Chapitre 25. Inventaire floristique de l’île de Ngazidja, archipel des Comores
p. 391-404
Remerciements
Nos remerciements vont au programme « COI-Biodiversité » (Commission de l’océan Indien), au projet « Réseau des herbiers du Sud-Est de l’océan Indien » financé par l’Union européenne, au premier programme « Sud Expert Plantes » (SEP, 2008-2010) qui nous a permis d’accéder à l’herbier national des Comores et de commencer cette étude sur l’ensemble de l’archipel. Nous remercions aussi le 2e programme « Sud Expert Plantes Développement Durable » (SEP2D) qui nous a permis de publier nos travaux sur le cas de l’île de Ngazidja.
Nous remercions également toute l’équipe de l’herbier de Paris du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) pour avoir parrainé l’ouverture d’un herbier national aux Comores (HKM), organisé le retour des doubles collectés aux Comores, réfléchi à l’évolution de notre institution et accepté d’apporter leur expertise sur la correction de ce travail jusqu’à sa publication.
Texte intégral
Introduction
1Sous un climat tropical humide, entre l’Afrique et Madagascar, les îles des Comores possèdent une biodiversité originale. Le projet « Connaître pour conserver le patrimoine naturel caché des Comores », mené par le Muséum national d’histoire naturelle de Paris de 2008 à 2011, a montré que, dans un contexte de dégradation rapide des milieux naturels comoriens, la caractérisation de la biodiversité indigène de ces îles est un prérequis à des études taxonomiques et écologiques plus approfondies (Fontaine et al., 2012). En effet, d’après Labat et al. (2006) : « Il suffit de lire l’arrêté n° 01/031/MPE/CAB portant protection des espèces de faune et de flore sauvages des Comores pour se rendre compte du travail qui reste à faire, sur le plan systématique, pour la mise à niveau des connaissances relatives aux statuts des espèces. Beaucoup de groupes sont peu ou pas assez documentés, alors que les Comores font partie des vingt petites îles ou archipels caractérisés par un nombre restreint d’espèces mais dont le taux d’endémisme est exceptionnel. En effet, il n’y a jamais eu d’inventaires complets des plantes vasculaires vivant dans chaque île. »
2Dans ce contexte, l’objectif principal de cette étude était de réaliser un inventaire floristique des Comores, en commençant par l’île la plus grande et la plus diversifiée en termes d’écosystèmes : Ngazidja (ou Grande Comore). Les objectifs spécifiques étaient de :
- proposer la première liste floristique globale de cette île ;
- identifier l’origine biogéographique des espèces ;
- identifier les plantes possédant des spécificités écologiques.
3L’analyse de la spécificité écologique de l’île de Ngazidja a permis d’avancer deux hypothèses : (1) la découverte de nouvelle(s) espèce(s) pour l’île et d’autres pour les Comores est envisageable ; (2) certaines espèces récoltées antérieurement sont probablement éteintes ou très rares aujourd’hui.
Matériels et méthodes
4L’inventaire floristique a été effectué dans tous les écosystèmes terrestres de l’île de la Grande Comore, ainsi que dans les herbiers nationaux de la région du Sud-Ouest de l’océan Indien.
Inventaire floristique dans les collections des herbiers
5Les herbiers consultés ont été les suivants : ceux de l’archipel des Comores (herbier des Comores, HKM, à Moroni, Ngazidja ; celui de Mayotte, MAO, à Coconi), les codes de chaque herbier enregistré dans le réseau International, selon l’Index Herbariorum (Thiers, 2016), les deux herbiers du Muséum national du Kenya à Nairobi, l’herbier de l’île Maurice à Réduit (MAU), ceux de La Réunion à Saint-Denis (REU), de Tsimbazaza (TAN) et à Antananarivo, Madagascar.
6Afin d’étudier la taxonomie et la nomenclature de chaque espèce, la bibliographie sur la flore de la région a été consultée, notamment la série Flore de Madagascar et des Comores. Des bases de données en ligne ont été également consultées, notamment celles du : Global Biodiversity International and Facility (www.gbif.org), de la collection Sonnerat du Muséum national d’histoire naturelle de Paris (https://science.mnhn.fr), du Conservatoire et jardin botaniques de la ville de Genève (www.ville-ge.ch/cjb/), ainsi que The plantlist (www.theplantlist.org/) et l’Index international des noms des plantes (www.ipni.org).
Inventaire floristique sur le terrain
7Un échantillonnage des plantes vasculaires de l’île de Ngazidja a été effectué selon des grilles de 30 m x 30 m de maille sur toute l’île, afin de définir les sites appropriés pour l’étude de la végétation. Ces derniers ont été choisis en fonction de leur végétation la plus naturelle ou la moins dégradée. Au total, 46 mailles de 30 m x 30 m ont été retenues pour la recherche de l’aire minimale (maximum d’espèces sur la plus petite surface inventoriée) dans chaque type de formation végétale. La méthode de transect de Duvigneaud (1969) a ensuite été appliquée dans ces 46 mailles retenues représentatives de tous les écosystèmes rencontrés dans cette île. Les échantillons d’herbier collectés incluaient les parties végétatives (tiges et feuilles) et, autant que possible, les parties fertiles (fleurs, fruits) suivant l’état phénologique au moment des inventaires. Chaque récolte, associée à des coordonnées géographiques et à des données d’observation de la plante et de son écologie, a été déposée à l’herbier des Comores. Les doubles des spécimens ont été déposés à l’herbier de l’université d’Antananarivo.
Les sites de relevé de terrain
8Ces sites ont été choisis en tenant compte a priori de la forte concentration d’espèces endémiques dans les parcelles les moins perturbées d’une végétation donnée. Les sites retenus ont été les suivants (fig. 1) :
- A1 à A23 pour les formations végétales halophiles ;
- L1 à L9 pour les formations semi-caducifoliées (0 à 200 m d’altitude) ;
- B1 à B3 pour les formations de basse altitude (200 à 600 m) ;
- M1 à M5 pour les formations de moyenne altitude (600 à 1 200 m) ;
- H1 à H3 pour les formations de haute altitude (1 200 à 1 800 m) ;
- S1 et S2 pour les formations du sommet (1 800 à 2 361 m d’altitude).
Méthode de transect de Duvigneaud
9La végétation étant hétérogène sur toute la surface de l’île (fig. 1), des transects de longueur variable (suivant les sites) ont été établis selon la topographie. Les transects ont été effectués depuis le niveau de la mer jusqu’à 2 361 m d’altitude, point culminant de l’île, au sommet du volcan Karthala. Cette méthode a permis d’établir la liste floristique globale de l’île et d’analyser la biogéographie de la flore.
Création de la base de données floristiques
10La base de données de l’herbier HKM des Comores a été initiée en 2015, en utilisant le logiciel Botanical Research and Herbarium Management System (Brahms v.7) conçu par l’université d’Oxford. Cette base a été enrichie avec les données de notre inventaire floristique de l’île de Ngazidja, à savoir (fig. 2) :
- les caractéristiques écologiques de chaque espèce (région, station, habitat et localisation à partir de coordonnées GPS, etc.) ;
- les caractéristiques floristiques de chaque espèce (classification, nom vernaculaire, distribution, densité, phénologie, date de récolte et photos de la plante).
11Toutes ces informations ont permis de préciser la biogéographie de chaque espèce.
12Labat et al. (2006) ont montré des différences floristiques entre les îles de l’archipel des Comores. Leurs résultats ont été également utilisés afin de déterminer l’affinité biogéographique des espèces de l’île de Ngazidja.
Résultats et interprétations
Base de données floristiques
13Les inventaires floristiques de terrain et des différents herbiers ont permis de recenser 1 304 espèces de plantes vasculaires sur l’île de Ngazidja, et de renseigner les informations dans la base de données sous Brahms 7. Les informations concernent la composition floristique, la biogéographie et l’écologie de chaque espèce inventoriée dans les sites de relevé. Les sites ont été codés en fonction des formations végétales rencontrées.
Caractéristiques floristiques
14La flore vasculaire allochtone et autochtone de cette île est constituée de cinq espèces gymnospermes, 1 108 angiospermes et 191 ptéridophytes (tabl. 1). Le tableau 1 montre que le groupe des plantes vasculaires à spores (ptéridophytes) est diversifié en espèces. Les cinq familles d’angiospermes les plus riches en espèces sont les Poaceae, les Orchidaceae, les Fabaceae, les Asteraceae et les Rubiaceae (fig. 3).
Tableau 1 – Caractéristiques de la flore vasculaire de l’île de Ngazidja.
Embranchements | Groupes | Familles | Genres | Espèces |
Spermaphytes | Angiospermes Dicotylédones | 145 | 541 | 831 |
Angiospermes Monocotylédones | 11 | 236 | 277 | |
Gymnospermes | 4 | 5 | 5 | |
Sous-total | 161 | 782 | 1 113 | |
Ptéridophytes | 58 | 68 | 191 | |
Total | 219 | 850 | 1 304 | |
Statuts | Autochtones | 63 | 137 | 919 |
Allochtones | 75 | 190 | 385 |
15Parmi les 1 304 espèces recensées, neuf connues des récoltes anciennes n’ont pas été inventoriées lors de nos travaux sur le terrain, soit parce qu’elles n’ont pu être identifiées (le stade phénologique stérile peut empêcher une identification fiable), soit parce qu’elles sont très rares, soit parce qu’elles n’existent plus. Certaines espèces sont connues uniquement grâce aux herbiers témoignant de leur présence jadis sur l’île. C’est le cas de Dalbergia comorensis Bosser & Rabevohitra (Fabaceae), qui n’a été rencontrée que lors des récoltes de 1885 et 1957 (spécimens conservés à Paris). Le bois utilisé sous le toit d’une mosquée à Moroni datant de la fin du xviiie siècle provient également de cette espèce (l’arbre était en effet réputé pour sa résistance aux termites et sa longévité). Cette espèce, ainsi que huit autres, sont aujourd’hui considérées comme éteintes. Sept autres espèces (les « espèces rares ») n’ont été observées que dans un seul site, et sont représentées par dix individus au maximum (tabl. 2).
Tableau 2 – Liste des sept espèces rares et des neuf probablement éteintes.
Statut | Famille | Nom Scientifique | Auteurs | Dernière année de récolte |
Espèces considérées éteintes | Clusiaceae | Calophyllum comorense | Perrier de La Bâtie | 1889 |
Euphorbiaceae | Dombeya polyphylla | Shumann | 1957 | |
Fabaceae | Dalbergia comorensis | Bosser & Rabevohitra | 1957 | |
Orchidaceae | Cynorkis lilacina var. boiviniana | Perrier de La Bâtie | 1890 | |
Poaceae | Arthraxon lancifolius | Hochstetter | 1850 | |
Poaceae | Leptaspis zeylanica | Nees von Esenbeck | 1884 | |
Poaceae | Panicum comorensis | Nees & Christian | 1886 | |
Sapotaceae | Labramia mayottensis | Labat, Pignal & Pascal | 1884 | |
Solanaceae | Solanum macrothyrsum | Dammer | 1884 | |
Espèces rares | Balsaminaceae | Impatiens comorensis | Baker | 2016 |
Euphorbiaceae | Croton humblotii | Baillon | 2015 | |
Malvaceae | Sterculia comorensis | Baillon | 2016 | |
Orchidaceae | Jumellea paillerie | Rakotoarivelo | 2012 | |
Pandanaceae | Pandanus maximus | Martelli | 2016 | |
Rubiaceae | Coffea humblotiana | Baillon | 2014 | |
Rutaceae | Vepris unifoliolata | (Baillon) Labat, Pignal & Pascal | 2015 |
Affinités biogéographiques
16Ngazidja est l’île la plus récente de l’archipel des Comores ; elle est apparue alors que les trois autres îles existaient déjà avec leurs positions actuelles. Ainsi, sa flore peut être originaire des territoires voisins : le continent africain, les trois autres îles de l’archipel, ou Madagascar. Seul le niveau spécifique peut développer des caractères de spéciation dans des centres d’endémisme. En se basant sur la bibliographie et les collections d’herbiers, le niveau spécifique de la flore présente des plantes autochtones (natives) et allochtones (exotiques). Les premières sont celles qui ont colonisé l’archipel avant l’arrivée de l’homme. Ces espèces natives représentent encore 70 % de la flore de l’île. Les espèces exotiques sont les plantes introduites volontairement ou non. Bien que le nombre des espèces natives (919) soit le double de celui des espèces introduites (385), ces dernières occupent de la végétation humide de l’île.
Les plantes autochtones et endémiques des Comores
17Sur les 919 espèces natives, 174 sont endémiques des Comores après analyse de la base de données du MNHN de Paris. Celles-ci sont réparties en 137 genres appartenant à 63 familles. Les résultats montrent que les espèces communes avec Madagascar (située à 600 km de Ngazidja) sont deux fois plus nombreuses qu’avec la côte est-africaine qui est pourtant plus proche (300 km) de l’île.
Espèces particulières de Ngazidja
18Sur les 174 espèces endémiques recensées dans l’archipel, 28 sont strictement endémiques de l’île de Ngazidja. Certaines espèces endémiques ont une plus grande répartition, comme Euclea racemosa, un arbuste haut de 3 m fréquent dans les formations sèches et subhumides de basse altitude. À l’est de l’île, cette espèce a un port d’arbre dans une forêt de transition entre 400 et 700 m d’altitude. Autres exemples, Weinmannia comorensis et Nuxia pseudodentata se retrouvent dans toutes les formations subhumides, humides et super-humides. Enfin, le palétuvier natif, Bruguiera gymnorhyza, se rencontre dans presque toutes les mangroves.
19Dix-neuf nouvelles espèces (jamais répertoriées jusqu’à présent sur l’île de Ngazidja) sont observées à moins de 200 m d’altitude (tabl. 3). Par ailleurs, les inventaires montrent que tous les types biologiques de plantes des pays tropicaux (classification de Raunkiaer), en plus des épiphytes et des lianes, sont présents sur l’île. Il est fort probable que, parmi ces espèces, certaines étaient, ou sont encore, présentes dans les autres îles comoriennes, Ngazidja étant l’île la plus récente de l’archipel.
Espèces autochtones communes avec Madagascar
20Madagascar et l’archipel des Comores sont associés en raison de leurs similitudes floristiques constatées par les phytogéographes. En effet, parmi les 174 espèces endémiques présentes dans les formations primaires de l’île de Ngazidja, 22 % (41 espèces) sont aussi connues à Madagascar, par exemple Commiphora arafy (Burseraceae), Comoranthus obconicus (Oleaceae), Nuxia pseudodentata (Stilbaceae), Cyathea hildebrandtii (Cyatheaceae). Tous les genres sont également connus à Madagascar. En effet, 60 % de la flore autochtone des formations sèches de l’île de Ngazidja se retrouve sur la côte Nord-Ouest malgache (région de Boeny), comme par exemple Vanilla humblotii, Diospyros comorensis, Ouratea humblotii, Vepris boiviniana, Acalypha lyalii, etc.
Espèces autochtones communes avec la côte est-africaine
21En tout, 19 des espèces autochtones recensées (soit 10 %) sont connues aussi sur la côte est-africaine. La plupart sont rencontrées dans les formations primaires littorales et dans les formations sèches de basse altitude comme, par exemple, Saba comorensis (Apocynaceae), Erythroxylum platycladum (Erythroxylaceae), Euphorbia tirucalli (Euphorbiaceae), Turraea wakefieldii (Meliaceae) et Oeceoclades lonchophylla (Orchidaceae). En zone humide, les espèces communes avec la côte est-africaine appartiennent à la famille des Rubiaceae (Psychotria conocarpa, Pavetta hildebrandii et Psychotria johannac).
Tableau 3 – Nouvelles espèces identifiées sur l’île de Ngazidja, et répartition dans l’océan Indien.
Famille | Espèce | Répartition | Références |
Aloeaceae | Aloe aldabrensis | Seychelles et Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Boraginaceae | Terminalia ulexoides | Mayotte | Aman et al. (2011) |
Burseraceae | Commiphora arafy | Mohéli, Mayotte et Madagascar | Pascal (2002) |
Euphorbiaceae | Euphorbia tirucali | Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Euphorbiaceae | Aristogeitonia monophylla | Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Euphorbiaceae | suregada comorensis | Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Malvaceae | sterculia comorensis | Mayotte | Aman et al. (2011) |
Malvaceae | Hibiscus comorensis | Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Meliaceae | Turraea wakefieldii | Mohéli et Mozambique | Davis (2009) |
Meliaceae | Xylocarpus granatum | Mayotte et Mohéli | Kamaria et Roger (2011) |
Melastomataceae | Medinilla tuberosa | Madagascar et Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Ochnaceae | Ouratea humblotii | Mayotte et Mohéli | Aman et al. (2012) |
Surianaceae | Suriana maritima | Îles éparses | CNBM (2012) |
Annonaceae | Polyathia humblotii | Anjouan et Mayotte | Pascal (2002) |
Oleaceae | Noronhia cochleata | Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Orchidaceae | Nervillia bicarinata | Mayotte | Pascal et al. (2001) |
Rhizophoraceae | Ceriops tagal | Mayotte et Mohéli | Kamaria et Roger (2011) |
Rubiaceae | Coffea humblotii | Mayotte | Barthela et Viscardi (2012) |
Rubiaceae | Trigonopyrens comorensis | Mayotte | Mouly (2009) |
22La proximité du continent africain par rapport à l’île de Ngazidja (300 km) est marquée par les espèces halophiles. En effet, la plupart des espèces halophiles observées sur cette île sont présentes au Mozambique et sont absentes de Madagascar. Il s’agit des neuf palétuviers et de leurs espèces associées. Seule Xylocarpus moluccensis est absente dans les mangroves du Mozambique (Barbosa et Bandeira, 2001) et de Madagascar (Razakanirina, 2016) ; cette espèce pourrait provenir du nord de l’océan Indien.
Les plantes exotiques
23Les travaux de collecte ont recensé des plantes exotiques, que nous distinguons en deux groupes : les plantes spontanées, d’une part, et celles cultivées, d’autre part, même s’il est interdit d’introduire des espèces exotiques dans le pays depuis la ratification en 1994 de la Convention sur la biodiversité par les Comores. Les espèces exotiques se comportent de façon variée, certaines deviennent spontanées après plantation, tandis que celles cultivées doivent être entretenues.
Les plantes exotiques spontanées
24Ce groupe d’espèces (236) a fait l’objet d’une plantation unique à des fins d’ornementation, de couverture végétale ou de lutte contre l’érosion du sol. Il s’agit de plantes adventices (pyrophytes et rudérales), de reboisement (Tectona grandis, Verbenaceae) et d’ornement (Terminalia mantaly, Combretaceae) (fig. 4). Ces plantes spontanées se rencontrent majoritairement entre 200 et 600 m d’altitude.
25Certaines s’adaptent mieux que d’autres en devenant envahissantes et en colonisant les milieux naturels occupés par les espèces autochtones. Les plus virulentes dans les formations humides d’altitude sont, par ordre décroissant, Clidemia hirta (Melastomaceae), Psidium cattleianum (Myrtaceae), Syzygium jambos, (Myrtaceae) et Hedychium flavescens (Zingiberaceae). En basse altitude, dans toutes les autres formations végétales au-dessous de 600 m, Lantana strigo camara et Eucalyptus robusta sont les plus envahissantes.
Les plantes exotiques cultivées
26La plupart des plantes introduites pour l’agriculture se sont naturalisées dans les champs agricoles ou dans les jardins des particuliers. Elles constituent 70 % des plantes exotiques et se rencontrent dans les formations de moyenne altitude, entre 200 et 1 000 m. Certaines cultures maraîchères sont observées dans les forêts. Celles-ci contiennent 149 espèces divisées en (1) cultures de rente (32 espèces) dominées par la vanille (Ngazidja), la girofle (Anjouan) et l’ylang ylang (Mohéli), (2) cultures maraîchères (49 espèces) et (3) cultures vivrières (67 espèces, dont 18 variétés de banane locales et 20 espèces et variétés de tubercules). Les plantes exotiques cultivées sont introduites volontairement pour leur valeur alimentaire.
27Parmi les plantes alimentaires, 66 espèces sont « orphelines » (la population ignore leur usage alimentaire), comme par exemple Morinda citrifolia, et d’autres sont « négligées » (ni cultivées, ni commercialisées), comme Achirantes aspera. Des espèces alimentaires autochtones sont également recensées : Dripetes comorensis (plante alimentaire orpheline) et Dioscorea comorensis (plante alimentaire négligée) (Andilyat et al., 2016).
Discussion
28La proximité de Ngazidja par rapport à la côte est-africaine pourrait laisser penser que la flore de l’île est originaire des pays africains. L’analyse de la biogéographie prouve le contraire. En effet, Pascal et al. (2001) ont montré que : « La colonisation de l’archipel par les êtres vivants est due à la grande régression marine de la période glaciaire du Wurm (de -125 000 à -10 000 ans), où pendant cette période d’environ 100 000 ans, les hauts fonds actuels qui existent entre Madagascar et l’archipel des Comores (Banc du Geyser) étaient également émergés. Ces terres émergées ont sans doute servi de ponts entre Madagascar et les Comores, puis facilité la migration de plantes et d’animaux de manière active ou passive. » Ce qui signifie que les trois autres îles des Comores ont peut-être servi de « pont » à la colonisation des plantes sur l’île de Ngazidja. Suivant l’ordre d’apparition des îles de l’archipel, la flore du nord-ouest malgache (600 km de Ngazidja) a d’abord disséminé vers l’île de Mayotte, apparue en premier et située à moins de 300 km. La flore mahoraise s’est ensuite propagée vers Anjouan, sa voisine apparue ensuite, puis d’Anjouan vers Mohéli pour, enfin, s’installer à Ngazidja située respectivement à 80 et 38 km de ces îles. Ngazidja a ensuite vu sa flore s’enrichir d’espèces provenant de la côte est-africaine éloignée de 300 km.
29La première liste floristique globale de l’île a été établie en tenant compte de toutes les plantes se développant sur l’île, de 0 à 2 361 m d’altitude. Elle a été comparée aux listes existantes des espèces des autres îles comoriennes. La répartition dans l’océan Indien a ainsi pu être établie pour les 19 espèces nouvelles récoltées à Ngazidja (tabl. 3).
30Les affinités biogéographiques des espèces de l’île ont été analysées, et la similarité de cette flore avec celle de Madagascar apparaît la plus grande. À titre d’exemple, la série à Weinmannia et Tambourissa existe à Madagascar mais aussi à Ngazidja. À Madagascar, Humbert et Cours Darne (1965) ont utilisé ces deux genres comme taxons caractéristiques pour définir les séries de végétation. Cette étude a permis d’en définir les espèces. Weinmannia comorensis est présente dans toutes les formations humides de 0 à 2 300 m d’altitude ; Tambourissa leptophylla et T. comorensis se rencontrent respectivement dans la forêt du Karthala et de la Grille entre 600 et 1 200 m, où elles forment la série à Weinmannia et Tambourissa.
Conclusion
31Cette étude a permis d’établir la liste la plus complète des espèces végétales de l’île de Ngazidja, à partir des caractéristiques floristiques et écologiques enregistrées dans la base de données de l’herbier national des Comores sous le logiciel Brahms. Au total, 1 304 espèces ont été inventoriées, dont 70 % sont autochtones (919 espèces) et 30 % exotiques (385 espèces). Dix-neuf espèces ont été observées pour la première fois à Ngazidja, dont cinq endémiques de l’archipel et quatorze autochtones, validant ainsi notre hypothèse de départ. Les résultats de l’inventaire floristique et de la caractérisation écologique ont montré la présence d’espèces caractéristiques et constantes (car observées dans plus de 60 % des sites étudiés, Puig, 2001) par type de formation végétale, à savoir : Euclea comorensis dans les formations sèches et subhumides, Weinmannia comorensis et Nuxia pseudodentata dans les formations subhumides, humides et hyper-humides, ainsi que Bruguiera gymnorhiza dans tous les sites de mangroves. Ces quatre espèces sont également les plus résistantes aux pressions diverses et semblent s’adapter aux changements globaux.
32Les résultats obtenus précisent aussi l’origine biogéographique des espèces autochtones de l’île de Ngazidja. En effet celle-ci a plus d’affinité biogéographique avec Madagascar (600 km) qu’avec la côte est-africaine pourtant plus proche (300 km) ; cela pourrait s’expliquer par l’ancienneté de l’île de Mayotte qui a ainsi pu jouer un rôle de relais dans la dispersion et la colonisation végétale depuis Madagascar vers les Comores. Le fait que les Comores soient plus jeunes explique l’absence de familles et de genres endémiques. Les genres des espèces endémiques des Comores présentes sur l’île de Ngazidja, ont leur homologue malgache.
Perspectives
33Les résultats obtenus dans cette étude permettent d’envisager la rédaction d’une monographie sur la flore menacée de l’île de Ngazidja et celle d’un guide numérique tout public de la flore de cette île et de son écologie, sous la forme d’applications interactives, grâce à la disponibilité de la base de données floristique globale de l’île. Un atlas de la flore de l’île pourra être rédigé et servir de modèle pour l’ensemble de l’archipel.
Bibliographie
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Utilisation des ressources en bois, caractéristiques anatomiques du bois et vulnérabilité écologique par rapport au changement climatique (cas des mangroves du delta de Ttsiribihina et de la réserve de biosphère de Sahamalaza. Thèse de doctorat en Sciences de la vie et de l’environnement-Sciences du végétal, université d’Antananarivo, 177 p.
Thiers B., 2016
Index Herbariorum: a global directory of public herbaria and associated staff. Botanical Garden’s Virtual Herbarium, New York. http://sweetgum.nybg.org/science/ih/
Auteurs
Écologue, phytogéographe, Herbier national, faculté des Sciences et Techniques, université des Comores, Union des Comores.
Botaniste, Herbier national, faculté des Sciences et Techniques, université des Comores, Union des Comores.
Biogéographe, UMR « Mécanismes adaptatifs & évolution » (Mecadev), Centre national de la recherche scientifique, Muséum national d’histoire naturelle, France.
Écologue forestier, département de Biologie et Écologie végétales, faculté des Sciences, université d’Antananarivo, Madagascar.
Écologue phytogéographe, département de Biologie et Écologie végétales, faculté des Sciences, université d’Antananarivo, Madagascar.
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