Attitudes et connaissances des médecins généralistes face aux risques environnementaux
p. 147-170
Texte intégral
1Les différentes catégories d’acteurs concernés, en France, par les risques sanitaires liés aux phénomènes environnementaux font l’objet, ces dernières années, d’un nombre croissant de recherches en sciences sociales. Parallèlement aux travaux consacrés aux groupes « profanes » (Antoine-Paille, 2002 ; Attané, 2002 ; Nahon, 1999 ; Zonabend, 1993), l’attention des chercheurs s’oriente également vers les acteurs experts ou décideurs exerçant dans diverses instances en charge des questions de sécurité sanitaire et de santé des populations : gouvernement, administrations centrales, services déconcentrés régionaux ou départementaux, élus aux divers échelons territoriaux, municipalités, agences nationales – InVS, Afsse, Afssa, Afsset1 – etc (Besançon, 2004 ; Besançon et al, 2004 ; Chateauraynaud et Torny, 1999 ; Estades et Remy, 2003 ; Gilbert, 2002 ; Torny, 1997). L’approche en termes de logiques institutionnelles et de systèmes de gouvernance est cependant prépondérante dans ces travaux par rapport à celles en terme de positionnements ou de représentations des divers groupes d’acteurs professionnels. De plus, les médecins généralistes assurant des fonctions de clinicien en contact avec les patients n’ont, à ce jour, guère fait l’objet d’approches portant sur leurs perceptions des risques environnementaux et leurs conduites en la matière. C’est plus particulièrement à cette catégorie de protagonistes professionnels du champ de la santé que nous nous intéresserons ici2.
2Notre propos se centrera sur les attitudes et les sources d’informations des médecins généralistes exerçant en libéral. Les problèmes environnementaux considérés se rapportent principalement aux pollutions industrielles et aux nuisances produites par les grands équipements collectifs, notamment en milieu urbain et périurbain (trafic routier et aérien, traitement des déchets, ondes électromagnétiques, bruit, etc.). Ne sont donc pas compris dans notre champ d’étude les pathologies infectieuses « importées » (grippe aviaire, SRAS, paludisme, etc.), les effets sanitaires des manifestations climatiques (canicule, réchauffement de la planète…) ni tout le domaine des troubles et des maladies découlant de l’environnement en milieu de travail. Le matériau sur lequel se fonde notre réflexion a été recueilli dans le cadre d’une étude exploratoire portant sur les perceptions des risques environnementaux (Attané et al, 2005). Ce travail a notamment donné lieu à la réalisation d’une série d’entretiens qualitatifs conduits auprès de médecins généralistes exerçant dans deux sites des Bouches-du-Rhône (Marseille et Fos-sur-Mer) et à l’analyse de quatre supports de presse professionnels destinés à un lectorat de praticiens généralistes : La revue du praticien (série monographie et série médecine générale), Le concours médical et Le quotidien du médecin. Nous présenterons successivement le contenu et les apports de ces deux corpus de données avant de faire le point sur l’émergence actuelle de la médecine environnementale, en France. Puis nous terminerons en proposant quelques pistes de réflexion se rapportant aux modalités de constitution des savoirs des médecins généralistes en regard de l’hétérogénéité des ensembles disciplinaires auxquels ils se réfèrent (l’épidémiologie et la recherche médicale notamment).
Des médecins diversement informés et concernés
3Deux postulats de départ ont guidé nos questionnements de recherche et orienté le travail de terrain en direction des médecins généralistes. Tout d’abord ces praticiens peuvent tenir, sur les questions environnement/santé, un rôle de médiateurs légitimes auprès de la population. Face à certaines catégories de personnes – asthmatiques, insuffisants respiratoires, personnes âgées, parents de jeunes enfants, etc. – ou en réponse aux questions posées par tout type de patient, ces professionnels sont amenés à conseiller, à informer, à prévenir et éventuellement à décider de prescriptions spécifiques. En second lieu, les médecins généralistes peuvent être considérés comme des acteurs hybrides. Ils disposent d’une certaine expertise sur les questions relatives au maintien de la santé et à la pathogenèse tout en n’étant pas eux-mêmes des spécialistes des risques environnementaux et de leurs effets cliniques et physiologiques (ils ne sont pas toxicologues, ni épidémiologistes, etc.). En outre, ils sont également des citoyens plus ou moins sensibilisés aux problèmes de pollution, de qualité et de cadre de vie, etc. Considérant le caractère composite des rôles et des statuts professionnels et civiques de ces praticiens, nous avons cherché à connaître plus précisément ce qu’il en était de leurs perceptions des risques environnementaux, dans quelle mesure ils se trouvaient confrontés, dans leur pratique quotidienne, à ces questions, comment ils s’en débrouillaient, et quels étaient leurs degrés et leurs sources d’information.
4Nous voulions en outre tester l’hypothèse d’une éventuelle incidence du lieu d’implantation de leur cabinet – et donc du cadre de vie de leur patientèle et souvent aussi du leur – sur leurs attitudes à l’égard des risques sanitaires, en général et en référence aux situations environnementales locales. Aussi avons-nous pris le parti de conduire les entretiens auprès de médecins installés dans deux sites différents : à Marseille où douze praticiens ont été interviewés (dix dans le centre-ville et deux dans la vallée de l’Huveaune) et à Fos-sur-Mer où nous avons rencontré cinq autres praticiens. Si aucun de ces sites n’est réputé pour la qualité de son environnement, notamment en ce qui concerne la pollution atmosphérique et sonore, le site de Fos-sur-Mer, et, dans une moindre mesure, celui de la vallée de l’Huveaune (située à la périphérie sud-est de Marseille) présentent des taux de pollution et des cumuls de nuisances particulièrement élevés liés à l’implantation d’industries lourdes (métallurgie, pétrochimie notamment) et de grands équipements (port pétrolier, autoroutes, aéroport).
5Les investigations réalisées relèvent donc d’une démarche qualitative visant à disposer d’un tableau de la diversité des perceptions et des conduites vis-à-vis des risques environnementaux et non d’une représentativité des opinions référée à un échantillon de praticiens qui serait lui-même à l’image de l’ensemble de la profession. Trois principaux ordres de résultats se dégagent de l’analyse des entretiens. Ils se rapportent aux représentations sur les liens entre environnement et santé, aux effets de la proximité de sites à risques et au degré d’information des médecins sur ces questions.
Un fond commun de représentations
6Les troubles ou les pathologies perçus comme liés aux problèmes environnementaux sont les mêmes pour l’ensemble des médecins rencontrés. Tous mentionnent en premier lieu les maladies respiratoires, l’asthme et les allergies. En second lieu, ils insistent sur la nervosité et le stress générés par les nuisances sonores ou par l’angoisse de devoir vivre avec une pollution de plus en plus importante : « Il y a des stress physiques effectivement ; mais la peur de respirer quelque chose de pollué est un stress aussi et ça se transmet au niveau respiratoire », souligne un des médecins rencontrés. Tous s’accordent sur le fait que les enfants sont les premiers touchés par la pollution et que le nombre de maladies respiratoires imputées à la pollution de l’air tend à augmenter.
7Parmi tous les médecins interrogés, autant à Marseille qu’à Fos, la même hiérarchisation des problèmes environnementaux se retrouve. Le problème environnemental perçu comme le plus important pour eux-mêmes et pour leurs patients est celui de la pollution atmosphérique due aux industries et aux voitures, suivi par le bruit et par les ondes électromagnétiques. Plusieurs praticiens ont évoqué que leur appréciation in situ de la pollution se fonde souvent sur la perception sensorielle qu’ils peuvent en avoir par la vue, l’odorat et l’ouïe. Ainsi, les médecins interviewés dans la vallée de l’Huveaune mentionnent la piètre apparence de l’eau de la rivière, révélatrice de la présence de substances toxiques et sales rejetées par les riverains autant que par les industries. Mais ces médecins font également part de leurs réserves quant à la validité de ce mode d’appréciation : « D’un point de vue scientifique, aboutirait-on au constat qu’effectivement il y a pollution lorsqu’on la sent ? » Ils prennent également soin de préciser que s’ils peuvent déceler une pollution qui se sent ou se voit, il se peut très bien aussi qu’ils ne se rendent pas compte par eux-mêmes des diverses formes de pollution. On note que ne sont quasiment pas évoqués certains risques comme la contamination des aliments par les pesticides ou encore la pollution intérieure de l’habitat par les produits qui s’y trouvent (mobilier aggloméré, revêtements de sol, etc.) ou y sont utilisés (colles à usages divers, produits d’entretien ménager, etc.). Il en est de même des dangers potentiels en débat actuellement comme les installations nucléaires ou encore les OGM.
8Parallèlement, on observe parmi les praticiens interviewés, des stratégies d’euphémisation analogues à celles décrites dans la littérature à propos des populations riveraines (Attané, 2002 ; Zonabend, 1993) : plus une personne est exposée à des risques, plus elle essaie de les minimiser afin de supporter le stress psychologique que l’exposition à ces dangers réels ou potentiels représente. Ainsi, un médecin de la vallée de l’Huveaune déclare « ça me stresse le bruit ! Parfois je n’en peux plus ! Entre les voitures, les usines de l’autre côté, les klaxons… Les gens se plaignent d’ailleurs, et pourtant on n’est pas au centre-ville. Là-bas, c’est pire encore ! ». Un praticien de Fos-sur-Mer estime que « l’automobile est vraiment très polluante, et d’ailleurs la ville de Marseille est bien plus polluée que la ville de Fos ». Un interlocuteur du centre de Marseille remarque de son côté que « la pollution augmente, mais nous ne sommes pas dans un quartier très pollué ici. Les plus pollués ce sont le 11e, le Vieux-Port et l’étang de Berre ; c’est connu ! ». Chacun attribue à ceux vivant dans un « ailleurs », même relativement peu éloigné, une exposition à une pollution plus importante et plus nocive.
Les effets de la proximité aux sites pollués ou à risques
9Sur toute une palette de questions, les médecins marseillais et ceux de Fos-sur-Mer ont tenu des propos sensiblement différents. En premier lieu, les médecins exerçant à Fos parlent tous spontanément du projet d’installation à proximité d’une usine d’incinération des déchets domestiques en provenance de la ville de Marseille. À côté des arguments sanitaires mettant notamment en avant le risque de contamination du lait maternel par la dioxine rejetée par la combustion, les médecins rencontrés à Fos font état de patients qui ont mis leur maison en vente pour quitter définitivement la région à cause d’un surplus de pollution qu’ils jugent intenable. Certains envisagent d’ailleurs de prendre pour eux-mêmes une telle décision. Les médecins interrogés à Fos déclarent en outre que la question de l’incinérateur revient fréquemment dans les discussions avec leurs patients. D’une manière générale, les médecins de Fos se sentent particulièrement concernés par la proximité de nombreuses industries polluantes et expriment un sentiment très vif de saturation de l’espace par ce type d’installation et par les nuisances qui en découlent : « La vie ici risque de pâtir de l’inconséquence des pouvoirs publics. Il faut que ceux-ci se rendent compte que la population ne peut pas accepter ça en plus [l’incinérateur], c’est trop dans une zone déjà industrielle ! » Les médecins qui ont spontanément tenu divers propos sur les inégalités sociales face aux expositions à des risques sanitaires environnementaux se retrouvent en outre préférentieilement parmi ceux exerçant à Fos-sur-Mer.
10À Marseille en revanche, aucun des praticiens rencontrés n’a évoqué spontanément l’usine d’incinération d’ordures ménagères dont la construction est prévue dans la commune de Fos. Ce constat, là encore, peut être rapproché de phénomènes plus généraux comme le syndrome NIMBY3 dont rend compte la littérature pour désigner l’opposition des associations ou des populations locales à un projet jugé à risque et qui pourtant répondrait à un besoin collectif. Plus les personnes vivent proches du lieu envisagé pour l’implantation d’un équipement estimé dangereux, plus elles se sentent concernées et se mobilisent en conséquence. Tandis qu’aucun des médecins de Marseille ne s’est dit adhérent à une organisation de défense de l’environnement, plusieurs médecins interrogés à Fos se sont engagés dans la vie politique locale (en tant qu’adjoint au maire, par exemple), ou dans des associations pour la défense de leur environnement et contre l’installation de l’incinérateur.
11Enfin, on note que la notion d’environnement évoque, pour les praticiens marseillais, aussi bien les équipements de type industriel implantés dans l’espace local que l’habitat ou l’environnement social et professionnel. Ceux-ci mentionnent en effet aussi fréquemment le tabagisme, l’hygiène alimentaire dans les restaurants, la surcharge en informations et en publicité, le stress au travail, les déjections des chiens sur les trottoirs que la pollution de l’air ou les nuisances par le bruit. En revanche, les réponses des médecins de Fos témoignent d’une acception de l’environnement d’ordre principalement écologique. Ils mettent surtout en avant la pollution de l’air par les industries et les automobiles, les nuisances par le bruit des avions et des autoroutes ainsi que la dégradation de la végétation.
Une information estimée insuffisante et peu fiable
12D’une manière générale, les médecins insistent sur les difficultés d’établir des liens sûrs et scientifiquement établis entre certains symptômes ou certaines maladies et des situations environnementales, notamment du fait de la multiplicité des facteurs à considérer. Les études épidémiologiques ou toxicologiques leur semblent le seul moyen légitime qui permettrait de se prononcer sur les liens entre risques sanitaires et pollution. Tous les interlocuteurs rencontrés estiment qu’ils ne disposent pas de suffisamment d’informations solides sur ces questions. Ils expriment en outre leurs doutes quant à l’objectivité et la provenance de celles auxquelles ils ont accès (par les médias généralistes notamment) et ont le sentiment d’être dépendants de la propagande politique, ou de rumeurs scientifiquement infondées. Ils s’accordent également sur le fait que les risques sanitaires liés aux problèmes environnementaux sont très peu traités dans la presse médicale, qu’il s’agisse de la problématique des déchets ou d’autres questions environnementales.
13Les revues médicales les plus lues sont Le quotidien du médecin, suivi par La revue du praticien. On note toutefois que les médecins de Fos paraissent mieux informés que leurs collègues marseillais. Ils évoquent les informations reçues par Airfobep, par la Drire4, ou obtenues par la recherche personnelle d’informations sur Internet. Les connaissances relatives au projet d’implantation d’un incinérateur d’ordures ménagères, au site de l’installation et aux procédures techniques sont chez eux plus précises que parmi leurs collègues marseillais. Mais en fin de compte, si les médecins de Fos ont davantage d’idées que leurs confrères de Marseille sur les débats techniques, ils n’ont guère plus d’éléments pour prendre position sur les grandes questions liées au traitement des déchets et ont l’impression d’être « dépassés ». D’une manière générale, les référendums, les conseils de citoyens, les consultations publiques, etc., semblent appréciés par les médecins, mais ces mesures ne suffisent pas à dissiper un certain sentiment d’impuissance.
14À la lumière des entretiens réalisés, les médecins apparaissent faiblement intéressés et impliqués par la problématique environnement/santé et ne se présentent pas comme initiateurs ou promoteurs d’informations ou d’actions sur les risques sanitaires liés à la pollution environnementale. Rares sont ceux qui défendent des opinions tranchées et méthodiquement argumentées dans ce champ. La plupart des médecins interviewés suivent plutôt une sensibilité environnementale que l’on rencontre dans la société globale. Dans la mesure où ils pourraient ne faire que renvoyer à leur clientèle leurs propres interrogations, on peut se demander si leur discours qui se présente comme une « parole autorisée », eu égard à leur statut de médecin, ne viendrait pas finalement conforter les inquiétudes de patients qui partagent les mêmes perceptions des risques, des incertitudes et du manque d’information.
15Ces résultats peuvent être mis en regard de ceux de l’enquête par questionnaire conduite en 2005 auprès des médecins libéraux de Haute-Normandie, région qui se caractérise par une forte densité d’industries polluantes, notamment autour de l’estuaire de la Seine (Dupont et Suriré, 2005). Il ressort de cette étude que 47 % des répondants estiment que les risques liés aux pollutions environnementales sont majeurs et avérés, 49 % établissent un lien entre des pathologies fréquemment rencontrées et la pollution environnementale et 69 % entre les pathologies environnementales et les inégalités sociales ; 59 % notent une augmentation des demandes des patients sur les causes environnementales des pathologies. Ces taux apparaissent plus élevés parmi les praticiens homéopathes ou acupuncteurs. L’enquête souligne en outre que les médecins se disent d’autant plus sensibilisés aux risques sanitaires environnementaux qu’ils exercent à proximité de sites à risques. Pour ce qui se rapporte à l’information dont ils disposent, 86 % des enquêtes disent n’avoir reçu aucune formation en santé publique ou en santé environnementale (ce pourcentage apparaît moindre parmi les praticiens les plus jeunes) et 65 % pensent ne pas apporter de réponses satisfaisantes aux questions posées par les patients sur les pathologies liées à l’environnement. Plus d’un tiers des médecins enquêtés sont demandeurs de formations continues ou d’une lettre ou revue sur les questions santé/environnement afin de combler leur déficit de formation mais aussi de mieux comprendre la situation actuelle marquée par un fort développement de technologies modernes dont il convient de mieux mesurer et analyser les effets sur la santé.
16Au total, il ressort de ces deux études, qualitative et quantitative, que les médecins normands se sentent dans l’ensemble plus concernés que leurs collègues marseillais par les questions sanitaires environnementales, tandis que leur degré de sensibilisation s’apparente davantage à ceux de Fos-sur-Mer. Tous, quels que soit leur région et leur lieu d’implantation, font part de leur manque de formation et d’informations sur ces sujets. Dans les deux enquêtes, on retrouve des médecins exprimant un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance face à la montée de pathologies problématiques corrélées aux évolutions de l’environnement.
17Afin de prolonger les apports des enquêtes conduites auprès de médecins généralistes en exercice, nous avons cherché à apprécier dans quelle mesure et de quelles manières les liens entre environnement et santé se trouvaient traités dans la presse professionnelle destinée à ces praticiens.
Le risque environnemental dans la presse médicale généraliste
18La presse médicale représente une source d’information importante pour les médecins généralistes. L’analyse que nous avons conduite s’est portée sur trois revues cliniciennes de référence : La revue du praticien série Monographie (bi-mensuelle) et série Médecine générale (hebdomadaire) et Le concours médical (hebdomadaire) – ainsi que sur Le quotidien du médecin (qui paraît cinq jours par semaine). Les versions papier des revues ont été exhaustivement étudiées, ce qui a permis d’y repérer des articles courts ou des informations brèves qui ne sont pas listées dans le sommaire ni référencées sur leurs sites Internet (peu propices, dans leur configuration actuelle, à ce type d’usage) tandis que l’exploitation du quotidien du médecin a pu être réalisée à partir de son site Internet. La période étudiée va de janvier 2003 à mars 2005 (et juin 2005 pour Le quotidien du médecin), soit une durée d’un peu plus de deux ans. Les résultats des investigations conduites sont présentés successivement pour chacun des deux types de presse professionnelle. Puis nous verrons de quelle manière le rôle du médecin praticien sur les questions santé/environnement est abordé dans l’ensemble de ce corpus.
Les revues cliniques
19Pour ces revues, un premier repérage nous a amenés à élargir le champ considéré au-delà des questions relatives à la pollution de type industriel. On repère en effet dans les trois séries étudiées un recours relativement fréquent, dans le corps des articles portant sur différentes pathologies (cardiaques, rhumatismales, cancéreuses, psychiatriques, etc.), à des termes comme « facteurs environnementaux » ou « éléments liés à l’environnement » ; ces formulations recouvrent une gamme de facteurs allant de l’alimentation, de l’alcool et du tabac au stress en passant par la présence de produits toxiques dans les milieux de vie domestique ou professionnel, etc. On note également dans ces revues la présence régulière d’articles traitant de l’environnement en milieu de travail, des facteurs climatiques, de la iatrogenic et des infections nosocomiales, etc. Nous avons donc pris le parti de comptabiliser et de sérier dans un premier temps l’ensemble de ces manières d’approcher les questions environnementales pour nous centrer dans un second temps sur l’analyse des articles se référant plus particulièrement à la pollution et aux nuisances découlant de certains grands équipements collectifs ou dispositifs technologiques.
20Au total, 62 articles ont été repérés. Ils sont de format très variable – allant de plusieurs pages à, le plus souvent, une ou une demi-page – et ne représentent qu’une infime partie de l’ensemble des textes publiés sur la période étudiée (moins d’un article pour quatre numéros de revue). Nous les avons ordonnés en huit catégories définies en fonction du type de problème environnemental abordé et du statut occupé par la question environnementale dans l’article (thème principal repérable dès le titre ou dimension tangentiellement évoquée dans le corps du texte). La répartition ainsi établie est la suivante (chaque article a été répertorié dans une seule catégorie, même si quelques-uns pouvaient relever d’un double ou d’un triple classement) (cf. tableau en annexe).
21Deux principaux enseignements peuvent être retirés de cette répartition. Tout d’abord, deux articles sur trois renvoient à des risques environnementaux non référés à la pollution ou aux technologies en milieu ordinaire (soit 41 articles sur 62). Neuf articles se rapportent aux facteurs climatiques ou naturels, 8 aux pathologies professionnelles, 6 à la médecine tropicale, 8 (3 + 5) à des questions liées à l’environnement médico-sanitaire (dont 3 à la iatrogenic) ; dans 10 articles enfin, les facteurs environnementaux sont simplement évoqués dans le cours du texte. Ce traitement élargi de la notion d’environnement rappelle que la médecine dite environnementale relève d’une longue histoire et n’a pas attendu les risques liés à la vie dans les sociétés industrielles et « technologisées » d’aujourd’hui pour se constituer (courant hygiéniste, médecine tropicale, santé publique, etc.).
22On remarque ensuite que seulement 21 articles, soit un tiers de la totalité de ceux repérés, traitent de questions de type pollution industrielle (n =7) ou de risques technologiques divers (n = 14). Plus précisément, ces 21 articles abordent les sujets suivants (voir en annexe la liste et les intitulés de ces articles) :
pollution atmosphérique (n =4) ;
pollution des sols ou de l’air par les dioxines issues de l’incinération des déchets (n = 3) ;
lignes à moyenne ou haute tension et ondes électromagnétiques (n =5, dont 2 sur les risques liés aux éoliennes) ;
autres produits toxiques ou infectieux (n = 5) : plomb, vaisselle peinte, herbicides, oxyde de carbone, qualité de l’eau ;
divers (n = 4) : irradiations naturelles ou artificielles (radiothérapie), bioterrorisme, bruit, bacs à sable.
23Certains risques pourtant avérés ne font l’objet d’aucun article dans le corpus étudié. Tel est le cas pour le risque nucléaire (centrales, déchets) ou encore les pesticides (l’article sur les herbicides classé dans la rubrique « divers » traite des produits utilisés à l’échelon domestique pour les potagers).
24Ces 21 articles sont le plus souvent ciblés sur des questions précises et destinés à faire le point sur l’état des connaissances ou des méconnaissances scientifiques concernant la question traitée. Les quelques approches relevant d’une vision plus synthétique de ces problèmes sont le fait d’articles prenant la forme d’une interview d’un expert, chercheur et (ou) représentant d’une institution (Inserm, Direction générale de la santé, InVS, etc.). Enfin, les sujets environnementaux sont apparus sensiblement plus souvent abordés dans Le concours médical (10 + 4 = 14 articles sur 21) que dans les deux séries de La revue du praticien (2 + 2+1 + 2 = 7 articles sur 21).
25D’une manière générale, on note une attitude rédactionnelle extrêmement prudente quant à la validation des liens entre certains facteurs environnementaux et des manifestations pathologiques.
26Les références aux études existantes sur ces questions soulignent fréquemment les limites avec lesquelles des résultats positifs doivent être considérés du fait de biais méthodologiques, de facteurs de confusion, etc. Ce type de vigilance apparaît particulièrement de mise à propos des liens entre pollution et cancers. Cette posture générale se trouve toutefois contrebalancée dans les articles fondés sur des interviews de responsables d’agences ou de grands programmes nationaux qui font valoir la diversité et l’amplitude des dangers sanitaires liés aux pollutions environnementales et qui soulignent la nécessité de développer des recherches sur ces questions. Tel est le cas du texte intitulé « Pollution atmosphérique : quel impact sanitaire ? » qui présente les premiers résultats d’une étude épidémiologique nationale conduite dans neuf villes françaises (Eilstein et al, 2004) ; cet article souligne, en conclusion : « De plus, lorsque l’effet à long terme est pris en compte, les nombres de cas attribuables [à la pollution atmosphérique] deviennent comparables à ceux du tabac ». Les enjeux relatifs à l’allocation de fonds pour la recherche et à la reconnaissance institutionnelle qui s’y trouve liée contribuent semble-t-il à atténuer les précautions méthodologico-scientifiques (et politiques) habituellement mises en avant. Le caractère en partie disparate des orientations éditoriales des revues analysées est sans doute également attribuable à la superposition, dans la période étudiée, d’un ancien et d’un nouveau régime de traitement de ces questions correspondant respectivement à la période antérieure versus la période postérieure au lancement des grands programmes nationaux, notamment le Programme national santé environnement, 2004-2008 (PNSE5).
Le quotidien du médecin
27Une première investigation faite sur le site internet de ce quotidien, très largement diffusé parmi les médecins généralistes, a d’emblée révélé que les questions relatives à l’environnement, et plus précisément celles se rapportant à la pollution de type industriel et aux risques technologiques étaient fréquemment abordées. Après divers essais visant à cibler au mieux les mots clés à retenir afin de collecter l’information recherchée sans être noyé par son abondance ou son hétérogénéité nous avons retenu l’interrogation « Pollution et santé » qui a drainé 113 références pour la période s’étalant du 1er janvier 2003 au 30 juin 2005. Procéder à une classification par sujet traité de cet ensemble d’articles est vite apparu délicat du fait de la grande diversité des domaines abordés, de la pluralité des entrées pour un même sujet (par exemple pour l’eau : les inondations, la baignade, la qualité et le contrôle de l’eau distribuée, la pollution des nappes phréatiques, les réglementations en vigueur, les instances concernées, les « affaires » locales, etc.) et du décalage existant parfois entre le titre et le contenu de l’article. Un classement analogue à celui réalisé pour les revues cliniciennes aurait été en partie arbitraire et de ce fait peu satisfaisant. Aussi avons-nous pris le parti de nous axer sur une approche transversale du style et des contenus rédactionnels de ces 113 articles.
28Il apparaît donc en premier lieu que Le quotidien du médecin a développé une approche des questions de santé et pollution diversifiée et largement associée à l’actualité scientifique et institutionnelle (études épidémiologiques ou programmes gouvernementaux) mais aussi à l’actualité sociale et politique dans le domaine médico-sanitaire : recours d’élus locaux pour non-respect de normes environnementales, mobilisation de diverses catégories d’acteurs, conflits ou controverses, débats de société, etc. Les questions posées par les risques et les déchets nucléaires y sont fréquemment abordées. Ce quotidien a en outre instauré, depuis 1993, les « trophées Épidaure » récompensant chaque année un scientifique, un jeune chercheur et un praticien pour des recherches contribuant à « mieux comprendre et mieux prendre en compte les liens existant entre environnement et santé ». Il existe donc une orientation éditoriale affichée dans Le quotidien du médecin sur les questions médico-sanitaires d’ordre environnemental.
29Le traitement formel des sujets environnementaux abordés dans ce quotidien (comme de tous les autres sujets) apparaît davantage journalistique que dans les revues cliniciennes. Cela se repère notamment dans les titres des articles fréquemment empreints d’une tonalité « accrocheuse » ou sensationnaliste, par exemple Les particules envahissent l’air du métro et du RER (17 juillet 2003), La pollution atmosphérique accusée dans le cancer bronchique (5 septembre 2003), Un combat sans fin pour le lait pur (25 mars 2004). Toutefois, l’impression alarmiste alimentée par ces intitulés se trouve en général tempérée par les contenus des articles qui comportent le plus souvent une information et une argumentation rigoureuses. Tel est particulièrement le cas des nombreux articles rapportant l’interview d’un expert ou d’un responsable institutionnel.
Le rôle du médecin généraliste
30La question des conduites et du rôle que peuvent avoir les médecins généralistes en matière de risques sanitaires environnementaux ne se trouve que peu abordée dans La revue du praticien ou Le concours médical, qu’il s’agisse des aspects cliniques de leur pratique (par exemple à propos de certaines catégories de patients vulnérables) ou de leur rôle de référent en matière de santé des populations, à l’échelon local ou national. Sur les 62 articles traitant des questions santé/environnement (voir le tableau en annexe) nous en avons repéré six, courts pour la plupart, abordant ces aspects. Deux se rapportent à la conduite à tenir et à l’information à avoir face aux risques de pollution liés à un incinérateur local ; il s’agit d’articles courts publiés dans une rubrique du Concours médical intitulée « Consultations » et dédiée aux questions des lecteurs (Garnier, 2003 et 2004). Deux autres articles sont consacrés au rôle du médecin en cas d’accident collectif, d’attentat ou de catastrophe naturelle (Aubert 2003 ; Maréchaux, 2004). Un article enfin porte sur « La chambre de l’allergique » ; il souligne le rôle du médecin en direction des patients asthmatiques et met en exergue la création récente d’une nouvelle orientation professionnelle, celle de « conseiller médical en environnement intérieur » (De Blay et Lieutier-Colas, 2004). Enfin, un article consacré à l’actualité médicale dans les agences sanitaires pose, dans son dernier paragraphe intitulé « En pratique », la question de l’attitude du médecin généraliste vis-à-vis des inquiétudes et des interrogations de ses patients en ces termes : « Pour répondre aux patients, le plus simple est de prendre rapidement connaissance de l’actualité médicale « médiatique » (par la radio, la télévision ou la presse quotidienne) et de vérifier sur les sites ad hoc la réalité de l’information. Le tout ne doit pas demander plus de 10 minutes par jour » (Eveillard, 2004). Au-delà de leur simplicité et de leur clarté, ces conseils laissent entrevoir toute la complexité du rôle de conseiller bien informé – sur des sujets pleins d’incertitudes – des médecins au contact avec les patients.
31Dans Le quotidien du médecin, le rôle du généraliste sur les questions santé/environnement apparaît un peu plus fréquemment abordé. On repère régulièrement dans ce journal des articles faisant état des campagnes de sensibilisation menées par les pouvoirs publics en direction des praticiens de ville, comme dans les deux articles Les médecins franciliens, futurs remparts contre la pollution ? (19 juin 2003) et Des médecins pionniers du combat environnemental (29 mars 2004). Un autre article Les médecins appelés à la rescousse (17 mars 2005) relate les difficultés rencontrées sur certains sites pour trouver des personnes volontaires pour participer à une enquête épidémiologique sur les incinérateurs et l’appel lancé par les initiateurs de l’étude auprès des généralistes locaux pour sensibiliser leurs patients à l’intérêt de ce type de recherche. D’autres articles rendent compte de l’engagement de médecins dans des mobilisations de nature militante en faveur du « combat environnemental », notamment à propos des incinérateurs d’ordures ménagères.
32Au final, il apparaît que si Le quotidien du médecin aborde un éventail ouvert de questions traitant des liens entre environnement et santé, les revues cliniciennes ont une posture éditoriale nettement plus réservée en la matière. Lensemble de ces supports de presse médicale ne livre guère d’informations, de conseils ou d’expériences sur les conduites pouvant être adoptées face aux risques environnementaux et ne constitue pas, pour les médecins et pour la période étudiée, un cadre méthodiquement documenté de références pour l’action. Nous faisons pour notre part l’hypothèse que la montée en légitimité institutionnelle, politique et scientifique, à l’échelon national, des questions qui touchent aux relations entre environnement et santé donnera progressivement lieu au développement multiforme d’un intérêt du corps médical pour ces problèmes. Sans doute alors la presse professionnelle en rendra-t-elle davantage compte et entretiendra par là le mouvement de construction progressive d’une médecine environnementale en prise sur les évolutions actuelles, et à venir. C’est une évolution de cet ordre qu’illustrent certains faits comme le développement, déjà évoqué, d’une « spécialisationmédicale » en environnement intérieur orientée plus particulièrement vers les personnes allergiques ou asthmatiques ou comme la tenue en 2005 à l’initiative de l’Union régionale des médecins libéraux de Haute-Normandie du 1er congrès national sur le thème « Médecine libérale et pathologies environnementales » (Rouen, 7 et 8 octobre 2005).
33Fin 2005, La revue du praticien, en collaboration avec la Direction générale de la santé, a consacré un numéro au médecin face aux risques sanitaires et environnementaux (t. 55, n° 18,30 novembre 2005). La première partie de ce document est consacrée à la présentation du dispositif français de sécurité sanitaire (agences, institutions, plans de mobilisation collective, dispositif de surveillance, etc.) ; puis sont exposés divers exemples de gestion des risques parmi lesquels la pollution de type industriel ou technologique apparaît peu abordée (un article porte sur la téléphonie mobile), les pathologies infectieuses importées, les intoxications alimentaires ou la iatrogénie l’étant davantage. Si, en toute logique, l’éditorial de ce numéro indique que le bon fonctionnement de ce dispositif « nécessite que les médecins y participent activement », il souligne également le fait que « l’action en faveur de la santé publique passe aussi par des prises de position dénonçant certains lobbies ». Sont dans cette optique désignés de manière circonstanciée les manœuvres des industriels de l’amiante ou du tabac et les groupes de pressions liés à la viticulture (exploitants et élus). Lors d’échanges informels que nous avons eus avec des représentants de la profession (Conseil de l’ordre, spécialistes hospitalo-universitaires) ou dans les propos tenus par nombre d’intervenants au colloque précité, des prises de position analogues ont également été exprimées avec vivacité (en direction de l’industrie lourde ou agro-alimentaire notamment).
34Divers autres indices viennent alimenter le diagnostic de l’émergence, en France, d’une médecine environnementale intégrant à son champ de connaissances et d’action les composantes de la situation propres au temps présent, en particulier pour tout ce qui concerne les pollutions de type industriel ou liées à de grands équipements technologiques. Jusqu’à une date récente, les quelques ouvrages à destination des médecins praticiens disponibles en français étaient des traductions de livres provenant de l’étranger (voir par exemple Reihl, 2002, traduit de l’allemand). L’ouvrage de référence actuel directement rédigé en français est le fruit du travail d’un collectif pluridisciplinaire de chercheurs franco-québécois (Gérin et al., 2003). Parallèlement, on observe la création de quelques réseaux de santé dédiés à la prise en charge de pathologies aggravées par des facteurs environnementaux (par exemple, pollution et habitat, pollution atmosphérique et patients coronariens), ou encore le développement de modules de formation médicale (initiale ou continue) en santé environnementale. On peut en outre penser que, dans un proche avenir, la médecine environnementale constituera, pour les médecins praticiens et selon des voies qui se définiront chemin faisant, un créneau de « spécialisation » et d’élaboration d’identités professionnelles au même titre que d’autres orientations ou modes d’exercice particulier (Bouchayer, 1994 ; Robelet, 1999).
35En guise de conclusion et d’ouverture pour la réflexion, nous voudrions souligner quelques caractéristiques actuelles du domaine médico-scientifique s’intéressant aux risques sanitaires environnementaux relatifs notamment à la pollution de type industriel. Ce domaine représente en effet, pour les médecins généralistes, l’espace de connaissances et de référentiels pour l’action à partir duquel se forge leur propre expertise et nous avons vu que, pour l’heure, nombre de médecins généralistes se disent insuffisamment informés et peu à l’aise pour composer avec des informations dont ils doutent parfois de la fiabilité.
Des savoirs marqués par des incertitudes et des controverses
36L’évolution des connaissances et le caractère fluctuant des « conduites à tenir » traversent, à chaque époque, l’ensemble du champ de la médecine. Certaines de ses spécialités ou de ses branches paraissent cependant, à certaines périodes, particulièrement marquées, voire structurées par des incertitudes et des controverses. Tel est actuellement le cas des pathologies environnementales (voir par exemple Dab, 2006 ; Dab et al., 1998). On repère, en outre, dans ce champ des positionnements d’ordre politique contrastés, portés par les producteurs « à la source » de savoirs en la matière : médecins spécialistes hospitalo-universitaires (pédiatres, endocrinologues, allergologues, pneumologues, cancérologues, etc.), épidémiologistes, fondamentalistes (toxicologues notamment). Schématiquement, trois types de postures se trouvent exprimés.
37Certains affirment l’existence de corrélations massives et à grande échelle entre des données environnementales relatives à l’utilisation généralisée de certains produits (pesticides, engrais, dérivés du pétrole, etc.) et au développement des technologies (champs électromagnétiques, pollution industrielle, etc.). Un des chefs de file de cette posture est le Dr Dominique Belpomme, cancérologue et auteur de plusieurs ouvrages à destination du grand public (voir notamment Belpomme, 2004). Les thèses développées par ce chercheur sont vivement critiquées par toute une partie du milieu médico-scientifique et institutionnel engagé, à différents titres, dans la production de savoirs et d’études sur ces questions. D’autres, tout en reconnaissant que l’état des connaissances ne permet pas actuellement d’apporter strictement la preuve de ces corrélations ou des systèmes de causalités qui les sous-tendent, se positionnent en « énonceurs de dangers » et cherchent activement à mobiliser les pouvoirs publics et les décideurs. Ainsi, un pédiatre endocrinologue ayant mené des travaux sur l’augmentation des malformations congénitales sexuelles chez les nouveau-nés attribuables à l’usage d’engrais ou de pesticides souligne : « Attendre d’en savoir assez pour agir en toute lumière, c’est se condamner à l’inaction »6. D’autres enfin, notamment parmi les chercheurs « fondamentalistes » et en épidémiologie, insistent sur le fait qu’il est impératif d’en savoir davantage et de lever les incertitudes par le développement de recherches avant de se prononcer sur des dangers qui, estiment-ils, restent à ce jour supposés, et donc avant de s’engager dans des mesures ciblées de réglementation et de prévention (c’est une attitude de cet ordre qui est apparue prépondérante dans les revues cliniciennes étudiées). Au-delà des incertitudes et des désaccords, assez habituels dans le champ de la connaissance et de la recherche scientifiques, c’est donc aussi sur le registre des jeux d’acteurs et de leur positionnement en matière d’art de gouverner et de décider que s’expriment ces controverses. Les sciences sociales, en particulier la sociologie et les sciences politiques, se sont pour leur part abondamment saisies, ces dernières années, de ces thématiques (voir par exemple Barthe, 2006 ; Dourlens, 2003 ; Dumoulin et al, 2005 ; Jouzel et Landel, 2005 ; Vaillancourt et Cotnoir, 2003). Se pose alors la question de savoir comment évolueront à l’avenir les attitudes et les positionnements professionnels des praticiens de base de la médecine et de leurs représentants.
Annexe
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Antoine-Paille M.-T., 2002 – « La perception des risques santé/environnement par le public : un modèle et son application au domaine de l’eau ». In Giroult E. Seux R. (éd.) : Eau, Environment, Santé. Un enjeu majeur pour le xxie siècle, Rennes, éditions ENSP : 195-203.
Attané A., 2002 – Pêcher, courir, trier ses déchets… pratiques de l’environnement ou rapport aux autres ? Europea, 1-2 : 261-282.
Attané A., Bouchayer E, Gruénais M.-E., Langewiesche K., Matteî J.-C, 2005 – Perceptions des risques environnementaux (Marseille et alentours). Étude exploratoire en sciences sociales, auprès des médecins et dans la presse. IRD UR 002, Shadyc Ehess-Cnrs, ville de Marseille, direction de la qualité de vie partagée, rapport de recherche, 110 p.
Aubert J.-E, 2003 – Risque bioterroriste : les généralistes en 1re ligne ? La revue du praticien – Médecine générale, t. 17, n° 604 : 269.
Barthe Y., 2006 – Le pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires. Paris, Economica.
Belpomme D., 2004 – Ces maladies créées par l’homme. Comment l’environnement met en péril notre santé. Paris, Albin Michel.
Besançon J., 2004 – Les agences de sécurité sanitaire en France. Revue de littérature commentée. Les cahiers du GIS, Risques collectifs et situations de crise, n°2, CNRS-MSH-Alpes.
Besançon J., Borraz O., Grandclement-Chaffy C, 2004 – La sécurité alimentaire en crise. Les crises Coca-Cola et listeria de 1999-2000. Paris, L’ Harmattan.
Bouchayer f, 1994 – « Les voies du réenchantement professionnel ». In Aïach P., Fassin D. (éd.) : Les métiers de la santé. Enjeux de pouvoir et quête de légitimité, Paris, Anthropos : 201-225.
Chateauraynaud E, Torny D., 1999 – Les sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque. Paris, EHESS.
Dab W, 2006 – L’homme malade de l’environnement. Paris, Eska.
Dab W., Goldberg M., Mengual E., Rollet C, 1998 – Décideurs tous risques. Du bon usage de l’épidémiologie. Paris, Frison-Roche/ENSP.
De Blay E, Lieutier-Colas E, 2004 – La chambre de l’allergique. La revue du praticien – Médecine générale, t. 18, n° 637-638 : 53-54.
Dourlens C, 2003 – Saturnisme infantile et action publique. Paris, L Harmattan.
Dumoulin L., La Branche S., Robert C., Warin P. (éd.), 2005 – Le recours aux experts. Raisons et usages politiques. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
Dupont Y., Suriré C., 2005 – Médecine libérale et pathologies environnementales. Enquête exploitée pour le compte de la commission santé environnement de l’URML de Haute-Normandie par le LASAR, université de Caen, 45 p.
Eilstein D. et al., 2004 – Pollution atmosphérique : quel impact sanitaire ? La revue du praticien – Médecine Générale, t. 18, n° 643 : 289-291.
Estades J., Remy E., 2003 – L’expertise en pratique. Le cas de la vache folle et des rayons ionisants. Paris, LHarmattan.
Eveillard E, 2004 – l’actualité médicale dans les agences sanitaires et… ailleurs. La revue du praticien – Médecine générale, t. 18, n° 641 : 215-216.
Garnier R., 2003 – Pollution des sols par les dioxines. Le concours médical, t. 125-06 : 334-335.
Garnier R., 2004 – Incinération des déchets. Le concours médical, t. 126-37 : 2180.
Gérin M., gosselin R, cordier S., VlAu C, Quenel P., Dewailly E.
(éd.), 2003 – Environnement et santé publique. Fondements et pratiques. Québec, Edisem.
Gilbert C. (éd.), 2002 – Risques collectifs et situations de crise. Apports de la recherche en sciences humaines et sociales. Paris, L’Harmattan.
Jouzel J.-N., Landel D., 2005 – Décider en incertitude. Le cas d’une technologie à risques et de l’épidémie d’hépatite B. Paris, L’Harmattan.
Maréchaux E, 2004 – Accidents collectifs, attentats, catastrophes naturelles : conduite à tenir pour les professionnels de santé. La revue du praticien –Médecine générale, t. 18, n° 646-647 : 453-454.
Nahon T., 1999 – Étude des représentations de la population riveraine dune usine d’incinération. L’exemple d’Athanor. Déchets Sciences et Techniques, n° 13 : 18-22.
Reihl F-X., 2002 – Atlas de poche de Médecine de l’environnement. Éditions Maloine.
Robelet M., 1999 – Les médecins sous observation. Mobilisations autour du développement de l’évaluation médicale en France. Politix, n° 46, 71-97.
10.3406/polix.1999.1056 :torny D., 1997 – Surveiller et contenir. Maladies à prions et politique de la vigilance. Revue française des affaires sociales, 51, n°3-4 : 221-231.
Vaillancourt J.-G., Cotnoir L., 2003 – « Sociologie de la santé environnementale ». In Gérin M. et al. (éd.) : Environnement et santé publique. Fondements et pratiques, Québec, Edisem : 251-257.
zonabend E, 1993 – Au pays de la peur déniée. Communications, 57 : 121-130.
10.3406/comm.1993.1870 :Notes de bas de page
1 InVS : Institut de veille sanitaire ; Afsse : Agence française de sécurité sanitaire environnementale ; Afssa : Agence française de sécurité sanitaire des aliments ; Afsset : Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail.
2 Le présent texte reprend des informations réunies dans le cadre du projet « Perceptions des risques environnementaux (Marseille et alentours). Étude exploratoire en sciences sociales auprès des médecins et dans la presse » (IRD-Shadyc), étude réalisée pour le compte de l’Observatoire euro-méditerranéen Environnement et Santé, Direction de la qualité de vie partagée, ville de Marseille.
3 NIMBY = Not In My BackYard, c’est-à-dire « pas dans ma cour ».
4 Airfobep : association agréée pour la surveillance de la qualité de l’air (étang de Berre, ouest des Bouches-du-Rhône) ; Drire : Direction régionale de l’industrie et de la recherche.
5 Le PNSE se décline en programmes régionaux et comporte deux grands volets : santé/travail et santé/environnement. Il est piloté par quatre ministères, en charge respectivement de la Santé, de l’Écologie et du Développement durable, de la Recherche et du Travail.
6 Propos recueillis lors du colloque « Médecine libérale et pathologies environnementales », Rouen, 7 et 8 octobre 2005.
Auteurs
Anne.Attane@ird.fr
est anthropologue au sein de l’UMR Inserm/IRD/université de Provence Maladies transmissibles, systèmes de santé, sociétés. Depuis plusieurs années, elle développe une réflexion autour des mutations familiales et des relations de genre en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Burkina Faso. La dimension matérielle des relations entre les sexes, les âges et les générations est au centre de ses recherches. Elle aborde aujourd’hui ces questions en s’intéressant aux contraintes relationnelles des femmes vivant avec le VIH au Burkina Faso.
bouchayer@univmed.fr
est sociologue, chercheur au centre Norbert-Elias, CNRS-EHESS (Marseille). Ses travaux portent sur les différentes manières d’être un professionnel de santé. Elle a développé dans cette perspective une approche conceptualisée de « la fonction soignante de proximité » à propos des médecins et des paramédicaux de première ligne. Ses recherches sur les questions de santé environnementale interrogent le rapport de ces professionnels aux risques sanitaires, à l’espace local et aux administrations territorialisées.
jcmattei@hotmail.com
est anthropologue de la santé et conseiller en méthodologie et évaluation au sein de l’association AIDES qui œuvre dans le champ de la lutte contre le sida et les hépatites. Ses travaux de recherche à l’EHESS de Marseille (UMR SHADYC) ont porté essentiellement sur l’implication des médecins généralistes dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH/sida. Il a également collaboré à des études de perception des risques environnementaux dans la région de Marseille.
katrinlangewiesche@yahoo.fr
est anthropologue et chercheuse associée à l’université de Mayence en Allemagne, à l’Institut d’ethnologie et d’études africaines. Elle s’est spécialisée en anthropologie de l’environnement et du religieux en Europe et en Afrique. Elle coordonne actuellement un programme de recherche concernant « Le secteur sanitaire confessionnel au Burkina Faso. Collaborations et tensions avec le secteur sanitaire public ». Elle a effectué des recherches de terrain de longue durée en France et en Afrique francophone.
gruenais@ird.fr
est anthropologue, directeur de recherche à l’IRD, membre de l’UMR Sciences économiques et sociales, systèmes de santé, sociétés (Inserm-IRD-université de la Méditerranée). Ses travaux portent notamment sur l’organisation des systèmes de santé locaux, la qualité des soins et les personnels de santé en Afrique. Il a également collaboré à plusieurs programmes de recherches sur la prévention et la prise en charge du paludisme.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le monde peut-il nourrir tout le monde ?
Sécuriser l’alimentation de la planète
Bernard Hubert et Olivier Clément (dir.)
2006
Le territoire est mort, vive les territoires !
Une (re)fabrication au nom du développement
Benoît Antheaume et Frédéric Giraut (dir.)
2005
Les Suds face au sida
Quand la société civile se mobilise
Fred Eboko, Frédéric Bourdier et Christophe Broqua (dir.)
2011
Géopolitique et environnement
Les leçons de l’expérience malgache
Hervé Rakoto Ramiarantsoa, Chantal Blanc-Pamard et Florence Pinton (dir.)
2012
Sociétés, environnements, santé
Nicole Vernazza-Licht, Marc-Éric Gruénais et Daniel Bley (dir.)
2010
La mondialisation côté Sud
Acteurs et territoires
Jérôme Lombard, Evelyne Mesclier et Sébastien Velut (dir.)
2006