Patrimoines locaux et législations foncières à l’heure de la décentralisation en Haute-Casamance (Sénégal)
Local Heritage and Land Tenure in a Political Context of Decentralisation in Upper-Casamance (Senegal)
p. 97-134
Entrées d’index
Mots-clés : réforme foncière, politique publique, culture de rente, territoire, Jaite-Casamance
Keywords : land reform, public policy, cash crops culture, territory, Upper-Casamance
Texte intégral
1Les spécialistes s’intéressant aux problèmes fonciers en Afrique, et tout particulièrement en Afrique de l’Ouest (Karsenty, Lavigne-Delville, Le Roy, 1998), se basent sur un triple constat pour proposer un nouveau mode de gestion foncière : la gestion patrimoniale du foncier.
2Tout d’abord, l’autorité des structures coutumières contrôlant les terres reste très importante en Afrique de l’Ouest, en dépit des tentatives de l’État pour imposer d’autres formes de gouvernances, notamment la décentralisation. Les systèmes coutumiers ne donnent aucune garantie d’accès équitable aux familles les plus démunies et aux groupes les plus vulnérables, en l’occurrence les migrants, à mesure que les terres disponibles deviennent plus rares. Les expériences de privatisation des terres n’ont pas été concluantes dans un contexte de marchandisation imparfaite de la terre. La propriété privée n’est pas la seule façon de sécuriser l’accès à la terre. Elle peut être difficilement compatible avec des modes d’exploitation du milieu pour qui la flexibilité et/ou la mobilité est essentielle – le pastoralisme, par exemple –, ou même être source d’insécurité, chez des familles pauvres qui seraient obligées de vendre ou d’hypothéquer leur terre, créant un paysannat sans terre actuellement quasiment inexistant.
3La gestion patrimoniale des ressources serait la troisième voie tracée pour une meilleure gestion des ressources foncières et se substituerait aux principes de propriété et de domanialité. Cette politique foncière, visant à protéger le patrimoine des générations futures, s’appuie sur la conception patrimoniale du droit coutumier. Les principes « patrimoniaux de gestion » (éviter les irréversibilités, laisser ouvert aussi large que possible l’éventail des possibilités d’utilisation future…) se réfèrent essentiellement à des représentations issues de l’univers domestique qui devraient trouver des résonances dans les sociétés rurales.
4Dans une logique à la fois productiviste et environnementale, la plupart des gouvernements d’Afrique de l’Ouest, et notamment celui du Sénégal qui nous intéresse ici, se sont engagés dans des réformes foncières pour libérer la terre de la mainmise des autorités coutumières et permettre à ceux qui s’en donnent les moyens de mettre en valeur les terres. La croissance démographique, la nécessitée de développer les cultures de rente telles le coton et l’arachide et d’approvisionner les marchés urbains en produits agricoles diversifiés induisaient une sécurisation foncière et une redistribution des terres au sein des familles villageoises. Censés se fonder sur une logique de redistribution périodique au sein de la communauté, les systèmes fonciers dits « traditionnels » étaient supposés privilégier nécessairement des pratiques extensives, peu productives par unité de surface, et interdire toute production de surplus. De ce fait, ils étaient fondamentalement incapables de faire face à des enjeux nouveaux et, en particulier, de permettre d’accroître la productivité de la terre. Dès lors, un changement radical des modes d’accès à la terre, sous l’impulsion de l’État, semblait nécessaire pour sortir de la crise (Lavigne-Delville, 1998). Toutefois, partant du constat que les dispositions coutumières toujours en vigueur rendent ineffective la majeure partie du droit foncier positif en milieu rural, le souci de renforcer les capacités institutionnelles locales pour réguler les conflits et sécuriser les droits implique la mise en place de politiques de décentralisation.
5La loi sur le domaine national (LDN) au Sénégal de 1964 visait à permettre l’accès des terres à ceux qui pouvaient les mettre en valeur, tout en leur donnant une sécurité foncière tant qu’ils la travaillaient. L’État maître du domaine foncier non approprié se faisait le garant d’une telle mise en œuvre. La Communauté rurale (CR), gérée par un Conseil rural1 (Cr) élu, a bénéficié de nombreuses prérogatives en matière de gestion des ressources naturelles et foncières, et de développement. Avec la promulgation des lois de décentralisation de 1996 et d’un nouveau code forestier en 1998, les populations et les collectivités locales sont de plus en plus impliquées dans la gestion rationnelle des ressources. La loi n° 96-07 du 22 mars 1996 consacre le transfert de compétences aux régions, aux communes et aux CR en matière forestière (gestion des parcours de bétail, autorisation d’attribution de permis de coupe du bois par les services techniques des Eaux et Forêts aux requérants, gestion de la collecte des produits forestiers, contrôle des feux de brousse…) pour les espaces ne relevant pas du domaine de l’État.
6Cependant, la LDN appliquée dans le cadre de la décentralisation par des conseillers élus par les populations permet-elle une meilleure gestion des ressources naturelles et leur renouvellement pour les générations futures ? La CR, entité territoriale de gestion des ressources naturelles et foncières, constitue-t-elle un espace de référence, dont les règles de fonctionnement peuvent être acceptées par tous, par exemple dans le cas des Peuls aux pratiques agricoles et pastorales très diversifiées ? Ces lois permettent-elles de « faire émerger comme bien commun un territoire que ceux qui en sont « propriétaires » gèrent en vue d’obtenir des bénéfices de son exploitation » (Dugast, 2002) ? Les conseillers ruraux, élus au sein des partis politiques, constituent-ils de véritables représentants des populations capables de répondre à leurs aspirations et à leurs demandes en matière de gestion du foncier et des ressources naturelles ? Sont-ils les médiateurs de la gestion des ressources tant attendus par les projets de développement (Babin et al., 2002) ? En Haute-Casamance, la pression sur la terre se fait de plus en plus sentir et la péjoration des conditions climatiques fragilise toutes tentatives d’intensification de l’agriculture et de l’élevage, l’intégration de ces deux activités nécessite une protection de leurs espaces de référence. Cependant, la multiplicité des références au territoire, des intérêts et des poids économico-sociaux des agro-éleveurs et agriculteurs est telle, que l’intrusion de nouvelles lois risque en fait de complexifier les modes de gestion de la terre. Tout en prévenant la dégradation des milieux naturels, ces nouvelles lois sont-elles à même de prendre en compte les représentations culturelles des populations, notamment leurs conceptions différentes de la « brousse », espace à vocation à la fois pastorale et agricole ?
Le principe de gestion patrimoniale du foncier à l’épreuve de la LDN
Patrimonialisation de la nature et du foncier : les concepts
7La gestion patrimoniale des ressources foncières2 repose sur plusieurs principes de base (Le Roy, 1998 ; Karsenty, 1998 ; Lavigne-Delville, 1998) :
- la communauté gestionnaire doit appartenir à un territoire défini, reconnaissant son bien et manifester un accord pour établir des règles qui le régissent et permettent sa pérennité et sa transmission ;
- la prise en compte des usages spécifiques de l’espace et des ressources par différents groupes d’acteurs regroupés au sein d’une entité juridique est essentielle pour ne pas inféoder tous les types d’accès et d’usage – notamment pastoral – à celui relatif au sol cultivé ;
- le bien-être des générations futures doit être pris en compte par le gestionnaire du patrimoine, que celui-ci soit l’État, une collectivité ou un individu, tout en se basant sur l’analyse historique. Cela pose le problème du renouvellement et du legs de ce patrimoine, c’est-à-dire des relations intergénérationnelles ;
- elle se fonde sur une approche environnementale de la gestion foncière, à savoir la nécessaire prise en charge par les populations de la gestion des ressources naturelles et renouvelables dans l’intérêt général, et sur la nécessité d’en extraire des revenus pour en vivre ;
- elle met l’accent sur les obligations des titulaires, quand la propriété ne traite que de ses droits ;
- elle privilégie un ordonnancement négocié plutôt qu’imposé et la recherche des consensus minima pour assurer l’adhésion des acteurs ou usagers et limiter le nombre de mauvais joueurs. Cela nécessite l’implication des populations à l’origine de nouveaux projets. La généralisation d’une telle démarche suppose l’intervention de médiateurs formés aux techniques de ce type de négociation ;
- la procédure de négociation patrimoniale devrait inciter les acteurs à négocier une représentation du futur acceptable par tous, prenant en compte la nécessité d’une permanence et d’un renouvellement des ressources utilisées conjointement par les différents utilisateurs. Toutefois, la recherche de consensus est confrontée aux multiples représentations des différents acteurs en concurrence sur l’usage des espaces et des ressources, ainsi qu’aux systèmes d’autojustification qu’ils mettent en place pour légitimer leurs actions passées ;
- la question des autorités indépendantes est essentielle pour écarter la gestion du foncier et des ressources renouvelables des enjeux du clientélisme politique et conférer une nouvelle légitimité à l’action publique.
Les principes de la LDN
8Un des objectifs de la LDN mise en place en 1964 sous la présidence de Léopold Sedhar Senghor était « d’effacer les différents modes locaux de tenures foncières et de gestion des ressources naturelles à travers une réforme foncière qui nationalise la quasi-totalité du domaine agricole, administré par les organes de la Communauté rurale » (Blundo, 1998 : 22). La loi sur le domaine national visait à donner la terre à ceux qui étaient capables de la mettre en valeur et d’empêcher la constitution de patrimoines familiaux :
- toute terre non cultivée depuis 3 ans peut être attribuée par les CR aux personnes qui en font la demande à condition qu’elles les mettent effectivement en valeur ;
- les prêts de terre sont interdits. Toute personne désireuse d’obtenir des terres supplémentaires doit passer par l’aval de la CR. Toute parcelle prêtée pour une durée supérieure à trois hivernages peut faire l’objet d’une « mainmise » par celui qui l’aurait mise en valeur. Alors que près de la moitié des terres agricoles est exploitée dans le cadre des droits délégués, c’est-à-dire en tenure indirecte, ces dispositions seraient à l’origine d’une remise en cause catégorique des relations sociales qui sous-tendent ces prêts ou échanges de terres au sein des communautés villageoises ;
- tout cultivateur qui voudrait laisser ses terres en jachère peut le notifier à la CR afin que personne ne les réclame ou ne s’y installe (Fanchette, 2002).
9On se trouve en fait en présence de deux conceptions radicalement opposées de la légalité foncière :
- celle qui revendique le droit de « hache » du premier défricheur ou de ses ayants droit à établir des droits de contrôle sur les terres, conception revendiquée par les chefs de terre qui cherchent à renforcer leur pouvoir ou celui de leur lignage au sein du village ;
- celle qui revendique l’investissement en effort comme donnant droit aux exploitants à acquérir les terres qu’ils ont travaillées. Le principe de « la terre à celui qui la travaille » est prôné surtout par les gouvernements qui cherchent à s’ériger en arbitre de la mise en valeur des terres, mais aussi à s’infiltrer dans les affaires locales par le biais du foncier, jusque-là hors de leur contrôle.
10En théorie, ces nouvelles lois permettent :
- à tous les exploitants qui ont des moyens en main-d’œuvre et matériel de mettre en valeur des terres. Il est important de rappeler que dans cette région, le facteur limitant de la production agricole est la main-d’œuvre et pas encore la terre ;
- d’améliorer la gestion de la fertilité (par la mise en jachère protégée et, l’intensification des systèmes d’exploitation du fait de la sécurisation du statut de celui qui met en valeur les terres) et de conférer un statut foncier aux jachères qui sont aussi des espaces à vocation fourragère de qualité ;
- de limiter les domaines fonciers non mis en valeur par les descendants des premiers occupants et de retirer aux grands usufruitiers le prestige lié au fait de prêter ou de donner des terres. On remet en cause le principe d’une gestion des terres au sein du lignage qui aurait pu être de type patrimonial, si elle s’était faite de façon plus consensuelle et ordonnée en fonction des besoins de chacun ;
- – de protéger les zones de parcours des appétits des défricheurs, ce qui limite l’exode des grands éleveurs vers les forêts, et de favoriser l’intégration spatiale de l’agriculture et de l’élevage.
La mise en œuvre des nouvelles lois foncières dans le cadre de la décentralisation
Les nouvelles prérogatives des conseillers ruraux en matière foncière
11Décentraliser consiste à confier le pouvoir de décider de certaines affaires publiques à des personnes juridiques autres que l’État, appelées généralement collectivités locales, correspondant à des sous-ensembles géographiques du territoire national, disposant d’organes de décision élus et d’un patrimoine en propre, de ressources financières et de capacités de gestion. Ces lois de décentralisation ont été dictées dans les années 1970, puis remises au goût du jour en 1996, devant la pression des bailleurs de fonds et l’urgence de régler le problème casamançais. Agrémentées d’un nouveau code forestier en 1998, elles ont donné aux CR, par le biais de leur Conseil rural élu, de nombreuses prérogatives en matière de gestion des ressources naturelles et foncières, et de développement pour les espaces ne relevant pas du domaine de l’État :
- la réglementation de l’accès à la terre et son utilisation dans la communauté rurale et la répartition des terres du domaine national allouées, retirées ou réorganisées ;
- la gestion des parcours de bétail ;
- la planification et l’organisation de la protection et de l’exploitation des ressources naturelles (réglementations pour l’accès aux ressources en eau et leur utilisation, le contrôle des ressources forestières par l’attribution de permis de coupe du bois par les services techniques des Eaux et Forêts aux requérants) ;
- la gestion de la collecte des produits forestiers ;- les campagnes de prévention des incendies et le contrôle des feux de brousse…
12L’État a la faculté de confier à une collectivité locale, sur la base d’un « plan local de développement sylvicole », la gestion d’une partie de son domaine forestier. Pour l’exploitation de ces forêts cédées, le versement de la redevance forestière se fait au profit des CR concernées pour leur permettre de développer les exploitations sylvicoles, avec rétrocession d’une partie au Fond forestier national. La philosophie qui se dégage de ce nouveau code est qu’il faut intéresser économiquement les collectivités locales et les responsabiliser pour qu’elles mettent en valeur leur forêt (Sy, 1995 ; Cabinet Panaudit-Sénégal, 1996).
13En tant que projet politique, la décentralisation cherche à déposséder légalement les multiples centres de pouvoir au niveau villageois de leurs prérogatives en matière de justice, d’arbitrage des conflits et de gestion des ressources naturelles et à les transférer aux conseillers ruraux, élus sur la base du programme de leur parti politique. L’intrusion du politique dans les affaires locales ne fait qu’accentuer la compétition pour le pouvoir au détriment de la mise en place de projets de développement. La décentralisation a en fait investi les arènes socio-politiques locales, déjà structurées et traversées par des groupes stratégiques aux intérêts multiples. Dès lors, les enjeux anciens réapparaissent comme déterminants dans ce nouveau contexte (Blundo et Mongho, 1998 :2-3).
Entre mythe et réalité
14La délégation de nouveaux pouvoirs à des institutions censées être représentatives repose sur le postulat de leur homogénéité. Il n’est pas pris en compte le fait que, même en situation de déstabilisation ou de recomposition, les principes coutumiers restent prédominants vis-à-vis des dispositions foncières « modernes », qui se révèlent ineffectives car trop éloignées des conditions réelles de la vie et de la production rurales (Chauveau, 1998). La décentralisation comporte aussi certains risques qu’il convient de prendre en compte dans les stratégies de mise en œuvre. D’une part, la politisation des affaires foncières par le biais des élections peut aggraver les clivages politiques, susciter des mouvements centrifuges et conduire à des blocages du fonctionnement des collectivités locales, ou à leur utilisation à des fins non légales. En effet, lorsque la démocratie locale n’est pas suffisamment établie, les instances traditionnelles dominantes peuvent être tentées de confisquer le pouvoir local, administratif et financier. D’autre part, les collectivités locales, en raison du manque de compétence des élus et des gestionnaires, risquent d’avoir une efficacité très limitée que la corruption, en cas de manque de transparence et de contrôle dans les prises de décision et la passation des contrats et marchés, ne fait que détériorer.
Les principes de gestion patrimoniale du foncier à l’épreuve de la mise en pratique des lois de décentralisation et de la LDN
15En Haute-Casamance, ces lois n’ont interféré dans la gestion des terres que récemment (fig. 1, p. 134). A partir du début des années 1990, le retour de migrants internationaux, la scolarisation des jeunes et la pression foncière exercée par les Sahéliens en manque de terres et les fonctionnaires désireux de mettre en valeur les terres péri-urbaines ont influé sur les mentalités des villageois de cette région qui jusque-là géraient leurs terroirs selon la coutume. Cela a motivé des agriculteurs pour accaparer des terres et faire appliquer la LDN. Même si la loi de l’État ne s’est pas imposée à l’échelle locale, elle n’en a pas moins eu des effets significatifs, à l’origine de nombreux dysfonctionnements dans la répartition des terres et de frictions sociales.
Les CR, des entités peu susceptibles de mettre en œuvre une gestion patrimoniale des ressources foncières et forestières
16Pour gérer de façon patrimoniale des ressources naturelles, il est essentiel que la communauté gestionnaire appartienne à un territoire défini, reconnaisse son bien et soit d’accord pour établir des règles qui le régissent et permettent sa pérennité et sa transmission. Si l’on confronte ce principe aux pratiques foncières en œuvre au sein des CR en Haute-Casamance, on peut mesurer l’étendue du fossé qui les sépare.
Le manque d’adéquation spatiale et sociale des CR
Un découpage territorial ne reposant pas sur des caractéristiques socio-politiques locales
17Si les CR sont des collectivités locales, personnes morales de droit public, dotées de l’autonomie financière et disposant à ce titre d’un budget et de ressources financières propres, elles sont créées par décret qui en détermine le nom et en fixe les limites. Ainsi le découpage territorial des CR s’est effectué selon des critères de comptabilité sociale et économique et d’impératifs politiques. Ces structures territoriales décentralisées se caractérisent par une grande rigidité et une absence d’adaptation juridique aux spécificités locales. La décision n’émane pas des villages eux-mêmes, ce qui peut être l’origine de regroupements « explosifs ». Contrairement aux arrondissements qui, correspondant plus ou moins aux anciens cantons, ont gardé les anciennes limites des provinces précoloniales mandingues, les CR sont dépourvues de légitimité historique.
Des entités regroupant des populations hétérogènes
18En Haute-Casamance, les CR regroupent des villages de population dite « peule », mais d’origines géographiques et sociales diverses, arrivées dans la région en plusieurs vagues migratoires. En provenance, à partir du xve siècle, de l’aire sahélienne, puis du Fouta Djalon et de Guinée portugaise pour les migrations les plus récentes, les Peuls de Haute-Casamance ont été rejoints par des éléments d’origine servile qui ont fui à l’époque coloniale les potentats locaux ou la rigueur de la colonisation au Fouta Djalon et en Guinée portugaise, pour se réfugier dans le Fuuladu. Les populations se sont fixées sur le territoire selon plusieurs modes eut égard à leurs différents types de migrations, individuelles ou en groupe, soit pour fuir des pays en guerres ou secoués par des crises politiques, soit rechercher de nouveaux pâturages pour le bétail ou étendre l’islam, (Fanchette, 1999b). Contrairement à d’autres régions soudaniennes, les Peuls de Haute-Casamance pratiquent aussi bien l’agriculture que l’élevage. Cependant, de nombreuses divergences existent entre sous-groupes peuls, selon leurs modes de contrôle spatial, le type de regroupements démographiques, l’importance de l’élevage ou le pouvoir politique et religieux de leurs notables. Mis à part dans la zone du front pionnier septentrional organisé par des marabouts issus du bassin arachidier, les confrontations ne sont pas aussi dramatiques que celles entre Peuls migrants et autochtones agriculteurs en d’autres régions soudaniennes. Le regroupement de populations fort disparates au sein d’une même CR ou ayant eu des rapports conflictuels, comme ce fut le cas entre les Peuls Gaabunke encadrés par des marabouts et les Fuulakunda, peut enfreindre le bon déroulement des actions de développement. Ces populations peules islamisées, fuyant, à la suite d’un marabout torodo originaire du Nord du Sénégal, les percussions religieuses en œuvre au début du xxe siècle dans la région du GaaBu en Guinée portugaise, s’étaient installés dans le Sud de la Haute-Casamance. Ils avaient obtenu la faveur de l’administration coloniale française, soucieuse de stabiliser le peuplement dans cette contrée en partie dépeuplée par les guerres et intéressée par ces populations laborieuses capables de cultiver l’arachide. Plus à même à accepter le pouvoir colonial, sous réserve que l’on les laisse pratiquer leur religion, les GaaBunke ont créé de grands villages, bien structurés et rapidement peuplés par les Peuls islamisés du GaaBu. Ils sont en grande partie regroupés à la frontière occidentale sénégalo-bissau guinéenne et dans une vallée localisée au Nord de la ville de Kolda, qu’ils ont peuplée dans les années 1940, et que l’on appelle le « cangol GaabunkoBe », la rivière des GaaBunke.
Des instances locales au pouvoir variable
19Les autorités locales ont un pouvoir variable au sein des villages selon leur origine ethnique (Peul Fuulakunda3, Fuuta4 Gaabunke ou Jiyaabe5) et l’histoire de leur peuplement. Dans les villages maraboutiques gaabunke, les marabouts possèdent un pouvoir politique et social élevé6. Ils choisissent eux-mêmes les chefs de village et ont investi les Conseils ruraux en faisant élire leurs disciples. Forts de leur poids démographique et politique, les villages gaabunke ont réussi à obtenir la chefferie de certaines CR comme celle de Madina el Hajj, au détriment de villages historiques, tel Bantankuntu Mawnde (fig. 1). Leur poids démographique a de même pesé lors des négociations pour l’obtention de nombreux conseillers ruraux : Giro Yero Bokar, le plus grand village du Fuuladu avec plus de 2000 habitants, concentre le tiers des conseillers ruraux de la CR de Salikenie, ce qui n’est pas sans problèmes pour la résolution des conflits fonciers entre ce village expansionniste et les localités voisines qui voient leurs terroirs systématiquement grignotés par les cultivateurs d’arachide et de coton. De même, pour la nomination des directeurs de coopératives, les Gaabunke monopolisent les postes grâce à leurs nombreux atouts.
20A l’opposé, les villages d’éleveurs bowebe7, ne voulant pas s’administrer, préfèrent dépendre des instances de villages voisins avec lesquels ils ont tissé des liens.
La CR, un niveau administratif peu adapté à la gestion des ressources naturelles
21Les CR sont de taille extrêmement variable. Une CR peut regrouper de 5 000 à 20 000 personnes relevant de 25 à 200 villages. Les densités de population (de 7 à 55 hab./km2 en 1988) ainsi que l’étendue des CR varient également (de 150 à 2 000 km2). Ces caractéristiques ont des conséquences notamment sur la « cohésion sociale » des CR et la mise en place de services (accès à l’eau, l’éducation et la santé). Dans le cas des petites CR, les conseillers ruraux sont souvent issus de l’ensemble des villages. Cette situation améliore la représentativité des villages et favorise une bonne cohésion sociale. Dans les CR regroupant un grand nombre de villages, la reconnaissance des élus par la population est souvent plus faible. Les populations se sentent moins représentées.
22De plus, en pratique, les actions de développement en Haute-Casamance se traitent rarement à l’échelon de la CR, trop grande, hétérogène et traversée par de multiples conflits politiques. En effet, la plupart des initiatives sont prises à l’échelle d’un village ou d’un groupe de villages (école, case de santé, retenue d’eau, piste rurale, etc.), peu d’initiatives concernent l’ensemble de la population de la CR. Les porteurs de dossiers sont donc en général les villages ou des « groupes de base ». Les sources de conflits potentiels sont en effet nombreuses entre les CR et « la société civile ». Quant à la redistribution des crédits alloués pour des investissements au sein des CR, elle pose de sérieux problèmes, chaque conseiller cherchant à faire bénéficier son village de l’enveloppe. On note de même des antagonismes entre certains villages dynamiques sur le plan économique et leur chef-lieu de CR.
23Enfin, la société civile, par le mouvement associatif, n’a pas encore pu assurer une bonne articulation avec les CR et le processus de décentralisation. Les organisations non gouvernementales tentent après l’État, et en dépit du discours de responsabilisation, d’être un passage obligé dans l’expression des doléances et la réalisation des aspirations des communautés de base. Si le mouvement associatif s’est étoffé grâce à de nombreuses ONG qui ont fui la rébellion casamançaise pour s’installer dans la région de Kolda, réputée plus calme, ces organisations agissent de façon dispersée. Aucun plan de développement régional ne structure leurs actions et elles cherchent souvent à contourner les Conseils ruraux dans leur mise en œuvre. Les sources de conflits potentiels sont nombreuses entre des ONG et des conseils ruraux qui s’estiment dépossédés de leur rôle par certaines associations directement soutenues par des intervenants extérieurs.
24Pour certains spécialistes de la décentralisation au Sénégal, dans la pratique le niveau de décentralisation optimale serait celui du village. Celui-ci demeure une entité de vie politique, économique et sociale. Le premier cercle de décisions, après celui de la famille, se situe à ce niveau. Pour A. Rochegude (1998), il faut réserver aux usagers de la collectivité de base, le village, les décisions concernant leur vie quotidienne, et mettre à leur disposition les moyens élémentaires d’information (avec l’appui de l’administration), pour maîtriser réellement leur espace, et notamment le foncier, source de nombreux conflits. Se pose alors le problème de la gestion des espaces intervillageois et de l’aménagement d’infrastructures d’ampleur supra-villageoise.
Des lois incompatibles avec les usages spécifiques des espaces agropastoraux
25Les terroirs villageois se composent de plusieurs auréoles dont l’utilisation varie selon la configuration du milieu, la pression humaine, le pouvoir politique villageois et la charge en bétail. Le statut foncier implicite de ces différentes parcelles est inégal. L’organisation du terroir villageois emprunte un schéma auréolaire, le degré d’intensification des systèmes de culture évoluant en fonction décroissante de la distance séparant le champ du village ; quatre catégories de champs se succèdent ainsi, suivant un modèle plus ou moins concentrique et plus on s’éloigne du centre, plus les droits fonciers deviennent flous :
- dans les bas-fonds et les bas de pente, les faro ou rizières sont bordées par des palmeraies. Le bas-fond constitue une limite d’autant plus ancrée dans la tradition, dans les représentations spatiales des populations du Fuuladu, qu’il correspond habituellement aux limites des terroirs : le faro n’est jamais un no man’s land, au statut foncier précaire. Il constitue le côté fermé des terroirs villageois (tout village s’adosse à un bas-fond), tandis que la brousse est leur côté ouvert. Tout cela confère au premier une certaine intangibilité, du point de vue du droit foncier traditionnel. Le faro est une zone stratégique pour le village, car il fournit l’alimentation de base des populations, il sert de point d’abreuvement du bétail en saison sèche et il constitue le lieu de l’activité principale des femmes : la riziculture. Le village de Bantankuntu Mawnde bénéficie d’un très large bas-fond, par rapport aux autres villages, qui est l’objet de convoitise de la part des villages voisins fortement peuplés, tel Madina el Hajj. Dans certains cas, notamment entre un village-mère et ses satellites, l’imbrication des parcelles au sein du bas-fond crée de nombreux problèmes, notamment du fait du nombre élevé d’intermariages. C’est le lieu des conflits fonciers les plus âpres et d’une grande inégalité dans la distribution des parcelles. C’est un espace fini ;- sur les pentes colluviales, le village est entouré de bammbe ou champs vivriers, prioritairement fumés par les bovins et ovins durant la saison sèche. Ces champs peuvent être revendiqués par les familles pour y construire une habitation, la maison étant prioritaire sur le champ. La mobilité des concessions au sein de la couronne des bammbe est grande dans les villages à dominante d’élevage du fait de la recomposition des familles et des superstitions. Dans les villages maraboutiques, de taille plus grande, de nombreuses familles n’ont plus de bammbe, du fait de l’installation de nouveaux venus ou de la dislocation de ces familles. En périphérie, les kene sont dédiés principalement aux céréales et à l’arachide. Ils font l’objet d’une occupation plus ou moins intensive selon la capacité des villageois à amender les champs. En bordure de plateau les coile ou jachères alternent avec les kene périphériques et servent de lieu de parcage nocturne pour les bovins en hivernage ;
- sur les plateaux, domaine de la forêt claire à usage essentiellement pastoral, se dispersent les segueli ou champs de brousse que les exploitants cultivent à leurs risques et périls en raison de la divagation du bétail et des dégâts causés par les bêtes sauvages. L’utilisation de cet espace dépend de la pression démographique et de l’importance du cheptel bovin. Un minimum d’organisation est nécessaire pour assurer la surveillance des champs. Les Peuls entretiennent avec les brousses, principaux lieux d’affouragement de leur bétail, des rapports « religieux » par le biais de divinités, les jalan, que l’introduction récente de l’Islam n’a pas réussi à effacer. La cure salée ou moonde8 se pratique chaque année dans la brousse et est l’occasion de libations de lait sur les arbres.
« La terre à celui qui la travaille » : un principe difficilement acceptable par les lignages dominants
26La LDN et son application par les structures décentralisées tentent d’effacer le caractère patrimonial des logiques coutumières, notamment en matière de contrôle et de répartition des terres, comme de la transmission des droits fonciers. Le « droit de hache », celui du premier occupant, tend à être remplacé par le « droit de la houe », celui qui met en valeur la terre. Cependant, ces deux types de droits font l’objet de différents niveaux de représentation par les populations villageoises et sont à l’origine de nombreux conflits fonciers et d’une grande variété de modes de règlement des litiges :
- le droit de hache. Le « droit de hache » permettait la constitution et la pérennisation de vastes réserves foncières, transmissibles aux descendants. En registre coutumier, ces droits délégués visent soit à des ajustements entre surfaces cultivées et force de travail, soit à établir ou étendre des rapports de clientèle entre groupes lignagers. En même temps, dans le Fuuladu, les avis divergent selon les villages à propos de la validité du « droit de hache » appliqué aux friches. Certains les considèrent comme des « champs abandonnés depuis si longtemps que ça n’appartient pratiquement plus à personne et que l’éventuel propriétaire ne va pas réclamer si quelqu’un s’installe dessus » (Seku Kannde, Bantankuntu Mawnde, mai 1998, enquête Bûche F.) ; les gens ne revendiqueraient la propriété du fanati9 que si la terre a été fertilisée par la fumure des bêtes au parcage. Selon un informateur, les personnes qui travaillent depuis plus d’une dizaine d’années un champ emprunté peuvent parfois se l’approprier, surtout si elles l’avaient elles-mêmes redéfriché, quand il était redevenu une « brousse » (Baylel Balde, Bantankuntu Mawnde, mai 1998, enquête Buche F). D’autres n’admettent pas cette prescription du droit de hache : « si celui qui l’avait défriché en premier est toujours là, le champ lui appartient toujours » (El Hajj ‘Usman, Kataba ‘Usman, juillet 1998, enquête Buche F). Dans ce cas, celui qui redéfriche doit demander l’autorisation au premier défricheur ou à ses ayants droit ;
- le « droit de la houe » ou « la terre à celui qui la travaille ». De nombreux exploitants du Fuuladu considèrent la LDN comme une menace pour leur sécurité foncière et les pratiques de reconstitution de la fertilité des terres. Affirmant que la terre est à celui qui la cultive, l’État a parfois « dé-sécurisé » les ayants droit coutumiers, en les amenant à réduire les prêts ou à mettre en culture les jachères pour marquer leurs droits (Lavigne-Delville, 1998).
27Le village de Giro Yero Bokar, par exemple, doit en partie sa grande taille à la cohésion régnant entre les descendants des fidèles du marabout fondateur. Pour un de nos interlocuteurs : « Si on avait appliqué la LDN dans notre village, il n’aurait pas été si grand ». En revanche, à Saare Yoro Banna, les villageois se plaignent de ce que la loi a incité certains agriculteurs, notamment des étrangers au village, à s’installer sur les jachères ou les friches d’autrui : les propriétaires spoliés n’osent pas protester parce qu’ils savent que, dans le cadre du droit moderne, ils n’ont plus aucun droit sur des terres non travaillées (Saare Yoro Banna, décembre 1997). Aussi, les habitants du village de Giro Yero Manndu se déclarent-ils hostiles à la loi : ils craignent qu’elle les empêche de pratiquer l’assolement, et surtout qu’elle les prive de leurs droits sur les terres léguées par leurs ancêtres ; on redoute que certains ne profitent de la loi pour s’approprier les terres défrichées par les aïeux (Giro Yero Manndu, mars 1998, enquête Buche F.).
28Selon le jarga (chef de village) de Madina Kunfarang, la loi sur le domaine national est injuste, parce qu’elle stipule qu’on ne peut conserver que les terres que l’on cultive, alors qu’on a parfois besoin de laisser reposer les terres pendant longtemps, lorsqu’elles sont appauvries ; il pense que la loi ne reconnaît pas les jachères et empêche les exploitants de pratiquer l’assolement, par crainte d’expropriation (Madina Kunfarang mai 1998, enquête Buche F.). Ces appréhensions, partagées par la plupart des acteurs du monde rural, dénotent leur méconnaissance de la loi ; en effet, on peut faire une demande au conseil rural pour laisser un champ en jachère si la terre est appauvrie, afin de la préserver de l’appropriation par un tiers. Une autre solution consiste à faire la demande d’une superficie supérieure à celle qui sera réellement exploitée la première année, afin de pratiquer l’assolement sur l’ensemble de la parcelle, en laissant en jachère chaque moitié du champ, alternativement.
Le réaménagement des logiques foncières traditionnelles dans le contexte de la mise en place des nouvelles réformes
29L’instauration du « droit de houe » rend caduques les stratégies d’accumulation de terres en vertu du « droit de hache » ; les friches risquent désormais d’être appropriées par les exploitants disposant d’une main-d’œuvre abondante et/ou de matériel performant. La crainte de voir disparaître du domaine familial des terres préservées de génération en génération contraint les paysans à aménager leurs stratégies foncières, issues de logiques coutumières, en fonction de la loi moderne (Buche, 1998).
Les prêts de terres : un moyen de contrôle social et d’ajustement de la main-d’œuvre aux terres cultivées
30En fait, les prêts de terre sont toujours pratiqués, même si l’existence de la LDN en a modifié les modalités. En l’absence d’application systématique de la loi, les prêts de terre se sont maintenus, mais de nouvelles conditions, intégrant le risque de l’expropriation, sont apparues, telle la limitation de la durée du prêt à une ou deux saisons de culture. La LDN a ainsi induit des pratiques hybrides, issues d’un contexte où prévaut le droit coutumier, mais où chacun tient compte de l’existence de la loi moderne et de son potentiel de déstabilisation, même si elle n’est pas effectivement appliquée : le système des prêts tournants permet de perpétuer les prêts de terre en évitant que les emprunteurs aient recours à la loi pour s’approprier les parcelles empruntées (Buche, 1998). Le « prêt tournant » constitue en fait une excellente méthode pour les grands usufruitiers pour conserver le contrôle de parcelles qu’ils n’auraient pas les moyens de mettre en valeur eux-mêmes, en les préservant de la LDN. Et si ce système perdure, c’est parce que certaines catégories de villageois ont besoin d’emprunter des terres et n’osent plus s’installer de facto sur des friches, de peur de rompre la solidarité villageoise ou d’investir dans un défrichement coûteux pour une durée de mise en culture limitée.
Les prêts de terre : ils permettent de diminuer l’inégale répartition des terres
31On constate, dans certains villages, une forte inadéquation entre les superficies détenues en usufruit par des exploitations et leur taille démographique, en raison de l’histoire des familles, des migrations et de la mortalité. Les agriculteurs dont la famille, installée depuis peu au village, n’a pas encore eu le temps de capitaliser un fond par droit de hache, sont contraints d’en emprunter aux grands usufruitiers.
32À Bantankuntu Mawnde, la concurrence foncière entre Peuls et Mandingues ou entre jeunes et anciens de tendances politiques opposées est à l’origine de nombreuses frictions. Les agriculteurs mandingues qui, bien que moins nombreux, avaient largement défriché la brousse dans les années 1960, n’ont plus les moyens en main-d’œuvre – la plupart des jeunes mandingues ont quitté le village à la fin des années 1970 au moment de la crise de l’arachide provoquée par l’arrêt des subventions à cette culture – ou en matériel pour mettre en valeur leurs terres dont certaines ont été abandonnées depuis plus de 20 ans. Les Peuls Fulakunda, en revanche, ont moins de terres, car ils ne s’étaient pas engagés dans la course à la terre dans les années 1960 mais la génération des 30-40 ans est très présente au village, même si un certain nombre a émigré. Ils gèrent des troupeaux de taille moyenne et s’adonnent en parallèle à l’agriculture. Pour la plupart très politisés, ils estiment que la terre est à celui qui la travaille et n’acceptent pas que ceux qui n’ont pas les moyens de les mettre en valeur accaparent des terres, alors qu’ils n’arrivent même pas à nourrir leur famille. Dans de nombreux cas, ils ont fait valoir la LDN pour s’approprier des terres qu’ils avaient empruntées ou qu’ils avaient cultivées en mettant les usufruitiers devant le fait accompli.
33Dans ce même village, les JiyaaBe détiennent proportionnellement plus de rizières que les autres familles mandingues et peules car au moment de la mise en valeur du bas-fond, à la fin du xixe siècle, ils s’adonnaient davantage à la culture du riz. À l’époque, les familles régnantes peules n’étaient pas très intéressées par l’agriculture et laissaient le travail de la terre aux JiyaaBe. Ensuite, les nombreux départs de JiyaaBe au moment de la suppression des aides à la culture de l’arachide dans les années 1970, et les nombreux décès au sein de ce groupe social le plus pauvre du village expliquent aussi la relative concentration de rizières en quelques mains. Ces propriétaires prêtent de nombreuses parcelles aux rizicultrices en manque de terres et notamment à leurs anciens maîtres.
Les prêts de terres, une nécessité pour la mise en repos des terres les plus fragiles
34Les agriculteurs n’ayant pas les moyens de fumer leurs champs laissent au repos une partie de leurs terres et doivent défricher de nouveaux segeli (anciens champs abandonnés à la brousse) à intervalles réguliers, ces terres étant elles-mêmes très pauvres. A Giro Yero Bokar, la jachère est véritablement pratiquée pour reconstituer la fertilité des terres et les exploitants ne craignent pas que leurs terres soient réquisitionnées par les CR ou occupées par d’autres villageois. L’existence de la LDN n’a pas eu beaucoup d’impacts sur les pratiques foncières coutumières au sein du village en raison de la cohésion sociale qui y règne. Le terroir est plus ou moins organisé en plusieurs blocs alternativement mis en culture puis en jachères pâturées, ce qui donne lieu à de nombreux prêts entre agriculteurs. Ce système occasionne rarement des conflits entre exploitants car ceux-ci sont alternativement emprunteurs ou prêteurs. « On peut émettre l’hypothèse selon laquelle, les agriculteurs préfèrent garder un « capital » d’emprunt car tous, à un moment ou un autre, auront besoin d’une parcelle dans un bloc et préfèrent ne pas créer de dissensions entre villageois » (Buche, 1998). Toutefois, il est parfois difficile de trouver des terres à emprunter près du village, du fait de la pression foncière. Cela a poussé une dizaine d’agriculteurs, le fils du marabout en tête, à défricher les passages à bétail qui permettaient d’accéder à une mare proche du village, au grand dam des éleveurs qui la fréquentaient.
Complexité des situations foncières et conflits intra- et intervillageois
- Les détenteurs du droit de hache sur la terre continuent de prêter des terres à ceux qui les sollicitent pour une durée de un ou deux ans, afin de faire perdurer des rapports de clientèle ou de parenté ou de maintenir la cohésion sociale au sein de la communauté. Cette durée limitée ne permet pas de faire valoir la LDN.
- Les détenteurs du droit de hache prêtent des terres sans limite de temps à des parents ou des clients en qui ils ont confiance afin de préserver les liens qui les unissent.
- Les emprunteurs de longue durée ou les squatters refusent de rendre des terres aux détenteurs du droit de hache en mettant en avant la LDN, sans avoir effectué une demande préalable au Conseil rural en bonne et due forme. En cas de conflit, ils font appel aux conseillers ruraux pour avaliser la situation. On rencontre souvent ce cas de figure à la périphérie des grands villages, dont les exploitants grignotent petit à petit les terres de leurs voisins ou dans les villages pluriethniques où les déséquilibres fonciers entre lignages sont tels qu’ils prennent une forme conflictuelle. Légalement, les jachères inter-villageoises relèvent de la juridiction des CR qui sont seules habilitées à redistribuer les terres non mises en valeur. Les villages expansionnistes comme Giro Yero Bokar, dotés d’un nombre suffisant de conseillers ruraux suffisamment élevé et surtout détenteurs d’un pouvoir religieux fort, empiètent sur les terroirs de petite taille de leurs voisins car ils sont capables de contrer les éventuels requérants. Dès lors, lorsque les champs de deux villages se jouxtent et qu’aucune limite précise n’a été définie au préalable, il est risqué de laisser une parcelle frontalière en jachère.
- Dans la zone frontalière avec la Guinée-Bissau, la venue de réfugiés dans les années 1960-1970 a largement contribué à étendre les terroirs cultivés des villages d’accueil, non sans créer un flou quant à l’usufruit des terres, une fois les réfugiés retournés dans leur pays. Ainsi, une famille de Saare Yoro Banna a défriché d’anciennes jachères qui avaient été cultivées par des réfugiés installés dans le village limitrophe de Jalikunda durant la guerre de libération. Après leur départ, ces terres n’avaient plus été mises en valeur par les habitants du village d’accueil. Cela a créé un différend entre les deux villages ; les défricheurs, sous prétexte que ces terres n’étaient pas cultivées depuis trois ans, se sont arrogé le droit de s’y maintenir, tandis que les autres se sont sentis spoliés.
- Le système du prêt tournant est destiné aussi à contrecarrer un mode d’appropriation des parcelles prêtées bien antérieur à l’instauration de la LDN qui consiste à planter des arbres sur une parcelle empruntée, le droit à l’usufruit du planteur, tel que le reconnaît la coutume, débouchant naturellement sur une appropriation globale de la parcelle plantée.
Entre loi moderne et loi traditionnelle : un flou foncier dommageable aux espaces pastoraux
35Dans un contexte de pression pour la mise en culture des terres marginales en coton ou en arachide dans une société au pouvoir de plus en plus fragmenté, les espaces pastoraux font l’objet d’un statut de plus en plus précaire. Pourtant un texte essentiel de 1980 réglemente les ressources pastorales10 et organise les parcours de bétail en définissant les conditions d’utilisation des pâturages et des points d’eau. Ce texte applique les dispositions de la loi de 1972 qui confèrent aux Conseils ruraux des compétences en matière de création de chemins de bétail (loi 72-26, art. 24, 17). En pratique, ce texte intervient plus pour gérer les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs que pour rationaliser l’utilisation des ressources pastorales.
L’introduction du coton, facteur de la division des exploitations agricoles et de recul de la solidarité communautaire
36La philosophie de l’agence de développement qui encadre la culture du coton, la Sodefitex (Société de développement des fibres et textiles), repose sur la responsabilisation des producteurs de coton face au crédit, sur l’action individuelle et le principe que l’agriculture communautaire est peu productive. Cette agence ne s’adresse plus aux chefs de galle (concession), mais aux individus qui reçoivent à titre personnel les intrants, les machines et le revenu de leur récolte. Cela a favorisé la pullulation des sous-exploitations. Cette individualisation des exploitations avait déjà commencé à s’opérer avec la croissance numérique du bétail dans les années 1970 et le besoin de scinder les troupeaux pour mieux les gérer. Le progrès de l’équipement a entraîné le recul des travaux collectifs et de la solidarité, et l’innovation technique est devenue une source de différenciation sociale et d’inégalité économique au sein des communautés familiales et villageoises.
37Le morcellement des structures familiales de production et l’affaiblissement de la cohésion sociale au sein des villages ont segmenté les patrimoines fonciers et modifié les règles de gestion concertée des terroirs agropastoraux. Les parcelles de coton sont disséminées sur le finage du village et ont même tendance à se situer en périphérie du territoire villageois. Les animaux sont maintenus à l’écart des terres de culture, jusqu’à ce que la plus grande partie des parcelles de coton soit récoltée. Cela entraîne un retard dans la mise en vaine pâture des champs de maïs et de mil qui constituent un fourrage apprécié en fin d’hivernage. Le développement du coton par la frange la plus dynamique des cultivateurs s’est traduit par une aggravation des différenciations sociales et un accroissement des contradictions potentielles entre les intérêts privés et communautaires. Et pourtant, dans un système de production où l’élevage joue un rôle important, à la fois aux niveaux économique, social et symbolique, il est impératif de sauvegarder les intérêts communautaires pour gérer de façon conservatoire les espaces de parcours, principaux lieux d’affouragement des troupeaux.
La LDN et la course à la terre organisée par les lignages les plus faibles
38La LDN a provoqué une course à la terre de la part des exploitants ayant des moyens en matériel ou en main d’œuvre pour mettre en valeur leurs anciennes jachères, qu’ils ne veulent plus prêter. De même, les exploitants des lignages les plus faibles cherchent à mettre la main sur des terres de parcours. Dans les villages où règne une certaine cohésion sociale, comme dans les fondations maraboutiques, les cultivateurs n’appartenant pas aux familles fondatrices ou des jeunes en rupture familiale n’osent pas s’installer de facto sur les anciennes friches. Ces cultivateurs ne veulent plus emprunter d’anciennes jachères et investir dans un coûteux défrichement, si c’est pour se voir retirer leurs champs au bout de trois saisons. Ils préfèrent défricher les terres de brousse jamais mises en valeur pour se constituer leurs propres réserves foncières au détriment des espaces pastoraux. A Santankoye, cette course a commencé avec le relèvement du prix du coton. Plusieurs exploitants se sont organisés en 1995 pour défricher conjointement plusieurs dizaines d’hectares de forêt pour la culture du coton, au-delà de l’auréole des coile. Cela a créé des frictions avec les villages voisins et les éleveurs qui y faisaient pâturer leurs troupeaux. Selon Paul Pélissier (1995) l’on aboutit à ce paradoxe que le meilleur moyen pour des villageois d’assurer un patrimoine foncier à leurs enfants, c’est de brûler la forêt que leurs ancêtres ont soigneusement préservée pour les parcours du bétail, la cueillette et la chasse. Cette course à la terre s’accompagne de techniques expéditives pour la main mise sur l’espace dont les conséquences sur l’environnement sont désastreuses.
39Pour accaparer de nouvelles terres, les défricheurs les cultivent sommairement, rendant toute amélioration des rendements aléatoire. Ce choix est gros de conséquences sur le devenir de l’environnement, car les exploitants défrichent des espaces boisés de faible qualité agricole aux abords des plateaux, ce qui accentue le processus de dégradation des terres par érosion, et freine les possibilités de développement agricole et pastoral. Dans la zone de Vélingara, dès 1978, plus de la moitié de la surface défrichée pour la culture du coton concerne un milieu morphopédologique instable (Ange, 1984).
L’absence d’intervention des conseillers ruraux pour régler les conflits entre agriculteurs et éleveurs
40Dans de nombreux cas, les conseillers ruraux ne sont pas sollicités pour régler des différends entre villages et entre agro-éleveurs et agriculteurs : les villageois se débrouillent entre eux ou laissent la situation s’empirer. Certains présidents de CR affirment n’avoir jamais été sollicités pour délimiter des passages à bétail ou pour intervenir lors de défrichements, alors qu’ils sont les seuls à pouvoir régler ces litiges. En cours d’hivernage, les éleveurs ne peuvent plus envoyer leurs troupeaux dans les forêts classées pour les abreuver aux grandes mares : la plupart des passages à bétail qui permettaient d’y accéder ont été défrichés par les villages dont les terroirs sont contigus à ces forêts. Là encore, les carences de la gestion des espaces intervillageois par les Conseils ruraux sont patentes. Pourtant, la délégation de pouvoir à ceux-ci aurait dû permettre d’organiser à un niveau supra-villageois les parcours pastoraux, ce que les chefs de villages ne pouvaient entreprendre eux-mêmes. La non application de la LDN en matière pastorale profite aux agriculteurs qui, pour mettre la main sur le maximum de terres, cultivent de façon très extensive, uniquement pour faire valoir leurs droits et coupent les accès aux parcours. De plus, les forêts classées, très nombreuses en Haute-Casamance, sont en grande partie occupées par des colons originaires du Saloum, au Nord de la Gambie (Fanchette, 1999 b). La déficience de l’État génère de fait l’accès libre dans les forêts classées et transforme la terre en facteur de production surabondant. Les villages dont les lappi (Lappol au sing. : passage à bétail) ont été respectés sont dirigés en général par un chef de village ou un marabout suffisamment puissant pour faire valoir les droits des éleveurs. Mais lors de nos enquêtes, nous n’avons pas rencontré de lappol ayant été protégé ou délimité par les instances communales.
Les contradictions du système foncier : des lois modernes rarement appliquées par les instances élues pourtant mises en place à cet effet
Les conseillers ruraux et la gestion patrimoniale du foncier
Des conseillers ruraux peu représentatifs des populations
41Devant appartenir à un parti politique, les conseillers ruraux ne représentent pas les femmes et les jeunes à la hauteur de leur participation dans le développement local. Ces acteurs locaux sont souvent organisés en association ou GIE, mais sont peu intégrés dans les structures politiques officielles. Les conseillers ruraux font appel à différents registres – moderne ou traditionnel – pour régler les conflits fonciers en fonction de leur position sociopolitique au sein de l’échiquier villageois. Comme ils sont élus, ils ne peuvent pas mécontenter leurs électeurs : appliquer la loi les mettrait en porte-à-faux avec la population, et, en tant que politiciens, ils doivent jouer avec des logiques partisanes. Les notables peuvent utiliser leurs influences lignagères, mais ceux d’origine paysanne ne parviennent pas toujours à se faire respecter : ils ont bénéficié d’un transfert de pouvoir, sans transfert de statut.
42La difficulté à arbitrer les conflits fonciers s’explique dans bien des cas, par le fait que les conflits ne résultent pas tant de la pression sur les ressources, ou de la disparition des instances de régulation sous l’effet de cette pression, mais de la pluralité des normes (droit local, droit de l’État, etc.) et des instances d’arbitrage (chefferie, administration, services techniques, etc.). Cette pluralité d’instances fait que les conflits ne peuvent guère trouver d’issue et qu’un arbitrage reconnu n’arrive pas à s’imposer (Lavigne-Delville, 1998).
43La coexistence de deux systèmes de normes foncières permet aux acteurs de jouer leur propre jeu et de porter devant l’une des instances une revendication qui n’aurait pas de légitimité dans une autre. En fait, les conseillers ruraux sont incapables de gérer les terres sans passer par l’aval des anciens et des chefs de villages qui possèdent une légitimité plus forte qu’eux aux yeux des villageois. Les chefs de villages et les anciens qui ont une connaissance très précise des limites de champs ou des jachères tout comme les conseillers ruraux interviennent à des degrés variables dans la gestion de ces espaces, en ayant recours à la fois au droit coutumier et au droit administratif.
44Toutefois, entre ces différents acteurs de la démocratie villageoise, des conflits de pouvoir émergent, pour des raisons politiques, ethniques ou familiales. Certains villages n’ont pas de conseillers ruraux, ce qui les met en position de faiblesse lorsqu’ils ont besoin de faire arbitrer des conflits avec le village dont ils dépendent sur le plan administratif. C’est le cas d’un village détenant de nombreux troupeaux, Tuba Sankung, en litige avec un grand village maraboutique, Jambanuta, grand producteur de coton et représenté par un conseiller rural.
Le manque de compétence des élus locaux
45L’État a transféré au niveau local des responsabilités sur-dimension-nées par rapport aux capacités de gestion des conseillers ruraux : majoritairement analphabètes11, leur niveau de maîtrise des affaires publiques est très faible et leur manque de connaissance des ressources de leur communauté est criant (Mamadu Balde, agro-éleveur, Bantankuntu Mawnde, enquête Buche F., décembre 1998). Kolda fait partie des régions les plus pauvres du Sénégal et les moins bien desservies par les infrastructures d’éducation et de santé. Tardivement rattachée au Nord du pays par une route nationale, la Haute-Casamance est restée jusqu’en 1984, une zone périphérique de la région de la Casamance, dont la capitale était Ziguinchor. Ce manque de formation des jeunes et l’absence de cadres se reflètent gravement sur la capacité des élus à appliquer les nouvelles lois. La majorité des conseillers ruraux ne maîtrisent pas les textes afférents à la décentralisation (il faut rappeler que les actions d’information ont rarement été faites en langue locale), bien qu’on assiste à un retour à la terre des scolarisés sans emploi. Cependant, pour la législature de 2002, il a été décidé que les présidents des CR soient éduqués. Selon Darbon (1989), sans agents locaux professionnalisés, capables de former avec les élus locaux une véritable technostructure administrative, la Casamance n’aura aucune dynamique propre d’évolution et ne pourra définir des politiques publiques locales.
46Les compétences portant sur l’environnement et la gestion des ressources naturelles sont parfois jugées au-dessus de la maîtrise technique réelle de ces entités. Ce domaine a été, en effet, celui où le monopole de l’État a été intégral. De plus, les aptitudes techniques, les capacités d’action et de coordination des Conseils ruraux en matière de gestion de l’environnement devraient dépasser le cadre territorial local (Ndiaye, 1997). Ainsi, en dépit de pouvoirs formels étendus dans ce domaine, la plupart des Conseils ruraux n’ont eu qu’une expérience limitée en la matière et, jusqu’à très récemment, ont montré peu d’intérêt à y affecter leurs ressources financières limitées. Peu de Conseils ruraux ont une commission de « gestion des ressources naturelles », et rares sont les conseillers ayant activement participé au plan local de développement de leur circonscription. De toutes les façons, ils s’en servent peu pour guider leur programme d’investissement (Gellar, 1997). Les commissions existantes – attribution des terres », « finances », « affaires sociales » – semblent refléter avec exactitude leurs préoccupations principales. A. Bathilly (entretien à Dakar, mars 1999), anciennement ministre de l’Environnement, pense qu’il faut intéresser financièrement les CR à la gestion des ressources naturelles et aux contrôles des défrichements, si l’on veut qu’elles s’investissent dans ces actions. Les prérogatives actuelles des CR se limitent à la gestion des problèmes fonciers et à la levée de la taxe rurale. Dans certaines circonscriptions, il arrive même que les conseillers ne se réunissent pas de toute l’année, du fait de la gratuité de leur fonction, sauf en session pour le vote du budget. Cela explique en partie les grandes difficultés que rencontrent les CR pour récupérer la taxe.
Le manque de légitimité des conseillers ruraux et la politisation de la gestion foncière
47Le fait que les lois de décentralisation sont impulsées par l’État, connu pour son centralisme hérité du système français, suggère que cette politique traduit d’abord un souci de pénétration du milieu local, avec tous les problèmes de compétition pour le pouvoir qu’il implique, plutôt qu’une volonté d’attribuer aux collectivités décentralisées les moyens d’une autonomie (Coulon, 1979 ; Blundo et Mongho, 1998 : 2-3). La mise en œuvre d’une telle politique est contraire au principe de patrimonialisation de la gestion des terres qui implique un ordonnancement négocié plutôt qu’imposé. Selon ce principe, la question des autorités indépendantes est essentielle pour écarter la gestion du foncier et des ressources renouvelables des enjeux du clientélisme politique et conférer ainsi une nouvelle légitimité à l’action publique. Ce malentendu suggère plusieurs interrogations qui risquent de mettre en cause la mise en place du processus de décentralisation au Sénégal, notamment son application dans la gestion quotidienne des affaires locales. Les conseillers ruraux étant élus par les populations, on pourrait en déduire une meilleure représentation des différentes couches de la société rurale. Mais le domaine foncier, très convoité, est par excellence le lieu de la « récupération politique ». La gestion des ressources locales relève d’un mode de gestion clientéliste et s’accompagne d’un renforcement des privilèges de certaines catégories sociales. Pour asseoir leur réseau, les politiciens relayés parfois par l’administration cherchent l’appui des notables qu’ils obtiennent en échange d’autres services, dont notamment des distributions de terres (Darbon, 1989).
48La méfiance des masses rurales vis-à-vis de structures exogènes repose sur le fait que leurs représentants ne sont pas de véritables acteurs responsables et cooptés par les populations, mais sont l’émanation des notables qui les dirigent, des organisations non gouvernementales qui les ont promus ou encore des partis politiques qui les utilisent.
49Selon le président de la CR de Pata, les difficultés que rencontrent les élus locaux pour lever les taxes rurales sont symptomatiques du manque de confiance que leur accordent les populations villageoises. Celles-ci pensent que les taxes recouvrées sont utilisées à des fins personnelles par les conseillers, le président du Conseil rural et les chefs de village. Elles prétendent ne pas bénéficier des retombées économiques du paiement de cette taxe dans leur vécu quotidien (Le Soleil, 23 novembre 2000). Le taux de recouvrement est extrêmement faible.
50Certains villageois pensent que la LDN a été appliquée quand cela arrange les responsables, et que cela permet de régler les contentieux en faveur de ceux qui disposent d’une influence sur le Conseil Rural. Ceux qui ont le meilleur niveau d’information profitent de la LDN ; la plupart des paysans ne la connaissent même pas (alors que ceux qui n’ont pas beaucoup de terres auraient intérêt à ce qu’on applique la loi). Certains conseillers ruraux gèrent plus l’utilisation des terres et des espaces forestiers de façon patrimoniale qu’ils ne développent leur communauté, répondant ainsi aux exigences des réseaux familiaux, confrériques ou politiques. La politisation des conseils ruraux renforce la complexité de la gestion des espaces ruraux, déjà entachée par des antagonismes ethniques ou générationnels. Dans le cas extrême de Madina Gunass, ces problèmes ont été à l’origine de conflits sanglants.
51Certains élus influents au niveau local inciteraient au non-paiement de la taxe, lorsqu’ils ne font plus partie de l’équipe au pouvoir dans la CR. Les projets de développement mis en place par des ONG dans les villages peuvent aussi être sources de conflits entre les différentes factions politiques ou ethniques qui en bénéficient. Ainsi, les luttes politiques régionales entre tendances A et B de l’ancien parti socialiste se sont répercutées au niveau du village de Bantankuntu Mawnde et ont freiné la mise en place d’un projet de développement. De même, dans l’un des villages enquêtés, certains villageois ne s’adressent pas au conseiller qui est du parti de l’opposition, mais à un autre de même tendance politique qu’eux.
Le refus des Casamançais d’accepter les lois sur la décentralisation
52Etienne Le Roy (1982) a souligné la réceptivité très inégale de la société sénégalaise à l’égard de la première réforme de décentralisation. Alors que les sociétés du bassin arachidier, déjà fortement inscrites dans les rapports économiques orientés vers la capitale et vers l’économie mondiale, acceptent généralement la réforme, d’autres populations la récusent (Casamance et Vallée du Fleuve). Tout dépend de la nature des rapports entre l’État et les intermédiaires, notamment ceux issus des confréries religieuses ou des structures d’encadrement de la production comme les coopératives, mises en place pour pallier un défaut de légitimité étatique auprès des populations villageoises. Ces intermédiaires vont s’approprier en partie le processus de décentralisation et affronter les nouvelles classes émergeant avec la politisation des affaires locales.
53La gestion de la Casamance par une administration qui a été perçue localement comme étrangère et dominée par les Wolofs, et de plus comme autoritaire, a été rejetée. Les relations entre les conseillers ruraux et les villageois peuvent être conflictuelles. Ceux-ci considèrent souvent leurs conseillers comme des alliés de l’État ou du parti au pouvoir, qui sapent l’autorité coutumière sur les terres et les ressources naturelles et attribuent ces dernières à l’État ou à des étrangers (Gellars, 1997 : 57).
La gestion foncière comme révélateur des relations sociales
54Dans le texte intitulé « La logique des systèmes coutumiers », Jean-Pierre Chauveau (1998) montre que les règles foncières sont d’abord des règles sociales avant d’être des règles juridiques, comme l’indiquent les métaphores tirées du langage de la parenté ou de l’autorité politique traditionnelle et utilisées pour caractériser les relations « juridiques » entre individus. Dans un conflit d’une nature quelconque (pas seulement foncier), les parties opposées sont liées entre elles par des relations de natures très diverses (de parenté, d’alliance ou de clientèle, d’autorité politique ou religieuse, de hiérarchie statutaire, etc.). C’est pourquoi les jugements coutumiers sont argumentés selon des normes sociales plus morales que juridiques ; les juges recherchent davantage à prévenir la rupture des relations sociales, en tenant compte de la multiplicité d’intérêts en jeu dans le conflit et en proposant un compromis acceptable dans les circonstances particulières du conflit, qu’à trancher en fonction d’une « jurisprudence » établie. Il n’en va pas différemment lorsque l’objet du différend est de nature foncière, qu’il s’agisse des relations entre membres d’une même communauté ou avec des « étrangers » à la communauté.
55Ainsi, les interventions des conseils ruraux au nom de la LDN demeurent des cas d’espèce ; les conseillers se contentent le plus souvent de se substituer aux chefs de village, en reprenant les fonctions de conciliateurs et de garants du modèle coutumier traditionnellement dévolu à ces derniers, dans le cas des problèmes fonciers. Si le problème n’est pas grave, il peut être réglé entre le jarga et un conseiller (Buche F., Notes de terrain, décembre 1997 – Malang Jabula, conseiller rural de Bantankuntu Mawnde).
56En dépit des attentes, le paysage institutionnel traditionnel ne sera pas entièrement gommé par les organes issus de la décentralisation sénégalaise, qui vont s’ajouter, tout en les modifiant, aux systèmes de gestion précédents (Blundo, 1998 a : 23). Rares sont les conflits fonciers dont la résolution fait l’objet d’une délibération de la part des Conseils ruraux ou d’un rapport établi par les commissions domaniales, et cela pour de multiples raisons.
57La majorité des conflits, notamment ceux qui opposent les habitants d’un même village, sont arbitrés localement sans demander l’intervention des instances administratives et des élus. Les membres élus des Conseils ruraux n’ont parfois pas l’autorité nécessaire pour faire appliquer les sanctions en cas de violation des règlements arrêtés par les Conseils ruraux. Ainsi à Tuba Sankung, un conflit avait éclaté entre des éleveurs et des agriculteurs du village voisin, Jambanuta, dont les champs avaient été saccagés par les troupeaux. Les agriculteurs de Jambanuta ont remis en culture l’espace en friche qui permettait aux troupeaux d’accéder aux points d’abreuvement dans le bas-fonds. Pour les éleveurs, cet espace constituait un lappol, alors que ni la CR, ou ni même les anciens ne l’avaient délimité. En revanche, les agriculteurs de Jambanuta estimaient qu’ils étaient dans leur droit de remettre en culture ces terres défrichées par leurs parents. Ce type de conflit montre l’ambiguïté du statut traditionnel du lappol situé sur d’anciennes jachères. L’utilisation des terres comme couloirs à bétail n’est pas reconnue comme une mise en valeur. Les populations litigieuses ont fait intervenir les anciens. C’est ainsi que les éleveurs ont obtenu l’abandon des réclamations des agriculteurs en activant des relations familiales. S’il n’y avait pas eu de liens familiaux, les éleveurs de Tuba Sankung auraient dû payer, mais cela aurait créé un différend. Lorsque les commissions foncières sont appelées à intervenir, elles cherchent à trouver des solutions à l’amiable en tenant compte des réalités sociales et en activant les réseaux de parenté. Parfois, craignant de rompre une solidarité villageoise, elles considèrent inutile ou même socialement déstabilisateur d’officialiser les décisions prises. Quand les tentatives de règlement à l’amiable échouent, les conseillers ruraux font intervenir le sous-préfet. Même ce dernier ne parvient pas toujours à faire appliquer la LDN : il ne réussit pas à résoudre un conflit ou il conseille aux villageois de « couper la poire en deux », ainsi que les terrains, pour éviter des conflits que pourrait générer l’application de la LDN. La situation de « pluralisme juridique » qui caractérise la tenure foncière au Sénégal ouvre donc aux paysans la possibilité de choisir le cadre (traditionnel et/ou moderne) de référence pour que leurs stratégies foncières aient la suite la plus favorable. Bien entendu, tous les acteurs n’ont pas les mêmes opportunités de réussite : elles dépendent dans une large mesure de l’ampleur de leur réseau social, de leur poids économique, des relations privilégiées avec les autorités politico-administratives, de la connaissance des textes, de leur capacité d’anticipation des lois foncières modernes, de l’insertion des administrateurs dans les réseaux locaux.
Conclusion
58Les lois afférentes aux affaires foncières et à la gestion des ressources naturelles édictées par le gouvernement sénégalais dans le cadre des lois de décentralisation dans les années 1990 auraient pu permettre d’améliorer les conditions de répartition et de gestion des terres et tendre vers un début de patrimonialisation des terres, au sens conservateur du terme. En effet, les capacités institutionnelles des conseillers ruraux ont été augmentées pour réguler les conflits, le Conseil rural, représentant la population, a bénéficié de nombreuses prérogatives en matière de gestion des ressources naturelles et foncières et de développement. Les populations, elles mêmes, sont de plus en plus impliquées dans la gestion rationnelle des ressources. Les communautés rurales, territoires sous l’égide du Conseil rural élu par la population, étaient censées constituer des espaces homogènes dont les populations se sentaient partie prenantes et responsables. Toutefois, la mise en perspectives de ces réformes à l’aune des particularités sociodémographiques de la région et des rapports qu’entretiennent les différents sous-groupes peuls au territoire, a montré la difficulté de mise en œuvre de ces réformes et notamment les nombreuses contradictions qu’elles ont développées en matière de gestion foncière. Si un processus d’intégration spatiale et sociale a pu s’opérer depuis l’époque coloniale, l’inégale emprise spatiale des différents types de villages, dont la taille moyenne reste encore faible (160 habitants en 1988) et l’intégration limitée de leurs notables aux réseaux politiques nationaux, ont eu raison de leur participation aux processus de décentralisation. Les autorités lignagères, qui assuraient le contrôle foncier et social dans les villages, déjà affaiblies par la scission des grandes unités familiales, ont vu leur pouvoir remis en cause par l’érection des Communautés rurales. L’intégration politique différentielle des groupes sociaux ou ethniques est révélatrice de l’émergence d’autorités religieuses, principalement les marabouts originaires du GaaBu ou du bassin arachidier, ou lignagères pré-coloniales ayant capté le pouvoir politique des CR.
59Par ailleurs, les conseillers élus n’ont pas les moyens humains, techniques et financiers pour mettre en place des programmes de développement, gérer leur patrimoine boisé, en investir les bénéfices, et capter la manne financière de la coopération décentralisée. Inégalement impliqués dans les réseaux politiques ou religieux, non-scolarisés pour la plupart, même si la nouvelle génération des élus a été à l’école, ils gèrent souvent les ressources de leur circonscription de façon clientéliste. Avec la politisation de ces instances, la question foncière demeure insoluble et met en péril l’émergence de projets de développement. Quant à l’administration, elle a du mal à passer « la main » aux nouvelles instances élues, et a gardé entières ses pratiques antérieures. Bien qu’elle soit actuellement plutôt populaire et répandue chez les bailleurs et les pouvoirs publics, la rhétorique du développement participatif et de la gestion décentralisée des ressources naturelles se heurte souvent à cette réalité : le savoir local a rarement été utilisé lors de la création de lois ou de codes nationaux concernant l’environnement ou lors de l’élaboration de projets de gestion des ressources naturelles impliquant les Conseils ruraux et les communautés populaires. Il est cependant une des conditions nécessaires pour une gestion patrimoniale des terres (Gellar, 1997). Mais si la décentralisation est au cœur des questions en débat, les nouvelles règles foncières ne seront efficaces que si elles sont légitimes aux yeux de ceux à qui elles s’imposent et adaptées à la spécificité des milieux et des modes d’exploitation.
60Par ailleurs, en l’absence de projets émanant des populations elles-mêmes et de l’existence de contre-pouvoirs issus de la société civile, le mythe du rapprochement démocratique par la décentralisation demeure pour l’instant inadéquat en Haute-Casamance. « L’objectif de la participation populaire est resté largement inachevé, puisque les ressources des collectivités locales ont été l’objet d’une gestion clientéliste de la part des conseils ruraux investis par des notabilités locales » (Blundo et Mongho, 1998). Mieux (ou pire), il ne semble pas exclu que les difficultés rencontrées soient amplifiées par la décentralisation elle-même qui transfère de fait le pouvoir à d’autres niveaux que celui de l’État, mais pas nécessairement plus proches de la communauté des usagers concernés.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bibliographie
Ange A., 1984 — Les contraintes de la culture cotonnière dans les systèmes agraires de la Haute-Casamance au Sénégal. Paris-Grignon, INAPG, thèse de doctorat.
Babin D., Antona M. et al., 2002 — « Gérer à plusieurs des ressources renouvelables. Subsidiarité et médiation patrimoniale par récurrence ». In Cormier-Salem et al. (éd.), Patrimonialiser la nature tropicale. Dynamiques locales, enjeux internationaux. Paris, IRD Éditions : 79-101.
Blundo G., 1997 — « Gérer les conflits fonciers au Sénégal : le rôle de l’administration locale dans le sud-est du bassin arachidier ». In Tersiguel P. et Becker C. (éd.), Développement durable au Sahel, Paris, Karthala : 103-122.
Blundo G., 1998 — « Logiques de gestion publique dans la décentralisation sénégalaise : participation factionnelle et ubiquité réticulaire ». In Les dimensions sociales et économiques du développement local et la décentralisation en Afrique au Sud du Sahara, Bulletin de l’Apad, 15 : 21-47.
10.4000/apad.555 :Blundo G., Mongho R., 1998 — Décentralisation, pouvoirs sociaux et réseaux sociaux, Bulletin de l’Apad, 16.
Buche F., 1998 — Rapport sur les jachères et le foncier en Haute-Casamance. IRD Bel-Air, rapport de stage, multigr.
Cabinet Panaudit-Sénégal, 1996 — Plan d’action foncier pour la gestion durable des ressources naturelles, 92 p., multigr.
Chauveau J.-P., 1998 — « Quelle place donner aux pratiques des acteurs ? » In Lavigne-Delville P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité. Paris, Karthala, Coopération française : 36-39.
Chauveau J.-P, 1998 — « La logique des systèmes coutumiers ? » In Lavigne-Delville P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité, Paris, Karthala, Coopération française : 66-75.
Coulon C, 1979 — Idéologie jacobine, État et ethnocide, Pluriel, 17 :3-20.
Darbon D., 1980 — L’administration et le paysan en Casamance : essai d’anthropologie administrative. Bordeaux, Centre d’étude d’Afrique noire, Pédone.
Darbon D., 1989 — Déconcentration et décentralisation administrative en Afrique francophone : le cas du Sénégal, Institut international d’administration publique.
Darbon D., Loada A., 1994 — « Demain, de nouvelles institutions, entre dépendance et enjeux locaux : les modèles institutionnels ». In Barbier-Wiesser F. G. (éd.) : Comprendre la Casamance : chronique d’une intégration contrastée, Paris, Karthala : 385-400.
Dugast S., 2002 — « Modes d’appréhension de la nature et de la gestion patrimoniale du milieu ». In Cormier-Salem et al. (éd.) Patrimonialiser la nature tropicale. Dynamiques locales, enjeux internationaux. Paris, IRD Éditions : 31-78.
Fanchette S., 2002 — « La Haute-Casamance à l’heure de la régionalisation : enjeux fonciers et territoriaux ». In Coumba Diop M. (éd.), La Société sénégalaise entre le local et le global. Paris, Karthala : 307-355.
Fanchette S., 1999a — Colonisation des terres sylvo-pastorales et conflits fonciers en Haute-Casamance, Londres, IIED, Coll. Tenures foncières pastorales, 13, 30 p.
Fanchette S., 1999b — « Migrations, intégration spatiale et formation d’une société peule dans le Fuuladu (Haute-Casamance, Sénégal) ». In Botte R., Boutrais J. et Schmitz J. (éd.) Figures peules. Paris, Karthala : 165-194.
Gellar S., 1997 — « Conseils ruraux et gestion décentralisée des ressources naturelles au Sénégal : le défi. Comment transformer ces concepts en réalité ». in Tersiguel P. et Becker C. (éd.), Développement durable au Sahel. Paris, Karthala : 43-70.
Gemdev, 1997 — Les avatars de l’État en Afrique. Paris, Karthala, 340 p.
Karsenty A., 1998 — « Entrer par l’outil, la loi, ou les consensus locaux ? ». In Lavigne-Delville P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité. Paris, Karthala, Coopération française : 46-54.
Lavigne-Delville P., 1998 — « Privatiser ou sécuriser ? ». In Lavigne-Delville, P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité. Paris, Karthala, Coopération française : 28-35.
Le Roy E., 1998 — « De l’appropriation à la patrimonialité : Une brève introduction à la terminologie foncière ». In Lavigne-Delville P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité. Paris, Karthala, Coopération française : 23-27.
Le Roy E., 1998 — « Faire-valoir indirects et droits délégués : premier état des lieux ». In Lavigne-Delville P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité. Paris, Karthala, Coopération française : 87-100.
Le Roy E., 1998 — « Les orientations des réformes foncières en Afrique francophone depuis le début des années 90. » In Lavigne-Delville P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité. Paris, Karthala, Coopération française : 383-389.
Le Roy E., 1982 — Enjeux, contraintes et limites d’une démocratisation d’une administration territoriale : les communautés rurales sénégalaises (1972-1980), Annuaire du Tiers Monde, 8 : 31-75.
Ndiaye P., 1997 — « Gestion des ressources naturelles et décentralisation au Sénégal », Gouvernance locale n° 5, Observatoire de la décentralisation, Safefod, Dakar : 8-11.
N’gaide A., 1997 — « Stratégies d’occupation de l’espace et conflits fonciers : les marabouts gaabunke et les Peuls jaawaringa (région de Kolda-Sénégal) ». In bonnemaison J. cambrézy L., Quinty-Bourgeois L. (éd.), Le territoire, lien ou frontière ? Identités, conflits ethniques, enjeux et recompositions territoriales. Paris, Orstom éditions, coll. Colloques et séminaires.
Pélissier P., 1995 — « Transition foncière en Afrique noire. Du temps des terroirs au temps des finages ». In Blanc-Pamard C. et Cambrezy L. (éd.), Terre, terroir, territoire. Les tensions foncières. Paris, Orstom éditions : 19-34.
Rochegude A., 1998 — « Les instances décentralisées et la gestion des ressources renouvelables. Quelques exemples en Afrique francophone ? ». In Lavigne-Delville P. (éd.), Quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale ? Réconcilier pratiques, légitimité et légalité. Paris, Karthala, Coopération française : 403-422.
Sy M., 1995 — Étude sur le code foncier sénégalais. Saint-Louis, UER Sciences juridiques, univ. de Saint-Louis, 25 p., multigr.
Touré O., 1997 — Espace pastoral et dynamiques foncières au Sénégal. IIED, programme Zones arides, coll. Tenures foncières pastorales, 9, 33 p.
Traoré S., 1997 — « Les législations et les pratiques locales en matière de foncier et de gestion des ressources naturelles au Sénégal ». In Tersiguel P. et Becker C (éd.) ; Développement durable au Sahel. Paris, Karthala : 89-102.
Notes de bas de page
1 Les Communautés rurales (CR) sont dirigées par le Conseil rural (Cr), instance de délibération, et le président du Conseil rural (PCR), organe exécutif de la CR. Le Cr est constitué de 28 membres, hommes ou femmes, élus au suffrage universel direct tous les 5 ans conformément au code électoral. Il élit en son sein un bureau composé du président de la CR (PCR) et de deux vice-présidents. Le Cr délibère sur tous sujets ayant trait aux affaires du domaine de la CR, notamment les affaires foncières et vote le budget. Le PCR est le représentant de l’État dans sa circonscription et l’organe exécutif de la CR. Au titre de l’État, il assume la police administrative et l’État Civil.
2 Il importe de souligner cependant que dans le jargon des politologues et anthropologues du développement, l’expression « gestion patrimoniale des terres » renvoie aussi aux pratiques de certains élus ou notables qui profitent de leur statut pour s’arroger un droit de préemption sur des terres ou les ressources tirées de celles-ci qui ne leur appartiennent pas. Cette conception du patrimoine est liée à la généralisation du droit individualiste dans une société capitaliste. Dans cet article, nous n’utiliserons pas le terme « gestion patrimoniale » pour exprimer ce type de pratique, mais plutôt « gestion clientéliste » des terres.
3 Peuls du Fuuladu, région des Peuls de Haute-Casamance.
4 Peuls originaires de la région du Fuuta Jallon en république de Guinée.
5 Les JiyaaBe, les anciens captifs des Peuls, se considèrent comme étant peuls, et sont vus comme tels par les RimBe, même s’ils n’ont pas les mêmes intérêts et les mêmes connaissances que ces derniers en matière d’élevage. Pour eux, il y a deux types de Peuls : les RimBe et les JiyaaBe.
6 « Le village appartient au marabout et il délègue qui il veut pour être jarga (chef de village). Étant désigné par lui je suis obligé de suivre toutes ses instructions. Il ne faut jamais perdre de vue que le village lui appartient » (Umar Balde, jarga de Dar el Salam, entretien Ngaide, A., 4 juin 1995). « À Santankoye, on ne sait pas qui sera nommé jarga, c’est le marabout, avec l’aide de Dieu, qui s’en occupera. C’est lui qui lui avait donné le titre. Tout celui qu’il choisira, sera accepté par les populations » (Aliu Binta, entretien Ngaide, A., Santankoye le 7 avril 1995).
7 Peuls d’origine semi-nomade venus s’installer à l’est de la Haute-Casamance suites aux exactions des almamy de la Guinée française.
8 Le moonde se fait six à sept fois durant l’hivernage, tout dépendant des moyens financiers des éleveurs. En plus de la cure salée, le moonde sert à traiter les infections parasitaires des bovins grâce aux écorces de laka écrasées et aux feuilles de donki (cordilia pinata) pillées et à les protéger contre les « esprits », à l’occasion de rituels magico-religieux. À Bantankuntu Mawnde, par exemple, on trempe un crâne de singe et un crâne de chien dans le premier trou où ira boire le chef du troupeau. Le singe est un animal paresseux mais qui ne se laissera jamais mourir de faim. On espère ainsi que l’animal qui boira le breuvage se débrouillera toujours pour trouver sa nourriture.
9 Champs abandonnés, situés à la périphérie du terroir villageois, retournés à l’état de brousse et difficile à redéfricher.
10 Il s’agit du décret 80-268 du 10 mars 1980.
11 Dans le département de Kolda, en 1999, tous les présidents de CR, à l’exception de celui de Pata, ne savaient pas établir leur budget.
Auteur
Sylvie Fanchette, géographe, UR 044 IRD, centre IRD Île-de-France, 32, rue Henri-Varagnat, 93143 Bondy cedex.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Ressources génétiques des mils en Afrique de l’Ouest
Diversité, conservation et valorisation
Gilles Bezançon et Jean-Louis Pham (dir.)
2004
Ressources vivrières et choix alimentaires dans le bassin du lac Tchad
Christine Raimond, Éric Garine et Olivier Langlois (dir.)
2005
Dynamique et usages de la mangrove dans les pays des rivières du Sud, du Sénégal à la Sierra Leone
Marie-Christine Cormier-Salem (dir.)
1991
Patrimoines naturels au Sud
Territoires, identités et stratégies locales
Marie-Christine Cormier-Salem, Dominique Juhé-Beaulaton, Jean Boutrais et al. (dir.)
2005
Histoire et agronomie
Entre ruptures et durée
Paul Robin, Jean-Paul Aeschlimann et Christian Feller (dir.)
2007
Quelles aires protégées pour l’Afrique de l’Ouest ?
Conservation de la biodiversité et développement
Anne Fournier, Brice Sinsin et Guy Apollinaire Mensah (dir.)
2007
Gestion intégrée des ressources naturelles en zones inondables tropicales
Didier Orange, Robert Arfi, Marcel Kuper et al. (dir.)
2002