Chapitre 33. Valorisation de la biodiversité et implication citoyenne en milieu urbain
Cas du marécage de Fifadji à Cotonou, Bénin
p. 507-519
Dédicace
Ce travail est un hommage à Paul Houngnon (c. 1943-2001), botaniste forestier et premier directeur de l’herbier national du Bénin, dont les travaux non publiés ont directement été utilisés pour la recherche présentée ici.
Remerciements
Ce travail a été réalisé à partir d’équipements subventionnés par la fondation Rufford en 2017. Nous tenons à exprimer toute notre gratitude à François Romazzotti et au professeur Angel Argiles pour leurs soutiens financiers, ainsi qu’à Marie Pierrette S. Houngbedji, Boubacar Sidibe et Bendecita Atebe Edam pour leurs soutiens techniques.
Texte intégral
Introduction
1Les zones humides sont décrites à la fois comme les « reins du paysage », pour leurs fonctions dans les cycles hydrologiques et chimiques, et comme des « supermarchés biologiques » compte tenu des grandes chaînes alimentaires qu’elles entretiennent (Barbier, 1993). Elles sont classées parmi les écosystèmes les plus productifs de la Terre, leur procurant ainsi une importance socio-économique et culturelle, mais aussi biologique du fait de leurs nombreuses fonctions (Barbier et al., 1997). La plupart des civilisations humaines et des centres urbains se sont développés autour de zones humides (Cohen, 2006). Les marécages en constituent une part importante (Ramsar Convention, 1996).
2Dans la zone côtière ouest-africaine, particulièrement au sud du Bénin, le paysage est caractérisé par des formations marécageuses le long d’un cordon littoral large d’environ 10 km, entre l’océan Atlantique et le Continental terminal. Ces écosystèmes marécageux, sur sable quaternaire ancien, correspondraient aux hauts fonds de la mer après son retrait. Leur formation remonte à 3 000-2 500 ans avant notre ère, durant la dernière période sèche de l’Holocène (Salzmann et Hoelzmann, 2005).
3C’est dans cette région côtière que se situe la ville de Cotonou, capitale économique et plus grande métropole béninoise, où se joue depuis le xixe siècle l’avenir de toute la nation. Cotonou héberge plus de 2,4 millions d’habitants (https://countrymeters.info/fr/Benin), soit 21 % de la population totale du Bénin. Du fait de l’explosion démographique, une grande partie des zones marécageuses de Cotonou a été progressivement occupée par les infrastructures urbaines et les habitations. Le marécage de Fifadji est l’une des dernières zones marécageuses, rares et persistantes reliques qu’il faut maintenir et entretenir comme « poumon vert » de Cotonou. Ce marécage allie l’eau, la biodiversité et les hommes au sein du paysage urbain.
4Cependant, la ville de Cotonou, qui n’a cessé de s’étendre, envahit peu à peu cet espace naturel sensible encore très marginalisé dans les programmes de développement urbain. De plus, la prolifération actuelle des impacts des activités humaines (l’insalubrité, la pollution et le comblement), accentuée par les changements climatiques, risque de compromettre la survie de ce dernier refuge de biodiversité urbaine. Le rapport national d’investissement du Bénin (Senou et Medehounou, 2010), mentionne que seulement 9,6 % des terres de bas-fonds sont formellement identifiés et que moins de 1 % environ est aménagé. En effet, le développement urbain au Bénin intègre peu le potentiel naturel de ces marécages qui deviennent, de fait, de plus en plus marginalisés et restreints à ne jouer qu’un rôle de collecteurs des eaux de ruissellement. Par ailleurs, les rares aménagements ne prennent pas en compte l’histoire du milieu, les régimes des eaux, la conservation des espèces et le potentiel écotouristique de ces zones humides. Il devient urgent de sauvegarder et de restaurer ces marécages, derniers refuges de la biodiversité en ville, afin d’éviter leur disparition, l’extinction d’espèces patrimoniales qui en dépendent, ainsi que l’érosion et le rétrécissement du capital génétique d’autres taxons en cours d’adaptation aux zones humides en milieu urbain.
5Dans ce contexte, l’objectif de cette étude est de recenser la biodiversité inféodée au marécage de Fifadji et de mobiliser les acteurs – chercheurs, citoyens et politiques – pour co-construire des initiatives de préservation et de valorisation écotouristique de ce marécage. Cette phase a permis de définir les bases du développement d’un « poumon vert » attractif et écopédagogique dans une ville où les espaces naturels sensibles à forte potentialité écotouristique sont quasiment inexistants.
Matériels et méthodes
Localisation du site d’étude
6Le marécage de Fifadji couvre environ 40 ha d’une zone non constructible (6°23’16.0”N_2°24’16.5”E) au nord de la ville de Cotonou. La figure 1 présente la localisation du site d’étude, au niveau du cordon littoral situé entre l’océan Atlantique et sa connexion avec le lac Nokoué (85 km²) en communication directe avec la mer grâce au chenal, ou « lagune de Cotonou », creusé par les français en 1894.
7Le marécage de Fifadji a pour fonction principale de charrier les eaux pluviales des hauteurs de Cotonou vers le lac Nokoué suivant un azimut de 70°. Le marécage est à la fois un véritable exutoire pour la ville de Cotonou et un écosystème humide dont la biodiversité est importante.
Caractéristiques de la ville de Cotonou
8La ville de Cotonou, avec son statut de commune et de département, est désormais une grande aire urbaine de 79 km², dont la population croît au rythme très élevé de + 4,8 % (Insae, 2016) et qui détient le record de la densité de population la plus élevée du Bénin avec 8 874 hab/km². Elle est subdivisée en 165 quartiers et treize arrondissements. Les 7e et 8e arrondissements sont les plus peuplés, avec respectivement 22 649 hab/km² et 23 572 hab/km² (Houeto, 2013). D’après l’Insae (2016), les branches d’activités dominantes sont le commerce, la restauration, l’hébergement (40,5 %), le transport, la communication et autres services (34,2 %) et les industries manufacturières (14,6 %). Cotonou se situe dans le département qui bénéficie du plus grand nombre d’infrastructures au Bénin, et en particulier d’infrastructures de santé (Insae, 2016).
9Avec une altitude de 6 m, Cotonou a un climat de type équatorial avec une alternance de deux saisons pluvieuses et de deux saisons sèches (Insae, 2016) :
- une grande saison des pluies de mi-mars à mi-juillet ;
- une petite saison sèche de mi-juillet à mi-septembre ;
- une petite saison des pluies de mi-septembre à mi-novembre ;
- une grande saison sèche de mi-novembre à mi-mars.
10Les précipitations ont lieu principalement entre mars et juillet avec un pic en juin (300 à 500 mm) ; la moyenne des précipitations est de 1 244 mm par an (https://fr.climate-data.org/afrique/benin-42/). Les températures moyennes mensuelles varient entre 27 et 31 °C, avec une température moyenne annuelle de 26,8 °C. Les écarts de température ne dépassent pas 3,2 °C. Les mois de février à avril sont les plus chauds, avec un pic des températures en mars (température moyenne de 28,5 °C). Ceux de juillet à septembre sont les plus frais (température moyenne de 25,3 °C), août étant le mois le plus froid de l’année.
Collecte des données
11Afin de mieux cerner le contexte de l’étude, un travail bibliographique a été initié sur les populations, les ressources naturelles et les enjeux environnementaux notables de la ville de Cotonou. Cette étape a permis de rédiger des messages présentés aux communautés locales pour, in fine, co-définir, avec elles, une stratégie d’inventaire de la biodiversité. Une série d’entretiens semi-directifs1 avec les acteurs locaux a été combinée à des diffusions de messages sur les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp) et des ateliers de partage.
12Un état des lieux de la biodiversité, impliquant les élus locaux et les riverains, a ainsi été lancé autour du marécage de Fifadji (fig. 2A et C). Les responsables des institutions administratives et environnementales ont été consultés. Les riverains ont été mobilisés pour la collecte des données (fig. 2B et C).
13Un inventaire systématique le long du marais (fig. 2B et C) combiné à des séances d’observation, d’échantillonnage, de description, de capture et de relâche d’animaux, de photographie ont permis de dresser une liste préliminaire de la biodiversité floristique et faunique du marécage de Fifadji. Le guide de la participation (Chevalier et al., 2013) a été mis à contribution pour partager, discuter autour des données d’inventaire puis co-construire l’initiative citoyenne de développement du « Poumon vert attractif du marécage de Fifadji » (Pamfi, https://agirbenin.business.site/ ; https://youtu.be/ArzrNbHqo6o).
Analyse des données
14La liste des espèces végétales ainsi dressée a été comparée aux ressources en ligne du « Catalogue of life » (Hassler, 2020) et de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et notamment aux notes d’informations botaniques et aux statuts de conservation de ces espèces. Les types biologiques ont été déterminés pour chaque espèce végétale, afin de connaître les formes de vie et la diversité floristique présente (Sauvage, 1966) ainsi que leurs caractéristiques morphologiques (Sirvent, 2020). Les formes de vie ont été établies selon Raunkiaer (1934) et Hutchinson et Dalziel (1954-1972). Les phanérophytes (Ph) sont subdivisés en :
- mégaphanérophytes (meg, > 30 m de hauteur) ;
- mésophanérophytes (mes, 8-30 m) ;
- microphanérophytes (mph, 2-8 m) ;
- nanophanérophytes (nph, 0,5-2 m) ;
- chamaephytes (Ch) ;
- hémicryptophyte (Hc, < 1 m) ;
- thérophytes (Th) ; géophytes (G) (Gb : bulbeux, Gr : rhizomateux, Gt : tuberculeux) ;
- hydrophytes (Hyd) ;
- épiphytes (Ep) ;
- et leurs formes rampantes, les lianes (Lmph, Lnph et Lmes, LGr, LHc).
15Les types phytogéographiques sont des variables qui permettent de regrouper les espèces végétales suivant leur répartition géographique. Ces types phytogéographiques sont inspirés des subdivisions chorologiques décrites par Hutchinson et Dalziel (1954-1972) et White (1983), à savoir :
- Les espèces à large distribution :
- cosmopolites (Cos) : espèces distribuées dans les régions tropicales et tempérées du monde ;
- pantropicales (Pan) : espèces répandues en Afrique, en Amérique et en Asie tropicales ;
- paléotropicales (Pal) : espèces répandues en Afrique tropicale, en Asie tropicale, à Madagascar et en Australie ;
- afro-américaines (AA) : espèces répandues en Afrique et en Amérique tropicale.
- Les espèces plurirégionales africaines :
- plurirégionales africaines (PRA) : espèces dont l’aire de distribution s’étend à plusieurs centres régionaux d’endémisme ;
- afro-tropicales (AT) : espèces répandues dans toute l’Afrique tropicale ;
- afro-malgaches (AM) : espèces distribuées en Afrique et à Madagascar ;
- soudano-zambéziennes (SZ) : espèces distribuées à la fois dans les centres régionaux d’endémisme soudanien et zambézien ;
- soudano-guinéennes (SG) : espèces distribuées à la fois dans les centres régionaux d’endémisme soudanien et guinéen ;
- guinéo-congolaises (GC) : espèces distribuées dans la région guinéenne.
Résultats
Composition floristique
16Vingt-neuf espèces végétales appartenant à vingt familles ont été recensées (tabl. 1). Elles comprennent 59 % d’espèces à large distribution, dominées par les pantropicales (28 %), et 41 % d’espèces plurirégionales africaines incluant 21 % espèces du centre régional d’endémisme guinéo-congolais (GC) (fig. 3A).
17Les hémicryptophytes (28 %), composés de Poaceae et de Cyperaceae, co-dominent avec les microphanérophytes (28 %) qui sont arborescents. Suivent ensuite les géophytes (14 %), les chamaephytes, et les hydrophytes représentés chacun par trois espèces (fig. 3B). Il s’agit pour la plupart d’espèces d’eau. La rareté des grands arbres est à noter, avec la présence de la seule espèce Sarcocephalus pobeguinii (mésophanérophyte, Rubiaceae).
18Certaines espèces caractéristiques et communes, comme Typha australis (fig. 3C), sont en forte régression dans le marécage de Fifadji. Leurs peuplements sont décimés par les constructions de collecteurs d’eau et d’habitations et le comblement par les déchets ménagers. Dans les peuplements existants, les feuilles âgées s’amoncellent et forment un tapis de chaume au-dessus de la tourbe, réduisant ainsi la vitesse d’écoulement des eaux de ruissellement. C’est aussi le cas de Phragmites karka et Cyperus papyrus (fig. 3C) qui sont devenues rares. Suivant les critères de l’UICN (tabl. 1), seule l’espèce Raphia palma-pinus (Arecaceae) serait menacée mondialement (NT). La majorité des espèces (69 %) rencontrées dans le marécage de Fifadji n’ont pas encore été évaluées selon les critères de l’UICN et 28 % se classent dans la catégorie des « préoccupations mineures ».
19On note également l’introduction de certaines plantes exotiques qui affectionnent les zones humides. Il s’agit de Senna alata (plante médicinale, ornementale aux fleurs jaune d’or) (fig. 3C), Saccharum officinarum (canne à chaume très sucrée), Musa sapientum (bananier), Dysphania ambrosioides (antibiotique local), Xanthosoma sagittifolium (plante ornementale) et Eichhornia crassipes (plante ornementale devenue envahissante).
Tableau 1 – Diversité floristique du marécage de Fifadji, formes de vie, chorologie, statut UICN.
Famille | Nom scientifique (genre et espèce) | Type biologique* | Chorologie** | Statut UICN*** |
Amaranthaceae | Dysphania. ambrosioides (L.) Mosyakin & Clemants | Ch | Cos | NE |
Araceae | Pistia stratiotes L. | Hyd | Pan | LC |
Xanthosoma sagittifolium (L.) Schott | Gr | AA | NE | |
Arecaceae | Raphia sp. | mph | SG | NT B2b(iv) |
Convolvulaceae | Ipomoea aquatica Forssk. | Lnph | GC | LC |
Ipomoea asarifolia (Desr.) Roem. & Schult. | Lnph | AA | NE | |
Cucurbitaceae | Luffa cylindrica (L.) M. J. Roem. ; Syn. L. ægyptiaca Mill. | Lnph | Pal | NE |
Cyperaceae | Cyperus alternifolius L. | Hc | GC | NE |
Cyperus articulatus L. | Hc | SG | NE | |
Cyperus ligularis (L.) Urb. | Hc | Pan | NE | |
Cyperus papyrus L. | Hc | Pan | LC | |
Dracaenaceae | Dracaena arborea (Willd.) Link | mph | GC | NE |
Euphorbiaceae | Alchornea cordifolia (Schumach. & Thonn.) Müll. Arg. | mph | GC | LC |
Phyllanthus reticulatus Poir. | nph | Pal | NE | |
Fabaceae/Caesalpinoideae | Senna alata (L.) Roxb. | mph | Pan | LC |
Marantaceae | Thalia geniculata L. | Gr | AA | LC |
Moraceae | Ficus trichopoda Baker ; Syn. F. congensis Engl. | mph | GC | NE |
Musaceae | Musa sapientum L. | Gr | Pan | NE |
Nympheacea | Nymphacea lotus L. | Hyd | Pal | NE |
Onagraceae | Ludwigia stenorraphe (Brenan) H. Hara | nph | AT | NE |
Poaceae | Echinochloa pyramidalis (Lam.) Hitchc. & Chase | Hyd | AM | NE |
Paspalum distichum L. | Hc | Pan | NE | |
Phragmites karka (Retz.) Trin. ex Steud. | Hc | Pal | LC | |
Saccharum officinarum L. | Hc | Pan | NE | |
Pontederiaceae | Eichhornia crassipes (Mart.) Solms | HcS | Pan | NE |
Rubiaceae | Sarcocephalus pobeguinii Pobég. ex Pellegr. | mes | SZ | LC |
Sphenocleaceae | Sphenoclea zeylanica Gaertn. | Ch | AT | NE |
Thelypteridaceae | Cyclosorus interruptus var. striatus (Schumach.) Verdc. | Ch | GC | NE |
Typhaceae | Typha australis Schum. et Thonn. | Gr | Cos | NE |
Composition faunique
20La diversité floristique du marécage de Fifadji est associée à une diversité aviaire permanente, composée de poules-d’eau, Gallinula chloropus meridionalis (Brehm, CL, 1831), de canards d’eau (Porphyrio alleni Thompson, 1842), tourterelles, martins-pêcheurs et de visiteurs comme la petite échasse, le héron pique-bœuf (Bubulcus ibis Linnaeus, 1758). Les chéloniens d’eau douce (tortues), batraciens, crabes, varans d’eau et autres reptiles aquatiques (fig. 3D) sont tous des espèces d’un grand intérêt pour l’écotourisme en milieu urbain. Des chats sauvages, localement désignés par les riverains comme Awiwoo et Wooo, qui pourraient être de différentes espèces selon les recoupements descriptifs, ont été signalés. Ces chats ou félins sauvages indexés par les riverains comme des prédateurs nocturnes des volailles de la basse-cour, n’ont pas été capturés puis identifiés. Cependant, les captures et relâchements effectués ont permis d’identifier deux espèces de crabes (du genre Cardiosoma), des crocodiles et une diversité de poissons d’eau douce (tilapia, silure noir, silure blanc, tarpon).
Discussion
Regard sur la diversité floristique
21L’écosystème du marécage de Fifadji montre une succession d’espèces adaptées à cette zone humide attestant de son originalité au cœur de la ville de Cotonou. Jusqu’à cette étude, Sarcocephalus pobeguinii n’a été observée en abondance que dans la vallée de l’Ouémé, aux latitudes 6°30 et 7°20 Nord. Sa présence à Fifadji peut s’expliquer par le fait que le marécage est relié au lac Nokoué et appartient par extension au complexe « basse vallée de l’Ouémé, lagune de Porto-Novo et lac Nokoué » (Ramsar-Bénin, 2019).
22Ipomoea aquatica doit être prise en considération dans la protection écologique du marécage. C’est une liane à tige creuse, spongieuse et flottante, formant un tapis vert violacé à la surface de l’eau. Elle laisse l’eau s’écouler tout en filtrant les polluants, y compris les métaux lourds (Göthberg et al., 2002). Les jeunes pousses et la plante entière servent également d’alimentation pour l’homme ainsi que pour les animaux (fourrage) (Edie et Ho, 1969 ; Grubben et Denton, 2004 ; Austin, 2007 ; Prasad et al., 2008).
23Phragmites karka (Poaceae atteignant plus de 2 m de hauteur) devrait également être prise en compte car elle intervient dans le traitement biologique des eaux usées et des effluents industriels (Lambertini et al., 2006) en plus d’être un bio-indicateur de la fertilité du sol. Elle forme des masses de roseaux dans la vase qui pourraient également servir de substrat de germination pour les graines d’arbres et être utile à la reforestation (Pyšek et al., 2020). Avec Typha australis, Phragmites karka forme également d’importantes aires d’alimentation et de reproduction pour l’ichtyofaune, les poules-d’eau, les canards d’eau et autres espèces animales.
24Du point de vue du statut de conservation, l’espèce emblématique Cyperus papyrus pourrait être « en danger » à Cotonou. Selon les critères de l’UICN, elle a été évaluée en Afrique de l’Ouest (Bénin, Ghana, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal), comme étant une « préoccupation mineure » avec une probable augmentation des populations actuelles (Juffe, 2010). La même évaluation a été faite par Beentje et al. (2018) signalant une population relativement stable au plan mondial. En revanche, dans toute la Méditerranée, l’espèce se révèle « vulnérable » (catégorie B2ab(v)) (IUCN, 2020). Cyperus papyrus, très importante pour la fabrication du papier et largement cultivée dans l’Égypte ancienne, a été considérée comme éteinte puis récemment redécouverte et inscrite en Israël sur la liste rouge nationale des espèces « en danger » (Daoud-Bouattour et al., 2010). Le statut de Cyperus papyrus est similaire dans le marécage de Fifadji, car seuls quelques rares individus y subsistent en plus de peuplements épars dans d’autres régions du Bénin. Les perturbations du milieu dues aux travaux d’urbanisation continuent de réduire la superficie de ces derniers refuges et compromet la survie d’autres espèces d’intérêt patrimonial.
25Cependant au Bénin, aucune mesure ne vise à évaluer la superficie des populations végétales, à comprendre leur dynamique et à définir des stratégies de conservation appropriées face aux contraintes urbaines. D’autres espèces – comme Thalia geniculata utilisée localement comme plante médicinale, emballage, épice, ornement et fourrage – sont également considérées « en danger » ayant quasiment disparu à Fifadji.
Impact de la construction des collecteurs d’eau
26Les collecteurs d’eau visent essentiellement le drainage des eaux de ruissellement vers la lagune de Cotonou. Leur construction prochaine devrait tenir compte du volume d’eau à évacuer pour éviter l’assèchement du marécage qui constitue, comme nous venons de le voir, un habitat précieux pour des espèces végétales et animales. Les aménagements doivent être bien pensés pour maintenir l’humidité nécessaire à la vie des espèces de plantes flottantes, telles que Cyclosorus et Ipomoea, et des géophytes (Typha, Thalia) qui se développent dans la vase. Face à un drainage sévère, les espèces en peuplement (Cyclosorus interruptus, Typha australis, Ipomoea aquatica), les Cyperaceae ainsi que les plantes introduites vont disparaître. Quant aux espèces animales, en dehors des serpents, des canards et des varans, les autres ont besoin d’eau et de vase en permanence pour survivre.
Mobilisation citoyenne pour le développement d’un poumon vert écotouristique
27Au Bénin, le tourisme représente 10 % du produit intérieur brut (PIB) et un emploi sur onze. Une mobilisation citoyenne pourrait accélérer le processus de transfert de connaissances entre parties prenantes pour, in fine, développer le tourisme responsable autour du marécage de Fifadji. L’effort de participation des citadins dans ce projet est remarquable et met en exergue le regain d’intérêt populaire pour la conservation et la valorisation de leur environnement. Les aménagements retenus visent la restauration d’îlots d’habitats pour les espèces locales stabilisatrices des berges des cours d’eau et des lacs, comme Phragmites karka, Thalia geniculata, Typha australis et les palétuviers (Rhizophora racemosa, Avicennia germinans). L’initiative a permis de développer autour du marécage de Fifadji un premier modèle de « poumon vert » attractif, écopédagogique et culturel, dans une ville marquée par l’inexistence de sites attractifs de ce type. Le projet fera de Fifadji, un site de référence pour l’écocitoyenneté et les emplois verts au profit d’une nature qui reprendra ses droits en milieu urbain pour un intérêt partagé.
Conclusion et perspectives
28La biodiversité du marécage de Fifadji est une ressource naturelle immédiatement disponible pour faire de Cotonou une ville africaine durable et résiliente. Cette étude de la diversité biologique du marécage a défini les bases d’un diagnostic participatif plus élargi. L’implication et l’enthousiasme des citoyens témoignent de leur désir de gestion de l’environnement et de leur souhait de co-construire un processus de développement inclusif, processus déjà en marche à Fifadji (https://agirbenin.business.site/ ; https://youtu.be/ArzrNbHqo6o).
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ces entretiens ont eu pour objectifs de mobiliser, d’informer et de convier les communautés locales autour de l’initiative. Cette démarche a permis de mobiliser les riverains et citadins de la ville autour des activités éco-citoyennes (main-d’œuvre et intelligence citoyenne) qui ont conduit à la co-construction de l’initiative de développement du « Poumon vert attractif du marécage de Fifadji ». C’est grâce à cette campagne qu’un état des lieux de la biodiversité a pu être réalisé. Les résultats de ces enquêtes ne font pas l’objet de cet article ; ils sont disponibles par ailleurs (cf. Pamfi, https://agirbenin.business.site/ ; https://youtu.be/ArzrNbHqo6o).
Auteur
Chercheur indépendant, Association de gestion intégrée des ressources, Bénin.
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