Chapitre 4. Cohabiter : une nécessité renouvelée dans l’histoire urbaine
p. 119-154
Texte intégral
1L’espace résidentiel n’est pas seulement une somme de résidents. Il est aussi un enjeu politique du fait de chances très inégales données à ces habitants d’acquérir le terrain à bâtir ou la maison qui leur confère une véritable reconnaissance sociale et d’éventuels compléments de revenus. Dès 1993, les enquêtes PLMU comparent ces capacités au Mali et dans la sous-région en décrivant non seulement l’occupation des logements mais aussi les cohabitations qui s’organisent à l’échelle de maisons comptant banalement plusieurs ménages et leurs logements respectifs (Bertrand, 1993 ; 2000-a ; 2003-a ; 2016-a). Ce partage du bâti d’habitation renvoie aux sélections des marchés fonciers qui redoublent d’intensité aujourd’hui (chapitre 9). Il met également en lumière les changements de génération que vivent les familles citadines dans leur propre cycle de constitution, de maturation et de vieillissement.
2La problématique de la cohabitation marque donc les concessions bamakoises comme clé d’analyse de leur densification (chapitre 3) et comme « mode d’emploi » plus général de la vie urbaine. Elle permet d’aborder la différenciation des espaces résidentiels et leur évolution sur la durée, en tenant compte d’un faisceau de contraintes économiques, de pressions sociales et de normes techniques imposées à la ville depuis la colonisation. Au-delà de son dessin physique, c’est aussi un dessein politique que les autorités du Mali ont repris du législateur français : celui de penser le citadin en rupture avec le mode de vie villageois, en renoncement aux mobilités saisonnières, en attachement à la vie de quartier à travers une résidence individualisée. Ces modèles de gestion ne sont donc pas nouveaux, même s’ils se renouvellent aujourd’hui dans les termes mondialisés de la « ville compacte ». Leur concrétisation reste cependant problématique tant que la ville est prise dans une dynamique d’expansion territoriale qui oriente les nouveaux candidats à la propriété loin du centre.
3Ces pressions sociales et urbanistiques sont d’abord appréciées à l’échelle des ménages à travers la tenure de leur logement. En la matière, la plupart des recensements africains enregistrent d’ailleurs des changements de nomenclature : ce statut résidentiel s’enrichit de nouvelles catégories même s’il reste fondamentalement perçu comme « l’affaire du chef du ménage », voire une responsabilité strictement masculine. À l’échelle des maisons, les formes sociales de la location et de la propriété se comprennent mieux en rapport avec l’accroissement de la pression démographique. Liée à de vives contraintes économiques, la location se montre ainsi sous le jour de frustrations durement ressenties à l’impossibilité de payer une parcelle et de satisfaire un modèle d’accomplissement familial.
Propriété/location : une tension majeure à Bamako
4« Propriétaire », « locataire », « hébergé à titre gratuit » : jusqu’au recensement de 1987, ces trois catégories du logement campent le paysage résidentiel urbain. Se réaliser, c’est d’abord se montrer en capacité d’accueillir parents et associés à la lignée familiale. Cela suppose de devenir un [dutigi] – propriétaire d’une concession, responsable d’une maisonnée –, et mieux encore un [jatigi] pour les visiteurs de la famille. La figure du « logeur » transpose en ville les valeurs d’hospitalité associées à l’hébergement des siens et à tout type d’appartenance communautaire, à commencer par les liens d’origine géographique que mobilisent les migrants. Dès 1987, le recensement malien rend compte pourtant des limites que rencontrent ces aspirations, et du « parcours du combattant » que représente la location en attendant mieux.
5Le fait marquant est la stabilité générale des proportions de propriétaires et de locataires dans le district, même si la balance au profit des seconds s’est déplacée des communes centrales aux communes périphériques dans l’intervalle de vingt ans (tableau 28). Déjouant la définition purement marchande du logement (Bonvalet et Lelièvre, 2000), les ménages logés gratuitement par les propriétaires occupent de même une place constante et non négligeable, environ un logement sur dix, entre les deux tenures dominantes. Cette catégorie statistique de l’hébergement n’est en effet pas celle du sens commun : elle décrit des logements et leurs occupants, non les dépendants d’un ménage dont le référent serait locataire ou propriétaire. Ce logement non soumis à un loyer n’est donc pas de la même nature que le fait de désigner un membre de la famille comme étant « hébergé » par ses aînés, logé en vertu du devoir de tout tuteur ou hôte de donner un toit à ses proches.
Tableau 28 – Occupation des logements bamakois par commune en 1987 et 2009 (%)

Sources : RGPH, 1987 et RGPH, 2009.
6Pour le reste, l’économie du logement relève fondamentalement de rapports marchands, et d’abord du coût d’acquisition des terrains auquel les primo-propriétaires et leurs héritiers ajoutent une valeur immobilière. En découlent les rentes locatives constituées auprès d’autres ménages qui se représentent comme « exclus » temporaires ou durables des marchés fonciers. De fait, la location atteint des proportions importantes dans la capitale malienne, presque équivalentes à celles de la propriété. Elle renvoie à la même contrainte les migrants et les natifs de la ville dont les parents n’ont pas eu « la chance de réaliser vite une maison ». Rares sont en effet les enfants de propriétaires délaissant la maison familiale de leur plein gré au profit d’une location. Il leur est même autant malvenu de quitter la « grande famille » sans avoir les moyens de s’installer dans une « vraie maison », que pour un [dutigi] de négliger ses devoirs d’hébergement tant qu’un nouveau bien n’est pas encore acquis.
La tenure du logement : des ménages en concurrence pour l’accès à la propriété
7Le cas de Bamako est sur ce plan remarquable, car la ville a tôt rapproché, dans son histoire postcoloniale, la proportion des locataires et celle des propriétaires, ces derniers étant plus nombreux mais non majoritaires, et encore moins dans les quartiers les premiers constitués. La location apparaît dans le même temps négligeable en milieu rural et ne compte que pour un tiers des ménages urbains du Mali1. Elle ne marque pas aussi fortement d’autres capitales de la sous-région.
Vu des recensements
8Une fois ordonnées selon deux gradients inverses, les moyennes communales de 1987 montrent en effet comment le marché locatif se diffuse depuis le vieux centre urbain, et comment les candidats à la propriété s’orientent vers les périphéries du Bamako de l’époque. La tendance est d’ailleurs confirmée à l’échelle des sections d’énumération du recensement (Ballo, 1999). Entre ces deux tendances, l’hébergement gratuit est plus difficile à interpréter : sa forte représentation dans la commune la plus centrale souligne la concentration de logements de fonction associés aux bases militaires A et B, à l’ancienne cité ministérielle et à ce qui reste du patrimoine ferroviaire de Bamako. Ses valeurs sont au contraire très en retrait de la moyenne urbaine dans les quartiers plus ordinaires des autres communes.
9L’inventaire des tenures du logement change ensuite en 1998, du fait de catégories qui font leur apparition dans le troisième recensement malien avant d’être confirmées dans le suivant en 2009. La propriété est désormais scindée en deux groupes : « avec titre foncier » ou « sans titre foncier » ; la catégorie des « copropriétaires » s’ajoute à ce registre de la propriété, tandis que celle de la « location-vente » semble compléter le registre de la location. Enfin, le terme d’« hébergé à titre gratuit » est remplacé par celui de « logé gratuitement », sans réel changement de définition. Les manuels de l’enquêteur continuent d’ailleurs de se référer aux « hébergés gratuitement », comme le font les enquêtes PLMU pour introduire ce tiers entre propriété et location.
10Avec cette nouvelle nomenclature, la place minoritaire des ménages logés gratuitement se trouve confirmée en 1998 et 2009 bien que, au-delà de secteurs centraux où ils occupent seuls des logements de fonction, elle soit assez diffuse dans l’espace urbain quand ces ménages sont accueillis aux côtés de propriétaires. Mais si le rapport entre propriété et location reste globalement le même, la location a bien commencé sa diffusion spatiale vers les marges du district. Elle va jusqu’à mettre en minorité les propriétaires de vastes secteurs urbanisés après l’indépendance, comme Banconi, Hippodrome, Djikoroni, Lafiabougou en rive gauche, et plus loin encore des vieux quartiers centraux : Torokorobougou, Sokorodji et Banankabougou en rive droite.
11Certaines des nouvelles catégories méritent d’ailleurs discussion (Instat, 2012-d). C’est d’abord le cas du « titre foncier » qui est censé préciser la propriété : ses définitions juridiques suscitent déjà bien des décalages de compréhension chez les Bamakois et les malentendus ne cesseront pas quand l’agglomération se déploiera au-delà de communes urbaines (chapitre 8).
12La catégorie de « copropriétaire » s’applique quant à elle aux ménages redevables d’une même propriété familiale. Mais elle n’a guère d’équivalent dans le parler courant et reste peu explicitée dans l’analyse des résultats des recensements. Elle prête même à confusion au regard du sens qu’elle pourrait prendre à propos d’immeubles collectifs dotés d’un règlement de copropriété, et d’appartements dont les propriétaires, sur différents étages, relèveraient alors de familles différentes. En plaçant tous les ménages à égalité de statut juridique, le terme apparaît surtout transposé maladroitement dans le contexte malien, depuis d’autres références censitaires et juridiques forgées dans les pays occidentaux. Il rend mal compte d’un milieu social dans lequel il convient toujours de distinguer l’acquéreur d’un bien foncier, promoteur de son bâti, et ses héritiers, les ménages constitués ensuite par ses enfants ou ses cadets sociaux2. Une fois décédé ce « père fondateur » de la maisonnée, les générations suivantes maintiennent entre elles une vision hiérarchisée de l’occupation simple et de la responsabilité du patrimoine commun, en reportant le rôle de chef de famille sur l’aîné des héritiers. L’enquête a donc préféré d’autres catégories que la copropriété. Celles d’« usufruitier » et d’« ayant droit » décriront notamment les usages sociaux de ces maisons familiales partagées sur plusieurs générations.
13Enfin, la « location-vente » cherche à rendre compte d’un parc immobilier promu, voire administré par l’État, dont l’importance colle aux logements sociaux dans les derniers recensements. Avec la politique du logement lancée dans les années 2000, l’engouement pour ces petites maisons livrées clés en main se comprend cependant comme sortie de la dure condition locative et comme un pas significatif vers la propriété : accéder ainsi au logement relève, quel qu’en soit le promoteur, d’une stratégie d’épargne qui anticipe sur la certitude d’être entièrement « chez soi ». En faisant basculer du côté de la propriété les 1,9 % de ménages bamakois classés en location-vente, on ne remettrait pas en cause le face-à-face statistique de la propriété et de la location ; on rétablit par contre la légère suprématie de la première sur la seconde, et le rôle normatif qu’elle joue dans les pratiques résidentielles des citadins.
14Avec cette compréhension des principales tenures résidentielles, la proportion des locataires apparaît remarquablement forte et constante à Bamako. La capitale malienne ne rejoint sur ce plan que quelques-unes de ses voisines : 46 % des ménages sont ainsi locataires à Dakar, seule ville du Sénégal où ils dépassent en nombre les propriétaires dans le dernier recensement3. Au Ghana, la catégorie renting concentre de même 47 % des ménages de la région du Grand Accra, la région capitale, contre 45 % en moyenne urbaine selon le dernier recensement de 20104. À l’inverse, la propriété prévaut largement dans les capitales du Burkina Faso et du Niger, intérieures comme Bamako. À Ouagadougou, la proportion des locataires (moins de 26 % des ménages) n’atteint même pas la moyenne urbaine (27 %) donnée par le recensement de 2006, et n’excède pas 40 % à Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays5.
15Malgré les images encore floues que laissent ces données globales, il y a bien matière à tirer de la carte résidentielle et de son évolution dans une ville qui double sa population à l’échelle d’une décennie. La première tendance est la diffusion spatiale du fait locatif qui, comme on l’a vu, bouscule avec le temps les clivages historiques de l’urbanisation bamakoise : rive droite récente versus rive gauche vieillie ; quartiers marqués par l’irrégularité et l’arrivée massive de migrants pauvres, comme en commune I qui est encore la plus fortement locative en 1998, versus quartiers mieux investis par des Bamakois de souche, comme ceux de l’ouest la même année. Si les logements sommaires ne sont pas réservés aux seuls ménages locataires, la différenciation des quartiers se fonde en grande partie sur ces proportions de propriétaires et de locataires (Morin et al., 1996).
16La deuxième tendance vient du renouvellement de la ville sur ses périphéries. Tout juste investis par de nouveaux acquéreurs fonciers, les nouveaux quartiers enregistrent les plus fortes proportions de propriétaires, mais on les trouve désormais au-delà du district. À l’inverse, les secteurs plus anciennement peuplés en son sein se sont chargés de locataires et donnent le ton d’une indéniable mixité résidentielle.
17La troisième tendance est donc celle de l’intrication spatiale de la propriété et de la location, qui apparaît elle aussi soumise à la dynamique centrifuge du peuplement urbain. La concurrence qui les oppose dans les marchés fonciers, tout en les rapprochant dans l’offre locative, ne peut s’envisager en effet au seul niveau communal et des quartiers : le rapport statistique entre propriété et location se joue d’abord à l’échelle des maisons.
Vu de l’enquête
18La trilogie résidentielle donnée par les premiers recensements du Mali a donc pour principal intérêt de forcer l’analyse urbaine à considérer le face-à-face marchand : d’un côté la position de force des acquéreurs de parcelles, de l’autre les exclus des offres foncières, dépendant des premiers pour leur logement. L’enquête PLMU de 2011 enrichit elle aussi la compréhension de leurs pratiques résidentielles en introduisant le terme d’usufruitier qui n’était pas présent en 1993, quand tous les occupants d’un même patrimoine familial étaient assimilés au statut de propriétaire. On distinguera alors plus précisément le fondateur de la maisonnée, propriétaire attiré, s’il est encore présent dans sa maison, et ses héritiers (tableau 29).
Tableau 29 – Modes d’occupation des logements dans les concessions enquêtées (%)
Statut résidentiel ( %) | Enquête PLMU | Échantillon commun | ||
1993 | 2011 | 1993 | 2011 | |
Hébergés à titre gratuit | 4,0 | 8,3 | 3,2 | 5,0 |
Locataires | 61,7 | 34,4 | 60,6 | 45,1 |
Propriétaires | 34,3 | 57,3 | 36,1 | 49,9 |
dont propriétaires attitrés | – | 22,6 | – | 12,2 |
dont usufruitiers | – | 34,7 | – | 37,7 |
Total | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
19Des questions restent en effet sans réponse dans le simple recensement de l’habitat : comment les ménages cohabitent-ils ou ne cohabitent-ils pas avec d’autres ? Quels sont les plus vulnérables et où se logent-ils ? Pour y répondre, il convient de noter que l’enquête de 1993 surreprésente la population locataire par rapport au recensement précédent, tandis que celle de 2011 la sous-représente : le renouvellement de l’échantillon sur des périphéries tout juste urbanisées ne peut être que favorable aux propriétaires et donner l’impression d’un recul de la location. L’importance de ce type de logement se vérifie alors dans l’échantillon de maisons visitées à deux reprises, qui correspond à la partie plus anciennement urbanisée de l’agglomération.
20Cette moindre visibilité des locataires fait donc sens : non pas que Bamako soit moins concerné par la location, mais parce que la concurrence pour l’accès à de nouvelles ressources foncières urbaines se déploie aujourd’hui au-delà de ses limites administratives. Un premier recul à prendre est donc celui de la durée d’installation des ménages en ville et leurs trajectoires migratoires, sur lesquelles on convient de revenir (chapitre 5). D’autres caractéristiques des chefs de ménage font varier les proportions de locataires, de propriétaires et de logés gratuitement dans l’échantillon urbain, notamment parce que les ménages des locataires sont deux fois plus petits que ceux des propriétaires, et que l’âge du chef de ménage explique largement la différence. Alors que la population enquêtée a 23 ans en moyenne en 2011 (22 ans en 1993), les référents des ménages en ont près de 44 (42 en 1993). Avec 40 ans à peine, les locataires se montrent toujours plus jeunes que les hébergés gratuitement (43 ans) et plus encore que les propriétaires (47 ans). Ces écarts semblent toutefois s’atténuer par rapport à 19936.
21Mais la représentation des différentes tenures du logement varie encore plus selon les quartiers d’enquête. C’est donc dans leur comparaison à chaque phase d’enquête, et dans le suivi des maisons enquêtées deux fois, que l’on apprécie à quel point Bamako est une ville de locataires et le reste dans les années 2010.
22Les nuances se déplacent en effet au fur et à mesure que l’espace urbain s’élargit. Celles qui soulignent la diffusion de l’hébergement gratuit restent difficiles à interpréter du fait d’une présence faible dans l’ensemble : de 0 à 8 % des ménages en 1993, puis de 1 à 19 % en 2011, selon les zones d’étude. Les variations urbaines des deux autres tenures apparaissent donc plus significatives (figure 7).
Figure 7. Modes d’occupation des logements selon les zones d’étude et les échantillons d’enquête.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
23En 1993, le rapport concernant la location est de 1 à 1,8 entre la proportion la plus faible (Badalabougou : 39 % de locataires) et la plus élevée (Hamdallaye : 69 %). L’opposition entre le nord et le sud de Bamako est surtout flagrante : la rive gauche, urbanisée depuis plus longtemps, surreprésente la location tandis que la rive gauche la sous-représente. Mais cette géographie s’inverse dans l’échantillon de 2011 : les zones d’étude les mieux investies par les locataires sont désormais en rive droite, au moment où celle-ci rattrape en population la rive gauche. Le fait locatif apparaît majoritaire à Daoudabougou et Dianéguéla une fois ces deux quartiers régularisés et dépassés par le développement de nouveaux quartiers plus au sud ; ses valeurs sont également impressionnantes à Kalabancoro, malgré son éloignement géographique.
24Quant à la propriété, elle place sur un même ordre de grandeur les deux quartiers issus de la promotion immobilière, qui ne donneront jamais beaucoup de chances aux locataires, et le nouvel embryon irrégulier de Dialakorodji. Badalabougou présente la proportion la plus élevée en 1993, dans un rapport de 1 à 2,5 avec Boulkassoumbougou. En 2011, Yirimadio représente désormais ce record dans le même rapport de 1 à 2,5 avec désormais Kalabancoro. L’opposition Nord-Sud et le gradient d’urbanisation du centre aux périphéries urbaines ont perdu toute visibilité dans ces valeurs récentes. La régression de la location n’est surtout que relative, car le nombre de ménages locataires a bien progressé dans l’échantillon commun aux deux passages d’enquête, en particulier à Lafiabougou.
Des tenures résidentielles intriquées dans les concessions
25À l’échelle des maisons, le fait locatif ne concerne pas seulement les locataires ; il concerne également les propriétaires résidents qui accueillent à leurs côtés des « étrangers » à leur famille, ainsi que les propriétaires non résidents qui laissent l’usage intégral de leurs maisons à des locataires, plus souvent à plusieurs qu’à un seul. Le fait locatif est donc largement une affaire de cohabitation. Il informe autant les usagers des logements que les bailleurs, potentiels ou avérés : dans certains cas la cohabitation des propriétaires entre eux ne laisse pas ou plus de place à la location ; dans d’autres cas les propriétaires se rallient à l’idée de valoriser économiquement leur bien, dans une gamme de revenus allant du petit complément, quelques milliers de francs CFA, aux plus franches rentes, plusieurs dizaines de milliers de francs CFA par « appartement » locatif. Il est donc important de suivre maison par maison le statut résidentiel des ménages et la charge habitante globale que ces différents ménages impliquent, selon leur nombre et leur taille (carte 19).
Carte 19. Propriétaires, locataires et logés gratuitement dans les maisons d’enquête.

Sources : enquêtes PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
26Plus la cohabitation est chargée en ménages, plus elle se traduit en effet par un nombre élevé de personnes logées en location. Moins elle est importante, plus elle représente proportionnellement les dépendants de ménages hébergés à titre gratuit. Ce sont pourtant les propriétaires qui représentent les cas les plus fréquents de non-cohabitation : de 70 % des ménages dans ce cas en 1993, on passe à 78 % en 2011, quand l’échantillon fait la part belle à ce type d’occupation récente en périphérie urbaine. Mais dans ce cas leurs ménages sont plus chargés que les autres.
27L’évolution de la ville fait aussi apparaître la progression des propriétaires en situation de cohabitation (figure 8) : ils représentent 34 % des ménages cohabitant en 1993 et désormais 49 % en 2011, ce qui indique des cohabitations plus chargées entre « propriétaires » eux-mêmes. Du fait de ces places prises par les propriétaires dans leurs maisons, les locataires reculent alors doublement : à la fois en proportion des cas de non-cohabitation (23 % en 1993, puis 8 % en 2011), et en proportion des cas de cohabitation (69 puis 42 %).
Figure 8. Propriétaires, locataires et hébergés gratuitement selon le nombre de ménages dans les maisons d’enquête.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
Le marché locatif : diffusion et compression depuis les plus anciennes cours urbaines
28Au Mali, les loyers restent dans l’ensemble versés aux propriétaires sur une base mensuelle. Sur ce plan, Bamako n’a pas le profil locatif des capitales africaines côtières dans lesquelles les bailleurs imposent un paiement annuel du loyer, et parfois plusieurs années d’avance. L’inflation des prix est pourtant durement ressentie dans le district de Bamako ; elle conduit les locataires à se reporter sur des offres de plus en plus éloignées pour peser moins lourdement sur leurs budgets, avec le risque de voir alors les dépenses de transport monter en charge. La géographie de la location apparaît ainsi diffuse à l’échelle de la ville (carte 20). À l’échelle des maisons, le nombre de ménages locataires révèle surtout la stratégie de bailleurs qui n’hésitent pas à orienter les demandeurs vers des logements rudimentaires d’une ou deux pièces. Ces cumuls de revenus locatifs distinguent en particulier des maisons de Daoudabougou, Dianéguéla et de Hamdallaye, et se ressentent dans leurs charges habitantes.
Carte 20. Locataires en 2011.

Source : enquêtes PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
29L’enquête montre cependant que le nombre des ménages locataires a progressé moins vite de 1993 à 2011 que celui des autres occupants des maisons, ce qui fait reculer leur présence relative en deçà même de la moyenne censitaire de 2009 (tableau 30). L’accroissement global de la charge des maisons en ménages provient moins des maisons locatives que des maisons familiales des propriétaires.
Tableau 30 – Présence de locataires dans les maisons
Maisons ouvertes à la location | Enquête PLMU | Échantillon commun (EC) | ||||||
1993 | 2011 | 1993 | 2011 | |||||
Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | |
Oui | 83 | 52,2 | 114 | 27,1 | 64 | 51,2 | 60 | 48,0 |
Non | 76 | 47,8 | 306 | 72,9 | 61 | 48,8 | 65 | 52,0 |
Total | 159 | 100,0 | 420 | 100,0 | 125 | 100,0 | 125 | 100,0 |
Maisons locatives dont les ménages locataires sont : | ||||||||
Seuls ou entre eux | 42 | 50,6 | 51 | 44,7 | 34 | 53,1 | 21 | 35,0 |
Moins nombreux que les autres ménages | 5 | 6,0 | 23 | 20,2 | 1 | 1,6 | 15 | 25,0 |
Aussi ou plus nombreux que les autres ménages | 37 | 44,6 | 40 | 35,1 | 29 | 45,3 | 24 | 40,0 |
Total | 83 | 100,0 | 114 | 100,0 | 64 | 100,0 | 60 | 100,0 |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
30Un classement plus précis des formes d’accueil de ces locataires s’impose alors dans les maisons bamakoises. Face à des configurations aussi variées que la non-cohabitation des locataires dans certaines maisons et leur entassement dans d’autres, la typologie du fait locatif distingue en particulier les ménages cohabitant avec leur bailleur et les locataires logés entre eux. Deux catégories d’analyse ressortaient notamment de l’enquête de 1993 : celle de location « d’appoint » correspondait au cas des propriétaires résidant sur place ; celle de location « spéculative » caractérisait les propriétaires absents mais démultipliant leurs revenus locatifs en jouant sur plusieurs petits logements.
31L’offre semble cependant s’inverser en 2011 : alors que la charge des maisons en ménages s’est globalement accrue, moins de maisons sont proportionnellement ouvertes à la location ; parmi celles qui le sont, le nombre de ménages locataires dépasse moins souvent celui des autres ménages. Une troisième catégorie est donc ressortie de cette dernière analyse pour rendre compte de cohabitations « surchargées » dans lesquelles les locataires ne disposent chacun que d’une « porte » ouvrant depuis la cour sur un logement d’une pièce ou sur une enfilade chambre-antichambre. Bien qu’en recul relatif, ce dernier type d’offre locative rejoint les valeurs de densification des maisons familiales, dans lesquels les petits logements s’individualisent selon le même schéma immobilier, au fur et à mesure que les enfants du propriétaire se marient et constituent leur propre ménage.
32Les locataires s’adaptent alors à ce schéma de valorisation de la rente immobilière des propriétaires en gardant leur moto, la nuit, à l’intérieur même du logement qu’ils occupent, si petit soit-il, par crainte du vol. Le jour, les activités domestiques débordent sur ce qui reste de la cour, depuis chaque pas-de-porte. Les visiteurs et les sorties de la maison suivent un cheminement sinueux entre chaises et tabourets de ménagères, fourneaux et bassines, cordes à linge et jeux des petits enfants.
33La tendance majeure reste cependant le recul de la location du fait du renouvellement de l’agglomération par intégration de maisons tout juste investies par leurs propriétaires, en périphérie urbaine. Elle se vérifie également dans l’échantillon commun aux deux passages d’enquête, dans la ville déjà peuplée au début des années 1990 : la proportion de maisons ouvertes à la location n’y a que légèrement diminué, mais ces maisons semblent aussi comprimer les possibilités d’accueillir de nouveaux locataires. Les propriétaires demandent en effet plus de place pour satisfaire leurs besoins familiaux, ils rognent donc sur l’offre locative. Les maisons entièrement dévolues aux locataires ne sont plus majoritaires. À l’inverse progresse le type des maisons qui ne laissent qu’une place secondaire aux locataires aux côtés de leurs bailleurs. Le manque de chambres, la pression d’ayants droit parvenant à l’âge adulte, l’impossibilité pour des héritiers d’accéder eux-mêmes à une propriété indépendante, tout cela contraint le marché locatif dans les quartiers connaissant une relève générationnelle. Les locataires sont mis devant le fait accompli : tant le marché locatif urbain que le marché foncier périurbain les mettent face à de plus dures sélections économiques. Beaucoup expriment leur inquiétude de voir les prix des loyers s’envoler et les représentants des propriétaires se montrer plus intransigeants sur le recouvrement mensuel.
34Tenant compte de l’ensemble des tenures du logement, la typologie la plus détaillée précise alors la composition des maisons accueillant des locataires (L) selon qu’ils cohabitent, ou non, avec des propriétaires (P) et des hébergés à titre gratuit (H). Quatre types d’association, plus ou moins chargés, résument ces formes sociales de la location pour les deux vagues d’enquête (tableau 31).
Tableau 31 – Formes sociales de la location dans les maisons enquêtées
Type locatif | Descripteur | Code |
Cohabitation, propriétaire(s) absent(s) | Plusieurs locataires | P0LXH0 |
Cohabitation, propriétaire(s) absent(s) | Locataire(s) + 1 hébergé | P0LXH1 |
Cohabitation, propriétaire(s) présent(s) | Propriétaire(s) + locataire(s) | PXLXH0 |
Cohabitation, propriétaire(s) présent(s) | Propriétaire(s) + locataire(s) + hébergé(s) | PXLXHX |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
Photo 3. Une maison densément dévolue à la location à Boulkassoumbougou.

© IRD/M. Bertrand, octobre 2013.
35Les codes donnés à ces types donnent une idée de la pression démographique pesant sur les maisons : chacun des trois statuts résidentiels est suivi du chiffre 0 s’il n’est pas représenté, du chiffre 1 s’il n’est représenté que par un seul ménage, et de la lettre X s’il est représenté par plus d’un ménage. Lorsque la maison est entièrement dévolue à la location, par exemple, le nombre de ménages va de 1 à 11 en 1993, et de 1 à 14 en 2011. Lorsque des locataires cohabitent avec d’autres résidents, ceux-ci ne sont pas plus d’un (en 1993) ou deux (en 2011) ménages hébergés, mais vont jusqu’à trois ménages propriétaires pour les types PXLXH0 et PXLXH1 en 1993, jusqu’à six et quatre ménages propriétaires pour les mêmes types en 2011. Quant aux locataires eux-mêmes, ils sont jusqu’à 7, 14 et 15 ménages dans les maisons de types P0LXH1, PXLXHX et PXLXH0 en 1993 ; jusqu’à 6, 9 et 15 ménages pour les mêmes types en 2011 (figure 9).
Figure 9. Type de cohabitation locative.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
36Dès 1993, on trouve donc les locataires plus souvent en cohabitation que seuls, et plus souvent en cohabitation « d’appoint » auprès de propriétaires résidents qu’en cohabitation entre eux.
La propriété en ses différentes générations urbaines
37À l’inverse de la location, la propriété se recompose fortement des années 1990 aux années 2010 : d’une part par étalement urbain vers les limites du district de Bamako, et au-delà ; d’autre part par renouvellement des familles de propriétaires et par transmission intergénérationnelle des patrimoines constitués antérieurement.
38La propriété s’entend dans un premier temps comme regroupant les propriétaires en titre des maisons et les ayants droit de ces patrimoines familiaux (carte 21). Les premiers sont les promoteurs du bâti ou en ont eux-mêmes hérité mais le gèrent en vertu de l’autorité familiale qui leur est reconnue ; les seconds cohabitent avec les premiers ou les représentent en leur absence. Ces deux catégories d’usagers et de ménages ne seront discriminées que plus loin. Mais il reste des maisons, minoritaires certes, dans lesquelles aucun représentant de la propriété ne réside (tableau 32).
Carte 21. Propriétaires en 2011.

Source : enquêtes PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
Tableau 32 – Présence des propriétaires dans les maisons
Maisons dont : | Enquête PLMU | Échantillon commun | ||||||
1993 | 2011 | 1993 | 2011 | |||||
Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | |
le propriétaire est : | ||||||||
Résident | 106 | 66,7 | 333 | 79,3 | 80 | 64,0 | 100 | 80,0 |
Non-résident | 53 | 33,3 | 87 | 20,7 | 45 | 36,0 | 25 | 20,0 |
Total | 159 | 100,0 | 420 | 100,0 | 125 | 100,0 | 125 | 100,0 |
les propriétaires résidents sont : | ||||||||
Seuls ou entre eux | 70 | 66,0 | 245 | 73,6 | 58 | 72,5 | 55 | 55,0 |
Moins nombreux que les autres ménages | 21 | 19,8 | 29 | 8,7 | 14 | 17,5 | 21 | 21,0 |
Aussi ou plus nombreux que les autres ménages | 15 | 14,2 | 59 | 17,7 | 8 | 10,0 | 24 | 24,0 |
Total | 106 | 100,0 | 333 | 100,0 | 80 | 100,0 | 100 | 100,0 |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
39Lorsque la maison n’est habitée par aucun propriétaire, elle revient à un ou deux ménages hébergés à titre gratuit en 1993 et 2011, jusqu’à six ou sept ménages locataires associés à des hébergés, et jusqu’à 11 à 14 locataires entre eux. L’occupation de la maison par ses propriétaires reste pourtant une tendance forte, qui progresse même de 1993 à 2011.
40Seuls ou entre eux, les propriétaires deviennent encore plus visibles en 2011, ce qui découle de l’introduction de trois nouvelles zones d’étude dans l’échantillon de l’agglomération. Mais ce schéma de peuplement a régressé dans l’échantillon des maisons visitées deux fois depuis 1993 qui caractérise la ville plus ancienne. Celles-ci s’ouvrent à d’autres ménages, et évoluent en plus grande mixité résidentielle (figure 10).
Figure 10. Type de cohabitation des propriétaires présents.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
41Les formes sociales de la propriété se décrivent donc elles aussi selon plusieurs types d’association plus ou moins chargés en ménages (tableau 33). Lorsque la maison est entièrement dévolue à son/ses propriétaires, le nombre de ménages est d’un à cinq dans la première vague d’enquête PLMU, et de 1 à 14 dans la suivante. L’usufruit correspondant aux ménages des enfants et petits-enfants du propriétaire prend donc une forme beaucoup plus visible en 2011 qu’en 1993 dans ces maisons familiales. Lorsque des propriétaires cohabitent avec d’autres résidents, ceux-ci ne dépassent pas un (1993) à quatre (2011) ménages hébergés ; ils vont par contre jusqu’à 15 ménages locataires pour le type PXLXH0.
Tableau 33 – Formes sociales de la propriété dans les maisons enquêtées
Type de cohabitation | Descripteur | Code |
Non-cohabitation | 1 seul propriétaire | P1L0H0 |
Cohabitation familiale | Plusieurs propriétaires | PXL0H0 |
Cohabitation, mixité résidentielle | Propriétaire(s) + hébergé(s) | PXL0HX |
Cohabitation, mixité résidentielle | Propriétaire(s) + locataire(s) | PXLXH0 |
Cohabitation, mixité résidentielle | Propriétaire(s) + locataire(s) + hébergé(s) | PXLXHX |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
42Des années 1990 aux années 2010, les maisons non occupées par les propriétaires ont laissé principalement la place à des locataires. Mais le fait majeur est la densification des maisons familiales, qui va lui aussi jusqu’à la surcharge résidentielle. Du fait de la cohabitation des propriétaires entre eux, les besoins des ayants droit augmentent, ce qui restreint ou bloque l’ouverture de la maison à la location. Ces différents glissements d’un type résidentiel à l’autre confirment finalement l’accroissement général des charges habitantes des maisons dès qu’elles comptent plus d’un ménage.
43La distribution spatiale de ces formes sociales montre alors deux tendances (carte 22). L’une est la relative spécialisation de certaines zones d’étude sur l’un ou l’autre des profils de propriété : Badalabougou et plus encore Yirimadio-LS présentent ainsi de nombreux cas de propriétaires non cohabitants, selon le modèle « une maison, un ménage » qui caractérise toutes les zones d’accès à la propriété clé en main. Longtemps mal relié à Bamako et réservé à la retraite de fonctionnaires qui y acquéraient des lots à bas coût dans les années 1980, Kalabancoro concentre de son côté le plus grand nombre de maisons non occupées par leur propriétaire, ce qui devrait vite évoluer dans les prochaines années. Enfin, le lotissement de Lafiabougou et le noyau villageois de Dialakorodji ont en commun de nombreuses maisons familiales à deux générations, dans lesquels l’acquéreur de la parcelle cohabite avec les ménages de ses enfants.
Carte 22. Formes sociales de la propriété.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
44La seconde tendance, celle de la mixité résidentielle, s’illustre dans les autres zones d’étude. Elle se manifeste au sein de maisons faisant cohabiter deux ou trois tenures différentes du logement, mais aussi à l’échelle d’îlots dont toutes les maisons diffèrent entre elles. Le vieux Médina Coura, les trois quartiers d’origine non lotie, et dans une moindre mesure Hamdallaye, montrent ainsi qu’une maison ne fait pas la voisine en ce qui concerne l’arrangement de ses occupants. D’un lotissement aux suivants, de la rive gauche à la rive droite, des plans en damier aux formes irrégulières, on passe sans transition d’une forme à l’autre : avec ou sans le propriétaire, peu ou trop chargée, homogène ou hétérogène. L’histoire des quartiers se mesure ainsi à la complexification des profils résidentiels et de l’usage familial des biens immobiliers.
L’hébergement gratuit : une pratique qui se renouvelle dans les périphéries urbaines
45Que reste-t-il aujourd’hui de l’hébergement gratuit ? Aucune des zones d’étude ne présente d’immeuble classé au patrimoine de l’État. Concentrés au centre-ville, les logements de fonction ne sont pas en cause dans le maintien de rapports non marchands dans l’échantillon d’enquête. Leur présence plus diffuse relève davantage, comme dans les autres quartiers bamakois, d’arrangements sociaux anciens et assez diffus (carte 23). Ils pourront s’adapter aux besoins les plus récents de l’urbanisation quand celle-ci se prolongera massivement dans le cercle de Kati (chapitre 8).
Carte 23. Concessions comptant des ménages logés gratuitement par quartier de Bamako en 2009 ( %).

Source : RGPH, 2009.
Photo 4. Cohabitation intergénérationnelle entre un propriétaire vieillissant et ses trois belles-filles à Dianéguéla.

© IRD/M. Bertrand, octobre 2013.
46Ce type de tenure résidentielle reste cependant très minoritaire (tableau 34). Sur les 18 maisons concernées en 1993, une seule fait cohabiter le ménage logé gratuitement avec le propriétaire qui l’héberge. Dix sur les 74 concernées en 2011 sont dans ce même cas. Pour le reste, il est rare de trouver plus d’un ménage hébergé ainsi par maison et le profil est non-cohabitant. Ce caractère discret conduit à ne retenir que les effectifs et à en donner une illustration plus qualitative, mais il introduit une question spécifique : la présence de ménages hébergés n’est-elle que résiduelle face aux arrangements marchands que demande aujourd’hui partout le logement urbain ? Ou résulte-t-elle des calculs de coût que demande au contraire l’économie de la construction dans l’agglomération ?
Tableau 34 – Ouverture des maisons à l’hébergement gratuit
Maisons ouvertes à l’hébergement gratuit | Enquête PLMU | Échantillon commun | ||||||
1993 | 2011 | 1993 | 2011 | |||||
Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | Nombre | % | |
Oui | 18 | 11,3 | 74 | 17,6 | 10 | 8,0 | 17 | 13,6 |
Non | 141 | 88,7 | 346 | 82,4 | 115 | 92,0 | 108 | 86,4 |
Total | 159 | 100,0 | 420 | 100,0 | 125 | 100,0 | 125 | 100,0 |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
47Même lorsque les ménages concernés se réfèrent à des liens sociaux forts pour évoquer ceux qui leur offrent un toit, il s’agit d’une parenté éloignée, symbolique, ou rappelant une histoire d’esclavage, qui les démarque des autres usagers du patrimoine familial. Une fois celui-ci transmis en héritage, ils resteront dépendants du bon vouloir du nouveau représentant de la famille et de sa cohésion sociale. Le marché foncier conduit d’ailleurs les plus jeunes acquéreurs de parcelles d’habitation à considérer d’emblée leurs parents proches, de jeunes frères accueillis pour leur éducation par exemple, comme n’étant dans la maison « que temporairement », marquant l’impossibilité pour ceux-ci de prétendre à un héritage qui ne reviendra en ligne directe qu’aux seuls enfants du propriétaire. La situation diffère ainsi de celle de vieilles concessions bamakoises dans lesquelles deux ou trois héritages successifs font encore cohabiter les collatéraux d’une même lignée familiale, auxquels s’ajoutent des enfants et petits-enfants des « hébergés du fondateur de la lignée », qui sont nés dans la même maison. Tous se réfèrent au même « grand-père » chef de famille, longtemps après son décès, mais il n’est plus possible de partager sans conflit l’usage de ces patrimoines aujourd’hui surchargés. Les tentatives de certains de rogner sur la part des autres ou de les « faire sortir » s’étalent désormais sur la place publique7. C’est dire si la compréhension du terme d’hébergement est aussi évolutive que variable pour qualifier le logement de certains ménages en ville (Rondeau et al., 1996).
48Quant à la démarcation entre ceux-ci et des locataires, elle tient précisément au fait qu’un loyer n’est pas demandé aux premiers. Mais la différence peut aussi se montrer ténue : certains propriétaires non résidents, par exemple, se font représenter par un parent ou un ami hébergé pour occuper une maison menacée de déguerpissement et en gérer la mise en valeur locative, et dans ce cas le collecteur des revenus se fait exempter du loyer. D’autres locataires restés particulièrement longtemps auprès de leur bailleur se voient finalement assimilés à la famille et dispensés d’une contribution marchande ; leur « fidélité » et leurs marques d’attention sont interprétées dans le registre moral du respect et de la confiance. À l’inverse, un gardien logé gratuitement sur le chantier qu’il surveille se verra proposer d’y rester au terme de la construction, mais à titre payant.
49L’accueil dans la concession s’inscrit donc dans une histoire d’échanges asymétriques et de services personnalisés qui conserve sa souplesse d’interprétation. Il rappelle d’abord un rapport de subordination/patronage qui puise dans les obligations et les hiérarchies sociales du monde rural, plaçant l’hébergé dans une position de cadet et confortant le logeur dans son rôle d’aîné. L’insertion urbaine des jeunes migrants s’organise en effet souvent à partir d’une phase initiale d’hébergement, avant la recherche d’un logement locatif indépendant et la quête d’un lot à bâtir qui marqueront les âges plus avancés (Ouédraogo et Piché, 1995 ; Antoine et al., 1998). Cette phase d’entrée en ville assure ainsi la surveillance de nombreux ateliers, boutiques de marchés et de quartiers, et autres logements de fortune dans les annexes des maisons familiales.
50La survivance en ville de rapports non marchands peut aussi prendre des formes durables d’hospitalité de la part des propriétaires, dépassant l’accueil saisonnier de quelques ressortissants de leurs localités d’origine. Tant l’honneur du logeur que la redevabilité du logé sont reconnus, et censés être rappelés dans la génération suivante, en référence au contrat social de protection du premier et d’acceptation de la dépendance du second (Bertrand, 2013). Un entretien mené à Daoudabougou avec la responsable de l’un de ces ménages hébergés montre cependant que ces références se fragilisent dans une ville où les sélections marchandes et les frustrations résidentielles s’accroissent dans les deux dernières décennies (encadré 3). Au mieux, les enfants d’un « vieux » quitteront d’eux-mêmes la maison où ils ont grandi ; plus souvent, une « crise des valeurs » est dénoncée dans le fait que ces enfants sont « chassés sans pitié » par les héritiers de celui qui les avait accueillis sous son toit, ou que les spoliés manquent eux-mêmes de « dignité » en faisant « scandale » désormais à la police ou en justice.
Encadré 3. L’occupation disputée d’une maison à Daoudabougou
Malgré deux séries de casses imposées dans l’histoire de Daoudabougou, le plan parcellaire de l’un des îlots enquêtés rappelle un peuplement irrégulier à l’origine et la provenance rurale de ses « pionniers ». L’histoire recueillie ici s’inscrit dans la première phase de normalisation du quartier, qui donne la configuration résidentielle relevée en 1993 : au moment du lotissement des années 1970, certains ménages étaient déjà installés en vertu de transactions officieuses, ils se sont donc déclarés propriétaires et leurs maisons ont été épargnées à la condition qu’elles s’inscrivent dans la découpe parcellaire d’un « carré », ou îlot à angles droits. Mais ces premiers migrants ont continué d’entretenir de constantes relations avec leurs localités d’origine, et ont de ce fait hébergé gracieusement des arrivants ultérieurs qui les suivaient à Bamako.
L’une de ces parcelles identifiées comme loties en 1993 cache en réalité deux maisons différentes (figure 11). Le plan de l’époque ne montre pas de clôture entre ces deux familles, mais l’enquête fait ressortir deux cadres de propriété distincts, reliés à des patronymes différents : la maison portant le numéro 13 est K., la maison 14 est C. Les deux familles n’ont pas de locataires à leurs côtés, et se trouvent sous la responsabilité de « vieux » de 64 et 53 ans, polygames, occupés à des emplois non qualifiés dans le secteur informel. Leur durée de résidence à Bamako et leur origine géographique sont aussi communes : vingt-trois ans, ce qui correspond au peuplement de Daoudabougou dans les années 1970 ; le cercle de Kati dont ils sont issus permettra de vérifier de même la solidarité d’installation qu’ils ont vécue ensemble auprès des mêmes intermédiaires fonciers.
Le lien entre les deux familles est cependant plus complexe, ce que révèle l’entretien mené en 2011. Une clôture matérialise à présent la séparation entre les deux maisons, en réarrangeant l’espace disponible au profit de la maison 14 ; les bâtiments se tournent désormais le dos en ne laissant plus qu’un étroit couloir de circulation dans la maison 13. C’est apparemment la conséquence de l’opération « Sauvons notre quartier » et du lotissement de régularisation qui a continué de « redresser » Daoudabougou entre les deux enquêtes PLMU. Ce réaménagement n’est pas qu’immobilier, il a aussi transformé un lien de dette sociale en conflit de propriété.
En 2011, Sitani, apparaît comme veuve du « vieux C. » et référente de son ménage dans la maison 13. À 48 ans, elle a encore à ses côtés ses deux dernières filles non mariées et un neveu qui les a rejointes à Bamako pour ses études. Les autres ménages de cette concession couloir sont des locataires mariés depuis peu qui partagent le même profil d’emploi dans le secteur informel que dans la génération précédente : l’un est un électricien, l’autre tailleur, le troisième petit commerçant. C’est ce qui explique qu’avec 17 personnes la maison est beaucoup plus chargée qu’en 1993 (neuf personnes). Quant aux K., ils ne comptent plus que trois personnes (huit en 1993) dans le ménage du seul héritier toujours présent à Daoudabougou. Mais la famille conteste aux héritiers des C. leur droit d’usage de la parcelle, et cherche désormais à les déloger.
Sitan et ses enfants ne sont venus à Bamako qu’en 1996. Seule sa dernière fille est née à Daoudabougou. Elle ne connaît pas les circonstances dans lesquelles le nom de son mari a été « mis sur le papier de la maison des C. », mais elle déplore qu’après son décès ses héritiers ne soient plus considérés comme légitimes sur la parcelle. L’homme aurait quitté Baguineda, dans le cercle de Kati, du fait d’un « esclavage pour dette » ; il ne devrait sa place à Daoudabougou qu’au patronage du « vieux K. » et à la tolérance d’usage de ses héritiers. Une vieille histoire villageoise refait ainsi surface en ville, plusieurs décennies après la migration du « vieux C. », dont après lui tout son ménage resterait le débiteur. C’est d’ailleurs depuis leur commun village d’origine que Sitan est « donnée en mariage aux C. », par décision communautaire. L’installation dans la maison de Daoudabougou s’inscrit de même dans une relation de dépendance et d’obligations sociales : quand la maison 14 se dépeuplait en n’y laissant que l’héritier des K. le plus démuni, Sitan l’a soutenu dans ses difficultés matérielles et l’a considéré « comme son propre fils ». Le rejet de ses propres héritiers est donc vécu par elle comme une trahison de ceux qui avaient d’abord accueilli son ménage.
Pour les autres frères K., au contraire, l’occupation de la maison 13 est dénoncée comme un abus du titre de propriétaire. Leur détermination à la vendre rejoint celle d’autres familles anciennement installées à Bamako : profiter des plus-values que la régularisation foncière a données à certains quartiers, ne pas laisser la rente du sol glisser dans les mains de « dépendants usurpateurs ».
[Entretiens du 14/07/2012].
Figure 11. Repérage parcellaire des maisons 13 et 14 à Daoudabougou.

Source : enquêtes PLMU-2011.
51Le logement gratuit est pourtant loin de disparaître à l’échelle de la ville. De nouvelles nécessités le font même apparaître aux limites de l’agglomération, là où se constituent petit à petit les quartiers urbains (carte 24). On touche ici au second type de pratiques : un hébergement de gardiennage dans la ville en chantier. Dès 1993, cinq des 18 maisons concernées font apparaître le ménage hébergé seul et sont laissées à sa surveillance en l’absence de leur propriétaire. La stratégie n’exclut pas de mobiliser d’autres liens sociaux, mais elle est d’opportunité, plutôt que d’honneur, pour le propriétaire qui s’appuie ainsi sur un hébergé.
Carte 24. Logement gratuit en 2011.

Source : enquêtes PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
52Aux marges de la ville, le morcellement du sol en cours impose un paysage temporairement hybride entre les maisons inachevées des nouveaux propriétaires, des cultures résiduelles et des bandes de maraîchage subsistant sur les parcelles encore non bâties. Des matériaux de construction sont déposés entre les bornes des lots, puis derrière des clôtures plus ou moins hermétiques. L’étalement dans le temps du processus de construction devient alors une contrainte forte pour les citadins autopromoteurs, dont les rentrées d’argent sont incertaines ou irrégulières. La sécurisation de la propriété, un retour anticipé de migration peuvent aussi relancer un projet endormi de valorisation ou imposer d’aller plus vite pour prendre de court les concurrents d’une véritable course au sol. À Bamako comme dans toutes les capitales africaines, les périphéries urbaines suscitent ainsi une niche d’emploi, et de logement, liée à la surveillance des propriétés tant que leurs chantiers ne sont pas achevés.
53Ces tâches de gardiennage mettent en effet les parcelles tout juste appropriées et des bâtiments encore inhabitables à la disposition de migrants peu qualifiés, de navetteurs saisonniers convertis aux petits métiers urbains entre deux moments de culture au village, ou de jeunes « aventuriers » attendant un nouveau départ. C’est le cas particulièrement à Kalabancoro-Plateau, qui en 2011 accusait un retard de construction trente ans après le lotissement initié par le cercle de Kati (encadré 4). Il suffit donc qu’une chambre et un enclos des toilettes soient réalisés, et le « marché » se conclut par intérêts réciproques : au propriétaire l’assurance que son investissement est surveillé face à des convoitises malveillantes ; à l’hébergé l’assurance d’une stabilité minimale et une réserve d’espace pour s’enquérir d’activités rémunérées dans le voisinage (blanchissage-repassage, jardinage…). Ici il s’agit moins d’un contrat social que d’un arrangement provisoire : tant que la maison n’est pas prête, tant que l’éloignement du propriétaire interdit d’y mettre des locataires, tant que le gardien occasionnel n’a pas trouvé meilleure opportunité, etc. C’est aussi le cas à Yirimadio où certains logements sociaux sont attribués sans que le bénéficiaire ne soit en mesure ou réellement désireux de déménager : un neveu, un « petit frère » ou d’autres parents éloignés sont alors conviés à habiter la petite maison, mais ils ne pourront prétendre ni à un usufruit durable ni au bénéfice d’une sous-location.
Encadré 4. Deux générations de gardiens
À Kalabancoro, deux maisons encore en chantier en 2013 abritent des gardiens qui ont remplacé ceux enquêtés deux ans auparavant. Les précédents sont un pêcheur de métier qui a quitté la première maison pour se rapprocher du fleuve à Kabala, où il est de nouveau occupé à surveiller des travaux de construction, et un vendeur d’eau qui a repris du service ailleurs. Malgré l’écart d’âge entre eux, les nouveaux gardiens montrent comment le recrutement et l’hébergement n’ont plus rien à voir avec une interconnaissance préalable.
Un migrant vieillissant en ville
Âgé de 59 ans, Hamadoun vient de Gourma-Rharous dans la région de Tombouctou. Il est installé à Bamako depuis 1994, après avoir « fait » Mopti où il a laissé en location sa première épouse et ses enfants. Kalabancoro devient son quartier de vie en 1998, après Hippodrome en commune II où il était hébergé par un grand-frère, lui-même gardien. Native de la même localité, sa seconde épouse est plus jeune de vingt-trois ans et a suivi un itinéraire tout à fait différent pour se retrouver finalement seule avec lui à Kalabancoro. Après avoir été confiée à une grande sœur à Tombouctou, elle est à Bamako par intermittence : à ses 8 ans, placée chez une tante en 1995 ; à ses 20 ans, pour un premier mariage ; à 33 ans après avoir suivi son mari à Niono dans la région de Ségou, et finalement divorcer. C’est depuis Boulkassoumbougou qu’elle se remarie avec Hamadoun et le rejoint en 2010 dans la maison d’enquête.
Celui-ci n’a pas oublié le français qu’il a appris « sur les bancs » au début de l’indépendance. Après un bref passage à Abidjan en 1968, il revient au Mali pour ne pas s’éloigner de sa mère dont il est le seul garçon. Des emplois de manœuvre et de coursier lui sont promis à la Banque de développement du Mali durant sa jeunesse ; mais une compression du personnel le conduit dans la capitale au début de la Troisième République : « Après treize ans de service, je suis devenu blanchisseur d’habits. » À 42 ans, il compte alors sur les maisons inoccupées, et rebondit d’un chantier à l’autre, « dès que le propriétaire a besoin de sa maison ». Celle qu’il garde à l’enquête est la quatrième à Kalabancoro-Plateau : « Avant, j’étais en bas vers le fleuve, ensuite à côté de la mosquée, de là jusqu’au bord du goudron, et maintenant ici. » Certaines maisons lui donnent un statut de locataire : « Je payais 5 000 francs pour une chambre avant mais maintenant tu ne trouves pas à moins de 12 500 francs ; avec béton on peut même te dire 15 000 ; chambre-antichambre on te dira 25 000-30 000. » D’autres propriétaires lui confient leur terrain à travailler : « Ils me font confiance plus que les autres qui travaillent pour de l’argent ; ils me disent de faire ma paillote, d’enlever les ordures que les gens ont jetées, et de rester ici ; j’ai amené ma houe, j’ai brûlé tout ce que j’ai pu, j’ai dépensé pour mettre des tôles et me fabriquer un toit ici, je me suis bien installé ; personne ne va me faire sortir d’ici jusqu’à ce que le propriétaire, lui il le veut, parce qu’il n’a plus besoin de gardien. »
Le profil de résidence reste pourtant vulnérable, soumis à de fréquents déménagements. Certains chantiers n’ont ni puits ni douche. « Je devais mettre à l’abri les vêtements que je repassais chez les voisins. » Il s’agit donc de rechercher sans cesse la moindre marge d’accommodement dans les interstices des rapports marchands. Avec l’âge, l’alternative travail-logement évolue : il s’agit moins de choisir entre une location à prix négocié et un hébergement gratuit à Bamako, que de choisir entre rester dans la capitale et retourner à Mopti. Et dans ce cas : « Pas sans rien ! »
Un gardiennage de transition vers la location
La perspective est différente pour Daouda qui a moins de 40 ans et dont l’emploi de gardien s’intercale entre deux phases de migration. « Avant je déchargeais le sable qu’on extrait du fleuve Niger, c’était à côté, c’est comme ça que j’ai connu cette maison. » Il y occupe un petit bâtiment provisoire d’une pièce avec son épouse, vendeuse de charbon et originaire comme lui du cercle de Yanfolila dans la région de Sikasso, leurs deux jeunes enfants, un frère cadet et la petite sœur de l’épouse. Daouda n’habite la capitale que depuis 2005. Avant cela, la migration l’a conduit à Abidjan à 23 ans, puis à Nouakchott à 30 ans. Il s’y emploie en mer et, durant ses trois ans en Mauritanie, rêve de traversée vers l’Espagne, pour finir par « renoncer aux pirogues » : son mariage l’a finalement ramené au Mali où il rejoint son frère à Kalabancoro. Celui-ci l’aide à trouver une première maison, équipée de toilettes, dans laquelle le couple et son premier enfant disposent gratuitement d’une chambre. Deux ans plus tard, ils déménagent dans la maison d’enquête à la demande de l’un des héritiers du propriétaire, un commerçant expatrié en Côte d’Ivoire. Le logement précédant est désormais complet avec ses sept chambres, et Daouda n’a nullement les moyens d’assurer le loyer de 100 000 francs qui est attendu pour son occupation.
Quant à la nouvelle maison, elle semble également promise à la location. Le chantier progresse lentement, mais Daouda y est assuré d’occuper deux des chambres qui seront bientôt couvertes pour un montant « arrangeant » de 15 000 francs. Entre-temps est né un nouveau projet de travail, celui de l’orpaillage. L’exploitation artisanale des mines de Sélingué vient juste d’être interrompue, et Daouda envisage désormais de « partir du côté de Kayes pour relancer le boulot, même si c’est dur. La terre ça peut même tuer quand ça tombe sur nous. Mais tu peux gagner quelque chose là-dedans ». Ses perspectives rejoignent donc celles de biens d’autres migrants de la même génération : trouver de quoi constituer un fonds de commerce, et revenir en ville plus tard avec de quoi payer un véritable loyer.
[Entretiens du 02/06/2013].
54Malgré de petits effectifs de ménages et de maisons, l’hébergement gratuit rend compte finalement, lui aussi, d’une pression résidentielle qui s’est fortement accrue en 2011. Quelques maisons accueillent même plus de deux ménages hébergés dans les cohabitations les plus chargées. Surtout, ces ménages ont gagné près d’une personne en moyenne depuis 1993, contrairement aux autres dont la taille était stable ou diminuait. Ce type de tenure se présente selon quatre associations plus ou moins complexes (tableau 35).
Tableau 35 – Formes sociales de l’hébergement dans les maisons enquêtées
Type d’hébergement gratuit | Descripteur | Code |
Non-cohabitation, propriétaire(s) absent(s) | 1 seul hébergé | P0L0H1 |
Cohabitation, propriétaire(s) absent(s) | Plusieurs hébergés | P0L0HX |
Cohabitation, propriétaire(s) absent(s) | Locataire(s) + hébergé(s) | P0LXH1 |
Cohabitation, mixité résidentielle | Propriétaire(s) + hébergé(s) | PXL0HX |
Cohabitation, mixité résidentielle | Propriétaire(s) + locataire(s) + hébergé(s) | PXLXHX |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
55Contrairement à 1993, les ménages hébergés en 2011 sont pour la plupart associés à des propriétaires, et plus ou moins des locataires (figure 12). Avec eux comme avec les autres ménages, la problématique générale de la cohabitation s’est donc globalement déplacée par rapport à la génération précédente : d’abord emblématique du fait locatif, elle interroge désormais le devenir des maisons familiales et le blocage de nombreux ménages dans les propriétés constituées par leurs parents.
Figure 12. Nombre de ménages logés gratuitement selon le type de cohabitation d’hébergement.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
De l’appropriation à la transmission des maisons familiales
56L’appréciation de la pression résidentielle s’enrichit en effet avec la catégorie d’usufruitier. Les formes sociales de la propriété ne sont plus abordées seulement selon l’hypothèse locative, comme dans les années 1990, c’est-à-dire dans l’opposition des propriétaires résidents et non résidents qui impliquait de distinguer une location « d’appoint » et une autre « spéculative ». La question du logement est devenue aussi critique dans certaines maisons familiales où les locataires n’ont même plus leur entrée vingt ans plus tard. La cohabitation y prend des formes surchargées : faute de pouvoir décohabiter, les héritiers du propriétaire sont conduits à n’occuper que de petits logements, et ceux-ci ne sont guère mieux dotés que ceux des autres ménages. Le paiement des factures d’électricité, l’accès aux toilettes collectives, la pose d’un cadenas sur le robinet d’arrivée d’eau, tout devient source de tensions au sein de ces grandes familles.
57L’enquête PLMU-2011 introduit alors une nouvelle distinction au sein des maisons occupées en propriété : celles-ci ne comptent désormais plus qu’un seul « propriétaire en titre », terme qui désigne ici une qualité sociale, la responsabilité du chef de famille et non un titre de propriété dûment établi sur la parcelle, tandis que les autres usagers qui dépendent du même tuteur et patrimoine familial sont classés comme « usufruitiers ».
Des maisons occupées par plusieurs générations de propriétaires
58L’histoire de ces lignées de résidents s’illustre d’abord par l’échantillon des 125 maisons visitées deux fois à Bamako, dans l’échantillon commun aux enquêtes PLMU. Aux solidarités dont elles se prévalent à l’occasion du mariage de leurs fils s’ajoutent celles permettant à des filles divorcées ou « ayant quitté le domicile conjugal » de revenir en famille. Mais la dernière décennie donne de plus en plus d’exemples de tensions inter et intragénérationnelles dans ces maisons.
Un suivi longitudinal des maisons et de leurs occupants de 1993 à 2011
59Le suivi est mené maison par maison. À dix-huit ans d’intervalle, un ménage est considéré comme identique si son référent est le même ; un ménage est compté comme nouveau si au contraire son référent a changé bien qu’on y retrouve des personnes déjà présentes en première phase d’enquête : le propriétaire est par exemple décédé entre-temps et son ménage se constitue en 2011 de la ou des veuves accompagnées d’enfants célibataires ; un autre cas de figure vient des enfants qui étaient encore jeunes en 1993 et apparaissent désormais mariés et chargés de famille à la tête de leur propre ménage.
60Aucun des dix ménages hébergés identifiés en 1993 n’est retrouvé en 2011. Moins d’une dizaine des 188 ménages locataires présents alors est retrouvée ensuite, du fait d’une durée de résidence exceptionnellement longue dans la cour. C’est dire si la mobilité résidentielle des locataires est forte, sans nécessairement s’orienter vers la propriété comme le montrera l’analyse des parcours urbains (chapitre 6).
61Les histoires les mieux reconstituées depuis 1993 sont donc celles des lignées de propriétaires, leurs maisons devenant en 2011 un enjeu important de logement pour les jeunes générations. De 81 maisons familiales d’abord occupées par un ou plusieurs ménages représentant la propriété, on passe en effet à 99 ensuite : 26 ont été « gagnées » sur des configurations qui ne représentaient d’abord que des hébergés (6) et des locataires (20), aucun membre de la famille propriétaire ne résidant sur place. La progression compense donc largement les huit maisons « perdues » par leurs propriétaires, cédant ainsi la place en 2011 à l’hébergement (3) ou à la location (5). Ce bilan positif confère finalement une plus grande visibilité au statut résidentiel des usufruitiers : 44 maisons ne représentent même qu’eux en 2011, tandis que 55 autres maisons familiales donnent à voir le propriétaire en titre, seul ou avec d’autres ayants droit.
62Cette pression démographique se fait enfin sentir, comme on l’a vu plus haut, par l’augmentation du nombre de ménages associés à ces patrimoines communs. La plupart des familles identifiées en 1993 le sont de nouveau en 2011, grâce au patronyme et au prénom de leurs membres. Seules trois familles sont perdues de vue à la suite d’une transaction qui fait rentrer de nouveaux propriétaires dans la maison. Mais, en général, un bien acquis reste dans les mains de la famille du propriétaire d’origine après son décès, et se transmet en ligne directe en suivant le droit de succession musulman. Le patrimoine familial continue ainsi d’être occupé tant que des héritiers sont toujours présents à Bamako, notamment les plus âgés et ceux qui n’ont pas les moyens de décohabiter.
63En 2011, on identifie ainsi 36 maisons dont le propriétaire était déjà présent en 1993 et se trouve toujours en charge de son ménage, dont la composition a changé ; 30 autres maisons présentent des ménages déclarés propriétaires ou usufruitiers après une recomposition familiale, par décès du précédent chef de famille et installation d’enfants mariés dans des logements distincts. C’est à l’occasion de ces réorganisations de la responsabilité familiale que la surcharge ou la dégradation de ces maisons est la plus discutée.
Les ménages usufruitiers : blocage du modèle d’accès à une propriété indépendante
64La présence de nombreux ayants droit constitue en effet un marqueur du vieillissement des quartiers. Elle signale aussi le verrouillage du marché foncier à Bamako : l’acquisition de nouveaux lots à bâtir se reporte en périphérie, dans le cercle de Kati.
65La géographie de l’usufruit varie en effet sensiblement dans l’échantillon d’étude (carte 25). Les plus fortes proportions concernent les trois lotissements peuplés avant les années 1970 sur la rive gauche, avec respectivement 59, 55 et 45 % des ménages de Lafiabougou, Médina Coura et Hamdallaye. Malgré des maisons peu propices à la cohabitation, Badalabougou-Séma présente aussi une forte proportion d’usufruitiers (47 % des ménages), la plus élevée de la rive droite dont elle est la zone d’étude la plus ancienne. À l’inverse, Yirimadio-LS n’en compte aucun parmi ses occupants tout juste installés en accès à la propriété. Enfin, les quartiers peuplés à partir des années 1980 (Kalabancoro, Boulkassoumbougou) ou restructurés dans la décennie suivante (Daoudabougou, Dianéguéla) présentent des valeurs intermédiaires entre 18 % et 28 %, ce qui laisse le champ libre à la location. D’une manière générale, moins les usufruitiers sont présents et plus les locataires sont représentés, jusqu’à occuper une place majoritaire comme dans ces quatre derniers exemples.
Carte 25. Maisons en propriété familiale en 2011.

Source : enquêtes PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
66Le profil inverse de Dialakorodji est cependant atypique et tient à l’origine rurale d’une partie de ses habitants : ce quartier irrégulier constitué en périphérie urbaine laisse pour l’instant peu de place aux locataires ; mais la proportion d’usufruitiers parmi les ménages (55 %) y est parmi les plus importantes de l’échantillon de 2011 ; elle dépasse déjà celle des propriétaires, ce qui est rare dans les secteurs récemment peuplés. La carte les montre en réalité très concentrés sur deux ou trois maisons familiales dont le peuplement villageois précède l’arrivée des Bamakois, soucieux quant à eux de quitter la location et recherchant des parcelles à moindre coût dans les communes périurbaines.
67Cette population d’ayants droit rattachés à la propriété par héritage, potentiel ou avéré, contribue donc fortement à la densification de Bamako. À l’exception de Dialakorodji et de Yirimadio, elle suscite une concurrence non négligeable avec les locataires pour l’occupation de nombreuses maisons.
Un peuplement urbain entre non-cohabitation et surcharge résidentielle
68La typologie des maisons urbaines découle finalement de cohabitations qui se renégocient à chaque génération, et dont la nécessité se renouvelle dans chacune des zones d’étude, selon sa propre maturation. Ces différentes combinaisons résidentielles sont présentées selon le nombre de ménages et de personnes qu’elles permettent de loger sur les parcelles. Les types mixtes exercent la plus forte pression sur l’espace disponible (tableau 36).
Tableau 36 – Types de cohabitation
Propriétaires | Résidents | Cohabitation | Code |
Absents | 1 ou plusieurs ménages H* | Non en 1993, rare en 2011 | P0L0HX |
1 seul ménage L | Non | P0L1H0 | |
Plusieurs ménages L | Oui : locative spéculative | P0LXH0 | |
L + 1 ménage H | Oui : locative spéculative | P0LXH1 | |
Présents | 1 seul ménage P ou U | Non | P1L0H0 |
Plusieurs ménages P et/ou U | Oui : familiale | PXL0H0 | |
1 ou plusieurs ménages P/U + H | Oui : familiale | PXL0HX | |
P/U + L | Oui : familiale et location d’appoint | PXLXH0 | |
P/U + L + H | Oui : familiale et locative surchargée | PXLXHX |
*H : hébergé, L : locataire, P : propriétaire, U : usufruitier.
Source : enquêtes PLMU-2011.
69Les maisonnées enquêtées sont ainsi codées selon le même principe que pour qualifier les formes sociales de la propriété, de la location et du logement gratuit : les trois lettres P, L et H sont accompagnées d’une valeur signalant l’absence (0), la présence d’un (1) ou de plus d’un (X) ménage relevant de ces tenures résidentielles. Les types de maisons sont ensuite triés selon leur charge habitante (tableau 37).
Tableau 37 – Pression démographique selon le type de cohabitation en 2011
Code de cohabitation | Charge habitante moyenne | Maison concernée | ||
Ménage | Population | Nombre | % | |
P1L0H0 | 1 | 6,4 | 167 | 39,8 |
P0L1H0 | 1 | 6,5 | 16 | 3,8 |
P0L0HX | 1,1 | 12,5 | 33 | 7,9 |
PXL0HX | 3,1 | 18,2 | 28 | 6,7 |
PXL0H0 | 3,2 | 19,1 | 78 | 18,6 |
PXLXH0 | 4,4 | 22,6 | 50 | 11,9 |
P0LXH0 | 4,6 | 22,0 | 35 | 8,3 |
P0LXH1 | 5,7 | 26,3 | 3 | 0,7 |
PXLXHX | 7,3 | 33,4 | 10 | 2,4 |
Source : enquêtes PLMU-2011.
70Une couleur primaire est attribuée à chacune des tenures du logement et ressort lorsqu’elle n’est pas associée aux autres dans les situations de non-cohabitation : jaune pour l’hébergement, rouge pour la location, bleu pour la propriété. Les couleurs secondaires et les teintes les plus foncées correspondent alors à des situations de mixité résidentielle, jusqu’à la plus complexe (carte 26). Dès les années 1990 et plus encore en 2011, ces cohabitations ont un effet démultiplicateur sur la charge habitante des maisons. Quatre d’entre elles en particulier, près du quart des maisons enquêtées en 2011, tendent vers des valeurs moyennes de surcharge résidentielle au-delà de quatre ménages et de 22 personnes.
Carte 26. Charges habitantes des maisons selon la cohabitation résidentielle.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
71Or ces mêmes types représentaient 42 % de l’échantillon de 1993. La diminution tient au fait que les maisons réservées à un usage purement familial ont beaucoup progressé entre les deux phases d’enquête, au détriment de celles ouvertes à la location. Bien qu’occupées par plus d’un ménage en 2011, ces maisons d’ayants droit échappent aux records de charge habitante. Mais en tenant compte de toutes les valeurs moyennes qui dépassent alors celles données par le recensement pour les concessions du district de Bamako (plus de deux ménages et 13 personnes), c’est près de la moitié des maisons enquêtées en 2011 qui serait concernée par une surpression résidentielle.
72Le profil de surcharge résidentielle se précise enfin dans les 125 maisons visitées aux deux phases d’enquête PLMU (figure 13). Le fait marquant de cet échantillon centré sur la ville de Bamako est en effet la montée en force des cohabitations urbaines, et particulièrement des types PX correspondant aux maisons familiales et à la présence d’usufruitiers entre eux ou aux côtés des propriétaires. Le nombre des maisons purement locatives, du fait de l’absence de leurs propriétaires, et celui des maisons ouvertes à une location d’appoint aux côtés du propriétaire régressent au contraire. Le rapport numérique entre cohabitations locatives et familiales semble donc s’inverser, mais au prix d’une spectaculaire densification des maisons de propriétaires.
Figure 13. Types de cohabitation dans les maisons enquêtées deux fois.

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
73Cette dynamique de renouvellement familial précise de nouveau les profils de quartier. En 1993, seules les maisons familiales de Médina Coura, Hamdallaye et Badalabougou-Séma se distinguaient un peu des autres : les premières pour des surcharges manifestes qui ne seront pas suivies dans l’échantillon commun aux phases d’enquête ; les autres s’opposant sur le critère de cohabitation/non-cohabitation résidentielle dans les deux quartiers. Les périphéries urbaines de l’époque, nées de peuplements irréguliers, illustraient une propriété peu chargée dans laquelle les enfants des propriétaires étaient encore trop jeunes pour être détachés des ménages de leurs parents. Les maisons de Boulkassoumbougou conservaient même assez de place pour accueillir d’autres ménages en location d’appoint. Entre ces deux extrêmes, les maisons familiales de Lafiabougou montraient des valeurs de densité intermédiaires, ses lignées de propriétaires amorçant tout juste une cohabitation à deux générations.
74En 2011, Daoudabougou et Dianéguéla confirment leur ressemblance, mais leur profil a profondément changé dans le sens d’une franche surcharge résidentielle : à la cohabitation des propriétaires sur deux générations s’ajoute une location d’appoint, comme à Hamdallaye mais dans des maisons plus petites. Lafiabougou confirme son profil de cohabitation familiale selon des densités également accrues. La propriété peu chargée (Dialakorodji, Yirimadio-LS) voire non résidente (Kalabancoro) s’est en effet déplacée vers ces zones d’étude, nouvelles dans d’enquête, qui ne font pas partie de l’échantillon commun. Le type des propriétaires non cohabitants se maintient par contre à Badalabougou-Séma, seule zone d’étude constante sur ce plan depuis 1993.
75Les maisons dont les propriétaires sont non-résidents ont donc perdu globalement 15 points ; celles dans lesquelles des propriétaires sont présents mais ne cohabitent pas entre eux en ont perdu 16. Les cohabitations « gagnantes » sont au contraire celles des ménages membres d’une même famille de propriétaires, avec ou sans locataires, au prix d’un entassement de leurs occupants dans de petits logements. En nombre de ménages, elles rejoignent et dépassent même les valeurs les plus fortes de 1993 qui caractérisaient alors la location spéculative (tableau 38).
Tableau 38 – Charge en ménages des maisons enquêtées deux fois selon le type de cohabitation résidentielle
Type de cohabitation | Nombre moyen de ménages par maison | |
1993 | 2011 | |
P0L0H1 | 1 | 1 |
P0L1H0 | 1 | 1 |
P0LXH0 | 4,0 | 5,7 |
P0LXH1 | 3,9 | |
P1L0H0 | 1 | 1 |
PXL0H0 | 2,7 | 3,5 |
PXL0HX | 3,8 | |
PXLXH0 | 4,4 | 4,9 |
PXLXHX | 8,1 |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
76L’analyse des cohabitations résidentielles rejoint sur ce plan celle des densités déjà calculées selon les superficies parcellaires et bâties. Les différences entre maisons enquêtées ne dépendent pas seulement de l’ancienneté et de l’origine des zones d’étude, leur occupation varie aussi selon la réserve foncière disponible.
77En 2011, les concessions occupées par leur propriétaire en titre font 344 m² en moyenne, contre respectivement 542 m² et 643 m² pour celles occupées par des locataires et des usufruitiers. Ceux-ci ne sont pourtant pas plus à l’aise dans leurs conditions de logement, car les concessions les plus avantageuses permettent surtout d’accueillir plus de ménages. Elles fonctionnent de fait comme réserve d’espace pour une densification qui viendra tôt ou tard, et ne laissera qu’à de rares familles la perspective de rester durablement dans un cadre de vie aéré.
78Les parcelles les plus grandes et les meilleurs potentiels immobiliers jouent ainsi leur rôle de valorisation locative et de partage du bâti disponible entre des ménages voués, parents ou étrangers à la famille, à cohabiter entre eux faute de pouvoir accéder à la propriété d’un lot indépendant. D’une manière générale, plus les propriétaires en titre se retrouvent en minorité parmi les occupants de leur bien, plus la parcelle correspondant à ces maisonnées composites est grande. Avec une moyenne de 510 m², c’est tout le contraire des 288 m² disponibles pour les propriétaires qui ne cohabitent avec aucun ménage dans leur maison, y compris de leur propre famille. La réduction drastique de la superficie des parcelles vendues aujourd’hui sur les bordures de l’agglomération, à moins de 300 m², pourrait donc sérieusement affecter le modèle historique de densification qu’ont forgé à Bamako l’histoire des familles et le marché locatif.
Hommes et femmes dans la tenure du logement
79D’autres discriminations résidentielles dépendent pour finir du sexe du référent des ménages.
La catégorie montante des femmes chefs de ménage
80Rappelons que les ménages ayant une femme comme personne de référence sont plus petits que ceux des hommes en moyenne. Les femmes ne représentent certes qu’une minorité des chefs de ménage recensés au Mali (13 % en 2009) et particulièrement à Bamako (12 %). Cela relie le pays et sa capitale à un contexte sahélien très majoritairement musulman, tandis que les femmes sont plus visibles dans les pays voisins du golfe de Guinée. D’une enquête PLMU à l’autre, la féminisation de ces responsabilités résidentielles est cependant remarquable (tableau 39).
Tableau 39 – Proportion de femmes parmi les chefs de ménage enquêtés (%)
Zone d’étude | Enquête PLMU | Échantillon commun | ||
1993 | 2011 | 1993 | 2011 | |
Médina Coura | 13,0 | 10,0 | ||
Hamdallaye | 18,0 | 35,0 | 16,0 | 35,0 |
Lafiabougou | 10,4 | 17,3 | 10,8 | 20,4 |
Boulkassoumbougou | 8,3 | 8,9 | 9,3 | 7,9 |
Dialakorodji | 9,8 | |||
Badalabougou-Séma | 15,4 | 23,5 | 14,3 | 23,1 |
Daoudabougou | 6,8 | 23,0 | 7,0 | 24,0 |
Dianéguéla | 12,5 | 18,4 | 12,8 | 19,3 |
Kalabancoro-Plateau | 13,5 | |||
Yirimadio-LS | 21,8 | |||
Total | 12,6 | 18,1 | 11,7 | 22,8 |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
81Les femmes ont ainsi gagné cinq points entre les deux enquêtes PLMU et surtout 11 points dans l’échantillon commun, qui illustre le mieux la densification de la ville déjà constituée dans les années 1990. Leur proportion a quasiment doublé dans ces maisons enquêtées deux fois. Les plus fortes progressions signalent des zones d’étude aussi différentes, sociologiquement, que Hamdallaye et Daoudabougou, Lafiabougou et Badalabougou-Séma. Mais la présence des femmes montre également des différences en périphérie urbaine : les logements sociaux de Yirimadio leur donnent notamment une meilleure visibilité en 2011 (carte 27).
Carte 27. Femmes chefs de ménage en 2011.

Source : enquêtes PLMU-2011.
Réalisation : IRD/service Cartographie.
82C’est principalement par veuvage que des femmes se retrouvent chefs de ménage (tableau 40). Avec une moyenne de 47 ans, elles sont donc plus âgées de quatre ans que les référents masculins. Chez les hommes en revanche, le veuvage reste comme le divorce une situation provisoire dans l’attente d’une nouvelle union qui peut intervenir même à un âge avancé. La norme sociale les veut mariés, ce qu’ils sont dans des proportions écrasantes, tandis que le mariage laisse généralement les femmes dépendantes de la résidence de leur époux. Lorsque des femmes mariées se retrouvent chef de leur propre ménage, cela signifie que leur mari est absent, éloigné par une migration qui lui interdit des séjours de plus de six mois à Bamako. Pour le reste, les enquêtes montrent les femmes plus fréquemment divorcées que les hommes, notamment en 1993.
Tableau 40 – Statut matrimonial des chefs de ménage enquêtés selon le sexe ( %)
Statut matrimonial | PLMU-1993 | PLMU-2011 | ||
Hommes | Femmes | Hommes | Femmes | |
Célibataires | 16,3 | 10,7 | 6,4 | 7,5 |
Fiancés | 1,1 | 1,6 | ||
Mariés | 82,6 | 8,9 | 90,6 | 26,3 |
Divorcés | 0,5 | 30,4 | 0,8 | 12,4 |
Veufs | 0,5 | 50,0 | 1,1 | 52,2 |
Total | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
Effectif de référence | 390 | 56 | 840 | 187 |
Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
Des profils variés de vulnérabilité résidentielle
83À première vue, ces ménages de femmes soulèvent les mêmes attentes et arrangements que ceux des hommes en matière de tenure du logement. Leur vulnérabilité est cependant plus marquée, en lien avec le statut matrimonial de la référente (tableau 41). Ces profils sont illustrés par des entretiens qualitatifs réalisés après l’enquête PLMU, dans les quartiers dans lesquels elles sont les mieux représentées.
Tableau 41 – Mode d’occupation des logements selon le sexe du chef de ménage enquêté (%)

Sources : enquêtes PLMU-1993 et PLMU-2011.
84En 1993, les femmes chefs de leur ménage sont majoritairement locataires mais dans une proportion inférieure à celle des hommes. Elles sont à l’inverse légèrement surreprésentées dans la propriété, ce qui rappelle l’usufruit consenti aux mères de famille retournant vivre dans la maison paternelle après séparation d’avec leur conjoint. C’est donc en quittant le domicile du mari et sa tenure propre qu’elles deviennent référentes de leur ménage. Laissant souvent des enfants à l’extérieur, ces ménages de femmes sont généralement plus petits que ceux de leurs frères dans la maison d’origine, mais ils aspirent à disposer au minimum d’une chambre.
85La situation résidentielle des femmes change ensuite profondément : en 2011, la location n’est plus majoritaire ni pour les femmes ni pour les hommes. Mais la propriété dans laquelle elles sont désormais surreprésentées, laissant aux hommes une meilleure visibilité dans l’hébergement gratuit, n’est pas seulement d’usufruit ; c’est aussi une propriété d’acquisition. On voit ici la conséquence du vieillissement de certains quartiers, comme Badalabougou-Séma, dans lesquels de nombreuses femmes se retrouvent par veuvage à la tête du ménage étriqué laissé par le mari. Tant que l’écart d’âge avec ce conjoint défunt les laisse en situation de représenter la génération des premiers propriétaires, elles continuent de compter à leurs côtés des enfants toujours célibataires et les neveux qui les ont rejoints pour profiter d’une scolarisation à Bamako et « ne pas laisser la maman toute seule ». Quant à leurs fils mariés, en charge de leur propre ménage, ils ne peuvent encore prétendre figurer comme les nouveaux chefs de famille et propriétaires en nom commun des maisons.
Vieillir en propriété
86Sur les 102 ménages enquêtés à Badalabougou-Séma en 2011, 24 ont ainsi une femme comme référente. L’écart d’âge est de 13 ans entre ces femmes chefs de ménage (60 ans en moyenne) et les référents hommes des autres ménages (47 ans). Ces veuves de Badalabougou-Séma résident en moyenne depuis trente-trois ans à Bamako et depuis vingt-sept ans dans leur maison d’enquête, contre respectivement vingt et un et neuf ans pour les femmes chefs de ménage dans les autres quartiers de la rive droite de Bamako, où l’écart d’âge avec les référents hommes n’est plus que de quatre ans. Cette durée dans le quartier illustre le vieillissement des maisons promues par la Séma après l’indépendance, peuplement pionnier pour l’urbanisation tardive de la rive droite (encadré 5). Avec une telle longévité, on devrait s’attendre à ce que davantage d’ayants droit au patrimoine familial cohabitent sur la parcelle. Mais l’architecture des maisons est contrainte ; elle ne permet qu’à un jeune couple de rester aux côtés de ses parents. De plus, le niveau d’étude est plus élevé dans ces familles que dans le reste de la ville, ce qui donne aux enfants l’aspiration et les moyens de quitter la concession paternelle à leur entrée dans la vie adulte. Dans trois des huit cas de cohabitation impliquant des femmes, le second ménage résidant dans la maison est d’ailleurs aussi celui d’une femme : une coépouse et ses propres dépendants célibataires, ou une belle-fille dont le mari est absent.
Encadré 5. Des veuves dans le sillage du primo-acquéreur
La comparaison entre Jeanne-Marie et Djeneba est intéressante, car la première, 71 ans en 2011, était déjà chef de son ménage en 1993, tandis que la seconde, 66 ans, se retrouve veuve dans l’intervalle des deux enquêtes.
Veuvage précoce
En 1993, Jeanne-Marie est alors une des rares femmes propriétaires. Elle vit avec sa propre mère, ses deux fils et trois de ses filles, tous élèves ou étudiants, une petite-nièce, ainsi que deux bonnes. La famille réside dans la maison depuis dix-neuf ans déjà. Comme elle, son mari est venu de la ville de Kita et a acquis la maison dans les années 1960, après un temps de location « en ville », alors qu’il enseignait au lycée du quartier. À sa mort dans les années 1980, il était devenu directeur adjoint d’une école supérieure du Mali. Jeanne-Marie a donc dû soutenir les études des enfants tout en continuant de payer la maison à la Séma. Les modifications mineures du plan étaient déjà faites : le salon avait été agrandi au détriment d’une terrasse, le garage d’origine avait été converti en chambre comme souvent dans ces logements. « Je me suis débrouillée dans les commerces pour compléter la pension du papa. Les autres femmes du quartier avaient leur mari avec elles, moi j’étais obligée de me battre. J’ai vendu du charbon, j’ai vendu des oignons, de la pâte d’arachide, des tomates que j’allais prendre à Sanankoroba (cercle de Kati), j’ai vendu tout ça. Les feuilles que je préparais à la maison, je partais vendre ça au marché de Badalabougou, j’avais ma place là-bas. J’avais un frigo, je préparais du gingembre pour vendre ça le soir. En ce temps y avait tellement de fonctionnaires ici, c’était propice ! Vers les 13 heures je partais au marché de Médine, j’achetais du poisson, de la banane plantain, je grillais pour vendre ça le soir, à 25 francs. »
Jeanne-Marie justifie le fait de ne pas s’être remariée par celui d’avoir sa propre maison, et encore des enfants à charge à l’époque, ce qui lui vaut une réputation de femme courageuse dans le voisinage. Elle n’a diminué ses activités que quand son premier fils est devenu enseignant à son tour. Après son décès à l’âge adulte et le mariage de toutes ses filles dans d’autres quartiers de Bamako, elle continue de vendre du jus de gingembre en se faisant aider par les jeunes filles qui vivent encore avec elle. En 2011, son fils cadet de 45 ans reste associé à son ménage en attendant son propre mariage. De la propre mère de Jeanne-Marie, presque centenaire, aux trois petits-enfants qui vivent à leurs côtés, la maison compte alors quatre générations. Mais jamais celle qui se revendique toujours « chef de famille » n’a pensé un moment repartir vivre à Kita : ce sont ses parents qui viennent lui rendre visite dans la capitale.
Veuvage accompagné
Quant à Djeneba, c’est en 1975 qu’elle rejoint son mari, natif de Bamako, qui occupait déjà la maison depuis 1964 du fait de son emploi dans la compagnie nationale Air Mali, fleuron de l’indépendance, car la Séma concédait des facilités à son personnel navigant. Le divorce de la première épouse la fait donc venir à Badalabougou, après deux allers-retours entre Kayes, d’où elle est native comme d’ailleurs la famille de son mari, et le quartier de Bamako Coura où elle a grandi chez des parents également propriétaires. Après le décès du mari, en 1998, elle devient responsable du ménage au plus fort de son épanouissement. Les quatre enfants issus du premier mariage et leur mère avaient plus tôt migré en France en profitant de « leur nationalité française, garantie pour les Kayésiens depuis le temps colon ». L’héritage du père n’est toujours pas réglé tant que les deux mères sont en vie, malgré de fréquentes visites des aînés à Badalabougou-Séma et le soutien éducatif donné en France à l’un des fils de Djeneba.
Même réduite aux enfants du second mariage, la maison est jugée trop petite : en 1993, elle comptait déjà 16 personnes avec les six enfants du couple, cinq collatéraux des deux parents – frères, neveux et cousins hébergés pour leurs études – et deux bonnes logées par leurs employeurs. La maison est restée sans réaménagement : licencié de son emploi quatre ans avant son décès, le père avait été empêché de réaliser les travaux qu’il prévoyait pour monter en étage. Avant cela, une chambre avait été gagnée sur l’avant de la maison, une autre l’avait été sur des toilettes intérieures et une partie du grand salon d’origine, portant le plan d’ensemble de deux à quatre chambres.
En 2011, la maison compte désormais deux ménages et dix personnes au total. Au ménage de l’un des fils de Djeneba qui n’a encore que deux enfants en bas âge, s’ajoutent sa fille benjamine, tout juste née à l’enquête de 1993 et encore élève, le plus jeune de ses fils, de retour de France pour continuer à 25 ans ses études au Mali, et une fille de 32 ans revenue auprès de sa mère après son divorce : son propre mariage dans un cadre polygame n’aura duré que quelques années, mais seuls les trois derniers mois, mal vécus, l’ont été en résidence commune dans un autre quartier de Bamako. Le fait qu’elle soit sans enfant la rattache au ménage de Djeneba, d’autant qu’elle y contribue financièrement par son emploi d’assistante administrative dans une entreprise privée. Malgré la pression de sa mère pour un remariage rapide qu’elle ne souhaite pas, elle n’envisage pas non plus de « sortir de la maison pour aller en location : une femme qui n’est pas mariée, aller ailleurs toute seule, ici on ne comprend pas ; sauf si je pars pour rejoindre mon mari, là ça va. Sinon, notre éducation ne le permet pas et même dans ces conditions c’est très difficile de retrouver un mari. On te fait des promesses mais on se fait surtout une mauvaise idée de toi et de ta famille ».
Parmi les autres enfants de Djenaba, la fille aînée a quitté la maison pour se marier avec un commerçant qu’elle a suivi à Abidjan. Ses deux fils aînés sont mariés en France mais gardent un œil sur le Mali pour fonder leur propre entreprise. D’autres exutoires existent donc pour assurer la formation des plus jeunes, tandis que la maison familiale de Badalabougou maintient des avantages incontestables de centralité pour ceux qui viennent en visite à Bamako ou y habitent. C’est le cas du troisième fils qui n’occupe que la plus petite des chambres, avec femme et enfants. Le besoin de « sortir » devient donc explicite pour ce jeune chef de ménage qui surveille toute occasion d’acquérir une parcelle à son compte, notamment par le biais d’une coopérative d’habitat liée à la banque dans laquelle il travaille.
[Entretiens du 01/06/2013].
87Les femmes chefs de ménage de Badalabougou sont donc presque toutes propriétaires par intérim, et sont veuves pour vingt d’entre elles. Dix-sept ont bénéficié d’une scolarité secondaire, voire d’études post-secondaires, soit une proportion exceptionnelle dans cette génération. Elles ont été, ou sont encore, plus souvent salariées qu’actives du secteur informel : comme infirmières, sages-femmes, enseignantes ou agents des douanes, elles se distinguent de nouveau des femmes des autres quartiers de la rive droite, massivement occupées à de petits commerces.
88À ce profil de propriété s’ajoute le cas des femmes accédant directement aux logements sociaux de Yirimadio-759LS. L’offre publique de maisons clés en main sélectionne en effet des ménages sur critères de revenus doublés de critères « sociaux ». Elle rend donc des femmes éligibles à l’acquisition et rend cette zone d’étude atypique du point de vue de la présence de femmes chefs de ménage parmi les propriétaires en titre. Contrairement à leurs « sœurs des maisons Séma », celles des logements sociaux ne résident à Yirimadio que depuis moins de quatre ans à l’enquête, et depuis vingt et un ans à Bamako. C’est dire la double « galère », résidentielle et matrimoniale, qu’elles ont connue avant de se stabiliser tout au sud du district : sur les 22 femmes rencontrées, sept sont veuves, cinq sont divorcées, trois en sont à leur second mariage ; cinq autres sont mariées mais ont pris les rênes de leur ménage en l’absence du conjoint qui habite ailleurs ; deux célibataires habitent enfin avec de jeunes collatéraux tout en représentant « le propriétaire déclaré sur le papier », qui n’est pas présent. Une telle diversité d’âges et de statuts matrimoniaux contraste avec la situation des hommes : accédant également à la propriété depuis la location, ils sont principalement des monogames, et sont à 44 ans en moyenne plus jeunes de sept ans. Cette génération de femmes chefs de ménage compte donc plus d’actives encore en emploi qu’à Badalabougou-Séma : trois sont déclarées indépendantes comme vendeuses et commerçante ; la plupart sont comme les hommes salariées du secteur public, dont huit dans les services financiers de l’État qui ont pesé sur la commission d’attribution des logements sociaux pour que des maisons soient attribuées à leurs employés.
Revenir en famille
89L’échantillon de maisons enquêtées deux fois en 1993 et 2011 atténue les différences entre ménages selon le sexe de leur référent. Mais il confirme la part d’usufruit que les femmes ont gagnée en 2011, et ce plus encore que les hommes (encadré 6). Au contraire, la location a plus encore régressé pour elles que pour les hommes. Elle continue cependant de prévaloir, ce qui avec l’usufruit place les femmes dans des situations de dépendance résidentielle. Leur soumission au bon vouloir d’hommes s’illustre avec les bailleurs qui n’acceptent pas toujours des femmes dans les cours locatives, en particulier en 1993, ou les en chassent plus volontiers dans la période récente, par augmentation des loyers. Cette vulnérabilité des femmes se révèle dans leur propre famille qui, après avoir disposé des chambres qu’elles laissaient à leur mariage, ne voit pas toujours d’un bon œil ces sœurs en reprendre l’usage après leur séparation. L’enquête donne ainsi de nombreux exemples de « retour en famille » de filles de propriétaire qui ne sont acceptées que « provisoirement avant de sortir encore » par les frères ou la mère les pressant de se remarier au plus vite.
Encadré 6. Retours en famille à une génération d’intervalle
Bamako, aller-retour
En 1993, Sanata est encore célibataire malgré ses 26 ans. Sa maison est déjà chargée du fait de la cohabitation familiale de deux héritiers du même patrimoine, dont le ménage de sa mère et de sa coépouse, veuves. C’est le père de leur défunt mari qui a acquis la parcelle dans les années 1940, et a donc fait souche à Bamako après avoir quitté le sud du Mali. Avec 11 autres ménages locataires à leurs côtés, la concession abrite 61 personnes en tout ; elle en comptera 59 en 2011, réparties entre désormais 15 ménages : cinq usufruitiers de la même lignée, parmi lesquels trois femmes chefs de ménage, deux collatéraux des héritiers, hébergés gratuitement, et huit locataires. Parmi ceux-ci, un ménage était d’ailleurs déjà présent en 1993, constitué de vieilles femmes désignées comme des « cas sociaux », il ne verse plus qu’un loyer symbolique.
Sanata n’a guère été scolarisée au-delà de quelques années en cycle primaire. On la retrouve en 2011 à la tête de son propre ménage et d’un petit commerce, de retour depuis 2004 dans la maison avec ses trois enfants de 9 à 12 ans, tous nés à Séguéla en Côte d’Ivoire. L’entretien enrichit la compréhension d’une place retrouvée en famille sans trop de difficulté, du fait de son veuvage. C’est au fil de ses voyages commerciaux en Côte d’Ivoire que Sanata a rencontré son mari, un commerçant guinéen : « Je vendais déjà mes produits à Hamdallaye ; il m’a aidée à faire le commerce des tissus et des denrées alimentaires. Je passais la frontière plus facilement avec les deux camions qu’il avait. En Côte d’Ivoire je faisais des boucles entre Abidjan, Séguéla et d’autres villes, et puis je venais vendre à Bamako. » Avec ces rotations marchandes et un fonctionnement en plurirésidence, la maison familiale est donc restée un point de chute. « À Séguéla j’étais locataire, c’était mon mari qui payait pour moi parce qu’on était en mauvais termes avec la coépouse. Elle était dans la belle-famille et elle s’entendait bien là-bas. Si bien que quand il est décédé, j’ai même pas cherché à avoir ma part dans leur héritage. Je suis revenue m’installer chez moi. Et puis le commerce ne marchait plus aussi bien. » Sanata se concentre depuis sur « la filière amidon des activités textiles » : elle ravitaille les teinturières de plusieurs quartiers de Bamako.
À Hamdallaye, elle retrouve sa place dans « la chambre des filles » qu’elle occupe avec non seulement ses enfants mais aussi ses deux sœurs qui sont aussi de retour en famille après leur divorce. Deux autres frères ont encore leur ménage dans la maison : « Celui qui est notre chef de leur famille maintenant a pris la maman sous sa responsabilité. » Mais les trois sœurs sont aussi « dans la cuisine des belles-sœurs », une manière de signifier leur dépendance en matière d’alimentation et d’électricité qui relèvent des charges globales de la maisonnée. Lors de l’entretien, les deux sœurs divorcées étaient déjà en partance chez un nouveau mari. Quant à Sanata, c’est avec sa belle-famille en Côte d’Ivoire qu’elle aura fait l’expérience de relations familiales difficiles, non à son retour au Mali.
« Aujourd’hui mariage, demain divorce »
Le cas d’Aïssata illustre au contraire le durcissement des rapports intergénérationnels dans la dernière décennie, en particulier dans les maisons où l’espace se fait rare au fur et à mesure que les familles se renouvellent. Des tensions sont perceptibles avec sa mère : autant celle-ci se montre généreuse à l’égard de filles assimilées à la famille, autant elle manifeste sa réprobation au retour de sa propre fille.
Leur maison est en effet quatre fois plus petite que la précédente. Elle compte en 2011 dix ménages en usufruit ou en hébergement gratuit (38 personnes en tout), contre seulement deux en 1993 (21 personnes) de la même lignée des propriétaires. La parcelle d’origine a déjà été partagée deux fois entre les héritiers du primo-propriétaire. Originaire de Sikasso, le père de Sanata s’est ainsi porté acquéreur du reliquat où sa propre famille a fait souche. En 1993, il a déjà 90 ans et est installé chez lui depuis trente-quatre ans ; le second passage d’enquête, un an plus tard, le trouvera tout juste décédé. Les chambres sont ensuite partagées sans plus de formalité entre ses enfants mariés, tandis que la veuve prend encore en charge quelques membres de sa propre lignée.
En 1993, Aïssata a une quinzaine d’années et compte parmi les plus jeunes enfants du vieux : « Ma mère avait quarante ans de moins que lui. » Comme beaucoup de jeunes filles de sa génération nées en ville, et comme sa voisine Sanata, elle non plus n’a guère duré sur les bancs de l’école et semble motivée avant tout par de petites activités commerciales dans le quartier. Alors qu’elle est enceinte, ses parents la pressent d’épouser au plus vite le père de l’enfant : départ donc pour le quartier de Banconi et le logement locatif que ce mécanicien occupe avec sa propre mère. En 2011, c’est cette enfant de 11 ans qui justifie qu’Aïssata apparaisse chef de son ménage lorsqu’elle est revenue en famille, en retrouvant par la même occasion le petit commerce de produits cosmétiques qui la socialise dans son quartier. Elle est de nouveau enceinte : « La sœur de mon mari a rendu la situation insupportable. Avec sa mère je m’entendais mais la grande sœur là, impossible ! J’ai pris mon ballot et j’ai quitté parce que lui, il n’était même pas capable de lui rabattre le caquet. »
De retour à Hamdallaye alors qu’elle a quitté le domicile conjugal sans réellement divorcer, et dans l’attente du deuxième enfant, Aïssata retrouve d’autres tensions familiales : elle y occupe aussi « la chambre des filles » qu’elle revendique comme son dû d’héritière. Mais sa mère vit entourée d’autres filles dont elle a assuré l’éducation et parfois le mariage, et qui sont devenues mères à leur tour dans la maison. L’une est une sœur aînée d’Aïssata, divorcée avec quatre enfants et « mieux disposée à se remarier vite » ; l’autre est une nièce de la mère, « hébergée de longue date » : les deux enfants qu’elle a eus sans être mariée semblent poser moins de problèmes ; une autre fille adoptive, célibataire de 30 ans, apparaît sous un patronyme différent, hébergée elle aussi avec son enfant « sans être vue comme le vilain petit canard ». Les mauvaises relations d’Aïssata dans sa maison de naissance se ressentent moins à l’égard de ces filles de sa propre génération qu’avec sa mère et les épouses de ses trois frères.
[Entretiens du 22/07/2012].
90Avec ses vastes cours, la zone d’étude de Hamdallaye surreprésente ce cas de femmes ayants droit de maisons familiales, qu’elles ont quittées avec leur mariage puis rejointes après divers déboires personnels.
« Galérer en location »
91Daoudabougou représente enfin un dernier cas de concentration de femmes chefs de ménage qui tient à sa rapide densification locative. Ce profil est celui de femmes relativement stigmatisées par ce type de tenure du logement, mais attirées par le moindre coût des loyers dans des maisons en surcharge résidentielle.
92Si le sursis résidentiel se confirme pour quelque temps encore pour ces occupantes vulnérables, le suivi satellitaire de la zone d’étude montre que des chantiers peuvent se conclure tout aussi brutalement, après des années d’attente, que se décide le complet réaménagement de maisons (figure 14) : leurs propriétaires sont généralement expatriés à l’étranger et ont eux-mêmes des trajectoires fluctuantes, ou suivent avec incertitude la situation de leur pays depuis le début des années 2010.
Figure 14. Réaménagements immobiliers à Daoudabougou.

Source : Google Earth, élévation 333 m, 21 mars 2011 et 12 mars 2016.
93Même minoritaires parmi les chefs de ménage, les femmes rendent compte finalement d’un changement social plus général dans la capitale du Mali. À travers la transmission aux héritiers et héritières de maisons constituées en ville par de précédentes générations de propriétaires, ces ménages de femmes reflètent la transformation des quartiers autant que des familles bamakoises. L’attention portée aux veuves restées dans le logement de leur mari, ou rattachées finalement à celui d’un enfant, répond encore à de solides normes sociales. Mais de nombreuses divorcées subissent la dégradation des solidarités intergénérationnelles et des relations d’entraide attendues dans un patrimoine commun, quand bien même « la part des filles est la moitié de celle des garçons dans les successions en droit musulman ». Mais les ménages les plus précaires sont ceux de femmes isolées dans la location (encadré 7). Pour celles qui continuent de se déclarer mariées, la location est mieux admise si elle est décidée et financée à distance par le mari qui, n’ayant pas ou plus le bénéfice d’une maison familiale pour son épouse à Bamako, s’expatrie en la laissant dans un logement indépendant. Pour la femme, la distance ainsi établie peut alors signifier « attend que je te fasse venir quand j’aurai gagné quelque chose », autant qu’une forme d’abandon quand le versement du loyer s’arrête.
Encadré 7. Doubles peines matrimoniales et locatives
Les deux femmes qui illustrent cette vulnérabilité résidentielle habitent dans la même maison locative qui avec huit ménages en 2011 en a encore gagné trois depuis 1993. Le propriétaire réside à l’étranger mais délègue à son « huissier » la gestion des locataires et de leur rapide turnover. L’année suivante, il a déjà signifié à tous leur congé du fait des travaux qu’il compte réaliser pour préparer le retour à Bamako de sa propre famille. Mais pour Mantcha et Habi, il ne s’agit que d’un prétexte : plutôt que d’occuper la maison, le propriétaire veut en augmenter fortement les loyers. « Il n’ose pas le dire mais il veut mettre des toilettes intérieures dans chaque logement et ensuite faire venir d’autres locataires plus fortunés que nous. » Les deux femmes se montrent solidaires à la nouvelle : comme victimes de la cherté des loyers en ville et d’une éviction qui semble proche ; et du fait des liens d’amitié qu’elles ont noués entre elles en dix années de cohabitation « sans maris » à Daoudabougou.
À 40 ans, Mantcha est divorcée. Cette ressortissante du cercle de Nioro a d’abord rejoint une sœur de son père après le décès de ce dernier, à Abidjan où elle se dit avoir été maltraitée pendant huit ans. Elle et sa sœur se retrouvent ensuite recueillies par leur mère, camerounaise, dans son propre pays. Son mariage là-bas, à 17 ans avec un ressortissant du Mali, n’est pas vraiment consenti et ne dure que deux ans. Le retour se décide donc à Bamako plutôt que dans le cercle de Nioro : son père y avait une autre épouse sarakholé, ce qui avait valu à Mantcha et sa sœur d’être mal acceptées dans leur famille paternelle durant leur enfance : « Mon père avait marié une étrangère quand il était à l’extérieur ; nous ses filles on nous traitait de métisses noires. » À 25 ans, Mantcha prend donc les choses en main et s’installe en location d’abord dans le quartier de Magnambougou. Le déménagement à Daoudabougou a lieu deux ans plus tard « pour trouver moins cher ». Sa sœur l’y rejoint en laissant son propre mari en Côte d’Ivoire.
Le ménage compte neuf personnes en 2011 : outre la jeune sœur et une employée domestique, les quatre enfants de Mantcha, âgés de 15 à 23 ans, sont élèves et étudiants. Leurs différents patronymes suggèrent des promesses de mariage non tenues et la prostitution déguisée à laquelle des femmes isolées sont conduites à Bamako. Un petit-garçon est également né hors mariage de sa fille aînée. Enfin, une fille adoptive confiée en bas âge à Mantcha les rejoint dans le « deux-pièces-terrasse » qu’ils occupent à Daoudabougou. Les petites activités commerciales du chef de ménage assurent le paiement du loyer de 30 000 francs CFA. « J’ai récupéré le congélateur de ma cousine à Magnambougou ; j’ai commencé à faire des boissons sucrées avec, pour vendre dans les écoles. Ça m’a permis d’acheter un deuxième congélateur et maintenant je prends la bonne pour écouler mes boissons. Mais s’il faut déménager encore, ça ne sera pas du tout possible de trouver quelque chose à ce prix-là. »
[Entretien du 14/07/2012].
L’itinéraire de Habi, sa voisine de cour, partage bien des points avec le précédent. Native du cercle de Bandiagara, Habi a rejoint la maison trois ans après Mantcha. Elle venait elle aussi d’une précédente location à Magnambougou, précisément avec la cousine de Mantcha qu’elle avait connue au Nigeria, et qui les avait mises en contact lors du déménagement à Daoudabougou. Elle y survit de même par un petit commerce, la vente de tissus qu’elle a apprise dans sa jeunesse et qui se double d’une activité de griotte dans les mariages, liée à son origine sociale. Comme Mantcha, elle est passée par l’émigration internationale, d’un tuteur à l’autre et de difficulté en difficulté : chez son grand-père à Abidjan, pendant quatre ans, puis pendant neuf ans chez son oncle à Lomé où se situe son mariage, à Lagos et dans l’État de Jos au Nigeria, où elle apprend à « se débrouiller toute seule » jusqu’au retour au Mali, six ans après. Comme Mantcha, Habi s’est retrouvée mariée jeune à « un homme qui n’était pas du tout à la hauteur, ni lui ni ses frères » ; l’itinéraire migratoire, résidentiel et économique du ménage perd donc tout repère masculin. « Je faisais le tressage à Lagos, j’étais bien connue là-bas. Je faisais du commerce partout dans la région. Au Ghana je dormais dans la cour des autres Maliens à Madina (banlieue d’Accra) ; là-bas tu ne payes pas l’eau que tu prends au puits, c’est notre mécène qui nous donne les céréales pour manger, c’est seulement si tu veux de la viande que tu payes. »
Comme Mantcha enfin, Habi se présente chargée de famille en 2011 : outre une bonne et son bébé, elle loge un fils adoptif de 6 ans, son propre benjamin du même âge, né d’un autre homme que le père de son fils aîné, 26 ans, avec lequel la cohabitation devient de plus en plus difficile. « Son père n’a rien assuré de son entretien après la séparation. Depuis qu’il a fini ses études, il n’a pas trouvé de travail. J’ai dû lui trouver une location à côté dans la maison derrière ; il partage la chambre avec ses amis qui sont dans la même situation que lui, parce qu’ici c’est trop petit pour dormir avec un garçon de cet âge. Mon deuxième gosse non plus il ne fréquente pas son père, il nous a laissé tomber lui aussi. Le dernier garçon, c’est le fils de mon grand frère, ils sont encore plus démunis qu’ici au village. » Alors qu’elle a réussi à se stabiliser depuis son retour au Mali, Habi ne cache pas son inquiétude face à la mise en demeure de quitter la maison. « Je me suis démenée pour financer le lycée de mon fils, et l’université après. Il faisait informatique ; on a cherché du boulot avec des Américains, une ONG, parce que mon fils il parle bien l’anglais depuis qu’on était au Nigeria, mais ils avaient fini avec leur embauche. Depuis que mon fils dort avec ses amis là-bas, ils ne parlent que d’aller à l’aventure [migration internationale]. Moi je veux l’en dissuader à cause de ce qu’on entend sur les gens qui meurent dans le désert et avec les pirogues… Je subviens comme je peux à ses besoins, c’est pour le convaincre de rester à côté de sa mère. Mais le propriétaire là, il ne veut rien entendre. On a cherché un compromis avec son agence pour lui demander juste l’augmentation du loyer. On attend. Sinon il faudra recommencer à chercher pour trouver un loyer abordable plus loin. »
[Entretien du 15/07/2012].
Penser la dynamique des cohabitations résidentielles
94Des années 1990 aux années 2010, la ville de Bamako ne s’est donc pas seulement élargie et densifiée. Dans l’architecture dérivée du modèle de la villa, comme dans l’habitat de cour, la nécessité à cohabiter reste au cœur d’un vivre ensemble qui s’apprend à la maison. La marchandisation des rapports sociaux l’a certes transformée depuis les années 1970, quand une grande partie des maisons déjà constituées se sont ouvertes à la location, ce qui a tôt équilibré le rapport entre propriétaires et locataires dans cette histoire urbaine. Le parcellaire de Bamako ne cesse ensuite de se renouveler : d’abord au sein du district puis au-delà depuis les années 2000. Mais l’espace gagné par ces propriétés neuves ne fait pas disparaître la problématique de la mixité résidentielle : ni comme enjeu d’association des deux tenures concurrentes dans les îlots ni par la solution au logement qu’apporte, au moins temporairement, l’usufruit partagé des maisons familiales pour les natifs de Bamako. L’étalement urbain ne fait donc que déplacer ces formes variées d’occupation du sol, et augmenter la charge habitante des quartiers au fur et à mesure qu’ils vieillissent : ici par accumulation de locataires dans une stratégie de rapport spéculatif ; là en refoulant l’hébergement gratuit au profit d’ayants droit qui ne renoncent pas à leur part des chambres dans les maisons paternelles tant qu’une propriété indépendante ne leur est pas garantie ailleurs.
95Du réarrangement des ménages à celui des maisons, cette dynamique résidentielle prend des formes différenciées à Bamako. Elle donne à voir la migration des chefs de ménage et la mobilité de leurs dépendants : tantôt pour expliquer comment se constituent les fronts pionniers du peuplement urbain, tantôt pour rendre compte de l’évolution de quartiers déjà constitués. Chaque génération urbaine illustre, à sa manière, le changement social et le renouvellement démographique des familles dans leur propre histoire patrimoniale.
96L’accès au terrain et au logement montre enfin des discriminations économiques qui montent en puissance dans la capitale malienne, et qui transforment le profil globalement populaire relevé dans les années 1990. La seconde vague d’enquêtes PLMU n’en conclut pas pour autant à une véritable ségrégation sociospatiale, dont les mécanismes sont contenus : les lignes de clivage qui avaient fait varier les valeurs de densité résidentielle en 1993 se sont brouillées dans la génération suivante ; le peuplement de la rive droite a rattrapé celui de la rive gauche en 2011 ; les périphéries non loties d’hier ont été « redressées » et dépassées par d’autres productions urbaines dans une nouvelle étape de gestion foncière ; la plupart des quartiers ont surtout fait évoluer leur profil de cohabitation. Et à l’échelle de l’agglomération tout entière, les locataires n’ont plus le monopole des surcharges résidentielles ; les espaces lotis, même après densification, ne sortent pas d’un état d’équipement médiocre.
Notes de bas de page
1 DNSI-BCR, juillet 1991 – Principaux résultats d’analyse du RGPH de 1987. Bamako, ministère du Plan.
2 La formalisation de ces successions se fait d’ailleurs souvent attendre dans le règlement coutumier, musulman ou notarial des héritages, le temps qu’aient notamment disparu à leur tour les veuves d’un propriétaire polygame. Pratique récente à Bamako, le recours au notariat rend compte de plus de conflits croissants sur la gestion de ces patrimoines familiaux (Sow, 2000 ; 2016).
3 Leur proportion tombe à 37 % des ménages en moyenne du milieu urbain. Agence nationale de la statistique et de la démographie, septembre 2014 – Recensement général de la population et de l’habitat, de l’agriculture et de l’élevage. Rapport définitif. Dakar, ministère de l’Économie, des Finances et du Plan de la République du Sénégal, 417 p. Le recensement sénégalais se réfère aux mêmes catégories de « propriétaire », « copropriétaire », « locataire », « colocataire » et « hébergement gratuit par un tiers (par l’employeur, les parents et autres) » pour définir la tenure du logement.
4 Ghana Statistical Service, May 2013 – 2010 Population and Housing Census. National Analytical Report. Accra, 409 p.
5 Comité national du recensement, Bureau central du recensement, octobre 2009 – Rapport d’analyse des données du RGPH-2006. Thème 09 : La croissance urbaine au Burkina Faso. Ouagadougou, ministère de l’Économie et des Finances, 117 p.
6 Les chefs de ménages locataires ont alors 38 ans, contre 45 pour les hébergés et 48 pour les propriétaires.
7 Le film Oka (Notre maison) du réalisateur Souleymane Cissé (2015) illustre la violence de ces conflits qui se sont multipliés dans les vieux quartiers et prennent des formes litigieuses dans les tribunaux de la capitale.
Notes de fin
i Dans cet encart biographique comme dans les suivants, les personnes enquêtées sont désignées, par commodité d’illustration, par un prénom qui n’est pas celui donné à l’enquête.
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Ce livre est cité par
- Bertrand, Monique. (2021) Bamako. DOI: 10.4000/books.irdeditions.42736
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