tout comme on loue ailleurs des chaises pour les cérémonies familiales ou le véhicule chargé de ravitailler les chantiers de construction en sables et graviers extraits des carrières environnantes.
84Ces investissements sont d’autant plus coûteux qu’ils ne bénéficient pas d’accompagnement public et sont hors réseaux. Ils participent alors aux discriminations économiques dont l’agglomération est déjà la scène par son marché foncier. Dans ce « bricolage environnemental », les marges d’agglomération continuent de faire se rencontrer des riches et des pauvres, et de brouiller les cartes d’une ségrégation spatiale que l’on verrait plus franche dans d’autres grandes métropoles. Elles montrent de nouveaux acquéreurs fonciers vulnérabilisés par la mauvaise gestion de leurs documents de propriété et se déclarant « démunis » face aux « complicités » administratives, politiques ou judiciaires dont bénéficieraient leurs concurrents. Elles montrent des locataires plus stratèges qu’autrefois sur les ressources qu’ils peuvent attendre de l’étalement urbain, et de petits propriétaires particulièrement débrouillards pour rendre habitables les fronts pionniers de la ville.
Photo 9. Gardiennage de chantiers contre logement gratuit à Dogobala (à gauche) et à Samanko 2 (à droite).

© IRD/M. Bertrand, octobre 2018.
85Dans ce contexte de relative mixité résidentielle, les concurrences marchandes sont surtout exacerbées. On peut donc se demander dans quelle mesure elles se calent encore sur la dualité formel/informel qui s’est souvent montrée structurante dans l’histoire urbaine, et comment interpréter la conflictualité foncière retentissante qui délimite elle aussi l’influence régionale de Bamako ? La documentation mobilisée en 2015-2016 et un denier passage d’enquête en 2017-2018 donnent les derniers éléments de réponse à ce débat métropolitain.
Planche 45. Nouvelles combinaisons techniques énergie/eau

© IRD/M. Bertrand, juin 2015-octobre 2018.
Notes de bas de page
1 Communication « A national urban policy based on strengthened partnerships and knowledge to address the extraordinary growth of African cities », Contribution of the Ministry of State Property and Land Affairs of Mali in partnership with the Institute of Research for Development, the University of Law and Political Science of Bamako, the Institute of Rural Economy of Mali. Quito, 18 October 2016, United Nations Conference on Housing and Sustainable Urban Development.
2 2 285 000 personnes l’année suivante dans l’édition 2016 du même annuaire : DNP/Projection du Mali 2010-2035.
3 Ce panorama des dynamiques d’urbanisation découle d’un suivi géolocalisé et d’une définition harmonisée sur la base des agglomérations de plus de 10 000 habitants sans discontinuité de plus de 200 mètres entre deux bâtiments. Il confirme parmi d’autres sources que les plus fortes croissances urbaines au monde sont aujourd’hui africaines (http://www.africapolis.org/home).
4 S’y ajoute la cartographie numérique au 1/5 000e de la ville de Bamako réalisée par l’Agence japonaise de coopération internationale en collaboration technique avec l’Institut géographique du Mali. Ses prises de vues aériennes sont datées du 22 mars de la même année 2015 (http://www.bamako-carto.com/).
5 Elle aussi fait l’objet de plusieurs présentations internationales : lors du 6e sommet Africités (Dakar, décembre 2012) dédié aux collectivités locales et à « Construire l’Afrique à partir de ses territoires » ; lors de la conférence Habitat III de Quito qui concrétise la « mobilisation mondiale pour les villes ».
6 L’élaboration du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de Bamako date des années 1979-1981, une fois fixés le statut et les limites du district de Bamako. Les deux révisions suivantes datent de 1990 et 1995.
7 Unité la plus petite du dénombrement censitaire, la section d’énumération compte environ, en 1998, 1 000 habitants en milieu urbain et 500 habitants en milieu rural, puis 1 100 habitants en milieu urbain en 2009, contre 700 en milieu rural.
8 Par ordre décroissant d’importance, il s’agit des quartiers de Quinzambougou, TSF, Darsalam, Quartier Mali, Korofina-Sud, Zone industrielle, Sogonafing, Bamako Coura, Badialan 3, Missabougou, Same, Bakaribougou, Dravela, Badialan 2, Badialan 1 et Point G. Leurs densités en 2009 et leur accroissement démographique entre 1998 et 2009 sont par contre très variables : de près de 600 à 25 900 habitants au kilomètre carré pour les premières ; de - 16 % à + 569 % pour le second.
9 Institut d’économie rurale (IER, Bamako) et Institut de recherche pour le développement (UMR 245, Cessma), 2017-2018.
10 Qu’ils soient ainsi nommés comme « titres provisoires » depuis la dernière révision du Code domanial et foncier du Mali, au début des années 2000, ou associés au « régime précaire » repris du legs juridique de la colonisation, ces droits sont cependant transmissibles aux héritiers. Mais ils ne sont pas ceux d’une marchandise librement aliénable.
11 12 % des ménages recensés en 1998, 7 % en 1987.
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