Chapitre 2. Économie politique internationale et conservation
p. 73-98
Texte intégral
Introduction1
1L’influence étrangère dans la genèse et l’évolution des politiques environnementales dans les pays du Sud fait l’objet d’un intérêt récent et croissant dans la littérature. À un premier niveau, on peut évidemment mentionner l’influence des politiques d’ajustement structurel, des cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté, etc. autant de dispositifs internationaux imposés par l’occident via la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) (Hugon, 2001). Ces dispositifs conditionnent en grande partie l’orientation des politiques publiques dans leur ensemble, ce qui inclut les politiques environnementales. On peut illustrer cette particularité par l’élaboration du Document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP) en 2003 et de son corollaire national, le Madagascar Action Plan (MAP) qui a considérablement influencé la politique environnementale malgache.
2Cependant, la perspective historique et institutionnelle retenue par de nombreux chercheurs aujourd’hui permet de montrer que l’influence étrangère s’exprime également de manière plus diffuse, plus complexe, plus réticulaire. Il n’y a donc pas un modèle d’influence (du Nord vers le Sud via les conditionnalités d’aide au développement), mais un complexe de relations internationales dont les évolutions traduisent non seulement l’existence (et parfois la confrontation) de politiques étrangères des États-nations mais aussi tout un ensemble de sphères étrangères d’influence (foreign spheres of influence, Wijen et al., 2005). Elles s’expriment bien sûr lors des sommets internationaux (Rio en 1992, Johannesbourg en 2002, Durban en 2003...) ou des conférences de suivi de conventions (Kyoto en 1997, Bali en 2007, Copenhague en 2009...) ; mais il ne s’agit là que de marqueurs politiques, traduisant des évolutions plus continues, des débats et des controverses plus permanents, des changements de paradigmes, de régimes, de référentiels... Cette tendance est d’ailleurs fortement marquée par la globalisation écologique (dont la question du changement climatique en est une parfaite illustration), la mondialisation économique (investissements directs à l’étranger, montée en puissance des pays émergents, fusions acquisitions des grands groupes internationaux, etc.) et les nouvelles technologies de l’information (l’internet permettant la compensation carbone, l’utilisation des Systèmes d’information géographique (SIG) dans la médiatisation de la déforestation et du changement climatique, etc.).
3La thèse que nous soutenons ici est que la genèse et les évolutions de la politique environnementale malgache ne peuvent être comprises indépendamment de l’analyse de ces enjeux internationaux (arènes globales), ce qui nécessite d’adopter un cadre d’analyse issu de l’économie politique internationale. En effet, l’analyse économique des politiques environnementales dans les pays sous aide internationale ne peut se limiter à un seul examen de leurs coûts et leurs avantages, tel que le ferait l’économie publique par exemple. Les éléments de contexte évoqués ci-dessus et la perspective historique retenue invitent à élargir le prisme de l’analyse en tenant compte de la dimension géopolitique. L’économie politique internationale, telle que décrite par C. Chavagneux (2004 : 5) par exemple, permet de rendre compte de la « nature, le fonctionnement et la dynamique d’une économie mondialisée où l’espace de la décision politique reste fragmenté, c’est-à-dire où il y a plusieurs États et des acteurs politiques internationaux autres que les États ».
4Comment les acteurs internationaux, États-nations, organisations onusiennes, Organisations non gouvernementales (ONG), Firmes multinationales (FMN), etc. – et au-delà des institutions, les élites dont elles sont issues – sont-ils à l’origine de la politique environnementale malgache et la façonnent encore aujourd’hui à travers la montée en puissance des Paiements pour services environnementaux ? L’article est structuré en deux parties qui correspondent de fait à deux périodes : 1990-2002/2003 pour la première, depuis 2003 pour la seconde. Ce découpage se justifie par la percée, à partir du milieu de la décennie 2000, d’acteurs non étatiques dans les orientations de la politique environnementale malgache. La première partie se concentre sur le poids des bailleurs de fonds représentant l’influence des États-nations, alors que la seconde insiste sur les dynamiques internationales en réseau autour de la promotion des paiements pour services environnementaux par des acteurs de plus en plus influents (ONG, scientifiques, FMN...).
La politique environnementale malgache sous influence : le poids des bailleurs de fonds
5La politique environnementale malgache a été, depuis sa conception à la fin des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, fortement marquée par l’action des bailleurs de fonds, aux premiers rangs desquels la Banque mondiale et les États-Unis. Cette influence s’est exprimée aussi bien au niveau de sa genèse au début des années 1990 qu’à travers son financement et en termes d’évolution des priorités.
6Même si de nombreuses mesures de conservation de la biodiversité, notamment forestière, ont été prises antérieurement, nous retenons la période 1988-1990 comme le début de la politique environnementale malgache. Cette période correspond à l’élaboration de la Charte pour l’environnement instaurant la politique environnementale malgache structurée autour du concept de Plan national d’actions environnementales (PNAE). De même, par « acteurs », nous visons essentiellement les institutions, voire parfois les personnes clés, qui ont eu une capacité à orienter ces politiques. En l’absence de mouvements sociaux intervenant à l’échelle nationale, comme on peut le trouver en Amérique latine, les acteurs issus de la société civile ne sont pas directement concernés dans ce texte. Agissant plus à des échelons locaux, ils interviennent davantage dans la mise en œuvre locale des politiques publiques, aspect non abordé ici bien que central dans une analyse plus territoriale... et abordé par ailleurs (Méral et Raharinirina, 2006).
La planification environnementale (1990-2005) ou l’expression du référentiel de développement durable
7La planification environnementale malgache, qui sous-tend la politique environnementale depuis 1990, est une expression manifeste de l’influence internationale. Ce concept de planification comme cadre des politiques environnementales a émergé au niveau international à partir de la fin des années 1980 dans la lignée du rapport Brundtland, et trouvé sa traduction politique à travers la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Cnued) en 1992. Celle-ci a mis en évidence par le biais des conventions internationales et de l’agenda 21, l’importance de la coopération entre acteurs, notamment entre États. Pour atteindre cet objectif, les outils mis en avant portent essentiellement sur la collecte, l’échange d’informations (technologiques, scientifiques, environnementales...) et la détermination de stratégies nationales ou de planification nationale (Andriamahefazafy et al., 2007).
8L’émergence simultanée de cet outil de planification environnementale dans de nombreux pays, qu’ils soient développés (comme la France avec son Plan national pour l’environnement en 1990 ou le Canada avec le Canadian Green Plan également en 1990) ou en développement, traduit bien l’influence de la globalisation écologique et des régulations internationales sur l’élaboration des politiques nationales. Par exemple, entre 1990 et 1996, nous avons identifié 38 plans mis en œuvre dans les pays africains (Afrique subsaharienne et océan Indien). Cette période se divise en 3 phases : une période que nous qualifions de pionnière (19891990) durant laquelle sont élaborés les plans de Madagascar, du Lesotho, de Maurice et du Botswana ; une période intermédiaire (1991-1993) avec 9 nouveaux plans et une période de masse (1994-1996) avec 25 autres plans (Andriamahefazafy et Méral, 2004).
9Madagascar apparaît comme pays pionnier dans la mise en œuvre de cette planification, en raison notamment des bonnes relations entre la Banque mondiale et le nouvel État malgache de l’époque2.
10Notons enfin que cette tendance à la planification environnementale est également le résultat d’une remise en cause des pratiques d’aide durant les années 1980. Durant cette période, de nombreuses critiques concernant l’efficacité de l’aide au développement ont été émises. J.-J. Gabas (2000, 2002) les regroupe en plusieurs points : (1) les limites de l’approche projet ; (2) l’absence de participation des populations bénéficiaires à la conception des projets ; (3) l’absence d’appropriation des projets de développement par les populations ou les gouvernements ; (4) l’absence de coordination des actions entre les bailleurs menant notamment aux soutiens de politiques antinomiques et enfin (5) la faiblesse des évaluations et leur non intégration dans le processus de décision des États comme dans celui des bailleurs de fonds.
11La philosophie des plans environnementaux reposait, d’une part, sur la volonté de regrouper ou de mieux structurer les interventions des bailleurs de fonds que ce soit les agences bilatérales, multilatérales ou encore les grandes ONG internationales d’environnement et d’autre part, sur l’implication des pays bénéficiaires dans les différentes phases de préparation et de mise en œuvre des plans.
12Le PNAE (ou PAE dans le langage courant à Madagascar) est le résultat de cette tendance internationale. Cela explique en grande partie le découpage du plan en trois phases de cinq ans, l’insistance avec laquelle la coordination de l’action des bailleurs de fonds est mise en avant et la volonté (parfois vaine) de rendre « appropriables », par les acteurs locaux, les choix et orientations politiques en matière de développement durable (Andriamahefazafy et al., 2007).
Une analyse par les flux d’aide
13Une illustration complémentaire de l’influence des bailleurs de fonds peut être menée par l’analyse des aides financières accordées dans le cadre de la politique environnementale. En effet, le financement de la politique environnementale malgache traduit la présence forte des bailleurs de fonds et leur philosophie d’intervention.
14Par exemple, nous avons recouru à une base de données permettant de recenser précisément engagements financiers et choix géographiques opérés par ces bailleurs (Andriamahefazafy et Méral, 2004). Les résultats soulignent (fig. 1) que les financements relevant stricto sensu de l’environnement émanent des États-Unis (32 %) et de la Banque mondiale (20 %) : ces deux institutions financent pour moitié la politique environnementale malgache.
15Le constat diffère dès que l’on élargit le prisme à d’autres thèmes tels que la promotion des filières et le développement rural. D’autres bailleurs de fonds, comme la France ou l’Union européenne prédominent, traduisant par là même des différences de priorités (tabl. 1).
16Par ailleurs, l’ancrage territorial des bailleurs de fonds est également une caractéristique de la politique environnementale malgache. Ainsi, les régions d’intervention de la Suisse n’ont pas évolué entre 1986 et 2004, quel que soit le thème : environnement, filières et développement rural. Seule une modification de la répartition des flux à l’intérieur des régions d’intervention peut être observée dans le temps. Le cas de l’Allemagne est également intéressant puisque 65 % des financements octroyés par ce pays entre 1983 et 2002 ont appuyé seulement trois projets spécifiques (le projet rizicole Betsiboka [1983-2001] ; la promotion de l’entraide dans le domaine du développement rural intégré de Port Bergé [1983-2002] et un projet de développement forestier intégré dans le Vakinankaratra [1989-2003]). Le cas de la France est plus compliqué dans la mesure où ce pays a financé près de 80 projets (contre 16 pour l’Allemagne) sur la période 1977-2002. On note toutefois que comme pour l’Allemagne, la France est présente dans certaines régions, comme dans le lac Aloatra depuis 1980, dans certaines filières comme le riz ou le coton et plus récemment la crevette et enfin sur certains thèmes comme les petits périmètres irrigués depuis 1981 ou par les techniques agro-écologiques plus récemment.
17Les États-Unis constituent le bailleur bilatéral qui a le plus modifié ses actions en cohérence avec le PNAE. Ainsi, avant le PNAE, les États-Unis sont intervenus dans le secteur rizicole et la promotion des réserves naturelles, notamment la réserve Man And Biosphere (MAB) de Masoala. Dès la mise en œuvre des différentes phases du plan, l’United States Agency for International Development (Usaid) va systématiquement créer de grands programmes, financés pour certains à hauteur de 40 millions de dollars. Ces programmes seront en phase avec les objectifs du PNAE : appui institutionnel, formation, éducation et recherche dans un premier temps avec les programmes Sustainable Approaches to Viable Environmental Management (Savem) et Knowledge of Effective Policy in Environmental Management (Kepem) puis des programmes plus spécifiques, notamment sur la valorisation économique au sein des parcs naturels (Miray et LDI3).
18Le poids des États-Unis dans la conduite de la politique environnementale est également renforcé par le désengagement de la France. Alors qu’auparavant, la coopération française avait appuyé les institutions malgaches, notamment par l’assistance technique : appui à la cellule Gestion locale sécurisée (Gelose) au sein de l’Office national pour l’environnement (ONE), appui au ministère de l’Environnement à travers le Fonds de solidarité prioritaire gestion décentralisée des ressources naturelles (FSPGDRN), elle limite dorénavant son intervention à un appui plus financier (participation au capital de la Fondation pour la biodiversité, cf. ci-dessous) et plus ponctuel (appuis à Fanamby, à « L’homme et l’environnement »...) à travers l’Agence française de développement (AFD) et le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM).
Une analyse par les normes internationales
19L’influence des bailleurs de fonds s’exprime enfin à travers les thématiques mises en avant dans la politique environnementale malgache. Comme nous l’avons montré précédemment, dans un premier temps, entre 1990 et 2003, la politique environnementale s’est inscrite dans le référentiel général du développement durable tel que défini dans le rapport Brundtland. L’idée était de promouvoir, outre le renforcement institutionnel (administratif, scientifique, juridique...) à travers de nombreuses initiatives (création de l’ONE, de l’Association nationale pour la gestion des aires protégées – Angap, décret Mecie, loi Gelose...), la mise en place de dispositifs de gestion de l’environnement mettant en avant l’idée d’une coévolution durable entre les communautés locales et leur territoire. Pour les bailleurs de fonds, le thème du développement durable redéfinit le paradigme de la conservation en mettant l’accent (1) sur les stratégies doublement gagnantes (à la fois lutte contre la pauvreté et conservation de la biodiversité) à travers la valorisation économique de la biodiversité, concept émergeant également en 1990, (2) sur la dévolution de la gestion de l’environnement et des ressources naturelles et (3) sur la planification locale (Chaboud et al., 2009). C’est finalement le principe de subsidiarité dans les processus de prise de décision qui est recherché pour faire face aux manquements de la gestion étatique. Cette politique de gestion communautaire qui se développe dans de très nombreux pays connaît ainsi une application forte à Madagascar. La spécificité de cette gestion communautaire fortement poussée par la France, l’Allemagne et la Suisse est d’associer gestion patrimoniale et sécurisation foncière ce qui la différencie de nombreux autres dispositifs de gestion communautaire, notamment forestière.
20Cette politique est renforcée par la mise en œuvre de processus de planification régionale. L’objectif vise le développement de démarches bottom-up, c’est-à-dire une meilleure implication des populations locales dans la gestion durable de l’environnement en abordant la problématique sous forme de planification participative et d’élaboration par les parties prenantes des priorités de développement local. Il s’agit d’aborder la gestion durable à travers un ensemble d’initiatives qui dépassent le simple cadre de la gestion environnementale stricto sensu. L’accent est donc mis sur les processus davantage que sur les résultats immédiats. L’activité de l’ONE durant le PE2 s’est fortement inspirée de cette philosophie d’intervention ; qu’il s’agisse de la cellule Environnement marin côtier (EMC), de celle de l’Appui à la gestion régionalisée et à l’approche spatiale (Ageras) et bien sûr de celle de la Gelose, le fer de lance de ce PE2 (tout au moins jusqu’au changement de régime politique Ratsiraka/Ravalomanana de 2002). Les bailleurs de fonds français, allemand et suisse ont ainsi largement porté l’esprit « gestion durable » durant cette période ; soit en finançant directement une assistance technique dans l’organigramme de l’administration environnementale, soit (et de manière non exclusive) en promouvant ces initiatives dans le cadre de leurs projets de terrain. Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a également pris part au financement de ces activités. La Banque mondiale, l’Usaid et les ONG de conservation ont également suivi cette tendance ; probablement plus en suiveurs d’une tendance nationale et internationale qu’en fervents promoteurs...
21Le changement de président, suite aux élections présidentielles de décembre 2001, a eu pour conséquence de confirmer une évolution qui se dessine parallèlement au niveau international. Nos travaux montrent ainsi que la phase de transition entre la fin du PE2 et le début du PE3 est particulièrement longue et confuse (Andriamahefazafy et al., 2007 ; Chaboud et al., 2009 ; Froger et Méral, 2009). Les événements politiques conduisent la Banque mondiale, principal acteur du PAE, à ralentir le processus en attendant les nouvelles garanties politiques et macro-économiques nécessaires à la poursuite de son soutien dans les pays où elle intervient. De même, les changements politiques impliquent une redistribution des postes au niveau de l’administration ralentissant la réalisation des activités. Durant cette période, le PAE apparaît alors en retrait, compte tenu non seulement de ces éléments mais également de l’importance des financements accordés qui ne seront octroyés qu’en décembre 2003. À l’inverse, les financements bilatéraux et les projets des ONG, plus réactifs, sont renouvelés sur les sites habituels dès le deuxième semestre 2002. Durant cette période, la fonction coordinatrice du PAE s’estompe, laissant l’impression d’une mosaïque de projets4.
22Parallèlement, les ONG conservationnistes, regroupées au sein du groupe Vision Durban, mettent en avant le concept de site de conservation. L’idée générale est que la nomenclature actuelle des aires protégées malgaches (réserves naturelles intégrales, réserves spéciales, parcs nationaux) n’est pas conforme aux standards internationaux définis par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Les sites de conservation sont alors censés faciliter la correspondance entre le système malgache actuel et les six catégories d’aires protégées de l’UICN.
23Cette nouvelle orientation prend une forme également politique dans la mesure où durant le Ve Congrès mondial sur les parcs à Durban, le président de la République malgache décide de porter à six millions d’hectares la surface des aires protégées à Madagascar (au lieu de 1,7 million d’hectares jusqu’alors) correspondant à 10 % de la superficie de Madagascar.
24Cette période de transition est également l’occasion d’élaborer un vaste chantier permettant de mieux définir la relation entre financement durable et conservation. L’idée est de montrer que la conservation des écosystèmes forestiers induit des coûts d’opportunité pour les populations locales alors même que cette conservation permet de maintenir le bien public mondial. Il est donc nécessaire pour ces dernières de bénéficier de mesures compensatoires pour que les bénéfices privés (après compensation) soient supérieurs aux coûts privés. L’administration malgache n’est jusqu’alors pas très sensibilisée à ce genre de démarches, alors que localement certaines ONG amorcent déjà les premiers contrats de conservation (Durbin et al., 2001). L’évaluation économique, réalisée par la Banque mondiale au premier trimestre 2003, montrant que la conservation des forêts malgaches par les aires protégées est bénéfique, apparaît comme un signe annonciateur d’une orientation forte du financement de la conservation (Carret et Loyer, 2003).
25La conjonction de ces facteurs (Déclaration présidentielle, refonte du système des aires protégées, évocation des bénéfices nets issus de la conservation) modifie considérablement l’orientation du PE3. Les rapports étroits entre l’administration environnementale et l’Usaid, associés au désengagement progressif du soutien institutionnel connu lors du PE1, contribuent à façonner de manière inédite la politique environnementale malgache. Le mode de gouvernance très top-down du nouveau pouvoir en place finit de reléguer les espoirs placés dans les démarches bottom-up du PE2, au rang de mesures d’accompagnement des nouvelles aires protégées définies par les ONG.
26Finalement, cette lecture de la politique environnementale malgache par l’influence des bailleurs de fonds et derrière eux par les États-nations qu’ils représentent, paraît convaincante. Elle met en avant autant leur influence dans la genèse du PNAE que dans son fonctionnement et les évolutions thématiques. Elle montre l’importance de la Banque mondiale et des États-Unis (à travers l’Usaid) dans le financement de cette politique. En même temps, elle confirme la permanence de l’intervention des bailleurs dans leurs zones d’intervention géographique, ainsi que le poids des idées et des concepts véhiculés par la sphère internationale.
27Même si cette grille de lecture apparaît pertinente encore aujourd’hui, une grille de lecture plus élargie s’impose pour comprendre l’influence étrangère dans la conduite de la politique environnementale et notamment dans son financement. En effet l’évolution que nous venons d’esquisser de cette politique depuis 2002, traduit l’influence d’autres acteurs que les seuls bailleurs de fonds, qu’ils s’agissent des ONG de conservation ou des scientifiques/experts.
Globalisation écologique et financiarisation de la politique environnementale : le poids croissant des acteurs non étatiques
28L’évolution actuelle de la politique environnementale malgache mérite une attention toute particulière dans la mesure où elle s’inscrit dans un cadre global nouveau. Celui-ci trouve sa cohérence dans deux registres de justification : les problématiques globales et leur corollaire, l’approche par les Services environnementaux (SE5) mise en agenda politique par le Millennium Ecosystem Assessment (MEA), et le financement de la conservation. Plusieurs conséquences sont à noter : la montée en puissance des acteurs privés et des ONG, la financiarisation de la politique environnementale et le développement de réseaux internationaux, ce qui conduit au bout du compte à une transnationalisation et à une fragmentation de la politique environnementale avec le risque d’une politique à deux vitesses.
Globalisation écologique et services environnementaux
29L’implication des autres acteurs que les États-nations dans la conduite des politiques environnementales n’est pas un phénomène vraiment nouveau. Le paradigme du développement durable institutionnalisé depuis 1987 avec le rapport Brundtland puis par la Conférence de Rio constitue sans aucun doute la première entrée de la « société civile » dans les arènes globales de la problématique environnementale6. Ce qui apparaît nouveau aujourd’hui sont les conséquences sur les politiques environnementales nationales, notamment des pays hot spot comme le Costa Rica, Madagascar, etc., d’un changement de paradigme qui met davantage en avant le caractère global des menaces environnementales. Il ne s’agit plus tant de rechercher une coexistence d’objectifs « environnementaux », « sociaux » et « économiques », mais de montrer l’interdépendance des pays et des problématiques autour du changement climatique et plus largement de la perte de la biodiversité. La conservation des forêts à Madagascar est tout autant un problème pour Madagascar que pour le reste de la planète ; argument relativement nouveau en termes politiques et qui entre en résonance avec la problématique sur les biens publics mondiaux et les modalités de gouvernance qui y sont associés.
30Pour être plus précis, il importe de préciser l’origine de cette tendance nouvelle. On peut l’identifier à partir du MEA d’une part et du financement de la conservation, d’autre part.
31La genèse du MEA relève d’un processus institutionnel porté par plusieurs acteurs, dont le Pnud, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), la Banque mondiale, le World Resources Institute (WRI) et l’International Institute for Environment and Development (IIED)7. Il s’agit donc d’une initiative institutionnelle mais aussi scientifique dont l’objectif est de fournir une évaluation globale des menaces pesant sur les écosystèmes à l’échelle globale, à l’image de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) pour le changement climatique. L’idée de ce MEA s’inscrit dans la lignée des évaluations réalisées par le WRI et l’IIED depuis 1986 en conférant à ces travaux une dimension plus politique et médiatique. Ainsi, à la mi-2000, paraît une première version du rapport du WRI 2000-2001, People and Ecosystems : The Fraying Web of Life, qui permet au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan de lancer officiellement le MEA. Il en fait une des cinq plus importantes initiatives pour « soutenir le futur » (Millennium Report to the United Nations General Assembly), lors de l’assemblée pour le Millénaire. Lancé officiellement en février 2001, le MEA va bénéficier de soutiens financiers importants gouvernementaux mais aussi de fondations (Packard, Rockefeller...). Près de 1 500 scientifiques vont contribuer à l’évaluation donnant Heu à un rapport de synthèse en 2005 (MEA, 2005) suivi de plusieurs rapports thématiques en 2005 et 2006.
32Si la genèse et l’évolution de cette dynamique institutionnelle dénotent à la fois le caractère globalisant de l’approche par les SE et la constitution d’un forum d’échanges entre scientifiques et politiques, créant ainsi par voie de conséquence une légitimité scientifique à toute politique de conservation des écosystèmes, il faut pour être complet adosser à cette analyse celle relative à la « mise en paiements » de ces SE.
33L’origine de la rhétorique des paiements pour les services rendus par la nature se confond en fait avec le programme de recherche des économistes de l’environnement néo-classiques. L’idée de départ est que les pertes en biodiversité sont liées à une sous-estimation de leur valeur économique, à une absence de droits de propriété claire et à l’absence de mécanisme d’internalisation de ces externalités négatives. L’évaluation monétaire des écosystèmes doit permettre d’attirer l’attention des décideurs publics sur les bénéfices et les coûts pour la société d’une mauvaise gestion de l’environnement ce qui doit les conduire à mettre en place un système de compensation (subventions, taxes...) dont l’efficacité va dépendre de la structure des droits de propriété. La théorie économique montre alors que sous certaines conditions (très restrictives), il est préférable de privilégier le marché et les droits de propriété individuels pour s’assurer de la compensation entre acteurs.
34Il faut atteindre la fin des années 1990 également pour voir se développer une littérature sur ces questions. Jusqu’alors, les travaux portaient sur l’évaluation monétaire (dans un esprit de type Analyse coûts/bénéfices), voire dans de rares cas sur des expérimentations de paiements de sites pilotes précis : on doit à N. Landell-Mills et T. Porras (2002), chercheurs de l’IIED, le premier ouvrage de synthèse sur les marchés des SE. Celui-ci amorce une longue série de publications à usage des praticiens dont les économistes de la Banque mondiale seront les principaux animateurs (Pagiola et al., 2002 ; Bishop et al., 2002 ; Pagiola et al., 2005, etc.). Ces travaux sont relayés par de nombreux réseaux naissants tels que Conservation Finance Alliance, Katoomba group ou encore Ecosystem Market Place et dont l’objectif est la mise en relation des acteurs de la conservation avec les sources de financement international (acteurs privés, mécanismes financiers...). Ils trouvent une résonance toute particulière lors de la préparation du Ve congrès mondial sur les parcs (UICN) à Durban à l’automne 2003 ; le fil conducteur en était d’alerter sur les problèmes de financement des parcs, notamment dans les pays en développement.
35Au final, c’est la conjonction des deux dynamiques, toutes deux articulant chercheurs et politiques, qui va consacrer l’expression des paiements pour services environnementaux.
Les Paiements pour services environnementaux : nouvel avatar à Madagascar
36L’approche par les services environnementaux va avoir une influence directe sur la politique de la conservation dans les pays hot spot avec le développement des Paiements pour services environnementaux (PSE). Madagascar n’échappe pas à la règle même si, contrairement au concept de PNAE, il n’apparaît pas en pointe dans ce domaine.
37Les PSE constituent un outil visant à faire payer les bénéficiaires des SE pour rétribuer les fournisseurs de SE. Il s’agit d’un outil décentralisé de type marchand qui permet de mettre en relation des acteurs économiques privés tels que les entreprises ou publics tels que les municipalités, les entreprises d’État... On recense depuis les travaux de N. Landell-Mills et T. Porras (2002) quatre types de PSE : les paiements pour services hydrologiques, les paiements pour services liés au carbone, les paiements pour la biodiversité et les paiements pour la beauté scénique. On y associe souvent un cinquième qui correspond aux services couplés (bunded services). En réalité, seuls les deux premiers connaissent un développement à Madagascar, les trois autres étant directement dans la continuité des politiques précédentes (bioprospection pour les PSE biodiversité ; écotourisme – dont concessions touristiques – et droits d’entrée dans les parcs pour les PSE beauté scénique et pour les PSE mixtes).
38Les PSE carbone connaissent un engouement directement lié à la problématique du changement climatique et des enjeux post-Kyoto. Il s’agit essentiellement de l’intégration de la déforestation évitée dans l’agenda du règlement international de lutte contre le réchauffement climatique (convention sur le climat et son protocole dit de Kyoto) dans le cadre duquel des initiatives de nature privée (dites du marché volontaire) permettent le paiement pour la conservation des forêts malgaches.
39On dénote plusieurs projets d’envergure portés par les ONG Conservation International (CI), World Conservation Society (WCS) et World Wide Fund for Nature (WWF) pour des superficies importantes de l’ordre de 300 000 à 500 000 hectares (tabl. 2). Pour le moment, seul WCS a vendu pour 597 000 US$ de carbone à Makira (sur la période 2008-2010). Mais un des enjeux actuels est de vendre le carbone sur un horizon de 30 ans. CI, par exemple, espère dans son projet REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) CAZ (Corridor Ankeniheny Zahamena) vendre 10 millions de tonnes de CO2 en 30 ans. WCS, toujours dans son projet Makira, estime ce volume à 9,1 tonnes jusqu’en 2033. Les PSE hydro sont, quant à eux, encore à l’état exploratoire. Ils connaissent cependant un engouement certain en raison, d’une part, de l’importance de ce type de PSE dans d’autres pays comme le Costa Rica et l’Équateur et, d’autre part, du fait de l’hypothèse château d’eau des forêts de l’Est (Toillier, 2009).
40Il apparaît clairement, même si cela n’est pas encore effectif en raison en grande partie des événements politiques de 2009 et de l’évolution incertaine des négociations sur le changement climatique, que l’essentiel de la politique environnementale se fera sur la base de ces PSE. Le financement par des opérateurs privés apparaît comme une manne pour des bailleurs de fonds dont les montants de l’aide publique au développement se réduisent progressivement et comme une opportunité de financement direct des aires protégées de nombreux acteurs de la conservation, sans passer par l’État et ses services administratifs.
Intermédiation financière des ONG
41La tendance actuelle de recherche de financements extérieurs que nous venons d’évoquer, offre aux ONG la possibilité de jouer un rôle d’intermédiation financière qui s’exprime aujourd’hui de deux manières : une mise en relation avec des FMN dans un processus de Responsabilité sociale et environnementale (RSE) et une mise en relation avec les fondations philanthropiques et les pays donateurs dans le cadre de fonds fiduciaires (trusts funds).
42Dans le premier cas, le développement des PSE Carbone (Makira pour WCS, Mantadia Corridor Forest Carbon Project, Fandriana-Vondrozo Forest Carbon pour CI...) permet la vente de carbone évitée à des entreprises occidentales qui s’inscrivent soit dans une logique de verdissement de leurs activités (carbon offsets, carbon free) soit dans une logique d’anticipation de futures réglementations internationales (ou les deux). L’exemple précurseur de WCS et de Mitsubishi en 2005 en constitue une bonne illustration, l’accord Action carbone – Air France – WWF Madagascar – de 2008 également. Ce type de projets permet de faire parvenir une manne financière directement aux opérateurs de terrain. La question de la part revenant à l’État est évidemment au cœur des discussions et nul doute que si les flux financiers viennent à s’accroître à l’avenir, cette question risque de prendre un caractère politique et (ou) diplomatique significatif.
43Les nouvelles relations unissant les FMN et les ONG de conservation portent également sur des projets d’exploitation des ressources naturelles dans le pays en question. C’est le cas des projets Biodiversity and Business Offset Program (BBOP) qui viennent en complément des compensations obligatoires issues des études d’impacts (décret Mecie). La compensation vise le financement d’actions de conservation ex-situ. Plusieurs expériences de ce type existent de par le monde dont une à Madagascar (projet Ambatovy). Elle concerne l’exploitation minière (nickel et cobalt) d’un consortium de quatre FMN (Sherritt, Sumitomo, Kores et SNC Lavalin) et du projet de conservation associé, à Ankerana.
44Le deuxième cas porte sur les montages complexes que nous avions qualifiés (Méral et al., 2006) « d’outil à triple face » puisqu’il repose sur la création de fondations privées financées par des remises de dette dont l’argent est placé sous forme de fonds fiduciaires.
45La fondation des aires protégées et de la biodiversité (FAPB) en est la principale illustration. Elle a été créée en 2005 sur l’initiative de CI et de WWF. Le principe repose sur la transformation de dettes bilatérales et de soutiens classiques d’aide des bailleurs (Allemagne, France, Banque mondiale...) en un capital placé sur les marchés internationaux, géré par la holding financière JPMorgan Chase and Co. ; seuls les intérêts de ces placements peuvent être utilisés pour le financement de la conservation. La fondation a rapidement capté une bonne partie de l’aide au développement des bailleurs de fonds, son capital étant passé de 5 millions de US$ en 2005 à 34 millions en 2009 (dont seulement 16,6 sont réellement débloqués ; le reste correspondant à des engagements signés mais non encore décaissés).
46Finalement, les ONG internationales, tout comme les bailleurs de fonds bilatéraux d’ailleurs, sont les seuls acteurs ayant un pied auprès des centres de décisions en Europe ou aux États-Unis et un autre dans les pays du Sud dans lesquels elles interviennent, tant au niveau central qu’au niveau local (soit directement, soit par le biais de relais locaux). Elles offrent donc la possibilité aux acteurs du Nord, les FMN bien entendu mais aussi la société civile occidentale dans son ensemble, d’intervenir directement dans les pays du Sud. Cela réduit d’autant l’aléa moral lié à l’incomplétude des contrats par exemple (cas du carbone), ce qui est très recherché par les FMN (acheteurs de carbone). À l’inverse, elles facilitent la remontée des besoins de financement des institutions de conservation du Sud (ceux du Madagascar National Parks par exemple) vers les acteurs du Nord. C’est ce rôle d’intermédiation qui s’accélère et qui leur confère un poids très important dans la conduite des politiques environnementales, comme le mentionnent d’autres auteurs tels que R. Duffy (2006) ou C. Tisdell (2009).
47Notons également qu’à la différence des bailleurs bilatéraux, les ONG ont la particularité de devoir également assurer leur propre survie. Elles dépendent donc des fonds qu’elles mobilisent pour assurer leur propre pérennité. Il s’ensuit non pas forcément une concurrence entre ONG mais des ententes de type oligopolistique.
L’influence des réseaux internationaux
48La financiarisation de la conservation et le rôle conjoint des ONG et des FMN s’appuient sur l’existence de nombreux réseaux internationaux. Au-delà de ceux qui alimentent les réflexions sur l’interface économie/environnement (Ecosystem Valuation, Earth Economics, Earthtrends...) et de ceux à visée plus médiatique (Guardian Environment Network, Business Green.com, Ecoworldly...), on trouve des réseaux directement orientés vers le financement de la conservation : Conservation Finance Alliance, Katoomba group, Ecosystem Market Place, Avoided Deforestation Partners, BBOP Learning Network, Nature Valuation and Financing Network, etc. pratiquement tous nés au milieu des années 2000.
49Leurs objectifs consistent à renforcer, promouvoir et accroître les compétences sur le thème du financement de la conservation et des PSE. Ils visent également à séduire les FMN à investir dans la conservation (dans une optique de type stratégie doublement gagnante très à la mode actuellement).
50L’influence de ces réseaux, notamment celui de Katoomba, est forte à Madagascar. Elle prend la forme d’une première invitation d’une délégation malgache en 2006 lors de la première réunion du réseau Katoomba Afrique du Sud et de l’Est (Cape Town) puis d’une délégation lors de la réunion de Katoomba Afrique en 2008 en Tanzanie. Durant ces rencontres, l’accent est mis sur les échanges d’expériences et la promotion dans les pays qui en sont dépourvus, et d’initiatives pilotes en matière de PSE. WCS, très impliqué dans la promotion des PSE, propose la création d’un Mada PES working group qui verra le jour en 2009 sous l’intitulé « groupe de travail PSE ».
51Alors que, dès la mi-2001, la question du financement durable était évoquée à Antananarivo (Comité de pérennisation financière amorçant la création de la Fondation pour la biodiversité, Symposium international sur le financement durable des aires protégées et autres programmes environnementaux en mai 2001...), il faut attendre la période actuelle pour voir se développer ces outils ; les PSE apparaissant dorénavant comme le nouveau fer de lance des institutions. Dès lors, les réseaux nationaux se multiplient avec la tenue d’ateliers associant experts étrangers et nationaux, bailleurs, administrations et ONG (atelier REDD en septembre 2008 ; table ronde PSE en janvier 2009 ; atelier méthodologique REDD en septembre 2009 ; journées d’échange PSE en octobre 2009...).
52La promotion actuelle des PSE à Madagascar est donc le résultat d’une globalisation de la problématique environnementale (faisant apparaître des acteurs pas forcément nouveaux mais dont l’intensité de leurs relations et l’impact sur la conduite de la politique environnementale constituent une innovation institutionnelle majeure) et d’un déplacement du centre de gravité des décisions de politiques publiques dans ce domaine vers l’extérieur de Madagascar.
Conclusion
53L’évolution de la politique environnementale malgache montre clairement l’influence internationale dont les clés de compréhension se trouvent plus au niveau des réseaux d’acteurs que dans l’action des États-nations pris comme des entités homogènes. La montée en puissance des réseaux d’acteurs partageant les mêmes intérêts relatifs à la mise en paiements des services environnementaux en est une bonne illustration.
54Cela permet notamment d’expliquer le positionnement très précoce de certains pays comme le Costa Rica sur les PSE en raison du partage de valeurs communes (centrées sur l’intérêt des évaluations économiques de l’environnement) entre l’administration costaricienne et les scientifiques anglais et américains, d’un suivi intense par cette administration de l’évolution des conventions internationales et notamment des enjeux naissants autour du carbone à la fin des années 1990, etc. (Legrand et al., 2010). À l’inverse, l’arrivée tardive des PSE à Madagascar est probablement imputable au choix réalisé depuis 1990, à travers le PAE, d’orienter la politique environnementale durant la seconde moitié des années 1990 vers des approches intégrées. On peut donc émettre l’hypothèse que c’est en raison d’une culture commune de la gestion intégrée parmi les acteurs de la politique environnementale malgache que les changements ont été plus longs à se dessiner ; traduisant par là même une certaine forme d’inertie des politiques (Froger et Méral, 2009)8.
55La situation actuelle que connaît Madagascar est donc tout à fait symptomatique d’un pays qui tente d’internaliser de nouvelles normes internationales au nom de la globalisation des menaces environnementales (changement climatique, perte de la biodiversité). La concrétisation de cette évolution à travers les PSE semble se manifester de manière duale.
56D’un côté, une communauté d’acteurs et d’intérêts semble se former autour de la problématique REDD. Elle propose des instruments très innovants, mobilisant des montants financiers importants dans le cadre de la problématique globale du changement climatique. Cette politique n’existait pas à Madagascar il y a encore cinq ans ; elle n’aurait pas existé sans la mobilisation internationale autour de la problématique carbone et elle ne s’appuie sur pratiquement aucun dispositif promu par la politique précédente (1990-2003). Cette politique vise à placer Madagascar comme un pays parmi d’autres, susceptible d’offrir à des acteurs internationaux les services de captation de carbone de ses forêts et de ses sols.
57De l’autre côté, des PSE à des échelles plus locales sont promus. Ils concernent davantage les bassins versants et la problématique hydraulique (même si les combinaisons eau/biodiversité/carbone/beauté scénique sont parfois mises en avant) et s’appuient davantage sur les acteurs nationaux et locaux en collaboration avec des ONG internationales. Ces dispositifs semblent correspondre à une adaptation nationale et locale du concept de PSE, proche alors de ce que S. Wunder (2005) appelle les PSE hybrides (associant paiements en nature et en monnaie, associant PSE et Projets de conservation et de développement intégré).
58Cette politique environnementale duale ou « à deux vitesses » qui semble se dessiner, est probablement renforcée par l’instabilité politique actuelle et son double corollaire, le désengagement diplomatique des États étrangers et l’affaiblissement de l’administration. La montée en puissance des réseaux internationaux au détriment des États nations dans l’élaboration et la conduite de la politique environnementale malgache peut alors être représentée par l’expression des « vases communicants ». Telle est en tout cas, l’explication donnée par de nombreux acteurs, au premier rang desquels les ONG de conservation : les menaces sur la biodiversité malgache sont d’autant plus grandes que l’État est absent et que l’administration est exsangue. Seule une action de conservation d’envergure, pilotée par des acteurs extérieurs aux administrations, est susceptible d’enrayer la surexploitation de la biodiversité.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Recherches réalisées et financées dans le cadre du programme Serena (ANR Systerra) Services environnementaux et usages de l'espace rural (IRD-Cirad-Cemagref). Cf. http://www.serena-anr.org/
2 F. Falloux et L. Talbot (1992 : 31) précisent : « pour situer l'origine des PNAE, il faut remonter au début de 1987 : invité par le World Resource Institute, Barber Conable, alors président de la Banque mondiale, saisissait cette occasion pour mieux expliquer les interventions de son institution dans le domaine de l'environnement. Point important de son discours, il invitait particulièrement les gouvernements des pays en développement à se pencher sur leurs principaux problèmes environnementaux et sur leurs politiques dans ce domaine afin de trouver de nouvelles solutions ; meilleures garantes d'un développement durable (...) Madagascar fut le premier à répondre à l’appel par l’entremise de Léon Rajaobelina, alors ambassadeur malgache aux États-Unis ».
3 LDI : Landscape development initiatives.
4 Ce n'est qu’en juillet 2004 avec la signature de l’accord de don IDA/GEF (International Development Association/Global Environment Facility) que le PE3 est officiellement lancé alors que certains bailleurs ont déjà engagé des projets depuis mai 2003 et ce conformément au cadre logique arrêté fin 2002.
5 Nous parlons ici indistinctement de services environnementaux et de services écosystémiques ; même s'il faut reconnaître qu'une précaution d'usage devrait être nécessaire.
6 On pourra pour s'en convaincre se rappeler de la tenue en décembre 1991 du forum des ONG à la Conférence de Paris, rassemblant quelque 862 ONG pour préparer le Sommet de la Terre.
7 Le WRI est un centre de recherche américain (Washington DC) spécialisé dans les problématiques environnementales globales. L'IIED est un centre de recherche international basé au Royaume-Uni spécialisé dans l'interface environnement/développement. Il s'agit de deux institutions fonctionnant en réseau avec d'autres partenaires (Banque mondiale, ONG...) ce qui leur confère une audience internationale majeure. L'IIED a par exemple été très influente dans la genèse des PNAE et autres stratégies nationales de conservation.
8 Il est ainsi frappant de constater que 1996 est à la fois l'année de promulgation de la loi Gelose à Madagascar et de la loi instaurant les PSE au Costa Rica (loi 7575 du 16 avril) ; deux lois à la fois diamétralement opposées dans leur philosophie et très structurantes pour les politiques environnementales respectives. De même, on peut mettre en parallèle la fondation Tany Meva, créée également en 1996, dont l'objectif a toujours été de privilégier les actions de conservation par le développement plus que par un soutien direct à la conservation et le Fonafifo (Fondo Nacional de Financiamento Forestal), fondation costaricienne créée par la loi forestière de 1996 dans l'objectif de servir d'organisme intermédiation pour les PSE.
Auteur
philippe.meral@ird.fr
est économiste HDR, chercheur à l’IRD (UMR Gred). Ses recherches portent sur l’économie de la conservation de la biodiversité et plus largement sur le développement durable dans les pays en développement, notamment Madagascar où il a vécu entre 2001 et 2005. Il est aujourd’hui en charge d’un programme de recherche sur les services écosystémiques en s’intéressant notamment sur la manière dont ce concept renouvelle les politiques environnementales. Il est l’auteur d’une quinzaine d’articles dans des revues scientifiques et coauteur de quatre ouvrages dont le dernier en date s’intitule Diversité des politiques de développement durable : temporalités et durabilités en conflit à Madagascar, au Mali et au Mexique (Paris, Karthala, 2008).
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