Ruralité et asthme en France : retour d’expérience sur une approche interdisciplinaire
p. 99-124
Texte intégral
1Alors que les recherches épidémiologiques en milieu africain se caractérisent depuis longtemps par des équipes interdisciplinaires où médecins et biologistes se mêlent aux anthropologues et géographes (Raynaut, 2001 ; Legay, 2006 ; et des références du colloque Milieux de vie et santé, SEH 2006) la recherche biomédicale française appliquée aux sociétés post-industrielles et aux milieux urbanisés fait assez rarement appel aux sciences sociales dans une conception élargie de l’interdisciplinarité. Lors des journées de l’association Natures Sciences Sociétés1, le constat d’une dissociation, dans ce domaine, entre l’analyse sociologique – limitée à celle du système de santé ou aux réactions individuelles et collectives à une maladie (sida, cancer, maladies génétiques) – d’une part, et une recherche médicale bien établie sur ses propres paradigmes disciplinaires d’autre part, avait déjà été souligné. On pourrait presque faire l’hypothèse qu’il existe deux modèles de recherche dans le domaine de la santé, l’un voisin de l’écologie humaine2 (médecine « environnementale » proche des populations pour lesquelles le problème se pose même si le recours aux méthodes statistiques est reconnu indispensable), l’autre où l’épidémiologie est liée structurellement à la statistique, l’enquête et le traitement des données étant considérés comme les fondements des résultats et de la démonstration, ce qui a tendance à minimiser si ce n’est à exclure la dimension individuelle et sociale du problème, et, de ce fait même, la pratique interdisciplinaire. Mais, compte tenu de la montée en puissance, dans nos sociétés techniques et mondialisées, de problèmes remettant en cause les interactions entre santé et environnement, – le rapport entre pollution de l’air, nuisances sonores et olfactives, sols contaminés par les industries, etc. et santé, voire même bien-être dans tous les lieux de vie des citadins (travail, circulation, habitat privé et collectif, de convivialité) –, n’est-il pas devenu urgent de subsumer ces distinctions d’école et de développer dans le champ santé/environnement l’humanisme et l’interdisciplinarité du premier modèle en complémentarité avec les méthodes éprouvées des grandes enquêtes biomédicales ?
2Tenter de répondre à cette interrogation en faisant un retour réflexif sur la recherche « Ruralité et asthme »3 qui vient de s’achever (Oryszczyn et al., 2007) constitue l’enjeu de ce texte. En effet, à première vue, l’équipe de l’Inserm à l’origine de ce contrat et dont Francine Kauffmann (docteur en médecine, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm) est responsable, constitue un modèle classique de recherche liant épidémiologie et biostatistique. Spécialiste en pneumologie et immuno-allergologie avec comme thème de recherche « Épidémiologie des maladies respiratoires (asthme et broncho-pneumopathies obstructives chroniques), facteurs génétiques environnementaux », cette équipe est à la fois représentative et de la solidité du modèle français de recherche biomédicale, et d’une spécialité spécifique des milieux urbains où ces maladies respiratoires ne cessent de progresser. Comme dans la plupart des recherches sur la santé réalisées sur le territoire français, l’équipe s’appuie sur de grandes enquêtes fournissant des données individuelles comme l’enquête E3N4 portant sur 100 000 femmes affiliées à la MGEN qui forment un échantillon suivi régulièrement et qui ont répondu à plusieurs dates à des questionnaires précis, détaillées et volumineux.
3À l’origine, l’énoncé du problème « Ruralité et asthme » posé par les épidémiologistes se définit donc de façon relativement classique : « Recherche d’indicateurs rétrospectifs de ruralité (4 000 communes) et application à l’étude épidémiologique du rôle protecteur des contacts avec les animaux de ferme dans l’asthme dans l’enquête PAARC (Pollution atmosphérique et affections respiratoires chroniques) ». Il s’agit alors de valoriser une vaste enquête épidémiologique, initialement entreprise sur le thème de la pollution atmosphérique, pour tester l’hypothèse dite hygiéniste selon laquelle la diminution des contacts avec les agents infectieux dans la petite enfance pourrait expliquer l’augmentation de l’asthme et de l’allergie. Des contacts précoces avec le bétail peuvent représenter une source d’exposition aux agents infectieux.
4Mais, différence sensible, « Ruralité et asthme » a pour codicille « Approche interdisciplinaire », ce qui traduit une intention d’élargissement méthodologique dont l’initiative revient à Francine Kauffmann. Car, même si la construction d’indicateurs reste le moyen central pour tester l’hypothèse, encore faut-il que les indicateurs – de ruralité – restituent le « milieu de vie » où les contacts précoces avec les animaux de ferme ont pu ou se sont produits. Il est alors nécessaire de faire appel à une discipline autre susceptible de discuter la question et d’apporter une solution au problème. Le pari de l’interdisciplinarité est engagé. Le récit de ce déplacement méthodologique sur une question mettant en relation « Milieux de vie et santé » et la réflexion sur ses résultats constituent donc l’enjeu de ce texte qui tente de donner une place égale aux points de vue des épidémiologistes comme à ceux des géographes engagés dans cette expérience d’interdisciplinarité.
5Dans un premier temps, nous reviendrons sur les questions justifiant la mise en place de l’interdisciplinarité des deux côtés disciplinaires.
6Puis nous exposerons les « moments » de la co-construction de la recherche car la temporalité est un aspect essentiel de réflexion sur les démarches interdisciplinaires.
7Enfin, nous présenterons les résultats que l’on peut attribuer à la pratique interdisciplinaire proprement dite.
8En conclusion, nous tenterons d’évaluer les apports de l’interdisciplinarité non seulement du point de vue des épidémiologistes et des sciences sociales mais aussi dans la perspective générale esquissée dans l’introduction.
De la nécessité d’une pratique interdisciplinaire : pourquoi et avec quels partenaires ?
9Revenons d’abord aux questions de recherche qui se posent à l’équipe d’épidémiologie. Les objectifs y sont clairement cernés et il s’agit de : 1. Tester l’hypothèse du rôle protecteur des contacts précoces avec les bovins sur une population d’adultes ; 2. Valoriser l’enquête PAARC soit 18 000 sujets recrutés dans 7 villes de France, tous nés avant 1950, et dont le lieu de naissance est noté dans le questionnaire ; 3. Construire un indicateur simple permettant une estimation rétrospective du contact potentiel avec le bétail ; 4. Valider l’indicateur écologique construit en testant sa cohérence avec des données individuelles recueillies dans 2 autres enquêtes, les enquêtes EGEA5 et E3N pour pouvoir l’étendre aux recherches épidémiologiques qui tentent d’intégrer les questions d’environnement.
10Mais sur quel concept l’estimation rétrospective du contact potentiel avec le bétail peut-elle s’appuyer ? Le terme de « rural » est pour les épidémiologistes, en première approximation, une piste pour bâtir cet « indicateur simple et rétrospectif ». Mais alors quels critères permettent de définir la « ruralité » (le milieu rural) sur laquelle repose l’hypothèse ? Comment passer de la commune de naissance au milieu rural ? Comment construire un indicateur statistique qui ait une fiabilité et statistique et « géographique » puisqu’il s’agit d’identifier des lieux et milieux avec des propriétés spécifiques ?
11Du côté des épidémiologistes, c’est à ce point du questionnement que le recours à un partenaire de sciences sociales spécialiste de la « ruralité » se révèle comme un besoin, une nécessité pour mener la recherche jusqu’au résultat concluant.
12Mais la demande est encore vague et ne définit clairement ni une discipline au sein des « études rurales » (sociologie ? géographie ? agronomie ? économie ?…), ni une compétence thématique ou d’expertise. De bouche à oreille et par la fréquentation des rencontres interdisciplinaires organisées par le ministère de la Recherche, le choix se porte sur l’équipe du Ladyss connue à la fois pour son Observatoire des relations rural/urbain (Mathieu, Robert, 1998) et pour son engagement dans les pratiques interdisciplinaires (Jollivet, 1992) et la revue Natures Sciences Sociétés.
13Du côté des chercheurs du Ladyss, la proposition de partenariat rencontre un accueil naturellement favorable dans la mesure où elle appelle un déplacement méthodologique sur une question mettant en relation « milieux de vie et santé ».
14D’abord, toute occasion de clarifier l’usage des notions de rural et d’urbain en les confrontant à une thématique nouvelle s’inscrit dans l’ambition de l’Observatoire (Mathieu, 2002). De plus, avec cette question, la clarification se doit d’approfondir ce qui distingue campagne, espace rural et milieu rural. La réflexion sur les notions de « lieux » et « milieux » est d’ailleurs une préoccupation centrale de plusieurs chercheurs géographes du Ladyss. S’appuyant sur la pensée de Max Sorre (genre de vie, complexe pathogène) et d’Éric Dardel, l’équipe tente depuis plusieurs années de souligner la valeur heuristique des concepts de milieu, de mode d’habiter et d’habitants dans leurs rapports avec ceux de ruralité et d’urbanité (Mathieu, 2007). Avec l’irruption de l’utopie du développement durable (Jollivet, 2001) la question de l’habitabilité des lieux et de la gestion durable des milieux de vie constitue un axe majeur des recherches en particulier sur la ville (Robic et al., 2001 ; Mathieu, Guermond, 2005 ; Hucy et al., 2005).
15Enfin l’expérimentation de pratiques interdisciplinaires entre sciences sociales et sciences de la vie autour du problème du « bien-être » (Mathieu et al. 1997 ; Legay, 2004) y est considérée comme un enjeu et le fait de travailler avec des épidémiologistes une occasion de plus de tester la « méthode d’assemblage » de disciplines éloignées comme moyen de mener un problème jusqu’aux résultats (Jollivet, Legay, 2005).
16En somme, de part et d’autre le besoin d’interdisciplinarité est reconnu : il est tiré par la question des épidémiologistes, celle-ci est acceptée par les géographes pour la potentialité de pratique interdisciplinaire qu’elle offre. Il s’agit alors de co-construire une démarche dont l’aboutissement – tester les hypothèses et les démontrer – est l’objectif. Démarche longue dont la progression est marquée par différents temps : le temps de l’approche où se jouent parallèlement et la reconnaissance de l’identité et des compétences de l’autre discipline, et l’assurance que le problème énoncé est compris de façon équivalente par les partenaires ; le temps du choix des protocoles et des dispositifs marqué souvent par des conflits de méthode avant d’aboutir à des accords voire un consensus ; le temps de la validation des résultats qui pour les épidémiologistes est une obligation.
Le premier temps de la marche
17Le premier temps de la mise en œuvre de la pratique interdisciplinaire est un moment d’apprentissage – on pourrait dire d’apprivoisement – qui s’organise autour du problème complexe impliquant des savoirs autres que ceux de l’épidémiologie. Il se déroule sous le signe de la curiosité, de l’attrait pour l’autre, d’un certain désir de découverte.
18Se pose d’abord la question du langage et du sens des mots autour desquels se formule le problème. « Vous avez dit rural ? »6, mais qu’est ce que la ruralité ? Ce mot, qui paraît d’autant plus facile à comprendre qu’il fait partie du langage courant, se révèle vite porteur de malentendus, voire de contresens. Les épidémiologistes pensent, au départ, que ce qu’on appelle « commune rurale » répond à leurs attentes. Les géographes leur expliquent ce que recouvrent la notion statistique et les controverses auxquelles elle a donné lieu. Ce sont des données essentiellement démographiques (taille de la population, présence de migrations alternantes et proximité des villes) et historico-administratives (grandes différences de surface, de systèmes de peuplement…). Bien que dites « objectives », elles véhiculent une conception dominante des représentations sociales de la ruralité et des relations villes/campagnes qui les marquent et les éloignent, aujourd’hui, de la relation à l’agriculture, aux systèmes agraires et à la société paysanne ou rurale (Mathieu, 1990, 1998).
19Les épidémiologistes persistent dans leur demande : la ruralité dont vous devez nous donner l’identité statistique est un « lieu » (de naissance) où les individus dont nous avons les caractéristiques de santé (asthme et allergies) ont été en contact avec des bovins. Autrement dit, répondent les géographes, des lieux où les systèmes d’élevage sont dominants. Or, la « commune rurale » (comme lieu de naissance) est une notion statistique qui est très éloignée de la probabilité d’avoir vécu dans une ferme ou à proximité d’élevages bovins traditionnels où les contacts avec les animaux et la consommation de lait cru sont quasi quotidiens. Ce que vous demandez – la présence d’un lieu dans une région d’élevage – se trouve plutôt dans la notion elle-même statistique de « région agricole » qui est d’ailleurs une des bases des recensements de l’agriculture. Certes, répondent les épidémiologistes mais pour être valide notre recherche doit pouvoir confronter les données dans différentes ruralités : des ruralités « d’élevage » et des ruralités où les contacts précoces avec les bovins – comme ce qui se passe vraisemblablement pour les milieux urbains – ont une probabilité quasi nulle de se produire.
20Après un patient et long échange, documents à l’appui, les malentendus sont levés et l’objectif à atteindre – nous le verrons plus loin dans les résultats – est bien d’identifier et de classer des types de communes rurales selon leur propension à juxtaposer des habitants et des animaux de ferme.
21Dans ce premier temps de la recherche la curiosité et l’appétit de connaissance envers l’autre discipline sont essentiels. Du côté des sciences sociales, on assiste avec intérêt aux séminaires où l’équipe d’épidémiologie invite des équipes étrangères travaillant sur le même problème à confronter leurs méthodes et leurs résultats et, en séance interne de travail, on se familiarise avec les enquêtes, leur ampleur et leurs questionnaires très différents où parfois sont pris en compte des indicateurs du milieu de vie ou de l’alimentation (par exemple dans E3N). Inversement, les épidémiologistes manifestent – intuitivement – le besoin d’en savoir plus sur le concept de mode d’habiter dans sa relation avec le rural et l’urbain parce qu’il pourrait être heuristique. Un séminaire est organisé à Villejuif tout entier consacré à l’explicitation de ce concept en présence de tous les membres de l’équipe. Les questions posées après l’exposé sont remarquables : quelle est la genèse du concept et son rapport avec le problème concret posé ? Comment les sciences sociales démontrent et quel est leur usage des statistiques ? Cette attention réciproque, cette curiosité pour les fondements et l’invention théoriques d’une discipline, cette volonté de comprendre suffisamment pour ne pas instrumentaliser l’autre, constituent les ingrédients indispensables pour franchir ce premier seuil de la démarche interdisciplinaire. Apprendre à se connaître en multipliant les rencontres, les séminaires, les essais requiert un dialogue relativement long. Ce premier temps du processus d’apprentissage permet de préciser les besoins et les compétences scientifiques, d’évaluer les affinités et surtout les possibilités de « pratiquer », de mettre en pratique cette « méthode d’assemblage » entre sciences de la nature et sciences sociales qu’est l’interdisciplinarité (Jollivet, Legay, 2005).
Le temps difficile : choc des cultures scientifiques et des savoir-faire
22Mais une fois passé ce temps initial du partage des questions et lorsqu’il s’agit de mettre la démarche en œuvre autour d’une co-construction des dispositifs et du travail commun, alors surgissent les premières vraies difficultés. Une période s’ouvre où les différences, voire les oppositions portent sur les pratiques scientifiques elles-mêmes (méthodes, techniques de travail, espaces de publication7) entraînant des incompréhensions qui dépassent celles portant sur les concepts ou sur l’énoncé du problème accepté de part et d’autre.
23En somme, dans la phase de répartition du travail à exécuter pour l’objectif commun, le processus d’apprentissage et la négociation de l’assemblage se compliquent.
24Tout d’abord, comme nous l’avons dit en introduction, les épidémiologistes des pays « développés » ne conçoivent pas d’autres moyens de démonstration de leurs hypothèses que les méthodes statistiques. Cela au point que, pour qu’il n’y ait pas biais statistique, la construction des indicateurs de milieu qui leur semble du ressort des géographes, doit se faire « en aveugle » c’est-à-dire sans connaître les données médicales proprement dites. Lorsque les sciences sociales proposent de répondre au problème posé par l’étude de cas – celle des monographies de communes représentant des milieux ou celle des trajectoires individuelles de lieux de vie représentant la diversité des rapports des individus aux milieux – le scepticisme est évident. L’important est de remplir les matrices avec des données fiables. À plusieurs reprises, le terme de « à dire d’expert » est avancé pour obtenir des partenaires les réponses attendues, quantitatives ou qualitatives, mais toujours à coder et à introduire dans une matrice. Or, c’est le problème posé qui intéresse les sciences sociales et le terme d’expert, de leur point de vue, les confine dans une posture – l’expertise – qui est en contradiction avec celle de l’engagement dans la démarche heuristique de l’interdisciplinarité. Les savoir-faire sont bousculés et il faut accepter que les compétences demandées ne soient pas celles que l’on pensait pouvoir apporter dans la recherche. Pour les « seniors » la chose est acceptable car l’expérience d’un « déplacement » méthodologique est toujours tentante. Mais la difficulté s’accroît quand il s’agit des jeunes chercheurs : doit-on prendre le risque de les impliquer dans ce « terrain d’aventure » où aucune compétence n’est prédéfinie, où le bricolage et le tâtonnement sont la règle, où, enfin, la validation est à inventer et à négocier entre des disciplines très éloignées l’une de l’autre ?
Le temps des pratiques au service des résultats
25Dans le vécu des chercheurs engagés dans cette « approche interdisciplinaire », cette période, aussi longue que la précédente, se divise – pour des raisons de méthode statistique – en deux moments distincts : celui de la construction d’un indicateur dans laquelle le rôle des géographes a été très important dans une pratique interdisciplinaire équilibrée ; celui de la validation que les épidémiologistes ont mené seules sans pour autant tirer la couverture à elles du fait de la très grande interdépendance – à leurs yeux – entre la conduite de la première étape et la qualité de l’indicateur construit et la deuxième à savoir la validation des hypothèses de départ.
La construction d’un indicateur de « ruralité » : une étroite collaboration
26Après avoir convenu que l’indicateur de ruralité recherché se définissait au croisement du Recensement général de la population (RGP) (commune rurale, zone à dominante rurale) et du Recensement général de l’agriculture (RGA), le travail interdisciplinaire s’est organisé autour de questions à résoudre les unes après les autres : choix de la période de référence (1955 ou 1970), choix de l’unité géographique pertinente, définition de classes simples pour les indicateurs, validation de l’indicateur. Dans la mesure où le but à atteindre était essentiellement expérimental et méthodologique – définir un mode de construction des indicateurs –, les travaux ont été réalisés sur deux régions tests, l’Aquitaine et la Haute-Normandie en raison de leur contraste connu en ce qui concerne leurs systèmes de production agricole dominants, la première avec OTE (Orientation technique des exploitations) céréalière et la seconde avec l’élevage.
27Il fallait d’abord faire le choix de la période de référence, les sujets de l’enquête PAARC étant tous nés avant 1950. La date du RGP ne posait pas de problème : celui de 1962 était recevable pour représenter le milieu de vie « humain » des sujets de l’enquête. En revanche, en ce qui concerne les RGA, il y avait deux possibilités, les RGA 1955 et 1970, dont il fallait évaluer les avantages et les inconvénients avant de construire une des bases du dispositif. Certes, le RGA le plus approprié était celui de 1955 mais ce dernier était non informatisé – le premier RGA informatisé date de 1970 – et les données utilisées devaient être extraites manuellement, ce qui représentait un gros travail.
28Pour déterminer si le RGA de 1970 pouvait être utilisé pour des sujets, tous nés avant 1950 et aussi pour essayer de répondre au problème des nombreuses données manquantes (« secret statistique » portant sur les exploitations quand leur nombre est inférieur au seuil de 3 dans les communes unités de base du recensement), il a été décidé de comparer l’évolution d’indicateurs entre 1955 et 1970 basés sur les données de recensement dans 2 régions contrastées. La Haute-Normandie a beaucoup évolué entre 1946 et 1970 en raison d’une conversion en herbe de ces régions qui sont devenues des pôles d’élevage. Dans cette région, le nombre de communes avec bovins n’a pas augmenté, mais le cheptel s’est agrandi. La région Haute-Normandie comprend 1219 communes rurales, 87 cantons et 19 petites régions agricoles (PRA) et concerne 400 communes dans l’enquête PAARC. L’Aquitaine est une région qui comprend beaucoup de systèmes agricoles (vignobles, céréales, polyculture dans les vallées). Certaines communes n’ont pas de vaches sur leur sol, d’autres ont des vaches à viande avec peu de production de lait (la Blonde d’Aquitaine). La région Aquitaine comprend 2009 communes rurales, 207 cantons et 68 PRA et concerne 486 communes dans l’enquête PAARC.
29Un travail important de recueil de données concernant le bétail sur le RGA de 1955, non informatisé, a été fait pour les deux régions. Les renseignements sur le bétail (bovins, équins, ovins, porcins, nombre d’exploitations agricoles et surface totale) pour chaque commune ont été relevés aux archives nationales et au ministère de l’Agriculture. Les changements intervenus entre les numéros des communes en 1955 et 1970 ont dû être faits manuellement. Des renseignements étaient disponibles pour 852 communes (soit 3,8% de communes manquantes par rapport au RGA 1970). Malheureusement, une variable essentielle, le nombre d’habitants ne figurait pas dans ces données. Le tableau 1 présente le nombre de communes par département pour les 2 recensements.
30Les sujets de l’enquête PAARC avaient été recrutés dans 7 villes de France (dont Rouen et Bordeaux). Le tableau 2 indique la répartition, dans l’enquête, des communes au sein des départements pour les 2 régions considérées. Les 2 départements les plus concernés sont – comme attendu –, la Gironde et la Seine-Maritime. La région de Haute-Normandie a une surface plus petite que l’Aquitaine, selon les 2 RGA. La surface agricole pour la Haute-Normandie est 1,51 fois plus élevée en 1970 par rapport à 1955, et pour l’Aquitaine de 2,57 (tabl. 2).
31L’analyse cartographique et la comparaison des résultats localisés en 1955 et 1970 ont compté dans l’évaluation de la meilleure solution à prendre.
32Les cartographies des communes de la Haute-Normandie et l’Aquitaine, réalisées par Wandrille Hucy privilégiaient les indicateurs permettant de montrer un gradient d’intensivité de l’élevage bovin et notamment laitier et la présence de petites structures d’exploitation d’élevage (cf. cartes par commune et PRA en 1955 et en 1970 in Oryszczyn et al., 2007). Il est clair que les communes de la Haute-Normandie ont, comme attendu, beaucoup plus de bovins que l’Aquitaine. La comparaison des régions a été réalisée en considérant les deux indicateurs densité de bovins par communes et le nombre de bovins par exploitation. L’analyse de ces cartes montre que le gradient observé en 1970 reflétait assez bien la situation du RGA de 1955. Au terme de cette phase pratique menée en constante interaction entre les chercheurs, il a été conclu qu’il était possible de se servir pour la France entière des données de 1970 qui étaient informatisées.
33Une fois la base du RGA de 1970 admise, les questions du choix de l’unité géographique pertinente et l’évaluation cartographique de divers indicateurs se sont posées et constituent les étapes suivantes de la démarche.
34Rappelons l’objectif qui était de mettre en relation un paramètre de santé et un paramètre d’exposition. Le premier indicateur (classique) retenu pour distinguer le milieu rural du milieu urbain est le fait d’habiter une commune de moins de 5 000 habitants8.
35Le premier indicateur d’exposition choisi a été le nombre de bovins par habitants (B/H) dans les communes rurales, c’est-à-dire dans les communes de moins de 5 000 habitants, l’hypothèse était que plus le ratio augmentait et plus la probabilité d’être en contact avec une vache était forte.
36Quant à la région, elle peut être décomposée en zones géographiques plus ou moins grandes : les Petites régions agricoles (PRA), les cantons et les communes. En France, il y a 36 600 communes, 3 644 cantons, 714 petites régions agricoles. Le RGA ne donnait pas directement les données en fonction des PRA et celles-ci ont été reconstituées secondairement.
37Les premiers essais de calcul dans une zone géographique ont montré que le regroupement des communes était nécessaire. Si la commune était choisie comme unité d’exposition, certaines communes se retrouvaient avec peu de sujets. Afin de déterminer l’unité géographique la plus pertinente, le ratio (nombre de bovins/habitants) a été construit au niveau de la commune, du canton et au niveau de la PRA en réunissant les communes rurales au sein de ces unités pour les deux dernières unités. La question à résoudre devenait alors : quelle unité géographique pertinente choisir : la commune, le canton ou la PRA ?
38La définition de l’unité géographique dépend : 1) de la pertinence par rapport à l’exposition ; 2) surtout des données disponibles avec lesquelles on pourrait croiser cette caractérisation géographique :
La commune n’est pas toujours appropriée car certaines d’entre elles comprennent peu d’habitants et, étudier ensuite un paramètre de santé devient difficile, comme indiqué plus haut.
Le canton est une unité administrative datant de la Révolution. De forme et de taille régulière (un polygone régulier autour d’un centre ; le chef-lieu de canton) et de taille équivalente, il regroupe un certain nombre de communes, ensemble souvent représentatif d’un certain type de production (céréalier, viticole, élevage…).
Le découpage en PRA date des années 1950 et reprend l’idée du découpage de la France en « pays ». Ces unités géographiques ont été définies en collaboration entre géographes et agronomes sur la base d’une spécificité de milieu (sols et climat) à laquelle étaient liés des systèmes de production agricole et des paysages. Les PRA incluent un nombre variable de cantons ; l’unité PRA est donc supérieure à l’unité canton.
39Dans les deux régions étudiées en détail, il y avait 3 319 communes, dont 3 228 étaient considérées comme rurales. Elles étaient agrégées en 294 cantons et 87 PRA.
40Des cartographies ont été de nouveau réalisées pour montrer les PRA en Normandie et en Aquitaine et la dispersion des indicateurs étudiée par des modèles statistiques dits emboîtés [commune, canton, région] et [commune, PRA et région]. Comme attendu, la dispersion est moindre à l’intérieur d’un canton par rapport à la PRA. En conclusion, il est apparu que les PRA étaient de taille trop importante, et que les considérer masquait une hétérogénéité d’intérêt. Il a donc été conclu de prendre le canton comme unité.
41Au quasi terme de cette étape s’est posé le cas des communes de plus de 1 000 habitants. Afin d’appréhender au mieux l’exposition, il est ensuite apparu que considérer toutes les communes regroupées dans leur canton représentait une perte d’information et au total l’indicateur a été basé sur les données de la commune quand celle-ci avait plus de 1 000 habitants et au niveau du canton quand la commune avait moins de 1 000 habitants (en regroupant alors toutes les communes du canton de moins de 1 000 habitants). Au total, l’indicateur retenu de « ruralité » (contact avec les bovins), décrit dans le tableau 3 prend en compte le nombre d’habitants (critère classique pour définir les communes non rurales), le rapport nombre de bovins/habitants pour les autres communes avec, pour les communes de moins de 1 000 habitants, la proportion dans le canton (optimisation pour les données manquantes et la variabilité intercommunes d’un même canton). Suivant le même principe, des indicateurs peuvent être construits pour d’autres animaux. Le tableau 4 montre l’application de l’indicateur dans l’enquête PAARC.
Validation et relation de l’indicateur avec l’asthme : des temps exclusivement disciplinaires
42Dans cette phase finale de la recherche qui se décompose en deux étapes distinctes, il faut reconnaître que les géographes ne sont plus que les témoins de la logique démonstrative des épidémiologistes et ne participent plus qu’à la satisfaction quand les résultats sont probants. Le succès – disent les épidémiologistes – doit être partagé car il repose sur la qualité interdisciplinaire du travail des étapes précédentes. Les résultats ont été présentés à des congrès internationaux de pneumologie (Oryszczyn et al., 2003, 2005) et sont brièvement décrits ci-dessous. La faisabilité et la validation des hypothèses reposent sur l’utilisation et le croisement des données d’enquêtes successives. Lenquête EGEA a mis en évidence la relation des paramètres allergiques avec la « vie à la campagne » (Kauffmann et al., 2002). L’étude E3N a permis de passer de la faisabilité à la validation car des données avaient été directement recueillies auprès des femmes lors d’un suivi sur leurs contacts avec des animaux de ferme9.
43Les adultes de l’étude EGEA avaient été interrogés sur le fait d’avoir vécu à la campagne dans leur vie et en cas de réponse positive l’âge de début était demandé. Il était ainsi possible de définir une exposition précoce (avoir vécu à la campagne avant l’âge d’un an). Il apparaît que 18,8% des habitants des communes de plus de 5 000 habitants déclaraient avoir vécu à la campagne avant l’âge d’un an alors que les sujets habitant dans des communes de moins de 5 000 habitants étaient plus nombreux à le déclarer (différence statistiquement significative). Ce résultat était cohérent avec la définition de ruralité selon les spécialistes du monde rural, pour les sujets interviewés la campagne équivaut à zone rurale. Aucun gradient n’était observé pour les 3 classes de ruralité situées dans les communes rurales. Les résultats étaient voisins quand on considérait la variable « avoir vécu à la campagne dans sa vie » (Oryszczyn et al., 2003).
44L’enquête E3N comprenait 50 fois plus de sujets que la précédente et permettait une réelle validation de l’indicateur. 37,3 % des femmes étaient nées dans une zone rurale, dont 2,3 % dans la classe la plus élevée de l’indicateur de ruralité. Dans cette enquête, nous avions une information explicite sur la vie à la ferme trois mois de suite dans l’enfance pour 68 483 femmes. Plus le gradient de ruralité augmentait et plus le pourcentage de sujets ayant vécu à la ferme dans l’enfance augmentait (14,4%, 29,8%, 46,7%, 50,8%, 53,8%, 53,9%) (fig. 1). Il n’y avait pas de différence entre les deux classes les plus élevées.
45Les femmes ayant vécu dans une ferme au moins 3 mois de suite ainsi que les femmes ayant vécu à la ferme dans leur enfance ont ensuite été étudiées plus particulièrement (Oryszczyn et al., 2005). L’ensemble des résultats montre que l’indicateur a donc une excellente sensibilité pour détecter des sujets réellement très « exposés » puisque plus de 50% des femmes dans les classes les plus élevées de l’indicateur avaient rapporté avoir vécu dans une ferme. Par ailleurs, les résultats confirment dans cette population que dans la catégorie classique de communes non rurales, définie par le nombre d’habitants de la commune, l’indicateur a une bonne spécificité puisque moins de 5% de sujets déclaraient avoir eu des parents fermiers.
46Au total, l’indicateur proposé s’avère très lié aux réponses aux questions directes sur la vie à la campagne, à la ferme, aux contacts avec les animaux de ferme, avec peu de différences en ce qui concerne les 3 catégories les plus élevées. Ces catégories s’avèrent très difficiles à distinguer dans des études sur des effectifs modestes (comme EGEA) et sont peu discriminantes dans des études sur des effectifs importants. On peut conclure que l’indicateur en 4 classes est le plus approprié à être généralisé dans d’autres études.
Relation de l’indicateur de ruralité avec l’asthme Application dans l’enquête PAARC
47L’étude a porté sur 17 647 sujets adultes de l’enquête PAARC réalisée en 1975. Dans l’analyse a été considéré l’asthme au cours de la vie défini par la réponse positive à l’une des questions « Avez-vous des crises d’essoufflement au repos avec des sifflements dans la poitrine ? » ou « Avez-vous eu des crises d’asthme ». Parmi les sujets ayant déclaré « des crises d’asthme » (diagnostic d’asthme dans le tableau 5), l’analyse a porté sur l’asthme de l’enfance défini par la survenue de la première crise avant l’âge de 16 ans. Enfin, un indicateur potentiel d’allergie a été défini avec les données disponibles, en considérant la rhinite (mais il n’y avait pas d’information si celle-ci était ou non allergique dans cette enquête). Le tableau 5 montre une relation significative de l’asthme avec l’indicateur, mais avec un profil peu clair. Pour ce qui est de la catégorie la plus élevée de l’indicateur, la prévalence des crises d’asthme est néanmoins, comme attendu, la plus faible, mais cette différence n’est pas statistiquement significative en comparant ce groupe à celui des communes non rurales de plus de 5 000 habitants (4,8% vs 2,9% ; p =0,13).
48Comparé à l’asthme féminin, l’asthme masculin est tout à la fois plus souvent précoce (début dans l’enfance) et allergique. Aussi, l’analyse a été stratifiée selon le genre (tableau 6). Chez les hommes, c’est dans les 3 catégories les plus élevées que la prévalence de crises d’asthme et de sifflements est la plus faible mais les profils observés ne sont pas très nets.
49L’analyse entreprise dans l’enquête PAARC a ainsi permis de définir des indicateurs rétrospectifs de ruralité dans la petite enfance dans le contexte d’une étude épidémiologique (ce qui n’avait jamais été fait).
Conclusions
50Tant du côté des géographes que des épidémiologistes, un retour sur expérience a été mené sur l’apport de la mise en commun pour formuler des nouvelles hypothèses, de nouvelles pistes méthodologiques (étude de communes ? échantillon de populations et trajectoires résidentielles ? validation des résultats dans d’autres milieux et d’autres temps ?).
51La réflexion a aussi porté sur l’apport de la pratique interdisciplinaire sur les disciplines engagées dans l’expérience. Pour les géographes, c’est dans le dialogue avec les épidémiologistes qu’ils ont pris conscience de la normativité de l’idée que les sciences sociales se font de l’agriculture française et de ses transformations. Façonnée par les statistiques, cette idée (représentation) s’est éloignée de sa relation au vivant et au milieu physique, ce qui révèle la sous-estimation du poids du contexte historique sur la formulation des questions de recherche dans le temps. Il est apparu que malgré l’importance du travail de validation de l’indicateur de ruralité, celui-ci ne reflète peut-être pas suffisamment la complexité des expositions en cause – compte tenu des statistiques disponibles – pour rendre compte du « milieu » que l’on cherche rétrospectivement à reconstituer (le milieu de petites exploitations d’élevage en habitat groupé ou semi-groupé et où il y a de fortes probabilités de contacts précoces avec les « vaches »).
52Pourtant, en dépit de son caractère sommaire, l’indicateur densité de bovins par habitant confirme, en la retrouvant, l’importance de la notion de « milieu ». Les sciences sociales ont intérêt à poursuivre des recherches pour revisiter les concepts de rural et d’urbain et de la place du vivant animal dans la pensée de ces deux catégories. La recherche « ruralité et asthme » a constitué un encouragement à tester la pertinence heuristique du couple de concept « mode d’habiter » et « culture de la nature » pour explorer ce que peut vouloir dire « durabilité » quand lieu et milieu sont mis en relation avec les pratiques habitantes. Enfin, un nouvel axe de recherche environnement/santé a émergé, celui de l’aggravation potentielle et probable des problèmes de santé dus à la disparition des « contacts » avec les animaux.
53Les épidémiologistes, quant à eux, attribue d’abord à la pratique interdisciplinaire un résultat majeur : la pertinence et la faisabilité de l’indicateur de ruralité dont la simplicité va de pair avec l’efficacité. Mais l’apport s’est également révélé dans l’usage de la cartographie qui a été reconnu comme outil méthodologique utilisable par des épidémiologistes pour penser la relation de leurs sujets avec les lieux et milieux. Ainsi, la carte de la densité de vaches laitières par commune de l’enquête PAARC a incontestablement compté pour enrichir, voire renouveler la représentation que ces chercheurs se faisaient de « l’espace géographique » et pour envisager d’introduire la méthode des matrices unité géographique/exposition pour des enquêtes utilisant des données rétrospectives (petite enfance des sujets adultes). De la longue marche pour aboutir à ces résultats, elles ont retenu qu’une relation interdisciplinaire est une relation choisie et testée durant toute la démarche : c’est avec ces géographes qu’il a été possible de travailler dans la mesure où aucun point de vue paradigmatique ne leur a jamais été opposé ou imposé. Par hypothèse, la sociologie leur semblait être la discipline partenaire, ce qui s’est avéré inexact.
54En somme, les épidémiologistes, après la phase de mise en commun du vocabulaire, ont pris conscience de la richesse et de la multiplicité des approches possibles en ce qui concerne ce qui a été appelé – bien (trop) sommairement – la ruralité. Alors que des travaux biologiques et immunologiques se développent sur un plan international pour comprendre quels agents biologiques ou infectieux dans les contacts avec les animaux de ferme pourraient être responsables de l’accélération de la maturation immunologique dans la petite enfance entraînant une diminution de l’allergie, la prise en compte du contexte plus global de ces expositions et les possibilités d’une estimation rétrospective simple quand des données directes ne sont pas disponibles sont d’une grande actualité. Le travail conceptuel qui a été mené va permettre une adaptation des indicateurs à de nouvelles hypothèses. Ainsi, les données les plus récentes sur le plan immunologique suggèrent que la diversité des expositions aux agents infectieux devrait être considérée. L’approche entreprise ici permettra de définir des indicateurs rétrospectifs permettant de tester ces nouvelles hypothèses en considérant par exemple diverses espèces animales. Par ailleurs, reprendre à partir des données des sciences sociales la question de « l’habiter » peut aussi être un moyen d’appréhender les gestes qui favorisent ou repoussent le contact avec les animaux et le vivant de façon plus générale et donc l’intensité des contacts provoquant ces modifications immunologiques.
55Ainsi, la pratique interdisciplinaire a ouvert un certain nombre de perspectives de recherche :
L’application de la méthode à d’autres espèces animales rendue possible par l’approche par canton pour les petites communes qui corrige le problème des données manquantes particulièrement important pour les animaux autres que les bovins. Cette extension est intéressante du point de vue de l’épidémiologie car l’hypothèse que la diversité des contacts avec les animaux puisse être un élément protecteur particulièrement important y est actuellement débattue.
L’application à d’autres enquêtes françaises de cet indicateur accompagnée d’une analyse approfondie par la mise en relation avec les questionnaires détaillés sur les contacts avec les animaux de ferme (des contrats ont été obtenus pour étudier cette question dans l’étude E3N et dans l’étude EGEA).
Une approche « vie entière »10 est envisageable en considérant toute l’histoire résidentielle et non seulement la commune de naissance. L’apport des systèmes d’information géographique, domaine en plein développement, serait très utile dans ce contexte.
Des développements sur un plan international sont envisageables également grâce à la mise en place des systèmes d’information géographique. Le géocodage des histoires résidentielles se développe permettant de mettre en relation les lieux de résidence avec diverses bases de données géographiques et c’est bien une telle base de données sur la question des contacts avec les bovins que nous avons construite.
56Au-delà des apports de l’interdisciplinarité spécifiquement liés à cette thématique la question se pose de conclure sur la place de ce type d’expérience dans la programmation des recherches sur « Milieux de vie et santé ». Le fait qu’il s’agisse d’une interdisciplinarité « choisie » sur une question « critique » avec un objectif (et donc une réponse) limité(é) et de type fondamental, à savoir une « preuve scientifique » mérite d’être réfléchi par rapport à d’autres pratiques au Nord comme au Sud. Il en est de même du passage progressif d’une entrée « populations » à une exploration de l’entrée « milieux de vie » des « habitants » mobiles dans le temps et l’espace. La pratique de l’interdisciplinarité donne l’opportunité d’évaluer nos méthodes et nos paradigmes et de trouver les déplacements nécessaires pour construire des embryons de réponse à des questions de société.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Organisées par Nicole Vernazza-Licht en décembre 1999.
2 Le titre du colloque SEH 2006 est sur ce point significatif faisant appel au concept de milieux de vie (voire de complexe pathogène dès l’ouverture) et aux pratiques interdisciplinaires.
3 Réalisée dans le cadre de l’Action thématique concertée Environnement et Santé 2003.
4 Étude épidémiologique dirigée par Françoise Clavel-Chapelon, directrice de recherche à l’Inserm. Les auteurs remercient toute l’équipe E3N d’avoir permis l’accès à cette base de données.
5 Étude épidémiologique sur les facteurs génétiques et environnementaux de l’asthme portant sur 1 300 sujets adultes.
6 C’est le titre d’une exposition organisée par Henri Mendras à Paris du 5 octobre 1983 au 9 janvier 1984 au centre Georges Pompidou (BPI).
7 Lorsqu’il s’agit de présenter des résultats en épidémiologie et biostatistique à l’Inserm, on se doit de publier dans des revues internationales de langue anglaise (Oryszczyn et al., 2003 ; 2005 ; Kauffmann et al., 2002), ce qui n’est pas la règle pour les chercheurs de sciences sociales.
8 Ce n’est pas celui des moins de 2 000 habitants agglomérés au chef-lieu de la commune qui est toujours la base de la définition statistique des communes rurales en France mais – tout en restant démographique – un critère qui correspond à une définition de l’OCDE et de l’Union européenne.
9 II est à souligner que ces étapes n’ont pu être possibles que par l’obtention d’autres contrats sur cette thématique de recherche initiée à l’aide du présent contrat (en particulier un contrat de l’AFSSE intitulé « Rôle des contacts avec les animaux de ferme dans l’asthme : l’enquête E3N » et un contrat ANR SEST (programmes Santé/Environnement et Santé/Travail) 2005 : « EGEA : Facteurs environnementaux et interactions gène environnement dans l’asthme et l’allergie ».
10 Cf. « Histoires de vies » et surtout « Récits de lieux de vie » comme le développe le groupe « Mode d’habiter » du Ladyss.
Auteurs
mathieu@univ-paris1.fr
est historienne et géographe, directrice de recherche à l’UMR Ladyss (Laboratoire dynamiques sociales et recomposition des espaces), CNRS/université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Ses recherches actuelles portent sur le concept de mode d’habiter mis à l’épreuve de la relation urbain/rural et du développement durable. Depuis le début de sa carrière avec l’enquête pluridisciplinaire de Plozévet jusqu’à aujourd’hui, elle est engagée dans la pratique de l’interdisciplinarité comme méthode pour appréhender les questions et les objets complexes.
Marie-pierre.picot@inserm.fr
est épidémiologiste, biologiste de formation et ingénieur de recherche à l’Inserm. Ses travaux portent sur les déterminants environnementaux de l’allergie et la mise en œuvre d’outils pour estimer les conditions environnementales à l’aide de questionnaires, de données biologiques ou d’approches écologiques. Elle s’intéresse particulièrement aux effets protecteurs sur la santé des contacts précoces avec les animaux domestiques ou de ferme.
Wandrille.hucy@univ-rouen.fr
est géographe, professeur agrégé à l’IUFM de l’université de Rouen et chercheur associé à l’UMR Idées et à l’UMR Ladyss. Sa thèse de doctorat Vivre la ville au naturel, une expérimentation sur la ville de Rouen combine de façon originale l’approche spatiale et quantitative et une approche anthropologique du rapport des gens à leurs lieux de vie. Ses travaux portent sur le thème des natures dans la ville et tentent de renouveler les méthodes d’analyse de l’urbain appropriées à des milieux (« durables ») et des dynamiques complexes.
Jean.maccario@inserm.fr
est pharmacien et professeur de biostatistiques à l’université René-Descartes. Ses travaux portent sur les recherches en biostatistiques avec un intérêt particulier pour les aspects de modélisation de données longitudinales.
Francine.kauffmann@inserm.fr
est médecin épidémiologiste, spécialiste des maladies respiratoires et directrice de recherches à l’Inserm. Elle dirige l’équipe d’épidémiologie respiratoire et environnementale du centre de recherches Inserm en épidémiologie et santé des populations à Villejuif. Ses travaux portent sur les déterminants tant environnementaux que génétiques des maladies respiratoires chroniques.
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