Chapitre 44. Valorisation de plantes aromatiques et cosmétiques suivant le principe d’accès et de partage des avantages
Bioprospection de la région de l’Ouest au Cameroun
p. 657-669
Texte intégral
Introduction
1Les végétaux jouent un rôle important pour la survie de l’humanité par leur capacité à synthétiser un grand nombre de molécules organiques complexes quelquefois pourvues d’activités biologiques. Les échanges commerciaux entre pays ont donné lieu à une large et peu contrôlée utilisation de la biodiversité (Kpètèhoto et al., 2017). Certains acteurs s’approprient ainsi illégalement non seulement des ressources biologiques mais également les connaissances traditionnelles des peuples autochtones qui y sont associées (Greiber et al., 2014). Dans les pays pauvres, certaines entreprises exploitent ces ressources sans se soucier de leur gestion durable, ni de leur conservation, entraînant la disparition des espèces ainsi qu’une régression et une destruction alarmante des écosystèmes (Davo, 2011). Aux yeux de l’opinion internationale, la préservation de cette biodiversité et l’utilisation durable et rationnelle des ressources naturelles sont devenues des obligations sans lesquelles un développement durable ne peut être assuré (FAO, 1995 ; Gbesso et al., 2017).
2La Convention sur la diversité biologique (CBD), adoptée en 1992 au Sommet de la Terre de Rio, est un traité international légalement contraignant qui reconnaît aux États un droit souverain sur leurs ressources biologiques et réaffirme leur responsabilité en matière de conservation et d’utilisation durable de ces ressources. Les pays signataires sont tenus de mettre en place des programmes d’action visant à préserver la diversité biologique et, à fortiori, les ressources génétiques. Le 29 octobre 2010, le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation (APA) relatif à la Convention sur la diversité biologique a été adopté à Nagoya, au Japon. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’accès et le partage des avantages (APA) est un processus concret de valorisation de la biodiversité et des services fournis par les écosystèmes, mais également un bon moyen de favoriser la conservation et l’utilisation durable des ressources naturelles (Roué et al., 2017).
3Depuis 1992, nombre de pays africains ont pris conscience de l’enjeu capital que représentent la conservation des ressources génétiques et leur gestion durable.
4Le Cameroun dispose de l’une des plus grandes diversités biologiques dans le bassin du Congo, notamment avec des plantes aromatiques et médicinales, parfois introduites mais surtout endémiques, et sources d’huiles essentielles (Tacham et al., 2018). Cependant, ces ressources génétiques et leurs écosystèmes subissent une dégradation alarmante, en partie due à une exploitation permanente par les populations et les industries, et à un manque d’éducation à l’environnement des différents acteurs. Malgré cette richesse naturelle qui pourrait constituer un capital économique important, du fait de la forte demande mondiale enregistrée depuis quelques années, le pays peine encore à mettre sur pied une chaîne de valeurs de ces produits dans le cadre de l’APA. Les engagements du Cameroun envers le protocole de Nagoya sont, en effet, en cours de mise en place légale par son gouvernement : la législation n’est pas encore adoptée. Depuis 2012, le projet pilote de valorisation de la plante Echinops giganteus dans les Monts Bambouto, soutenu par la Fondation d’Entreprise Mane, aide le gouvernement camerounais à avancer à cette fin, dans une démarche pragmatique.
5Echinops giganteus n’étant pas l’unique espèce valorisable du territoire, il est important de rechercher d’autres espèces potentiellement valorisables suivant le principe de l’APA. Les enquêtes ethnobotaniques représentent une approche pertinente pour découvrir de nouveaux composés susceptibles d’être valorisés dans ce cadre (Gurib-Fakim, 2006 ; Koné, 2009), les vertus des plantes et leurs usages faisant l’objet de connaissances très anciennes et se transmettant de génération en génération.
6Dans ce contexte, l’objectif global de cette étude était de contribuer à la promotion de chaînes de valeurs de certaines espèces végétales d’intérêt pour les industries aromatiques et cosmétiques dans le cadre de la mise en place du protocole de Nagoya et du processus de l’APA au Cameroun. Plus précisément, il s’agissait de déterminer la diversité des plantes aromatiques et cosmétiques de la zone agroécologique des Hautes Terres de l’Ouest du Cameroun, de collecter les savoirs traditionnels associés à ces espèces, d’extraire et de caractériser leurs huiles essentielles par des analyses sensorielles et physicochimiques, de caractériser l’espace écoclimatique des espèces ciblées et d’évaluer leur abondance, d’évaluer les possibilités agronomiques et d’afforestation sur la reproduction ex et in situ de ces espèces, et, enfin, de sensibiliser les populations locales au processus de l’APA.
Matériels et méthodes
Zone d’étude
7Les travaux se sont déroulés dans la zone agroécologique des Hautes Terres de la région Ouest du Cameroun, s’étendant sur 300 km du nord au sud (entre les parallèles 4°30 et 7°N) et sur 250 km d’est en ouest (entre les méridiens 9°25 et 11°40 E).
Ethnobotanique et collecte des savoirs traditionnels associés
8À partir d’une enquête exploratoire effectuée en collaboration avec le réseau des tradipraticiens et d’une revue bibliographique, des sites d’étude ont été sélectionnés sur la base des critères tels que la bonne connaissance/utilisation des plantes en parfumerie ou en cosmétologie de façon traditionnelle par les populations, la disponibilité de ces plantes et l’accessibilité aux sites de collecte. Au niveau de chaque zone présélectionnée, des groupes de travail ont été organisés avec les acteurs locaux dont les tradipraticiens, les chefs de village et les vieillards, afin de collecter les savoirs généraux et de cibler des interlocuteurs pour la collecte des données ethnobotaniques (descriptives, causales et diagnostiques). Les techniques d’échantillonnage aléatoire simple et aléatoire stratifié ont été combinées. Des informations ont été collectées sur les noms vernaculaires, les parties utilisées et les usages de chaque espèce, les préférences des consommateurs pour les différentes espèces, les caractéristiques conférant ces préférences, les activités de la population locale en rapport avec la gestion de ces plantes, l’importance des plantes citées dans l’alimentation, la santé et la vie socioculturelle, les espèces vendues, la valeur économique, les périodes d’approvisionnement ainsi que les préférences d’achat ou de vente (fig. 1). Des séances de travail avec les tradipraticiens ont ensuite permis d’avoir d’autres renseignements sur les différents usages des plantes citées.
9Des spécimens des différentes plantes citées par les personnes ressources ont été récoltés et identifiés à l’herbier national du Cameroun.
Classement des espèces citées
10Une matrice de classement des espèces citées a été conçue avec des critères biologiques (parties prélevées, distribution, accessibilité, abondance, taux d’endémicité), agronomiques (cycles de reproduction, modes de reproduction, potentiel de régénération naturelle) et économiques (prix sur le marché, rendement par hectare). Cette matrice a permis d’établir une liste de 34 espèces potentiellement exploitables dans le cadre du projet.
Extraction et caractérisation des huiles essentielles
11Pour les 34 espèces, l’extraction d’huiles essentielles a été réalisée par hydrodistillation simple ou assistée par ultrasons. La composition chimique des huiles a été identifiée par chromatographie en phase gazeuse à ionisation de flamme couplée à de la spectrométrie de masse (CPG/DIF/SM). Les indices de rétention polaire et apolaire ainsi que les spectres de masse ont été comparés aux bases de données du laboratoire de la Fondation d’entreprise Mane, de la bibliothèque commerciale de la National Institute of Standarts and Technology (NIST) ou répertoriés dans la littérature.
12L’évaluation olfactive des huiles essentielles obtenues a été faite par les parfumeurs de la Fondation d’Entreprise Mane. Sur la base de cette évaluation, cinq espèces ont été retenues : Aframomun chlamydanthum, Eryngium foetidum, Cyperus rotundus, Emilia paetermissa et Brillantaisia spp.
Caractérisation des habitats et modélisation des niches écologiques
13Les cinq espèces choisies ont été caractérisées dans leurs habitats grâce aux critères de vulnérabilité de l’UICN notamment le potentiel de l’espèce sur pied, les formes de vie, et les parties prélevées. D’autres paramètres de vulnérabilité, tels que la méthode de prélèvement, l’organe végétatif prélevé par les populations riveraines, la popularité des espèces et la densité, ont été considérés (Betti, 2001 ; 2002 ; Kamga, 2014 ; Hill et al., 2019). Une évaluation de la régénération naturelle et de la phénologie des espèces dans les différents habitats a été faite.
14L’espace écoclimatique de chaque espèce a été caractérisé. Les données des récoltes géoréférencées couplées aux données disponibles dans le Global Biodiversity Information Facility (GBIF) ont permis de cartographier la distribution de ces espèces. Leurs niches écologiques ont ensuite été modélisées en combinant avec les données WordClim (logiciels DivaGIS et Maxent).
Évaluation du potentiel de domestication des espèces ciblées
15Les différentes contraintes liées à la domestication par les populations locales (régénération, conservation et sélection) des cinq espèces priorisées par les parfumeurs ont été relevées. Les potentiels de régénération naturelle de ces espèces ont été évalués par l’identification, la description et la caractérisation physiologique de leurs diaspores.
16La détermination des conditions optimales de germination a été réalisée en évaluant l’influence de différents traitements, incluant l’effet du substrat, de la teneur en eau et de différentes conditions de conservation. Le temps de latence, le pourcentage de germination, le temps moyen de germination et la durée totale de germination ont été relevés pour chaque traitement. Des enquêtes dans les villages proches des habitats naturels de ces espèces ont permis d’évaluer les initiatives locales de domestication, les types de propagule utilisés, leur disponibilité, le comportement des espèces dans les systèmes de production gérés par les paysans, les contraintes et les atouts des populations pour la domestication de l’espèce. L’état des peuplements en plantation a été évalué pour chaque espèce, afin d’apprécier la performance des vergers. En fonction des contraintes de domestication identifiées, l’aptitude des espèces à la multiplication générative et végétative a été évaluée.
17La multiplication générative a été estimée, d’une part, de manière participative avec les communautés par des tests de germination in situ et, d’autre part, grâce à des tests de germination en condition semi-contrôlées suivant les recommandations de l’International Seed Testing Association (Milivojević et al., 2018). Ces tests ont permis d’identifier les conditions optimales pour la régénération des espèces en milieu paysan et en serre.
Résultats
Données ethnobotaniques et socio-économiques
18L’enquête a été effectuée auprès de 251 personnes dont 206 hommes et 45 femmes, dont l’âge varie entre 25 et 81 ans. Cent-trois espèces réparties dans 81 genres et 46 familles ont été recensées, les plus représentées étant des Lamiaceae (dix-huit espèces), des Asteraceae et Zingiberaceae (sept espèces chacune). Au total, 66 % des espèces sont des herbacées, les feuilles étant les organes les plus utilisés. Les plantes aromatiques recensées sont utilisées à des fins alimentaires, médicinales ou cosmétiques. Les analyses indiquent dix espèces fréquemment utilisées par les populations des Hautes Terres de l’Ouest du Cameroun. Au total, 34 espèces ont été retenues et ont fait l’objet d’un classement par ordre de priorité suivant des critères biologiques, agronomiques, et morphologiques (tabl. 1).
Rendement en huiles essentielles des espèces sélectionnées
19Le tableau 2 présente les parties prélevées des différentes plantes, les rendements d’extraction des huiles essentielles ainsi que leurs composés majoritaires.
20Les huiles essentielles provenant de cinq espèces (PA5, PA12, PA20, et PA25 et PA37) ont intéressé les parfumeurs.
Caractéristiques des habitats et niches écologiques
21Aframomun chlamydanthum (PA5) est une plante herbacée appartenant à la famille des Zingiberaceae. Les investigations dans les Hautes Terres de l’Ouest Cameroun ont permis de la localiser dans deux départements, le Noun et le Haut-Nkam. Selon les enquêtes et les observations, cette espèce est rare et s’y trouve à l’état sauvage. Elle préfère les milieux ombragés avec une faible luminosité, des sols frais et riches en humus. On la retrouve sous des couverts végétaux faiblement éclairés et près des cours d’eau.
Tableau 1 – Espèces retenues suivant des critères agronomiques, écologiques et biologiques pour la recherche d’huiles essentielles
N° | Espèces | Parties prélevées | Abondance | Densité (pieds/ha) | Accessibilité |
PA1 | Helichrysum camerounensis | Feuilles | Moyenne | 112 | Facile |
PA2 | Plectranthus spp. | Feuilles | Forte | 812 | Difficile |
PA3 | Satureja robusta | Feuilles | Forte | 1 050 | Facile |
PA4 | Helichrysum foetidum | Feuilles | Forte | 1 000 | Très facile |
PA5 | Aframomun chlamydanthum | Plante entière | Forte | 1 800 | Très facile |
PA6 | Aframomum danielli | Plante entière | Forte | 1 | Très facile |
PA7 | Pentadiplandra brazeana | Racines, fruits | Forte | 51 | Très facile |
PA8 | Non identifiée | Tige, feuilles | Moyenne | 20 000 | Facile |
PA9 | Non identifiée | Faible | Faible | Facile | |
PA10 | Non identifiée | Feuilles | Forte | 10 | Moyenne |
PA11 | Caucalis melanantha | Plante entière | Forte | 1 600 | Très facile |
PA12 | Eryngium foetidum | Plante entière | Forte | / | Moyenne |
PA13 | Lippia rugosa | Feuilles | Moyenne | Facile | |
PA17 | Premna zenkeri | Écorce, feuilles | Faible | 5 | Très facile |
PA18 | Olax subscorpioidea | Écorce | Forte | 521 | Très facile |
PA20 | Cyperus rotundus | Racines | Faible | 1 | Difficile (domestiquée) |
PA21 | Aframomum melegueta | Plante entière | Faible | 1 | Difficile |
PA22 | Chenopodium ambrosioides | Partie aérienne | Forte | 4 | Facile |
PA23 | Non identifiée | Feuilles | Faible | 1 | Facile |
PA24 | Ocimum gratissimum | Feuilles | Faible | / | Moyenne |
PA25 | Emilia paetermissa | Plante entière | Faible | 3 | Facile |
PA26 | Eucalyptus sp. | Feuilles | Moyenne | / | Facile |
PA27 | Vernonia tufnelliae | Tiges, feuilles | Moyenne | 10 000 | Facile |
PA28 | Non identifiée | Feuilles | Moyenne | 10 000 | Facile |
PA29 | Helichrysum antunesi var. latifolium | Feuilles | Moyenne | 3 | Facile |
PA30 | Vernonia nestor | Feuilles | Moyenne | 30 000 | Facile |
PA31 | Piper umbellata | Graines, feuilles | Moyenne | 60 000 | Facile |
PA32 | Non identifiée | Feuilles | Faible | 10 000 | Moyenne |
PA33 | Non identifiée | Tiges, feuilles | / | ||
PA34 | Hypodafnus sp. | Écorce, feuilles | Faible | 10 000 | Difficile |
PA35 | Non identifiée | Écorce, feuilles | Faible | 10 000 | Difficile |
PA36 | Aframomum spp. | Plante entière | Forte | 10 | Moyenne |
PA37 | Brillantaisia spp. | Partie aérienne | Forte | 15 | Moyenne |
PA38 | Largera spp. | Partie aérienne | Forte | 7 | Facile |
Tableau 2 – Rendement d’extraction et composés majoritaires des huiles essentielles des plantes collectées.
Plantes | Parties utilisées | Rendement d’extraction | Composés majoritaires |
PA2 | Feuilles | 0,35 % | Oxyde pipéritenone 23,65 %, oxyde pipéritone 2/2 (16,15 %), oxyde pipéritone 1/2 (7,24 %) |
PA3 | Feuilles | 0,30 % | Oxyde pipéritone (28,3 %), pipéritone (15,14 %), germacrène D (9,42 %) |
Partie aérienne | 0,41 % | Oxyde pipéritone (45,6 %), pipéritone (11,55 %), germacrène D (3,94 %) | |
PA5 | Feuilles | 0,47 % | β-pinène (49,72 %), caryophyllene (10,62 %), -αpinène (6,21 %) |
PA6 | Feuilles | 0,81 % | Sabinène (42,87 %), β-pinène, (11,22 %), caryophyllene (7,84 %), terpinène-4-ol (5,68 %) |
PA10 | Feuilles | 0,10 % | α-cadinol (6,86 %), (E)-nérolidol (5,81 %) limonène (5,28 %), -αpinène (4,93 %), β-pinène (3,17 %) |
PA11 | Partie aérienne | 0,50 % | α-pinène (24,4 %), sabinène (23,28 %), limonène (14,1 %) |
PA12 | Plante entière | 0,06 % | (2E)-dodécenal (42,88 %), l’un des isomères du mésitaldehyde (14,68 %), aldéhyde laurique (6,20 %) et (2E)-tétradécénal (4,90 %) |
PA13 | Feuilles | 0,41 % | Germacrène D (25,24 %), élémol (9,73 %), caryophyllene (9 %), (6E) β-farnésène (7,80 %), Limonène (6,02 %), (E)-nérolidol (5,82 %) |
PA18 | Écorce | 0,12 % | P-cymène (13,55 %), germacrène D (11,66 %), limonène (4,85 %), α-phellandrène (4,36 %), caryophyllene (3,14 %) |
PA20 | Racines | 0,37 % | Mustakone (15,71 %), trans- pinocarvéol (5,59 %), cyperotundone (4,13 %), α-pinène (3,97 %), β-pinène (3,92 %) |
PA21 | Feuilles | 0,36 % | β-pinène (37,15 %), caryophyllene (17,64 %), oxyde caryophyllene (8,72 %) et α-pinène (8,26 %) |
PA22 | Partie aérienne | 0,95 % | α-terpinène (37,16 %), para-cymène (13,55 %) et isoascaridole (4,98 %) |
PA23 | Feuilles | 0,15 % | Sabinène (32,66 %), linalol (3,23 %), oxyde caryophyllene (2,46 %), p-cymène (2,41 %) |
PA24 | Feuilles | 0,42 % | Élémicine (33,42 %), eugénol (30,13 %), (Z)-ocimène (10,33 %), β-bisabolène (5,58 %) |
PA25 | Partie aérienne | 0,04 % | α-pinène (14,46 %), limonène (12,57 %), myrcène (11,11 %), sabinène (6,70 %), oxyde α-humulène (5,65 %), caryophyllene (5,49 %), β-élémène (4,25 %) |
PA26 | Feuilles | 0,93 % | α-pinène (45,48 %), eucalyptol (8,47 %), beta phellandrène (7,02 %), α-terpinéol (5,58 %), trans-pinocarvéol (4,64 %) |
PA29 | Partie aérienne | 0,06 % | Oxyde caryophyllene (22,89 %), α-pinène (10,81 %), isocaryophyllene-5,6-époxyde (5,32 %) |
PA33 | Feuilles | 0,12 % | (E) β-pinène (9,63 %), germacrène D (8,38 %), α-cadinol (6,33 %), γ-cadinène (4,37 %), δ-cadinène (4 %), nérolidol (3,60 %) |
PA36 | Feuilles | 0,38 % | β-pinène (27,37 %), oxyde caryophyllene (25,11 %), caryophyllene (20,27 %), α-pinène (4,05 %) |
PA37 | Feuilles | 0,55 % | β-pinène (11,99 %), fenchol (19,24 %), eucalyptol (6,48 %), α-pinène (4,94 %), curzérénone (4,20 %), oxyde caryophyllene (3,91 %) |
PA38 | Partie aérienne | 0,08 % | Sabinène (10,59 %), caryophyllene (11,57 %), limonène (6,65 %), oxyde caryophyllene (6,45 %), Thymohydroquinone dimethyl ether (3,62 %) |
22Eryngium foetidum (PA12) est une herbacé vivace de la famille des Apiaceae. Capable de s’adapter à plusieurs types d’environnement, elle préfère cependant des milieux humides mi-ombragés. Les températures et précipitations qui lui sont favorables sont respectivement comprises entre 16 et 27 °C et entre 1 000 et 4 500 mm/an. Dans les Hautes Terres de l’Ouest du Cameroun, on la rencontre en bordure des routes et des pistes, dans les champs cultivés, les jachères et aux alentours des maisons. On la rencontre également sur les pentes et les terrains plats. Dans son environnement naturel, elle est le plus souvent associée à Dissotis princeps. Elle n’est pas cultivée et peut être envahissante lorsque les conditions lui sont favorables. Les enquêtes et les observations sur le terrain rapportent que son principal prédateur est l’homme. Le modèle établi lui prédit une niche écologique très favorable dans trois zones agroécologiques du Cameroun : les Hautes Terres de l’Ouest, les forêts denses humides à pluviométrie monomodale et les forêts humides à pluviométrie bimodale.
23Cyperus rotundus (PA20) est une herbacée de la famille des Cyperaceae. Dans les Hautes Terres, il est difficile de la trouver à l’état sauvage. Elle est plantée aux alentours des maisons, dans les champs et les jardins médicinaux. Elle est le plus souvent associée à Cymbopogon citratus et à Ageratum conyzoides. Observée entre 900 et 1 500 m d’altitude, elle croît aussi bien en milieu ombragé qu’en milieu ensoleillé, et a pour seul prédateur l’homme. Ce dernier l’utilise comme plante médicinale.
24Emilia cf. paetermissa (PA25) est une plante herbacée de la famille des Asteraceae. Les différentes observations sur le terrain laissent à penser qu’elle serait une espèce de montagne, dont l’altitude varie entre 1 400 et 1 700 m. Elle aime les milieux ouverts. Elle a été observée dans les savanes herbeuses à Kotschya strigosa et à Imperata cylindrica, dans les champs cultivés et les jachères. Elle est généralement associée à Aspilia africana et à Dryopteris felix-max. Il a été noté sur les feuilles des taches de nécroses liées à une attaque fongique. Ses feuilles sont également consommées par les insectes, particulièrement par Lagria villosa.
25Enfin, Brillantaisia spp. (PA37, nom d’espèce non identifié) est une herbacée de la famille des Acanthaceae. Dans les Hautes Terres de l’Ouest du Cameroun, on la retrouve à l’état cultivé et sauvage. C’est une plante qui préfère les milieux partiellement couverts et les substrats humides. Ses feuilles sont dévorées par les chenilles, les limaces et les criquets.
Régénération des espèces sélectionnées
26Les essais de régénération ex situ des plantes PA5, PA12 et PA20 ont été faits respectivement avec les rhizomes et les graines, les graines et les tubercules (fig. 2). Les rhizomes de PA12 germent la sixième semaine après semis avec un pourcentage de réussite de 12 %, alors que les tubercules de PA20 germent dès la première semaine avec un pourcentage de germination de 95,24 %. Les amendements apportés aux substrats ont significativement influencé la croissance et la production de biomasse de PA5 et PA20. Les essais de germination de PA12 avec trois traitements (trempage des graines pendant 24 h dans de l’eau non bouillie, graines bouillies pendant 5, 10 et 30 mn) ont montré quatre semaines après le semis les résultats suivants : aucune germination des graines bouillies, 75 % de germination des graines trempées et 25 % pour les graines témoins.
Partage des connaissances avec les populations
27Des visites de reconnaissance et de sensibilisation à l’APA ont été effectuées dans les sept localités où les espèces retenues avaient été rencontrées. Il s’agit des localités de Tonga et Bassamba dans le Ndé, de Bafang et Bandja dans le Haut Nkam, et de Massangam, Malantouen et Kouoptamo dans le Noun. Les responsables des services locaux, notamment les chefs traditionnels, les tradipraticiens, les maires, les secrétaires particuliers de certains sous-préfets et quelques membres des différentes communautés, ont été rencontrés dans l’optique de d’expliquer les bien-fondés de la sensibilisation à l’APA. À l’exception de Cyperus rotundus (PA20) inconnue des populations de la localité de Batack (car ne faisant pas l’objet d’un usage quelconque), toutes les autres espèces ciblées sont utilisées par les populations pour des usages médicinaux et culinaires. Malgré le doute qu’ont certaines autorités de percevoir réellement des bénéfices, la majorité de nos interlocuteurs s’est montrée disponible à poursuivre le projet, dont les prochaines étapes sont des ateliers plus larges de sensibilisation à l’approche APA. Certaines communautés, à l’instar de celles de Malantouen et de Kouoptamo, ont apprécié l’initiative et sont prêtes à offrir leur terre pour la multiplication des espèces.
Conclusion
28L’objectif du projet était de contribuer à la mise en place de chaînes de valeurs d’espèces végétales d’intérêt pour l’industrie de la parfumerie ou du cosmétique, en respectant la législation camerounaise relative au protocole de Nagoya, qui est actuellement dans sa phase de mise en place. Le projet a été réalisé par un réseau de quatre partenaires, dont la Fondation d’Entreprise Mane, l’Université de Dschang, l’Association camerounaise pour le développement durable (CASuDev) et l’Organisation du secteur de la médecine traditionnelle de l’Ouest-Cameroun (Osemeto). Grâce à des enquêtes ethnobotaniques auprès de tradipraticiens, des plantes utilisées par les populations de l’Ouest-Cameroun pour leurs arômes, ou à des fins cosmétiques, ont été identifiées et des connaissances traditionnelles sur leurs utilisations recueillies. Trois-cent-cinquante spécimens de plantes citées par les populations locales ont été collectés dans seize localités et identifiés. De ces spécimens, 80 espèces aromatiques et 23 espèces à usages cosmétiques ont été répertoriées et leurs potentiels de production d’huiles essentielles évalués. Les huiles obtenues ont été analysées, afin de prioriser les espèces d’intérêt pour l’industrie. Sur un total de 34 espèces productrices d’huiles essentielles, les analyses sensorielles et physicochimiques ont permis d’identifier 21 plantes intéressantes parmi lesquelles cinq ont été retenues par les parfumeurs. Les potentiels de régénération naturelle et en pépinière de ces cinq espèces ont été évalués, afin d’envisager leur domestication dans un contexte d’accès et de partage des avantages. Après la caractérisation physiologique et biochimique de leurs semences, les conditions optimales de multiplication générative et végétative ont été identifiées.
29Les caractéristiques biotiques et abiotiques des aires de distribution de ces espèces ont été relevées pour la modélisation des niches écologiques. Des modèles de prédiction actuelle et future de leurs répartitions spatiales ont été construits à partir des données d’herbier sur les occurrences et la géolocalisation. La vulgarisation et l’exploitation des résultats faciliteront les demandes d’accès et la signature des contrats APA entre la Fondation d’Entreprise Mane et les populations concernées. Les chaînes de valeurs ainsi mises en œuvre amélioreront durablement les conditions de vie de ces populations et la gestion des écosystèmes concernés.
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Knowing our lands and resources: indigenous and local knowledge of biodiversity and ecosystem services in Africa. Knowledges of Nature, 8. Unesco, Paris, 156 p.
Tacham W. N., Djeuga Y. M. K., Woukoue T. J. B, Akitio T. H. M., Noukagheu N. R., Fonkou T., 2018
Synthèse bibliographique sur les plantes aromatiques et des plantes à usage cosmétique au Cameroun et inventaire ethnobotanique dans les régions de l’Ouest et du Sud-Ouest. Rapport final de projet, université de Dschang, Cameroun, 81 p.
Auteurs
Écophysiologiste, Unité de recherche de botanique appliquée (Urboa), université de Dschang, Cameroun.
Ethnobotaniste, Unité de recherche de botanique appliquée (Urboa), université de Dschang, Cameroun.
Biochimiste, Unité de recherche de chimie appliquée et environnementale (Urcape), université de Dschang, Cameroun.
Unité de recherche de botanique appliquée (Urboa), université de Dschang, Cameroun.
Écophysiologiste, Unité de recherche de botanique appliquée (Urboa), université de Dschang, Cameroun.
Ingénieure agroforestier, Cameroon Association for Sustainable Development, Cameroun.
Unité de recherche de chimie appliquée et environnementale (Urcape), université de Dschang, Cameroun.
Paléobotaniste, Unité de recherche de botanique appliquée (Urboa), université de Dschang, Cameroun.
Laboratoire de biochimie des plantes médicinales et des sciences alimentaires et nutritionnelles, université de Dschang, Cameroun.
Unité de recherche de botanique appliquée (Urboa), université de Dschang, Cameroun.
Ingénieure agro-alimentaire, entreprise Mane, France.
Ingénieure agro-alimentaire, Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, Montpellier, France.
Expert qualité, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France.
Agronome, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France.
Généticienne, UMR « Amélioration génétique et adaptation des plantes méditerranéennes et tropicales » (Agap), Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France.
Statisticienne, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France.
Agronome, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France.
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