Introduction
p. 25-28
Texte intégral
1Durant des millénaires, l’homme a utilisé les ressources de la nature pour ses besoins divers. L’essor industriel du xxe siècle a conduit à une exploitation à grande échelle, puis à une surexploitation, des richesses génétiques et, in fine, à l’érosion de la biodiversité constatée de nos jours. Les industries du bois et les exploitations minières et du pétrole en sont les principaux acteurs, mais également les modifications importantes dues à l’urbanisation et l’agriculture. Au cours des derniers siècles, les zones naturelles riches en biodiversité, dont les populations locales dépendent pour vivre, ont ainsi été exploitées par différents acteurs et à différentes échelles, sans réelles contreparties ni soucis de préserver les ressources.
2Après des décennies de surexploitation incontrôlée, le constat est malheureusement amer : partout où persistaient encore des forêts naturelles à travers le monde, on observe une réduction considérable de la surface qu’elles occupaient, voire leur disparition pure et simple. On constate aussi une pollution de la nature par les déchets résultant du traitement des minéraux et l’intoxication des populations riveraines. En effet, les eaux de lavage sont déversées dans les cours d’eau naturels utilisés par les communautés pour leurs besoins divers : consommation, hygiène et irrigation des cultures.
3L’inquiétante disparition d’espèces et d’écosystèmes, en raison des activités anthropiques, a amené le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) à réunir des experts dont le travail a abouti à la Convention sur la diversité biologique (CDB) signée par 168 pays entre juin 1992 et juin 1993. Celle-ci a été inspirée par l’engagement croissant de la communauté internationale pour le développement durable et par la reconnaissance de l’importance de la diversité pour l’évolution et la préservation des écosystèmes. La CDB est constituée de plusieurs articles, tels que l’article 12 sur la « recherche et formation », et l’article 13 sur « l’éducation et sensibilisation du public ». La majorité des pays en développement ont alors négocié une procédure ensemble, le « Rio package deal », stipulant que leurs obligations de conservation devaient être conditionnées à des dispositions plutôt orientées sur l’usage. Les obligations de ce « Rio package deal » et les mesures portent sur trois types d’accès : (i) accès aux ressources génétiques sujettes à l’autorité nationale ; (ii) accès à la technologie, incluant la biotechnologie ; (iii) accès pour les États fournisseurs de ressources aux avantages obtenus de l’utilisation du matériel génétique.
4Trente ans après la CDB qui lui a donné naissance, le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation (APA) a été adopté en 2010. Son objectif est d’assurer une plus grande justice et équité entre fournisseurs et utilisateurs de ressources génétiques, de rendre visibles les apports et savoirs des communautés autochtones et locales et de « décoloniser » la recherche, tout en assurant la conservation de la biodiversité1. En effet, les ressources génétiques, qu’elles proviennent des plantes, des animaux ou de micro-organismes, sont utilisées à des fins diverses. Les utilisateurs des ressources génétiques et/ou des connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques sont variés et nombreux, notamment l’industrie pharmaceutique, cosmétique, agro-alimentaire, dans l’industrie du bois, ou celle du parfum ou encore dans les activités liées aux plantes médicinales, à la biotechnologie, aux semences, à l’horticulture ainsi qu’autour des collections ex situ. Par ailleurs, les universités et instituts de recherche font de la recherche fondamentale et/ou appliquée sur ces ressources et leurs résultats peuvent être ensuite utilisés par les industriels pour la commercialisation de produits.
5Certains pays signataires de la CDB et du protocole ont démarré ou renforcé des initiatives importantes. C’est ainsi que le Gabon, dans une volonté forte de préservation de sa biodiversité, a créé, d’une part, treize parcs nationaux et, d’autre part, une agence nationale chargée de gérer ces zones protégées (conformément à la CDB). En outre, le Gabon a interdit l’exportation des espèces protégées (ou autre forme de commercialisation), qu’elles poussent dans des forêts bénéficiant de permis d’exploitation ou non. En outre, les grumes provenant de forêts bénéficiant de permis d’exploitation, accordés par le ministère des Eaux et Forêt, et gérées durablement doivent obligatoirement être transformées, ce qui a incité les opérateurs à créer des usines de première, deuxième et troisième transformation du bois au Gabon.
6Dans ce contexte, le programme « Sud Expert Plantes Développement Durable » (SEP2D) (2015-2021), qui visait à soutenir 22 pays francophones intertropicaux dans leurs initiatives en matière de biodiversité végétale, a eu comme objectif général d’améliorer les politiques publiques et les interventions du secteur privé dans le domaine de la gestion de la biodiversité en intensifiant le recours à l’expertise scientifique. L’atteinte de cet objectif passait par la réalisation de trois objectifs spécifiques : (1) développer une culture de partenariat entre scientifiques, agents économiques et sphère politique pour réduire les impacts des activités extractives et favoriser la valorisation de la biodiversité ; (2) renforcer les compétences et les moyens des équipes scientifiques du Sud pour la gestion durable des espaces et des espèces ; (3) améliorer la cohérence des politiques nationales avec les initiatives/politiques régionales et les décisions internationales.
7Les différentes parties de cet ouvrage développeront les résultats obtenus. La 1re partie « Documenter la biodiversité » s’entend dans un sens global et inclut savoirs et usages traditionnels et descriptions scientifiques formelles de la biodiversité végétale, au travers des collections botaniques. Du point de vue des savoirs traditionnels, les enquêtes ethnobotaniques conduites auprès des populations de divers pays, ont concerné plantes médicinales, alimentaires, aromatiques et d’intérêt commercial. Une plante est dite médicinale lorsqu’au moins une de ses parties possède des propriétés thérapeutiques. De nombreuses espèces sont utilisées à des seules fins médicinales, cependant certaines plantes alimentaires, aromatiques, ornementales, toxiques ou des espèces utiles (menuiserie, bâtiment), peuvent répondre à cette définition.
8Dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest, centrale et à Madagascar, ces enquêtes ethnobotaniques ont ainsi permis de dégager des potentialités de développement et de création d’emplois dans plusieurs localités grâce à la valorisation accrue des ressources concernées, par exemple pour la fabrication de biocarburants à Madagascar, un pays non-producteur de pétrole. Les potentiels des espèces mellifères de Madagascar et de la République démocratique du Congo sont d’autres exemples développés ici.
9Les connaissances populaires sur les plantes sont riches et variées. Les dimensions médico-magiques attribuées à certaines espèces sont présentes tant en Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest. Certains auteurs ont choisi de collecter les données sur une seule espèce. Cette partie de l’ouvrage nous fait ainsi découvrir la diversité génétique et l’histoire évolutive de Borassus æthiopum ou celle du palmier rônier au Bénin, ainsi que son origine et la transmission de sa culture dans l’ouest du Burkina Faso. Une autre espèce est également documentée ici, Gardenia erubescens Stapf & Hutch, plante alimentaire et de bois d’énergie au Bénin mais dont les usages médicaux et médico-magiques sont les plus fréquents. Au Gabon, les usages des plantes toxiques ont été recensés dans trois provinces abritant une large diversité ethnique. Certaines de ces espèces toxiques sont utilisées pour leurs propriétés médico-magiques. En Guinée forestière, parmi les espèces végétales répertoriées dans 21 villages, choisis notamment pour leur diversité ethnique, les plantes médicinales et médico-magiques sont largement majoritaires, avant les espèces alimentaires, à usages artisanaux et bois de clôture. Une meilleure connaissance de ces ressources et des produits dérivés s’avère nécessaire en vue d’une meilleure exploitation et de leur préservation dans l’intérêt des populations et du développement de cette région.
10Par ailleurs, du point de la description scientifique de la biodiversité végétale, les collections botaniques jouent un rôle central en assurant la conservation et la documentation des indispensables spécimens naturalistes, à la base de tout travail scientifique sur la biodiversité. Au sein du programme SEP2D, les différents projets soutenus témoignent du dynamisme des institutions impliquées et de la grande diversité des activités proposées, en lien avec les problématiques sociétales de développement durable. La reproductibilité des résultats scientifiques et la documentation des ressources génétiques, dans le cadre du protocole de Nagoya, impose de pouvoir disposer de spécimens dûment référencés et accessibles. Tous les projets mettent donc en exergue l’importance de garantir la préservation des collections afin de permettre aux générations futures de bénéficier de cette connaissance et de pouvoir comparer les résultats des études scientifiques. Ces projets ont ainsi mis en œuvre des opérations visant à valoriser et faciliter l’accès aux richesses contenues dans ces herbiers par une informatisation et une restauration physique des spécimens. L’informatisation de ces collections est un aspect clé pour permettre la diffusion à différents publics des données des spécimens et leurs savoirs associés. Les utilisateurs peuvent ainsi accéder à des informations de qualité permettant d’aborder efficacement des questions de conservation (par exemple en identifiant les zones importantes pour la conservation de la biodiversité à l’échelle nationale ou régionale) ou d’utiliser ces données pour favoriser le développement socio-économique des populations par la valorisation des ressources locales.
Notes de bas de page
1 Voir à ce sujet l’ouvrage Aubertin C. et Nivart A., éd., 2021. La nature en partage. Autour du protocole de Nagoya. Marseille, IRD Éditions/MNHN, coll. Objectifs Sud, 256 p.
Auteurs
Pharmacien, pharmaco-chimiste, département de Pharmacologie et Toxicologie, faculté de Pharmacie, université des Sciences de la santé, Gabon.
Botaniste, Muséum national d’histoire naturelle, France.
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