Chapitre 9. Sida et politiques postcoloniales
Act Up face à la science et à l’idéologie universaliste en France
p. 333-369
Texte intégral
1Des activistes se tiennent debout, en silence, face aux scientifiques qui présentent les résultats d’un essai clinique réalisé en Ouganda, lors de la 16e conférence internationale sur le sida à Toronto en 2006. Sur leurs pancartes apparaît un simple mot : Shame (« Honte »). Cette scène n’aurait pas semblé surprenante à la fin des années 1980 ou au cours des années 1990, lorsque les activistes prenaient d’assaut ce genre de conférence, interrompaient les discours et occupaient les espaces dévolus aux laboratoires pharmaceutiques. Mais depuis cette époque, dans certaines régions, les activistes anti-sida se sont engagés dans un processus de coopération avec les chercheurs biomédicaux, et se sont adaptés, autant qu’ils les ont fait changer, aux protocoles sur lesquels la recherche médicale se fonde. Malgré cela, les activistes français membres de l’association Act Up-Paris ont continué de contester l’éthique de certains essais thérapeutiques, focalisant leur attention sur les problèmes rencontrés et dénoncés par des personnes participant aux essais très loin de leur contrée parisienne. Cette position leur a valu l’inimitié de nombreux activistes thérapeutiques au Sud comme au Nord, et ils ont été accusés de se faire les tenants d’une « pseudo-science », la même accusation ayant été portée contre ceux, tel l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, qui avaient nié l’existence du lien entre le VIH et le sida.
2Si la recherche médicale a progressivement gagné la coopération de nombreux militants du mouvement activiste anti-sida transnational, pourquoi Act Up-Paris fait-elle figure d’exception dans sa volonté de contester les bases éthiques des essais thérapeutiques ? Si un mouvement transnational réellement coopératif existe, qu’est-ce qui explique le conflit intense entre certains acteurs au Sud et les activistes d’Act Up-Paris ? Depuis quelques années, on assiste à un renouvellement significatif des travaux sur les politiques du sida, qui accordent une plus grande attention aux mouvements extérieurs à l’Europe ou à l’Amérique du Nord, mais rarement aux relations entre les activistes des pays occidentaux et ceux du Sud (EBOKO et al, 2005 ; Bosia et Weiss, 2006). En plaçant ce type d’engagement au centre de ce texte, je m’intéresserai aux défis rencontrés localement par le mouvement anti-sida international, et j’avancerai que les activistes globaux se situent eux-mêmes dans le cadre d’expériences simultanément globales et nationales. Tandis que tous font face aux mêmes formes de pouvoir vis-à-vis desquelles le mouvement global partage une vision commune – ce que l’on peut nommer le macroclimat, qui inclut les institutions et les relations internationales politiques, scientifiques et économiques –, ils œuvrent à combattre ces formes de pouvoir en s’attaquant aux manifestations du global à un niveau local. Nous pouvons considérer ici que le local constitue un microclimat, ou un terroir, au niveau duquel les relations au pouvoir global sont exprimées et traduites en luttes locales. Ces microclimats reflètent la logique du système global, mais toujours en fonction d’un ensemble unique de circonstances jouant un rôle plus ou moins important, telles que l’histoire, les traditions, les normes et les habitudes.
3En centrant mon attention sur les conflits générés par deux essais cliniques – l’un auprès des travailleuses du sexe au Cameroun et au Cambodge, et l’autre auprès des personnes vivant avec le VIH en Ouganda –, j’envisagerai les revendications concurrentes relatives à la « science » et à la « politique » comme relevant d’un microclimat de luttes politiques locales se déployant à une échelle mondiale, afin de montrer ce qu’Act Up-Paris renvoie, dans le monde, de son terroir français. Ce faisant, je traiterai d’une autre forme d’intervention effectuée par Act Up-Paris en matière de lutte politique affrontant un enjeu global au niveau local, en m’intéressant à leur réaction face à la politique d’expulsion systématique d’immigrés sans-papiers mise en œuvre par les gouvernements français de gauche comme de droite. Nous verrons qu’Act Up-Paris passe du micro au macro en transférant sur la scène internationale des enjeux relatifs à l’idéologie universaliste qui caractérise le mode de gouvernement républicain français, enjeux qui se manifestent également au travers d’une opposition contre le rôle de l’État français, en France et au-delà. Bien qu’il soit ambigu et contesté, le terme « postcolonial » est utilisé ici comme un descripteur pratique qui nous aidera à comprendre la perspective d’Act Up-Paris en tant qu’acteur global. Dans ce sens, il reflète la réaction de l’association face à des forces politiques, économiques et scientifiques – incluant l’État français et l’establishment scientifique – qui promeuvent la mondialisation néolibérale et la collaboration de la science avec le capitalisme. Assurément, les militants d’Act Up-Paris savent que leurs expériences de vie sont très différentes de celles des personnes vivant avec le VIH en Ouganda ou au Cameroun. Néanmoins, les chercheurs en sciences sociales ont montré depuis longtemps que l’expérience du sida en tant qu’épidémie mondiale résultant d’une négligence résolue des États réformistes, des élites mondiales et des scientifiques nourris de préjugés crée des ponts entre des communautés marginalisées qui, en dehors de cela, se trouvent géographiquement et culturellement éloignées (Crimp et al., 1988 ; Epstein, 1996 ; Bosia, 2006 ; Smith et Siplon, 2006).
4Je suggère ici que l’approche adoptée par Act Up-Paris résulte d’une contestation de la notion d’expertise qui domine les politiques nationales françaises et qui fabrique des sujets coloniaux à l’intérieur du pays, excluant des processus de décision ceux qui sont censés être servis par l’État. Alors que l’État français a le plus souvent exclu les personnes vivant avec le VIH de la conception des politiques contre le sida – à tel point que les premières expériences de lutte contre la maladie furent un véritable échec (Bosia, 2006) –, les mêmes fonctionnaires du gouvernement ont cherché des moyens d’accommoder les républicains français à la mondialisation néolibérale en procédant au renforcement de l’identité française par opposition au danger que représenteraient les immigrés originaires des anciennes colonies, qui restent culturellement et, lorsqu’ils n’ont pas de papiers, légalement des sujets coloniaux. Finalement, les luttes relatives à la mondialisation et ses possibles alternatives, ou altermondialisation, ont produit en France l’un des mouvements les plus puissants de la gauche alternative, souvent dans le cadre d’un combat politique hostile au néocolonialisme, fortement attaché à la notion de solidarité sociale et adoptant une perspective universaliste dans le débat sur la politique d’immigration. Act Up-Paris a progressivement évolué jusqu’à se situer au sein de cette famille idéologique, où le pouvoir local s’affirme comme un défi face au pouvoir distant de l’État français appréhendé globalement.
5Au même moment, il apparaît que les activistes anti-sida en Afrique du Sud mais aussi aux États-Unis – avec leurs trajectoires respectives du point de vue du rapport à l’expertise, dans un microclimat spécifique – font face à des appareils d’État dominés par les (ou réceptifs aux) critiques contre les méthodes scientifiques et la véracité de la science elle-même : celles qui plaident contre la diffusion des traitements antirétroviraux, dont on sait qu’ils sauvent des vies, en arguant du fait que le VIH n’est pas la cause du sida (Cameron, 2005) ; ou d’autres qui se montrent hostiles à la distribution de préservatifs à partir de l’idée selon laquelle ils ne permettent pas d’empêcher la transmission du virus. Les opposants à la science ont transformé la conception des politiques dans ces deux nations, avec une grande influence sur les politiques du sida en Afrique, et alimenté des débats au sujet de la science médicale elle-même. En défendant ardemment la recherche scientifique, il me semble que les activistes d’Afrique du Sud et des États-Unis n’ont généralement tenu compte ni de la critique politique de la science que le mouvement anti-sida avait engagée dans les années 1980, ni du rôle de la science dans la définition des victimes du sida au travers d’une série d’hypothèses faisant intervenir les questions de race et de sexualité, ni de l’histoire liant les sujets marginalisés et coloniaux à la science. Privés de cette perspective, ils rejouent simplement l’opposition entre science et action politique qui avait conduit à la scission d’Act Up-New York au début des années 1990. En s’intéressant aux premières lignes de militants aux États-Unis et à leurs héritiers en France aussi bien qu’au Sud, dans ce contexte de débats globaux articulés à des histoires locales, ce texte vise à rendre compte en premier lieu du point de vue d’Act Up-Paris et de certains liens ou ruptures ayant marqué les relations entre les activistes français et leurs homologues dans le monde.
Act Up-Paris et la recherche médicale : la controverse
Les essais cliniques en question
6La controverse autour de l’essai réalisé en Ouganda n’était alors que le dernier exemple en date du conflit croissant entre les militants parisiens et d’autres acteurs du réseau activiste anti-sida mondial. Avant cela, Act Up-Paris était intervenue contre des essais réalisés chez des travailleuses du sexe sur différents sites. Le médicament expérimenté, le Tenofovir, faisait déjà partie de la gamme des traitements antirétroviraux utilisés à titre thérapeutique, et les chercheurs, les médecins et les activistes espéraient qu’il puisse aussi prévenir la transmission du VIH liée à une activité sexuelle non protégée. Ces études, mises en œuvre par Family Health International (FHI), grâce à un financement de la Bill and Melinda Gates Foundation, avaient enrôlé plus de 900 femmes dans le seul Cameroun. Décrites par FHI comme « à haut risque de transmission du VIH », les participantes devaient tester « l’innocuité et l’efficacité de ce médicament en ce qui concerne la prévention de l’infection à VIH »1. C’est-à-dire que l’on cherchait à évaluer si la prise du Tenofovir pouvait empêcher la transmission du VIH. Les femmes engagées dans l’étude avaient été réparties au hasard en deux groupes, l’un bénéficiant de la médication orale quotidienne, et l’autre recevant un médicament placebo. Elles avaient reçu des consignes de sexualité sans risque et des préservatifs, et subissaient chaque mois un examen des fonctions du foie visant à contrôler les effets du médicament ainsi qu’un test de dépistage du VIH pour vérifier son efficacité.
7L’essai de FHI s’inscrit dans une entreprise plus large d’évaluation de la viabilité du Tenofovir comme prophylaxie du VIH, au moyen d’études réalisées au Cameroun, au Cambodge, au Ghana et au Nigeria. Situés à l’avant-garde d’un nombre croissant d’études menées dans les pays du Sud, les essais de ce genre sont progressivement devenus une source d’inquiétude pour les fonctionnaires concernés à Washington autant que pour les activistes à Paris (Levinson, 2010). À San Francisco et Atlanta, des recherches financées par le Center for Disease Control (CDC) ont eu pour but de tester l’innocuité du médicament et d’évaluer les comportements sexuels. Aux États-Unis, un intérêt particulier a été accordé à l’influence de la prise du Tenofovir sur les pratiques sexuelles non protégées, sachant qu’une enquête du CDC réalisée en 2005, dont les résultats ont connu une large diffusion, montrait qu’un nombre important d’hommes gays séronégatifs avaient utilisé du Tenofovir ou des médicaments similaires à titre prophylactique plutôt que des préservatifs2. Mais les études financées par le CDC ne sont pas conçues dans le but d’évaluer l’efficacité du médicament pour prévenir la transmission du VIH. Comme en Afrique, les participants sont répartis en deux groupes dont un placebo, mais ils ne feront l’objet de rapports aux cliniciens qu’une douzaine de fois en deux ans. La surveillance inclura des tests sanguins, des examens cliniques, un test de dépistage du VIH et des conseils de sexualité sans risque3.
8L’essai ougandais, dénommé DART (Development of Anti-Retroviral Therapy in Africa), a été conçu pour évaluer l’efficacité de protocoles thérapeutiques alternatifs dans des contextes de faibles infrastructures, de manière que les coûts réduits des traitements permettent un accès plus large. Sous la rubrique antirétrovirale, il existe une grande variété de combinaisons thérapeutiques, qui ne sont pas toutes efficaces pour tous les patients. Traditionnellement, les patients placés sous traitements antirétroviraux bénéficient d’une surveillance clinique et biologique (ou de laboratoire) afin de s’assurer de l’efficacité des médicaments et de surveiller leurs effets secondaires. L’essai DART a enrôlé 3 300 Ougandais et Zimbabwéens séropositifs, séparés en deux groupes randomisés. Lun a fait l’objet d’une surveillance exclusivement clinique pour évaluer les problèmes de toxicité et d’efficacité, tandis que l’autre a bénéficié de la méthodologie la plus traditionnelle, comprenant l’accès aux résultats d’un certain nombre de tests de laboratoire. Si des patients du groupe clinique tombaient malades, leurs médecins pouvaient réclamer l’accès aux résultats des tests de laboratoire. De plus, si les résultats indiquaient des risques sérieux de décès, la clinique était informée.
9Conçu en coopération avec des chercheurs africains, l’essai DART a été mené et financé au travers d’une collaboration entre le British Medical Research Council et la Rockefeller Foundation. Le protocole de l’étude précise que les tests de laboratoire de routine « n’ont jamais été formellement évalués », ajoutant que « fournir une telle surveillance de laboratoire intensive en Afrique nécessite une infrastructure qui n’est généralement pas disponible, qui présente un coût élevé, et qui pose le problème du contrôle de qualité »4. L’étude était également censée s’intéresser aux « vacances thérapeutiques », lorsque les patients interrompent le traitement antirétroviral pour une période donnée, mais des résultats non satisfaisants ont provoqué l’arrêt de cette partie de l’essai.
Contestations autour des essais
10Act Up-Paris est tombée sur les études sur le Tenofovir au moment où un membre de l’association s’est trouvé projeté au cœur de ce réseau d’intrigues lors d’une mission auprès d’associations de lutte contre le sida au Cameroun, et où un autre a été sollicité par des activistes locaux pendant la 15e conférence mondiale sur le sida tenue en 2004 à Bangkok5. Les activistes se sont associés à des organisations locales représentant les travailleuses du sexe, qui constituent la principale population « à haut risque » recrutée sur chacun des sites de l’étude. Au Cambodge, le Women’s Network for Unity (WNU), qui rassemble 5 000 femmes à travers le pays, a été créé par des travailleuses du sexe pour défendre leurs droits, lutter contre le trafic sexuel et les violences envers les femmes, et militer pour la réforme du droit. WNU considérait que les promoteurs de l’essai avaient trompé les participants en niant le fait que le Tenofovir provoquait d’importants effets secondaires, alors que ce médicament peut entraîner des vomissements, des diarrhées, des problèmes rénaux et, à long terme, des déficits osseux, L’organisation demandait que des soins à long terme soient offerts aux participants qui tombaient malades, alors que les organisateurs de l’étude ne proposaient même pas de traitement antirétroviral à ceux qui devenaient séropositifs durant la période des essais au Cambodge et en Afrique.
11Au cours de la conférence mondiale sur le sida à Bangkok, Act Up-Paris et l’Asian Pacific Network of Sex Workers ont interrompu ensemble un symposium organisé par Gilead, le laboratoire pharmaceutique qui fabrique le Tenofovir. Si Gilead n’a organisé lui-même aucun des essais, il a fourni le Tenofovir utilisé dans ces études, et Act Up-Paris lui reprochait en particulier de bénéficier d’initiatives qui ne s’accompagnaient pas de la distribution d’un nombre suffisant de préservatifs ou de la mise à disposition du préservatif féminin, et d’offrir sa participation en dépit du refus du sponsor de l’étude d’assurer des services médicaux ou l’accès à un traitement antirétroviral. Les activistes ont recouvert le stand de Gilead de faux sang et demandé que la compagnie « cesse de prendre les prostituées des pays en voie de développement pour des cobayes à peu de frais »6.
12Au Cameroun, les activistes d’Act Up-Paris ont mené des investigations à propos de l’essai, puis ont été rejoints dans cette initiative par un journaliste français qui a réalisé un documentaire sur le sujet. Parmi les problèmes mis au jour, ils ont découvert que les formulaires de consentement éclairé étaient disponibles en anglais exclusivement, dans un contexte où cette langue n’est pas parlée par tous, jusqu’à ce qu’ils réclament l’élaboration d’une version en français (Yomgne, 2009). Leurs investigations les ont conduits à la conclusion que Gilead organisait la contamination des travailleuses du sexe. Les activistes français connaissaient les difficultés que pose la réalisation d’un essai à une échelle suffisamment large pour fournir des résultats statistiquement significatifs : à commencer par la difficulté d’identifier, dans les pays occidentaux, des populations ayant un risque d’infection par le VIH suffisamment élevé pour pouvoir mettre en évidence une différence entre le groupe recevant le traitement et celui recevant un placebo. En effet, les pays riches ont mis en œuvre divers programmes d’éducation et de prévention qui, bien que la transmission du VIH se maintienne à un niveau alarmant dans certains groupes, ont significativement réduit le taux de contamination parmi d’autres groupes précédemment à haut risque. Or tel n’est pas le cas au Sud, où certains pays connaissent une croissance du taux de contamination en population générale bien supérieure à celle des groupes les plus exposés dans les pays occidentaux. Les travailleuses du sexe, dans les pays marqués par une faible organisation de la société civile et un engagement minimal du gouvernement envers les personnes vulnérables face à l’épidémie, sont, selon Act Up-Paris, « fortement exposées à un risque de contamination par le VIH du fait de leur activité » et constituent « un groupe précarisé du fait de sa situation légale et sociale caractérisée par l’absence de statut, une non-reconnaissance de leurs droits et une stigmatisation toujours croissante »7. L’association évoque en particulier la confiscation par la police des préservatifs chez les travailleuses du sexe et leur incapacité à négocier l’utilisation du préservatif avec leurs clients. « Il est en effet plus simple, plus rapide et moins coûteux de montrer les capacités préventives du Tenofovir au sein d’une population dont les risques de séroconversion sont importants »8. Pour Act Up-Paris, Gilead allait pouvoir bénéficier financièrement de l’utilisation du Tenofovir comme prophylaxie, et, parce qu’elle rendait l’essai possible en fournissant le traitement et le placebo, la compagnie « organisait » en réalité la pandémie9.
13Au sujet de l’étude DART en Ouganda, Act Up-Paris a tout d’abord entendu ce qu’en disaient les participants à l’essai, de même qu’elle avait initialement pu entendre les voix des travailleuses du sexe au Cambodge. Par l’intermédiaire de Solomon Kapere, un Ougandais vivant en France et militant au sein d’Act Up-Paris, les activistes français ont été informés d’un certain nombre d’inquiétudes, parmi lesquelles des indices de mortalité plus élevée chez ceux qui, dans l’essai, bénéficiaient d’une surveillance uniquement clinique et non biologique. Dans un message adressé à Gregg Gonsalves, du AIDS and Rights Alliance for Southern Africa, Solomon Kapere écrivait : « Il existait des problèmes avec l’essai DART que les participants ont relevés à maintes reprises, donc je ne pense pas que l’on doive passer outre leurs inquiétudes sous prétexte qu’il existe des statistiques produites par les chercheurs. » Il ajoutait : « Je suis sûr que les données statistiques sont bonnes, mais rien ne devrait être plus important que les expériences de vie réelles telles que celles qui nous ont été communiquées par les participants à l’essai. »10
14De manière plus spécifique, Act Up-Paris a contesté la justification de l’essai DART à deux niveaux11. Premièrement, elle avance que l’hypothèse selon laquelle la surveillance exclusivement clinique peut s’avérer aussi efficace que la surveillance clinique et biologique est hautement contestée au sein de la communauté scientifique. Le standard courant de soins pour les personnes vivant avec le VIH, à la fois sur les sites riches et sur les sites à faibles ressources, est la surveillance clinique et biologique. Selon Act Up-Paris, ceux qui sont dans le bras clinique de l’essai sont soumis à un risque de mort accru, et ce seul risque de mort nécessite que la taille du groupe clinique soit significativement réduite jusqu’à ce que les résultats initiaux puissent justifier d’étendre l’étude. Deuxièmement, l’association revient sur la façon dont l’essai est promu, mentionnant les supposés « avantages en termes de coûts réduits » pour les environnements à faibles ressources mis en avant dans le protocole de l’étude. Act Up-Paris répond à cela que les bénéfices liés au coût ne devraient jamais être la base d’une étude scientifique engageant la vie humaine. Au-delà de ces revendications fondamentales, Act Up-Paris note que certains participants ont été recrutés dans des hôpitaux de Kampala et Entebbe, où ils bénéficiaient d’un suivi biologique et clinique complet, pour se retrouver, une fois enrôlés dans l’essai DART, assignés au hasard dans des groupes bénéficiant soit d’une surveillance exclusivement clinique, soit d’une surveillance complète. En fait, le formulaire de consentement signé par les participants n’indique aucunement les risques associés à la surveillance exclusivement clinique, pas plus qu’il ne mentionne que le retrait de l’essai entraînera, pour les participants concernés, une interruption du traitement – car ils n’auront plus accès qu’au service de soins public – alors que cette information était livrée explicitement aux cliniciens. Act Up-Paris indique également que l’accès aux données de laboratoire établies pour tous les participants est requis seulement lorsqu’un participant se montre affecté par ce qu’on appelle un « événement de niveau 4 », juste avant le « niveau 5 » qui équivaut à la mort, et le passage en revue des résultats de laboratoire des participants n’est effectué que deux fois par an. Au lieu de cela, l’association propose que la surveillance exclusivement clinique soit proposée en dehors des villes, dans des communautés où il n’existe actuellement aucun accès local aux traitements. Enfin, Act Up-Paris a attiré l’attention sur les 102 participants qui, pour différentes raisons, ne sont plus inclus dans l’étude. Parmi eux, seuls trois sont identifiés comme étant encore en vie. Ce sont ces disparitions et les témoignages que les Ougandais ont envoyés à Solomon Kapere à Paris qui ont conduit l’association à remettre en question l’essai. « Beaucoup de ces participants ne se sont jamais engagés dans cet essai parce qu’ils voulaient y participer, beaucoup voulaient simplement un traitement sans lequel ils risquaient de mourir », a expliqué Solomon Kapere12. Alors qu’il demandait des explications à l’équipe de recherche située en Ouganda, celle-ci a progressivement perdu patience face à ses sollicitations, puis a rompu toute communication après l’avoir enjoint d’entrer plutôt en contact avec les institutions responsables de l’essai à Londres13. Dans un échange avec des activistes spécialisés sur la recherche thérapeutique, Jérôme Martin, d’Act Up-Paris, précisait en réponse à leurs inquiétudes : « Je vous prie d’être certains que nous ne sommes PAS contre la recherche ni contre les chercheurs. Nous sommes convaincus que la protection et la sécurité des personnes engagées dans l’essai constituent les garanties d’une recherche véritablement efficace. »14
Réactions contre la position d’Act Up-Paris
15Malgré son souci de la sécurité des participants, l’intervention d’Act Up-Paris à Toronto à propos de l’essai DART fit s’abattre sur l’association une tempête de critiques de la part des autres activistes thérapeutiques. Gregg Gonsalves qualifia l’approche d’Act Up-Paris de « pseudoscience », leur envoyant la même charge qu’au gouvernement de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki qui déniait le lien entre le VIH et le sida15. « Il n’existe aucune preuve selon laquelle qui que ce soit dans l’étude a reçu des soins médicaux si pauvres qu’ils l’ont entraîné vers la mort », affirma Gregg Gonsalves16. Il accusa Act Up-Paris d’employer une « rhétorique vide », de présenter les chercheurs de l’essai DART comme des « chercheurs fous », et dit à Solomon Kapere : « Tu as formulé des accusations à l’encontre de plusieurs essais cliniques à ce jour, mais tu n’as jamais appuyé tes revendications sur la moindre preuve. »17
16Zachie Achmat, un militant sud-africain, probablement l’activiste thérapeutique le plus connu au monde, rejoignit la position de Gregg Gonsalves. Quelques jours auparavant, il avait présenté son combat contre le gouvernement de Thabo Mbeki : il s’était volontairement privé de traitements contre le VIH dont on savait qu’ils sauvaient des vies pour protester contre leur non-disponibilité dans son pays, en des termes que Voltaire n’aurait pas déniés : « Nous nous battons tous les jours pour le retour vers la lumière (...), Démocratie, raison, science, égalité, respect de l’individu (...) comme s’il s’agissait de quelque chose de nouveau » (Carlin, 2006). A peine quelques jours plus tard, officiellement au nom de Treatment Action Campaign (TAC), Zachie Achmat écrivit au sujet d’Act Up-Paris, dans une lettre cosignée avec d’autres qui circula sur diverses listes de diffusion activistes : « Leur hystérie injustifiée a miné le soutien à la recherche sur le sida et semé inutilement la peur et la suspicion. »18
17Au Nord, Richard Jefferys, du Treatment Action Group de New York, situa sa réponse dans un contexte politique national en partie similaire à celui de l’Afrique du Sud. « Les États-Unis subissent une attaque politiquement motivée de la droite contre la science et la recherche », écrivit-il aux activistes, concluant : « Ce contexte renforce assurément l’importance d’évaluer la recherche à partir d’analyses rationnelles, basées sur des faits, et non sur des représentations dénaturées ou une rhétorique incendiaire. »19
18Dans une revue médicale sur la santé dans le monde, des chercheurs exprimèrent un soutien appuyé à l’essai sur le Tenofovir, contestant la perspective et les méthodes d’Act Up-Paris de l’intérieur de l’establishment médical (Lange, 2005 ; Singh et Mills, 2005). Écrivant depuis des instituts de recherche sur le VIH/sida en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, Jerome A. Singh et Edward J. Mills expliquent que « la protestation devrait être menée d’une manière responsable » (Singh et Mills, 2005 : 0825). À partir d’un retournement intéressant des stratégies activistes, ils s’inquiètent du fait que le médicament lui-même puisse souffrir d’une forme d’ostracisme social : « Spéculation, critique injustifiée, réaction excessive ou présentation des faits sous un jour sensationnaliste risquent d’aboutir à la stigmatisation du Tenofovir... Cela n’est dans l’intérêt de personne. » Faisant écho aux positions de Gregg Gonsalves, Zachie Achmat et Richard Jefferys, les deux chercheurs concluent que « l’activisme devrait être basé sur des opinions éclairées et sur la communication » (Singh et Mills, 2005 : 0826). Dans la même publication, Joep Lange, directeur du Center for Poverty Related Communicable Diseases, Academic Medical Center, aux Pays-Bas, blâme Act Up-Paris pour être composée d’activistes qui « exploitent leur statut de séropositif pour se livrer à des agissements qui ne seraient pas acceptés d’autres personnes... Ils nous ont pris en otage » (Lange, 2005 : 0834).
Act Up, la science et l’héritage de l’activisme anti-sida
19Ironiquement, la « rhétorique incendiaire », les « agissements qui ne seraient pas acceptés d’autres personnes » et même la « prise en otage » – au moins métaphoriquement – ont constitué une part des méthodes du mouvement anti-sida depuis ses débuts. Au moment de sa création à Manhattan en 1987, le groupe Act Up original a choisi le triangle rose qu’utilisait le régime nazi pour identifier les homosexuels internés dans les camps de concentration, couplé au slogan « Silence = Mort ». Au cours des premières années, ses affiches affirmaient par exemple « Le gouvernement a du sang sur les mains » ou « Assassiné par la négligence du gouvernement ». Même avant cela, les activistes de San Francisco avaient établi un camp sur la place faisant face au Federal Building pour protester contre l’inaction fédérale. Et Act Up-Paris n’a pas agi différemment. Par exemple, quelques semaines à peine après le 11 septembre, au moment où les pays occidentaux étaient sur le point de déployer collectivement leurs forces militaires contre les Talibans en Afghanistan, les activistes parisiens choisissaient comme mot d’ordre de leur manifestation pour la Journée mondiale du sida : « Sida : l’autre guerre ».
20Les chercheurs ont beaucoup écrit sur les stratégies et les tactiques d’Act Up aux États-Unis depuis sa création. L’essentiel de cette littérature s’est centrée sur la contestation rhétorique déployée dans le cadre d’une offensive culturelle et politique contre l’indifférence des institutions officielles, parmi lesquelles le gouvernement, la recherche médicale et l’industrie pharmaceutique. Une partie des travaux s’est intéressée aux émotions et au répertoire d’action des activistes. Ces textes examinent le geste politique réinventé qui se trouve au cœur des tactiques activistes, depuis la première action organisée à la Bourse de New York contre l’industrie pharmaceutique jusqu’à des actions individuelles contre le National Institute of Health (NIH) ou plus larges telles que les « Journées du désespoir » (Days of Despair) ou les « Journées de rage » (Days of Ragé), impliquant une série d’événements interconnectés qui ont propulsé les personnes vivant avec le VIH dans l’imaginaire public20. Judith Halberstam, en plaidant pour une politique de la rage visant à répondre aux problèmes de marginalisation, qualifie ces méthodes de « tactiques de terreur postmodernes » (Halberstam, 1993 : 190). Confrontés à la mort, les activistes interrompaient la vie sociale ordinaire, imposant le malade sur la scène publique et demandant que soient établies les responsabilités. En net contraste avec les silences entourant la maladie, ils mettaient en avant eux-mêmes et leurs corps en tant que manifestation physique d’une épidémie qui se développait.
21Une autre partie de ces travaux a concerné les revendications des activistes, révélant les manières dont Act Up a défié les bases mêmes d’un establishment médical et scientifique qui fonctionnait sans la participation des « patients » au niveau de la sélection et de la conception des protocoles de recherche (Epstein, 1996 ; Siplon, 2002 ; Smith et Siplon, 2006). Depuis la fondation du mouvement anti-sida, y compris avant Act Up, les activistes ont entretenu une relation très incertaine avec l’establishment médical et les scientifiques. En 1983, lors du second forum organisé par et pour des personnes vivant avec le sida/ARC (AIDS Related Complex), les activistes ont adopté ce qui deviendra connu sous le nom de « Principes de Denver », énonçant les devoirs et les droits de ceux qui vivent avec la maladie. Ils rejetaient l’idée que les personnes vivant avec le sida soient considérées comme des victimes ou en premier lieu des patients, impuissants et dépendants des autres. Au lieu de cela, les Principes réclamaient qu’elles soient « incluses dans tous les forums sur le sida avec une crédibilité égale à celle des autres participants, afin de partager leurs propres expériences et savoirs ». Les Principes demandaient également que ces personnes aient le droit de bénéficier d’un processus de décision informé et participatif concernant le traitement, et de « participer à la recherche sans mettre en péril leur traitement »21.
22Alors que la science se présente comme non biaisée et les chercheurs comme des professionnels neutres œuvrant à l’acquisition d’un savoir dépourvu de préjugés, dont les activités sont jugées exclusivement par des pairs, les activistes durant les années 1980 pensaient au contraire avec force que l’establishment scientifique, principalement hétérosexuel, blanc et masculin, négligeait les personnes vivant avec le sida. Ils avaient pu voir les chercheurs tenter d’expliquer la maladie au travers d’un certain nombre de préjugés concernant les hommes gays, et avaient ainsi peu confiance dans le fait que les voix et les besoins de ces mêmes hommes gays, comme ceux des personnes de couleur et des femmes qui apparaissaient de plus en plus touchées par la maladie, pourraient être entendus. Ils alléguaient que leurs expériences, et donc leur participation, étaient vitales pour comprendre le progrès de la maladie de même que les bénéfices et les coûts, en termes humains, de toute modalité de traitement. Et ils n’avaient aucune confiance dans le fait que les compagnies pharmaceutiques et les chercheurs liés à ces compagnies leur fourniraient des traitements contre les maladies associées au VIH et au sida qui soient abordables et accessibles.
23En réponse à cette situation, les activistes apprirent en matière de science et demandèrent que les scientifiques apprennent d’eux. « On avait presque l’impression que [certains chercheurs du NIH] n’étaient pas habitués à interagir avec d’autres êtres humains », se souvient Robert Vazquez-Pacheco, un activiste thérapeutique de la première heure. « Ils parlaient en jargon... Je me souviens avoir eu une conversation avec quelqu’un comme ça. “Non, non, non, vous devez me parler en anglais. Je n’ai pas fait d’études de médecine. Je ne suis pas physicien, d’accord ? Donc vous devez me parler dans ma langue. Je n’ai pas à apprendre votre langage, c’est vous qui devez apprendre le mien”. »22
24Gregg Gonsalves, revenant sur ses années passées au sein d’Act Up à New York au début de la décennie 1990, se souvient de nombreuses batailles de nature clairement politique avec les chercheurs. « De nombreux chercheurs, encore aujourd’hui, ne défendraient même pas l’idée de parler avec un représentant ou un défenseur de personnes vivant avec le sida. »23 Mais pour Gregg Gonsalves, il s’agissait d’un processus visant à apprendre auprès des chercheurs et à comprendre les protocoles de la science. Tandis que d’autres à Act Up se souviennent que les activistes devaient faire pression pour voir la définition du sida révisée afin qu’y soient incluses les maladies observées chez les femmes. Gregg Gonsalves a raconté comment les activistes s’opposèrent à une étude considérée comme un gaspillage d’argent, mais se retrouvèrent avec les chercheurs après la réunion. Au sujet de sa rencontre avec le chercheur Anthony Fauci au NIH, Gregg Gonsalves explique : « C’était une relation étrange – à la fois admiration et colère. Une étrange sorte de rapport étudiant/ professeur s’établissait. »
25Invités au sein de l’establishment de la recherche, les activistes thérapeutiques obtinrent des changements importants, dont la fin de nombreux essais avec bras placebo et le droit d’avoir accès à tous les traitements prometteurs. Mais, comme Steven Epstein l’a montré, alors que les activistes ont fait descendre la médecine dans la rue en contestant son autorité au niveau des questions cruciales de priorité et de méthodologie, ils ne se faisaient « aucune illusion sur leur dépendance ultime vis-à-vis de l’entreprise biomédicale pour la découverte et l’évaluation des traitements » (Epstein, 1996 :14).
26C’est précisément au niveau de ce nouvel espace d’action politique qu’Act Up a connu une scission aux États-Unis (Epstein, 1997 ; Staley, 1991). Au-delà de ceux, principalement des hommes gays blancs, qui dominaient l’activisme thérapeutique, se trouvait un groupe plus important qui voyait le sida comme la manifestation de questions plus larges de marginalisation et d’inégalité. Alors que les activistes thérapeutiques se rapprochaient de l’establishment scientifique, pharmaceutique ou gouvernemental, les autres activistes, incluant des femmes et des personnes de couleur, se montraient de plus en plus sceptiques face à ce nouveau rapprochement, inquiets de ce que la revendication de « démocratisation de la science », comme Steven Epstein l’a écrit, équivaille en réalité à la cooptation de ceux qui se trouvaient les plus proches de la science (Epstein, 1996 ; voir aussi Aronowitz, 1996). Les activistes thérapeutiques commençaient même à contester les tactiques les plus « confrontationnelles » de l’organisation. Au cours d’un débat sur une action visant à perturber le trafic de Grand Central Station à une heure d’affluence, l’activiste thérapeutique Peter Staley déclarait : « Je ne vois pas ce que l’usager des transports peut faire pour m’aider... Ce n’est pas cela qui va nous aider à mettre un terme à la crise du sida. »24
27Il serait facile de localiser le conflit autour d’Act Up-Paris au niveau de cette même ligne de démarcation, séparant la science des implications sociales de l’épidémie, et la coopération et la communication de la perturbation et la colère. À première vue, cela pourrait paraître pertinent. En effet, la présence dans la controverse sur l’essai DART de Gregg Gonsalves et d’autres acteurs qui étaient actifs lors de ces années de division et de rupture à Act Up apporte du crédit à cette perspective. Mais il serait préférable de se demander pourquoi Act Up-Paris a évité la même rupture et a maintenu une distance critique vis-à-vis de la science tout en suivant le raisonnement selon lequel le sida procède d’un système d’inégalités beaucoup plus profond. Je laisse de côté les accusations de « pseudoscience » et je me tourne plutôt vers le questionnement qui me semble le plus pertinent.
Act Up-Paris, l’universalisme et les politiques postcoloniales
Une action déterminée par le contexte
28Les essais sur le Tenofovir, d’après ce que déclarent les activistes d’Act Up-Paris, les « font vomir » ! Mais l’opposition de l’association aux protocoles des essais est bien plus complexe qu’un mot d’humour. Il convient plutôt de considérer les positions d’Act Up-Paris au travers des défis locaux que l’association a affrontés en tant que manifestations d’un phénomène global à une échelle nationale. Bien que puisant fortement ses racines dans l’activisme américain, le mouvement français a dû faire face à un appareil d’État centralisé bien plus fermement enraciné dans la notion d’expertise, distant du citoyen dans ses processus de décision, et dépendant du principe d’universalisme qui exclut la mise en œuvre d’une politique basée sur des identités particulières. Faisant face à ces contraintes propres au fameux modèle français républicain, les militants d’Act Up-Paris ont œuvré à prouver qu’en raison de leur condition particulière, ils étaient plus experts, plus soucieux de l’idée de solidarité sociale constitutive de l’idéologie universaliste, et plus républicains par essence qu’un gouvernement et une bureaucratie distants. Ce faisant, l’association a évolué d’un groupe servant en premier lieu les besoins des hommes gays à un groupe reconnu comme participant crucial d’un mouvement de gauche plus large, affrontant ce que beaucoup considèrent comme un État néocolonial vis-à-vis des questions de mondialisation et d’immigration.
29Cette évolution est le produit direct de la nécessité ressentie par Act Up-Paris de « contrôler la définition sociale des personnes ou des groupes touchés par l’épidémie et [d] imposer ou maintenir l’association dans les espaces sociaux où elle veut être reconnue comme acteur légitime » (Broqua, 2006 : 23). Olivier Fillieule et Christophe Broqua ont montré que l’évolution d’Act Up-Paris reflétait des transformations fondamentales concernant l’épidémie, l’expérience des activistes et les engagements de l’association relatifs aux problèmes de marginalisation situés à l’intersection des questions d’homosexualité et de sida (Fillieule et Broqua, 2005). Parmi ces transformations figurait la nécessité d’adapter à l’apparition de traitements salvateurs en 1996 un activisme antisida fondé sur la rage, le désespoir et la confrontation à la mort. Une telle transformation de la maladie et de l’expérience de ceux vivant avec le VIH imposait une reformulation de l’activisme lui-même (Broqua, 2006). Alors que Christophe Broqua attribue à cette conjoncture la décision d’Act Up-Paris de s’engager en tant que composante d’une gauche plus militante, j’analyse cette évolution différemment, en invitant à accorder une plus grande attention à l’engagement de longue date de l’association sur le sida en dehors de la communauté homosexuelle. Et alors que Christophe Broqua souligne les origines américaines du style accusatoire d’Act Up-Paris, je rechercherai des sources locales aux accusations très particulières portées par l’association contre l’État tout-puissant et les acteurs sociaux considérés comme responsables de l’épidémie en France, de manière à comprendre pourquoi et comment Act Up-Paris a pu rallier les nouveaux mouvements de gauche.
30Deux hommes gays séropositifs, ayant eu leur propre parcours au sein d’Act Up à New York, ont joué un rôle important à la fondation et durant la période de croissance d’Act Up-Paris. Le premier est Didier Lestrade, qui a réuni un jour un groupe d’amis dans son appartement parisien pour leur distribuer des tee-shirts « Silence = Mort » et planifier la première action d’Act Up-Paris lors du défilé annuel de la Gay Pride en 1989. Didier Lestrade, qui est considéré comme le fondateur de l’activisme anti-sida en France, est un journaliste qui, lorsqu’il se rendit à New York à la fin des années 1980, fut si fortement marqué par Act Up que l’on peut presque dire qu’il en rapporta le modèle dans sa valise lorsqu’il revint à Paris. L’autre est Christophe Martet, président de l’association au milieu des années 1990, qui retourna à Paris après un séjour de près d’un an à New York, où il découvrit lui aussi Act Up et des formes de lutte contre le sida plus activistes qu’en France, seulement quelques mois après avoir appris qu’il était séropositif.
31En dépit de ces similarités, les deux hommes ne sauraient être plus différents, comme le reflètent les formes de l’association dont ils ont été présidents à des périodes différentes. Didier Lestrade dirigeait un groupe relativement restreint d’activistes qui consacraient leurs efforts aux besoins des hommes gays confrontés à l’épidémie de sida. Il plaidait en faveur à la fois des traitements et de la prévention, cherchait à mobiliser les énergies à l’intérieur de la communauté gay, et affrontait l’homophobie qu’il considérait liée à la diffusion de l’épidémie et à la mort de ses amis. À partir de 1994, Christophe Martet s’est trouvé à la tête d’une association comptant plus de 300 activistes lors des réunions hebdomadaires. Si Act Up-Paris était encore un mouvement largement composé d’hommes gays blancs, Christophe Martet faisait partie d’une faction qui, déjà sous la présidence de Didier Lestrade, voyait le sida comme la manifestation globale de l’inégalité et plaidait avec force en faveur d’une plus grande attention accordée à tous ceux qui étaient touchés par la maladie.
32Christophe Martet fut accueilli à sa première réunion d’Act Up-Paris par Joëlle Bouchet, une mère habitant la banlieue parisienne, dont le fils, Ludovic, avait été infecté par le VIH à travers les traitements qu’il prenait pour son hémophilie25. C’est en partie leur relation qui orienta les activistes dans une nouvelle direction. Joëlle Bouchet était arrivée à Act Up-Paris parce qu’elle y voyait des gens se battre pour leur vie, et elle réalisa bientôt que son fils n’aurait pas dû recevoir de traitement contaminé. Poussant les activistes à accorder une plus grande attention à la question du sida des hémophiles ou des transfusés, et à demander des comptes au gouvernement, Joëlle Bouchet rencontra souvent l’indifférence et même l’hostilité. Mais Christophe Martet perçut le problème comme ce qu’il allait devenir : un autre exemple de la faillite du gouvernement à protéger la société contre le sida. Finalement, Joëlle Bouchet et Christophe Martet organisèrent un certain nombre d’actions ciblant les politiques qui étaient au pouvoir au début des années 1980, demandant une information judiciaire au sujet de l’action des anciens ministres. J’ai analysé ailleurs cette évolution (Bosia, 2005, 2007). Dans ce texte, je souhaite simplement souligner trois aspects importants pour la compréhension des politiques du sida, comme préalable à celle de l’orientation globale de l’activisme en France.
33Premièrement, Act Up-Paris était contrainte d’agir en fonction du contexte politique national. Après une décennie de débats gouvernementaux sur l’intégration des immigrés, les politiciens de gauche comme de droite validèrent un retour du principe républicain d’universalisme contre le risque de désintégration sociale qu’est supposée représenter la diversité (Jennings, 2000). Après une période de reconnaissance des différences culturelles au début du vingtième siècle, la question de la diversité commença à être pensée en termes de choix entre les intérêts particuliers de groupes sociaux exclusifs et la promesse universaliste offerte par la République française, et il fut dès lors considéré que l’intégration et la solidarité sociale ne pouvaient s’accomplir que dans le cadre des principes républicains. À partir des années 1980, les gouvernements successifs abordèrent la question du sida à travers ce même paradigme, rendant presque impensable la conception de programmes de prévention ciblés en direction des hommes gays ou l’inclusion de personnes vivant avec le sida dans les instances nationales de décision.
34De plus, un culte de l’expertise républicaine anime généralement l’action gouvernementale, centrée sur une bureaucratie méritocratique formée à sa tâche et chargée de la modernisation de la société (Suleiman, 1978 ; Rosanvallon, 1990 ; Loriaux, 1999). Le rôle de l’expertise dans la conception des politiques, qui répondait à un objectif social, fut initialement pensé dans les termes de la science médicale à travers la promesse d’une santé publique, et l’establishment médical du xixe siècle fut au premier plan de l’entreprise de civilisation à la fois des travailleurs pauvres de Paris et des populations indigènes de l’Empire colonial (Rosanvallon, 1990 ; Kudlick, 1992 ; Lorcin, 1999). À la suite des troubles des années 1930 et de la guerre sous l’occupation allemande, cette dépendance à l’égard d’une expertise non biaisée au service du bien commun et de la cohésion sociale devint la justification première de l’action politique (Hoffmann, 1963). Dans un tel contexte, les décisions se trouvent légitimées non par une évaluation comparée d’intérêts particuliers, ce qui pourrait exacerber les conflits, mais plutôt lorsqu’elles apparaissent comme la meilleure option possible découlant d’une évaluation rationnelle des objectifs et des solutions. De ce point de vue encore, les activistes anti-sida ne pouvaient pas rompre avec le culte de l’expertise s’ils voulaient avoir voix au chapitre, même si d’autres l’avaient fait avec succès aux États-Unis, car ils couraient alors le risque de se voir objecter la nature particulière et donc irrationnelle de leurs interventions.
35Deuxièmement, la question du « sang contaminé » a permis aux activistes de faire apparaître le lien entre les échecs de l’establishment médical et ceux du gouvernement, démystifiant l’expertise dans chacune des deux arènes. Le système de distribution du sang en France était géré par une agence publique, dirigée par des professionnels biomédicaux sous la supervision du ministère de la Santé et du Premier ministre. Le sida étant apparu en même temps que la libéralisation économique, les fonctionnaires du gouvernement furent confrontés à la nécessité à la fois de réduire les dépenses de l’État et d’affronter une nouvelle menace pour la santé publique. Les activistes découvrirent et publièrent des documents démontrant que ceux qui occupaient des postes à responsabilité durant les cinq premières années de l’épidémie avaient mis dans la balance, d’un côté, la connaissance qu’ils avaient de la contamination des lots de sang ou des produits pharmaceutiques dérivés (qu’ils ont pourtant finalement décidé de distribuer) et, de l’autre, leurs inquiétudes relatives aux équilibres financiers et à la menace de compétition de la part de compagnies étrangères dans l’approvisionnement de technologies médicales et de produits pharmaceutiques et leurs préjugés concernant le lien entre le sida et l’homosexualité. En 1992, le procès aux Assises des administrateurs du système de distribution du sang, durant lequel les activistes manifestaient chaque jour devant le Palais de justice, porta ces questions à la connaissance du public et, ce faisant, démontra la capacité d’expertise des activistes par contraste avec les folies et les angoisses des représentants de l’État. Act Up-Paris avait renversé la tendance, démontrant que, bien qu’étant une association majoritairement composée d’hommes gays, sa principale préoccupation était le bien commun et que son action découlait d’une expertise autodidacte centrée sur la solidarité avec tous ceux qui étaient affectés, à l’inverse d’un gouvernement préoccupé par des intérêts particuliers tels que la compétitivité de certaines compagnies ou le profit.
36Troisièmement, cette évolution d’Act Up-Paris depuis une activité menée à l’intérieur de la communauté gay jusqu’à une action envisageant la question plus large des liens entre sida et société, l’épidémie apparaissant fortement liée à diverses expériences de marginalisation, suscita de nouvelles coalitions et l’arrivée de nouveaux activistes dans l’association. Progressivement, les effectifs et l’énergie s’accrurent, et la base du pouvoir au sein d’Act Up-Paris se déplaça de la faction de Didier Lestrade à celle dont Christophe Martet faisait partie. Bien que toujours dominée par des hommes gays, Act Up-Paris devint, pour paraphraser un ancien président, Philippe Mangeot, une avant-garde où les hommes gays se trouvaient à la tête de tous ceux touchés par le VIH26. Contrastant de manière frappante avec l’expérience américaine, l’une des principales questions sur lesquelles Act Up-Paris s’engagea au début des années 1990 fut celle des responsabilités relatives à la contamination des hémophiles ou transfusés et de l’échec de l’expertise dans ce domaine ; les activistes gays anti-sida américains, qui déjà se voyaient admis dans l’antichambre du pouvoir médical durant ces années, ignoraient la responsabilité du gouvernement, de la médecine et de l’industrie dans le taux élevé d’infection par le VIH chez les hémophiles américains. Tandis que le mouvement activiste anti-sida américain tendait à se dissoudre et s’isoler, vers la fin des années 1990, Act Up-Paris avait intégré diverses coalitions avec d’autres groupes de gauche tels que ceux défendant les droits des immigrés ou contestant la mondialisation néolibérale. L’impact du VIH/sida se déplaçant des homosexuels aux immigrés, et l’accès aux thérapies antirétrovirales se généralisant au sein de la communauté gay, l’association pouvait alors se tourner vers une nouvelle génération de défis et établir de nouvelles formes de solidarité avec les communautés les plus précaires en France et dans les pays du Sud.
Ac Up-Paris et la gauche alternative
37La nouvelle gauche à laquelle Act Up-Paris se trouve dès lors associée est composée de groupes souvent rassemblés sous le label « mouvements alternatifs », pour être situés en dehors des partis politiques traditionnels et des mouvements de travailleurs, ou encore sous l’expression « gauche associative », qui reflète à la fois sa dimension liée au volontariat et son émergence relativement récente dans un contexte politique longtemps hostile aux organisations politiques extra-partisanes (Gemie, 2003 ; Bell, 2004 ; Hewlett, 2004 ; Appleton, 2005 ; Levy et al, 2005). La prolifération de ces nouvelles formes d’engagement citoyen constitue l’un des développements récents les plus frappants du domaine de l’action politique en France. Si l’on excepte quelques tendances communes – une partie de leurs racines dans les événements de 1968, une orientation de gauche, un rejet des partis politiques traditionnels, une hostilité vis-à-vis de l’extrême droite, et peut-être aussi un plus jeune âge des militants –, il existe généralement une faible homogénéité d’analyse chez ceux qui étudient ce nouveau phénomène et une grande diversité de perspectives parmi les associations (Herrera, 2006). Par exemple, Aides, l’une des principales associations de lutte contre le sida en France, a longtemps cherché à minimiser son lien avec la communauté gay, tandis que le Centre Gai et Lesbien l’a célébrée de manière évidente, et qu’Act Up-Paris a largement préféré le terme « homosexuel » à « gay » dans ses publications officielles.
38Ce n’est pas seulement sa participation à la « gauche alternative » ou au mouvement altermondialiste qui permet de comprendre les stratégies d’Act Up-Paris mais, plus spécifiquement, son adhésion à ce que je nommerai la « gauche postcoloniale », se livrant à la contestation des politiques néocoloniales. Bien qu’elle partage avec la gauche alternative une antipathie pour les partis établis, cette gauche postcoloniale s’en distingue en ce que ses origines sont plus fortement enracinées dans les politiques tiers-mondistes des années 1970, ses actions centrées sur des enjeux de marginalisation vis-à-vis du pouvoir et sur les besoins d’individus très réels, et son idéologie est saturée d’une opposition à l’ordre politique et économique néocolonial représenté par l’État français et les institutions économiques internationales. Tandis que la plupart des acteurs de la gauche alternative défendent une certaine forme de démocratie participative étendue, contre le culte de l’expertise et un État distant poursuivant des réformes structurelles, la gauche postcoloniale s’est située depuis ses origines dans le cadre de politiques locales, établissant de nouveaux réseaux politiques ancrés sur le terrain, qui relient des communautés luttant contre les inégalités et pour le pouvoir (Lebovics, 2004). Cela contraste avec l’action d’Attac, la principale association militant pour une mondialisation alternative, qui appelle à une plus grande participation au travers d’un réseau large et diversifié d’acteurs à la compétence reconnue – presque un conseil des experts associatifs (Ancelovici, 2002). Dans les années 1970, comme Herman Lebovics l’a montré en détail dans son analyse du « régionalisme postcolonial », une grande partie de l’intérêt de la gauche s’est focalisée sur le Larzac, une région rurale où de jeunes diplômés de l’université s’installèrent après 1968 pour mettre en pratique ces nouveaux principes d’organisation, se ralliant aux efforts locaux pour empêcher l’expansion d’une base militaire27. Les nouvelles organisations fusionnèrent avec l’antimilitarisme, les luttes paysannes, les mouvements de travailleurs et les politiques tiers-mondistes pour contester l’autorité d’un État aussi distant d’eux qu’il l’était de l’Afrique ou de la Nouvelle-Calédonie. Pour cela, ils étendirent le concept républicain français de solidarité pour y inclure les luttes organisées dans les anciennes et présentes colonies d’une manière très tangible, faisant venir en France des représentants de ces mouvements. Un des plus fameux acteurs de l’épisode du Larzac, qui réside toujours dans la région, est José Bové, leader d’une organisation paysanne et activiste contre la mondialisation néolibérale. Candidat à la présidence de la République en 2007, José Bové est un des leaders de Via Campesina, un mouvement transnational militant contre la libéralisation du secteur agricole (Bove et al., 2001). Parmi les autres organisations composant la gauche postcoloniale figurent des groupes issus des communautés d’immigrés ou de personnes d’origine immigrée, telles que Les Indigènes de la République, qui affirment leur citoyenneté en jouant sur leur statut de sujets néocoloniaux.
39Au sein d’Act Up-Paris, Emmanuelle Cosse constitue un bon exemple de la génération actuelle d’activistes postcoloniaux. Fille de parents soixante-huitards, elle a fait son apprentissage militant dans les mouvements lycéens et antiracistes des années 1980, comme de nombreux activistes de sa génération28. Emmanuelle Cosse s’est engagée au sein d’Act Up-Paris en réaction aux problèmes de marginalisation et d’inégalité au sein de la société française révélés par le sida, et non pas en raison d’intérêts personnels particuliers, et elle y a acquis des responsabilités jusqu’à devenir en 1999 la première femme, hétérosexuelle et séronégative, présidente de l’association. À l’initiative de Philippe Mangeot, d’Emmanuelle Cosse et d’autres, Act Up-Paris a constitué le fer de lance d’une action collective à la veille des élections législatives de 1997, à travers un mouvement intitulé « Nous sommes la gauche », demandant que la gauche officielle réponde aux besoins et aux préoccupations des groupes sociaux situés aux marges, qui n’étaient pas représentés par les politiques de l’époque. « La gauche officielle ne gagnera pas les élections sans nous », revendiquait leur manifeste. « Nous sommes la gauche qui se bat et s’est toujours battue sur le terrain pour ses propres conditions de vie et pour celles de tous. »29
Le combat pour les sans-papiers
40C’est le travail d’Act Up-Paris sur les droits des immigrés qui constitue l’exemple le plus éclairant à travers lequel analyser les luttes politiques de la gauche postcoloniale, en ce qu’il établit plus directement un pont entre le national et le global pour étendre la promesse universelle de la République française au-delà des frontières culturelles de la France. Depuis les années 1990, la loi française organise l’expulsion des immigrés sans-papiers, y compris ceux recevant des traitements pour des maladies graves en France, qui sont renvoyés dans des pays à faibles ressources dépourvus de systèmes de soin leur permettant de poursuivre leurs traitements. Suite à des mobilisations et à un travail de pression importants contre les politiques de la droite au pouvoir en 1996, à travers notamment l’occupation de deux églises par plusieurs centaines de sans-papiers, le gouvernement socialiste élu en 1997 a travaillé avec Act Up-Paris pour établir une exception médicale aux expulsions, au moment où ce gouvernement régularisait de nombreux sans-papiers. Depuis lors, les gouvernements de gauche comme de droite ont plutôt exécuté sans scrupule une politique qu’Act Up-Paris et les associations d’immigrés ont qualifiée de « double peine », qui soumet les immigrés pris au piège du système judiciaire à une punition pour le délit d’origine et à leur renvoi dans un pays à faibles ressources dont l’infrastructure médicale est inadaptée à leur cas. Depuis 2002, le gouvernement de droite, principalement à travers son ministre de l’Intérieur et futur président de la République, Nicolas Sarkozy, a cherché à limiter l’accès aux soins de santé et le droit de résidence accordés par la nouvelle loi aux immigrés sans-papiers atteints de maladies graves, fixant plutôt des objectifs officiels concernant le nombre d’expulsions à atteindre chaque année.
41Au sein d’Act Up, la première commission consacrée aux droits des immigrés a été créée en 1991, et l’action des activistes s’est focalisée à la fois sur des cas individuels de séropositifs menacés d’expulsion et sur une dénonciation des politiques contre l’immigration en général. En 1998 par exemple, sous le gouvernement socialiste, un immigré tunisien, Ali, a été arrêté par les autorités simplement pour ne pas avoir respecté l’interdiction de se déplacer sur le territoire français. Alors que la loi sur l’immigration rendait impossible son expulsion parce qu’il était malade, cette clause ne s’appliquait plus dès lors qu’il avait été arrêté pour une autre infraction. Face au risque encouru par Ali, Act Up-Paris a déclaré – dans un réquisitoire dont on peut noter la similarité avec celui dressé contre Gilead – qu’« en appliquant aveuglément une loi injuste, [l’État français] deviendrait l’allié objectif du sida »30. De manière provocante, l’accusation est portée contre « l’État français » et non la République française – le premier étant le nom officiel de la France de Vichy.
42La logique d’une telle assistance n’est pas seulement humanitaire. Le service d’action sociale mis en place par Act Up instaure un lien direct entre les hommes gays qui dominent l’association et d’autres communautés touchées par le sida et la marginalisation. Comme l’explique une activiste, un tel service implique d’écouter et d’apprendre de la part d’Act Up, tandis qu’il projette ceux qui sont aidés dans un monde d’action et dans une communauté qui a fait du statut de séropositif une arme31. Dans le cadre d’une action plus large sur l’immigration, Act Up-Paris fait partie des forces motrices d’un mouvement en plein développement composé d’associations d’immigrés ou de défense de leurs droits, se livrant à une contestation publique de la politique d’expulsion du gouvernement. Les activistes anti-sida ont soutenu les immigrés du 9e Collectif de Sans-Papiers qui avaient occupé les bureaux de l’Unicef pour demander l’application des droits humains et du droit d’accès aux soins de santé. Ils se sont joints aux manifestations qui ont marqué le 10e anniversaire de l’une des expulsions les plus fameuses, celle de l’église Saint-Bernard, où des immigrés avaient trouvé refuge en 1996. Ils ont occupé les bureaux du ministère de la Santé pour protester contre les limitations d’accès aux soins médicaux pour les immigrés sans-papiers infectés par le VIH. Ils ont également recouvert les murs de Paris d’une affiche assimilant les politiques de la droite traditionnelle à celles de l’extrême droite, où figure une photo de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur et candidat à la présidence de la République, accompagnée du slogan « Votez Le Pen » – Jean-Marie Le Pen étant le président du Front national, le principal parti d’extrême droite. Signe de son irritation, Nicolas Sarkozy a saisi la justice pour faire interdire la diffusion de cette affiche.
43Dans bien des domaines de son action, la rhétorique d’Act Up-Paris relie la République actuelle aux politiques autoritaires et xénophobes de Vichy et au racisme colonial. Par exemple, une affiche de l’association réalisée en 1996 était divisée en trois images montrant chacune une arrestation policière : la première concernait la déportation des Juifs sous Vichy ; la seconde traitait de la répression des Algériens résidant en France durant la guerre d’Algérie pour l’indépendance ; la dernière montrait un immigré africain contemporain contrôlé avant son expulsion. L’association a décrit la politique de santé du gouvernement comme étant basée sur un « principe de préférence nationale » inspiré de Jean-Marie Le Pen plutôt que des droits humains32. Jérôme Martin, qui apparaît de manière importante dans le débat sur l’essai DART, a déclaré à des représentants du gouvernement : « Votre politique, c’est du racisme, c’est du racisme d’État. »33 Une autre publication encore rappelle les expulsions sous Vichy, lorsque l’association explique que « le gouvernement, au mépris de la loi et de tout principe démocratique, (...) envoie un nouveau signe fort [aux sans-papiers] : ils doivent partir, ou mourir en France, sans soins et sans droits »34. Au sujet de Nicolas Sarkozy l’association a écrit que son discours est « raciste » et sa politique « meurtrière »35.
44La démarche d’Act Up-Paris ne consiste pas seulement à affronter une politique reposant sur « la peur de l’autre, les tentatives de division et au bout du compte la xénophobie »36. Elle ne se réduit pas non plus à un jeu rhétorique visant à comparer Nicolas Sarkozy aux sympathisants nazis ou aux extrémistes du Front national. Sans dénier les impulsions et pratiques racistes du colonialisme français dès son origine, il est important de rappeler que, sous Vichy, un racisme flagrant devint la base de la politique coloniale officielle en Afrique, l’État français abandonnant même le prétexte de la mission civilisatrice qui justifiait l’exploitation coloniale sous la République (Chafer, 2002). Jean-Marie Le Pen, connu pour son antisémitisme, sa xénophobie, son nationalisme aigu, ses dénis de l’Holocauste et ses attaques contre l’homosexualité, rappelle assurément le régime de Vichy. De même, sa propre histoire, qui comporterait des épisodes de torture en Algérie durant la guerre pour l’indépendance, éclaire les implications racistes du passé colonial de la République et le fait que l’expérience de l’immigration est un héritage du colonialisme. De plus, les représentants officiels de la France, de Charles de Gaulle à François Mitterrand, ont entretenu une relation complexe et ambiguë avec Vichy. Lune des affaires les plus notables concerne Maurice Papon, récemment décédé, dont l’histoire cachée n’a pas été révélée avant les années 1990. Fonctionnaire de Vichy, intégré au gouvernement par Charles de Gaulle, Maurice Papon supervisait la Police de Paris durant la fameuse nuit de massacres au cours de laquelle au moins 200 manifestants algériens disparurent des rues de la capitale en octobre 1961, et il fut reconnu coupable de crime contre l’humanité dans les années 1990 pour son rôle dans la déportation des juifs.
45En 2006, une action d’Act Up-Paris devant le ministère de l’Intérieur a donné lieu à un die-in, lorsque les manifestants se sont allongés dans la rue comme s’ils étaient morts, afin de « rendre visible les morts occasionnés par [la] guerre [de Nicolas Sarkozy] contre les étrangers »37. La référence à la guerre, également utilisée durant la manifestation de la journée mondiale du sida en 2001, relie les politiques du gouvernement au monde néocolonial. Au moment où la banderole « Sida : l’autre guerre », brandie en 2001, faisait référence à la guerre contre le terrorisme que s’apprêtaient à mener les pays occidentaux qui préparaient leur attaque sur l’Afghanistan, la guerre de Nicolas Sarkozy contre les immigrés sans-papiers évoquait aux activistes aussi bien les guerres coloniales françaises en Indochine et en Algérie que les massacres de 1961 dans les rues de Paris. La guerre comme politique néocoloniale est renvoyée dos-à-dos avec le droit universel aux soins de santé et le droit de travailler légalement, qui correspondent l’un et l’autre à des droits humains garantis par l’idéologie universaliste de la République française, mais qui sont désormais menacés par le gouvernement.
Conclusion : Science, immigration et politiques postcoloniales
46J’ai convié le lecteur à un vaste parcours, des politiques de la science aux politiques d’immigration, de l’organisation collective des gays à la France de Vichy, du Cambodge à Paris en passant par l’Ouganda et le Cameroun. Mais ce voyage est important en ce qu’il révèle à la fois l’arrière-plan du débat autour de la science et de la recherche médicale au Sud et la logique des luttes politiques d’Act Up-Paris. En réponse à la question posée plus haut – pourquoi Act Up-Paris n’a pas succombé aux divisions et à la désintégration ayant caractérisé l’évolution d’Act Up à New York au début des années 1990 –, j’ai montré que les activistes français ont continué d’établir un lien entre la politique du sida comme problème de marginalisation et la politique du sida comme enjeu de science.
47L’histoire des actions menées par Act Up-Paris, comme tout parcours inscrit dans le temps, implique une évolution. Servant à l’origine en premier lieu les intérêts de la communauté gay l’association est devenue ce que certains de ses dirigeants qualifient d’avant-garde, à travers laquelle un groupe principalement composé d’hommes homosexuels a milité à propos de questions de marginalisation qui ont permis de relier leur expérience du sida à des inégalités globales. Agir ainsi était bien sûr une nécessité pour Act Up-Paris si elle voulait être entendue. Car les règles politiques françaises imposent une stratégie générale, considérant les revendications politiques comme l’expression du bien commun et de la solidarité sociale, et ne reconnaissant une action politique comme solide qu’à travers l’application d’une expertise. Alors que les activistes obtinrent quelques succès à cet égard, ils attirèrent une nouvelle catégorie d’activistes, plus jeunes que Didier Lestrade et Christophe Martet, ces nouveaux adhérents étant tout autant attirés par la gauche alternative en général qu’ils l’étaient par Act Up-Paris en particulier.
48Œuvrer à prendre en considération les besoins de tous ceux qui sont touchés par le sida nécessite la reconnaissance d’une variété de formes de marginalisation et un moyen de les faire tenir ensemble dans le cadre d’une lutte pour l’« empowerment » – un terme que les activistes utilisent en anglais sans le traduire38. La gauche postcoloniale, dont les stratégies sont basées sur des luttes politiques locales servant de points d’appui à partir desquels peut être contesté un système global d’inégalités, apporte la structure narrative nécessaire pour intensifier des sentiments de solidarité mutuelle et militer non seulement au sein d’un cadre local donné, mais aussi dans d’autres endroits du monde (souvent au sein de la sphère d’influence française traditionnelle), reliant ainsi une diversité de microclimats sous une compréhension macro du pouvoir global. Dans d’autres travaux, je me suis centré sur l’agenda anti-néolibéral qui fonde l’accusation de faute professionnelle criminelle portée contre les ministres qui autorisèrent la distribution du « sang contaminé » (Bosia, 2005). J’ai situé ces interventions dans le cadre d’une revendication de citoyenneté qui relève spécifiquement de l’idéologie républicaine française au niveau de l’accent mis sur la solidarité sociale et de son hostilité à la primauté accordée aux intérêts financiers sur les questions humaines. Pour les activistes anti-sida, il s’agissait d’une approche logique dans un contexte où les homosexuels étaient considérés, d’une manière ou d’une autre, en dehors à la fois de la République et de la Nation. Je voudrais dépasser ici la question de la mondialisation pour suggérer qu’Act Up-Paris est allée plus loin, portant la promesse universaliste du républicanisme français d’une manière que les Révolutionnaires du xviiie siècle auraient reconnue, en étendant les « droits de l’homme et du citoyen » aux individus autrefois considérés comme en dehors de la citoyenneté, indépendamment de la nationalité, et en répudiant les prérogatives de la Nation comme les Révolutionnaires répudièrent initialement la guerre.
49Ce sont ces luttes politiques postcoloniales qui apportent sa cohérence au parcours proposé ici. Les hémophiles, les homosexuels et les immigrés français sont reliés aux travailleuses du sexe au Cameroun et aux personnes infectées par le VIH en Ouganda participant à la recherche médicale. Ce lien découle d’une approche générale des problèmes de marginalisation, au sein d’un système global d’inégalités où l’expertise locale est sous-estimée, où les besoins humains du présent ne sont pas pris en compte, où le racisme justifie l’exploitation financière de certains pour le bénéfice d’autres. Concernant les politiques de santé appliquées aux immigrés, Act Up-Paris affronte un gouvernement accusé d’utiliser le racisme pour créer une division artificielle entre le pauvre « français » et le pauvre immigré, de la même manière que le soutien en faveur des travailleuses du sexe vise à contester un système justifiant l’exploitation de femmes dépourvues de pouvoir pour le bénéfice potentiel de compagnies pharmaceutiques du Nord. De manière plus importante, chaque action dans laquelle Act Up-Paris s’est engagée a été motivée par le désir de créer des réseaux nouveaux et locaux de pouvoir depuis lesquels affronter des inégalités globales. À l’heure de la troisième décennie du sida, il est devenu presque automatique de dire que l’épidémie est le résultat d’inégalités globales. Pour Act Up-Paris, agir au niveau de la dimension néocoloniale de la maladie nécessite plus que des discours. Cela oblige à tirer profit de sa propre expérience – le besoin de s’organiser collectivement et de construire des coalitions – pour aider les autres à conquérir du pouvoir. Les luttes politiques postcoloniales ne sont pas, contrairement à ce que Gregg Gonsalves suggère, l’équivalent d’une « pseudoscience », parce que l’enjeu central, ici, n’est pas la science. C’est le pouvoir.
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La version originale de ce texte est parue dans la revue French Politics, Culture & Society : « AIDS and postcolonial politics : Acting Up on science and immigration in France ». French Politics, Culture & Society, 2009, 27(1) : 69-90. Traduction : Christophe Broqua.
Notes de bas de page
1 « Étude de FHI sur le ténofovir par voie orale pour la prévention du VIH chez les femmes à haut risque d’infection », 2006 [http://Awvw.fhi.org/fr/RH/Pubs/Briefs/etudetdfFHl.htm].
2 Brenda Wilson, « AIDS drugs considered for use before HIV infection ». Morning Addition, National Public Radio, 6 mars 2006.
3 Des informations sur cette étude sont disponibles auprès du secteur recherche du San Francisco Department of Public Health HIV [http://www.helpfighthiv.org].
4 « DART trial update », XV International AIDS Conference, Bangkok, 11-16 juillet 2004 [http://www.ctu.mrc.ac.uk/dart/files/DARTICASA2003.pdf].
5 En 2008, l’auteur a consulté les archives d’Act Up-Paris et a réalisé des entretiens avec des militants qui occupaient des responsabilités durant la période 2004-2007, parmi lesquels Hugues Fischer, Jérôme Martin et Fabrice Pilorgé.
6 Act Up-Paris, « Gilead organise la contamination des travailleuses du sexe », publié en ligne, 16 juillet 2004 [http://www.actupparis.org/article1742.html].
7 Act Up-Paris, « Gilead organise la contamination des travailleuses du sexe », publié en ligne, 16 juillet 2004 [http://www.actupparis.org/article1742.html].
8 Act Up-Paris, « Gilead organise la contamination des travailleuses du sexe », publié en ligne, 16 juillet 2004 [http://www.actupparis.org/article1742.html].
9 Act Up-Paris, « Placebo contre ténofovir : un essai à faire vomir ». Action 95, publié en ligne, 1er octobre 2004 [http://vvww.actupparis.org/article2169.html].
10 Email de Solomon Kapere à Gregg Gonsalves, 22 août 2006.
11 Act Up-Paris, « DART : a fact sheet », 11 décembre 2006 [http://www.actupparis.org/IMG/pdf/Fact_sheet_on_problems_with_DART.pdf].
12 Email de Solomon Kapere à Joshua Chigodora et Gregg Gonsalves, 23 août 2006.
13 Entretien avec Solomon Kapere, 15 juillet 2007.
14 Email de Jérôme Martin à Sipho Mthathi et Zachie Achmat, 10 octobre 2006.
15 Email de Gregg Gonsalves à HEALTHGAP listserve, « The rise of pseudoscience in the analysis of the DART study », 26 août 2006.
16 Email de Gregg Gonsalves à HEALTHGAP listserve, « Facts about DART controversy », 24 août 2006.
17 Email de Gregg Gonsalves à HEALTHGAP listserve, 15 septembre 2006.
18 Zachie Achmat et Sipho Mthathi, respectivement président et secrétaire général de TAC, lettre datée du 6 décembre 2006.
19 Email de Richard Jefferys daté du 24 août 2006, qui a circulé initialement via le groupe Yahoo international Treatment Preparedness.
20 Voir, par exemple, la collection d’essais signés par des chercheurs et des activistes dans Crimp, 1988 (en particulier les contributions de Douglas Crimp, Simon Watney et Gregg Bordowitz) ; Gamson, 1989 ; Crimp et Rolston, 1990 ; Elbaz, 1995 ; Kistenberg, 1995 ; Jennings et Andersen, 1996 ; Gould, 2009.
21 National Association of People with AIDS, « Denver Principles », 1983.
22 Interview, 14 décembre 2002, ACT UP Oral History Project, p. 39.
23 Interview, 19 Janvier 2004, ACT UP Oral History Project, p. 23.
24 Minutes of the January 2, 1991, weekly meeting. ACT UP Collection, New York Public Library.
25 Entretien avec Christophe Martet, 20 octobre 2001.
26 Entretien avec Philippe Mangeot, 27 novembre 2001, Paris.
27 Herman Lebovics (2004) propose un compte rendu détaillé du mouvement du Larzac. Tyler Stovall (2003) révèle les connections alarmantes entre le racisme colonial et la marginalisation de classe.
28 Entretien avec Emmanuelle Cosse, 27 novembre 2001, Paris.
29 Act Up-Paris et al., « Nous sommes la gauche », publié en ligne, 22 avril 1997 [http://www.actupparis.org/article322.html].
30 Act Up-Paris, « Double peine : aujourd’hui, un malade du sida risque sa vie à la 25e chambre », publié en ligne, 24 novembre 1998 [http://www.actupparis.org/article433.html].
31 Entretien avec Marie Cuilliez, juillet 2008.
32 Act Up-Paris, « Aide Médicale d’État payant : pas de santé pour les sans-papiers », Action, n° 85, publié en ligne, 23 janvier 2003 [http://www.actupparis.org/article981.html].
33 Act Up-Paris, « Restriction des conditions d’accès à l’Aide Médicale d’État : “nous sommes de mauvais élèves, nous n’avons pas bien travaillé” », publié en ligne, 18 juin 2003 [http://www.actupparis.org/article1172.html].
34 Act Up-Paris, « Aide Médicale d’État payant : pas de santé pour les sans-papiers », Action, n° 85, publié en ligne, 23 janvier 2003 [http://www.actupparis.org/article981.html].
35 Act Up-Paris, « Une affiche pour dénoncer un discours raciste et une politique meurtrière », publié en ligne, 19 décembre 2005 [http://www.actupparis.org/article2303.html].
36 Act Up-Paris, « 9e anniversaire de l’expulsion de St. Bernard », publié en ligne, 24 août 2005 [http://www.actupparis.org/article2045.html].
37 Act Up-Paris, « Act Up-Paris versus Nicolas Sarkozy : généalogie d’un combat », Action, n° 102 Entretien avec Julien Devemy, juillet 2008.
38 Entretien avec Julien Devemy, juillet 2008.
Auteur
Politologue. Maître de conférences en science politique. Saint Michael's College, Colchester, Vermont, USA.
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