La nécessité du recours à l’interdisciplinarité pour étudier le risque de ré-émergence du paludisme en Camargue
p. 79-97
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des personnes qui ont participé à ce travail dans le cadre des collaborations : Nicole Vernazza-Licht et Daniel Bley du CNRS, Marc-Éric Gruénais de l’IRD, Patrick Baudot, Vincent Bertemes, Céline Miglietti, Joanne Michelutti, Murielle Radix, Lucie Supiot de l’IUP ENTES, Annelise Tran du Cirad, Francis Schaffner, Christophe Lagneau, Gregory L’Ambert, Claire Duchet, Alexandre Carron, Charles Jeannin, Cécile Ivanes, Nicolas Sidos, Michel Babinot, Olivier Bardin, Didier Caire, Dominique Gindre et Nathalie Barras de l’EID-Méditerranée, Jérémiah Petit du syndicat mixte pour la protection et la gestion de la Camargue gardoise, Jean-Laurent Lucchesi, Nathalie Hecker, Grégoire Massez, Jean-Baptiste Nogues et Mathieu Chambouleyron de l’association les Amis du Vigueirat, Robert Meffre, Jean-Marie Egidio de la mairie de Mas Thibert, Didiet Basset du CHU de Montpellier, Laurence Lachaud de l’hôpital de Nîmes, Muriel Roumier de l’hôpital d’Arles, Philippe Parola du CHU de Marseille, Fabrice Legros du CNREPIA, Cyrille Thomas du Centre français du riz, Thomas Balenghien et Florence Fouque de l’EPSP-TIMC/ENVL, Annie Walter de l’IRD.
Texte intégral
1Ce travail a été en partie financé par le ministère de l’Agriculture et le projet européen EDEN, GOCE-2003-010284 (cet article est référencé EDEN0167). Le contenu de cette publication est sous la seule responsabilité des auteurs et n’engage pas l’Union européenne.
2Notre planète subit depuis ces quatre dernières décennies des évolutions climatiques, écologiques, démographiques et économiques qui peuvent favoriser la résurgence des principales maladies à transmission vectorielle dont l’impact sanitaire, socio-économique et politique est important. Dans ce cadre, le paludisme, endémique autrefois en Europe et éradiqué au milieu du xxe siècle, réapparaît sous les feux de l’actualité scientifique européenne. Des foyers ont été répertoriés ces dernières années aux frontières de l’Europe en Azerbaïdjan, Turquie et Géorgie où cette maladie avait disparu après la Seconde Guerre mondiale (WHO, 2007). Quelques cas isolés de transmission autochtone ont été reportés ces dernières années en Europe, poussant les scientifiques à s’intéresser à nouveau à cette maladie et à s’interroger sur le risque de ré-émergence du paludisme en Europe et notamment en France (WHO, 2007 ; Baldari et al., 1998 ; Krüger et al., 2001 ; Cuadros et al., 2002 ; Kampen et al., 2003 ; Armengaud et al., 2006 ; Doudier et al., 2007).
Le contexte
3Le paludisme est une parasitose due à un hématozoaire du genre Plasmodium. Quatre espèces peuvent toucher les humains : P. falciparum, P. vivax, P. malariae et P ovale, causant annuellement 300 millions d’accès et plus de 1 million de décès.
4Le paludisme sévissait en France métropolitaine dans de nombreuses régions marécageuses comme les Landes, la Dombes, la Bretagne, l’Alsace, la Camargue, la Sologne, le Roussillon et dans certaines zones de Corse. Cette maladie y était endémique jusqu’au début du xxe siècle et la transmission de l’hématozoaire du paludisme était assurée par des espèces locales de moustique, du genre Anopheles. Plusieurs facteurs entraînèrent la régression puis la disparition définitive de cette maladie. L’amélioration des conditions de vie et le recours systématique au traitement par la quinine eurent un impact majeur. La lutte antivectorielle et l’assèchement des marais par la mise en valeur des terres contribuèrent également à cette régression. La Camargue fut le dernier foyer actif en France continentale et il s’éteignit à la fin de la Seconde Guerre mondiale (Sautet, 1944). De nos jours, les seuls cas répertoriés de paludisme en France sont des cas de paludisme importé, c’est-à-dire des personnes contaminées au cours d’un voyage en zone endémique (majoritairement en Afrique de l’Ouest) et qui expriment des symptômes cliniques de retour en France. Ainsi, 3442 cas de paludisme importé ont été notifiés en 2004, correspondant à 6109 cas estimés. Quelques rares cas accidentels (greffe, transfusion...) ont été reportés également (Legros et al., 2006).
5Malgré la diminution des populations de moustiques suite à l’assèchement de certaines zones marécageuses au cours du siècle dernier et aux opérations de démoustication actuelles, les Anopheles sont toujours présents en France et en populations importantes à certains endroits, notamment en Camargue. Cette situation est caractérisée par l’expression « anophélisme sans paludisme ». Dans ce cadre, l’hypothèse de la reprise de cycles vectoriels autochtones impliquant les espèces Anopheles locales en Camargue suite à l’introduction régulière de Plasmodium par les différents flux humains (touristes, travailleurs saisonniers...) mérite d’être considérée. L’évaluation de ce risque implique l’étude du système vectoriel potentiel, dont la compréhension nécessite une approche globale s’intéressant à l’homme, hôte unique et réservoir de Plasmodium, aux espèces d’Anopheles, moustiques vecteurs potentiels, et à l’environnement dans lequel humains et Anopheles évoluent. L’étude du cycle vectoriel potentiel du paludisme en Camargue se pose de la manière suivante :
Existe-t-il des moustiques capables de transmettre les Plasmodium en Camargue ?
Ces moustiques piquent-ils les humains ?
Ces moustiques rencontrent-ils des porteurs de Plasmodium en Camargue ?
6Afin de trouver des réponses à ces questions et d’appréhender le risque de ré-émergence du paludisme en Camargue, l’interdisciplinarité est indispensable. Différentes disciplines des sciences sociales et des sciences biologiques sont mobilisées.
7Dans l’exemple présenté dans ce texte, les données entomologiques, du milieu et celles issues des sciences sociales, actuelles et historiques, ont été obtenues par différentes équipes de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), de l’Entente interdépartementale pour la démoustication (EID-Méditerranée), de l’Institut universitaire professionnel, Environnement technologies et société de l’université de Provence (IUP-ENTES), du Centre national de référence de l’épidémiologie du paludisme d’importation et autochtone (CNREPIA) et des hôpitaux régionaux.
Quelques éléments sur le cycle du Plasmodium et ses vecteurs
8Pour assurer sa descendance, la femelle moustique doit effectuer des repas de sang. Le choix de l’hôte est conditionné par la biologie de l’espèce : anthropophile strict, mammophile, ornithophile ou opportuniste. À la suite de la piqûre, la femelle entre en phase de repos pendant laquelle la digestion du sang assure le développement des œufs. Arrivés à maturité, les œufs sont pondus sur un plan d’eau, le choix de celui-ci dépendant de l’espèce (préférence stricte pour certains milieux, ubiquité...). Après la ponte, la femelle recherche à nouveau un hôte, réalise un repas de sang, effectue un nouveau cycle et ainsi de suite jusqu’à sa mort (la durée de vie des moustiques dépendant des facteurs climatiques et de l’accès à la nourriture). La période séparant deux piqûres définit le cycle trophogonique. Les œufs éclosent et libèrent des larves aquatiques qui se développent et évoluent en nymphes qui se métamorphosent en adultes ailés mâles ou femelles.
9La femelle peut s’infecter en réalisant un repas de sang sur un homme porteur du stade gamétocyte des Plasmodium. Les parasites réalisent alors un cycle, appelé cycle sporogonique ou extrinsèque, au cours duquel ils migrent de l’intestin aux glandes salivaires du moustique. Le stade sporozoïte des Plasmodium sera injecté à un humain lors d’une piqûre ultérieure. La durée de ce cycle varie d’une dizaine à une trentaine de jours en fonction de l’espèce plasmodiale et de la température (au-delà d’une température seuil au-dessous de laquelle le cycle est bloqué : 18°C pour P. falciparum et 15-16°C pour P. vivax (MacDonald, 1957). De plus, des facteurs génétiques de la femelle Anopheles déterminent la possibilité pour le Plasmodium de réaliser complètement le cycle extrinsèque : cette compatibilité entre le parasite et le vecteur est appelée compétence vectorielle.
10La sommation de ces différents facteurs (préférences trophiques, durée du cycle trophogonique, longévité des femelles, durée du cycle extrinsèque) combinés à l’abondance des femelles détermine la capacité vectorielle qui renvoie à l’efficacité du vecteur dans un environnement donné.
Le risque de ré-émergence du paludisme en Camargue : une approche interdisciplinaire
Existe-t-il des moustiques capables de transmettre des Plasmodium en Camargue ?
11Un moustique sera un vecteur potentiel s’il est présent, voire abondant dans un milieu donné, s’il pique les humains, si sa durée de vie dépasse celle du cycle sporogonique et s’il est compétent vis-à-vis de Plasmodium. L’étude de ces critères nécessite la mobilisation de méthodologies et compétences variées et complémentaires.
Étude du milieu
12La Camargue est une zone humide qui couvre le delta du Rhône qui s’étend du Grand-Plan-du-Bourg à l’est au canal de Pécaïs à l’ouest. Marais, étangs et rizières en constituent une part importante. L’ensemble de cette région est alimenté en eau douce depuis le Rhône par un réseau dense de canaux d’irrigation et de drainage qui sert essentiellement à l’alimentation en eau des parcelles rizicoles. La disponibilité de la ressource a entraîné son utilisation pour l’alimentation des milieux « naturels » (marais, étangs) à des fins cynégétiques, d’élevage, de conservation de la nature, ou de récolte du roseau. Le réseau de canaux de drainage permet de gérer selon les besoins l’ensemble de ces milieux humides et contribue à l’artificialisation du fonctionnement hydrologique du delta et, in fine, à une tendance à la permanence de l’eau tout au long de l’année dans les milieux naturels. Cette région est également caractérisée par une nappe phréatique salée, peu profonde et dont les effets influencent la salinité des sols. Celle-ci dépend de la distance par rapport à la côte et de la fréquence de submersion du sol en eau douce. La flore des marais dépend de la salinité et de la xérophilie. Ces deux facteurs conjoints, combinés à la pression de pâturage, déterminent différentes associations végétales et donc différents types de marais. La Camargue est ainsi couverte d’une juxtaposition de milieux différents (Dervieux et al., 2002 ; Aznar et al., 2003).
13Dans ce contexte fortement anthropisé, la compréhension du milieu passe nécessairement par la compréhension des interactions homme/milieu. De plus, la caractérisation et la cartographie de la Camargue pour cette étude ont nécessité d’inclure la composante vecteur dans la réflexion pour identifier les déterminants pertinents. Finalement, botanique, sciences sociales et biologie ont interagi pour produire une cartographie mobilisant relevés de terrain, images satellites et systèmes d’informations géographiques.
Inventaire et dynamique des populations d’Anopheles en fonction du climat et du milieu
14Des prospections entomologiques poussées ont été menées régulièrement dans deux zones représentatives de Camargue, dans le secteur de la Tour-Carbonnière à l’ouest, celui des marais du Vigueirat à l’est (fig. 1). Différentes méthodes de captures d’adultes et de larves ont été utilisées en différents points de mars à décembre 2005, en lien avec différents milieux. La détermination des différentes espèces a nécessité dans certains cas, le recours aux outils de biologie moléculaire (Proft et al., 1999). Plus de 680000 moustiques ont été récoltés dont 131050 Anopheles. Quatre espèces d’Anopheles ayant des variations spatiales d’abondance ont été répertoriées : An. hyrcanus, An. melanoon, An. algeriensis, An. atroparvus. Les dynamiques de populations sont différentes : An. hyrcanus et An. melanoon sont présents en été, tandis que An. algeriensis et An. atroparvus, peu abondants, sont présents respectivement au printemps et en hiver (Ponçon et al., 2007).
Longévité des anophèles
15À l’échelle d’une population, la durée de vie des femelles Anopheles est estimée à partir du taux de parturité de la population (proportion de femelles ayant pondu au moins une fois), qui a été déterminé après dissection des ovaires de femelles capturées (Detinova, 1962).
Compétence vectorielle
16Des expériences de transmissions expérimentales ont été menées en laboratoires sécurisés. Des populations locales d’Anopheles ont été gorgées sur des membranes artificielles leur permettant d’ingérer du sang infecté. Le suivi des infections a permis d’étudier la compétence des espèces Anopheles françaises vis-à-vis des souches de P. falciparum tropicaux. Ce travail a démontré que, si la compétence des Anopheles de Camargue vis-à-vis des P. falciparum tropicaux est faible, elle n’est pas pour autant nulle.
17Les résultats concernant la présence des vecteurs potentiels, leur longévité et leur compétence vectorielle, combinés à la cartographie déterminent la répartition spatio-temporelle des espèces anophèles susceptibles de transmettre des Plasmodium. Le milieu et les facteurs climatiques permettent de détecter les zones entomologiquement à risque à l’intérieur desquelles le contact entre ces Anopheles et les humains doit être étudié.
Ces moustiques piquent-ils les humains ?
18L’un des éléments clés du cycle de transmission du paludisme réside dans le contact entre l’homme et les Anopheles – contact indispensable pour que le moustique s’infecte et pour assurer la transmission. Deux composantes interactives déterminent ce contact : le comportement trophique des Anopheles (c’est-à-dire l’hôte sur lequel et la période pendant laquelle seront pris préférentiellement les repas de sang, ainsi que leur fréquence) et la présence ainsi que les comportements des humains.
19Le comportement trophique est déterminé par trois facteurs : la préférence d’hôte, la durée du cycle trophogonique et le rythme journalier d’activité (heures préférentielles des repas de sang : crépuscule, nuit...). L’efficacité d’un vecteur dépend du choix de son hôte (un bon vecteur de paludisme doit piquer l’homme) et de la fréquence des piqûres (plus le cycle trophogonique est court, plus le vecteur piquera fréquemment). Le rythme journalier d’activité du moustique influe sur les possibilités de contacts avec l’hôte.
20De plus, quand bien même un moustique serait disposé à piquer un homme, il est nécessaire qu’un humain soit disponible pour ce repas de sang, c’est-à-dire qu’il soit présent dans l’environnement du moustique et qu’il ne se protège pas suffisamment contre les piqûres.
21Afin de trouver une réponse à la question « ces moustiques piquent-ils l’homme ? », une étude des contacts homme/vecteurs en fonction du comportement trophique des Anopheles, de la distribution spatio-temporelle et du comportement des humains s’imposait.
Étude du comportement trophique des anophèles
22L’étude du choix de l’hôte a été menée par des piégeages sur différents hôtes (homme et cheval) et par l’analyse des repas de sang des femelles Anopheles capturées gorgées [cette analyse fait appel à une technique de type ELISA (Beier et al., 1988)]. Des différences nettes ont été observées dans le comportement des espèces, An. hyrcanus étant très anthropophile tandis que An. melanoon, piquant rarement l’homme, est très zoophile.
23Les captures d’adultes ont révélé une activité forte des femelles An. hyrcanus en début de nuit tandis que An. melanoon semble plus actif en seconde partie de nuit.
24La durée du cycle trophogonique est en général de 4-5 jours en France.
Étude de la distribution spatio-temporelle des hommes
25La répartition spatio-temporelle des humains a été répertoriée par des enquêtes socio-anthropologiques, en caractérisant la population et ses activités en lien avec le milieu sur une des deux zones de capture de moustiques. Ce travail a été réalisé à l’échelle annuelle et journalière – le choix des critères caractérisant la population étant lié à la composante vecteur (Langewiesche, Rapport « Eden-volet sciences sociales », 2005). Cette étude reporte des variations temporelles importantes dues aux activités touristiques dans cette zone. On peut compter 340 personnes par jour en hiver et autour de 2 000 en été. La distribution spatiale des humains varie également dans l’année et dans la journée en fonction de leurs activités (agricoles ou touristiques). Cette étude permet d’identifier des groupes (riziculteurs, viticulteurs, coupeurs de roseaux, éleveurs et chasseurs) exposés aux Anopheles, sur la base de leurs activités dans des milieux favorables aux Anopheles, ou proches de ceux-ci, et à des horaires correspondant à l’activité des vecteurs potentiels. De plus, les touristes, en particulier les étrangers, sont également très exposés aux piqûres de moustiques, moins par leurs pratiques que par leurs comportements peu adaptés à la nuisance.
Étude des comportements humains
26Les premiers résultats mettent clairement en évidence des différences d’exposition des différents groupes humains face aux piqûres des moustiques. Les résidents se protègent mieux des moustiques que ne le font les touristes et visiteurs peu familiarisés à cette nuisance.
27Les comportements spécifiques de chaque groupe d’humains combinés aux variations spatio-temporelles de leur présence permettent d’établir une carte des humains « disponibles » pour les repas de sang des Anopheles, carte qui varie au cours de la journée et de l’année.
28Le croisement des données concernant les moustiques et les humains permet ainsi de cartographier des zones de contacts entre humains et vecteurs en Camargue, définissant ainsi des zones de transmission potentielle. À l’intérieur de ces zones, la rencontre d’un Anopheles capable de transmettre les Plasmodium avec un homme porteur de parasites pourra initier un cycle de transmission. Il est donc nécessaire de déterminer la distribution spatio-temporelle des humains porteurs de Plasmodium en Camargue.
Ces moustiques rencontrent-ils des Plasmodium en Camargue ?
29La transmission autochtone du paludisme ayant cessé en Camargue depuis le milieu du xxe siècle, les seules sources actuelles de parasites sont représentées par les cas de paludisme importé ou les porteurs chroniques de parasites (après une première contamination par les Plasmodium, on observe un portage de parasites dans l’organisme qui varie de quelques mois à plusieurs années en fonction de l’espèce plasmodiale impliquée et d’une éventuelle immunité). Ces sources de parasites dépendent exclusivement des mouvements de populations pour lesquels les déterminants sociaux et économiques sont importants.
Le paludisme importé
30Ce travail a été réalisé à 2 échelles : échelle locale et échelle nationale. Léchelle locale a impliqué les hôpitaux régionaux qui recensent les cas de paludisme diagnostiqués dans leurs services. L’approche nationale a utilisé les données collectées par le CNREPIA auprès des hôpitaux du territoire français.
31L’espèce plasmodiale dominante est P. falciparum avec un pic des cas en septembre (correspondant au retour des vacances) (Danis et al., 2002 ; Legros et al., 2006). Les contaminations ont lieu majoritairement en Afrique de l’Ouest avec des variations régionales comme à l’hôpital de Marseille où l’on diagnostique des contaminations originaires principalement des Comores. Leur distribution spatiale est très hétérogène dans le Sud-Est de la France et les grandes agglomérations (Marseille, Nîmes et Montpellier) concentrent la majorité des cas.
32La caractérisation de ces cas révèle que la majorité des personnes concernées sont des immigrés de première ou seconde génération retournant dans leur pays d’origine pour les vacances (Legros et al., 2006). L’étude de la population camarguaise permet donc d’identifier les communautés immigrées (de première ou seconde génération) et fournit donc une première approche de la distribution spatio-temporelle des parasites importés. Encore une fois, l’interdisciplinarité s’impose dans la mesure où des facteurs sociaux (dépendant eux-mêmes d’un contexte historique et économique) déterminent la répartition des parasites importés.
Études des flux de population
33Parallèlement aux parasites importés donnant lieu à des cas cliniques, l’introduction de Plasmodium peut également être le fait de personnes porteuses chroniques, en provenance de zones endémiques. Il est donc nécessaire de répertorier et caractériser les flux de populations en provenance de zones endémiques aboutissant en Camargue. Dans ces flux, certains individus pourront correspondre à des porteurs chroniques.
34L’étude préliminaire a révélé l’existence de 2 types de flux : des résidents camarguais se rendant en zones endémiques et revenant en Camargue (essentiellement touristes, professionnels et chasseurs/pêcheurs en safaris) et des résidents de zones endémiques de passage en Camargue (essentiellement touristes et travailleurs saisonniers). La majorité des touristes camarguais se rend plutôt en Afrique du Nord, zone où l’incidence du paludisme est quasi nulle. Les travailleurs saisonniers proviennent essentiellement du Maghreb, et les touristes étrangers de zones non endémiques. Finalement, ce travail a mis en évidence un risque faible d’introduction de parasites par des flux de personnes porteuses chroniques (Bertemes et al., 2006).
35L’introduction de Plasmodium dans des zones de transmission potentielle (identifiées à l’issue des 2 premières étapes) peut permettre d’initier un cycle de transmission autochtone. L’étude de la distribution spatio-temporelle des hommes porteurs de Plasmodium dans l’ensemble de la Camargue permettra donc d’évaluer le risque de ré-émergence du paludisme en Camargue. La caractérisation de ce risque passe, in fine, par le croisement de 3 distributions spatio-temporelles en lien avec le milieu (moustiques capables de transmettre des Plasmodium, humains disponibles pour les piqûres de ces moustiques et humains porteurs de Plasmodium) et l’identification de facteurs clés caractérisant les zones où ces 3 distributions se superposent.
Conclusion
36Cette étude illustre la nécessité d’une approche interdisciplinaire afin d’évaluer le risque de ré-émergence de paludisme. La mise en commun des résultats de chacune des disciplines participantes permet d’aborder ce risque avec plus de réalisme. La biologie étudie les Anopheles et leur compétence vectorielle, l’anthropologie caractérise la population humaine au niveau local et les flux de populations humaines vers la Camargue, l’épidémiologie fournit des données concernant le paludisme importé en France, l’écologie permet d’aborder les questions relatives aux habitats des vecteurs, la géographie permet de spatialiser les données. De plus, l’approche interdisciplinaire souligne l’importance des facteurs historiques, culturels et socio-économiques qui conditionnent le risque vectoriel en Camargue, « contexte naturel fortement anthropisé ». Ainsi, les changements dans l’utilisation du sol, l’urbanisation montante dans certaines zones de Camargue et le développement du tourisme et des loisirs influencent de manière importante les contacts possibles entre les humains et les Anopheles, en modifiant la densité et la répartition de ces deux derniers.
Bibliographie
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Auteurs
nicolas.poncon@agriculture.gouv.fr
est vétérinaire et a réalisé son doctorat au sein de l’UR « Caractérisation et contrôle des populations de vecteurs » de l’IRD. Ses thématiques de recherche ont porté sur les risques de ré-émergence du paludisme en Camargue en abordant différents champs thématiques. Il s’est intéressé notamment aux populations de vecteurs potentiels et en particulier à leur dynamique, à leur biologie, à leur compétence vectorielle, et ces éléments ont été intégrés dans un modèle d’évaluation quantitative du risque de ré-émergence reliant ce risque à l’évolution du milieu sous l’effet des changements globaux.
Celine.toty@ird.fr
est ingénieur, spécialisée en entomologie moléculaire. Elle s’intéresse en particulier au complexe d’espèces et à la structuration génétique des populations de vecteurs. Après des recherches conduites à Montpellier, elle est maintenant basée au CRVOI à l’île de la Réunion.
katrinlangewiesche@yahoo.fr
est anthropologue et chercheuse associée à l’université de Mayence en Allemagne, à l’Institut d’ethnologie et d’études africaines. Elle s’est spécialisée en anthropologie de l’environnement et du religieux en Europe et en Afrique. Elle coordonne actuellement un programme de recherche concernant « Le secteur sanitaire confessionnel au Burkina Faso. Collaborations et tensions avec le secteur sanitaire public ». Elle a effectué des recherches de terrain de longue durée en France et en Afrique francophone.
alderv.desmid@wanadoo.fr
est écologue, plus spécialisé aujourd’hui en écologie humaine et responsable d’un programme de recherches sur la gestion de l’eau dans le delta du Rhône (Eaux et Territoires du MEEDDEM). Ses travaux portent sur la gestion de l’eau en zone humide littorale méditerranéenne, les conséquences pour le territoire, notamment au niveau des milieux naturels ou pseudo-naturels et des paysages. La gestion humaine de l’eau est au centre de son approche (conflits et contradictions).
Didier.fontenille@ird.fr
est directeur de recherche à l’IRD. Entomologiste médical, il s’intéresse plus particulièrement à la systématique, à la biologie, à la génétique des vecteurs des parasites du paludisme et des virus responsables d’arboviroses. Il a essentiellement travaillé sur des problématiques africaines, en particulier à Madagascar, au Sénégal et au Cameroun.
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