Chapitre 8. Verdissement écologique et recherches sur le développement rural
p. 231-245
Texte intégral
Introduction
1Madagascar, pays à vocation rurale, relève du groupe des nations en développement dont les émissions de gaz à effet de serre dues à l’agriculture se sont accrues d’environ 30 % de 1990 à 2005. Le contexte national de développement durable fait que les facteurs « naturels » de production (climat, sol, eau) deviennent des patrimoines au sens de biens précieux à conserver, à préserver : une réorientation de la conception et de la conduite de la recherche en résulte, vers la protection et la préservation des facteurs de production agricole. Dans ce cadre, il faut souligner que même si la perception de certaines composantes de la question environnementale diffère selon les acteurs, en particulier ceux de terrain, « adaptation » à la réduction des gaz à effets de serre et « atténuation » des méfaits du changement climatique sont devenus des mots clés. Ces termes orientent la mise au point de techniques adaptatives (variétés ajustées aux aléas climatiques, à la salinité) ou palliatives d’une utilisation jugée non adéquate de l’environnement (exemple des systèmes de cultures sous couverture végétale favorisant la séquestration du carbone). Ils expliquent aussi l’intérêt de la recherche accordé aux activités rurales pouvant atténuer le changement climatique (quantification des stocks et flux de carbone dans les écosystèmes, connaissance des processus au niveau des sols agricoles, production de bioénergie et de biomatériaux), ou aux pratiques de la meilleure utilisation des engrais, de l’eau et du riz, de la diversité zoo génétique.
Problématique
2Dans le contexte du développement durable du monde rural, la dimension environnementale devient incontournable. Les injonctions pour des pratiques agricoles qui concilient les intérêts des populations avec ceux d’une gestion durable des ressources soulèvent toutefois de nombreuses interrogations. Ces dernières proviennent surtout des chercheurs nationaux et concernent notamment la conception, l’orientation et la conduite de la recherche sur le développement rural.
3On s’accorde généralement sur la notion de verdissement écologique comme étant toute action qui va dans le sens de la préservation et de la protection de l’environnement. Elle se traduit par une écologisation des pratiques. Vu sous cet angle, le verdissement écologique apparaît en contradiction avec un accroissement de la production agricole : il s’accompagne en effet de nombreuses mesures contraignantes. Cet accroissement est pourtant fortement recherché dans le contexte d’un pays pauvre, œuvrant pour son développement rural. Par ailleurs, la perception de certaines composantes comme les changements climatiques est très différente selon les acteurs et conduit à d’autres questionnements. Se pose le problème de la souveraineté des pays du Sud et des chercheurs nationaux dans la définition et le choix des thèmes de recherche sur le développement du monde rural, ou encore des critères d’attribution des financements supposés alloués à la recherche pour le développement de leurs pays. La voix des chercheurs du Sud s’avère de peu de poids et se trouve peu écoutée dans les processus d’élaboration des grands projets de recherche : les financements sont ainsi plus souvent attribués aux ONG relais des bailleurs de fonds qu’aux institutions nationales.
4Notre approche expose dans un premier temps le contexte actuel de la recherche à Madagascar, ainsi qu’une revue non exhaustive d’initiatives de développement. Elle se penchera ensuite sur les effets des orientations vers une écologisation des pratiques : ont-elles bouleversé le paysage de la recherche dédiée au développement du monde rural ?
Constats sur le contexte actuel de la recherche à Madagascar
5Depuis l’indépendance en 1960, la recherche scientifique malgache a connu plusieurs mutations tant du point de vue institutionnel que du point de vue organisationnel (Randimbimahenina, 2010). Les orientations stratégiques et missions de recherche découlaient généralement de la politique générale de l’État. Récemment, pendant la période de 2003 à 2008, l’élaboration du Plan de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (PDESRS) n’a pas abouti à une vision à long terme ni à une véritable politique de la recherche. Mis à part les éléments des centres nationaux et des universités, les autres acteurs de la recherche sont mal connus et leurs activités, non recensées, manquent de visibilité, ce qui pourrait remettre en question la crédibilité de la recherche malgache. Concurrences et duplications d’activités entre les institutions plutôt que leur complémentarité découlent d’une carence manifeste de la coordination et de l’harmonisation des actions.
6Les ressources et moyens alloués à la recherche fluctuent au fil des ans. Cette dernière est habituellement financée par les subventions étatiques, les fonds de contrepartie et les apports extérieurs sous différentes formes, mais aussi les recettes propres de chaque centre national : prestations de service, expertises, conventions de partenariats, vente de produits de recherche... (Randimbimahenina, op. cit.). Le vide politico-juridique qui résulte de l’absence d’un texte de politique nationale de la recherche fragilise la recherche dans un pays reconnu pour la richesse de sa biodiversité.
7L’appui à la recherche en général et particulièrement à celle pour le développement rural a toujours été une préoccupation pour les chercheurs comme pour les gouvernants malgaches. Des facteurs exogènes difficilement maîtrisables au seul niveau du gouvernement installent une situation précaire. Certes, de nombreux efforts, mais ponctuels, ont été fournis : avec le budget étatique dans l’allocation de fonds compétitifs de recherche à la fin des années 1990 ; dans le cadre du Projet de soutien du développement rural, PSDR, avec la Banque mondiale en appui des Fonds compétitifs de recherche appliquée (FCRA) : l’initiative a réellement dynamisé le secteur au cours de la seconde moitié des années 2000. Ces efforts n’effacent pas la réalité d’un financement alloué réduit, inférieur à 1 % du PIB agricole. La situation explique l’importance du partenariat et des collaborations, par exemple avec les instituts français de recherche tels que l’IRD et le CIRAD, ou dans le cadre des réseaux régionaux comme l’Asareca, Association pour le renforcement de la recherche agricole en Afrique centrale et orientale.
Des initiatives internationales et régionales
8La prospection de voies alternatives pallie le problème permanent de financement. Il en est ainsi des modes de financement par la filière, pratique courante dans plusieurs pays mais encore peu mobilisée par les opérateurs économiques nationaux. Il s’agit de lier de plus en plus les moyens de la recherche à la demande des producteurs via une mobilisation des fonds privés et une contractualisation des services à fournir. Il n’empêche que la mobilisation des fonds publics demeure un défi majeur à relever tant au niveau international, pour marquer l’appropriation de la recherche par l’État, qu’à celui national vu l’incertitude du financement privé.
9Sur le plan international, le constat est que subventions et (ou) appels à proposition de recherche sont de plus en plus orientés vers les thèmes de changement climatique et de développement durable. Tel est le cas des initiatives actuellement lancées pour atténuer la crise écologique. Elles s’accompagnent de financements d’origine et de types divers. On peut citer à l’échelle mondiale le mécanisme du « développement propre » (Kyoto), ou le « New Deal » écologique par lequel l’Organisation des Nations unies sollicite les pays du G20 pour consacrer « au moins 1 % » de leur PIB à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’à la protection des écosystèmes et des ressources en eau (sommet de Nairobi, février 2009).
10À l’échelle africaine, Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU prône la Nouvelle révolution verte : « Nous devons œuvrer au développement d’une nouvelle génération de technologies et de méthodes d’exploitation agricole, qui soit capable de relever le double défi qui consiste à renforcer la productivité agricole tout en en limitant l’impact sur l’environnement ». L’injonction s’adresse à tous les acteurs du développement rural, mais plus particulièrement aux chercheurs pour la mise au point d’innovations. Toujours sur le continent africain, Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU, a lancé l’Alliance for a Green Revolution in Africa (AGRA), un partenariat panafricain pour soutenir la conception et l’application de solutions pratiques augmentant significativement la productivité tout en respectant l’environnement : l’approche préconisée concerne toute l’activité agricole, depuis la production de semences et la préparation du sol jusqu’à l’accès au marché et même la formation agricole.
11Au niveau sous-régional de l’Afrique centrale et orientale, Making the best of climate – Adapting agriculture to climate change est un exemple de projet lancé à l’intention des centres nationaux de recherche agricole. Celui-ci prévoit la production de techniques appropriées ainsi que de variétés adaptées aux changements climatiques. De même, l’Afrique australe a récemment initié un programme sur l’agriculture de conservation avec un financement américain. Nous y reviendrons.
12Cette liste de grands projets est donnée à titre illustratif et n’a pas de caractère exhaustif. Ils comportent tous des « suggestions » qui, perçues par l’acteur national, cadrent la conception et la conduite de la recherche sur le développement rural. De telles suggestions rétrécissent à première vue les voies de la recherche, éliminant les besoins prioritaires du pays que les partenaires techniques et financiers jugent comme n’ayant pas un « intérêt global ». L’octroi des financements profite largement aux ONG et (ou) institutions de recherche internationales, au détriment des établissements publics et nationaux, ce qui génère un déséquilibre flagrant des forces d’action de ces différentes entités. Il en résulte souvent des frustrations du côté des acteurs publics et un affaiblissement des centres nationaux.
13Les changements d’affectation des terres (comme la déforestation) représentent 17 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre tandis que l’agriculture en totalise 14 %. Cette dernière a accru ses émissions d’environ 30 % de 1990 à 2005 dans les pays en développement, chiffre dont l’augmentation est attendue pour la période ultérieure. Dans ce contexte, différentes activités rurales des pays du Sud peuvent atténuer le changement climatique et sont l’objet de travaux de recherche : sur la quantification des stocks et flux de carbone dans les écosystèmes, sur la connaissance des processus au niveau des sols agricoles ou encore sur la production de bioénergie et de biomatériaux. Au niveau national, le concept de la révolution verte durable est présent à travers le Madagascar Action Plan (MAP) pour combattre les méfaits de cette agriculture émettrice de gaz à effet de serre : les pratiques agricoles durables permettent d’atténuer les quantités de gaz émises tout en accroissant la productivité agricole. Le piégeage du carbone intervient en particulier par un travail réduit voire nul du sol (zéro labour), un meilleur aménagement des pâturages et la restauration des terres dégradées. Se développe dans cette perspective la recherche adaptative sur les systèmes de cultures sous couverture végétale (SCV), celle pour une utilisation plus efficace des engrais (utilisation d’urée sous forme de briquettes, avec le soutien de l’IFDC), une meilleure gestion de l’eau et du riz (Système de riziculture intensif, SRI), ou encore la recherche sur la plantation d’arbres et l’utilisation de la diversité zoogénétique.
14Ces thèmes d’adaptation au, et d’atténuation du changement climatique canalisent de plus en plus les subventions et (ou) appels à proposition. À titre d’exemple, le FFEM-UICN France finance les ONG porteuses de projets sur la biodiversité et de lutte contre le changement climatique, dans le cadre d’un programme nommé « Petites initiatives ». On peut aussi relever le fonds spécial pour le changement climatique dédié aux technologies d’adaptation et d’atténuation. Les mécanismes de financement restent toutefois flous même si les différentes conférences internationales ou régionales sur le changement climatique donnent des orientations quant à leur octroi (Stockholm 2009, Addis Abeba septembre 2010, La Haye octobre-novembre 2010, Cancun novembre 2010). Par ailleurs, la capacité réduite de plaidoyer lors des négociations internationales reste un handicap majeur du système national de recherche agricole.
L’agriculture de conservation
15À Madagascar, mises à part quelques exceptions (canne à sucre, sisal, coton, palmiers, tabac), l’agriculture industrielle reste encore peu développée. Des tentatives de promotion de l’agribusiness ont récemment émergé mais se trouvent confrontées à diverses difficultés. Elles se traduisent par une intensification agricole, c’est-à-dire apport massif de fertilisants chimiques et de produits phytosanitaires qui à la longue polluent le sol, la nappe phréatique et l’atmosphère ; ces éléments ont aussi leurs impacts néfastes sur la santé humaine et animale. Par ailleurs, les fréquents passages de machines agricoles lourdes ont pour conséquences un compactage du sol, la destruction de sa structure et à terme, l’érosion due à un labour répété. Ces caractéristiques vont à l’encontre de l’agriculture durable et de l’une des recommandations de la FAO au 4e congrès mondial sur l’agriculture de conservation (New Delhi, février 2009) : que les agriculteurs du monde se convertissent à la pratique de systèmes agricoles plus durables et plus productifs1.
16L’agriculture de conservation est une alternative en ce sens qu’elle peut résoudre le problème de la crise alimentaire tout en relevant le défi du changement climatique. Pratiquée aux États-Unis dès les années 1930, et fortement développée en Amérique latine (Brésil) par la suite, l’agriculture de conservation repose sur trois principes : un travail minimal voire une absence de travail de la terre en cas de semis direct, une couverture du sol par une couche végétale vivante ou morte, et la diversification des rotations culturales. Sans labour, le sol retrouve graduellement les éléments organiques essentiels à la nutrition des plantes. La couverture permanente du sol garantit pour sa part la constitution d’un humus de qualité, fondamental, notamment pour stocker l’eau et les éléments nutritifs. La matière organique reconstituée du sol offre un réel potentiel de réduction de l’effet de serre par son action de stockage du carbone qui peut atteindre jusqu’à une tonne par hectare et par an. On constate que l’agriculture de conservation est peu adoptée dans les pays riches, surtout européens, dans lesquels une agriculture conventionnelle qui pollue et dégrade plus pour le sol reste majoritaire. Est-ce la marque de la difficulté des agriculteurs de ces pays à adopter ce qui, pour eux, est une innovation ?
17Dans les pays du Sud les bailleurs de fonds (AFD, FFEM) ainsi que les institutions techniques (FAO, Cirad, etc.) soutiennent et encouragent cette forme de production agro-écologique depuis plus d’une dizaine d’années. À Madagascar, le Groupement semis direct Madagascar (GSDM) rassemble les principaux partenaires du Cirad impliqués dans l’agriculture de conservation. Les membres en sont essentiellement des ONG, des centres de recherche et de diffusion, des associations, des organisations paysannes faîtières, ou encore des sociétés anonymes. Plus de 5 000 paysans ont à ce jour adopté cette technique. Madagascar a mis en place un Task Force national pour l’agriculture de conservation sous l’égide de la FAO dans le cadre du projet régional OSRO/RAF/904/USA pour l’Afrique australe.
La lutte biologique
18En agriculture, la lutte biologique est une méthode utilisée contre un ravageur ou une plante adventice au moyen d’organismes naturels antagonistes, tels que des phytophages dans le cas d’une plante adventice, des parasitoïdes (arthropodes...), des prédateurs (nématodes, arthropodes, vertébrés, mollusques...), ou encore des agents pathogènes (virus, bactéries, champignons...). Le traitement du criquet migrateur est particulièrement révélateur des incertitudes que les intérêts économiques font peser sur l’activité de recherche.
19Le criquet migrateur Locusta migratoria capito est le principal fléau de l’agriculture malgache. Si la lutte chimique constituait jusqu’à ces derniers temps la méthode de lutte la plus efficace, des considérations sur l’environnement et sur les impacts potentiels des produits utilisés sur la santé humaine et animale ont amené les chercheurs à chercher des méthodes de traitement alternatives. Des expérimentations à petite échelle ont été menées de concert par le Fofifa (Centre malgache de recherche appliquée au développement rural) et l’Icipe-Kenya dans le sud de l’î1e. Elles ont montré l’efficacité d’un champignon (Metarhizium) sur le contrôle du criquet migrateur. La conduite de l’expérimentation à plus grande échelle s’est avérée positive et a valu au produit son homologation officielle au niveau national. Cependant, le passage du stade expérimental à l’utilisation à très grande échelle ne va pas se faire sans difficulté. Ces dernières seront d’abord d’ordre technique, pour assurer la production en masse des champignons et permettre la mise en œuvre à grande échelle de la technique. En effet, la multiplication des agents biologiques fait appel à des technologies encore mal maîtrisées, nécessitant d’importants investissements. De plus, le stockage et l’expédition de ces agents biologiques sont difficiles à réaliser et imposent des contraintes qui peuvent être incompatibles avec une vaste distribution. Difficultés aussi liées à des conflits d’intérêt commercial entre les grandes firmes productrices d’insecticides chimiques qui ont longtemps dominé le marché et les producteurs de bio-insecticides qui vont commencer à leur faire la concurrence. Cet affrontement potentiel déterminera grandement la suite des activités des chercheurs investis sur la question.
Le changement climatique
20L’agriculture et l’élevage sont des vecteurs importants de la pollution de l’eau par les nitrates, les phosphates et les pesticides. Ils constituent également les principales sources anthropiques des gaz à effet de serre.
21L’agriculture dégage de grandes quantités de gaz carbonique lors de la combustion de la biomasse, surtout dans les zones de déboisement et de feux de prairies. C’est aussi le cas lorsque les agriculteurs brûlent la paille ou autres résidus de récolte. Par ailleurs, l’agriculture est responsable de presque la moitié des émissions de méthane, important agent du changement climatique planétaire avec une puissance de réchauffement 20 fois plus forte que celle du gaz carbonique. Les émissions anthropiques annuelles du méthane se chiffrent actuellement à environ 540 millions de tonnes et augmentent avec un taux annuel de 5 %. À Madagascar, l’élevage, en raison des fermentations intestinales (flatulences) et de la décomposition des excréments, et la riziculture en représentent les principales sources. Dans ce dernier domaine, la recherche porte sur la gestion des nutriments et de l’irrigation ainsi que sur la recherche de variétés faiblement émettrices de méthane.
22Il faut aussi noter que l’agriculture même peut constituer une solution pour la mitigation des émissions de GES car les cultures peuvent servir de puits de carbone. La quantité de carbone séquestré dépend du type de culture et du lieu, mais aussi des techniques agro-écologiques. Ainsi en est-il avec l’agriculture de conservation, ou avec les systèmes de culture sous couverture végétale qui favorisent l’infiltration de l’eau. Cette perspective ouvre une autre voie d’investigation pour les chercheurs : la quantification des stocks et flux de carbone dans les écosystèmes, la connaissance des processus au niveau des sols agricoles et la production de bioénergie et de biomatériaux. Si des méthodes de production plus durables sont adoptées, les impacts négatifs de l’agriculture sur l’environnement pourront être atténués.
L’atténuation des émissions de GES
23Deux grandes options d’atténuation (mitigation en anglais) sont généralement considérées. La première consiste à réduire les émissions en limitant la consommation énergétique, par exemple grâce aux énergies renouvelables, en transformant les systèmes de transport ou de traitement des déchets et en réduisant la déforestation. La seconde option, souvent appelée séquestration du carbone, cherche à récupérer une partie du carbone de l’atmosphère responsable du réchauffement climatique en le stockant dans la biosphère.
24Dans la première option, citons l’exemple du montage du projet Bioenergelec. Il s’agit d’une initiative sur l’électrification rurale par la valorisation de la biomasse. Le projet est d’autant plus pertinent que l’Electrification rurale décentralisée (ERD), facteur clé du développement des campagnes, peine à se réaliser à cause du coût élevé de l’énergie fossile. De plus, les centrales thermiques conventionnelles sont très polluantes et peu soucieuses de l’environnement. Or, une grande quantité de biomasse ainsi que de nombreux gisements de déchets agricoles et forestiers disponibles en zones rurales peuvent alimenter une centrale électrique à vapeur utilisant de la matière végétale. C’est dans cette optique que le Cirad en collaboration avec des chercheurs malgaches et d’autres partenaires locaux (Fofifa2, Ader et ONG Partage) investit ce projet qui vise six chefs-lieux de communes rurales pilotes dans 4 régions (Alaotra Mangoro, Boeny, Anosy, Haute Matsiatra). Le financement est assuré par Ader, l’UE, Usaid et le Cirad. C’est une action où les problèmes environnementaux associés aux problèmes énergétiques ont orienté une recherche pour mieux répondre aussi bien aux soucis environnementaux globaux qu’à des besoins de recherche locaux.
25La seconde option intervient sur l’agriculture en modifiant de manière drastique les pratiques culturales afin de limiter les émissions tout en assurant une bonne productivité des sols : c’est l’objectif de l’agriculture de conservation que nous avons évoqué. Par ailleurs, des écosystèmes, en particulier les forêts, assurent la fonction de puits de carbone et absorbent le carbone de l’atmosphère.
À propos des biocarburants
26La production de biocarburants est une perspective alternative aux sources d’énergie fossile. Elle implique des options qui n’ont encore pas été suffisamment évaluées. À l’échelle mondiale, la production des biocarburants de la première génération à partir de cultures agricoles a rapidement pris de l’essor, soutenue par des politiques de gouvernements. Actuellement, ces carburants s’avèrent rarement concurrentiels avec ceux à base de pétrole sur le plan économique. De plus, leur développement se traduit par une disparition de forêts par défrichements et une occupation de terres qui jusque là assuraient une production vivrière ou constituaient des réserves foncières. Le débat porte sur les effets de cette orientation de l’utilisation du sol, à savoir une réduction des cultures destinées à l’alimentation des hommes et une augmentation des prix de denrées de base telles que le maïs et la canne à sucre qui seraient utilisées comme biocarburants. Quel que soit le type de biocarburants de la prochaine génération, il ne faut pas perdre de vue que leur production suppose une extension des terres allouées à l’agriculture, donc une pression sur les forêts vierges et un appauvrissement de la biodiversité.
27D’autres arguments mettent en avant le fait que la production de biocarburants permet de procurer des ressources supplémentaires aux agriculteurs et crée des emplois dans le secteur de la transformation des matières premières en carburants. Tout en soutenant le marché de l’emploi local, produire du carburant sur le sol national réduit les sorties de devises destinées à importer les carburants fossiles. Cependant, à l’échelle globale, les biocarburants ne peuvent pas être considérés comme une solution à long terme. En effet, en plus de nouveaux problèmes écologiques qui peuvent apparaître, il a été estimé sur la base des consommations de 2004, la nécessité de superficies couvrant six fois la surface terrestre pour remplacer tous les carburants fossiles par des biocarburants3. Par ailleurs, l’efficacité des biocarburants fait encore l’objet de controverses. Aux dires de nombreux experts, leur combustion rejette moins de CO2 que celle des carburants à base de pétrole, ces derniers libérant du carbone enseveli profondément dans le sol depuis des centaines de milliers d’années : les biocarburants émettent seulement le carbone que les plantes ont absorbé au cours de leur croissance. Le bilan serait ainsi nul. D’autres chercheurs pensent cependant que l’émission de carbone par les biocarburants est supérieure à la consommation car d’autres facteurs ne sont pas pris en compte ou sont négligées.
Le Programme sectoriel agricole (PSA)
28En matière de développement rural, un Programme sectoriel vise à moderniser l’agriculture malgache en intégrant dans ses objectifs globaux les thèmes attendus de sécurité alimentaire ou encore d’amélioration des revenus des producteurs, mais aussi des perspectives environnementalistes à l’endroit des générations futures, auxquelles il faut léguer un « capital fructueux eau-sol-biodiversité ». La conduite de ce programme a amené le ministère de l’Agriculture à solliciter les compétences des chercheurs impliqués dans le monde rural à travers différents thèmes : programme de recherches variétales tenant compte des nécessités du développement de la production et des besoins de l’adaptation au changement climatique, y compris les biocarburants ; mise au point de nouvelles formules de fertilisation et de mobilisation des éléments minéraux du sol ; diffusion des résultats de recherche notamment par le canal du conseil aux agriculteurs et de la formation de techniciens et ingénieurs ; dialogue avec les chercheurs sur les problèmes ressentis par les exploitants et constituant des entraves à la productivité.
29L’engagement de la recherche publique est allé jusqu’au point où le Fofifa a été rattaché au ministère chargé de l’Agriculture en 2008. Le changement a été accompagné de réformes quant à la structure et aux missions du Fofifa, ainsi que d’un financement additionnel de la Banque mondiale permettant d’actualiser le plan directeur de l’institution en vue d’assurer le soutien à ce projet de développement rural et de contribuer efficacement à l’atteinte des objectifs fixés par le PSA. Le Fofifa participe ainsi à la définition des programmes et se tient informé, et fait bénéficier les acteurs du monde rural des résultats obtenus par ses équipes de recherche.
30Considérer ainsi la recherche agricole comme une des pierres angulaires du développement rural apparaît comme une certaine révolution. Il s’agit en tout cas d’une vraie appropriation de la recherche qui indubitablement encourage les chercheurs et valorise leur activité.
Conclusion
31En conclusion, on peut affirmer que pour les pays du Sud, le financement de la recherche est grandement tributaire des institutions internationales ou régionales. Une très faible latitude leur est accordée pour convaincre leurs partenaires techniques et financiers de la pertinence de leurs projets de recherche, quand bien même ils seraient en dehors des priorités et des agendas de ces partenaires.
32Pour Madagascar, l’absence d’une politique nationale de la recherche, toujours en phase d’élaboration, marque encore plus la situation. En l’absence de financement pérenne, l’acteur malgache vit une situation où les orientations de la recherche nationale sont « suggérées » par les institutions internationales et leurs moyens. Les projets financés sont généralement « globaux », à l’exemple de ce qui est développé autour du thème du changement climatique, ce qui, il faut le reconnaître, a tissé des réseaux internationaux ou régionaux de scientifiques travaillant sur des grands thèmes d’intérêt global. La mise en place d’un Fonds national de la recherche permettrait de conduire des projets répondant à des besoins de recherche nationaux, mais qui n’auraient pas trouvé de financements du côté des partenaires conventionnels. Cette politique nationale de la recherche définira également les différents acteurs et leurs attributions respectives.
33Le défi majeur pour la recherche malgache est de montrer ce en quoi elle est utile pour la société. Le devenir de la recherche en général et de la recherche agricole en particulier est à ce prix. Sans un rôle majeur de l’État dans le financement de la recherche, la souveraineté nationale est en cause. La conception du Programme sectoriel agricole montre cependant un début d’appropriation de la recherche agricole et rurale. Est-ce un signe précurseur ?
Bibliographie
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Randimbimahenina A., 2010 – « Organisation de la recherche malgache ». In Feller C. et Sandron E (éd.) : Parcours de recherche à Madagascar : l’Orstom-IRD et ses partenaires, IRD Éditions : 33-44.
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Références web
http://mobile.france24.com/fr/20081211-ban-ki-moon-new-deal-ecologique-onu-poznan
(Ban Ki-moon veut un « New Deal écologique », 2009)
http://www.mediaterre.org/international/actu,20080515150033.html
(CDD-16 : Ban Ki-Moon prône une nouvelle « révolution verte », 2008)
http://www.cirad.mg/fr/anx/gsdm.php
(Groupement semis direct Madagascar, Agro-écologie)
Notes de bas de page
1 Plaidoyer du Dr Shivaji Pandey, expert de la FAO.
2 Centre national de recherche relevant du ministère de lEnseignement supérieur et de la Recherche scientifique.
3 Ce constat global peut être contredit par les réalités des pays, suivant les niveaux de consommation nationale. Ainsi pour Madagascar dont la consommation en pétrole est estimée à 12 000 barils par jour, la production nécessaire pour obtenir l'équivalent en biocarburants nécessiterait théoriquement seulement 4 000 km2 de culture de jatropha, soit moins de 1 % de la superficie totale de l'île.
Auteur
dgra@fofifa.mg ;lalarazafi@yahoo.com
est pédologue. Il a assumé plusieurs hautes fonctions dans la gestion de la recherche scientifique à Madagascar. Il est actuellement directeur général du Fofifa, le Centre national de recherches appliquées au développement rural, et enseigne à la faculté des sciences d’Antananarivo. Ses recherches portent essentiellement sur l’amélioration, la conservation, la gestion durable des sols et la valorisation des ressources fertilisantes locales. Aimé L. Razafinjara est membre de l’Académie malgache.
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