Chapitre 22. Gestion et valorisation durable des zones raphières à Madagascar
Étude de quatre sites de la région de Boeny
p. 345-358
Remerciements
Nous tenons à remercier le comité d’évaluation du programme « Sud Expert Plantes Développement Durable » (SEP2D). Nos remerciements vont aussi à toutes les personnes qui ont apporté leur contribution au travail de terrain.
Texte intégral
Introduction
1Madagascar est une île de 587 000 km2, dont les formations forestières sont très diversifiées et variées en fonction du climat de la région. La Grande Île est considérée comme l’un des territoires les plus riches en palmiers dans le monde (Rakotoarinivo, 2008). Raphia farinifera (Gaertn) Hyl. est un grand palmier des zones marécageuses de ce pays. Le terme « raphières » est utilisé à Madagascar pour désigner les formations végétales à base de raphia, alors que le terme « raphiale » est préféré ailleurs en Afrique.
2À Madagascar, les superficies des raphières ont diminué ces dernières années du fait des pressions naturelles et anthropiques. Dans la région de Boeny, les zones raphières de Ambahiviky et de Amboaboaka sont gérées par les communautés locales. À Antafihiky, elles ont été restaurées et celles d’Antrema se rencontrent dans la nouvelle aire protégée. Cependant, les raphières y sont-elles exploitées de manière durable ? Pour répondre à cette question, notre étude a eu comme objectifs de mieux connaître (1) la diversité végétale et la dynamique de ces écosystèmes, (2) les utilisations faites par les communautés et les avantages offerts par ces espèces, notamment en médecine traditionnelle, et (3) d’identifier les pressions que ces zones subissent, afin de proposer les pistes de gestion durable.
Matériels et méthodes
Sites d’étude
3Les quatre sites d’étude ont été les suivants : Ambahiviky, Amboaboaka, Antafihiky, Antrema. Tous sont situés dans la région de Boeny, au nord-ouest de l’île. Les sites de Ambahiviky, Amboaboaka, et Antafihiky sont localisés dans le district de Mahajanga II. Ambahiviky et Amboaboaka se situent dans le même village, appelé en langue malagasy : fokontany Ankilahila, dans la commune rurale de Betsako ; Antafihiky est localisé dans le fokontany Mariarano, dans la commune rurale du même nom. Seul, Antrema se situe dans la nouvelle aire protégée (fokontany Antrema) dans la commune rurale de Katsepy, dans le district de Mitsinjo (fig. 1). Dans ces quatre sites, les zones raphières ravitaillent les rizières environnantes en eau. Autrement dit, les raphières jouent un rôle écologique et économique important en contribuant directement à l’entretien des sources et au maintien de l’humidité des marécages.
Méthodes
4Deux méthodes de relevés ont été adoptées afin d’inventorier toutes les espèces présentes dans les raphières des quatre sites d’étude : la méthode de transect de Duvigneaud (1980) et celle des placeaux de Braun-Blanquet (1965). La méthode de transect de Duvigneaud a été réalisée dans les formations marécageuses hétérogènes à raphia. Celle des placeaux de Braun-Blanquet a été utilisée car elle permet d’étudier quantitativement une végétation homogène, en l’occurrence sur une surface de 20 m x 20 m. Ensuite, des enquêtes ethnobotaniques ont été effectuées en utilisant la méthode accélérée de recherche participative (Marp) (Gueye, 1991), afin de connaître les utilisations directes des raphières, notamment pour la santé des populations locales. Ces enquêtes ont été menées auprès des membres des communautés locales, des chefs fokontany et des populations riveraines. Elles ont également servi à identifier les pressions naturelles et anthropiques subies par les raphières et à formuler des recommandations en matière de préservation des raphières, aussi bien pour la population locale que pour les membres des communautés locales et les autorités locales et/ou nationales.
Étude de la régénération naturelle
5La régénération naturelle est l’ensemble des processus par lesquels les plantes se multiplient sans intervention sylvicole, par graine ou par multiplication végétative (Rollet, 1983). Mesurer l’aptitude à se régénérer d’une espèce permet d’évaluer les risques de son extinction et de connaître le dynamisme d’une végétation afin de mettre en place une planification à long terme pour l’exploitation rationnelle de la forêt.
6Les paramètres suivants ont été notés pour toutes les espèces forestières afin d’étudier la régénération naturelle spécifique des zones raphières : la hauteur maximale et le diamètre à hauteur de poitrine (Dhp) (ou diameter at breast height, DBH). L’étude s’est intéressée aux semenciers (individus mâtures de Dhp > 10 cm), capables de fleurir et de fructifier, et aux jeunes plants (individus de Dhp < 10 cm) de l’espèce étudiée (Rothe, 1964). La formule suivante a été utilisée :
où TR est le taux de régénération, n, le nombre de jeunes plants et N, le nombre de semenciers ou individus mâtures.
7Suivant l’échelle de Rothe (1964), l’espèce rencontre des difficultés pour se régénérer lorsque son taux de régénération est inférieur à 100 %. En revanche, sa régénération est bonne quand le taux est compris entre 100 et 999 %, et très bonne quand il est supérieur à 1 000 %.
Mesure de similarité
8Cette mesure permet de comparer la composition floristique des relevés et de connaître leurs affinités. Il a été utilisé afin de calculer le coefficient de similitude de Sorensen (1948), grâce auquel les relevés sont comparés deux par deux en se basant sur le pourcentage d’espèces qu’ils ont en commun. La mesure de similarité permet ainsi de vérifier l’homogénéité des sites au regard de leur composition floristique.
9Elle est exprimée par la formule suivante :
où a est le nombre d’espèces du relevé A, b le nombre d’espèces du relevé B et c, le nombre d’espèces communes aux deux relevés A et B.
10PS est le coefficient de Sorensen, ou indice de similarité de Sorensen, exprimé en pourcentage. Il se traduit par une matrice de Sorensen.
11Deux relevés sont similaires si leur coefficient de similitude est supérieur à 50 %, c’est-à-dire s’ils ont plus d’espèces communes que d’espèces différentes. Deux relevés sont totalement différents lorsque leur coefficient est nul ; ils n’ont alors aucune espèce commune.
Résultats
Richesse floristique
12Au total, 51 espèces appartenant à 47 genres et à 31 familles associées au raphia ont été recensées dans les sites d’étude (tabl. 1).
13Les familles les plus rencontrées sont les suivantes : Cyperaceae, Apocynaceae, Arecaceae, Euphorbiaceae, Fabaceae et Pteridaceae. Le site le plus riche en espèces est Amboaboaka avec 29 espèces, suivi de Antrema et de Antafihiky (22 espèces) puis de Ambahiviky (16 espèces). Certaines espèces sont endémiques, telles que Aloe maroclada L., Cordyla madagascariensis R. Vig., Monanthotaxis sp. Baill., Ravenala madagascariensis Sonn. et Weinmannia rutenbergii Engl.
Tableau 1 – Liste floristique des espèces recensées des sites d’étude.
Noms scientifiques | Noms vernaculaires | Sites d’étude | ||||
Ambahiviky | Amboaboaka | Antafihiky | Antrema | |||
Anacardiaceae | ||||||
Anacardium occidentale L. | Mahabibo | 0 | 1 | 0 | 1 | |
Mangifera indica L. | Manga | 1 | 1 | 0 | 1 | |
Annonaceae | ||||||
Monanthotaxis sp. Baill. | Tsiavaliky | 0 | 0 | 0 | 1 | |
Apiaceae | ||||||
Hydrocotyle bonariensis Comm. ex Lam. | Viliantsahona, Felibay | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Apocynaceae | ||||||
Mascarenhasia lisianthiflora var. | Godroa | 1 | 1 | 1 | 1 | |
Rauvolfia media Pich. | Kabokala | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Voacanga thouarsii Roem. & Schult. | Kaboka | 1 | 1 | 0 | 1 | |
Araceae | ||||||
Typhonodorum lindleyanum Schott | Mangoaka | 0 | 0 | 1 | 1 | |
Raphia farinifera (Gaertn.) Hyl. | Raphia | 1 | 1 | 1 | 1 | |
Asteraceae | ||||||
Erigeron naudii (Ed. Bonnet) G. Bonnier | Jamalanjirika | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Vernonia appendiculata Schreb. | Ambiaty | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Boraginaceae | ||||||
Cordia myxa L. | Mality, Tsimiranja | 0 | 0 | 0 | 1 | |
Bromeliaceae | ||||||
Ananas comosus (L.) Merr. | Mananasy | 0 | 0 | 0 | 0 | |
Caesalpiniaceae | ||||||
Cordyla madagascariensis R. Vig. | Vaivay | 0 | 1 | 0 | 1 | |
Cunoniaceae | ||||||
Weinmannia rutenbergii Engl. | Seraserandambo | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Cyperaceae | ||||||
Cyperus articulatus L. | Voandoa, Beloha | 0 | 0 | 1 | 1 | |
Cyperus prolifer Lam | Kilolololonjaza | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Eleocharis dulcis Min. | Harefo | 0 | 0 | 1 | 1 | |
Fuirena pubescens (Poir.) Kunth | Serasera | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Euphorbiaceae | ||||||
Antidesma petiolare | Taindalitra | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Phyllanthus sp. L. | Sagnira | 0 | 0 | 1 | 1 | |
Uapaca amplifolia Den. | Paka | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Fabaceae | ||||||
Acacia pervillei Bentham | Rohimena | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Acacia mangium Martius | Roitra maitso | 0 | 0 | 0 | 1 | |
Desmodium ramosissimum | Kindro | 0 | 0 | 0 | 1 | |
Tamarindus indica L. | Madiro | 1 | 1 | 1 | 0 | |
Lecythidaceae | ||||||
Barringtonia racemosa | Magnodro | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Marattiaceae | ||||||
Marattia fraxinea Sm. | Firitsimpomby | 1 | 1 | 1 | 1 | |
Melastomataceae | ||||||
Tristemma veruzianum J. F. Gmel. | Voatrotroka | 1 | 1 | 1 | 1 | |
Mimosaceae | ||||||
Albizia bovini Fourn. | Kitsakitsa | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Moraceae | ||||||
Ficus cocculifolia Bak. | Adabo | 0 | 1 | 1 | 0 | |
Ficus megapoda Bak. | Mandresy | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Nephrolepidaceae | ||||||
Nephrolepis undulata Afzel | Felipomby, Felidrafia | 1 | 1 | 1 | 1 | |
Nymphaeaceae | ||||||
Nymphaea stellata Wild | Voahirana | 1 | 0 | 0 | 0 | |
Onagraceae | ||||||
Ludwigia leptocarpa (Nutt.) H. Hara | Rajamena | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Ludwigia octovalis Jacq. | Saboamenabazaha | 1 | 1 | 0 | - | |
Pandanaceae | ||||||
Pandanus dauphinensis Martell | Fandrana | 1 | 1 | 1 | 0 | |
Papilionaceae | ||||||
Mucuna horrida Baill. | Tainkilotra | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Mundulea pauciflora Bak. | Fanamo | 0 | 1 | 1 | 0 | |
Poaceae | ||||||
Eleusine indica (L.) Gaertn. | Tsipiphina | 1 | 1 | 0 | 0 | |
Panicum umbellatum Trin. | Fandraitendro | 0 | 0 | 0 | 1 | |
Pontederiaceae | ||||||
Eichhornia crassipes (Mart.) Solms | Agoago | 1 | 0 | 0 | 0 | |
Pteridaceae | ||||||
Acrostichum aureum L. | Korovola, Korompanzava | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Cyclosorus dentatus (Forssk.) R. C. Ching | Ampanganamalona | 0 | 0 | 0 | 1 | |
Polygonum glabrum (Willd.) M. Gómez | Fotsimbarinakoholahy | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Pteris lanceifolia J. Agardh. Sm. | Korovola, Korompazava | 0 | 1 | 0 | 0 | |
Rubiaceae | ||||||
Adina microcephala Delile | Sohihy | 0 | 0 | 1 | 0 | |
Strelitziaceae | ||||||
Ravenala madagascariensis Sonn. | Ravinala | 1 | 1 | 0 | 1 | |
Thelypteridaceae | ||||||
Pneumatopteris unita (Kze.) Holtt. | Vahindramalony | 1 | 1 | 1 | 1 | |
Zingiberaceae | ||||||
Aframomum angustifolium (Sonn.) K. Schum. | Sento, longozo | 1 | 1 | 0 | 0 | |
Xenorrhaeaceae | ||||||
Aloe macroclada L. | Vahona | 0 | 0 | 0 | 0 |
Densité et régénération naturelle
14La densité des pieds de raphia et la régénération naturelle sont différentes d’un site à un autre (tabl. 2).
Tableau 2 – Taux de régénération naturelle des zones à raphia.
Sites d’étude | Individus (ha) | Densité (individus/ha) | Taux de régénération (%) | |
Individus régénérés (plantules, jeunes et productifs) | Individus semenciers (mâtures) | |||
Ambahiviky | 1 026 | 270 | 1 296 | 380,00 |
Amboaboaka | 1 680 | 77 | 1 757 | 2 180,81 |
Antafihiky | 829 | 643 | 1 472 | 128,92 |
Antrema | 3 613 | 425 | 4 037 | 850,11 |
15Les sites de Antafihiky, Antrema et Ambahiviky ont un bon taux de régénération, supérieur à 100 %. À Amboaboaka, la régénération est excellente.
Mesure de similitude
16L’analyse de similitude des quatre sites d’étude permet de les différencier (tabl. 3).
Tableau 3 – Matrice de Sorensen de tous les sites d’études.
Coefficient de Sorensen (%) | ||||
Sites | Ambahiviky | Antafihiky | Antrema | Amboaboaka |
Ambahiviky | 100 | 42,11 | 52,63 | 62,22 |
Antafihiky | 100 | 45,45 | 39,22 | |
Antrema | 100 | 47,06 | ||
Amboaboaka | 100 |
17Ambahiviky présente des similitudes avec Antrema et Amboaboaka, avec des coefficients de similitude supérieurs ou égaux à 50 % (52,63 et 62,22 % respectivement). Le site de Antafihiky ne présente aucune similitude avec les autres sites étudiés.
Usages des zones raphières
18Les végétaux des zones raphières sont utilisés à des fins thérapeutiques, alimentaires, de construction ou artisanales.
Usages thérapeutiques
19Certaines espèces ont des vertus thérapeutiques, comme Weinmannia rutenbergii (décoction pour lutter contre les toux) ou Aloe maroclada (contre les douleurs de dos) (tabl. 4).
20Le raphia est également utilisé en médecine traditionnelle. Les populations locales font des décoctions des graines ou des fruits du raphia pour soigner la goutte. Les racines sont utilisées pour soigner les plaies, en les broyant puis en les appliquant sur la peau.
Tableau 4 – Vertus thérapeutiques des espèces dans les zones raphières.
Noms scientifiques | Parties utilisées | Maladies concernées | Modes de préparation |
Abrus precatorius L. | Feuille | Toux sèche | Faire une décoction des feuilles fraîches |
Aframomum angustifolium (Sonn.) K. Schum. | Racine, feuille, fruit mûr | Toux | Faire une décoction |
Aloe maroclada L. | Feuille | Douleurs de dos, plaies | Appliquer directement la pulpe sur la partie douloureuse et les plaies |
Anacardium occidentale L. | Écorce et feuille | Diabète, diarrhées | Faire une décoction |
Barringtonia racemosa (L.) Spreng. | Feuille | Maux de ventre | Faire une décoction |
Hydrocotyle bonariensis Comm. ex Lam. | Plante entière | Plaies | Appliquer localement |
Maux d’estomac | Faire une décoction | ||
Ludwigia octovalis Jacq. | Feuille et racine | Douleurs menstruelles | Faire une décoction |
Mangifera indica L. | Feuille | Maux de ventre, paludisme | Faire une décoction |
Pneumatopteris unita (Kze.) Holtt. | Feuille | Douleurs articulaires | Faire une décoction |
Psidium guajava L. | Feuille | Maux de dents | Mâcher |
Raphia farinifera (Gaertn.) Hyl. | Racine | Plaies | Appliquer sur la plaie |
Tamarindus indica L. | Feuille, écorce | Maux d’estomac, diurétique | Faire une décoction |
Weinmannia rutenbergii Engl. | Feuille | Toux | Faire une décoction |
Services écologiques
21Les marécages à raphia de Ambahiviky et Amboaboaka constituent une source d’eau pour les populations locales du fokontany Ankilahila. Les populations locales de Antafihiky et de Antrema bénéficient aussi de ce service.
22Les fruits des raphias sont collectés pour la consommation des populations locales. Quand ils ne sont pas collectés volontairement, ils assurent la régénération des zones à raphia.
23Le bourgeon terminal, ou cœur, est apprécié pendant la période de soudure par les populations locales. Les jeunes frondes des fougères comestibles Nephrolepis undulata Afzel., épiphyte du raphia, sont consommées comme légumes par les populations locales, surtout pendant la période de soudure (octobre à mars).
Usages du raphia dans la construction ou l’artisanat
24Le raphia est très utilisé dans la construction d’habitations (charpentes, murs, parois, cloisons, etc.), faite avec le baobao, ou maivanaty, issu du rachis débité (nervure principale) des feuilles. Ces produits sont utilisés également pour délimiter les parcs à bœufs. Le rachis débité en minces lamelles sert également à la confection du van (plateau pour vanner le riz) ou sahafa. Les pétioles minces servent de lattes transversales pour la construction des cases traditionnelles. D’autres espèces sont destinées à la construction, comme Ravenala madagascariensis pour la construction des maisons traditionnelles.
25Le raphia sert également à l’artisanat. La fibre est obtenue à partir de l’épiderme inférieur et du sclérenchyme sous-épidermique (membrane située sous chaque feuille de fronde). La membrane est décollée pour créer une fibre longue et mince appelée « raphia », (rofia) utilisée pour la confection des nattes, paniers, vêtements et sacs, ainsi que pour la fabrication de cordage.
26La nervure secondaire des feuilles donne le kira, sous-produit obtenu après avoir enlevé les fibres. Dans les sites d’étude, le kira est utilisé pour la construction du rovanakoho, un poulailler de forme pyramidale. Les pêcheurs traditionnels utilisent aussi le kira pour la fabrication des nasses (treko) et de pièges à poissons (valankira)
27Le stipe, ou faux tronc du raphia, est utilisé pour confectionner des pots de fleurs ; le stipe est alors coupé et son intérieur est retiré.
Pressions
28Deux types de pressions sont observés dans tous les sites d’étude.
Pressions d’origine anthropique
29Le feu est le premier facteur de dégradation des marécages à raphia. Les feux sont dus aux éleveurs qui les utilisent pour entretenir et régénérer les pâturages de leurs animaux. Par ailleurs, une exploitation illicite des raphias est pratiquée, surtout en dehors de la période de collecte des pétioles, à Ambahiviky, Amboboaka et Antafihiky.
Pressions d’origine naturelle
30Les cyclones, très importants chaque année dans la partie nord-ouest de Madagascar, ravagent les zones raphières. Vents violents et fortes pluies font tomber les pieds et feuilles de raphia, entraînant la fin de leur développement. Les rizières sont ensablées et les jeunes plantules souffrent de la présence des potamochères (piétinement pour chercher leur nourriture).
Discussion et recommandations
31La densité des pieds de raphias varie d’un site étudié à un autre. En effet, elle est moyenne à Ambahiviky, Amboaboaka et Antafihiky, alors qu’elle est très élevée à Antrema. Le statut des sites d’étude a un impact sur les densités des pieds de raphia, puisque Antrema est localisé dans une aire protégée. Cela a également été constaté à Ankijabe (district de Ambato Boeni), où la densité est de 2 678 individus/ha dans des raphières gérées par la communauté locale Coba (Étude et Conseils Plus, EC Plus 2001).
32La régénération naturelle des zones raphières varie également selon le site d’étude. Le taux de régénération est bon dans les quatre sites, mais Antrema se distingue avec un très bon taux. En effet, dans ce site protégé, les pressions sont moins importantes, en particulier les feux de brousse, ou les piétinements des sangliers.
33Les zones à raphia sont des formations forestières très riches qui abritent des espèces endémiques. La forêt marécageuse de Hlanzoun, l’une des dernières forêts marécageuses du Sud-Bénin, dispose également d’une flore et d’une faune riches et uniques. Cette riche biodiversité est encore largement méconnue (Alladatin, 2011).
34Le feu provoque la perte de nombreuses espèces dans ces zones. Allumés la plupart du temps par les éleveurs (feux de pâturage), ces feux sont parfois incontrôlés et se transforment en feux de forêt (MEFT et CI, 2009), causant des dégâts importants dans les peuplements naturels. Les pressions naturelles ne sont également pas négligeables, celles des cyclones en particulier qui ravagent régulièrement les zones raphières (Rakotoarinivo, 2008).
35Concernant les usages, le raphia est très utilisé par les populations des sites étudiés, en médecine traditionnelle ou pour la construction et l’artisanat. Ratsirarson (1998) a également cité l’utilisation du raphia à Madagascar pour la fabrication de cordage et de mobilier, en vannerie pour la confection de chapeaux, de corbeilles, de sandales ou de revêtements muraux, mais aussi pour faire les toitures des cases d’habitation (avec les feuilles), etc. En Afrique sahélienne, le raphia est également très utilisé dans la vie quotidienne des populations locales, ainsi qu’en médecine traditionnelle (Pousset, 1998). Les pétioles de raphia sont également utilisés en Guinée pour faire les nasses de pêche et pour fabriquer des lits traditionnels (tara) (Ouattara et al., 2014).
36Tenant compte de ce contexte et pour pérenniser les zones à raphia, il est nécessaire qu’elles soient gérées par les communautés locales qui sont les plus à même de mettre en œuvre des mesures de protection. La restauration des zones raphières dégradées doit se faire dans chaque localité, afin de préserver la richesse floristique.
37Le contrôle des feux et le respect de la période de collecte des pétioles sont à préconiser. Même si les communautés locales sont déjà formées, le renforcement de leurs capacités est nécessaire en matière de conservation biologique, d’exploitation et de valorisation durables.
Conclusion
38Ce travail s’est fixé comme objectif d’approfondir les connaissances sur les zones raphières malgaches en vue de contribuer à leur conservation et à leur gestion durable. Notre étude a été menée dans la partie ouest de Madagascar, dans la région de Boeny, où les surfaces raphières sont très importantes. Le genre Raphia est probablement le palmier le plus utilisé et le plus exploité des zones tropicales d’Afrique et de l’océan Indien intertropical.
39Outre le raphia, les autres espèces végétales, parfois endémiques, présentes dans les raphières de Madagascar offrent également de nombreux avantages et fournissent divers produits utiles dans la vie quotidienne des communautés locales.
40Le travail de terrain a permis de relever de nombreuses données floristiques sur les zones à raphia, ce qui a permis d’estimer l’état de leur dégradation et de préconiser des mesures adaptées pour inverser cette tendance. D’importantes informations sur les usages ont été obtenues auprès des communautés locales.
41Ce travail montre que différents facteurs interviennent dans le développement et la conservation des raphias. Il est donc primordial que toutes les parties prenantes (État, communautés locales, collecteurs, populations) soient sensibilisées à la préservation et à la conservation de cette ressource naturelle. L’amélioration de l’état des zones raphières est cruciale ; elle peut se faire par leur restauration grâce à des reboisements de jeunes plants et par la régénération naturelle, par l’exploitation rationnelle des pétioles, ainsi que par la formation et/ou le renforcement des capacités des communautés locales sur les pratiques d’exploitation des raphias. Pour conserver et gérer de façon rationnelle et durable les zones raphières, la sensibilisation des populations locales au respect du calendrier d’exploitation des feuilles de raphia est très importante. Il est également nécessaire de les inciter à réduire la dégradation de ces zones.
Bibliographie
Alladatin J., 2011
L’exploitation du raphia dans la forêt marécageuse Halanzoun : entre contribution au développement socio-économique et dégradation des ressources naturelles, Open Édition Journals, 20.
Braun-Blanquet, 1965
Plant sociology. The study of plant communities. Hafner publishing company, New York and London, 439 p.
Duvigneaud P., 1980
La synthèse écologique. Populations, communautés, écosystèmes, biosphère, noosphère. Dion éditions, Paris, 380 p.
EC Plus (Études et Conseil Plus), 2001
Étude sur la filière raphia dans les ZSI d’Ankazomborona, Ankijabe, Tsararano Mahajanga. Rapport final. LDI, Cirad, Antananarivo, 72 p.
Green G. M., Sussman R. W., 2004
Deforestation history of the eastern rain forests of Madagascar from satellites images. Sciences, New Series, 248 (4952) : 212-215.
Gueye B., 1991
Introduction à la méthode accélérée de recherche participative (Marp/Rapid rural appraisal (RRA) : quelques notes pour appuyer une formation pratique. IIED, Londres, 73 p.
MEFT, CI, 2009
Évolution de la couverture de forêts naturelles à Madagascar, 1990-2000-2005. 58 p. + annexes.
Ouattara D. N, Stauffer F. W., Bakayoko A., 2014
Lectotypification de Raphia sudanica A. Chev. (Arecaceae, Calamoideae), avec commentaires sur la biologie et la conservation de l’espèce. Adansonia, 36 (1) : 53-61.
Pousset J. L, 1998
Plantes médicinales africaines. Utilisation pratique. Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), éditions Ellipses Marketing, 156 p.
Rakotoarinivo M., 2008
Analyse de la distribution et de la conservation des palmiers (Arecaceae) de Madagascar par l’utilisation du système d’information géographique. Thèse de doctorat, département Biologie et Écologie végétale, faculté des Sciences, université d’Antananarivo. 203 p.
Ratsirarson J., 1998
« Les palmiers ». In Recherche pour le développement, ministère de la Recherche scientifique, Antananarivo, série Sciences biologiques, 14 : 101-106.
Rollet B., 1983
Régénération naturelle dans les trouées. Un processus général de la dynamique des forêts tropicales humides. Bois et forêts des tropiques, 201 : 3-19.
Rothe P. L., 1964
Régénération en forêt tropicale. Le « Dipterocarpus deyrei » sur le versant cambodgien du Golfe de Siam. Bois et forêts des tropiques : 386-397.
Sorensen T., 1948
A method of establishing groups of equal amplitude in plant sociology based on similarity of species content. Det Kongelige Danske Videnskabernes Selskab. Biologiske Skrifter, B Ind V, Nr. 4, Copenhagen. 44 p.
Auteurs
Agronome, écologue, école doctorale « Écosystèmes naturels », Institut universitaire de technologies et d’agronomie de Mahajanga, université de Mahajanga, Madagascar.
Bryologue, écologue, école doctorale « Écosystèmes naturels », faculté des Sciences, de Technologies et de l’Environnement, université de Mahajanga, Madagascar.
Écologue, géomaticien, école doctorale « Écosystèmes naturels », faculté des Sciences, de Technologies et de l’Environnement, université de Mahajanga, Madagascar.
Botaniste, école doctorale « Écosystèmes naturels », faculté des Sciences, de Technologies et de l’Environnement, université de Mahajanga, Madagascar.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Du social hors la loi
L’anthropologie analytique de Christian Geffray
Yann Guillaud et Frédéric Létang (dir.)
2009
Gestion durable des eaux et des sols au Maroc
Valorisation des techniques traditionnelles méditerranéennes
Éric Roose, Mohamed Sabir et Abdellah Laouina
2010
Madagascar face au défi des Objectifs du millénaire pour le développement
Bénédicte Gastineau, Flore Gubert, Anne-Sophie Robilliard et al. (dir.)
2010
Le projet majeur africain de la Grande Muraille Verte
Concepts et mise en œuvre
Abdoulaye Dia et Robin Duponnois (dir.)
2010
La Grande Muraille Verte
Capitalisation des recherches et valorisation des savoirs locaux
Abdoulaye Dia et Robin Duponnois (dir.)
2012
Parcours de recherche à Madagascar
L’IRD-Orstom et ses partenaires
Christian Feller et Frédéric Sandron (dir.)
2010
Pratiques et représentations linguistiques en Guyane
Regards croisés
Isabelle Léglise et Bettina Migge (dir.)
2008
Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest
Benjamin Sultan, Richard Lalou, Mouftaou Amadou Sanni et al. (dir.)
2015
Aires marine protégées ouest-africaines
Défis scientifiques et enjeux sociétaux
Marie Bonnin, Raymond Laë et Mohamed Behnassi (dir.)
2015