Introduction à la première partie
p. 39-42
Texte intégral
1La fabrique de l’environnement oriente les dispositifs de conservation à mettre en œuvre et fait concevoir des modèles d’action. À qui en appartient l’initiative ? Génère-t-elle une malgachisation des politiques de la nature ? Par quels relais médiatise-t-elle ses actions ? Cette partie présente le champ dans lequel la réflexion se situe, d’où les apports de l’écologie, de l’économie et du droit qui montrent les différentes facettes du travail permanent de reconstruction de l’environnement. Elle expose comment s’élaborent et sont mises en œuvre les normes et pratiques mais aussi les évolutions institutionnelles et juridiques guidant l’usage et la conservation des ressources. Elle donne une vision globale de la conception, de la production et de la reconnaissance des savoirs au cours des trente dernières années. Stéphanie Carrière et Cécile Bidaud s’intéressent directement à cette thématique en menant une analyse à partir de leur propre expérience de recherche à Madagascar. Travaillant plus précisément sur les modèles de conservation qui se sont succédé dans le temps, elles montrent que le corridor malgache illustre « un soi-disant nouveau concept » qui répond d’abord à des objectifs d’extension des aires protégées. Les arguments scientifiques des conservationnistes qui le défendent sont pourtant loin de faire l’unanimité. Les auteurs soutiennent que d’autres objets « naturels » (agro-forêts, forêts secondaires) pourraient être intégrés dans les politiques de conservation alors qu’ils sont occultés par les adeptes de la protection de la forêt. Si l’on peut considérer leur position comme assez radicale, elle ne fait cependant pas l’objet de controverses et mériterait d’être débattue. Philippe Méral est, d’une certaine manière, dans la même posture en distinguant deux régimes de production et de régulation des savoirs au cours d’une même séquence historique. Les politiques environnementales sont définies différemment par les acteurs en fonction de leurs savoirs, des conjonctures et des rapports de force propres à la situation sociale, politique, culturelle et économique du moment. Le passage d’un régime à un autre ne se fait pas par un basculement brutal mais plutôt par une addition et une densification des politiques publiques. Le REDD est une nouvelle étape et une autre configuration dans le régime contemporain actuel. C’est ce que E Méral qualifie d’« effet d’empilement ». La promotion des PSE à Madagascar entraîne d’une part un déplacement des lieux de décision hors de l’île et, d’autre part, la recherche d’un financement durable de la conservation.
2Saholy Rambinintsaotra et Ramarolanto Ratiaray retracent l’histoire des politiques foncières à Madagascar en présentant les différents instruments juridiques ainsi que l’évolution des réglementations. Leur texte met en évidence les conséquences de la réforme foncière de 2005, orientée vers la privatisation des terres avec la fin de la « présomption de domanialité publique ». La notion d’« indéfendable » posée dans le titre questionne clairement la tenure coutumière a contrario défendable, par rapport à une sécurité foncière telle que le coutumier la définit. Dans les faits, la déforestation ne s’explique pas par l’insécurité des droits coutumiers mais au contraire par l’efficacité des mécanismes coutumiers de sécurisation foncière ; ce qui peut paraître paradoxal, et ne l’est pas dans les sociétés lignagères1, la propriété coutumière n’étant évidemment pas individuelle, mais lignagère. D’où l’aspect très déstabilisant de la réforme dite des « guichets fonciers » qui permet à un individu membre de lignage de faire aisément valoir ses droits fonciers individuels (non reconnus par le droit coutumier), ce qui peut le conduire à vendre « sa » parcelle à des tiers. Cette nouvelle possibilité est considérée par la société traditionnelle comme une grave atteinte à la sécurisation foncière. Et ce qui devait potentiellement accroître la sécurité foncière aboutit à un résultat exactement inverse. C’est pourquoi, dans une perspective de développement durable, les auteurs pensent qu’il serait plus adéquat de « respecter les droits des propriétaires coutumiers » car « droit à l’environnement durable et développement durable sont interdépendants ».
3Prenant appui sur l’histoire, ces trois articles posent implicitement la question de l’acceptabilité ou de l’acceptation sociale des politiques environnementales qui sont le plus souvent élaborées à l’insu des populations locales et imposées par des acteurs extérieurs et (ou) privés. Ils interrogent aussi, sans y répondre, le comportement social et politique des populations locales qui n’ont pas pu s’approprier ces évolutions.
Notes de bas de page
1 En ce qui concerne les questions de sécurisation foncière dans le centre ouest et le sud-ouest de Madagascar, on se reportera à l’étude de E. Fauroux, L. Rakotomalala et Samisoa, 2008. Voir aussi les travaux de F. Muttenzer (2010) et P. Ranjatson (2011) avec des études dans le Nord-Ouest et l’Est malgache. Les auteurs soulignent que les problèmes fonciers résultent de perturbations liées à des facteurs extérieurs hors du contrôle des organisations coutumières.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le monde peut-il nourrir tout le monde ?
Sécuriser l’alimentation de la planète
Bernard Hubert et Olivier Clément (dir.)
2006
Le territoire est mort, vive les territoires !
Une (re)fabrication au nom du développement
Benoît Antheaume et Frédéric Giraut (dir.)
2005
Les Suds face au sida
Quand la société civile se mobilise
Fred Eboko, Frédéric Bourdier et Christophe Broqua (dir.)
2011
Géopolitique et environnement
Les leçons de l’expérience malgache
Hervé Rakoto Ramiarantsoa, Chantal Blanc-Pamard et Florence Pinton (dir.)
2012
Sociétés, environnements, santé
Nicole Vernazza-Licht, Marc-Éric Gruénais et Daniel Bley (dir.)
2010
La mondialisation côté Sud
Acteurs et territoires
Jérôme Lombard, Evelyne Mesclier et Sébastien Velut (dir.)
2006