Chapitre 14. Tsiperifery ou poivre sauvage de Madagascar (Piper spp.)
Cycle phénologique reproducteur et gestion durable
p. 225-236
Texte intégral
Introduction
1L’appellation « tsiperifery » est un des noms vernaculaires des poivriers sauvages de Madagascar qui a été adopté pour son nom commercial sur le marché international. Les poivriers appartiennent au genre Piper (Piperaceae). La taxonomie de ce genre est souvent lacunaire et la dernière tentative de révision mondiale remonte au début du xxe siècle (De Candolle, 1923). Une récente étude basée sur des critères morphologiques a identifié quatre types morphologiques, ou morphotypes, de tsiperifery (Razafimandimby, 2017 ; Razafimandimby et al., 2020).
2Le tsiperifery est un produit forestier de renom à forte valeur commerciale au sein de la filière « épice ». Il connaît désormais une grande percée sur le marché international. En aval de la filière, sa cueillette constitue une activité génératrice de revenus pour les paysans vivant en lisière de forêts. Malheureusement, en plus de l’exploitation abusive (Razafimandimby et al., 2017), qui conduit à la raréfaction des pieds fructifères en forêt (Razafimandimby, 2017), cette filière est également menacée par des problèmes de variabilité de la qualité et du stock disponible pour l’exportation. Les méthodes de traitement post-récolte et l’hétérogénéité de la maturation des poivres à la cueillette ont été identifiés comme à l’origine de la baisse de la qualité (Levesque, 2012). Si les problèmes liés aux traitements post-récolte peuvent être solutionnés (Weil et al., 2014), la phénologie de la plante est encore trop mal connue pour gérer en revanche le problème d’hétérogénéité de la maturation à la cueillette. Les données disponibles, issues des spécimens d’herbier (Manjato et al., 2010) et des connaissances empiriques des acteurs de la filière (Benard et al., 2014), sont uniquement focalisées sur la fructification et ne considèrent pas la diversité morphologique. Pourtant, la phénologie affecte la croissance, la survie et la productivité des peuplements forestiers (Jolly et al., 2004 ; Rotzer et al., 2004). En conséquence, l’insuffisance des bases scientifiques relatives à la phénologie de cette plante bloque la mise en place d’une stratégie pour sa valorisation durable.
3Pour faire face à ce problème, l’étude présentée dans ce chapitre, a eu pour objectif de caractériser le cycle phénologique reproducteur de quatre morphotypes de tsiperifery, notamment la floraison et la fructification. La caractérisation du cycle phénologique a consisté à établir un calendrier des phases de reproduction des morphotypes et à déterminer les facteurs écologiques qui y interviennent. Les événements phénologiques permettant aux organismes de s’adapter aux variations climatiques (Chuine et al., 2005), les connaissances sur la diversité du cycle reproducteur de tsiperifery sont alors fondamentales dans l’optique d’une domestication et d’une sélection génétique.
Matériels et méthodes
Description du matériel et du site d’étude
4Les tsiperifery sont des lianes de grande taille grimpant jusqu’à plus de 15 m sur un tuteur. La fixation sur le tuteur se fait grâce à des racines-crampons apparaissant au niveau supérieur des entrenœuds. Un dimorphisme foliaire est souvent observé sur une même plante : les plantules et les tiges orthotropes portent des feuilles cordiformes, alors que les rameaux plagiotropes ont des feuilles de forme elliptique à oblongue le plus souvent à base asymétrique. La plante est dioïque, avec des inflorescences mâles et femelles constituées d’épis solitaires opposées à la feuille. Les fleurs sont ainsi sessiles et apétales. Les fruits sont des baies rouge orangé à maturité, portées par un stipe se développant au pied de l’ovaire et se conservant lors des traitements de séchage, d’où leur nom commun « poivre sauvage à queue ». Selon les travaux de Razafimandimby (2017) et de Razafimandimby et al. (2020), les tsiperifery sont subdivisés en quatre classes morphologiques ou morphotypes codés M1, M2, M3 et M4 (fig. 1). Les principaux traits morphologiques distinctifs des quatre morphotypes de tsiperifery sont localisés au niveau des feuilles et des baies.
5L’étude a été conduite dans cinq sites de l’aire de distribution naturelle de tsiperifery (à Anorana et à Tsiazompaniry dans la région Analamanga, à Sandrangato et Beforona dans la région Alaotra Mangoro et à Kianjavato dans la région Vatovavy Fitovinany). Le choix des sites d’étude a tenu compte de la distribution latitudinale de la plante et de la variation de l’altitude. Seul le morphotype M2 a été répertorié dans les cinq sites d’étude, le morphotype M3 est présent dans tous les sites, à l’exception de Beforona où seuls M1 et M4 ont été rencontrés.
Collecte et traitement des données
Élaboration des calendriers phénologiques
6Tsiperifery est une plante sempervirente qui ne présente pas de phénologie très marquée. En effet, ses périodes de floraison et de fructification s’étalent sur toute l’année (Razafimandimby, 2017). En conséquence, l’élaboration du calendrier phénologique reproducteur de chaque morphotype s’est focalisée sur les pics de phénophase. Pour ce faire, des suivis mensuels ont été effectués dans les cinq sites d’étude durant 24 mois (de juillet 2014 à juin 2016). Ils ont ciblé 57 individus, dont 28 mâles et 29 femelles. Chaque suivi mensuel dans chaque site a été assuré par des agents locaux préalablement formés sur la description de chaque stade du cycle phénologique et le remplissage de la fiche de suivi.
7L’observation du cycle phénologique des individus femelles portait sur six phénophases : boutons floraux, fleurs épanouies, jeunes fruits, fruits immatures, fruits mûrs, fin de fructification. Le cycle phénologique reproducteur chez les individus mâles a été observé sur quatre phénophases : boutons floraux, jeunes fleurs, fleurs matures et fin de floraison (Razafimandimby, 2017). L’obtention du cycle phénologique de chaque morphotype par site est fondée sur les résultats des suivis phénologiques mensuels de chaque individu durant les deux années de l’étude et suivant la succession des phénophases ; la compilation des données a été effectuée sur Excel. Compte tenu de la dioécie chez le tsiperifery, les cycles phénologiques ont été établis séparément pour les individus mâles et femelles.
Identification des facteurs écologiques influant le cycle phénologique
8Les précipications et la température étant les paramètres climatiques les plus influants sur la distribution de tsiperifery (Razafimandimby, 2011), ils constituent les facteurs écologiques considérés dans cette étude. Pour cela, ont été évaluées les variables : toposéquence (bas fond ou BF, versant ou MV, crête ou CR), altitude (relevée avec un GPS), dégré d’exposition de l’individu au soleil (évalué in visu suivant le degré d’ouverture de la canopée : non exposé, peu exposé, moyennement exposé et bien exposé) et site d’étude (caractérisé par l’effet combiné des variables précédentes, par son état de dégradation et les paramètres climatiques températures et précipitations).
9L’influence des paramètres écologiques sur la variabilité du cycle phénologique a été identifiée à travers l’analyse de la variance de la répartition mensuelle des phénophases du cycle reproducteur en fonction des paramètres écologiques sélectionnés. Afin de considérer l’interaction avec l’influence des morphotypes, une analyse de la variance uniquement de l’effet du paramètre écologique a été d’abord effectuée. Ensuite, l’interaction paramètre écologique/morphotype a été considérée. Ces analyses ont été effectuées avec le package « stats » du logiciel R avec la fonction aov, dont la formule est :
aov(Y~X*z)
où X représente la phénophase considérée, Y le paramètre écologique et z les morphotypes.
Résultats
Calendriers phénologiques reproducteurs de chaque morphotype
10Les analyses des données issues des suivis phénologiques mensuels ont permis d’établir les calendriers phénologiques reproducteurs des morphotypes de tsiperifery femelles et mâles (fig. 2 et 3).
11Chez les individus femelles et mâles de M1, les cycles phénologiques reproducteurs comprennent deux pics annuels de floraison et de fructification. Chez les individus femelles, les premiers pics des phénophases sont observés de juin à novembre et les deuxièmes de janvier à mai. Chez les individus mâles, les pics de floraison sont observés durant les mois de juin, juillet, janvier et février. La maturation des fleurs, ou maturation des pollens, a lieu en juillet pour le premier pic et en janvier pour le deuxième. Elle coïncide avec les deux pics d’épanouissement des fleurs femelles.
12Pour M2, les cycles phénologiques reproducteurs des individus femelles et mâles sont caractérisés par la présence de deux pics de floraison et de fructification par an et une variation en fonction des sites d’étude. Les pics des phénophases de la floraison et de la fructification sont similaires à Anorana et Tsiazompaniry ; toutefois, les deuxièmes pics des phénophases de la fructification à Tsiazompaniry n’ont pas lieu. En fait, le début de la fructification, qui devrait commencer au mois de juin, coïncide avec l’arrivée de la saison hivernale qui s’accompagne de gelées qui sèchent et font tomber les épis.
13Les cycles phénologiques reproducteurs des individus femelles et mâles de M3 sont également caractérisés par la présence de deux pics de floraison et de fructification par an et une variation en fonction des sites d’étude. Ils sont presque similaires à ceux de M2 au niveau de chaque site.
14Pour M4, uniquement rencontré à Beforona, un seul pic a eu lieu durant les deux années de suivi. Par conséquent, le cycle reproducteur de M4 pourrait être caractérisé par la présence de pics bisannuels ou des pics de floraison et de fructification asynchrones. En effet, ce résulat mérite d’être vérifié en continuant le suivi pendant deux années supplémentaires au minimum. Les pics de phénophases observés pour M4 se passent pendant l’hiver.
15La durée de chaque phénophase est plus ou moins identique pour les quatre morphotypes dans les cinq sites d’études. Les pics de floraison des pieds femelles (boutons floraux et fleurs épanouies) ont une durée d’un à deux mois et ceux des pieds mâles (boutons floraux, jeunes fleurs, fleurs matures, fin de floraison) dure deux mois. Les pics de fructification (apparition des jeunes fruits, fin de fructification) de la saison estivale et de la saison hivernale durent quatre mois : d’octobre à janvier et d’avril à juillet. Ces résultats montrent que ni la diversité morphologique ni la variation saisonnière n’influent de manière significative sur la durée des phénophases.
16Pour les quatre morphotypes, le début des pics de la floraison des individus mâles coincide avec celui des individus femelles. Cette comparaison tient compte des morphotypes et des sites. En effet, les périodes de maturation des pollens se superposent avec celles de l’apparition des stigmates (fleurs épanouies) qui ont lieu aux mois de juillet et février pour M1, en avril, mai et septembre pour M2 et M3 et au mois d’avril pour M4.
Influence des paramètres écologiques sur la phénologie
17Les résultats de l’analyse de la variance de la distribution mensuelle de chaque phénophase des deux pics de la phénologie de reproduction chez tsiperifery, en fonction des paramètres écologiques et de l’interaction entre les paramètres écologiques/morphotype (tabl. 1), montrent que le paramètre influant le plus sur la variation mensuelle du cycle phénologique est le site lui-même. Il influe sur les six phénophases (boutons floraux, fleurs épanouies, jeunes fruits, fruits immatures, fruits matures et fin de fructification) du premier pic et sur les stades « boutons floraux, fleurs épanouies et fruits immatures » du deuxième pic chez les individus femelles ; il influe également sur toutes les phénophases (boutons floraux, jeunes fruits, fleurs matures et fin de floraison) des deux pics chez les individus mâles. Vient ensuite l’altitude pour laquelle on constate des variances significatives (p < 0,05) pour huit phénophases (les six phénophases du premier pic et les stades « boutons floraux et fleurs épanouies » du deuxième pic) sur les douze identifiées pour les individus femelles et les quatre du premier pic pour les individus mâles. Ce résultat montre que ce paramètre influe sur la distribution des phénophases au cours des mois, donc sur le cycle phénologique de tsiperifery. La toposéquence impacte sept phénophases femelles (six phénophases du premier pic et le stade « jeunes fruits » du deuxième pic) et sur les stades « boutons floraux et fleurs matures » des deux pics des phénophases mâles. Le degré d’exposition n’a d’effets que sur la distribution mensuelle des stades « boutons floraux, jeunes fruits, fruits immatures et fruits matures » du premier pic des phénophases femelles et sur quatre phénophases mâles (boutons floraux et fleurs matures des deux pics) avec des valeurs de p peu significatives (0,05 > p > 0,01). Ce paramètre a alors moins d’influence sur le cycle phénologique.
18Le site et l’altitude influencent le plus le cycle phénologique, ce qui traduit l’importance de l’interaction des différents paramètres. Cela explique ainsi le décalage entre les débuts des pics du cycle phénologique dans les sites. Dans les forêts de haute altitude de Tsiazompaniry (1 400 m) et d’Anorana (1 200 m), la floraison des morphotypes commence plus tardivement que celle des forêts de plus basses altitudes.
19Les variances considérant l’interaction de l’altitude, de la toposéquence et du degré d’exposition avec les morphotypes ne sont pas significatives pour toutes les phénophases. Elles sont également non significatives ou peu significatives pour l’interaction site/morphotype. Ces résultats montrent que les paramètres écologiques n’ont pas, ou ont peu, d’influence sur le cycle phénologique au sein d’un même morphotype.
20Les résultats des analyses de la variance en fonction du morphotype et des paramètres écologiques (tabl. 1) permettent de conclure que le cycle phénologique de tsiperifery varie en fonction des morphotypes. Les cycles phénologiques des quatre morphotypes ne sont pas similaires. Les facteurs écologiques relatifs à la température, à la disponibilité en eau et à la photopériode n’ont que de faibles influences sur le cycle phénologique des individus appartenant à un même morphotype.
Tableau 1 – Valeurs de p de l’analyse de la variance de la distribution mensuelle de chaque phénophase en fonction des paramètres écologiques (altitude, topographie, exposition et site) et de l’interaction paramètres écologiques/morphotype (paramètre écologique* M) pour les deux pics du cycle phénologique de tsiperifery. Les cases colorées en gris correspondent à des valeurs de p < 0,05.
Sexe | Phénophase (pics 1 et 2) | Alt. | Alt.*M | Topo | Topo*M | Expo | Expo*M | Site | Site*M |
Femelle | Boutons floraux 1 | 0,000 | 0,259 | 0,000 | 0,542 | 0,018 | 0,324 | 0,000 | 0,035 |
Fleurs épanouies 1 | 0,000 | 0,364 | 0,001 | 0,484 | 0,127 | 0,769 | 0,000 | 0,025 | |
Jeunes fruits 1 | 0,000 | 0,259 | 0,000 | 0,542 | 0,008 | 0,286 | 0,000 | 0,035 | |
Fruits immatures 1 | 0,000 | 0,001 | 0,751 | 0,023 | 0,389 | 0,000 | 0,754 | ||
Fruits matures 1 | 0,000 | 0,207 | 0,000 | 0,492 | 0,031 | 0,975 | 0,000 | 0,049 | |
Fin de fructification 1 | 0,000 | 0,396 | 0,002 | 0,023 | 0,496 | 0,493 | 0,000 | 0,000 | |
Boutons floraux 2 | 0,001 | 0,837 | 0,088 | 0,091 | 0,159 | 0,935 | 0,000 | 0,690 | |
Fleurs épanouies 2 | 0,002 | 0,837 | 0,319 | 0,301 | 0,171 | 0,943 | 0,000 | 0,741 | |
Jeunes fruits 2 | 0,826 | 0,575 | 0,000 | 0,000 | 0,825 | 0,776 | 0,781 | 0,709 | |
Fruits immatures 2 | 0,165 | 0,703 | 0,332 | 0,459 | 0,180 | 0,352 | 0,020 | 0,153 | |
Fruits matures 2 | 0,551 | 0,439 | 0,492 | 0,001 | 0,122 | 0,505 | 0,125 | 0,681 | |
Fin de fructification 2 | 0,688 | 0,740 | 0,174 | 0,001 | 0,584 | 0,520 | 0,697 | 0,952 | |
Mâle | Boutons floraux 1 | 0,001 | 0,492 | 0,006 | 0,546 | 0,018 | 0,324 | 0,000 | 0,085 |
Jeunes fleurs 1 | 0,008 | 0,618 | 0,154 | 0,227 | 0,119 | 0,063 | 0,000 | 0,063 | |
Fleurs matures 1 | 0,001 | 0,492 | 0,006 | 0,546 | 0,018 | 0,324 | 0,000 | 0,085 | |
Fin de floraison 1 | 0,025 | 0,400 | 0,232 | 0,136 | 0,171 | 0,058 | 0,001 | 0,066 | |
Boutons floraux 2 | 0,085 | 0,690 | 0,021 | 0,421 | 0,021 | 0,505 | 0,000 | 0,915 | |
Jeunes fleurs 2 | 0,235 | 0,941 | 0,074 | 0,458 | 0,107 | 0,710 | 0,002 | 0,867 | |
Fleurs matures 2 | 0,152 | 0,445 | 0,014 | 0,388 | 0,017 | 0,417 | 0,000 | 0,766 | |
Fin de floraison 2 | 0,342 | 0,489 | 0,280 | 0,382 | 0,397 | 0,532 | 0,034 | 0,965 |
Discussion
21Tsiperifery est une ressource forestière à haute valeur ajoutée mais peu connue sur le plan scientifique (Razafimandimby et al., 2017). Les résultats de cette étude sont les premières connaissances scientifiques en matière de phénologie des poivriers sauvages de Madagascar. Par conséquence, les comparaisons discutées dans cette partie se refèrent soit à des connaissances empiriques, soit à des espèces similaires.
22Concernant les calendriers phénologiques, deux pics de saison de maturation des fruits sont observés chez les morphotypes de tsiperifery. Le premier pic est enregistré pendant la saison estivale (septembre à décembre) et le deuxième pendant l’hiver (mai, juin). Ces saisons correspondent aux campagnes de collecte de tsiperifery dans le bassin de collecte d’Anjozorobe Angavo et d’Anosibe An’ala (Touati, 2012 ; Benard et al., 2014). L’existence de deux pics de phénophase de la reproduction identifiés pour M2, M3 et M1 est également un phénomène fréquent chez les Piperaceae. Deux pics de fructification ont été observés chez Piper guineense au Togo. Le premier s’étale d’avril à juin et le deuxième de septembre à novembre (Atato et al., 2012). Dans deux sites situés dans une forêt semi-décidue du sud-est du Brésil (station expérimentale de Jundia et réserve de Santa Genebra), quatorze espèces de Piperaceae (onze Piper, deux Ottonia et une Potomorphe) fleurissent toute l’année avec deux pics : en septembre-octobre et en février-mars-avril (De Figueiredo et Sazima, 2000). Chez les quatre morphotypes de tsiperifery, la période de maturation des pollens coïncide avec l’apparition du stigmate. En fait, l’épanouissement des fleurs femelles est provoqué par la fécondation chez beaucoup d’espèces de Piper (Valentin-Silva et al., 2015).
23Cette étude montre que la variation du cycle phénologique est tributaire des morphotypes. De même, les phénologies de deux nouvelles espèces sympatriques de Piper des Grandes Antilles sont différentes. La floraison de Piper abajoense débute en janvier et la fructification entre juin et septembre. Pour Piper claseanum, la dernière floraison et la maturation des fruits sont observées en janvier (Bornstein et al., 2014). Les auteurs ont utilisé ce décalage des périodes de floraison et de fructification dans la description de ces espèces. Les résultats trouvés par ces différents auteurs sur d’autres espèces concordent avec ceux trouvés pour les morphotypes de tsiperifery. Ils montrent que le déterminisme du comportement phénologique est une intégration de facteurs endogènes – le génome qui régit le rythme individuel de croissance, les états d’organisation structurale, les physiologies spécifiques, etc. – et de facteurs exogènes tels que les paramètres climatiques et l’altitude (Loubry, 1994).
24Cette étude a produit les premières connaissances scientifiques sur la phénologie de tsiperifery par le biais des suivis phénologiques qui prennent en compte la diversité morphologique. La phénologie est un élément clé de l’adaptation des êtres vivants aux variations climatiques et constitue ainsi un marqueur du climat de première importance. Dans ce contexte, cette étude doit être poursuivie par des recherches qui visent à identifier l’effet du changement climatique sur cette ressource naturelle d’importance sociale et économique. Ces résultats permettraient d’identifier des actions à mettre en place pour son adaptation au changement climatique et/ou pour l’atténuation des effets du changement climatique sur la ressource en tsiperifery. De telles connaissances contribueraient pertinemment sur sa conservation et valorisation durable.
Conclusion
25Les individus de tsiperifery sont fertiles tout au long de l’année. Leurs cycles phénologiques reproducteurs sont marqués par deux pics de phénophase. La distribution mensuelle des pics de chaque phénophase a permis d’élaborer le cycle phénologique reproducteur de chaque morphotype.
26Le morphotype a davantage d’influence sur la variabilité mensuelle des pics de phénophases. Le cycle phénologique reproducteur des morphotypes M2, M3 et M4 présente deux pics de phénophases tandis que celui de M1 pourrait être asynchrone. Les paramètres écologiques tels que le site et l’altitude ont une légère influence sur la variabilité intra-morphotype de la distribution des phénophases. Le déterminisme du comportement phénologique reproducteur de tsiperifery est donc une intégration des facteurs endogènes représentés par les morphotypes et de facteurs exogènes, tels que l’habitat et l’altitude.
27Les résultats obtenus dans cette étude peuvent être valorisés en vue de la gestion durable de tsiperifery. Entre autres, la détermination des campagnes de collecte permettrait un meilleur suivi de la collecte par l’administration forestière. Par ailleurs, l’homogénéisation de la qualité des produits collectés améliorerait la qualité des produits mis sur le marché.
28Ces résultats pourront également servir à d’autres travaux de recherche sur cette ressource, notamment sur sa domestication et sur la structure de ses populations. Des lacunes ont toutefois été identifiées dans notre étude, liées à la durée et la fréquence des suivis, et à la distribution géographique des sites d’étude. Par ailleurs, pour améliorer sa gestion durable, des recherches relatives à l’impact du changement climatique sur cette ressource devraient être menées.
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Auteurs
Forestier écologue, Centre national de recherches appliquées au développement rural, département des Recherches forestières et Gestion des ressources naturelles, Madagascar.
Forestier, point focal du protocole de Nagoya, ministère de l’Environnement et du Développement durable, Madagascar.
Généticien forestier, direction régionale pour l’Afrique australe et Madagascar, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, France.
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Aires marine protégées ouest-africaines
Défis scientifiques et enjeux sociétaux
Marie Bonnin, Raymond Laë et Mohamed Behnassi (dir.)
2015