Chapitre 16. Champignons sauvages comestibles et savoirs traditionnels du Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire
p. 251-271
Remerciements
Nous remercions le programme « Sud Expert Plantes Développement Durable » (SEP2D) pour le financement du projet AAP2-21 attribué au Pr Marie-Solange Tiébré. Nous remercions également le Programme d’appui stratégique à la recherche scientifique (Pasres) du Centre suisse de recherche scientifique pour le financement attribué à Mlle Mireille Stéphanie Pitta Badjo (projet PASRES n° 183). Nos remerciements vont également à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique et, à travers lui, à l’Initiative pour la taxinomie globale (GTI) et au jardin botanique Meise de Belgique pour, respectivement, le soutien financier et la formation taxonomique du Dr Gouvé Claver Yian.
Texte intégral
Introduction
1Les champignons sauvages comestibles sont des produits forestiers non ligneux qui jouent un rôle essentiel dans l’alimentation des populations rurales et contribuent à leur bien-être (Yian et Tiébré, 2018). En effet, ils sont des aliments de substitution aux protéines animales et sont aussi consommés pour leur valeur nutritionnelle et leur saveur inégalée (Zoho Bi et al., 2016). Selon De Kesel et al. (2017), la faible valeur énergétique des champignons fait d’eux un aliment particulièrement prisé des adeptes de régimes diététiques. Cette ressource, en plus d’être consommée, fait l’objet de commercialisation, constituant ainsi une source de revenus pour les populations (Härkönen et al., 2015). En effet, dans certains pays d’Afrique comme le Burundi, la République démocratique du Congo et la Zambie, la commercialisation des champignons comestibles constitue une activité économique qui implique des milliers de femmes rurales (Koné et al., 2013). Les espèces du genre Auricularia, Amanita, Cantharellus, Termitomyces et Schizophyllum ont une grande valeur économique et un fort potentiel commercial (De Kesel et al., 2017). Les champignons sauvages comestibles sont également utilisés en pharmacopée traditionnelle (Kouagou et al., 2016). Des espèces, telles que Auricularia delicata, Pleurotus tuberregium, Psathyrella tuberculata et Schizophyllum commune, sont utilisées dans le traitement de diverses pathologies comme la bilharziose, l’inflammation, l’épilepsie, les furoncles, les hémorroïdes, l’hypertension et les tumeurs malignes (Yian et al., 2020). Sur 300 espèces de champignons sauvages comestibles répertoriées en Afrique subsaharienne, plus d’une soixantaine ont des vertus utilitaires (Rammeloo et Walleyn, 1993 ; De Kesel et al., 2002). Les études scientifiques ont ainsi démontré des savoirs traditionnels sur les champignons utiles qu’il convient de valoriser (Yian et al., 2020). Ces connaissances, souvent liées aux usages, sont aujourd’hui menacées de disparition du fait de la déforestation accrue et de l’urbanisation (Eyi NDong, 2009). Tous ces facteurs ont suscité un intérêt grandissant de la communauté scientifique pour la valorisation des savoirs traditionnels sur les champignons comestibles (De Kesel et al., 2002 ; Eyi NDong, 2009 ; Boni et Yorou, 2015 ; Kouagou et al., 2016 ; Soro et al., 2019 ; Yian et al., 2020).
2En Côte d’Ivoire, ces dernières années, les études sur les champignons sauvages comestibles ont connu une avancée notable (Yian et Tiébré, 2018 ; Soro et al., 2019). Ces études ont démontré que les communautés rurales utilisent de diverses manières les champignons et que les connaissances mycologiques varient d’une localité à une autre (Yian et al., 2020). Toutefois, l’évaluation des connaissances endogènes reste fragmentaire et circonscrite aux régions Nord-Est, Centre et Sud (Pitta et al., 2020). La région Sud-Ouest a fait l’objet de peu d’études mycologiques (Soro et al., 2019). Fort de ce constat, il est apparu judicieux d’initier des travaux sur les champignons sauvages comestibles et les savoirs traditionnels de cette région de la Côte d’Ivoire qui abrite le parc national de Taï (Coulibaly, 2018) susceptible de renfermer de nombreuses espèces de champignons. La présente étude s’est fixée pour objectif général de contribuer à une meilleure connaissance des savoirs traditionnels sur les champignons sauvages comestibles du Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire. De façon spécifique, il s’est agi de (1) recenser les champignons utiles aux populations, afin d’en mesurer la diversité, et (2) d’identifier les usages qu’en font les communautés. L’hypothèse émise est que, dans la région Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire, les champignons sont utilisés de façon diversifiée par les communautés rurales.
Matériels et méthodes
Site de l’étude
3L’étude a été menée dans la région Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire, précisément dans la localité de Soubré (fig. 1), entre les latitudes 5°19 et 6°34 Nord et les longitudes 7°08 et 6°12 Ouest. Cette localité couvre une superficie d’environ 8 500 km2 et abrite une population de 464 554 habitants (RGPH, 2014). La végétation originelle est une forêt dense humide sempervirente à Eremosphata macrocarpa Mann & H. Wendl et Diospyros mannii Hiern (Guillaumet et Adjanohoun, 1971). Aujourd’hui, cette végétation subit une forte régression du fait d’une pression anthropique croissante (Yian et Tiébré, 2018) induisant une fragmentation des forêts denses en îlots de forêts, jachères et exploitations agricoles. La population autochtone de cette localité est constituée majoritairement de Bakwé, qui occupent le sud, de Bété localisés au centre et à l’est, et des Kouzié au nord (Martinet, 1975). On y rencontre également une forte communauté allochtone et allogène constituée principalement de Baoulé et de Burkinabé.
Collecte des données
4Pour la réalisation de l’enquête ethnomycologique, le choix des localités et des enquêtés a été basé sur l’importance des groupes ethniques (en termes de nombre d’individus) présents dans la zone d’étude. Ainsi, trois groupes sociolinguistigues, ou ethniques, ont été identifiés. Il s’agit des Bété, des Bakwé et des Baoulé. En vue de réaliser un échantillonnage représentatif, deux villages ont été retenus par groupe sociolinguistique, soit un total de six villages. Il s’agit des villages de Sayo et Badayo pour les Bété, de Zadikro et de Kouamékro pour les Baoulé, de Kpéhiri et de Gnamandji pour les Bakwé (fig. 1). Un échantillon de 147 personnes, composé de 71 hommes et de 76 femmes, a été interrogé, 50 personnes respectivement chez les Bété et les Bakwé et 47 chez les Baoulé. L’âge des enquêtés était compris entre 16 et 80 ans. Les enquêtes ont été menées individuellement à l’aide d’un questionnaire semi-structuré (De Kesel et al., 2002), qui reprenait le profil de l’enquêté (l’âge, le sexe, l’ethnie, le niveau d’instruction), le nom vernaculaire des espèces de champignons et leurs usages. Un catalogue de 38 champignons comestibles de la zone forestière de Côte d’Ivoire, recensés par Yian et Tiébré (2018), a été présenté aux enquêtés afin de les aider à identifier et à attribuer un nom vernaculaire.
5Pour évaluer les usages des groupes ethniques, la méthode adoptée par Kouagou et al. (2016) a été utilisée. Lors des enquêtes, il a été demandé à chaque enquêté d’attribuer des scores en fonction du degré d’utilisation des espèces. Ces scores ont été utilisés pour calculer les valeurs d’usage par catégorie et par groupe ethnique. Les scores 3, 2 et 1 correspondent respectivement à une espèce fortement, moyennement et faiblement utilisée par l’enquêté. Le score 0 correspond à une espèce non utilisée.
Analyse des données
6Les données d’enquête ont été saisies à l’aide du logiciel Excel, afin de dresser la liste des espèces utiles. Cette dernière a été ensuite confrontée aux données issues de la littérature pour confirmer la comestibilité des espèces concernées (Yian et al., 2020). Cette liste a également servi à calculer la fréquence de citation des espèces, les valeurs d’usage, les indices de diversité et d’équitabilité, ainsi que le test de similarité de Sorensen.
Fréquence de citation
7La fréquence de citation a été déterminée pour identifier les espèces les plus utilisées par les enquêtés. La fréquence de citation (F) d’une espèce correspond au rapport entre le nombre d’enquêtés (n) ayant cité l’espèce et le nombre total d’enquêtés (N) (Badjaré et al., 2018) :
Valeur d’usage ethnomycologique
8La valeur d’usage d’une espèce donnée k (VU(k)) a été déterminée pour identifier de façon significative les espèces ayant une grande valeur d’utilisation au sein des différents groupes ethniques de la zone d’étude. Cette formule a été utilisée par Philips et Gentry (1993) et Camou-Guerrero et al. (2008). Elle permet de déterminer la catégorie d’usage ayant la plus grande valeur d’utilisation. Les catégories d’usage identifiées dans la présente étude sont : alimentaire (VUA), médicinale (VUM) et commerciale (VUC). Pour chaque espèce, la valeur d’usage moyenne pour la catégorie considérée dans cette étude, en tenant compte des scores attribués par les enquêtés, varie de 0 (minimum) à 3 (maximum) (Dossou et al., 2012). La valeur d’usage moyenne a été calculée à partir de la formule mathématique suivante :
où VU(k) est la valeur d’usage ethnomycologique de l’espèce k au sein d’une catégorie d’usage donnée, Si le score d’utilisation attribué par le répondant i et N le nombre de répondants pour une catégorie d’usage donnée.
Valeur d’usage totale
9La valeur d’usage totale de l’espèce k dans chaque groupe sociolinguistique a été calculée en faisant la somme des valeurs d’usage de l’espèce au sein des différentes catégories d’usage dans le groupe ethnique concerné. Elle a été calculée pour identifier les espèces de champignons ayant la plus forte valeur d’utilisation. La valeur d’usage moyenne totale pour la catégorie considérée dans cette étude, en tenant compte des scores attribués par les enquêtés, varie de 0 (minimum) à 9 (maximum) (Dossou et al., 2012). La formule mathématique est la suivante :
où VU(T) représente la valeur d’usage totale de l’espèce, VU la valeur d’usage de l’espèce pour une catégorie d’usage donnée et p le nombre de catégories d’usage.
Indice de diversité spécifique de l’enquêté
10L’indice de diversité (ID) a été calculé pour traduire le degré d’homogénéité des connaissances entre les groupes sociolinguistiques et comparer le niveau de connaissance et le savoir traditionnel (Byg et Balslev, 2001). Cet indice mesure le nombre d’enquêtés qui utilisent une espèce donnée et la façon dont cette connaissance est répartie entre les enquêtés. Sa valeur varie entre 0 et le nombre d’enquêtés utilisant l’espèce (IDmax).
11Quand ID tend vers 0, la diversité est très faible, et il existe une homogénéité relative des connaissances sur les espèces de champignons au sein des enquêtés. Lorsqu’il tend vers n (ID max), la diversité est élevée, et les connaissances sur les champignons ne sont pas homogènes au sein des enquêtés.
où pi est le nombre d’usages cités par l’enquêté ‘e’ pour une espèce donnée, divisé par le total d’usages cités pour l’espèce (considérant tous les enquêtés).
Indice d’équitabilité de l’enquêté
12L’indice d’équitabilité (IE) a été calculé pour mesurer le degré d’homogénéité des connaissances des enquêtés (Byg et Balslev, 2001). Cette valeur traduit le degré d’homogénéité des connaissances entre les groupes sociolinguistiques. C’est la valeur de l’indice de diversité (ID) divisée par la valeur maximale de l’indice de diversité (ID max). Il est compris entre 0 et 1.
13Lorsque IE tend vers 0, les connaissances mycologiques sont détenues par un petit nombre d’enquêtés. Lorsqu’il tend vers 1, les connaissances mycologiques sont détenues par un grand nombre d’enquêtés.
Le test de similarité de Sorensen
14Le test de similarité de Sorensen (K) a été utilisé pour vérifier si les groupes ethniques pris deux à deux exploitent les mêmes espèces de champignons. Il est déterminé à travers la formule mathématique suivante :
où a correspond aux espèces utilisées par les deux groupes ethniques, c espèces utilisées par le groupe 1 et b par le groupe 2.
15Si K est supérieur à 50 %, alors les deux groupes exploitent les mêmes espèces de champignons.
Résultats
Diversité des champignons comestibles
16Dans cette étude, 35 espèces de champignons comestibles ont été citées. Ces champignons sont repartis entre 24 genres et 14 familles (tabl. 1). Les noms vernaculaires donnés aux champignons diffèrent d’un groupe ethnique à un autre. Chez les Bété, le nom attribué à l’ensemble des champignons est « woh », « wohou » en bakwé et « n’dré » en baoulé. Sur l’ensemble des espèces répertoriées, les Bété attribuent au moins un nom local à 25 espèces contre un nom local à 24 espèces chez les Baoulé. En ce qui concerne les Bakwé, au moins un nom local est attribué à neuf espèces.
17Les espèces les plus citées sont Volvariella volvacea (23,95 %) et Psathyrella tuberculata (22,40 %). Ensuite, viennent les espèces telles que Termitomyces meduis (8,09 %), Termitomyces letestui (7,78 %) et Lentinus squarrosulus (7,31 %) (fig. 2 et 3). Les espèces telles que Coprinus sp., Termitomyces schimperi et Auricularia cornea ont une fréquence de citation de 5 %. Les espèces dont la fréquence de citation est comprise entre 3 et 1 % sont Marasmiellus inoderma (2,64 %), Lepiota sp. (2,2 %), Psathyrella sp. (1,56 %), Termitomyces microcarpus (1,40 %), Termitomyces sp. (1,40 %), Macrolepiota dolichaula (1,09 %) et Pleurotus tuberregium (1,09 %). Enfin, les vingt espèces les moins citées ont des fréquences inférieures à 0,5 %.
Tableau 1 – Les espèces de champignons comestibles recensées et leurs noms vernaculaires, Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire.
N° | Espèces | Familles | Noms bétés | Noms bakwés | Noms baoulés | Références bibliographiques |
1 | Agaricus sp. L. | Agaricaceae | - | - | - | Kouassi (2012) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) |
2 | Agrocybe elegantior Watling | Strophariaceae | - | - | Duiti | Yian et Tiébré (2018) |
3 | Auricularia cornea Ehrenb. | Auriculariaceae | Youclitrata | - | Cocotissankpo/ Bokessou | Ebika et al. (2018) ; Kouagou et al. (2016) ; Yian et Tiébré (2018) |
4 | Chlorophyllum cf. molybdites (G. Mey.) Massee | Agaricaceae | - | - | Di n’ti | Boni et Yorou (2015) ; Fadeyi et al. (2017) ; Kouassi et al. (2007) ; Locquiun (1954) ; Yian et Tiébré (2018) |
5 | Collybia aurea (Beeli) Pegler | Tricholomataceae | - | Fofrowohou | - | Yian et Tiébré (2018) |
6 | Coprinus africanus Pegler | Coprinaceae | Lèglèlelou | - | N’gonizon | Kouassi et al. (2007) ; Yian et Tiébré (2018) |
7 | Coprinus sp. | Coprinaceae | Lolié | Segredorou | Akodré | Kouagou et al. (2016) ; Yian et Tiébré (2018) |
8 | Gymnopilus zenkeri (Henn) Singer | Strophariaceae | Kpatrozorô/ Dabadjrè | - | - | Ebika et al. (2018) ; Eyi NDong (2009) ; Thiombiano et Kampmann (2010) ; Yian et Tiébré (2018) |
9 | Hohenbuehelia aurantiocystis Pegler | Pleurotaceae | Pkatra | - | - | Yian et Tiébré (2018) |
10 | Lentinus squarrosolus Mont. | Polyporaceae | Gomé/Wregbao/ Gbalapeu/Koutin | Sapognakou | Independance/ Okessou | Boni et Yorou (2015) ; Ebika et al. (2018) ; Eyi NDong (2009) ; Fadeyi et al. (2017) ; Kouagou et al. (2016) ; Codjia et Yorou (2014) ; Kouassi (2012) ; Soro et al. (2019) ; Thiombiano et Kampmann (2010) ; Yian et Tiébré (2018) ; Yorou et De Kesel (2001) |
11 | Lepiota sp. (Pers.) Gray | Agaricaceae | Lolia | - | Gloglo | Kouassi, (2012) ; Yian et Tiébré (2018) |
12 | Leucoagaricus carminescens Heinem. | Agaricaceae | Trougbolié | - | - | Yian (2018) |
13 | Leucoagaricus cf. americanus (Peck) Vellinga | Agaricaceae | Blayèrè | - | Sourema/Boyéfè akoia | Kouassi (2012) ; Yian et Tiébré (2018) |
14 | Leucocoprinus cretatus (Bill.) Locq | Agaricaceae | Blayèré | - | Akouatika n’dré | Kouassi (2012) ; Yian et Tiébré (2018) |
15 | Leucocoprinus sp. | Agaricaceae | - | - | - | |
16 | Macrolepiota dolicha (Berk. & Broome) Pegler & R. W. Rayner | Agaricaceae | Noplipli/ Troglé popa/Gana | - | Klèdrin | Yian et Tiébré (2018) |
17 | Marasmiellus inoderma (Berk.) Singer | Marasmiaceae | Yèyè/Gardjia | - | Gba/Patrapari | Kouassi (2012) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) |
18 | Marasmius sp. | Marasmiaceae | - | Katehowou | - | Codjia et Yorou (2014) |
19 | Pleurotus flabellatus (Berk. & Br.) Sacc. | Pleurotaceae | Kpatra | - | Oké soupkô | Eyi NDong (2009) ; Yian et Tiébré (2018) |
20 | Pleurotus tuberregium (Fr.) Fr. | Pleurotaceae | Boutroua | - | - | Boni et Yorou (2015) ; Ebika et al. (2018) ; Eyi NDong (2009) ; Kouagou et al. (2016) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) |
21 | Pluteus cf. congolensis Beeli | Plutaceae | - | - | Alopko | Kouassi (2012) ; Yian et Tiébré (2018) |
22 | Pluteus sp. | Plutaceae | - | - | - | Kouagou et al. (2016) ; Yian (2018) |
23 | Polyporus tenuiculus (P. Beauv.) Fr. | Polyporaceae | Grègrè | - | Ako n’dré | Ebika et al. (2018) ; Kouagou et al. (2016) ; Yian (2018) |
24 | Psathyrella atroumbonata Pegler | Psathyrellaceae | Kpatro | - | N’dréblé | Kouassi (2012) ; Yian et Tiébré (2018) |
25 | Psathyrella sp. | Psathyrellaceae | Kpatro | Kpatro | N’dréblé | Soro et al. (2019) ; Yian (2018) |
26 | Psathyrella tuberculata (Path.) A. H. Smith | Psathyrellaceae | Kpatro | Kpatro | N’dréblé/ N’dréwa | Boni et Yorou (2015) ; Fadeyi et al. (2017) ; Kouagou et al. (2016) ; Kouassi (2012) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) ; Yorou et De Kesel (2001) |
27 | Schizophyllum commune Fr. | Schizophyllaceae | Koitè | - | Gblongblon | Ebika et al. (2018) ; Eyi NDong (2009) ; Kouagou et al. (2016) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) |
28 | Termitomyces letestui (Pat.) R. Heim | Lyophyllaceae | Biligopieu | Founonon | N’glo | Boni et Yorou (2015) ; Codjia et Yorou (2014) ; Fadeyi et al. (2017) ; Heim (1936) ; Koné et al. (2013) ; Kouagou et al. (2016) ; Kouassi (2012) ; Rammeloo et Walleyn (1994) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) ; Yorou et De Kesel (2001) |
29 | Termitomyces medius R. Heim & Grassé | Lyophyllaceae | Glaglè | - | Nandroh | Boni et Yorou (2015) ; Ducousso et al. (2003) ; Fadeyi et al. (2017) ; Koné et al. (2013) ; Kouassi (2012) ; Soro et al. (2019) ; Thiombiano et Kampmann (2010) ; Yian et Tiébré (2018) |
30 | Termitomyces microcarpus (Berk. & Broome) R. Heim | Lyophyllaceae | Zohré | yéyé | Wonisien n’dré | Eyi NDong (2009) ; Kouagou et al. (2016) ; Kouassi (2012) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) |
31 | Termitomyces schimperi (Pat.) R. Heim | Lyophyllaceae | Dradra | - | Welen’ gbli n’dré/ Famien n’glo | Boni et Yorou (2015) ; Kouagou et al. (2016) ; Soro et al. (2019) ; Thiombiano et Kampmann (2010) ; Yian et Tiébré (2018) ; Yorou et De Kesel (2001) |
32 | Termitomyces sp. | Dradra/Trogbellié | - | - | Gbrongbron | Soro et al. (2019) |
33 | Trogia infundibuliformis Berk. & Broome | Marasmiaceae | Eyi NDong (2009) ; Kouagou et al. (2016) ; Yian (2018) | |||
34 | Volvariella volvacea (Bull.) Singer | Plutaceae | Yagbouah/Bôlor | Wataou/Bôlor | Boyéfè | Ebika et al. (2018) ; Eyi NDong (2009) ; Codjia et Yorou (2014) ; Kouagou et al. (2016) ; Soro et al. (2019) ; Thiombiano et Kampmann (2010) ; Yian et Tiébré (2018) ; Yorou et De Kesel (2001) |
35 | Volvopluteus earlei (Murrill) Vizzini | Plutaceae | Loolia | - | - | Boni et Yorou (2015) ; Kouassi (2012) ; Soro et al. (2019) ; Yian et Tiébré (2018) ; Yorou et De Kesel (2001) |
Usages et valeurs d’usage des champignons comestibles
18Les populations locales définissent globalement trois usages, à savoir les usages alimentaires, médicinaux et commerciaux (tabl. 2). Les Bété identifient 27 espèces à usage alimentaire, trois à usage médicinal et une à usage commercial. Chez les Bakwé, ce sont 24 espèces alimentaires, trois médicinales et une espèce commerciale qui sont citées. En ce qui concerne les Baoulé, 26 espèces alimentaires, deux médicinales et une commerciale sont répertoriées (tabl. 2). La plupart des espèces citées par les groupes ethniques présentent des valeurs d’usage alimentaire élevées. Les espèces ayant les valeurs d’usages les plus élevées (tous usages et tous groupes ethniques confondus) sont Volvariella volvacea et Psathyrella tuberculata. V. volvacea présente les valeurs d’usage totales de 5,28 chez les Bété, 5,02 chez les Bakwé et 5,53 chez les Baoulé. Quant à P. tuberculata, les valeurs d’usage totales sont respectivement de 2,38 chez les Bété, 1,8 pour les Bakwé et 2,55 chez les Baoulé. V. volvacea est utilisée dans les trois catégories d’usage contrairement à P. tuberculata, dont l’usage commercial n’a pas été mentionné.
19Concernant la valeur d’usage médicinal, seules cinq espèces sont mentionnées par l’ensemble des trois groupes ethniques. Il s’agit de Collybia aurea, Pleurotus tuberregium, Psathyrella tuberculata, Termitomyces schimperi et Volvariella volvacea. Parmi ces espèces, trois ont une valeur d’usage médicinal chez les Bété : Pleurotus tuberregium (0,18), Psathyrella tuberculata (0,24) et Termitomyces schimperi (0,06). Chez les Bakwés, les espèces présentant des valeurs d’usage médicinal sont Collybia aurea (0,06), Psathyrella tuberculata (0,06) et Volvariella volvacea (0,06). Chez les Baoulé, deux espèces ont des valeurs d’usage médicinal. Il s’agit de Psathyrella tuberculata (0,32) et Volvariella volvacea (0,06). Il ressort que la valeur d’usage médicinal calculée pour l’ensemble des espèces est inférieure à 1. Psathyrella tuberculata est la seule espèce utilisée par les trois groupes ethniques pour se soigner. Les espèces avec des valeurs d’usage non mentionnées, ne sont pas utilisées par les groupes ethniques.
20Les indices de diversité sont très faibles au sein des groupes sociolinguistiques, avec la grande majorité inférieure à la moitié de la valeur maximale de l’indice de diversité (tabl. 3). Les connaissances mycologiques sont donc homogènes au sein des enquêtés. Chez les trois groupes sociolinguistiques, les indices d’équitabilité sont inférieurs à 0,5, ce qui montre la faible répartition des connaissances mycologiques au sein des enquêtés : seul un petit nombre d’entre eux les détient. Les résultats du test de Sorensen montrent des valeurs inférieures à 50 % et indiquent que les groupes sociolinguistiques utilisent différemment les champignons (tabl. 4)
Tableau 2 – Valeurs d’usage des champignons comestibles du Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire.
Espèces | Valeurs d’usage | |||||||||||
Groupe des Bété | Groupe des Bakwé | Groupe des Baoulé | ||||||||||
VUA | VUC | VUM | VUT | VUA | VUC | VUM | VUT | VUA | VUC | VUM | VUT | |
Auricularia cornea | 0,24 | 0,24 | 0,30 | 0,30 | 0,04 | 0,04 | ||||||
Agaricus sp. | 0,06 | 0,06 | 0,04 | 0,04 | ||||||||
Agrocybe elegantior | 0.04 | 0.04 | ||||||||||
Coprinus africanus | 0,04 | 0,04 | 0,12 | 0,12 | ||||||||
Collybia aurea | 0,04 | 0,04 | 0,18 | 0,06 | 0,24 | |||||||
Coprinus sp. | 0,44 | 0,44 | 0,16 | 0,16 | 0,49 | 0,49 | ||||||
Chlorophylum molybdites | 0,04 | 0,04 | 0,02 | 0,02 | ||||||||
Gymnopilus zenkeri | 0,02 | 0,02 | 0,04 | 0,04 | ||||||||
Hohenbuehelia cf. aurantiocytis | 0,04 | 0,04 | ||||||||||
Leucoagaricus americanus | 0,04 | 0,04 | 0,06 | 0,06 | ||||||||
Leucoagaricus carminescens | 0,06 | 0,06 | ||||||||||
Leucocoprinus cretatus | 0,02 | 0,02 | ||||||||||
Lentinus squarrosulus | 0,44 | 0,44 | 0,44 | 0,44 | 0,64 | 0,64 | ||||||
Lepiota sp. | 0,14 | 0,14 | 0,21 | 0,21 | ||||||||
Leucoprinus sp. | 0,08 | 0,08 | ||||||||||
Macrolepiota dolichaula | 0,08 | 0,08 | 0,12 | 0,12 | 0,04 | 0,04 | ||||||
Marasmiellus inoderma | 0,38 | 0,38 | 0,12 | 0,12 | 0,02 | 0,02 | ||||||
Marsmius sp. | 0,02 | 0,02 | ||||||||||
Pluteus congolensis | 0,08 | 0,08 | 0,02 | 0,02 | 0,02 | 0,02 | ||||||
Pleurotus flabellatus | 0,10 | 0,10 | 0,04 | 0,04 | 0,06 | 0,06 | ||||||
Pleurotus tuberregium | 0,24 | 0,18 | 0,42 | |||||||||
Pluteus sp. | 0,06 | 0,06 | 0,02 | 0,02 | 0,02 | 0,02 | ||||||
Polyporus teniuculus | 0,06 | 0,06 | 0,04 | 0,04 | ||||||||
Psathyrella tuberculata | 2,14 | 0,24 | 2,38 | 1,74 | 0,06 | 1,80 | 2,23 | 0,32 | 2,55 | |||
Psathyrella atrombonata | 0,02 | 0,02 | 0,04 | 0,04 | ||||||||
Psathyrella sp. | 0,04 | 0,04 | 0,24 | 0,24 | 0,09 | 0,09 | ||||||
Schizophyllum commune | 0,02 | 0,02 | 0,02 | 0,02 | ||||||||
Trogia infundibuliformis | 0,02 | 0,02 | ||||||||||
Termitomyces letestui | 0,40 | 0,40 | 0,18 | 0,18 | 0,66 | 0,66 | ||||||
Termitomyces medius | 0,70 | 0,70 | 0,38 | 0,38 | 0,38 | 0,38 | ||||||
Termitomyces microcarpus | 0,14 | 0,14 | 0,02 | 0,02 | 0,04 | 0,04 | ||||||
Termitomyces schimperi | 0,34 | 0,06 | 0,40 | 0,10 | 0,10 | 0,34 | 0,34 | |||||
Termitomyces sp. | 0,06 | 0,06 | 0,04 | 0,04 | ||||||||
Volvariella volvacea | 2,70 | 2,58 | 5,28 | 2,38 | 2,58 | 0,06 | 5,02 | 2,79 | 2,68 | 0,06 | 5,53 | |
Volvopluteus earlei | 0,06 | 0,06 |
Tableau 3 – Indices de diversité et d’équitabilité des usagers des champignons comestibles du Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire.
Espèces | Groupe des Bété | Groupe des Bakwé | Groupe des Baoulé | |||||||||
⅀ pi | ID max | IE | ⅀ pi | ID max | IE | ⅀ pi | ID max | IE | ||||
Auricularia cornea | 8 | 0,125 | 8 | 0,015 | 6 | 0,1667 | 6 | 0,0283 | 3 | 0,3333 | 3 | 0,11 |
Agaricus sp. | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||
Agrocybe elegantior | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||||||
Coprinus africanus | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 1 | 2 | 0,25 | ||||
Collybia aurea | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 0,5 | 3 | 0,1667 | ||||
Coprinus sp. | 10 | 0,1 | 10 | 0,01 | 4 | 0,25 | 4 | 0,0625 | 11 | 0,0909 | 11 | 0,0082 |
Chlorophyllum molybdene | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||
Gymnopilus zenkeri | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||
Hohenbuehelia cf. aurantiocytis | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||||||
Leucoagaricus cf. americanus | 1 | 1 | 1 | 1 | 3 | 0,3333 | 3 | 0,11 | ||||
Leucoagaricus carminescens | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||||||
Leucocoprinus cretatus | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||||||
Lentinus squarrosulus | 10 | 0,1 | 12 | 0,0067 | 10 | 0,1 | 10 | 0,01 | 21 | 0,0476 | 21 | 0,0024 |
Lepiota sp. | 5 | 0,2 | 5 | 0,04 | 6 | 0,1667 | 6 | 0,0283 | ||||
Leucoprinus sp. | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 | ||||||||
Macrolepiota dolichaula | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 | 3 | 0,3333 | 3 | 0,11 | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 |
Marasmiellus inoderma | 13 | 0,0769 | 13 | 0,0061 | 4 | 0,25 | 4 | 0,0625 | 1 | 1 | 1 | 1 |
Marsmius sp. | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||||||
Pluteus congolensis | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 |
Pleurotus flabellatus | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 |
Pleurotus tuberregium | 4,5 | 0,2222 | 6 | 0,0370 | ||||||||
Pluteus sp. | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 |
Polyporus teniuculus | 4 | 0,25 | 4 | 0,0625 | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||
Psathyrella tuberculata | 22 | 0,0454 | 40 | 0,0011 | 34 | 0,0018 | 23 | 0,0435 | 42 | 0,0009 | ||
Psathyrella atrombonata | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 | ||||
Psathyrella sp. | 1 | 1 | 1 | 1 | 6 | 0,1667 | 6 | 0,0283 | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 |
Schizophyllum commune | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | 1 | ||||
Trogia infundibuliformis | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 | ||||||||
Termitomyces letestui | 16 | 0,0625 | 16 | 0,0037 | 6 | 0,1667 | 6 | 0,0283 | 18 | 0,0556 | 18 | 0,0278 |
Termitomyces medius | 26 | 0,0385 | 26 | 0,0015 | 7 | 0,1428 | 7 | 0,02 | 10 | 0,1 | 10 | 0,01 |
Termitomyces microcarpus | 5 | 0,2 | 5 | 0,04 | 3 | 0,3333 | 3 | 0,11 | 1 | 1 | 1 | 1 |
Termitomyces schimperi | 4,5 | 0,2222 | 8 | 0,0275 | 4 | 0,25 | 4 | 0,0625 | 6 | 0,1667 | 10 | 0,017 |
Termitomyces sp. | 2 | 0,5 | 2 | 0,25 | 3 | 0,3333 | 3 | 0,11 | ||||
Volvariella volvacea | 48 | 0,0208 | 48 | 0,0004 | 30,48 | 0,0328 | 45 | 0,0007 | 13,87 | 0,0721 | 40 | 0,0018 |
Volvopluteus earlei | 1 | 1 | 1 | 1 |
Tableau 4 – Résultats du test de similarité de Sorensen (K) entre les différents groupes sociolinguistiques du Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire.
Groupes ethniques analysés deux par deux | |||
Les Bété et les Bakwé | Les Bété et les Baoulé | Les Bakwé et les Baoulé | |
Valeur de K (%) | K = 41,38 | K = 42,70 | K = 41,86 |
Nombre d’espèces citées par ethnie | a = 18 b = 27 (Bété) c = 24 (Bakwé) | a = 19 b = 27 (Bété) c = 26 (Baoulé) | a = 18 b = 24 (Bakwé) c = 26 (Baoulé) |
Discussion
Diversité des champignons comestibles
21La présente étude réalisée sur les champignons comestibles et les savoirs traditionnels de la région Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire montre que les champignons comestibles jouent un rôle important dans la vie des populations locales. Ces champignons sont utilisés à des fins alimentaires, médicinales et commerciales. Ces usages méritent d’être promus en vue de contribuer à la valorisation des champignons sauvages comestibles, espèces utiles pour contribuer à la sécurité alimentaire et lutter contre la pauvreté.
22Cette étude révèle la présence de 35 espèces comestibles. Ce nombre est supérieur à celui de Soro et al. (2019) qui avaient répertorié 28 espèces utiles dans la région du parc national de Taï. Les résultats obtenus sont conformes à ceux des travaux de Boni et Yorou (2015) au Bénin, avec le même nombre d’espèces pour l’ensemble des groupes sociolinguistiques enquêtés (Bariba, Gondo et Yom). Néanmoins, ce nombre d’espèces de champignons comestibles est inférieur à ceux obtenus par Kouagou et al. (2016) en République démocratique du Congo (42 espèces), Madamo et al. (2017) en République centrafricaine (74 espèces) et Ebika et al. (2018) au Congo (51 espèces). Le nombre d’espèces de champignons comestibles signalé dans cette étude montre dans l’ensemble une diversité mycofloristique importante.
23Dans cette étude, chaque groupe ethnique détient sa propre nomenclature des champignons. En effet, le champignon en Côte d’Ivoire est appelé « N’dré » chez les Baoulé, « Woh » chez les Bété et « Wohou » chez les Bakwé. Cette même observation a été faite par Guissou et al. (2008) au Burkina Faso, où les Mòoré nomment les champignons « goundou », les Bobo-Mandaré « toutougué » et les Djidoungou « Gouindougouba ». Au Bénin, les champignons sont connus sous le nom de « Osusu » chez les Nagot, « Ikouan » chez les Bètamaribè, « kakposé » chez les Lokpa et « Gambonoudi » chez les Peul (Fadeyi et al. 2017). L’étude révèle également que la nomenclature des espèces fait généralement référence à l’aspect, la forme, l’écologie, aux noms d’animaux et au goût. Ce constat pourrait s’expliquer par le fait que ces populations détiennent les mêmes savoirs et techniques d’identification traditionnels des espèces de champignons. Ces résultats corroborent les travaux de Malaisse et al. (2008), Guissou et al. (2008), Kouagou et al. (2016) et Ebika et al. (2017), réalisés en Centrafrique, au Burkina Faso et au Congo. Les noms vernaculaires attribués au mot « champignon » diffèrent d’une ethnie à une autre et prennent en compte les aspects visuels et gustatifs des champignons.
24L’analyse des résultats montre également que les Bété et les Baoulé identifient et attribuent plus de noms vernaculaires aux espèces que les Bakwé. En effet, ces populations vivant encore près des forêts, exploitent très souvent les ressources naturelles comme les champignons, justifiant ainsi leur bon niveau de connaissance. Ce constat confirme les travaux de De Kesel et al. (2002) et de Codjia et Yorou (2014) qui ont montré au Bénin que les populations vivant au contact des forêts connaissent mieux les champignons sauvages que les populations éloignées des forêts.
25En ce qui concerne la fréquence de citation, V. volvacea et P. tuberculata sont les espèces les plus citées par les groupes ethniques, car elles sont les mieux connues et les plus consommées par ces groupes. Ce même constat a été fait également en Côte d’Ivoire par Zanh et al. (2016) dans la région du Haut Sassandra et par Yian (2018) dans les régions de l’Agnéby-Tiassa, du Gôh et du district d’Abidjan. Pour ces auteurs, V. volvacea et P. tuberculata doivent leur succès au bon goût qu’elles donnent à la sauce. Au Bénin, De Kesel et al. (2002) et Codjia et Yorou (2014) ont montré que ces deux espèces sont aussi les plus appréciées et sont utilisées pour remplacer la viande ou le poisson et pour assaisonner la sauce.
Usages et valeurs d’usage des champignons comestibles
26L’analyse des usages montre que les populations de la zone d’étude utilisent les champignons sauvages pour assurer leur bien-être selon trois catégories d’usage Boni et Yorou (2015) et Kouagou et al. (2016) mentionnent les mêmes usages au Bénin et en République centrafricaine. Les populations rurales de Côte d’Ivoire et, plus largement, d’Afrique subsaharienne utilisent généralement les champignons sauvages pour les mêmes besoins. En revanche, nos résultats diffèrent de ceux de Soro et al. (2019) qui mentionnent quatre catégories d’usage, à savoir alimentaire, médicinal, magique et de loisir. Les usages magiques et de loisir, révélés par ces auteurs, s’expliquent par le fait qu’ils ont interrogé des tradipraticiens lors de leurs travaux.
27L’étude révèle aussi que Volvariella volvacea a obtenu la plus forte valeur d’usage totale chez les trois groupes ethniques. Cette forte valeur s’explique par son importante utilisation dans les trois catégories d’usage considérées. Codjia et Yorou (2014) montrent que V. volvacea présente une valeur d’usage totale élevée au Bénin où elle est utilisée par les Nagot, les Holli et les Fon pour les mêmes catégories d’usage. De même, Kouagou et al. (2016) retiennent V. volvacea comme l’une des espèces ayant la plus grande valeur d’usage alimentaire chez les peuples ngbaka, mbati et aka en République centrafricaine. Concernant P. tuberculata, une valeur d’usage médicinal élevée est obtenue pour tous les groupes ethniques. En effet, cette espèce est utilisée dans la pharmacopée traditionnelle par l’ensemble des groupes sociolinguistiques pour le traitement du paludisme, de la tension, de la toux, des maux de ventre, d’oreilles et des yeux. Nos résultats corroborent ceux de Yian et al. (2020) pour lesquels P. tuberculata est utilisée pour soigner les mêmes affections. Cette espèce est également signalée par Codjia et Yorou (2014) au Bénin et par Kouagou et al. (2016) en République centrafricaine dans le traitement de certaines affections comme l’épilepsie et la bilharziose. Elle est également utilisée comme antiparasitaire par les M’Bati en République centrafricaine.
28L’analyse de l’indice de diversité montre que les connaissances mycologiques sont homogènes au sein des groupes ethniques enquêtés. Cette observation se justifie par le fait que les communautés utilisent pratiquement les mêmes ressources fongiques. Ces résultats rejoignent ceux des travaux de Codjia et Yorou (2014) et de Boni et Yorou (2015) réalisés au Bénin. En effet, ces auteurs ont montré que les faibles indices de diversité trouvés expliquent l’homogénéité des connaissances mycologiques au sein des groupes sociolinguistiques holli, Nagot, fon, bariba, gondo et yom. Les valeurs de diversité relativement faibles montrent également que les groupes sociolinguistiques interrogés n’utilisent pas toutes les espèces dans les trois catégories d’usage mentionnées. Ce même constat a été fait par Codjia et Yorou (2014) et Boni et Yorou (2015) dans leurs travaux. Les valeurs de l’indice d’équitabilité sont inférieures à 0,5 chez tous les groupes ethniques. Ces résultats s’expliquent par le fait que l’ensemble des connaissances mycologiques est détenu par un petit nombre d’enquêtés. Nos résultats corroborent ceux de Boni et Yorou (2015) qui ont montré que les connaissances mycologiques étaient détenues par un petit nombre d’enquêtés au sein des groupes bariba, gondo et yom.
Conclusion
29Cette étude montre que la région du Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire renferme une diversité de champignons utiles. Ces champignons sont diversement utilisés, et leurs noms vernaculaires varient d’un groupe sociolinguistique à un autre. Volvariella volvacea et Psathyrella tuberculata sont les espèces les plus appréciées des communautés. Les champignons sauvages comestibles sont principalement utilisés à des fins alimentaires. Les savoirs traditionnels sont quasiment similaires au sein des populations, mais détenus par un faible nombre d’individus. Promouvoir ces espèces à travers leur mise en culture permettrait de mieux assurer la sécurité alimentaire et de lutter efficacement contre la pauvreté.
Bibliographie
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Auteurs
Mycologue, laboratoire des milieux naturels et conservation de la biodiversité, UFR « Biosciences », université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire.
Mycologue, laboratoire des systématiques, herbiers et musée botanique, Centre national de floristique, université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire.
Botaniste, laboratoire des systématiques, herbiers et musée botanique, Centre national de floristique, laboratoire des milieux naturels et conservation de la biodiversité, université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire.
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