Chapitre 1. Ethnobotanique de Gardenia erubescens Stapf & Hutch
Département des Collines au Bénin
p. 31-44
Texte intégral
Introduction
1Les ressources biologiques du Bénin sont nombreuses (Assongba, 2014). D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la majorité des Béninois ont recours à la médecine traditionnelle pour résoudre leurs problèmes de santé (Assongba, 2014). L’utilisation des plantes à des fins médicinales est liée, d’une part, à la culture traditionnelle et, d’autre part, à la pauvreté et au coût élevé des médicaments conventionnels (Assongba, 2014 ; Ngbolua et al., 2016b). La connaissance des usages des plantes est acquise et transmise d’une génération à l’autre, ainsi que leurs propriétés pharmacologiques (Klotoé et al., 2013 ; Ngbolua et al., 2016a). Cependant cette transmission des connaissances des plantes médicinales à la nouvelle génération est de nos jours menacée (Djego et al., 2011 ; Assongba, 2014). Cette perte d’informations est accentuée chez les jeunes urbains qui croient moins à la médecine traditionnelle. Si les connaissances traditionnelles se perdent faute de transmission (Ngbolua et al., 2011), cela ne favorise pas la conservation des ressources biologiques par les populations locales (Adomou et al., 2012 ; Akabassi et al., 2017). En cette période de pandémie cependant, les ruraux font de plus en plus appel aux médecines traditionnelles. Le Bénin disposant d’une flore riche et variée, la collecte et la valorisation des propriétés thérapeutiques des plantes est indispensable, ainsi que la connaissance des savoir-faire ethno-médicinaux des tradi-praticiens (Gouwakinnou et al., 2011 ; Konda et al., 2012).
2L’espèce Gardenia erubescens Stapf & Hutch (famille des Rubiaceae) fournit, à partir de ses feuilles et de ses racines principalement, une drogue très consommée au Bénin pour guérir des maladies. Abondant dans les savanes béninoises, sa récolte importante constitue néanmoins une sérieuse menace pour la survie de l’espèce en milieu naturel. Il est donc urgent de recenser les savoirs thérapeutiques traditionnels liées à cette espèce, à travers des enquêtes ethnobotaniques, et ainsi mieux connaître les remèdes traditionnels à base de G. erubescens afin, d’une part, d’en faire bénéficier l’ensemble de la population et, d’autre part, de mieux en gérer la récolte. La valorisation de telles connaissances traditionnelles peut aider au développement durable du pays et plus largement de l’Afrique (Ngbolua, 2013 ; Ilumbe et al., 2014). En effet, la recherche scientifique est indispensable pour étudier les savoir-faire traditionnels et pour analyser les conditions d’amélioration et d’optimisation des modes d’utilisation. Enfin, la science et l’industrie sont nécessaires pour la préparation des médicaments phytothérapeutiques et la mise à disposition à l’échelle d’un pays ou d’un continent. Ce développement doit, bien sûr, être réalisé dans le respect du principe de partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des plantes, tel que repris dans la Convention sur la diversité biologique (Ngbolua et al., 2016a).
3La présente étude, réalisée dans les communes de Dassa, Glazoué et Savè du département des Collines au Bénin, a eu pour objectif de recenser les usages thérapeutiques de G. erubescens et de convertir ces savoirs ethno-médicaux en une connaissance scientifique.
4Les résultats de ce travail sont donc susceptibles d’aider à valoriser l’espèce médicinale à haut potentiel phytopharmaceutique Gardenia erubescens Stapf & Hutch, en vue de la domestiquer pour la conserver et, ainsi, prévenir son extinction en milieu naturel. Il s’agira également d’élaborer un guide de vulgarisation de ces phytomédicaments, afin d’en valoriser les usages médicaux à un niveau local, sous-régional, voire international.
Description du milieu d’étude
5La zone d’étude se situe au centre du Bénin entre la latitude 7° Nord et 9° Nord. La figure 1 présente la localisation des trois communes et des villages prospectés.
Végétation
6La zone d’étude appartient au climat subéquatorial. Les formations végétales rencontrées sont des formations saxicoles, des champs, des savanes claires et arborées, des galeries forestières, des forêts claires et des plantations de Tectona grandis. Les espèces végétales dominantes sont Daniellia oliveri, Annona senegalensis, Gardenia erubescens, Isoberlinia doka, Parkia biglobosa, Pteleopsis suberosa, Pterocarpus erinaceus, Vittellaria paradoxa, Bridelia ferruginea, Milicia exelsa, Gmelina arborea, Detarium microcarpum et Imperata cylindrica.
Démographie
7Selon les résultats du recensement général de la population 4e phase (Insae, 2016), 647 262 habitants vivent dans cette zone. Les ethnies majoritaires sont les Mahi, Idaatcha et Nago, auxquelles s’ajoutent les Adja, Peul, Yoruba et Yom-Lokpa.
Méthodologie
Choix des villages d’enquête et caractéristiques de l’échantillon
8Les localités enquêtées ont été choisies en fonction de leur dominance ethnique, afin d’assurer la bonne représentativité de tous les groupes sociolinguistigues de la zone d’étude et en fonction de la présence effective de Gardenia erubescens et de la connaissance d’au moins un de ses usages par les habitants. L’âge des enquêtés varie de 20 à 90 ans. Le sexe et la profession ont été également pris en compte. Un pré-test du questionnaire a été effectué. La formule de Dagneli (1998), citée par Assongba (2014), a été utilisée pour la cohorte d’enquête. La formule se présente comme suit :
où N est la taille de l’échantillon à considérer, P la proportion de personnes connaissant et utilisant l’espèce pour divers usages (alimentation, traitement de maladies), la variable aléatoire de la probabilité normale à valeur de 1 – α/2.
9Cette formule à l’avantage de choisir un échantillon représentatif de l’ensemble de la population humaine (Assongba, 2014).
Collecte des données
10Les données ont été collectées grâce à des enquêtes ethnobotaniques par entretien individuel et par focus group. L’enquête questionnait l’usage thérapeutique de G. erubescens (maladies traitées par les différentes potions ou drogues provenant de l’espèce, ingrédients associés et modes de préparation).
Indices ethnobotaniques utilisés
11La connaissance du degré d’utilisation de l’espèce s’est fait grâce à des indices ethnobotaniques, analysés et interprétés.
Valeur consensuelle d’utilisation (CMU)
12Cet indice mesure le degré d’acceptabilité des enquêtés sur les formes d’utilisation de l’espèce. Il s’obtient par la division du nombre de fois qu’une forme d’usage (Mx) est citée par le nombre total de formes d’utilisation (Mt) (Assongba, 2014). Sa formule est :
Valeur consensuelle des différentes parties de la plante (VCPP)
13Cet indice mesure le degré d’acceptabilité des enquêtés sur les parties de la plante utilisées dans les différentes potions ou drogues. Sa valeur s’obtient par la division du nombre de fois qu’une partie de la plante est citée (Px), par le nombre total de citations de toutes les parties (Pt) (Assongba, 2014). Sa formule est la suivante :
Fréquence relative de citation des utilisations (FRCU)
14La FRCU est calculée sur la base de la fréquence relative de citation des utilisations. Elle s’obtient par la division du nombre de personnes qui ont mentionné l’utilisation de l’espèce dans chaque catégorie d’utilisation (Uc) par le nombre total des enquêtés (N).
15La FRCU est comprise entre 0 et 1. Lorsque la FRCU est inférieure à 0,25, peu de personnes connaissent cette utilisation. Si elle est égale à 0,5, la connaissance de cette utilisation est moyenne ; lorsqu’elle est supérieure à 0,5, l’utilisation est connue par un grand nombre de personnes. La FRCU a été calculée par catégorie socioprofessionnelle.
Analyse en composantes principales
16L’établissement du lien entre les organes de G. erubescens utilisés, les ethnies et les valeurs consensuelles des parties de la plante utilisées par ethnie a été réalisé par une analyse en composantes principales (ACP) avec le logiciel R.
Résultats
17Les connaissances ethnobotaniques sur Gardenia erubescens des populations de la zone d’étude sont riches et liées à la diversité des groupes sociolinguistiques. Au total, quatre usages ont été recensés. Les usages médicinaux sont les plus répandus (50,86 %), suivis des usages magico-spirituels (32,76 %). Les usages alimentaires et de bois-énergie sont moins répandus (8,62 % et 7,76 % respectivement). Les connaissances sur les formes d’usages varient d’une ethnie à une autre (tabl. 1). La valeur consensuelle d’utilisation de chaque usage est plus élevée chez les Mahi et les Idaasha (tabl. 1). Ces résultats montrent que les ethnies ont une bonne connaissance des formes d’utilisation de G. erubescens.
Tableau 1 – Les valeurs consensuelles d’utilisation (CMU) des enquêtés par ethnie.
Ethnies \ Forme d’utilisation | Médicinale | Alimentaire | Magico-spirituelle | Bois-énergie |
Adja | 0,16 | 0,75 | 0,25 | 0,00 |
Fon | 1,25 | 0,00 | 0,25 | 0,00 |
Mahi | 5 | 3,5 | 3,25 | 1,25 |
Idaasha | 3,25 | 2 | 4 | 1 |
Yoruba | 0,00 | 0,5 | 0,00 | 0,00 |
Nago | 0,00 | 0,00 | 0,75 | 0,00 |
Tchabè | 0,00 | 0,5 | 0,00 | 0,00 |
Description des liens entre les organes utilisés et les groupes ethniques
18L’établissement des liens entre organes utilisés et ethnies a été réalisé à travers une ACP. Les deux premiers axes expliquent à 96,6 % (tabl. 2) les usages de l’espèce par les groupes sociolinguistiques. L’analyse du tableau de corrélation des organes (tabl. 3), ainsi que celui de leur projection sur les axes obtenus avec les valeurs consensuelles des différentes parties de G. erubescens (CPP) par ethnie (tabl. 3), montre que cinq organes (feuilles, fruits, écorces, tiges et racines) sont fortement corrélés (P ≥ 0,70) et positivement avec l’axe 1 (fig. 2A).
Tableau 2 – Valeurs d’usage (degré d’acceptabilité) issues de la description des ethnies suivant les organes utilisés.
Composantes | Proportion (%) | Cumulée (%) |
1 | 68,91 | 68,91 |
2 | 27,69 | 96,60 |
3 | 3,40 | 100 |
Tableau 3 – Contributions des organes de la plante aux axes de l’ACP.
Organes | Axe 1 | Axe 2 |
Feuilles | 0,85 | - 0,51 |
Fruits | 0,91 | - 0,40 |
Tiges | 0,93 | - 0,20 |
Écorces | 0,70 | 0,70 |
Racines | 0,75 | 0,65 |
Tableau 4 – Contribution des ethnies sur les usages des organes de l’espèce.
Ethnies | Axe 1 | Axe 2 |
Adja | - 1,39 | 0,10 |
Fon | - 0,39 | - 0,36 |
Mahi | 2,30 | - 2,39 |
Idaasha | 3,40 | 1,89 |
Yoruba | - 1,36 | 0,09 |
Tchabè | - 1,46 | 0,16 |
Nago | - 1,10 | 0,51 |
19Ces résultats montrent que toutes les ethnies utilisent ces cinq organes. Sur l’axe 2 (fig. 2A), les écorces et racines sont corrélées positivement alors que les potions ou drogues (faites à partir des feuilles, écorces, racines) sont corrélées négativement avec l’axe 2 (fig. 2A). On en déduit que la projection des organes dans le plan euclidien formé par les axes 1 et 2 de la figure 2A confirme les résultats du tableau 3. La projection des groupes ethniques (fig. 2B) dans le plan d’axe formé par les deux composantes (fig. 2B) montre que les ethnies Idaasha et Mahi, positionnées positivement sur le premier axe, s’opposent aux ethnies Tchabè, Yoruba, Nago et Adja qui le sont négativement. Les Idaasha et Nago sont positionnés positivement sur le second axe alors que les Mahi le sont négativement (fig. 2B), ce que confirme les valeurs des axes 1 et 2 du tableau 4. Il en ressort que les ethnies Idaasha et Mahi connaissent et utilisent beaucoup tous les organes de G. erubescens.
Lien entre catégories d’usages et groupes ethniques
20L’ACP montre que les deux premiers axes expliquent à 97,69 % (tabl. 5) les usages que les ethnies font de G. erubescens. L’analyse de la contribution des types d’usage aux axes de la projection montre que les trois usages (médicinal, alimentaire, magico-spirituel) sont fortement et positivement corrélés avec l’axe 1 (fig. 3, tabl. 6).
Tableau 5 – Valeurs propres des groupes ethniques suivant les catégories d’usages.
Composantes | Proportion (%) | Cumulée (%) |
1 | 92,10 | 92,10 |
2 | 5,59 | 97,69 |
3 | 2,31 | 100 |
Tableau 6 – Contribution des types d’usage.
Types d’usage | Axe 1 | Axe 2 |
Médicinal | 0,97 | - 0,05 |
Alimentaire | 0,9567614 | - 0,25 |
Magico-spirituel | 0,9459778 | 0,31 |
21La projection des groupes sociolinguistiques dans le plan formé par les deux axes (fig. 4) montre que les groupes ethniques Mahi et Idaasha sont positivement situés sur l’axe 1, tandis que les Adja, Fon, Yoruba, Nago et Tchabè sont situés négativement sur l’axe 1. Les ethnies Fon, Idaasha et Nago sont situés positivement sur l’axe 2, par opposition aux ethnies Mahi, Yoruba, Tchabè et Adja qui le sont négativement. Ces résultats sont confirmés par ceux du tableau 7 sur la contribution des groupes ethniques. Ainsi, les ethnies Adja et Mahi sont celles qui utilisent le plus G. erubescens.
Tableau 7 – Contribution des groupes ethniques.
Groupes ethniques | Axe 1 | Axe 2 |
Adja | - 0,9201809 | - 0,23 |
Fon | - 0,8904339 | 0,07 |
Mahi | 3,0932660 | - 0,55 |
Idaasha | 2,0858493 | 0,73 |
Yoruba | - 1,1332602 | - 0,22 |
Nago | - 1,1019802 | 0,41 |
Tchabè | - 1,1332602 | - 0,22 |
Les organes utilisés
22Les différents organes de G. erubescens utilisés sont au nombre de six ; les plus représentés sont les feuilles (32 %) et les fruits (26 %) (fig. 5). Les extraits les moins utilisés sont ceux des racines (12 %), de la tige (20 %) et de l’écorce (4 %).
Affections traitées
23Traditionnellement, les douleurs musculaires, le paludisme et les douleurs au niveau des seins, sont traités par les extraits de G. erubescens, ainsi que la protection contre les accidents (fig. 6).
Mode de préparation phytothérapeutique
24Trois modes de préparation des produits thérapeutiques ont été collectés : la décoction, qui est le mode le plus utilisé (fig. 7), ainsi que la trituration et la calcination.
Discussion
Usages des extraits par ethnie et groupe socioprofessionnel
25L’étude a révélé les différents usages de Gardenia erubescens dans la zone concernée. La plante est connue par tous les enquêtés, quel que soit le groupe sociolinguistique et socioprofessionnel. Quatre usages existent : alimentaire, magico-spirituel, bois-énergie et médicinal. Les résultats montrent que les potions ou drogues issues de l’espèce sont utilisées différemment selon les groupes socioculturels. Ce résultat confirme ceux issus de l’étude ethnobotanique de Mamounata et al. (2017) qui a montré que les feuilles, les fruits, les graines et racines de G. erubescens, sont les plus recherchées. En outre, la connaissance et l’usage des potions ou drogues provenant de cette espèce varient selon l’ethnie, l’âge et le sexe. Ce résultat corrobore ceux de Gouwakinnou et al. (2011), de Assongba. (2014) et de Komlan et Koffi (2017). Le groupe sociolinguistique constitue le facteur majeur de différenciation des usages et de connaissance des plantes entre communautés (Adjéya et al., 2015 ; Laouali, 2016). Les usages médicinaux et magico-spirituels sont les plus répandus dans la zone enquêtée. L’étude met également en lumière que toutes les parties de la plante (fruits, écorces, tiges, feuilles et racines) sont utilisées par les populations. Les feuilles et les fruits sont plutôt utilisés dans la médecine traditionnelle pour le traitement de diverses maladies. Ces résultats corroborent les conclusions d’une étude du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud, 2013), qui mentionne que le développement humain en Afrique sera soutenu par la valorisation thérapeutique des plantes indigènes, en d’autres termes par la valorisation locale de la médecine traditionnelle.
Mode de préparation des traitements traditionnels
26Selon nos résultats, quatre affections sont traitées par G. erubescens principalement par décoction, seule ou en association avec d’autres espèces végétales. Ces résultats corroborent ceux de Adomou et al. (2012) qui mentionnent que les racines de nombreuses espèces végétales traitent l’hypertension par décoction.
Conclusion
27Cette étude montre l’importance ethnobotanique de Gardenia erubescens utilisée par les populations des communes de Dassa, Glazoué et Savè au Bénin. Cette espèce est connue par toute la population des trois communes enquêtées. Les organes de G. erubescens servent localement aux populations à quatre usages. Les usages alimentaires et médicinaux par décoction sont connus de tous. Les feuilles, les racines, l’écorce et les fruits, sont les organes de l’espèce utilisés en médecine traditionnelle. Notre étude montre que la feuille de G. erubescens est utile dans le traitement du paludisme, principale maladie en Afrique (OMS, 2002 ; Salhi et al., 2010 ; Latifou et al., 2016). Il est donc important d’envisager la conservation de cette espèce dans les jardins botaniques d’une part et, d’autre part, d’effectuer des recherches approfondies notamment en pharmacognosie (étude des sources des drogues naturelles et de leurs principes actifs).
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Biodiversité des écosystèmes intertropicaux
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