Chapitre 2. Les racines de la sédition djihadiste Boko Haram
Pourquoi au Bornou ?
p. 57-76
Résumés
Tenter de saisir, à travers l’histoire ancienne du Bornou, ce qui a pu conduire, au début du xxie siècle, à la sédition salafiste Boko Haram et de l’exposer dans un court écrit relève de la gageure. La réponse apportée au simplisme de l’interrogation « est-ce un aboutissement attendu ou un accident de l’histoire ? » ne saurait satisfaire. Nous entrevoyons, néanmoins, une réponse dans cette revendication constante du Bornou quant à sa position éminente dans l’islam. Le sentiment, pour les Bornouans, d’une perte d’hégémonie irrémédiable dès les années 1970 favorise le terrain pour un vaste mouvement de revendication identitaire. L’écrasement d’une pseudo-secte revivaliste, la Yusufiyya, et l’assassinat de son leader en 2009 sera l’étincelle qui mettra le feu. On assiste alors à un soulèvement populaire inattendu de par son ampleur, associant les classes de jeunes adultes, structurées ou non en métiers, aux pléthoriques écoles coraniques. Il engendrera Boko Haram, qui tiendra en échec un État, puis deux, puis l’ensemble de ceux du circum-tchadien.
Attempting to understand, through the ancient history of Borno, what led to the Boko Haram Salafist sedition at the beginning of the 21st century, and to present it in an article, is a challenging task. Simply asking whether this is an expected outcome or an accident of history can not produce any satisfying answer. However, a solution to this dilemma can be found in the constant Bornoan claim regarding its prominent position in Islam. Bornoan feelings of an irremediable loss of hegemony as early as the 1970s paved the way for a vast movement founded on an identity claim. The crushing of a revivalist pseudo-sect, the Yusufiyya, and the assassination of its leader in 2009 was the spark that lit the fire. The scale of the uprising which brought together the young adults, whether structured or not in trades, as well as the plethora of attendees of Koranic schools was unexpected. This gave birth to Boko Haram which managed to hold in check not only one state but two, and now the whole circum-Lake Chadian area.
Texte intégral
Introduction
1Nos connaissances concernant les royaumes africains du bassin du lac Tchad lato sensu sont non seulement partielles, mais centrées sur l’histoire des appareils dynastiques susceptibles d’accrocher d’indispensables chronologies et quelques événements remarquables. Si les données économiques font souvent défaut, que dire d’une historiographie concernant le domaine religieux qui ne dépasse guère les quelques mentions de sultans pieux ou dépravés selon des lettrés bien en cour ou écartés du pouvoir ?
La gloire du Bornou, premier royaume musulman du bilad al-sudan
2C’est la terre où, au sein du bilad al-sudan, l’islam a émergé avec le premier royaume musulman noir du Sahel au ixe siècle, le Kanem, qui deviendra le Kanem-Bornou1. Aucun royaume africain n’a su s’inscrire dans une telle longévité. La dynastie des Sayfawa est millénaire : fondée en 800, elle s’achève en 1864. Ses may (K.2) ou sultans sont considérés comme Amir al Mumini (commandeurs des croyants) car le Bornou est longtemps demeuré l’unique contrée musulmane, si bien que se faire musulman c’est devenir kanuri. De ses may, plus d’une dizaine aurait accompli le hajj (pèlerinage à La Mecque, A.) entre le xie et le xviiie siècle, ce qui milite, entre autres, pour une étonnante stabilité politique du pays. Le hajj des sultans pieux est mentionné dans la titulature des souverains ainsi que dans les formules protocolaires (Dewière, 2015 : 298). Certains, comme Ali Ibn Umar (1639-1677), sont même crédités d’accomplir des prodiges, d’autres sont vénérés comme des saints (wali, A.) et tous revendiquent l’imâma (imanat, A.). Cet engagement pour le hajj a touché, au-delà de l’aristocratie kanuri, les cercles de grands commerçants. Les Bornouans ont été les précurseurs et des acteurs majeurs de la route sahélienne vers La Mecque (Dewière, 2015 : 315).
3Le Bornou s’offre, pour tous ses voisins, comme un modèle civilisateur, modèle de vie en société dans la cité (birni, K.). Dans le bassin du lac Tchad on reconnaît les Bornouans comme les initiateurs de tous les métiers en ce qu’ils les ont codifiés et structurés. Il en va de même pour l’institution des marchés, dont les toiles hiérarchisées se sont progressivement mises en place. De ce modèle d’administration dans le fonctionnement de son appareil dynastique, ses voisins, Peuls compris, emprunteront la titulature. Modèles aussi dans les arts de la guerre, maîtres des débouchés du désert par les oasis de Bilma, ces « ports de sable », ils entretiennent un contact privilégié avec le monde arabo-musulman qui leur permet de capter toutes les nouveautés. Cela confère au royaume une constante avance sur d’éventuels rivaux, dans la cavalerie (grands chevaux de race barbe, caparaçons, armures), dans l’archerie puis dans la mousqueterie3.
4Toutefois la véritable force du Bornou reposera sur le commerce. Il sera servi par une expansion territoriale sans pareille, vers Tripoli au nord, longeant les voies transsahariennes, à l’est vers le Baguirmi, alors qu’à l’ouest il intègre un temps les pays hausa dont les principautés naîtront de son influence civilisatrice. Vers le sud, le Bornou descend très loin en profondeur grâce à des razzias mais aussi à travers ses chasseurs (kirima, K.) fortement organisés, rapportant ivoire et esclaves et ouvrant la voie aux marchands. De nombreuses ethnogenèses (des Margi, Kilba, Gbata, Mbum, Vute…) font état d’un Bornouan, chasseur, cavalier, commerçant qui épouse la fille du chef local et fonde une nouvelle dynastie… Il en va de même chez les Masa, avec comme ancêtre Ali Gosso (Ali le Circoncis), qui était Bornouan. La référence prestigieuse aura été, des siècles durant, le Bornou. Ces lignes de pénétration en terres païennes furent longtemps exploitées par les seuls Bornouans, avant qu’ils ne soient rejoints par les Hausa. De la même façon qu’ils ont ouvert les voies de pèlerinage vers La Mecque via le Baguirmi et le Sennar… Ils seront, ici encore, suivis par des colonies hausa. Cette cohabitation les fera désigner ensemble comme « les islamisés anciens » (kambari’en4, K.) par les Peuls.
5Ce que revendiquent les Bornouans (‘beere ‘beere, comme les désignent leurs voisins) et leur ethnie-phare – les Kanuri, dont la plus puissante faction, les Maghumi –, c’est que non seulement ils ont civilisé « le monde » (encadré 1), celui des Sudan, mais ils l’ont islamisé, ce qui pour eux ne fait qu’un. La domination culturelle et religieuse du royaume du Bornou sur le pays hausa avant 1804 (le djihad de Sokkoto) est parfaitement exposée par Yusuf Bala Usman (1983 : 204) : « In fact there is a tradition that a ruler of Borno called ‘Dalalami Maina Dinama’ was turbanned by one of the early Caliphs and it was from Borno that Abdulkarim al-Maghili came and established Islam in the Hausa states. The Caliph Mohammadu Bello [Sokkoto] while discussing the history of this area made it clear that Borno occupied a pre-eminent position arising from its wealth and the Learning of its scholars […]. It seemed to have been necessary for most of the Hausa rulers to seek to maintain good relations of Borno in order to establish some legitimacy in the eyes of their Moslem populations and foster the interests of their traders. The Islamic view of international relations which emphasizes the unity of Muslim Umma encouraged this desire by Muslim rulers to find a place for themselves within a large scheme of things and the rulers of Borno, who by the end of the fifteenth century were already claiming to be Caliphs seem to have provided a centre for some of the Hausa rulers. »
Encadré 1 – L’héritage kanuri au Cameroun
« Je voudrais rapporter un événement qui m’a servi dans la compréhension de cette communauté. En 2001, j’étais invité au festival kanuri de Garoua sous les auspices de l’Association culturelle kanuri du Cameroun (ACKAC), où l’historien Eldridge Mohammadou devait faire une conférence sur le rôle joué par les Kanuri dans l’histoire régionale, plus précisément au Cameroun. Il a alors rappelé comment les Kanuri avaient, en tout, innové, assénant devant un public en partie peul que les “Kanuri ont civilisé les Peuls” (“kolle’en on ferni ful’be !”, F.). Jubilation de l’auditoire kanuri, qui toutefois s’enflamma réellement lorsque l’historien énuméra le nombre de mosquées fondées par les ulémas kanuri lors de la création des lamidats [sultanats] peuls, en particulier à Ngaoundéré… En effet, l’islam est bien leur héritage et leur culture islamique prééminente a été rappelée devant les Peuls, ces challengers religieux de longue date. Cette prééminence restera encore le carburant qui animera les “armées” de Boko Haram »
6L’influence du Bornou passait par l’importance et le rayonnement de ces ulémas (grands religieux musulmans) (goni, K.) essentiels aussi aux fonctionnements de l’appareil dynastique et du système éducatif du royaume. Pour les Bornouans, les Hausa ne seraient que d’éternels seconds, des héritiers devenus avec le temps irrespectueux et ingrats. Cette attitude ne sera pas sans conséquence dans les comportements de certaines shûra (conseil, A.) de Boko Haram, de filiation étroitement kanuri.
Le traumatisme historique du djihad peul de Sokkoto
7Au tout début du xixe siècle, les Peuls (ou Foulbé, Ful’be, Fulani) se soulèvent à l’appel d’Ousman dan Fodio et engagent un djihad qui aboutit à la création d’un empire démesuré. Dans le cœur de cet empire, les réformateurs de la foi peuls vont s’appliquer à islamiser ou confirmer dans une foi orthodoxe les populeuses cités hausa. Ils favoriseront la religion au détriment de ce qui aurait pu être une « foulbéisation ». Les Peuls vont, en revanche, épouser un mode de vie en cités et troquer leur fulfulde contre la langue hausa.
8L’énorme province du Foombina (du Sud), qui prit par synecdoque le nom de son fondateur, l’Adamawa, avec pour capitale Yola, adoptera une autre attitude. Il s’agit principalement, vers les marges, de fractions peules guerrières, les Yiilaga, où ni les mallum (lettrés, A.), ni les commerçants ne sont à l’honneur. Chacun de ses lamidats « foulbéisera » une partie de la population païenne (haa’be, F.) mais se ménagera à ses frontières un vaste dar al-kuffar (pays des mécréants, A.) comme terres de razzia, réservoirs de captifs. Dans ces principautés le prosélytisme religieux n’est pas en usage et cela jusque vers le milieu de la période coloniale.
9Le djihad qui lance des Peuls sur le Bornou aboutit à la prise de la capitale Birni Gazargamu en 1808. Le Bornou faillit sombrer sous les coups de la sédition de ses propres Peuls. Il s’agit des Foulbé Dilaara (du lac Tchad) et qui ont répondu à l’appel de Sokkoto, capitale de l’empire peul. La charte de cohabitation du Bornou vole en éclats. Les éleveurs peuls vivaient, depuis des siècles, protégés par l’appareil dynastique de la capitale où ils entretenaient des représentants permanents. Parfois pressurés par certains hauts dignitaires, ils vécurent néanmoins dans l’ensemble une cohabitation heureuse. Les Peuls étaient intégrés au point d’avoir adopté les scarifications bornouanes. Ces Peuls conquérants devaient être chassés par la parentèle kanuri venue du Kanem, Al Amin Al Kanumi et ses lanciers secondés par des auxiliaires arabes. Il restaura le Bornou et, comme maire du palais, créa une capitale à Kukawa.
10Il était impératif pour le Bornou de reprendre la main non seulement sur toutes les provinces du royaume, mais aussi dans le domaine religieux. Le djihad des Peuls avait été, comme il se doit, déclaré contre le Bornou sous l’accusation d’un islam dévoyé et de crime d’hétérodoxie. Ils reprenaient à leur compte des prêches de réformateurs précédents, des Peuls comme Muhammad al-Wali, mystique devenu un saint, qui se déplaçait entre le Baguirmi et Birni Gazargamu et qui enseignait à la fin du xviie siècle, connu entre autres pour ses prônes contre le tabac (Dalen van, 2015 : 63). Ils accusaient les Bornouans de boire de la bière de mil et de fumer alors que ces comportements n’étaient réservés qu’à la troupe. Ils s’en prenaient à certaines conduites matrimoniales et, surtout, mettaient en accusation la vénération des tombeaux des sultans sayfawa. C’était le choc de magistères religieux, tous deux se sentant également missionnés et postulant au khalifat des croyants. Les Peuls partis de l’ouest, du Fouta Jalon et du Fouta Toro devaient essaimer le plus grand nombre de royaumes théocratiques et de réformateurs de la foi ayant ou non réussi plus que toutes les autres communautés musulmanes réunies. Ils affrontaient le Bornou, empire sédentaire le plus anciennement ancré dans la foi, au cœur du Soudan. Tout ce que le Bornou comptait d’ulémas se sentit concerné par cet affrontement religieux. Al Kanemi s’était adjoint pour ces disputations des ulémas du Fezzan. Le Bornou déclarait n’avoir aucune leçon à recevoir des Peuls, récemment encore éleveurs transhumants, sous-entendus bédouins, empêchés par leur genre de vie de respecter les disciplines religieuses élémentaires. La cour et les religieux d’Al Kanemi devaient longtemps prolonger ces controverses avec Ousman dan Fodio et son successeur Mohammadu Bello (Brenner, 1992).
11Par ailleurs dans la province du Foombina, les Peuls, dont l’activité se déclinait en nagge (vache, F.), haabre (guerre, F.) et diina (religion, A.) ne pouvaient assurer leur domination sans l’aide des Kanuri. Ils avaient besoin de leurs compétences comme artisans, commerçants, mais aussi – comme il a été dit – pour assurer un enseignement religieux et fournir des juges (alkaali, F.). Si bien que, dans chaque centre de lamidat (lamorde, F.), il va y avoir un quartier bornouan (fatuude kollere, F.). Par la suite, cet immense empire de Sokkoto, qui a sérieusement empiété sur les marges du Bornou, va représenter de formidables opportunités pour des communautés industrieuses, les « imitateurs » des Bornouans comme les Hausa. Profitant de la pax fulani, ils chercheront à supplanter les Bornouans, reprenant à leur compte tous les artisanats, les différents types de commerces, les modes caravanières et la gestion des marchés. Les pouvoirs peuls auront tendance à favoriser ceux issus de leur giron plutôt que les Bornouans.
12Le djihad d’Ousman dan Fodio est encore ressenti péniblement par les élites bornouanes actuelles. L’idée défendue par Kyari Tijani (2005), professeur à l’université de Maiduguri, est simple. Si la conférence de Berlin de 1885 n’avait pas eu lieu, un royaume sans frontières, une umma (communauté de croyants, A.) immense, aurait émergé sous la conduite du Bornou, avec pour seule autorité celle conférée par le khalifat. Mais, à la fin du xixe siècle, on est bien loin du règne d’Idriss Alauma (1570-1616), qui vit le Bornou à son apogée. Le même rêve se poursuit sans cesse pour les Kanuri, celui d’un Bornou appelé à conduire cette umma du Soudan de façon piétiste ou par le djihad. Il est toutefois mis à mal par le rappel de s’être fait ravir, un siècle plus tôt, le djihad par les Peuls. Ce rendez-vous manqué de la seule histoire qui comptât fait écho à la sédition de Boko Haram qui, dans ses prémices (2012-2014), s’est perçue comme renouant enfin le fil de l’histoire par l’annonce du djihad.
L’irrémédiable penchant vers la décadence du Bornou
13Nous allons tenter d’en indiquer les deux principaux paliers.
Jusqu’à la conquête de Rabeh (1883)
14Peu à peu, le Bornou, en dépit de la greffe dynastique des shehu (personnage vénérable, saint personnage musulman, K.) de Kukawa, retourne à une forme de décadence qui s’accompagne d’un confinement territorial par abandon ou défection de provinces périphériques. On assiste, par ailleurs, à la cour de Kukawa, à un prodigieux développement de cercles religieux auxquels se mêlent quelques shehu dévots, versés dans les sciences coraniques et amateurs de joutes théologiques. On est dans une période post-djihad et les mouvements religieux prennent le contre-pied de cette période et sont de nature piétiste. Ces disputations théologiques font accourir tous les ulémas de la région y compris ceux de Sokkoto. Après Mohammadu Bello, la cour de Sokkoto de plus en plus autoritaire se sclérose en matière religieuse. Kukawa qui, pourtant, peine à pardonner à ses communautés peules, fait bon accueil à ces moddibbe (docteurs en sciences coraniques, F.) peuls transfuges de Sokkoto et de Yola. Toujours réceptive à ces aventuriers de la foi, la société kanuri développe une véritable appétence du religieux. Des foules averties suivent les prédicants en vogue, elles n’hésitent pas, sous leur emprise, à les déclarer prophètes, réclament leur bénédiction, les suivent, avant quelquefois de les chasser car ils sont tombés en disgrâce. Le shehu, pour les attirer dans sa capitale, n’hésite pas à leur verser des pensions et à leur distribuer des terres par le système de mahran (concession ou lot de terres concédé à vie pour des religieux, A.). Ces ulémas de cour n’en avaient pas moins leurs détracteurs parmi les notables de l’appareil militaire, mais plus encore auprès des mallum des faubourgs. L’Yusufiyya (prédicateurs de Boko Haram) a pu s’inscrire dans la lignée de cette veine religieuse populaire ancienne. Kukawa semble saisie d’un syndrome qui serait celui d’une Byzance noire. Cette suractivité religieuse n’est que le pendant d’un constant affaiblissement politique et administratif. Certains shehu totalement inféodés à leurs chapelains, comme May Omar (1835-1880)5 (Urvoy, 1949 : 111), seraient pour les voisins mandara et baguirmiens la cause même de l’affaiblissement du Bornou.
15Certains de ces prédicants peuvent mobiliser des foules jusqu’à inquiéter le shehu et sa cour. On peut retenir un exemple, celui d’un personnage hors du commun, Mallum Debaba (appelé aussi Mohamad Sherif ed Din) (Seignobos, 2016a). Ce religieux peul avait commencé ses prédications dans les cercles du pouvoir de Sokkoto, dénonçant les princes qui auraient trahi l’idéal théocratique des commencements. Après un long séjour à Kukawa il partit en pèlerinage à La Mecque, entraînant avec lui une foule considérable. Vêtu simplement, marchant, il incarne parfaitement l’esprit religieux quiétiste de cette époque. On peut résumer son aventure. L’engouement pour suivre le mallum est tel qu’un grand nombre de Bornouans, puis, au fur et à mesure qu’il se déplace, d’Arabes Showa et de Kotoko le rejoignent. Quand ils arrivent à la frontière du Baguirmi, le Mbang Abd el Kader (1846-1858) tergiverse, puis décide de barrer la route à cette multitude – pour l’époque, 35 000 à 40 000 personnes. Mais, au cours d’une bataille à Arsi (1858), non loin du Chari, l’armée baguirmienne est décimée, le Mbang tué par des pèlerins fanatisés. La foule des pèlerins demande au Mallum d’arrêter là sa marche vers La Mecque et de fonder le royaume de Dieu à Massenya. Mallum Debaba refuse et poursuit sa route en remontant le Chari. Les pèlerins deviennent incontrôlables, ils s’affrontent entre eux et se débandent. Les Baguirmiens se ressaisissent, les massacrent et fixent d’autorité une partie d’entre eux dans l’arrière-pays de Bousso. Ce seront les Borno Malama. Combien le Bornou a-t-il connu de ces pulsions religieuses, grandes et petites ?
16À la veille de la colonisation, les influences religieuses viennent de l’est. Ce sont les bannières de Rabeh, un conquérant du Nil qui, après avoir dévasté le Baguirmi, conquiert le Bornou, mettant fin à son long épuisement historique. Il fonde sa capitale à Dikwa (1884-1900). Conduit par une logique de conquêtes – ses bannières étant en langue arabe –, il rallie à lui de nombreuses fractions arabes showa du bassin du lac Tchad. Rabeh pensait refonder une nouvelle société bornouane, sous son wirdi (voie, confrérie, A.) venu du Soudan, le mahdisme. Il fut tué par les Français lors de la bataille de Kousseri (1900). Si par la suite le mahdisme a été massivement réfuté par les Bornouans, il prospéra en revanche rapidement chez les Peuls grâce à l’allié peul de Rabeh, Ayatou de Balda, un descendant d’Usman dan Fodio. Il se rêvait en conquérant de Sokkoto. Le mahdisme toucha les principautés peules jusqu’à Ngaoundéré, si bien qu’à la bataille d’Ibba Sange (1902), au sud de Maroua, 200 à 300 combattants portant des vêtements marqués de pièces de couleur rouges et noires du mahdisme et clamant des invocations sont fauchés par les balles des mitrailleuses Maxim de la colonne allemande de Von Dominik. Dans les premiers temps de la colonisation, le nord du Cameroun sera encore le théâtre de quelques soubresauts mahdistes.
L’umma endormie sous la tutelle coloniale
17Lors de la pénétration coloniale anglaise dans le nord du Nigeria au tout début du xxe siècle, le choc fut grand dans les communautés foulbé-hausa de Sokkoto. Leur misonéisme poussa certaines à émigrer, refusant de libérer leurs esclaves et convaincues de ne pouvoir vivre leur religion sous le joug des nasaara (nazaréens, chrétiens, A.). On retrouve de ces groupes de Foulbé-Hausa jusqu’au Soudan, au Tchad comme à Bogo-Moro. L’expression « Boko Haram », visant la Bible, serait née dès cette époque, signifiant le refus de tout l’apport colonial impie. Tombée en désuétude, l’expression aurait été reprise comme un slogan, moins par les sectateurs de Mohammed Yusuf dans les années 2000 que par leurs contempteurs. La colonisation ne pouvait tolérer des mouvements religieux aussi violemment dirigés contre elle. Les lamibe (sultans, F.) peuls du nord du Cameroun et du Nigeria estimèrent qu’il était préférable de conserver ou de revenir aux confréries quadriyya ou tijaniyya et cacher leurs fréquentations mahdistes. Aussi retrouve-t-on ici et là dans les archives des dénonciations de mahdistes portés par des opposants cherchant à disqualifier certains lawan (chefs de villages ou de circonscriptions, K.) ou lamibe. Le mahdisme restera une préoccupation pour les administrateurs français, sans toutefois arriver à la paranoïa qui s’était emparée des résidents anglais dans le nord du Nigeria à l’encontre de la Senusiyya, pourtant bien distante, dans le nord du Tchad et en Libye. Ces résistances religieuses devaient peu à peu disparaître sous le rouleau compresseur colonial qui agit comme un éteignoir sur les sociétés musulmanes médusées d’avoir été dépossédées du pouvoir temporel. Cette torpeur devait se prolonger durant toute cette période et une décennie après l’indépendance avant que des mouvements revivalistes ne retrouvent quelque vitalité.
18Le fléchissement religieux chez les Peuls, mais aussi chez les Mandara et les Kanuri, est allé de pair avec une démographie déclinante. Elle s’opposait à une fécondité exacerbée, observée parmi la plupart des groupes « païens », ce que démontrent les travaux remarquables du démographe6 André Marie Podlewski dans les années 1950 (Podlewski, 1966). Lors de mes premières enquêtes de terrain, au tout début de la décennie 1970, j’ai été confronté à ce qu’il restait de ce discours défaitiste chez les chefs de villages peuls, et les musulmans en général, de la région du Diamaré, au nord de Maroua. Ils se voyaient dépassés par les « païens » (kirdi, A.) prolifiques qui se répandaient de la montagne en plaine ou qui, comme les Tupuri, remontaient de leur aire de peuplement où ils avaient été confinés. La démographie de ces communautés musulmanes repartira à la hausse dès le début des années 1970.
19Les chefs de circonscription du nord du Cameroun ont assuré un suivi régulier, à travers des rapports semestriels, de l’état de l’islam parmi leurs justiciables. On observe une comptabilisation régulière des écoles coraniques, du nombre d’élèves, de leur pourcentage par rapport à la population en âge de scolarisation, toujours inférieur à 30 % comme à Maroua, pourtant jugée par l’administration comme une « ville d’islam » (Prestat, 1953). On relève aussi le nombre de moddibbe, l’importance de leurs cercles d’étudiants, le recensement de bibliothèques coraniques, la provenance des ouvrages… Parmi les nombreux rapports estampillés « confidentiels » concernant l’islam durant la décennie pré-indépendance, un rapport anonyme (1955, archives de Garoua) liste les différents courants de l’islam, signalant que la confrérie la plus répandue est la Tijaniyya7 et que « ni le wahabbisme, ni la Salafyia [sic] n’ont fait leur apparition ». « Quant à l’islam dans son ensemble, sa progression est aujourd’hui pratiquement arrêtée. » Pour les Peuls, « l’islam est leur chose, à tel point qu’ils n’ont pas encore accepté les Bamouns8 dans la communauté musulmane ».
20Cette apathie, pour le moins, s’accompagne de discours défaitistes pour trouver explication à la perte du pouvoir temporel confisqué par l’administration coloniale et dont il convient de s’accommoder. Dans un rapport du chef de subdivision de Garoua (1950), on peut lire : « Les Mahdistes pensent que nous sommes entrés dans l’ère des tribulations. L’islam va disparaître de la surface du monde. Le Dadjal [le diable] est déjà descendu sur terre. C’est ce qui explique la colonisation, l’affaiblissement de l’islam, les hécatombes des guerres entre autres. Mais Jésus viendra à la fin du monde. Ce sera l’adhi. Il rétablira la paix et l’islam. En tout état de cause, la fin du monde est proche. »
21Durant toute cette époque, il a bien fallu fournir des explications aux peuples des mosquées. Sur le sujet, les croyances les plus échevelées se donnent libre cours. Les administrateurs coloniaux eux-mêmes seraient des musulmans cachés qui se rendraient secrètement en pèlerinage à La Mecque. Il existe de nombreuses variantes sur ce thème. Dans les années 1950, jusqu’à la veille de l’indépendance, l’administration coloniale n’en continue pas moins à favoriser tout ce qui vient de l’ouest en matière d’islam. Elle se méfie de l’esprit missionnaire d’El Azhar et de la Riwak Soleilu – le collège des pan-islamistes qui recruterait plutôt au Tchad – tout en signalant en 1953 : « Les émissaires du wahabbisme et les élèves du Riwak Soleilu d’El Azhar choquent les habitudes de l’islam soudanais. » Si le Baguirmi est tourné vers le Bornou, l’Ouaddaï, lui, regarderait déjà « trop » vers l’est et en 1952 certaines madrasas (écoles coraniques, A.) d’Abéché furent fermées (Lefèvre, 1953). La période coloniale dans le nord du Nigeria et le nord du Cameroun est un temps de l’islam très peu prosélyte. Nous ne retiendrons qu’un exemple : le chef mundang de Kaélé, Wappi, décide de se faire musulman, mais les lamibe peuls voisins de Doumrou, Guidiguis et Binder refusent. Le chef de subdivision de Kaélé prend alors l’initiative (1955) d’envoyer Gong Wappi, tous frais payés, à Yola pour y confirmer son islamisation. Pour gérer le religieux, l’administration coloniale n’avait pas de consignes précises, aussi les administrateurs – toujours dans le nord du Cameroun – ont-ils été pro-islam, autrement dit pro-peuls, alors que certains dans les années 1950 prenaient la défense des « païens ». L’administration militaire demeura, elle, favorable aux potentats musulmans qui leur permettaient de pratiquer une forme d’indirect rule. Elle freina tant qu’elle put l’arrivée des missions en dépit du protocole de Saint-Germain-en-Laye de septembre 1919, qui stipulait un régime de liberté protégée en faveur des missions religieuses étrangères pour les colonies françaises.
22Il faut dès lors entendre ce que disent Boko Haram de cette période et également ceux qui ne les suivent pas forcément dans la violence. Nous avons relevé des prêches récurrents sur le sujet dans certaines mosquées du vendredi : il s’agit de la dénonciation de la « situation terrible » vécue par l’umma durant la période coloniale. Avec la complicité des chefs traditionnels qui n’ont jamais été aussi puissants que sous la tutelle coloniale et les sermons lénifiants des « marabouts » des confréries, l’umma a été « endormie »9. Et l’on rapporte à l’envi la teneur de certains de ces topos de prédication : « Dieu a donné aux nasaara le pouvoir sur la terre, mais nous, les musulmans, gardons la meilleure part, celle du ciel. » Les « arguments trompeurs » sont systématiquement évoqués dans les prêches de Boko Haram, qui dénoncent la période collaborationniste des confréries. Ces dénonciations sont réitérées, en dehors de l’aire Boko Haram, dans les prêches du vendredi ; le ressenti rétrospectif des communautés musulmanes est devenu très vif. L’accusation qui persiste à l’encontre des confréries tient à ce qu’elles donnent comme supérieur le droit positif de l’État sur la shari’a (charia, A.).
23Il conviendrait d’analyser ce corpus de prédications véhiculé depuis plus de deux décennies, sorte de métadonnées politico-religieuses de la mouvance Boko Haram lors du sala al-jumn’ah (prière du vendredi, A.), largement partagées par les communautés voisines, ce qui rend compte du peu d’entrain qu’elles manifestent pour déjuger Boko Haram sur le dogme. Depuis 2014 certains sermons seraient au Cameroun suivis par des mouchards – souvent bamun – issus de la gendarmerie ou de la police. La période coloniale, temps de grande mécréance où l’umma a été humiliée sous le joug des impies, est interprétée selon le prisme djihadiste et celui du règne de Dieu sur terre. Il est reproché aux administrations coloniales puis nationales d’avoir concédé aux missions des lieux pour leurs établissements et, de là, d’avoir évangélisé des groupes païens qui, tôt ou tard, auraient été bons à convertir à la religion du prophète. On a garde de signaler qu’il s’agissait auparavant de simples réservoirs d’esclaves. Les prédicants djihadistes omettent de préciser que lesdites communautés musulmanes « endormies » n’en avaient pas moins opposé un refus à la colonisation à travers ses écoles. Combien de notes administratives, au Cameroun comme au Tchad, concernent l’école avec des mentions telles que « la plupart des élèves sont des descendants des anciens captifs des Foulbé. Cela tient à l’aversion des musulmans d’apprendre une langue écrite autre que l’arabe », ou encore « que papier, encre et écriture ne pouvaient être réservés qu’au domaine du religieux ». Cette connotation absolue (les productions profanes en arabe étant peu connues) a, en effet, bloqué l’apprentissage scolaire colonial. Il ne pouvait être qu’une intégration insidieuse à une autre religion. La gratuité de cette école devait achever de la déconsidérer. Au Soudan, le savoir s’acquiert toujours durement et avec le temps.
L’« inaptitude » des Kanuri à entrer dans la modernité ?
24Cette « inaptitude » des sociétés kanuri à entrer dans la modernité demanderait à être plus longuement documentée. Nous prenons ici le risque d’être caricatural pour garder l’essentiel de la démonstration.
La désagrégation de la société kanuri
25À l’indépendance, tout avait bien commencé pour le Bornou qui, après les référendums de 1959 et de 1961, avait vu la partie septentrionale du Cameroun allemand, la frange du Bornou oriental, revenir dans son giron, les populations plébiscitant ce rattachement10. Seuls quelques opposants de la région de Bama avaient opté pour le Cameroun indépendant et fondaient le quartier Bamare de Maroua. Mais, par la suite, des réformes administratives vont réduire l’espace du Bornou historique. L’État fédéral de Borno créé en 1976 sera scindé en 1991 en deux États, Yobe et Borno, au grand dam des élites bornouanes. C’en est fait de l’identité du royaume sauvegardé par l’indirect rule britannique (Hiribaren, 2017). Plus important, sans doute, le Bornou va faire les frais de la « northernization » du Nigeria mise en place par le Sardauna Ahmadu Bello (1910-1966). Politicien habile, il a été l’unificateur du Nord sous la houlette des Peuls-Hausa. Il sut aussi habilement enrôler des élites chrétiennes de la Middle-Belt. Pour les Bornouans, ce n’est, ni plus, ni moins, que le retour de la domination de Sokkoto cherchant à dépasser ses frontières historiques et dont aujourd’hui le président Buhari (Peul-Hausa) serait le successeur. C’est surtout contre l’establishment hausa et sa « capitale », Kano, que la rancœur du Bornou se manifestera. Elle éclatera plus tard jusque dans les diatribes d’Abubakar Shekau, leader de Boko Haram (Apard, 2015 : 155). Elle repose sur un sentiment de supériorité religieuse de toujours de la part des Kanuri vis-à-vis des Hausa qui devraient, dans ce domaine, leur être redevables11. Dans le nouveau Nigeria, le Bornou n’est plus au centre des Soudan, mais à l’extrémité nord-est d’un État indépendant. Cette marginalisation servira à considérer comme essentiel le lien entre la situation périphérique et la paupérisation des populations, l’incurie des gouvernants sans oublier la sempiternelle péjoration climatique, lieu commun invétéré, mais rassurant pour expliquer les maux qui touchent le Bornou. Il cache ce que l’on ne saurait voir, une société en mal d’un rejet total du mode de vie occidental couplé à un désir immense d’échapper à sa nouvelle condition de dominé. La société kanuri va se saisir du seul projet d’avenir envisageable pour elle, un élan religieux, en ce qu’il entérine tout son passé.
26Le royaume du Bornou a disparu, mais l’idée de ce qu’il a représenté dans le passé et sa domination sans rivale durant des siècles habite encore les Kanuri, la classe dominante comme le petit peuple des faubourgs et des villages. Aujourd’hui, la société kanuri éprouve une sorte de déréliction. Le développement accéléré de Maiduguri, sorte d’ultime capitale du Bornou12, bien que créée par l’administration coloniale en 1907, et qui devint en 1967 celle de l’État de Borno, n’est pas étranger à ce malaise. Elle capte un flot de populations allogènes, toujours plus nombreuses. Après 1975, le péri-urbain agricole alors encore aux mains des Kanuri disparaît devant un tissu urbain insatiable. La décennie charnière semble bien être les années 1970. L’influence kanuri s’exerce encore sur toute la région. Les Kanuri dominent toujours le commerce jusqu’à N’Djamena et sur le lac, et leur langue se maintient. Quant à la primauté religieuse, les écoles de ses goni restent prisées pour parfaire une carrière de grand religieux13. La situation va ensuite rapidement se dégrader pour les Kanuri. Sur le plan national, les Kanuri n’appartiennent pas aux Big Three, les trois grands ensembles ethniques qui se partagent le pouvoir : les Hausa-Fulani au nord, les Yoruba au sud-ouest et les Igbo au sud-est, non plus qu’aux « restants », les innombrables minoritaires. Pas suffisamment nombreux pour les premiers, mais trop importants pour les derniers, les Kanuri se trouvent sans cesse en difficulté lors des grands partages politico-économiques nationaux.
27Les Kanuri représentent la population du Nigeria la moins alphabétisée en anglais. Le parti Borno Youth Movement (BYM) qui, dans les années post-indépendance, avait lancé sa jeune garde de scolarisés, n’a pas trouvé un véritable écho auprès du gros de la population, moins en tout cas que l’organisation Northern People’s Congress (NPC), porte-parole des grandes familles de l’aristocratie. Elle a, par le biais des religieux, gardé plus d’impact auprès des Kanuri des bourgs et des villages. Les élites scolarisées qui manifestent une emprise modérée sur la communauté n’investissent guère les organisations modernes en dehors du religieux. Mais cet islam va lui-même entrer en crise avec l’arrivée des « nouveaux ulémas », et ces salafistes auront rapidement raison de tous ces « modernistes ». On assiste en 2001 à un tournant brutal. Il se manifeste à travers des autodafés de masters et de thèses de l’université de Maiduguri, brûlés sur le parvis des mosquées proches du marché central. Jusqu’à aujourd’hui, l’islam demeurera le courant de pensée dominant, qu’importent les contours qu’il prendra. Les Kanuri n’accepteront jamais « d’autres projets sociaux » en dehors de lui.
L’irrésistible montée du salafisme
28Au cours de la décennie 1980, deux chercheurs du CEAN (Centre d’études d’Afrique noire) de Bordeaux établissent une sorte d’état des lieux du Bornou pré-Boko Haram – sans le savoir – et soulignent déjà cet inquiétant bouillonnement religieux : C. Coulon (1987) avec « Les nouveaux ulama et la résurgence islamique au nord du Nigeria » et J.-P. Magnant (1989), avec « La troisième mort de l’empire du Borno ». Pour ce dernier la première mort fait référence au djihad peul du début du xixe siècle et la seconde à la conquête de Rabeh. La troisième serait celle qui se déroule sous ses yeux avec une société kanuri entrée dans une forme de déliquescence à la fin de la décennie 1970. Magnant livre alors un diagnostic de la société bornouane : sa vieille aristocratie éclate, une partie calque son attitude et son mode de vie sur les riches, voire les très riches, souvent non kanuri, alors qu’une autre se replie sur elle-même dans un conservatisme hautain. Tout comme les plus modestes, le petit peuple, qui lui se cabre et devient plus agressif, maintenant fièrement son identité. Les futurs suppôts de Boko Haram sont là. Au cours de cette période s’opère la greffe avec les « nouveaux ulémas » salafistes. Elle est précédée de mouvements avant-coureurs de la sédition Boko Haram et de l’arrivée de ce que nos auteurs désignent comme des « sectes » : Izalah, Tariiqa ou encore le mouvement Maytatsine (Lubeck, 1985). Mohammad Marwa, dont le surnom « May Tatsine » – celui qui maudit – serait devenu l’appellation du mouvement qu’il a inspiré, passe pour être un Mofu-Giziga islamisé de Maroua. Écarté des mosquées de cette ville pour ses origines modestes, il reçut un commencement de reconnaissance au Nigeria, à Yola-Jimtilo, avant de s’illustrer dans le chaudron religieux de l’époque, Kano. Là éclatèrent les émeutes sanglantes de décembre 1980, suivies d’une répression qui fit plus de 4 000 morts. Lui-même fera l’objet d’une « exécution extrajudiciaire », comme on commence à l’écrire dans les rapports. Les Maytatsine dispersés devaient se retrouver les années suivantes comme instigateurs d’émeutes successives dans les régions du Nord. La secte Kalakato, résurgence maytatsine, aurait fomenté des troubles au début des années 1990, notamment dans l’État de Katsina en 1993. Maytatsine et Boko Haram, dont on peine à trouver des apparentements, n’en prônaient pas moins la même pureté de la foi, indexée sur un illettrisme occidental assumé. Ils auront partagé les mêmes viviers de recrutement parmi les écoliers coraniques et toutes les petites mains du secteur informel totalement déconnectées des différents relais de l’État.
29Les premiers de ces « nouveaux ulémas » sont issus de la bourgeoisie commerçante plutôt hausa, voire peule. Cette mouvance rejette toutes les « innovations » (bi’da, A.), et s’aligne sur le compendium du parfait wahhabite. Le cheval de bataille sera l’application complète de la shari’a. Au moment de l’indépendance, les autorités fédérales nigérianes instituent des cours spéciales aptes à juger les musulmans selon la shari’a en matière de droit des personnes. Les salafistes réclament alors qu’elle s’applique en matière criminelle et en matière de droit des biens, en particulier du droit foncier. Ce sera aussi le combat du mouvement de Mohammed Yusuf, leader de Boko Haram. Le gouvernement nigérian sous Olusegun Obasanjo fera tout, après 1999, pour freiner cette contrainte juridique. J.-P. Magnant (1989 : 37, 38) se fait l’écho de ce bouillonnement déjà considérable à la suite de l’arrivée de religieux grimés en salafistes, barbe, codes vestimentaires et exercices d’ascèse. Les « nouveaux ulémas », partisans de réformes de l’enseignement coranique inspirées de l’expérience saoudienne, engagent une guerre frontale avec les mallum des confréries pour le contrôle des écoles coraniques. À la fin des années 1980, ces écoles amorcent une crise inégalée de par la poussée démographique et l’impécuniosité croissante des parents. Ceux-ci se déchargent de leurs enfants (garçons) et, après 7 ans, les envoient derrière un mallum itinérant (encadré 2). L’enseignement de ces almuhajiray14 se fera « sur le bord du trottoir ». Ce pilier de la société traditionnelle kanuri – les écoles coraniques peules ne sont pas mobiles, du moins au Cameroun – épuise ceux qui doivent le soutenir, aussi bien les chefs de village que les notables. Ces écoles deviennent des pépinières d’inadaptés sociaux promis à une marginalité certaine.
Encadré 2 – Fonctionnement des écoles coraniques kanuri
« Sur des notes anciennes recueillies dans des villages proches de Kolofata en 1972, lors d’enquêtes portant sur les architectures vernaculaires, j’avais relevé les plans de sangaya (K.), camps d’écoliers coraniques bornouans, et décrit leur fonctionnement. Les familles kanuri confient leurs enfants de préférence à un jeune mallum non marié qui peut donc se déplacer aisément. Durant la saison des pluies, le groupe est sédentaire. Les fukura (élèves coraniques ambulants, K.) partagent leur temps entre lire et réciter leurs sourates par niveau d’apprentissage et cultiver des arachides ou du coton pour financer leurs pérégrinations de saison sèche. On apporte à manger au mallum alors que les fukura vont mendier devant les maisons du village au moment des repas. Les jeunes mallum ont fini la lecture du Coran et ils restituent l’entièreté de leurs connaissances car ils ne disposent pas d’un bagage supplémentaire. Leur âge et leur savoir les placent entre le statut d’aîné et celui de maître. Ces mallum étaient en 1972 accompagnés de trois à sept fukura. De retour à Kolofata, trente ans après, j’ai constaté que le système d’éducation coranique ambulant kanuri était toujours de mise, mais les équipages d’élèves avaient doublé, voire triplé. Les familles confient, plus que par le passé, des enfants non encore circoncis » (témoignage de C. Seignobos).
30Mais leurs mallum sont aussi en pleine déshérence, prêts à suivre n’importe quel mouvement sectaire. Il faut ajouter ce qui va se révéler manifeste au moment de l’insurrection de Boko Haram : l’extrême jeunesse des combattants. On assiste au soulèvement d’une jeunesse abandonnée à elle-même depuis l’enfance et abreuvée de prêches avec ses jeunes mallum, jusqu’aux leaders Boko Haram, Mohammed Yusuf et Abubakar Shekau compris. Les militaires camerounais devaient appeler les premières années de campagne contre Boko Haram « la guerre des enfants ». On ne peut que saluer l’analyse que fit J.-P. Magnant pour la société bornouane, vingt ans avant que n’éclate la sédition Boko Haram.
31Quelles furent les formes de résistance à cette montée du fondamentalisme ? Il est vrai qu’elle ne sut être endiguée par les gouvernements, ni du Nigeria, ni du Cameroun. Encore que, sous le régime d’Ahmadou Ahidjo au début des années 1970, les prémices de ce radicalisme avec les Tarrabiyya aient été rapidement écrasées, au sens propre du terme, avec parfois des bulldozers lancés sur leurs mosquées, et l’exil de leurs prédicateurs. Ils partirent au Nigeria proche, où déjà un certain nombre de mosquées leur firent bon accueil. Ahidjo, de son côté, n’en conduisait pas moins une islamisation politique du Nord en incitant fermement les chefs païens à s’islamiser (Schilder, 1991 : 145-146). Lorsque Biya prit le pouvoir (1983), son gouvernement, méprisant les « Hausa » du Nord, relâcha tout contrôle sur les mouvements revivalistes musulmans. Le multipartisme (1990) et le retour vers des formes de communautarismes culturels favorisèrent une accélération de ce radicalisme.
32On est peu renseigné sur la résistance des confréries au salafisme (encadré 3). On la présente souvent comme un affrontement des anciens et des modernes. Les grands imams ont envoyé leurs fils et neveux à Ryad et ailleurs en Arabie pour y acquérir un meilleur arabe. Ils en sont revenus avec, dans leurs bagages, le salafisme. Cette génération prend peu à peu à son tour la direction des grandes mosquées du vendredi, ce qui lui permet, dans l’ambiance revivaliste actuelle, de conserver son héritage.
Encadré 3 – Le combat des « gens de la sunna »
Depuis deux à trois décennies, les affrontements sont là, suivis d’adoptions partielles et de rejets, le tout dans une grande confusion (Mahmoudou, 2008 : 153-156). Les confréristes ont bien tenté de s’opposer à cette montée intégriste, les traitant d’hypocrites de la foi (munafiqun, A.), mais, peu rompus aux controverses théologiques et face aux tenants de la daw’a (mouvement missionnaire, A.), ils n’ont cessé de perdre du terrain. La guerre qu’ils se livrent, par prêches interposés, est quotidienne, mais, tous les vendredis dans les mosquées principales, on dénonce les « choses héritées », le kitaaku (F.) pour les Peuls : la consommation de certaines nourritures, l’utilisation de chapelets, les « méditations parasitaires » que sont les prières achetées auprès des « marabouts » tels que désignés en français. Depuis la venue des « gens de la sunna », autre appellation des premiers islamistes, la guerre est déclarée contre les ronnga (en kanuri et fulfuldé), les protections magiques. Dans la région, elles passent, pour l’essentiel, par des Cissus quadrangularis (gaadal ceenbal, F.) et des Crinum spp. (gaafal tineer ewal, F.), supports de mille et une protections contre les maladies, les envoûtements, pour le maintien ou le retour de la fécondité. Ces plantes s’héritent sur des générations et c’est toujours un déchirement pour les personnes d’âge de devoir s’en séparer.
33Cette période où le salafisme s’impose ouvre la porte aux mouvements les plus divers, qui se donnent libre cours dans les mosquées. Certains, wahhabites ou de tendance proche, prient les bras croisés ; d’autres les bras ballants ; d’autres encore comptent les sourates avec leurs chapelets ou sur les articulations de leurs mains fermées… On relate ici et là d’étranges scénographies. Des groupes qui, énonçant que Dieu est partout, ne sauraient prier vers le seul mihrab et sèment alors la confusion dans les salles de prière. Leurs opposants tentent de les évacuer, sans violence, en les poussant par un mouvement de masse vers l’extérieur. J’ai rencontré d’anciens hauts fonctionnaires, préfets, cadres de sociétés para-étatiques qui se laissaient pousser la barbe et sont entrés dans la daw’a, sorte de refuge pour les intellectuels qui, de par leur « vocation tardive », ne disposent que d’un faible bagage religieux. Entre 1999 et 2002, des prédicants inspirés, comme Malama Djam, Peul originaire de Mindif, parcouraient à bicyclette tout le Diamaré, prêchant avec véhémence sur les marchés et dans les mosquées, les alhadji (musulman ayant fait le hajj, grand commerçant musulman, A.), ces nouveaux riches, étant leur cible préférée. Cette ferveur religieuse entraîne une course à la pureté salafiste. On se moquait il y a peu des mosquées tenues par les Hausa faisant le choix des sourates les plus courtes et des prêches les plus expéditifs (Mahmoudou, 2008 : 144). Les Peuls du Nord-Cameroun les désignaient comme juulirde (mosquée, F.) apollo, du nom de la fusée américaine. Il se met en place depuis 2010 une forme de censure intégriste qui régit les villes musulmanes et dont la maille idéologique ne cesse de se rétrécir.
L’embrasement Boko Haram
34Depuis les enquêtes de J.-P. Magnant et celles de C. Coulon à la fin des années 1980, la situation n’a fait qu’empirer dans l’État de Borno. Maiduguri est devenue une cité plus cosmopolite encore et le prix du foncier urbain en fait une des villes les plus chères du nord du Nigeria. Toutefois, le Borno n’est pas un État pauvre, il existe encore une grande activité commerciale tournée vers le lac Tchad, le Cameroun et le Tchad. Contrairement à ce qui se répète, la cause première de l’émergence de Boko Haram n’est pas la pauvreté. La secte n’éclôt pas dans un cadre économique dégradé, mais bien dans celui d’une perte d’identité perçue comme insupportable. Un choix alternatif aurait pu être adopté à travers un mouvement de type Izalah (mouvement religieux salafiste), un temps suivi par Mohammed Yusuf lui-même, avec pour stratégie un noyautage des institutions. Mais cela ne pouvait contenter le peuple des faubourgs qui pressent les compromissions à venir. Ce serait faire fi de ce bouillonnement populaire qui réclame un changement radical immédiat. Le petit peuple est « impatient ». Après une période (fin des années 1990-début des années 2000) d’intenses disputations religieuses, forcément occultées par les médias, les prédicateurs se revendiquant de l’université islamique de Médine se voient rapidement dépassés par des mallum locaux au savoir plus sommaire, plus confus, mais aux discours autrement plus radicaux. Ce radicalisme séduit et embrase les quartiers populaires. C’est l’irrésistible montée en puissance de Boko Haram.
35Lorsque le mouvement de Mohammed Yusuf a semblé « incontrôlable » et de plus en plus prosélyte, le gouvernement nigérian a décidé, comme à son habitude, de l’écraser et de liquider les leaders. S’il y a eu erreur, c’est dans l’estimation du nombre d’adhérents de la Yusufiyya, qui se révélèrent nombreux et coriaces. En 2009 eut lieu un massacre de masse (on parle de 3 000 morts), qui répète celui de Kano en 1980… Mais ce n’est plus la même époque, les cercles religieux ont accès aux médias, bien des images ont fuité et en rendent compte. Ces abominables massacres ont été l’acte de naissance de Boko Haram et cette répression a décuplé les adhésions à la secte.
36Nous allons tenter de répondre à une question qui n’a jamais ou rarement été posée : comment, en quelques mois, a pu se constituer une armée de milliers de combattants qui mit en déroute les troupes nigérianes, puis camerounaises ? On peut alors reprendre la question même de cette contribution : pourquoi au Bornou et pas ailleurs ? Pourquoi, dans la société kanuri, ces milliers d’almuhajiray se sont-ils soulevés et pas ceux de Kano ou de Zaria, qui partageaient la même déréliction ? Pourquoi le Bornou a-t-il été en capacité d’opérer une si vaste mobilisation ? On trouve une réponse à travers la structure même de la société kanuri en guildes de métiers, avec ses hiérarchies de kacalla et de kada (titre militaire kanuri, K.) depuis la capitale jusqu’au moindre village. Elles fonctionnent en interne avec des maîtres et des apprentis qui resteront liés à vie. Ces guildes ont été essentielles dans le processus de « kanurisation », y compris et surtout celles au bas de l’échelle, bouchers, tanneurs, barbiers-circonciseurs, fripiers, recycleurs de chaussures, porteurs d’eau… Ces métiers prennent pour bases les marchés avec leurs mosquées adjacentes, comme celui emblématique de Railway station de Maiduguri, au cœur du soulèvement de Boko Haram. C’est alors la rencontre de ce peuple des métiers, de ces « débrouillards » de tout le secteur informel, avec des écoliers coraniques des madrasas populaires de Maiduguri. D’entrée, ils vont fournir les fantassins de l’armée dans laquelle leurs mallum, promus ulémas, prendront la tête. Ce fut la mise en marche en 2010 et 2011 de tout ce monde des faubourgs et des marchés, qui n’était pas sans bagages techniques « cosmopolites », acquis sur le tas et qui se révéleront aussi complémentaires qu’efficaces. Ce fut la mobilisation quasi instantanée de milliers de mototaximen, de chauffeurs et de tous ces petits garagistes de motos et de véhicules à quatre roues, suivis de leurs essaims d’apprentis plus ou moins bénévoles, de forgerons, de réparateurs de radio, d’électriciens… Les meneurs vont leur délivrer ce message : « Vous avez troqué votre sébile pour la kalachnikov que Dieu vous a donnée pour vous sortir de votre état de néant » (Seignobos, 2016b : 140). Ce brusque soulèvement, par son ampleur, déstabilise les forces armées qui fuient leurs cantonnements, abandonnant sur place matériel et armements.
Conclusion
37Nous avons essayé d’emprunter un fil conducteur, celui de l’histoire du Bornou, qui nous donne une lecture certes « kanuri-centrée » du phénomène Boko Haram et, même s’il n’est pas le seul, au moins reste-t-il le plus lisible dans l’écheveau. En 2017, on ne sait comment revenir à une situation antérieure, ce qui ne pourra sans doute pas être tant Boko Haram a marqué cette région du circum-tchadien. La contre-insurrection particulièrement sanglante conduite depuis l’intervention tchadienne de 2014 n’a fait que disperser les affidés de Boko Haram, devenus de plus en plus autonomes. En 2017, comment savoir qui est ou qui n’est pas Boko Haram ? Maiduguri, Bama, Kukawa, Mongono… sont depuis 2010 des villes sans couleurs, seul le blanc pour les hommes, et des couleurs sombres unies et le noir pour les femmes, porteuses également de cagoules. Les pagnes colorés sont bannis… Entrées dans une répression sans fin, les armées de la coalition deviennent des forces d’occupation et s’enlisent, non sans monter de fructueux business. Elles tournent le dos à d’autres soulèvements en gésine potentiellement plus dévastateurs encore que Boko Haram. Quant au Bornou lui-même, cette « troisième mort » sera-t-elle la dernière ? Ou renaîtra-t-il encore des cendres de Boko Haram ?
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Notes de bas de page
1 Nous n’entrons pas dans une confrontation de dates avec la région de Gao, par exemple, qui revendique une ancienneté avec la religion du prophète remontant au xe siècle.
2 Les trois principales langues étrangères utilisées sont l’arabe, le kanuri et le fulfulde (langue peule). Nous précisons à côté de chacun des termes étrangers utilisés les mentions « A. » (arabe), « K. » (kanuri) ou « F. » (fulfulde).
3 L’influence du Bornou a été déterminante. Il suffit pour s’en convaincre de relever dans les différentes langues de ses voisins (Hausa, Kotoko, Baguirmiens) les emprunts au kanuri. Chez les Peuls de l’Adamawa (ou Adamaoua) tout le vocabulaire concernant l’agriculture, ceux des différents artisanats, du commerce, sont kanuri. Nous renvoyons aux travaux de E. Mohammadou (1996) et à ceux de H. Tourneux et C. Seignobos (1997 : 200).
4 Kambari, hommes libres en kanuri.
5 H. Barth (2011) fait le portrait de « Chekou Omar ».
6 La recherche tropicaliste prenait alors en compte les études démographiques. On en aurait aujourd’hui grand besoin dans l’analyse des phénomènes de fond concernant Boko Haram.
7 La Ttijaniyya d’El Hadj Omar, introduite à Sokkoto par Mohammadu Bello, a supplanté la Quadiriyya apportée du Soudan au Bornou par El Maghili.
8 Islamisés à la suite de leur roi Djoya, vers 1915.
9 Ce discours fait écho aux nombreux rapports coloniaux précédant l’indépendance qui décrivent, en effet, un islam peu combattif avec le même qualificatif « d’endormi ».
10 Dans un référendum en deux parties (7 novembre 1959, 11 février 1961) le Royaume-Uni n’eut aucun mal à favoriser l’annexion du Nord-Cameroun britannique au Nigeria.
11 « Ces mêmes Haoussas sont l’objet de l’indifférence moqueuse des Bornouans, des Kanembous et des Djellabas. On leur reproche, mais nous savons que c’est à tort, la nouveauté de leur foi […]. Quoi qu’il en soit, ce sentiment peu fraternel des musulmans noirs de l’Est [les Kanuri] est à coup sûr très vivace » (Rapport Beyries, 1952, L’Islam noir, p. 142).
12 Appelée plus communément Yerwa par la population et ce, jusqu’à aujourd’hui.
13 Les Kanuri sont à l’origine de Fort‑Lamy où ils ont fondé tous les marchés. En 1950 on comptait 23 mosquées kanuri, neuf hausa et quatre de diverses autres communautés (John et Works, 1976). Dans les années 1970, leur domination dans ces domaines est encore assurée.
14 Al muhajiri (pl. almuhajiray) de muhajiri, errant, sous-entendu les élèves coraniques se déplaçant avec leurs mallum et demandant l’aumône (A.).
Auteur
Géographe, directeur de recherche émérite à l’IRD (France).
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