Allocution d’ouverture
p. 8-10
Note de l’éditeur
Allocation prononcée à Paris, le 15 octobre 2003.
Texte intégral
1« Le monde peut-il nourrir le monde ? » est une question substantielle et immanente, et pour tenter d’y répondre, il faut privilégier les échanges et les débats. L’objectif est de mieux nous comprendre, de mieux cerner les enjeux et mieux définir ensemble des voies pour avancer.
2Notre position doit associer modestie et engagement.
3La question est ambitieuse, mais ne doit pas faire oublier la modestie nécessaire selon moi face à l’immensité de la tâche, à la diversité des acteurs impliqués et à la complexité du sujet.
4Modestie face à la situation de la malnutrition dans le monde. Sans rappeler les chiffres, je ne crains pas d’affirmer que malgré des progrès considérables, les populations connaissant l’angoisse de la faim sont encore beaucoup trop nombreuses, aussi bien dans les pays du Nord que dans ceux du Sud.
5Modestie face aux enjeux à l’œuvre. Au-delà du bien-être, du mode de vie, des maladies des populations et des individus, sont impliquées aussi des questions lourdes, mondiales, à horizon large comme l’accès aux ressources intellectuelles, génétiques, technologiques, la gestion locale et globale des écosystèmes cultivés qui permettraient à tous de se développer, localement et librement.
6Modestie de la science face aux solutions qu’elle peut contribuer à élaborer. Les travaux des organismes de recherche, les innovations qu’ils orientent ne peuvent être élaborés de façon isolée, déconnectée des enjeux locaux et des conditions de faisabilité. La recherche en soi, et loin de tout, ne serait pas utile pour répondre à une telle question. En revanche, et à égalité de dignité, nous souhaitons apporter notre pierre, comme ressource ouverte et accessible à tous, à la production de connaissance, à l’appui à l’expertise et à la contribution à l’innovation.
7Modestie, enfin, quant à notre position d’Européens dans un débat mondial, que nous souhaitons multipolaire. L’Europe peut s’efforcer de comprendre, d’être vigilante sur ses objectifs, ouverte et respectueuse sur ses orientations. Mais elle ne pourra proposer des ressources, des biens collectifs accessibles, que si ces ressources sont utiles aux pays connaissant des pénuries et que ceux-ci le souhaitent. Gardons-nous des leçons faciles, des solutions miracle et d’une fausse générosité. Nous sommes devant une nécessité collective.
8Mais la modestie n’empêche pas l’engagement et l’action volontaire. Les objectifs d’un organisme de recherche finalisé dédié à l’agriculture, à l’alimentation et à l’environnement sont ambitieux. Nous en sommes, en tout cas, convaincus. Je n’en citerai que quelques-uns : s’efforcer de montrer la voie vers une gestion équitable des droits de propriété intellectuelle, gérer au mieux et de façon accessible à tous les ressources génétiques de nos territoires, ouvrir nos ressources et nos méthodes à ceux qui le souhaitent, contribuer par nos nouveaux savoirs et savoir-faire à la sélection de variétés végétales et de races animales diverses, à la fois rentables, productives et respectueuses des environnements locaux, appuyer la définition de pratiques agricoles ou alimentaires, nouvelles, aptes à atteindre à la fois et simultanément des objectifs qualitatifs et quantitatifs.
9Les nouveaux enjeux scientifiques serviront à l’élaboration de nouvelles réponses à des questions anciennes. La compréhension du génome et de son expression dans un environnement permettra de mieux expliquer les relations entre la plante et son environnement. Elle ouvrira de nouvelles perspectives à la fois sur la sélection génétique et sur l’élaboration de nouvelles pratiques adaptées à des territoires de plus en plus spécifiques. La gestion, approfondie et mieux outillée, des écosystèmes cultivés devrait éclairer d’un jour nouveau les pratiques agronomiques dans une perspective de développement durable. Enfin, la connaissance et la compréhension accrue des facteurs de virulence des pathogènes ou de la plasticité du génome bactérien nous donneront de nouvelles capacités dans la détection précoce et la réponse à des questions sanitaires émergentes.
10Les textes rassemblés dans cet ouvrage éclaireront et compléteront de nombreux aspects de ces problématiques. Nous examinerons alternativement l’importance des systèmes localisés dans une vision durable de l’alimentation, la nécessité de cohérence dans les politiques agricoles et alimentaires, la place cruciale d’acteurs majeurs que sont les politiques, les producteurs et les scientifiques, et enfin l’objectif commun de régulation de la mondialisation et d’équilibre des pouvoirs que nous poursuivons chacun à notre niveau.
11Puissent ces textes contribuer à répondre à cette question commune, passionnante et dérangeante !
Auteur
Présidente directrice générale de l’Inra.
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Le monde peut-il nourrir tout le monde ?
Sécuriser l’alimentation de la planète
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2006
Le territoire est mort, vive les territoires !
Une (re)fabrication au nom du développement
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2005
Les Suds face au sida
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2011
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2012
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2010
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2006