Chapitre 26. Utilisation des fourrages de céréales-mucuna dans l’alimentation des bœufs de trait
(sud du Mali)
p. 329-336
Texte intégral
Introduction
1Dans la zone cotonnière du Mali, l’intensification durable des systèmes de culture et d’élevage passe par l’intégration agriculture-élevage. Le maintien de la fertilité des sols cultivés et l’alimentation des troupeaux posent des problèmes aux agroéleveurs (Coulibaly et al., 2017 a). L’alimentation des animaux en saison sèche est devenue un problème de plus en plus important à la suite de la diminution et de la détérioration des parcours naturels. Cette situation est due aux effets du changement climatique et à la pression anthropique. Cette dernière se manifeste par l’extension des superficies emblavées et l’augmentation des effectifs du cheptel. Les producteurs rencontrent des difficultés en particulier pour l’alimentation des bœufs de trait (BdT). Le mauvais état physique des BdT en début de saison des pluies ne permet pas un travail optimal de leur part au moment des travaux de sol (Coulibaly et al., 2017 b). Cette contrainte rend difficile une mise en place précoce des cultures.
2L’objectif de ce chapitre est de présenter les résultats des pratiques de supplémentation des BdT en saison sèche et de l’usage de la fumure organique (FO) produite en stabulation nocturne de 90 jours. L’étude a été menée dans six villages de la zone cotonnière représentant la diversité des régions (fig. 1).
Matériel et méthode
Matériel
3Le matériel végétal est constitué de résidus de culture (tiges de maïs, riz, mil) et de fanes de mucuna et de niébé produites lors des campagnes agricoles 2015-2016 et 2016-2017 par les agroéleveurs. Le tourteau de coton a été utilisé comme aliment concentré.
4Le matériel animal est constitué de 240 bœufs de trait, dont 120 têtes en 2016 et 120 autres têtes en 2017. La répartition des bœufs de trait par village est consignée dans le tableau 1. Le critère de choix était qu’au préalable les agroéleveurs produisent du fourrage de mucuna pendant l’hivernage. Les producteurs qui ont ainsi produit et conservé le fourrage de mucuna jusqu’au démarrage des activités de supplémentation ont été retenus.
Méthode
Dispositif expérimental
5L’objectif de l’alimentation des BdT était d’utiliser les fourrages de mucuna en complément des résidus de culture dans les rations de supplémentation. Les essais d’alimentation ont été conduits chez 30 producteurs en 2016 et 2017.
6La durée de l’essai d’alimentation est de 90 jours et comporte 2 phases : une phase d’adaptation de 15 jours ; une phase d’expérimentation de 75 jours. Pour l’année 2016, elle s’est déroulée du 10 février au 25 avril 2016 et pour l’essai d’alimentation de 2017, du 25 février au 10 mai 2017.
7La ration journalière distribuée par BdT au retour des pâturages était constituée de :
4 à 5 kg matières sèches (MS) de paille de céréale + 1 kg de tourteau de coton + 2 kg de fanes séchées de mucuna ;
apport minéral : 1 pierre à lécher par BdT.
8Cette ration a été distribuée par animal pendant la durée de 90 jours de l’expérimentation.
9Tous les animaux ont été vaccinés et déparasités au début de l’expérimentation.
Paramètres mesurés
Quantité des types d’aliment (pesée journalière) ;
poids des BdT au début et à la fin de l’expérimentation (barymétrie) ;
quantité de fumure organique (pesée) tous les 15 jours par animal.
Analyse des données
10Les données ont été analysées à l’aide du logiciel STATA. Elles ont fait l’objet d’une analyse descriptive (moyenne, écart-type) et de tests statistiques, c’est-à-dire le t-test et ANOVA-statistique.
Calcul de la marge brute
11L’étude a pris également en compte le revenu généré par les producteurs pour cette activité de conditionnement des bœufs de trait. Ce revenu est calculé en termes de marge brute (MB), qui est la différence entre le revenu total (RT) et les charges variables totales (CVT). La formule est donnée comme suit :
12MB(π) = ΣRT - ΣCVT = ΣPQ - ΣPX
13où Q correspond à la quantité (Bdt), X correspond aux inputs et P correspond aux prix.
Résultats et discussion
Évolution pondérale des bœufs de trait conditionnés
14Les tableaux 2 et 3 présentent les résultats de l’évolution pondérale des BdT lors des essais d’alimentation en saison sèche des exploitations agricoles en 2016 et 2017. Les BdT supplémentés ont enregistré un gain moyen quotidien (GMQ) de 360 à 513 g/j en 2016 et de 236 à 434 g/j en 2017. Les BdT nourris en pratique paysanne ont au contraire perdu du poids. Ces pertes de poids oscillent entre -184 à -382 g/j en 2016 et -161 à -426 g/j en 2017 dans 6 villages en 2016 et dans 5 villages en 2017. Une différence hautement significative a été observée entre les animaux supplémentés et les animaux non supplémentés durant les 2 années d’expérimentation dans tous les villages et sur l’ensemble des animaux.
15Sur l’ensemble des animaux, le GMQ moyen obtenu a été de 458 g/j en 2016 et de 342 g/j en 2017. En 2016, le GMQ le plus élevé pour les BdT supplémentés a été observé à Nafégué, où le pâturage de bas-fonds est plus abondant et offre une meilleure qualité fourragère (biomasse ligneuse et repousses herbacées) comparativement aux 5 autres villages. Durant les 2 années d’expérimentation, les villages de Kokélé et de Béguéné ont enregistré les GMQ les moins élevés pour les animaux supplémentés (tabl. 2 et 3).
16Selon Pearson et Vall (1998), au Zimbabwe, la complémentation de la ration de base des BdT en saison sèche avec de la paille d’arachide, à raison de 400 g/animal/j pendant 70 jours ou 800 g/animal/j pendant 35 jours, en comparaison avec des bœufs non complémentés, a conduit à une augmentation de 276 kg pour les bœufs non complémentés, à 301 kg et 312 kg pour les bœufs complémentés.
17Cette étude ne s’est pas intéressée à la force de travail de ces bœufs de trait sur les parcelles des exploitations agricoles, contrairement aux études d’autres auteurs (Bartholomew, 1989).
Production de fumure organique (FO)
18Les essais de conditionnement des BdT permettent de renforcer les capacités de production de fumure organique des exploitations agricoles comme l’a souligné également Badini (1991). La stabulation nocturne des BdT supplémentés a permis de produire des quantités importantes de fumure organique pendant les 90 jours d’expérimentation dans les villages.
19En moyenne, sur l’ensemble des villages, un bœuf de trait supplémenté a produit 333 kg de FO en 2016 et 323 kg de FO en 2017. L’analyse statistique a montré une différence significative entre les productions de FO des différents villages d’étude durant les 2 années d’expérimentation. La production de FO la plus élevée par BdT a été de 622 kg en 2016 et de 662 kg en 2017 dans le village de Béguéné. Les plus faibles quantités de fumure organique ont été enregistrées dans le village de Katabantankoto en 2016 et 2017. La pratique de FO est moins mise en œuvre par les producteurs de ce village où est encore pratiquée la divagation des animaux en saison sèche. Les BdT recevant la ration au retour des pâturages ne restaient pas au parc toute la nuit.
20Selon Dugué (1994), la production annuelle de déjections d’un bœuf en stabulation est d’environ 1 t MS et l’étable fumière permet de doubler, voire de tripler cette production. L’auteur considère qu’un bœuf adulte peut produire 5 t de fumier par an à 45 % de MS. Les résultats présentés dans ce chapitre sont inférieurs à ceux donnés par Dugué (1994). Cela s’explique par le fait que dans notre étude on n’apportait pas de résidus de culture pour la litière. Seuls les restes d’aliments non consommés étaient mélangés aux déjections des BdT.
Rentabilité économique du conditionnement des bœufs de trait
21La marge brute obtenue par le conditionnement des BdT en saison sèche a varié de 175 470 à 246 085 FCFA en 2016. Pour l’année 2017, elle a varié de 159 405 à 225 105 FCFA. L’analyse statistique n’a pas montré de différence significative entre les marges brutes des différents villages. Pour l’ensemble des villages, la moyenne générale n’a pas beaucoup varié entre les années 2016 et 2017. Elle a été de 206 626 FCFA en 2016 et de 208 659 FCFA en 2017.
Conclusion
22L’alimentation des bœufs de trait à base de résidus de céréales et de fanes de mucuna a permis d’obtenir un bon embonpoint des animaux. Ainsi, les bœufs de trait supplémentés ont enregistré un gain moyen quotidien (GMQ) de 360 à 513 g/j en 2016 et de 236 à 434 g/j en 2017. Les bœufs de trait en pratique paysanne ont au contraire perdu du poids de - 184 à - 382 g/j en 2016 et -161 à -426 g/j en 2017 au cours des périodes d’expérimentation dans les 6 villages en 2016 et dans les 5 villages en 2017. Les bœufs de trait supplémentés sont en condition physique, aptes à effectuer les travaux du sol dès les premières pluies tombées. Cette supplémentation constitue l’une des stratégies d’adaptation des pratiques agricoles au changement climatique.
23La stabulation nocturne des bœufs de trait supplémentés a permis de produire des quantités importantes de fumure organique pendant les 90 jours d’expérimentation dans les villages. En moyenne, sur l’ensemble des villages, un bœuf de trait supplémenté a produit 333 kg de FO en 2016 et 323 kg de FO en 2017. Cette pratique contribue à la restauration de la fertilité des sols, sous culture continue depuis plus de 20 ans surtout dans le vieux bassin cotonnier du Mali.
24En ce qui concerne la rentabilité économique, la marge brute obtenue du conditionnement des bœufs de trait en saison sèche a varié de 175 470 FCFA à 246 085 FCFA en 2016. Pour l’année 2017, elle a varié de 159 405 FCFA à 225 105 FCFA. La supplémentation améliore la valeur marchande des BdT souvent vendus par certains agroéleveurs. Elle est apparue aux yeux des agroéleveurs comme un moyen d’atténuation des effets du changement climatique, d’amélioration de la sécurité alimentaire et de lutte contre la pauvreté des populations.
Bibliographie
Références
Badini O., 1991
« Proposition de technologie en milieu réel : cas du conditionnement des bovins de trait en saison sèche au campement de Dogoma (région Ouest du Burkina Faso) ». In Lawrence P. R. (ed.) : Research for Development of Animal Traction in West Africa, proceedings of the fourth Workshop of the West Africa Animal Traction Network, Kano, Nigeria, 9-13 July 1990, International Livestock Centre for Africa, Addis Ababa, Ethiopia : 257-260.
Bartholomew P., 1989
« Complémentation alimentaire et puissance de traction des bœufs de trait. Méthodes d’alimentation des bœufs de trait ». In : Rapport annuel CIPEA 1989 : 79-81.
Coulibaly D., Ba A., Dembélé B., Sissoko F., 2017 a
Développement des systèmes de production innovants d’association maïs/légumineuses dans la zone subhumide du Mali.
Agronomie Africaine Sp., 29 (1) : 1-10.
https://www.ajol.info/index.php/aga/article/vie wFile/163158/152653
Coulibaly D., Ba A., Dembélé B., 2017 b
Fiche technique : Conditionnement des bœufs de trait à base de fourrage de mucuna en saison sèche. Productions animales. Projet d’appui à l’amélioration de la gouvernance de la filière coton dans sa nouvelle configuration institutionnelle et à la productivité et à la durabilité des systèmes d’exploitation en zone cotonnière (PASE II), Volet Recherche et Développement (R & D), Direction scientifique de l’Institut d’économie rurale (IER), Bamako, Mali.
Dugué, 1994 –
Amélioration de la production de fumure organique au niveau de l’exploitation agricole. Fiches techniques à l’usage des techniciens du développement rural, Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA-secteur centre sud), Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad-SAR), 24 p.
Pearson R. A., Vall E., 1998
Performances et conduite des animaux de trait en Afrique subsaharienne : une synthèse. Revue Élev. Méd. vét. Pays trop., 51 (2) : 155-163.
Auteurs
Zootechnicien, Institut d’économie rurale, Centre régional de la recherche agronomique de Sikasso, Sikasso, Mali
Agroéconomiste, Institut d’économie rurale, Centre régional de la recherche agronomique de Sikasso, Sikasso, Mali
Zootechnicien, Institut d’économie rurale, Centre régional de la recherche agronomique de Sotuba, Bamako, Mali
Zootechnicien, Institut d’économie rurale, Centre régional de la recherche agronomique de Sikasso, Sikasso, Mali
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