Chapitre 8. Le glissement de l’association Solidarité Sida vers l’international
Entre évidence et jeux de position
p. 281-331
Texte intégral
1L’association Solidarité Sida a été créée à la fin de l’année 1992 par Luc Barruet et Éric Elzière. Dans le contexte d’un champ de lutte contre le sida globalement marqué, au Nord, par une démobilisation consécutive à l’arrivée des trithérapies en 1996, Solidarité Sida se distingue notamment par sa croissance à contre-courant, par ses modes d’intervention originaux (privilégiant la sensibilisation par l’événementiel) et par la distance qui caractérise ses membres vis-à-vis de la maladie comme de l’homosexualité. Si les activités de l’association se sont diversifiées sur la durée, sa composition sociologique est restée relativement stable, mettant en avant des bénévoles majoritairement âgés de 18 à 25 ans, hétérosexuels et séronégatifs.
2La première ambition de ce texte est de mettre en lumière une association que les chercheurs en sciences sociales ont ignorée jusqu’à présent1 et qui est parvenue à s’imposer sur la durée, en dépit de l’accueil mitigé que lui ont réservé les autres associations dès sa création. Ainsi, malgré un budget n’ayant jamais atteint celui d’Aides ou Sidaction2 et une notoriété certainement moindre que celle d’Act Up, Solidarité Sida a pu étendre ses activités, et gagner en autonomie et en expertise. Au fil du temps, elle a de plus en plus œuvré au soutien aux associations étrangères, que ce soit de manière très pratique, à un niveau financier et technique, ou de façon plus symbolique, en termes de mobilisation de l’opinion publique et d’interpellation des décideurs politiques pour l’accès universel aux traitements antirétroviraux (ARV). C’est précisément une contribution socio-historique revenant sur les conditions et les modalités concrètes de ce que j’appellerai le « glissement » de Solidarité Sida vers l’international qui est proposée ici. Si le déplacement du regard vers le Sud opéré par Solidarité Sida correspond à une tendance associative et institutionnelle plus générale qui répond aux changements affectant les structures sociales de l’épidémie, nous verrons qu’il est pour partie conditionné par la sociologie de l’association comme par les luttes de position au sein du champ associatif anti-sida français. En effet, Solidarité Sida prend en quelque sorte le « train de l’internationalisation » en marche, au tournant des années 2000, mais elle fera rapidement de cet accent international un facteur de distinction vis-à-vis des autres associations3.
3Pour faciliter la lecture, nous distinguerons trois grandes périodes : celle de l’implantation de Solidarité Sida dans le champ associatif anti-sida français (1992-1998), où le succès qu’elle rencontre auprès du grand public contraste singulièrement avec le déficit de reconnaissance ressenti du côté des autres acteurs associatifs ; celle du développement (1999-2003), qui correspond à une ouverture croissante de la structure aux questions internationales tandis que l’association s’institutionnalise et que ses rapports avec les autres associations se normalisent ; et la période la plus récente, synonyme de difficultés financières inédites pour Solidarité Sida et d’un recentrage plus ou moins contraint de son action sur l’Afrique (2004-2008).
4Cette recherche s’insère dans le cadre d’une thèse en science politique dirigée par Erik Neveu et en cours de rédaction4. L’analyse repose sur un travail de terrain mêlant observation participante, enquête quantitative par questionnaires auto-administrés et réalisation d’une soixantaine d’entretiens avec des salariés et bénévoles appartenant ou ayant appartenu à Solidarité Sida. Nous y avons ajouté une demi-douzaine d’entretiens effectués avec des acteurs associatifs extérieurs, spécialistes des questions Nord-Sud. La démonstration s’appuie enfin sur le dépouillement de documents internes à Solidarité Sida et d’articles de presse.
Implantation nationale et quête de légitimité (1992-1998)
Le contexte de la création de Solidarité Sida
5C’est dans un environnement où les préoccupations des acteurs associatifs anti-sida du Nord sont encore bien éloignées des problématiques du Sud (Barnett et Blaikie, 1992)5 qu’apparaît Solidarité Sida, L’association est créée fin 19926 par deux amis, Éric Elzière et Luc Barruet, lesquels terminent à l’époque des études en communication. Luc Barruet bénéficie déjà d’une expérience solide dans l’animation de groupes de jeunes et l’événementiel. Moniteur dans le cadre de divers stages sportifs et colonies de vacances, il a également créé une association étudiante au sein de son IUT et a participé, en tant que stagiaire, à l’organisation des festivités liées au vingtième anniversaire de l’université Paris XIII – une manifestation dotée d’un budget important. C’est donc lui qui prend d’emblée en mains les rênes de la structure, décidant de travailler à l’implication des jeunes dans la lutte contre le sida et de privilégier l’événementiel comme mode de mobilisation de la jeunesse, mais aussi comme outil de récolte de fonds7. L’apparition de Solidarité Sida conforte donc le constat selon lequel, au tournant des années 1990, « le champ de lutte contre le sida se recompose à travers un double phénomène de généralisation et de fragmentation : par son émergence dans le champ politique, le sida se transforme en cause d’intérêt général ; parallèlement se créent de multiples associations ciblant leur intervention sur des populations différenciées » (Broqua, 2006 : 21)8. En effet, la création de Solidarité Sida participe d’un mouvement de « déspécification » de la cause eu égard aux premières populations touchées – homosexuelle en particulier (Fillieule, 1998) – tout en contribuant au processus de spécialisation qui affecte le champ associatif, de par le public qu’elle privilégie (cible « jeunes »). L’arrivée de Solidarité Sida est également révélatrice de la place progressive prise par la communication dans la lutte contre le sida, les associations s’éloignant de plus en plus du caractère artisanal des premières tentatives de mobilisation (Barbot, 1999 ; Lestrade, 2000), développant une communication plus active et affinant leurs stratégies, en misant souvent sur l’organisation d’événements ponctuels (Broqua et Fillieule, 2002).
6Particulièrement marqué par le concert hommage à Freddy Mercury, organisé à Wembley en avril 1989, Luc Barruet pense déjà que l’organisation d’un concert serait le moyen idéal pour atteindre son objectif de récolte de fonds. Il faudra attendre plusieurs années avant que ce projet se concrétise, avec la première édition du festival Solidays en 1999. Bien d’autres événements de récolte de fonds/sensibilisation seront organisés auparavant, mais la toute première étape constitutive consistera à gagner en notoriété et en crédibilité auprès des partenaires et relais potentiels : médias, sponsors, partenaires privés, etc. Le choix d’Antoine de Caunes comme parrain de l’association est à ce titre emblématique : Luc Barruet voit en lui un ambassadeur idéal, tant dans le monde de la musique et des médias qu’auprès des jeunes, cibles préférentielles de l’association. D’autres parrains célèbres suivront (Muriel Robin, MC Solaar, etc.), qui viendront même garnir les rangs des premiers Conseils d’administration de Solidarité Sida.
7Parmi les premières personnalités sollicitées, on trouve certes quelques individus déjà connus dans le milieu sida9, tels Dominique Coudreau (premier directeur de l’Agence française de lutte contre le sida), Benoît Félix (infirmier passé par l’accompagnement aux malades à Aides avant de devenir animateur de prévention au Centre régional d’information et de prévention du sida (Crips Île-de-France)10 ou encore Jean-Max Blum, qui représentait Aides au sein du premier Bureau d’Ensemble contre le sida (ECS)11 (Pinell et al., 2002 : 328). Le rôle de ce dernier est d’autant plus important qu’il apporte à la fois sa compétence professionnelle de manager, en tant qu’ancien directeur général du groupe Pierre et Vacances, et son expérience de militant bien au fait des enjeux de la lutte contre le sida et des divers positionnements associatifs. De surcroît, il incarne le point de vue des séropositifs, du fait de son vécu de personne atteinte et d’ancien compagnon d’un homme décédé du sida. Sa présence agit donc avant tout comme une forme de caution morale pour Solidarité Sida, dans le contexte de méfiance qui entoure la création de l’association. Jean-Max Blum sera le premier conseiller de Luc Barruet dans ses démarches. Il guidera le processus de structuration de l’association et contribuera assez largement à la formation de la première génération de bénévoles et de salariés de Solidarité Sida.
8D’autres personnalités apporteront au Conseil d’administration de Solidarité Sida leur compétence de manager ou de « communicant »... et leur carnet d’adresses, leur participation aidant à nouer des contacts avec de nombreux partenaires privés. Le Conseil d’administration restera longtemps dominé par les représentants du monde de l’entreprise, et de la communication en particulier, tandis que les personnes bénéficiant d’une « expertise sida » se feront plutôt rares.
9Du reste, les premiers bénévoles de Solidarité Sida, ceux qui font tourner l’association au quotidien, sont pour l’essentiel des jeunes actifs ou des étudiants en fin de cursus. Ils sont majoritairement issus de la bourgeoisie provinciale (schéma le plus courant : père médecin ou cadre supérieur et mère au foyer). Ils ont très souvent reçu une éducation catholique qu’ils qualifient d’« ouverte », affirmant au cours des entretiens leur distance vis-à-vis de toute forme de dogmatisme. Beaucoup font part spontanément, par exemple, de leur opposition aux prises de position de l’Église sur le préservatif ou l’homosexualité. Rarement investis précédemment dans des organisations associatives, ils rapportent en revanche des expériences de bénévolat ponctuel et insistent sur la transmission parentale de valeurs solidaires et sur leur attention précoce à l’Autre. Ils sont pour l’essentiel hétérosexuels, séronégatifs et peu d’entre eux comptent des personnes atteintes dans leur entourage proche. Si le réseau d’interconnaissance des fondateurs a beaucoup fonctionné au départ et si des formes de sollicitation ciblée ont permis de mobiliser des compétences spécifiques, ces jeunes ont trouvé à Solidarité Sida l’occasion d’œuvrer au service d’une cause omniprésente dans les médias à l’époque et dont diverses données attestent qu’elle constitue alors une des principales préoccupations des jeunes. Notons en outre que, dès ses débuts en 1992, l’association est composée majoritairement de jeunes femmes, ce qui la rapproche davantage de la sociologie des associations humanitaires que de celle des associations anti-sida. Enfin, à l’évidence, la distance qui sépare les fondateurs et les premiers bénévoles de Solidarité Sida de l’expérience de la maladie constitue – au même titre que leur jeunesse ou la spécificité de leur formation universitaire – un facteur explicatif majeur pour comprendre pourquoi Solidarité Sida s’oriente rapidement vers des modes d’action événementiels, à dimension plutôt festive, avec un message globalement porteur d’espoir.
Concurrence et méfiance au sein du champ anti-sida
10Plusieurs raisons permettent d’expliquer les réticences qui entourent l’arrivée de Solidarité Sida dans le champ de lutte contre le sida. Nous savons d’abord que les pratiques de levée de fonds et l’appropriation d’un ensemble de techniques empruntées au monde marchand se sont largement diffusées au sein du milieu associatif depuis le milieu des années 1970. Pourtant, il a été démontré combien de bons résultats comptables n’avaient « ni effacé les stigmates du dirty work, ni renforcé l’intégration des collecteurs (...) comme faisant partie de la “famille associative” » (Lefevre, 2007 : 170). Par conséquent, les réserves portées sur Solidarité Sida doivent être resituées dans le contexte général de discrédit qui pèse sur toutes les ONG accomplissant « ce travail sale et salissant de la manipulation de l’argent » (Lefevre, 2007 : 151)12. Cependant, il faut y ajouter d’autres causes, au premier rang desquelles figure une interrogation sur les motivations des membres de l’association et spécialement de son principal initiateur, Luc Barruet13.
11Luc Barruet n’est pas le premier à avoir tenté de mobiliser la jeunesse14 et il existe des précédents en matière d’action événementielle et de mobilisation d’artistes dans la lutte contre le sida, la plus significative étant celle lancée par Line Renaud en 1985 avec la création de l’Association des artistes contre le sida (AACS) (Pinell et al., 2002 : 143), même si celle-ci s’était mise en sommeil assez rapidement, ses galas cessant avec la première guerre du Golfe en 199115. Toutefois, les motivations de Luc Barruet paraissent d’emblée plus suspectes : non seulement il n’est ni homosexuel, ni séropositif et son degré de proximité avec la maladie est méconnu16 ; mais il n’appartient pas non plus à la communauté des artistes, ni ne dispose de la carrière et de la notoriété qui rendaient « insoupçonnable de tout intérêt personnel (...) et de tout intérêt professionnel » une Line Renaud (Pinell et al., 2002 : 146). Cette « suspicion » liée au profil des fondateurs est aggravée par d’autres facteurs : premièrement, la connotation festive de la démarche événementielle de Solidarité Sida, ses méthodes inspirées du marketing, son « côté paillettes »17, qui passent sans doute pour d’autant plus « déplacés » dans un contexte où les chiffres de la mortalité et de la morbidité liées au sida en France arrivent à leur seuil maximal18 ; ensuite, l’absence d’effort de communication en direction des autres associations (que Luc Barruet assume clairement : « J’étais un mauvais président parce qu’aller faire VRP, aller saluer les gens pour qu’ils me connaissent, j’en avais rien à péter, c’était pas ma priorité ! Je savais tout ce que disaient les gens sur moi, mais je m’en foutais. ») ; et surtout le décalage existant entre la visibilité médiatique de l’association, l’enchaînement des événements de récolte de fonds et une redistribution d’argent restée assez longuement peu visible et peu lisible.
12Ainsi, Solidarité Sida est placée sous le feu des projecteurs dès le 1er décembre 1993, quand Luc Barruet est invité sur le plateau de l’émission Nulle part ailleurs (où « sévit » le président d’honneur de l’association, Antoine de Caunes), en compagnie de deux parrains : Yannick Noah et Romane Bohringer, laquelle vient de se distinguer par son rôle phare dans le film Les nuits fauves. S’ensuit une première arrivée massive de bénévoles et diverses propositions de partenariats privés (avec Peugeot puis Carrefour, etc.). L’association récolte ses premiers fonds la même année, grâce à l’opération « Merci », qui permet de vendre 28 000 tee-shirts dédicacés par des artistes au profit de la lutte contre le sida. S’y ajoutent rapidement 1 million de francs levés grâce aux premières ventes de rubans rouges sur les concerts de Jean-Jacques Goldman en 1994, puis encore 1,3 million que rapporte le tout premier événement de récolte de fonds autoproduit par l’association : les « Enchères de l’espoir », une vente d’objets originaux offerts par des célébrités (octobre 1994). En 1995, l’association bénéficie à nouveau d’une couverture médiatique importante, grâce au lancement d’une campagne publicitaire à caractère préventif ciblant les jeunes, déclinée en presse, affichage et télé. Elle lance aussi une campagne d’interpellation des candidats à la veille des élections présidentielles, au moment où Act Up et Aides font de même, renforçant à nouveau l’impression d’un contraste dérangeant, voire insolent, entre une association surgie d’un peu nulle part, bénéficiant d’une expérience et d’une expertise très limitées, mais jouissant de moyens et d’ambitions importants.
13Si la création du premier poste salarié à Solidarité Sida intervient en mai 1995 avec le recrutement d’une assistante de direction/chargée de communication, elle est précédée de très peu par la mise en place d’un premier Comité de répartition des fonds. Il permet de redistribuer pour la première fois une – petite – partie des sommes collectées19. Ce comité, très restreint en nombre, est composé de membres du Bureau de Solidarité Sida : Alain Danand (Sol en Si), Danielle Leroux (Conseil national du Sida) et Benoît Félix (Crips). Concrètement, les demandes de financement remontent au comité essentiellement en vertu de liens personnels ; elles sont à l’époque peu nombreuses et pour la quasi-totalité satisfaites. Les sommes sont alors affectées en deux tranches : l’aide directe aux malades français commence via l’attribution de Tickets Service et d’aides d’urgence (sur sollicitations d’assistantes sociales), tandis qu’un chèque de 500 000 francs vient financer des bourses de recherche. L’attribution de Tickets Service et d’aides d’urgence restera longtemps une spécificité de Solidarité Sida. En revanche, le financement de la recherche crée clairement un problème de doublon avec les attributions d’ECS, contribuant à alimenter une certaine animosité entre la direction de Solidarité Sida et celle d’ECS.
14Il nous faut revenir à ce propos sur le contexte entourant la création d’ECS au milieu des années 1990 : pas moins de 300 millions de francs sont recueillis en 1994 à l’occasion du premier Sidaction, mais l’arrivée de cette manne financière a des incidences majeures sur l’évolution du milieu associatif. Car Aides, Act Up et Arcat-Sida, qui créent conjointement ECS – association chargée de répartir les dons du Sidaction –, y voient l’occasion d’asseoir leur position dominante, s’accordant sur le principe d’une répartition des fonds extrêmement avantageuse pour elles et en profitant pour développer de nouveaux domaines d’activité, tandis qu’elles disposent de la manière dont vont pouvoir se répartir les miettes du gâteau au reste de la « nébuleuse associative » (Pinell et al, 2002 : 324-332). Le contrecoup de ce développement se révèle néanmoins très vite, avec le semi-échec du Sidaction 1995 puis la polémique née du coup d’éclat télévisé de Christophe Martet en 1996, lesquels exacerbent les tensions qui existaient déjà, entre Aides et Act Up bien sûr mais pas seulement, autour notamment de la question du salariat. Témoignant à la fois d’une certaine tergiversation quant à ses orientations mais sans doute plus encore de sa volonté d’intégration au sein du champ de lutte anti-sida, la direction de Solidarité Sida décide d’apporter son aide à ECS, en lui adressant un chèque de soutien puis en abondant un appel d’offres en 1997. Cette tentative de rapprochement scelle paradoxalement la rupture entre les deux structures, puisque Solidarité Sida ne bénéficie d’aucune mise en avant publique de sa contribution et qu’elle n’est pas consultée au sujet de la redistribution des fonds.
15Solidarité Sida est alors confrontée à une alternative : une première solution serait de continuer à récolter des fonds pour les redistribuer à ECS (ou à d’autres bailleurs plus importants qu’elle, bénéficiant d’une expérience et d’une expertise supérieures à la sienne) ; ce qui est rapidement posé comme un problème, à la fois du fait de la volonté qu’elle porte de limiter au maximum les frais de structure afin que les sommes qu’elle redistribue collent au mieux aux sommes récoltées (en supposant d’ailleurs que les autres bailleurs seraient perfectibles sur ce point), et tout simplement parce que le monopole d’ECS dans la redistribution des fonds est perçu comme dangereux pour le secteur associatif (risque de prise de décision valorisant le « copinage », perte d’autonomie des petites structures, etc.)20. Une seconde solution consisterait au contraire à s’affirmer en association et bailleur autonome, capable de mener des actions novatrices et complémentaires et une politique de redistribution à la fois « neutre » (au sens d’impartiale) et cohérente. Il se trouve que Solidarité Sida, dont les caisses se renflouent encore après 1996 avec les premières tournées des Nuits du zapping21, a matériellement, à cette date, la possibilité de poser cette ambition. Elle va ensuite se donner les moyens humains de la réaliser ; et ce de plusieurs manières : d’abord en recourant à l’auto-formation (particulièrement évidente sur le terrain de la prévention, où les équipes développent rapidement des actions novatrices sur les « lieux jeunes », après avoir été chercher des compétences en tant que volontaires à Aides et Sida Info Service) ; puis la professionnalisation (entre 1995 et 1998, l’association passe de 0 à 13 salariés) et le développement de ses « réseaux » associatifs22.
Les arguments d’une croissance à contre-courant
16Si l’on tente de dresser un bilan de la période 1992-1998, elle est manifestement marquée par le constat d’une croissance à contre-courant de l’évolution du champ associatif anti-sida, laquelle appelle quelques explications. En effet, à partir de l’arrivée des trithérapies en 1996, et même un peu avant, le champ de lutte contre le sida, en France et plus généralement dans les pays du Nord, entre en crise : on assiste à une « normalisation » progressive du sida (Rosenbrock et al., 2000) ou, pour le dire autrement, le sida, redéfini en maladie chronique, perd son statut d’exceptionnalité (Herzlich et Adam, 1997 ; Buton, 2005) ; les fonds affectés à la lutte contre le sida diminuent fortement (cela vaut pour les fonds publics, très certainement, mais plus encore pour les fonds privés, le scandale de l’ARC pesant défavorablement sur les dons dans la seconde moitié des années 1990) ; de plus, s’il est simpliste de parler d’une irruption soudaine de l’espoir dans la vie des personnes atteintes (Pierret, 2006 : 133 ; Broqua, 2006 : 296), les associations sont confrontées à un phénomène de démobilisation lié au burn out (forme de lassitude et d’épuisement psychologique courante après des années d’engagement intense) (Ayouch Boda, 1996) et à une certaine redéfinition des priorités des militants séropositifs induite par l’arrivée des trithérapies (recentrage sur la sphère privée, début de réengagement dans la vie professionnelle, etc.) (Broqua et Fillieule, 2001). Or Solidarité Sida reste largement à l’abri de ces évolutions déstabilisantes pour les associations. D’une part parce que sa base bénévole est très loin d’être majoritairement composée de personnes vivant avec le VIH23. D’autre part parce que l’association a toujours fonctionné sur la base d’un « engagement à la carte » (Szczepanski, 2003 ; ION et al., 2005) permettant de « joindre l’utile à l’agréable » (pour reprendre une expression fréquemment employée par les bénévoles), dont on peut penser qu’il va à l’encontre du burn out. Un des partis pris originels de Solidarité Sida va également démontrer sa pertinence, sur la durée : cette volonté de générer ses propres fonds par l’événementiel pour ne dépendre ni des dons (une façon d’affirmer le dynamisme de la jeunesse et la suprématie de la logique du don de soi sur celle du don d’argent), ni des subventions publiques (un gage d’indépendance à la fois financière mais aussi politique, même si Solidarité Sida ne profitera pas toujours de cette opportunité). S’ajoute à ces forces l’existence d’une véritable culture interne de l’économie – conçue aussi comme mode de fédération des équipes –, reposant sur la recherche de gratuités24 comme sur des sacrifices faits par les salariés en termes de salaire, de Tickets Restaurant ou de contribution au ménage pour éviter des dépenses jugées superflues. Enfin, son rôle de bailleur de fonds rend naturellement Solidarité Sida plus centrale au moment où les caisses des autres associations se vident.
Développement et « glissement » vers le Sud (1999-2003)
Des précédents dans la mobilisation associative Nord-Sud
17Différents spécialistes des politiques de lutte contre le sida au Sud, et plus spécialement en Afrique, ont fait le constat de « la relative absence, jusqu’au début des années 1990, des groupes sociaux sur lesquels s’appuie et s’inspire une politique publique » (Kerouedan et Eboko, 1999 : 26). Aussi, « au Sud de la planète, les mobilisations collectives ont d’abord été intimement liées aux connexions avec les organisations internationales, puis avec les associations du Nord » (Eboko et al, 2005 : 6).
18En France, l’implication des associations anti-sida dans une démarche de soutien actif aux pays du Sud apparaît comme plutôt précoce25. Aides fait clairement figure de précurseur, répondant dès 1989 à l’interpellation de l’ALCS Maroc demandant un soutien de ses volontaires en matière de formation initiale. Mais c’est surtout au milieu des années 1990 que la mobilisation transnationale prend racine, à l’occasion du Sommet de Paris, qui, en favorisant la rencontre d’acteurs des divers continents, débouche sur le principe d’une participation accrue des personnes affectées (ou GIPA pour Greater Involvement of People living with HIV/Aids). Aides occupe une place centrale lors de ce sommet, à travers Franck Joucla, qui est chargé de la coordination de la cellule de représentation des associations de personnes atteintes.
19En 1995, le président Arnaud Marty-Lavauzelle participe au premier Program Coordinating Board (PCB) de l’Onusida et y plaide pour un accès équitable aux soins dans le monde entier. Puis Aides est sollicitée par l’Onusida pour la formation de responsables médicaux et associatifs à la prise en charge du VIH avec des trithérapies ; avant que Franck Joucla et Francis Nock ne commencent à sillonner l’Afrique de l’Ouest avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et que ne soit créé le Réseau Afrique 2000 (Réseau Afrique 2000, 2001 ; de Haro, 2003 ; Rossert, 2007 ; Billaud, 2010)26. La Commission Nord-Sud d’Act Up-Paris est lancée elle aussi durant la première moitié des années 1990, s’investissant initialement surtout sur les questions d’éthique relatives aux essais de prévention de la transmission de la mère à l’enfant (PTME) menés dans plusieurs pays du Sud sous la responsabilité d’autorités occidentales (Dodier, 2003 : 282). Cependant, elle prend une impulsion plus décisive en 1996 avec l’arrivée à sa tête de Marie de Cenival27, qui conduit rapidement à la création de Planet Africa (People Living with AIDS Network Africa), une sorte d’« association écran » qui permettra au groupe de bénéficier du soutien financier et politique de divers partenaires français (ANRS, ministère de la Coopération, TRT5, etc.) et internationaux (Onusida, Pnud, Union européenne, etc.). L’idée sur laquelle repose Planet Africa consiste à installer du matériel informatique en Afrique afin de mettre en réseau des associations africaines et françaises pour qu’elles puissent communiquer via internet, partager de l’information médicale en temps réel, s’informer sur les questions de droits et d’éthique dans la recherche, formuler des réponses communes aux problèmes qu’elles rencontrent, mettre en œuvre des stratégies d’accès aux traitements, etc. (Gehler, 2000 : 94). Enfin, ECS finance également des associations du Sud dès 1994, à travers un appel d’offres sans restriction géographique avant de lancer un premier appel d’offres spécifique à destination des associations étrangères en 1997.
20Ces projets pionniers ont entre autres points communs d’être portés par une poignée d’individus très motivés. Ainsi, si la solidarité exemplaire des malades du Nord avec ceux du Sud a souvent été louée, il serait intéressant d’étudier plus en profondeur les motivations des tout premiers initiateurs de ce rapprochement, qui semblent être majoritairement des femmes (notamment lesbiennes) ou des gays séronégatifs28 ; lesquels se heurtent, au sein de leur propre association, à des résistances plus fortes et plus durables qu’on n’a pu l’admettre.
21A contrario, on peut émettre l’hypothèse que l’invisibilité des personnes atteintes à Solidarité Sida et le fait que l’association n’ait jamais été construite autour d’une revendication identitaire homosexuelle éclairent le peu de dissensions rencontrées quand l’association amorce son virage au Sud. Solidarité Sida finance son premier projet de soutien à l’étranger en 1997 via l’argent reversé à Sidaction (évoqué plus haut), puis quelques projets isolés. Mais ce n’est qu’au tournant des années 1999-2000 (donc ni spécialement en avance, ni tout à fait en retard) qu’elle commence à bâtir une action autonome et d’envergure en direction du Sud, avec la mise en place de ses premiers appels d’offres et programmes de soutien internationaux. Jusqu’alors, la principale opposition au risque d’un virage trop rapide vers le Sud avait été exprimée par la voix de son secrétaire général, Jean-Max Blum, dont on a déjà précisé qu’il était un des rares séropositifs connus au sein de l’association. Indépendamment des supputations concernant la défense d’éventuels intérêts individuels, à Solidarité Sida comme ailleurs, la concentration de la redistribution au niveau français trouve d’abord une justification officielle dans des considérations d’ordre économique : lancer un appel d’offres et se positionner à l’international, avec tous les déplacements que cela implique, coûte cher... En outre, s’agissant plus spécifiquement de Solidarité Sida, les fondateurs ont toujours défendu leur volonté de limiter au maximum leurs frais de structure. Enfin et surtout, une vision pragmatique pointe l’importance de bien s’implanter d’abord dans le tissu associatif français avant de passer à l’étape suivante, qui semble de plus en plus incontournable à mesure que la diffusion des traitements au Nord vient souligner, en creux, la situation dramatique des malades du Sud.
22L’affirmation de Solidarité Sida à (et par) l’international s’effectue alors, schématiquement, en deux temps : une phase de réflexion, de rationalisation et de pose des jalons de l’action internationale entre 1999 et 2001 ; puis à partir de 2002 et surtout 2003, une accélération du processus et une diversification des modes d’intervention de l’association, qui s’engage assidûment dans la mobilisation du grand public et l’interpellation des décideurs politiques pour l’accès universel aux traitements.
23Les années 1999-2001 sont des années essentielles pour Solidarité Sida en termes de rationalisation de ses activités. Le processus de professionnalisation de l’association s’intensifie avec de nouveaux recrutements, s’effectuant dans un premier temps toujours dans le cercle de connaissances des permanents de l’association, puis au-delà, induisant une montée en expertise des équipes en rapport avec la complexité des enjeux internationaux. Une personne chargée des aspects administratifs, des ressources humaines et statutaires est embauchée en 1999 puis, pour la première fois, un salarié dont le poste est dédié à 100 % aux programmes de redistribution des fonds. Ensemble ils entreprennent de formaliser le positionnement de Solidarité Sida, en rencontrant un maximum d’acteurs associatifs et politiques, dans les bureaux ou dans le cadre des grands congrès sur le sida. Au terme de ces échanges, des critères précis sont listés pour lancer un premier appel d’offres auprès des associations françaises sur les bases suivantes : transparence, viabilité financière et pérennité du projet, pertinence par rapport à l’évolution de la maladie, cohérence et complémentarité avec les autres organisations associatives. Les projets sont ensuite évalués par un Comité de répartition des fonds nettement élargi par rapport à celui de 1995 (il est composé de membres de Solidarité Sida mais surtout d’experts associatifs extérieurs, issus de Dessine-Moi un Mouton, Arcat-Sida ou encore Sida Info Service).
24Cette période marque par ailleurs l’entrée dans une forme d’institutionnalisation avec le début de l’engagement des pouvoirs publics aux côtés de Solidarité Sida : la Région Île-de-France s’associe de suite à Solidarité Sida pour l’organisation du premier festival Solidays en 1999. Le succès populaire de l’événement (80 000 spectateurs) contribue à l’obtention des agréments des ministères (Jeunesse et Sports et Éducation nationale) qui vont favoriser le développement de ses actions de prévention dans le cadre scolaire et extra-scolaire (camps de vacances, foyers de jeunes travailleurs, maisons de quartier, etc.), et permettre d’obtenir plus aisément de nouvelles subventions publiques. L’association dispose maintenant de deux outils majeurs de récolte de fonds : Solidays et surtout les Nuits du zapping, qui se sont pérennisées avec une seconde tournée nationale incluant les DOM-TOM, en 1999. Les Nuits du zapping ont permis à l’association d’augmenter encore ses ressources tout en trouvant une implantation locale, puisque, lors de ses déplacements en province, Solidarité Sida sollicite les associations étudiantes et les associations antisida locales pour la mise à disposition de bénévoles et la tenue de stands de sensibilisation/prévention le soir de l’événement. Ces conditions de viabilité financière et d’implantation nationale permettent donc à l’association d’envisager plus sereinement le passage à l’international.
25La conférence sur la prise en charge extra-hospitalière organisée à Paris fin 1999 joue un rôle essentiel dans la transition, puisqu’elle offre aux permanents de Solidarité Sida l’opportunité de rencontrer un grand nombre d’associations africaines. Des liens étroits sont noués avec quelques « personnes-ressources » comme Donald de Gagné, activiste d’origine canadienne membre d’Actions Traitements, qui va permettre à Solidarité Sida d’élargir son rayonnement en la faisant bénéficier de son vaste réseau de relations29. Une jeune femme, Karine Pouchain, est recrutée en stage au début de l’année 2000 pour évaluer précisément la plus-value que Solidarité Sida aurait à apporter sur les soutiens internationaux et les moyens que ces soutiens requièrent. À l’issue du stage, lui est dévolue la mission de « chargée de soutiens internationaux » (une création de poste). Dans le même temps, le Comité de répartition des fonds de Solidarité Sida est scindé en deux entités distinctes : un comité dédié spécialement à la France et un autre à l’international. Le nouveau comité international est composé d’une dizaine d’experts associatifs ou spécialistes des questions internationales, parmi lesquels figurent justement Donald de Gagné, le référent Afrique-Migrants du Crips, Abdon Goudjo, ou encore le docteur Marie Ahouanto, médecin spécialiste du sida, ancienne d’Act Up et d’Arcat-Sida, à cette époque salariée au Fonds de solidarité thérapeutique internationale (FSTI). C’est ce comité qui établit les critères de financement pour le lancement des appels à projets annuels.
26La décision d’engagement de Solidarité Sida sur les questions internationales intervient dans un contexte spécifique, au tournant des années 2000, où les organisations intergouvernementales et non gouvernementales acquièrent une plus grande capacité d’action dans les relations internationales, à côté des États (Dixneuf, 2004), tandis qu’un nouvel élan politique apparaît sur la question de l’accès aux traitements. Car le sida n’apparaît plus seulement comme un problème sanitaire mais comme un problème de développement, menaçant l’ordre économique mondial, la paix et la sécurité des pays (Chabrol, 2002 ; Altman, 2003 ; Gamel et Kazatchkine, 2003). En témoigne la session spéciale consacrée aux ravages de l’épidémie en Afrique au cours de laquelle le Conseil de sécurité des Nations unies reprend le slogan d’Act Up : « Le sida c’est la guerre ». « 2000 est aussi l’année de la conférence de Durban (...) où l’on voit pour la première fois se dresser un front uni entre activistes, chercheurs et médecins du Nord comme du Sud, pour réclamer un accès généralisé aux traitements » (Celerier, 2004 : 15). Au-delà du consensus établi autour de la nécessité de « briser le silence » (nom donné à la conférence de Durban) (Riviere, 2001 : 3 ; Bastien, 2005 : 85), la mobilisation transnationale connaît ses premières grandes victoires, obtenant notamment une baisse importante et croissante du prix des ARV de marque comme des génériques entre 1998 et 2000.
Les bases de l’action de Solidarité Sida à l’international
27Qu’en est-il alors des bases sur lesquelles repose l’action de Solidarité Sida à l’international ? Dans un tout premier temps, faute d’expérience et d’expertise, Solidarité Sida cherche ses marques et finance l’action de grandes ONG françaises ayant déjà mis en place des programmes Afrique (Handicap International et Care). Mais au bout de quelques mois, la stratégie est redéfinie : « On s’aperçoit d’une part que ces associations, ce qu’on peut leur donner c’est aussi une goutte d’eau par rapport à ce qu’elles peuvent avoir ; et puis, de par les connaissances de nos réseaux (en consultant notamment le Réseau Afrique 200030), on se rend compte aussi que la lutte contre le sida dans ces pays-là, elle est complètement menée par les associations communautaires de PVVIH, et du coup dès la fin de l’année 2000 on arrête de financer les grosses ONG françaises pour se concentrer sur les associations communautaires31 » (entretien avec une permanente de Solidarité Sida, mars 2007). Il s’agit donc de valoriser les petites structures agissant à un niveau très localisé, souvent situées dans des zones délaissées par l’État et les services de santé, qui, parce qu’elles sont installées au cœur des populations et souvent animées par des personnes directement concernées (infectées ou affectées) sont considérées comme motivées au premier chef par le succès des programmes, bénéficiant d’une véritable expertise du terrain et les plus à même d’aider les malades au quotidien. Ce choix d’échelle d’action, qui ne sera jamais remis en cause par Solidarité Sida, est en adéquation avec le budget de l’association, bien inférieur à celui d’autres bailleurs32 (le montant moyen de l’aide accordée par Solidarité Sida peut aller de 3 000 euros à 30 000 au maximum) ; l’idée étant d’accompagner des petites associations dans leur développement jusqu’à ce qu’elles acquièrent des compétences et une reconnaissance qui leur permettent de prétendre aux financements de bailleurs plus importants.
28En ce qui concerne le contenu des projets financés, il évoluera relativement peu. Entre 2000 et 2002, Solidarité Sida finance deux types de projets associatifs au Sud : des programmes de prise en charge globale (donc médicale, sociale et psychosociale), mais également des projets axés sur la prévention (privilégiant la prévention primaire, à savoir l’accès aux moyens de prévention, à l’information et à la documentation, la formation d’éducateurs, ou plus rarement le dépistage). Solidarité Sida se concentrera toutefois à nouveau sur la prise en charge globale des malades en 2003 et les années suivantes, considérant le fait que les grandes agences internationales et les gros bailleurs se limitent souvent à financer des projets de prévention ou de réduction des risques de transmission de la mère à l’enfant (seuls quelques projets de prévention secondaire seront également soutenus).
29Autre spécificité, plus distinctive encore : très tôt, Solidarité Sida se pose la question du renforcement des capacités des associations (qui figure parmi les critères de l’appel à projets international de 2001), à travers la prise en charge des frais de fonctionnement (salaires, loyers, factures d’électricité, moyens de transport, alimentation, etc.). En effet, cette question se pose avec acuité dans des pays confrontés à une économie de survie, problème auquel sont rarement sensibles les bailleurs traditionnels (Bastien, 2005 : 89), même si, sur ce point, Sidaction a une approche similaire. Comme l’exprime Marie Ahouanto, membre du Conseil d’administration et du Bureau de Solidarité Sida, « C’est un gage d’autonomie et de pérennité des programmes. Lutter contre le VIH en Afrique, c’est aussi susciter l’émergence d’une société civile capable de se prendre en charge. Et ça c’est un choix éminemment politique. Il ne s’agit plus de charité mais de partage des richesses pour un véritable développement durable »33.
30Cette particularité s’inscrit plus largement dans une recherche de souplesse vis-à-vis des associations financées, à la fois en amont, au moment des appels à projets (surtout lorsque les associations sont de constitution assez récente), et en aval, avec un suivi qui, sans être négligé (puisque des contacts fréquents et des missions de suivi régulières34 ont lieu sur le terrain), évite aux associations de passer leur temps à produire des rapports d’activité35 mais surtout s’efforce de les accompagner, notamment par la formation sur les aspects financiers. Pour qualifier cette souplesse et cet accompagnement, les équipes de Solidarité Sida mettent souvent en avant une notion qui est celle du « faire avec », en opposition au « faire à la place de »36.
31Au fil des ans, l’accompagnement des associations étrangères va devenir plus pointu, l’association mettant en place des ateliers de travail et des formations (sur la gestion financière, le lobbying, le pilotage de projets ou le partage d’expériences) spécialement à l’occasion de Solidays. En l’occurrence, dès l’origine, le festival a été la vitrine d’une dynamique internationale. Solidarité Sida s’est en effet fixé pour mission d’accueillir environ un tiers d’associations étrangères parmi la centaine présente au sein du Village associatif. Si le festival est un cadre d’échanges professionnels important pour les militants du Sud (rencontre avec des bailleurs de fonds potentiels, acquisition d’informations sur les nouveautés thérapeutiques, formations, etc.), c’est surtout le caractère symbolique de la rencontre avec le jeune public qui est mis en avant dans les récits des participants. Cette dimension de communion à même de dépasser les frontières géographiques, générationnelles et de statut sérologique transparaît on ne peut mieux à travers l’hommage traditionnel rendu aux associations du Sud, le samedi soir, sur la Grande scène, pour lesquels les militants du Sud sont invités à une prise de parole.
« Solidays est un événement catalyseur et fédérateur pour les associations qui luttent contre le sida. Notre participation en tant qu’association africaine de lutte contre le sida nous est très utile. La preuve en est que le mois de juillet est désormais vécu avec impatience et émotion intenses pour rencontrer nos autres consœurs africaines, européennes et mondiales. Ce sont des moments d’échanges privilégiés pour pouvoir parler de choses qui ne sont pas dites ou écrites ailleurs. Je vous assure que le moment où l’on se retrouve à Longchamp est vécu comme un électrochoc pour toutes les associations. C’est une émotion indescriptible, comme un ressourcement, Solidays est devenu le pèlerinage : on vient se ressourcer, se renforcer pour aller affronter à nouveau les différents aspects complexes du VIH. »37
32Ainsi, c’est l’expérience d’une émotion unique mais partagée qui est mise en avant par les acteurs du Sud, mais aussi par les bénévoles de Solidarité Sida, pour qui Solidays joue un rôle (re)dynamisant dans leur engagement. La plupart de ceux que nous avons pu interviewer (spécialement ceux affectés en tant que bénévoles sur le Village associatif, dont le contact avec les militants associatifs est le plus direct) le présentent non seulement comme une source d’enrichissement par l’accès à la diversité culturelle, mais surtout comme le moment de leur rencontre avec la réalité de l’épidémie ; une réalité dont ils sont généralement tenus éloignés au sein même de l’association, puisque l’aide directe aux malades ne fait pas partie des activités de Solidarité Sida et que les séropositifs déclarés y sont très peu nombreux38. À l’instar de ce que l’on retrouve dans les discours des militants du Sud, c’est le registre émotionnel qui prime dans les récits des bénévoles.
33« Les Solidays 2003, en fait, j’y ai eu ma “révélation” parce que cette année, alors que précédemment j’étais plus sur un poste merchandising, je me suis décidée à aller sur le Village interassociatif pour faire des relations avec les autres associations... Alors pendant une semaine j’ai accompagné une personne d’une association du Burkina et il y a eu notamment deux jours que je n’oublierai jamais de la vie... Son association partenaire sur le Village associatif était le Bus des Femmes et on a rencontré la personne qui s’en occupait ; c’était très fort et on nous a proposé de faire une tournée avec le Bus des Femmes... J’ai tout recopié sur mon ordi, je me suis fait un journal de bord, tellement j’ai vécu des émotions que je n’ai pas envie de perdre ; j’ai envie de les relire dans dix ans et de me souvenir de chaque détail ! » (Bérangère, étudiante, 23 ans, entretien septembre 2003).
Les prémices du plaidoyer pour l’accès universel aux traitements
34En juin 2001, des chefs d’État et des représentants de gouvernement se réunissent à l’occasion d’une session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies consacrée au VIH/sida. Considérée comme un événement historique, cette session évoque un « état d’urgence » et entérine le fait que l’épidémie de VIH/sida, « en raison de son ampleur et de son incidence dévastatrice, constitue une crise mondiale et l’un des défis les plus redoutables » pour l’humanité. La Déclaration d’engagement sur le VIH/sida39 qui ponctue cette réunion débouche rapidement sur la création d’un Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme visant à financer des projets de prévention, de traitement et d’accompagnement des malades. Selon l’OMS, ce Fonds mondial devrait être doté d’au moins 10 milliards par an pour être efficace. Mais les premières promesses de dons publiques (États, Union européenne, etc.) et privées (Fondation Bill Gates, etc.) sont en deçà des espérances (elles s’élèvent à 1,9 million de dollars, fin 2001). De plus, un certain nombre d’acteurs du Fonds mondial (États-Unis mais aussi Danemark, Suisse ou Afrique du Sud) militent pour mettre l’accent sur la prévention au détriment des traitements, arguant encore du fait que les structures permettant de se soigner sont inexistantes dans les pays en développement ou que la culture africaine est inadaptée à la prise régulière et efficace des traitements ; raisonnement que Solidarité Sida va dénoncer en le qualifiant de « meurtrier ». La direction de Solidarité Sida décide donc d’orienter sa campagne de communication autour du festival Solidays dans un sens à la fois plus internationaliste et plus revendicatif que par le passé, en évoquant l’injustice de l’équation « 90 % de médicaments au Nord, 90 % de malades au Sud » (Le Monde, 7/7/2001). En même temps, l’association met de plus en plus en avant sa capacité à jouer le rôle d’une « caisse de résonance » pour la cause : « Solidays montre ainsi l’utilité de son combat (...); il permet un coup de projecteur sur la maladie en amenant les gens à s’intéresser à ce qui se passe à l’étranger. Un reportage au journal télévisé de 20 h, c’est bien mais ça ne suffit pas : il faut créer une dynamique populaire autour du sida » (Luc Barruet, Libération, 7/7/2001).
35Solidarité Sida initie donc une pétition intitulée « Des médicaments pour tous » dont va bientôt ressortir le mot d’ordre « Jeunes en colère », déjà utilisé en 1995 pour interpeller les candidats à l’élection présidentielle. La pétition, lancée à l’occasion de Solidays, est diffusée au niveau mondial dans le réseau des associations anti-sida. Les revendications s’articulent autour de trois points essentiels : 1/ « Que les gouvernements s’engagent immédiatement à alimenter et à développer au service des malades le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme mis en place au printemps » ; 2/ « Que la communauté internationale fasse respecter l’article 31 des accords sur la propriété intellectuelle dans le cadre de l’OMC, qui prévoit des exceptions aux brevets en cas d’extrême urgence, notamment sanitaire » ; 3/ « Que les laboratoires proposent enfin des baisses de prix drastiques pour les pays en développement et refusent de se faire des marges indécentes au détriment du droit à la vie »40. Cette pétition recueillera finalement 50 000 signatures en quelques mois et sera déposée par deux salariés de Solidarité Sida, en partenariat avec des associations du Sud (dont ALCS pour le Maroc), à Bruxelles, où siège le bureau temporaire du Fonds mondial.
36En novembre 2001, par la déclaration de Doha, les membres de l’OMC, réunis au Qatar pour renégocier les accords internationaux sur la propriété intellectuelle (et plus précisément le fameux accord sur les Adpic – Aspects du droit de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce – fixant le standard de protection accordé aux brevets) reconnaissent communément la primauté du « droit à la santé » sur celui des brevets et donc la possibilité pour les producteurs de génériques de passer outre les brevets exclusifs des firmes pharmaceutiques en exportant des médicaments génériques dans les pays qui n’ont pas les moyens de mettre en place une telle industrie41.
37Au même moment, Solidarité Sida obtient un début de reconnaissance internationale, plusieurs pays africains songeant à lancer un festival bâti sur le modèle de Solidays, alliant musique et sensibilisation. Solidarité Sida est contactée notamment par le ministère délégué à la Coopération et le gouvernement d’Afrique du Sud en vue de l’organisation d’un événement autour du sida, reprenant les principes et fondements de Solidays. Quatre émissaires de l’association (le directeur Luc Barruet, le président Gilles Masson, la responsable des soutiens internationaux, ainsi qu’un tourneur42) partiront en mission en Afrique du Sud pour évaluer la faisabilité d’un tel festival, rencontrer des institutionnels et aider à la recherche de lieux et d’artistes pouvant figurer dans la programmation.
Accélération du processus et virage politique ?
38Si les principales bases de l’action de Solidarité Sida à l’international sont posées entre 1999 et 2001, les années 2002-2003 marquent une nette accélération dans le processus d’ouverture au Sud. En effet, en janvier, l’association fait un choix à haute valeur symbolique, en adoptant pour la première fois un principe de redistribution égale des fonds entre associations françaises et étrangères (de fait, le montant des soutiens internationaux « explose » en 2002, avec un budget de plus de 600 000 euros -contre 342 000 en 2001).
39Rapidement, Solidarité Sida confirme aussi, à travers sa nouvelle campagne de promotion du festival Solidays, sa volonté de se positionner sur un terrain plus politique que par le passé et de sortir du discours elliptique – voire lénifiant – qui lui était souvent reproché. Vu de l’extérieur, le slogan « Plus de bruit contre le sida » ne paraît pas forcément révolutionnaire mais pour la première fois, une accroche incluant le mot « sida » figure sur les affiches. Le festival se dote aussi d’une nouvelle identité visuelle : les petits bonhommes et autres formes désincarnées renvoyant au monde de l’enfance disparaissent au profit d’un personnage qui va devenir récurrent : Sally, petite fille noire aux dreadlocks, symbole de fierté et de détermination (le poing droit est fermé, la main gauche mise solidement en opposition comme pour signifier un « stop » à l’épidémie). Dans les jours précédant le festival, l’organisation des premiers États généraux Solidays démontre à nouveau la volonté croissante qu’a Solidarité Sida d’utiliser le festival comme catalyseur de la contestation des inégalités. La vocation de ces États généraux est triple : favoriser les échanges Nord-Sud, permettre de développer des actions de plaidoyer à vocation internationale (à commencer par l’accès aux traitements) et créer la rencontre entre représentants institutionnels et acteurs associatifs. À l’issue de ces États généraux, le président de Solidarité Sida, Gilles Masson, annonce que les responsables d’associations ont rédigé un manifeste qu’ils ont adressé aux participants de la conférence de Barcelone. Dans ce document, les militants associatifs se déclarent prêts à « poursuivre ceux qui font des promesses et ne les tiennent pas pour non-assistance à personne en danger ».
40Parallèlement, cette année 2002 marque également un tournant important dans les relations de Solidarité Sida avec les autres associations françaises. À partir de ce moment, Solidarité Sida s’intégrera de plus en plus dans des logiques de travail interassociatif. Solidarité Sida participe ainsi aux côtés de quatre autres structures (Aides, le Crips Île-de-France, ECS/Sidaction et Comment Dire43) au lancement de la plate-forme Elsa (Ensemble luttons contre le sida en Afrique44), un cadre partenarial qui a plusieurs ambitions : proposer, coordonner et financer des stages pour des acteurs africains en France ou en Afrique ; optimiser la logistique pour l’envoi de médicaments, de préservatifs et de matériel ; favoriser la connaissance de nouvelles associations africaines et développer avec elles de nouveaux partenariats45. Aux dires d’une des chargées de soutiens internationaux, cette plateforme a surtout joué un rôle essentiel dans le rapprochement de Sidaction et Solidarité Sida. L4établissement de liens personnels très forts entre les équipes de terrain a permis de renforcer leur collaboration et leur complémentarité, en sorte d’éviter les doublons dans les projets financés, considérant que Solidarité Sida, tout en disposant de moyens inférieurs à ceux de Sidaction, tendait à financer des associations et des lignes budgétaires proches (notamment les frais de fonctionnement des associations). Partant, les équipes de Solidarité Sida et de Sidaction iront jusqu’à organiser des missions de suivi communes au Sud, échanger des chiffres précis sur le montant de leurs soutiens, etc.
41Cette volonté de renforcement de la collaboration avec les autres structures apparaît encore au travers d’autres initiatives, notamment quand Solidarité Sida s’engage aux côtés de l’Union nationale des associations de lutte contre le sida (Unals) dans l’accès aux traitements. Le programme « Solidarité Traitements » a pour objectif d’apporter une réponse très concrète en matière d’accès aux ARV et aux soins au Sud. Il s’agit précisément de mettre des traitements ARV à disposition de 150 membres actifs d’associations du Sud et de leurs proches, dans trois pays (Burkina Faso, Togo, Philippines), afin de leur permettre « de travailler (et) de mobiliser leurs énergies et leurs intelligences au service de tous les autres malades qui s’adressent aux associations pour lesquelles ils œuvrent (...). La mise en place de ce programme traduit la volonté de Solidarité Sida d’assurer la pérennité de la lutte contre le sida au Sud et la défense d’une approche communautaire46 ». De fait, ce programme inclut une dimension performative, l’idée consistant à prouver que les associations communautaires peuvent avoir les mêmes exigences qualitatives et être aussi efficaces dans la prise en charge des personnes atteintes, alors que les files actives de patients sont trop importantes et l’état des structures hospitalières trop dégradé pour espérer prendre en charge tous les malades du sida. En soutenant ce programme à visée à la fois thérapeutique et politique, puis en reprenant sa coordination en 200347 (pour un montant d’environ 200 000 euros), Solidarité Sida endosse réellement un rôle d’avant-garde dans la mobilisation transnationale contre le sida, puisque, parmi les bailleurs de fonds, seules Solidarité Sida, la Fondation Ford, la Fondation belge AEDES et Sidaction48 financent des projets ayant un rapport avec l’accès aux soins, à l’époque49.
42Indépendamment du programme « Solidarité Traitements », qui représente à ce moment de l’histoire de Solidarité Sida la forme la plus directe de soutien apporté aux malades, les zones géographiques couvertes par l’association se diversifient pour mieux tenir compte des épidémies galopantes en Asie et en Europe de l’Est.
43L’année 2003 voit encore le franchissement d’un nouvel échelon qualitatif dans l’investissement de Solidarité Sida sur la question de l’accès aux traitements. Un symbole fort est adressé début 2003 avec le recrutement d’une ancienne permanente de Handicap International, qui va s’atteler à construire une démarche cohérente et efficace en matière de mobilisation/lobbying. Dès lors Solidarité Sida semble sortir du simple appui financier ou technique pour construire un travail politique d’information et de mobilisation du grand public mais aussi d’interpellation et de mise en cause des gouvernants et des grandes firmes pharmaceutiques sur les enjeux internationaux de la lutte contre le sida. Elle quitte une démarche de constatation presque fataliste des injustices du déséquilibre Nord-Sud ou de simple glorification des valeurs solidaires pour entrer dans une « topique de la dénondation », où « l’attention (...) ne s’attarde plus sur le malheureux. Elle se déplace de la place du malheureux qui suscite la pitié vers celle du persécuteur qu’on accuse » (Boltanski, 2007 : 126). Certes, quelques signes préalables avaient été adressés dans cette direction les années précédentes, mais ils restaient isolés et directement connectés à l’actualité (initiation de la pétition « Des médicaments pour tous » en 2001, au moment où l’action transnationale connaît ses premiers succès avec le retrait de la plainte des laboratoires pharmaceutiques contre le gouvernement sud-africain ; changement de ton de l’affiche et organisation des premiers États généraux Solidays à l’occasion du festival 2002).
44Début 2003, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme enregistre 2 milliards de dollars de promesse de dons sur les 10 escomptés à sa création et il ne dispose plus d’assez de liquidités pour financer les programmes déjà mis en place. En effet, plus d’un an après la déclaration de Doha (début 2003), seuls une poignée de pays (Brésil et Inde en premier lieu) ont développé des capacités de production locale de génériques, qu’ils exportent dans les pays les plus pauvres. Alors que les États s’étaient fixé l’échéance de décembre 2002 pour traduire dans les faits les principes de la déclaration de Doha, nombre de ceux qui pourraient importer des génériques subissent les pressions des bailleurs de fonds, et en particulier des États-Unis, qui ont signé des accords bilatéraux avec les pays africains afin de leur refuser cette exception aux brevets, moyennant des contreparties dans d’autres secteurs économiques. Le Fonds mondial, au-delà de ses problèmes de financement, soulève lui-même la polémique dans l’attribution des ressources, car il est accusé de ne pas suffisamment tenir compte des besoins de financement du secteur associatif, outrepassant ses fonctions de simple bailleur de fonds en cherchant à mettre en place des mesures de contrôle de l’approvisionnement en médicaments et de respect des réglementations sur la propriété intellectuelle dans les pays potentiellement bénéficiaires des fonds. Devant ce qu’elle appelle la « banqueroute du Fonds mondial et l’inefficacité de la déclaration de Doha », Solidarité Sida lance au printemps une campagne intitulée « Jeunes en colère » – la référence à la colère, empruntant au répertoire traditionnel d’Act Up, marque clairement une volonté de « radicalisation » du discours – tout en mettant en œuvre une nouvelle démarche interassociative en intégrant la plate-forme « Sida Urgence G8 » (où elle côtoie Act Up, ECS, le Crid, France-Libertés, GRDR et Médecins du Monde).
45Premier acte de la campagne « Jeunes en colère » : alors que le sommet du G8 se tient en France, à Annemasse, Solidarité Sida pilote un contre-événement à forte charge symbolique. Pour attirer l’attention des médias, il s’agit d’organiser un die in au pied de la Tour Eiffel, devant un compteur géant qui égraine le nombre des victimes du sida dans le monde pendant les trois jours de durée du G850. Des interviews télévisées de Luc Barruet et du chanteur Youssou N’Dour sont notamment prévues. L’appel au rassemblement est titré « Coupables ». Il dénonce les « promesses non tenues », « le manque de volonté et l’inaction politiques »51, ainsi que la « pression de l’industrie pharmaceutique », pour finalement conclure que la « non-assistance à peuples en danger ne peut plus durer » et que « l’impunité des pays riches et de l’industrie pharmaceutique doit cesser ». Ce die in rassemblera environ 2 000 personnes. Le second acte de la campagne « Jeunes en colère » a lieu durant le festival Solidays, les 5 et 6 juillet 2003. Un coup d’œil sur le dossier de presse et les interviews des représentants de l’association à l’occasion de la promotion du festival confirme le durcissement du ton. La deuxième édition des États généraux Solidays a pour intitulé « Sida, 8 500 morts par jour : les États responsables ? ». Durant le festival, les intentions semblent toujours plus claires, plus évidentes : le Village associatif s’agrandit, les débats occupent une place plus visible et la présence de grands panneaux dispersés en différents points vient rappeler les ravages de l’épidémie dans le monde tout en pointant la responsabilité des autorités politiques et de l’industrie pharmaceutique. L’affiche elle-même suscite une compréhension plus spontanée que les précédentes avec, derrière le slogan « Jeunes en colère », le retour de Sally assise sur la planète terre, le poing levé.
46Dans un communiqué rapporté par l’AFP en 2003, Luc Barruet explique le choix du slogan « Jeunes en Colère » : « Dans le contexte actuel, nous avons décidé de devenir plus “politiques”.
47Le fossé des inégalités se creuse encore un peu plus avec le virus du sida. Notre colère traduit notre sentiment face aux promesses non tenues par les organisations gouvernementales... C’était le sens de notre action le 1er juin (...) sur le Champ de Mars à Paris, avec 2 000 personnes. Nous attendons désormais des promesses concrètes de la part des gouvernements, nous voulons montrer que la mobilisation ne cède pas ». Luc Barruet précise en outre que l’aspect revendicatif n’a rien à voir avec un sentiment de découragement : « Nous constatons que ce qui monte en puissance dans le festival, c’est tout ce qui est à côté de la musique. Nous n’avons jamais autant enregistré de demandes de bénévoles (ndlr : ils seront 800 cette année) pour nous aider à monter le festival, les forums attirent de plus en plus de monde. Il y a un vrai goût pour le débat et une grande curiosité » (AFP, 3/7/2003).
48Cette même année marque sans doute l’apogée de la « politisation » de Solidarité Sida. Ainsi, l’intégration au milieu du programme des Nuits de l’humour52 d’un reportage choc tourné en Amérique latine, qui montre l’agonie d’un jeune garçon en attente d’un traitement, participe encore d’un mouvement de mobilisation de l’opinion publique, tandis que, en interne, des démarches d’information et sensibilisation des différentes composantes de l’association sont mises en place : revue de presse hebdomadaire sur l’actualité internationale présentée par la responsable du pôle mobilisation/lobbying ; organisation de nombreuses réunions thématiques à l’intention des bénévoles, etc. Ce virage « politique » semble être concomitant de l’arrivée de bénévoles dont les parcours et les motivations diffèrent quelque peu de ceux des années passées. Les uns sont des jeunes appartenant plutôt à la mouvance altermondialiste. Ils gravitent dans les réseaux militants depuis l’adolescence, donnent des coups de main ponctuels à tel ou tel groupe mais refusent de s’encarter et valorisent bien davantage l’action que tout ce qui tourne autour du principe d’une cotisation financière. Ils ne s’engageront en général pas durablement auprès de Solidarité Sida... juste le temps d’un festival Solidays par exemple. Dans le même temps, il semblerait qu’on assiste à l’arrivée d’autres personnes marquées par leur rapport personnel particulier vis-à-vis de l’Afrique et de la « négritude » (entendue au sens large de reconnaissance d’une culture et des valeurs associées au monde noir et de « négation de la négation de l’homme noir », pour reprendre les mots de Sartre). Ceux-là mettent parfois en avant leurs origines familiales antillaises ou africaines et un besoin de renouer avec leurs « racines », mais pas nécessairement (ils sont plusieurs à raconter s’être épris de l’Afrique par le biais de leur activité professionnelle ou lors d’une mission de solidarité internationale, par exemple).
Accentuation de l’engagement sur la question sociale au niveau national et limites de la politisation
49Durant la période que nous venons de décrire, l’action de Solidarité Sida confirme globalement les tendances observées par Nicolas Dodier, qui distinguait trois thématiques majeures fédérant plus ou moins le mouvement anti-sida en France et marquant sa rencontre avec d’autres causes (c’est-à-dire son intégration dans ce qu’on pourrait appeler « le mouvement social » au sens large), après l’arrivée des trithérapies : non seulement le retour de la question Nord-Sud mais également une référence croissante à la notion de démocratie sanitaire et le retour de la question sociale (Dodier, 2003 : 273-277). Ainsi, dès les premiers appels d’offres du Comité de répartition des fonds France, à la fin des années 1990, Solidarité Sida met l’accent avant tout sur la lutte contre la précarité et le soulagement des plus vulnérables. Elle s’appuie sur l’argument selon lequel la moitié des personnes infectées par le VIH n’ont pas d’activité professionnelle et ont pour seul revenu les minima sociaux (RMI, AAH, allocations familiales). Elle tient compte également du doublement des cas de sida recensés en France au début des années 2000 parmi les personnes originaires d’Afrique subsaharienne, considérant qu’un accompagnement à l’accès aux droits de ces personnes est nécessaire, ainsi qu’une prise en compte des besoins en hébergement et alimentation auprès de ce public particulièrement précarisé. Comme au niveau international, ce sont ces associations intervenant dans la prise en charge globale des malades que Solidarité Sida soutient. En l’occurrence, l’argent que Solidarité Sida redistribue aux associations françaises se matérialise sous forme de soutiens financiers mais également de dotations en Tickets Service53. D’autre part, Solidarité Sida intervient elle-même plus directement dans l’attribution d’aides d’urgence individualisées, décidées en petit comité54 de manière hebdomadaire, pour répondre à des situations dramatiques relayées par les assistants sociaux.
50Depuis 2003, l’engagement de Solidarité Sida sur le terrain de la précarité des malades s’est également traduit par sa participation à l’Observatoire du droit à la santé des étrangers, collectif dont l’objet est de dénoncer les difficultés rencontrées par les étrangers en France dans les domaines de l’accès aux soins et du droit au séjour pour raison médicale. À diverses reprises, Solidarité Sida s’impliquera ensuite dans des pétitions, appels à la manifestation, rapports ou communiqués de presse55 pour défendre les droits des populations vulnérables confrontées au VIH/sida en France (migrants, mais aussi travailleuses du sexe, usagers de drogues intraveineuses, trans’)56. Pourtant, le contexte politique (montée en puissance de la droite) combiné à la dépendance croissante de l’association vis-à-vis des fonds publics et aux contraintes spécifiques pesant sur les bailleurs de fonds – nécessité de produire un discours relativement « neutre », mobilisant plutôt un registre émotionnel que politique (Collovald, 2001 ; Juhem, 2001 ; Simeant, 2003) – va rendre de plus en plus délicat un engagement public de l’association sur ces questions. A contrario, le choix d’un glissement progressif de l’action de l’association vers le Sud et surtout la priorisation donnée à la question de l’accès aux traitements dans la communication de l’association semblent à la fois participer d’une forme de contournement des principes de légitimation internes au champ anti-sida franco-français57 et venir satisfaire – par « l’excellence » ou l’évidence de la cause défendue – les besoins de ses partenaires publics et privés comme la quête de sens des bénévoles actuels ou potentiels (lesquels restent majoritairement jeunes et non concernés personnellement par la maladie, avides de représentations très concrètes de l’utilité de leur combat58 et encore dans une phase de formation de leurs opinions politiques)59.
Évolutions récentes : récession et recentrage sur l’Afrique (2004-2008)
Les conséquences de la baisse de la récolte de fonds
51Le positionnement de Solidarité Sida depuis 2004 semble avant tout déterminé par l’épuisement de ses outils de récolte de fonds. Ainsi, en générant jusqu’alors l’essentiel de ses fonds par l’événementiel, Solidarité Sida s’était assuré une indépendance financière qui l’avait rendue centrale en la mettant relativement à l’abri des fluctuations propres aux dons et subventions publiques. Cette indépendance financière semblait avoir également des vertus politiques, lui permettant de prendre un peu plus facilement position sur certains sujets, même si on a déjà souligné les limites de cette « politisation ». L’arrêt des Nuits du zapping fin 2004 bouleverse la donne, rappelant Solidarité Sida aux contraintes internes au champ de la lutte contre le sida, et la rapprochant du sort des autres associations françaises dans la nécessité de la diversification de ses sources de financement.
52La démarche événementielle privilégiée par Solidarité Sida a un inconvénient principal : elle implique un besoin de renouvellement constant des idées. Les résultats de la tournée 2004 des Nuits du zapping n’étant pas tout à fait conformes aux objectifs prévisionnels, le constat d’un épuisement du concept, ajouté aux restructurations que connaît la chaîne partenaire du projet (Canal +), va entraîner l’abandon de cet événement. Il n’est pas aisé d’imaginer un nouvel outil qui puisse avoir autant d’impact, aussi bien en termes de rencontre du public que de sensibilisation et de récolte de fonds. C’est notamment vers un projet de tournée d’humoristes que l’association oriente alors ses réflexions sans parvenir à ses fins. Témoignant de ces difficultés de renouvellement, la Nuit du zapping refera toutefois escale pour la troisième fois à Saint-Denis de la Réunion en 2005 ; une Nuit du zapping d’adieu sera organisée à Bercy fin septembre 2006, puis le concept sera vendu à des municipalités en 2008.
53Au cours de la période 2004-2006, l’association continue d’intervenir dans le domaine de la mobilisation des jeunes et du lobbying auprès des décideurs politiques. Ainsi, après le précédent créé par le die in du Champ de Mars en 2003, la sensibilisation semble s’autonomiser plus clairement des objectifs de récolte de fonds. Cependant, si l’on raisonne de manière plus instrumentale, les nouvelles actions de mobilisation que nous allons détailler permettent à Solidarité Sida de conserver une visibilité médiatique au-delà de Solidays ; ce qui apparaît comme décisif au regard des luttes de position entre associations au sein du champ anti-sida, notamment compte tenu de la dimension relativement modeste de l’association, en termes de ressources humaines et financières, comparée à d’autres structures. Mais l’intérêt de telles manifestations se trouve également dans une perspective de fidélisation des bénévoles. En effet, l’étude des motivations des bénévoles révèle l’importance primordiale de la dimension événementielle dans l’attraction suscitée par Solidarité Sida. Les événements organisés par Solidarité Sida sont porteurs de rétributions (Gaxie, 2005) dont les bénévoles (surtout les plus jeunes) assument d’ailleurs largement la poursuite à leur entrée dans l’association, les principales résidant dans la dimension de la sociabilité et le partage d’émotions fortes60. Or, en l’absence d’événements de récolte de fonds autres que Solidays et du fait de la professionnalisation61 croissante liée à la complexification des enjeux sida, les tâches peu valorisantes et routinières dévolues aux bénévoles (essentiellement de la saisie informatique, très éloignée de la face concrète de la maladie) ne sont pas forcément de nature à les retenir au sein de l’association62.
54En 2005, pour la seconde fois depuis 1987, le sida est promu « Grande cause nationale ». Solidarité Sida intègre le Collectif Grande cause nationale, qui retient douze thèmes d’action et de réflexion (un par mois) pour informer le grand public sur le sida. Chaque thématique est pilotée par une association. Consacrant sa reconnaissance sur ce terrain, Solidarité Sida se voit confier la promotion de la problématique des « rapports Nord-Sud ». De fait, la sixième édition du festival sera, plus encore que les précédentes, centrée sur ce thème, avec la mise en place d’un parcours interactif baptisé « Des médicaments pour tous »63, destiné à sensibiliser les visiteurs sur le Village associatif. Le principal fait marquant n’est toutefois pas à trouver dans l’exploitation du festival Solidays ; il réside surtout dans le lancement d’une campagne de mobilisation, en juin, intitulée « 30 jours pour ». À un mois du sommet du G8 de Gleneagles (et de Solidays), Solidarité Sida interpelle les autorités françaises à travers une série d’affiches : sous divers visuels et slogans évoquant l’histoire d’une France solidaire – appel du 18 juin, abolition de l’esclavage, Coupe du monde de football, etc. –, apparaît le texte suivant : « Nous sommes de plus en plus nombreux à refuser l’abandon de millions de malades du sida. Le 8 juillet, au Sommet du G8, la France devra prouver sa solidarité envers les pays pauvres. Mobilisons-nous. » Cependant, cette campagne se solde par un échec, perdant toute force symbolique du fait de l’annonce faite par Jacques Chirac du doublement de la contribution de la France au Fonds mondial (quelques encarts auront tout juste le temps de paraître dans un quotidien gratuit puis la campagne sera retirée). En 2006, c’est une nouvelle campagne de mobilisation, intitulée « On s’en fout pas », qui est lancée, dont l’ambition annoncée est de « réveiller les consciences citoyennes et d’encourager le gouvernement et les candidats à l’élection présidentielle à plus d’audace et de courage politique en faveur de l’accès aux soins des pays en développement »64. Cette campagne s’articule autour de deux axes : le premier voit l’inauguration d’une exposition interactive « Maux Croisés » (présentée du 18 au 28 mai 2006, place de la Bastille, puis reprise dans le cadre de Solidays). Il s’agit là d’un jeu de rôles permettant aux visiteurs de mieux comprendre les mécanismes et oppositions qui freinent l’accès aux soins dans les pays du Sud, en entrant dans la peau, l’espace de quelques minutes, d’un militant russe ou d’un ministre de la Santé thaïlandais et en plongeant dans le labyrinthe des brevets, de la propriété intellectuelle et des lois du commerce. Le second axe, qui s’inscrit davantage dans la tradition des événements organisés par Solidarité Sida en ce qu’il mêle au sérieux du message une forme de mobilisation festive, consiste dans l’organisation d’une grande Parade dans les rues de Paris, le 21 mai 2006. Une quarantaine d’artistes reconnus (Cali, Bénabar, les Motivés, les Wampas, etc.) accompagnent cette parade en se produisant sur une douzaine de chars transformés en scènes mobiles65. Sur l’affiche éditée pour la promotion de cette manifestation figure à nouveau Sally, cette fois armée d’un haut-parleur et d’un drapeau rouge marqué d’une inscription à la consonance altermondialiste : « La vie avant le profit ». L’événement, qui ne mobilise pas moins de 300 bénévoles, attirera 500 000 spectateurs selon Solidarité Sida (80 000 selon la police) et fera la Une des journaux télévisés du soir. Si les chiffres relatifs à la fréquentation de la Parade semblent témoigner du savoir-faire qu’a acquis Solidarité Sida en matière de mobilisation du grand public et de la jeunesse en particulier, on peut s’interroger sur la portée politique de ces dernières campagnes, tant le discours tenu reste consensuel, se gardant de pointer trop directement les responsables politiques au niveau français66, à un moment où la France bascule clairement à droite et où la baisse de la récolte de fonds accroît la dépendance de l’association vis-à-vis de ses partenaires publics67 et privés68.
55Il est au moins une certitude : ces campagnes ne permettent pas de récolter de l’argent à court terme (au contraire, la Parade coûtera environ 300 000 euros à Solidarité Sida, d’où d’âpres discussions au sein du Conseil d’administration). Les années 2005 et 2006 sont donc deux années financièrement difficiles pour l’association, et en particulier pour le pôle en charge des programmes de soutien : faute de rentrées d’argent suffisantes, la redistribution des fonds baisse de 50 % en 2006, mettant en danger les partenariats établis de longue date avec les associations du Nord comme du Sud. C’est cette nécessité impérieuse de trouver de nouvelles sources de financement qui va conduire à la création du « Fonds Solidarité Sida Afrique », présenté comme un « fonds d’urgence destiné à favoriser l’accès des plus démunis aux traitements et aux soins »69. Or cette création marque une rupture décisive dans l’histoire de Solidarité Sida, en allant à l’encontre d’un principe défendu de longue date : le non-recours à l’appel à dons.
L’entrée dans l’appel à dons et la constitution du Fonds Solidarité Sida Afrique
56Ce projet de structure récipiendaire tournée vers le continent africain succède toutefois à un autre encore plus controversé, soumis aux bénévoles dès l’année 2005, consistant dans la possibilité de mettre en place un système de parrainage de malades du Sud via un prélèvement mensuel sur le compte des bénévoles de Solidarité Sida. La proposition est défendue par le directeur de l’association en personne et par un membre du Bureau, au cours d’une réunion spéciale organisée à l’intention des bénévoles, soulignant l’urgence de la situation. Cependant, elle soulève une vive réaction, notamment du côté des membres les plus anciens de l’association, qui expriment leur opposition au principe en arguant de la spécificité historique de « leur » association : une valorisation du don de soi plutôt que du don d’argent en adéquation avec les moyens financiers limités des bénévoles (majoritairement étudiants)... et avec certaines de leurs dispositions biographiques (influence de l’éducation religieuse, notamment), serait-on tenté d’ajouter.
57Le principe de l’appel à dons ressurgit finalement de manière quelque peu détournée, à travers la création du Fonds Solidarité Sida Afrique, dont l’originalité principale est d’en appeler à la générosité non pas tant des particuliers que des entreprises et surtout des collectivités locales, à commencer par les régions. La direction de Solidarité Sida défend cette option70 en affirmant que, parmi les collectivités locales, ce sont les régions qui disposent des budgets les plus importants, dont une partie est destinée aux actions internationales71, mais qui est encore rarement mise en valeur (faute de compétences et/ou de moyens). Or ces régions seraient en attente d’une meilleure visibilité concernant les fonds qu’elles sont susceptibles de consacrer à l’international ; visibilité que Solidarité Sida est capable de leur donner. Concrètement, les deux parties ont à y gagner : les régions abondent le Fonds Afrique et Solidarité Sida leur garantit une utilisation satisfaisante des ressources de par son expertise du terrain et sa gestion rigoureuse reconnue, tout en s’engageant à assurer la communication des régions sur les projets soutenus. Ainsi différentes initiatives sont prises pour valoriser leur implication (conférences de presse à l’occasion du gala annuel du Fonds, relations presse à l’occasion du festival Solidays ou de la Journée mondiale de lutte contre le sida).
58Le lancement officiel du Fonds Solidarité Sida Afrique est intervenu le 6 février 2007. Une soirée de gala ponctuée par un grand concert a été organisée à cette occasion, jouant un rôle d’accélérateur en termes de levée de fonds, puisqu’elle a permis de récolter 60 000 euros rien qu’en part-achat des tables de gala72. Au terme de l’année 2007, le Fonds était parvenu à lever environ 635 000 euros, dont 62 % émanant de 9 régions73. Si, a priori, la part des particuliers (à peine 3 %) n’est pas appelée à se développer, Solidarité Sida devrait bientôt accentuer le démarchage auprès des grandes entreprises (au-delà du réseau des partenaires habituels sur les événements) et auprès des fondations. Une quarantaine de projets ont été soutenus dans 15 pays différents. Les critères de sélection des projets sont à peu près les mêmes que ceux qui avaient été définis jusqu’alors dans le cadre de l’appel d’offres international de Solidarité Sida, à savoir qu’ils ont trait à la prise en charge globale des malades. Toutefois, les actions de communication réalisées autour du Fonds semblent insister particulièrement sur les axes les plus « porteurs » vis-à-vis des donateurs, c’est-à-dire l’accès aux médicaments (avec des données chiffrées sur le nombre de personnes mises sous traitements) et la prise en charge des populations vulnérables (femmes et orphelins du sida plus spécialement). Le Fonds Afrique a représenté quasiment le seul vecteur de ressources pour l’association en 2007 (avec les financements du ministère des Affaires étrangères et de l’Union européenne), en raison de l’absence d’événement de récolte de fonds autre que Solidays et d’une baisse importante (environ 30 %) de la fréquentation du festival74. En conséquence, Solidarité Sida a dû suspendre ses soutiens en France et hors Afrique en 2007-2008. Bien que ce Fonds ait permis de maintenir des partenariats avec les associations africaines, son existence est sujette à diverses critiques, y compris en interne. Tout d’abord, le recours à l’appel à dons auprès des particuliers (avec une proposition de dons en ligne sur le site de l’association), même s’il a été peu médiatisé, introduit une nouvelle forme de concurrence vis-à-vis des autres associations usant de ce mode de levée de fonds (Sidaction notamment). Cependant, Solidarité Sida se tient pour l’instant encore à l’écart des pratiques de streetfundraising (collecte de fonds par sollicitation directe des passants dans la rue)75 qui représentent une part de plus en plus importante dans le financement des ONG (Lefevre, 2008) et qui ont contribué à ternir, récemment, les relations entre Sidaction et Aides76. Une conséquence encore plus évidente réside dans la perte d’indépendance de Solidarité Sida et dans la possibilité d’un fléchage des pays et des projets financés par les collectivités et entreprises alimentant le Fonds. Le problème s’est d’ailleurs déjà posé très concrètement, une des collectivités ayant conditionné sa participation en 2007 à la réalisation d’un projet dans un pays particulier77. En outre, Solidarité Sida est obligée de redistribuer l’ensemble de l’argent levé par le biais du Fonds Afrique à court terme (un an), quels que soient les besoins réels des associations, système qui n’offre à première vue aucune garantie sur leur devenir l’année suivante (Bastien, 2005 : 90)78. Et la nécessité de produire des comptes-rendus et des mises en forme visuelles directement exploitables par les financeurs induit – en plus de verser dans une communication de type humanitaire79 – une charge de travail supplémentaire et des coûts qui peuvent vampiriser les autres activités de l’association. La baisse de la fréquentation du festival Solidays, à la suite de l’abandon des Nuits du zapping, souligne pourtant à nouveau la nécessité de consacrer des moyens importants à une réflexion sur le renouvellement des outils événementiels de récolte de fonds. Autre facteur : le décalage constaté entre le contenu des actions de l’association et sa communication, focalisée depuis plusieurs années déjà sur les programmes internationaux, contribue à dévaloriser le travail des équipes en charge d’autres questions (soutien aux associations françaises, activités de prévention), ce qui nourrit les tensions et le turn over parmi les salariés de l’association. Par ailleurs, la relative concentration de l’intervention de l’association sur l’accès aux traitements et aux soins au détriment de la prévention primaire peut questionner, à l’heure où les traitements font l’objet d’une meilleure diffusion au Sud tandis que les nouvelles infections persistent (même si c’est à un rythme un peu moindre)80. Enfin, si le délaissement des associations françaises et étrangères situées en dehors du continent africain semble provisoire et plus circonstanciel que prémédité (puisque lié aux recettes décevantes de Solidays en 2007), le choix de « privilégier l’Afrique » ne va pas forcément de soi, dans un contexte où l’épidémie continue de progresser notamment en Asie de l’Est ou en Océanie (Onusida, 2007), et où la banalisation du sida et la précarisation de la situation des malades en France posent problème (INVS, 2007).
Conclusion
59Cette longue démonstration nous conduit finalement à deux enseignements principaux. Premièrement, il apparaît évident que le « glissement » de Solidarité Sida vers le Sud ne repose pas simplement sur l’évidence d’une situation objective – l’existence d’inégalités entre Nord et Sud et entre Afrique subsaharienne et reste du monde – appelant une réponse spécifique, mais qu’il est conditionné également par la sociologie de l’association, par la nécessité pour Solidarité Sida de trouver une place distinctive au milieu de la concurrence associative et par les contraintes spécifiques qui peuvent peser sur elle en tant que bailleur de fonds. Deuxièmement, on perçoit combien le nerf de la guerre à mener contre le sida demeure l’argent : sans assise financière, il apparaît plus difficile de construire une action pertinente et le risque est grand de voir les moyens des associations finir par guider leurs fins.
60De nouvelles difficultés sont malheureusement à prévoir pour les acteurs (notamment les bailleurs) non institutionnels, dans un contexte où l’engagement de l’État français dans la lutte contre le sida – y compris mais pas seulement en ce qui concerne sa participation à l’endiguement de l’épidémie au Sud – a déjà commencé à se déliter. Ainsi en 2008, la France a annoncé une diminution de 7 % (soit pas moins de 20 millions d’euros) de sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme81 ; et ce malgré les engagements répétés de Nicolas Sarkozy promettant l’accès universel aux ARV comme le maintien sinon l’augmentation de la participation française82. De plus, la baisse des subventions publiques et le retour en arrière sur certains « acquis » infranationaux en matière de prévention (à travers la remise en cause partielle de la politique de réduction de risques et une production législative répressive à l’endroit de publics particulièrement exposés au VIH83) et de prise en charge des malades (préférence nationale sur l’Aide médicale d’État, introduction du système des franchises, etc.) risquent d’éloigner, bien malgré elles, les associations françaises des possibilités de soutien et de collaboration avec leurs homologues du Sud. S’il est difficile d’en mesurer l’impact à l’heure actuelle, un autre obstacle se pose désormais sur le terrain de la récolte de fonds et de la sensibilisation des populations du Nord au sort des populations du Sud : de même que les effets d’annonce sur les avancées médicales ont pu contribuer à une banalisation du sida au Nord, il importe que les médias soulignent les nombreuses limites relatives à la diffusion des traitements au Sud et insistent sur le fait que la récente révision à la baisse des estimations sur l’épidémie de sida dans le monde ne s’explique pas par les succès de la prévention mais bien par la modification des méthodes et des outils de calcul84.
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Notes de bas de page
1 De manière révélatrice. Une épidémie politique : la lutte contre le sida en France, 1981-1996 (Pinell et al., 2002), ouvrage sans doute le plus complet concernant la structuration du champ de lutte contre le sida français avant l’arrivée des trithérapies, ne porte aucune mention du nom de Solidarité Sida, alors même que l’association a disposé d’une importante couverture médiatique dès sa création, en 1992.
2 Selon les derniers éléments de comparaison en notre possession (source : document interne Solidarité Sida, « Stratégie Programmes 2008/2009 »), en 2006, Solidarité Sida disposait d’un budget de 5 millions d’euros pour 20 salariés, contre 17 millions pour 40 salariés à Sidaction et 27 millions pour 360 salariés à Aides. Néanmoins, on doit préciser d’entrée que les années 2005-2008 sont des années de forte réduction budgétaire pour Solidarité Sida. Au terme du bilan de ses quinze premières années d’existence, Solidarité Sida revendique l’investissement de 25 millions d’euros dans des programmes de lutte contre le sida ; une somme qui comprend les fonds redistribués aux associations françaises et étrangères d’aide aux personnes atteintes, mais aussi ceux utilisés par l’association pour mener ses propres actions de prévention et surtout pour mettre sur pied ses événements de récolte de fonds et de sensibilisation.
3 Ce facteur de distinction s’apprécie moins en termes de volume budgétaire que d’équilibre de la redistribution des fonds entre la France et l’international. Ainsi, en 2006, Solidarité Sida consacre 600 000 euros aux programmes internationaux, soit le double de ce qu’elle redistribue en France. La même année, Sidaction répartit ses fonds entre la France et l’international dans une proportion à peu près inverse (le double pour la France) ; quant à Aides, elle consacre près de 7 fois plus d’argent à ses programmes français qu’à ceux dévolus à l’international. Aux constats financiers s’ajoute un recentrage manifeste des actions et du discours public tenu par l’association, avec la multiplication d’opérations de sensibilisation et de mobilisation de plus en plus axées vers le Sud.
4 Je remercie l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) et Sidaction, qui ont financé successivement ce travail.
5 Sarah de Haro identifie ce livre comme « l’un des tout premiers ouvrages à être parus sur le sida en Afrique, qui insistait déjà (...) avec clairvoyance sur l’urgence d’une réponse à l’épidémie au Sud » (de Haro, 2003 : 61).
6 Les statuts de l’association sont déposés précisément le 18 octobre 1992.
7 On entend plus couramment parler de « collecte de fonds » ou « levée de fonds » dans le vocabulaire de nombreuses associations comme dans la littérature scientifique. À Solidarité Sida, le terme le plus fréquemment employé est celui de « récolte de fonds », qui semble vouloir désigner une attitude plus active dans la constitution des ressources, c’est-à-dire une aptitude à générer soi-même ses propres fonds, en l’occurrence essentiellement par le biais d’activités événementielles.
8 On a choisi de passer rapidement sur ce passage, qui concerne des éléments déjà largement analysés dans les recherches en sciences sociales (Filleule, 1998 ; Broqua et Fillieule, 2001, 2002 ; Pinell et al., 2002) afin de privilégier une entrée directe dans l’histoire de Solidarité Sida.
9 Des figures connues du « milieu sida » mais qui à cette époque, semble-t-il, sont placées dans une situation de relative marginalité vis-à-vis des associations dominantes : ainsi Dominique Coudreau a fait l’objet d’une dénonciation de la presse et d’une partie des associations concernant sa mauvaise gestion supposée de l’AFLS ; Benoît Félix a été en conflit avec la direction d’Aides au sujet des questions de prévention ; et Jean-Max Blum, d’après un entretien posthume réalisé avec l’un de ses proches en avril 2008, est « en froid » avec Arnaud Marty-Lavauzelle ainsi qu’avec Pierre Bergé.
10 Benoît Félix a témoigné de ce parcours à plusieurs reprises. Voir notamment Hirsch (1991 : 492-496).
11 Ensemble contre le sida est une association créée en 1994 afin d’organiser la gestion des recettes du « Sidaction », premier grand événement télévisé de collecte de fonds pour la lutte contre le sida en France. La structure émane à l’origine d’un collectif composé d’associations, de chercheurs et de médecins. C’est la raison pour laquelle elle est présentée initialement comme un « cartel » (Pinell et al., 2002 : 22). ECS s’autonomisera progressivement et changera de nom en 2004, devenant officiellement l’association Sidaction.
12 D’ailleurs ECS puis Sidaction auront également à pâtir de ce discrédit, sachant que la mise en scène télévisuelle de la souffrance pose des problèmes spécifiques pouvant ajouter au sentiment d’agression diffuse et d’inauthenticité de la démarche de solidarité, spécialement du point de vue des personnes atteintes. Voir notamment Langlois (2006 : 232-238).
13 On ajoutera aussitôt que Luc Barruet s’étant maintenu à la tête de l’association jusqu’à aujourd’hui (d’abord en tant que président bénévole – jusqu’en 1998 – puis en tant que directeur salarié). Solidarité Sida apparaît comme une structure extrêmement personnalisée.
14 On pense en premier lieu à la création, en novembre 1986, de l’Association des jeunes contre le sida (AJCS). L’AJCS naît à l’initiative d’un jeune militant RPR de 28 ans, Stéphane Mantion, qui participe à l’élaboration de la première campagne étatique française de prévention en tant que responsable de l’agence de consulting Enjeux et Opinions et qui sera par la suite chargé du Plan sida à la Mairie de Paris. Si Stéphane Mantion s’entoure rapidement de conseillers médicaux comme les docteurs Bruno Boniface et Jean-Florian Mettetal, l’AJCS entretient aussi des liens moraux et financiers étroits avec l’Association des artistes contre le sida (AACS) de Line Renaud. Celle-ci soutient notamment l’AICS en finançant des voyages de formation et en organisant la venue en France de Wendy Arnold, spécialiste de santé publique, membre de l’Adolescent Alliance et du Peer Education Program of Los Angeles (PEP/LA). C’est d’ailleurs cet exemple californien qui inspirera à l’AICS l’idée – originale, pour l’époque – d’une action basée sur la prévention par les pairs. Ces informations sont tirées d’un entretien réalisé avec Stéphane Mantion en décembre 2007. Voir aussi AJCS (1990) ; Pinell et al. (2002 : 134-135).
15 Voir l’interview de Line Renaud dans le journal Transversal, n° 19, avril-mai-juin 2004, ainsi qu’une rétrospective de son engagement dans la lutte contre le sida plus récente : Transversal, n° 41, 2007.
16 Lors d’un entretien daté de mars 2003, Luc Barruet évoque toutefois sa rencontre avec un jeune homme séropositif comme l’une des raisons de la création de Solidarité Sida : « Je me retrouve un jour à un café et je bois un pot avec un copain (Éric Elzière)... Et puis ce copain, je lui demande : “Ben qu’est-ce que tu fais cet après-midi ?”. Et il me dit qu’il va à l’hôpital... Alors moi je lui dis : “Ah bon, tu vas à l’hôpital ...ah ? !”... Et donc il me répond qu’il va voir un copain et il me raconte un petit peu... Et je ne sais pas pourquoi mais là je lui demande : “Je peux venir avec toi ?”... Et en gros, pour faire court, je me suis retrouvé à l’hôpital devant un mec qui était malade du sida, que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, pour qui je me suis pris d’affection... Parce que ce mec il m’a ému, touché... Enfin, il se passait un truc... Si bien que j’ai été le revoir, des fois tout seul et tout, bon... Et ce mec est décédé peu de temps après. »
17 Cette expression a été fréquemment employée au cours des entretiens réalisés avec les salariés de Solidarité Sida, semblant témoigner de leur lucidité vis-à-vis de l’image quelque peu superficielle véhiculée par l’association.
18 Les taux de mortalité et de morbidité culminent au milieu de l’année 1994, qui correspond aussi au moment où la mobilisation anti-sida parvient à son seuil d’intensité maximal.
19 L’association redistribue quand même près de 2 millions de francs dès 1995 et 5,3 millions l’année suivante (source : Solidarité Sida, Rapport annuel d’activités, 1999 : 9).
20 D’ailleurs, dès l’issue du 1er Sidaction, en 1994, certaines associations mettent en cause l’usage des fonds, dénonçant la mainmise d’Aides, Act Up et Arcat-Sida et l’arbitraire des critères de sélection des associations soutenues. Le mouvement associatif montre surtout des signes d’affaiblissement à partir de 1995, et divers articles de presse s’emploient à le disqualifier. Voir entre autres l’article « Sida, mais où vont les associations ? », publié dans Le Monde du 1er décembre 1995, cosigné par différents journalistes et collaborateurs du Journal du sida – dont le docteur Marie Ahouanto, future administratrice de Solidarité Sida –, qui dénonce à la fois le déficit d’implication de la société civile et des pouvoirs publics, les tendances hégémoniques de certaines associations (Aides en particulier, même si elle n’est pas nommée) et le discours radical ou simplificateur des autres (Act Up, devine-t-on) (Broqua, 2006 : 276).
21 La première tournée en 1996 réunit 40 000 spectateurs et rapporte 3 millions de francs.
22 Nous reviendrons sur ces deux derniers points dans la deuxième section de ce texte.
23 Sur les 413 réponses que nous avons reçues au terme de l’enquête par questionnaire diffusée fin 2003-début 2004, seules 3 personnes déclaraient un statut sérologique positif.
24 Pour l’obtention d’espaces publicitaires gratuits dans les médias, la mise à disposition gratuite des véhicules nécessaires aux tournées du Zapping, etc.
25 La remarque ne vaut pas seulement au sujet des activistes associatifs, à tout le moins lorsqu’il s’est agi de l’affirmation de grands principes. Ainsi la France affirme relativement tôt son intention de jouer un rôle dynamisant, consacrée par le vote au Parlement européen, sur proposition de Bernard Kouchner, d’un amendement au règlement du Conseil en vue de la création d’un mécanisme de solidarité permettant d’améliorer le traitement des personnes atteintes dans les pays les plus pauvres, en novembre 1996. Fin 1997, à l’occasion de la Xe conférence internationale sur le sida en Afrique (Cisma) à Abidjan, le président Jacques Chirac se rallie officiellement à Bernard Kouchner, émettant l’idée de donner corps à la formule avec la création d’un Fonds de solidarité thérapeutique internationale (Dozon, 1999). Divers éléments ont pu être avancés pour expliquer cet apparent consensus français pour aider les pays du Sud, et spécialement les pays africains, à sortir de l’épidémie. La journaliste Monique Gehler y voit par exemple un « mélange de culpabilité et de devoir post-colonial, d’une tradition pasteurienne et d’un label plus récemment inventé (et nobélisé pour MSF) de “french doctors” » (Gehler, 2000 : 79).
26 Le réseau Afrique 2000 est créé en 1997. Il regroupe Aides et 15 associations issues de 8 pays d’Afrique de l’Ouest (Burkina, Burundi, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal et Togo). Les activités du réseau ont pour objectif de favoriser le transfert Nord-Sud et Sud-Sud de savoir-faire associatifs en proposant : de l’appui technique sur mesure en fonction des besoins individuels des associations (missions d’appui, stages, suivi personnalisé à distance) ; des sessions de formation organisées au Sud, animées par des formateurs du Nord et du Sud, sur des thèmes décidés collectivement ; des regroupements thématiques réguliers (annuels ou biannuels) permettant la construction de bonnes pratiques et la définition des axes de plaidoyer du réseau ; des actions communes de plaidoyer pour l’accès gratuit aux traitements et aux soins de qualité pour tous.
27 Voir l’article de Poz Magazine qui dresse le portrait de quelques grandes figures du militantisme anti-sida international, « International Dream Team 1998 », juillet 1998.
28 Arnaud Marty-Lavauzelle, à Aides, et Éric Fleutelot, qui a milité longuement à Act Up avant de créer le service des programmes internationaux d’ECS, pourraient faire figure d’exceptions.
29 Si Solidarité Sida est loin d’être la dernière à agir en direction des pays du Sud, elle intervient à retardement par rapport aux initiatives déjà mises en place par d’autres associations françaises comme Aides, Act Up et Sidaction, depuis le milieu des années 1990, pour aider des associations africaines à se structurer et convaincre les bailleurs de fonds et responsables politiques de la possibilité et de la nécessité de l’accès généralisé aux traitements.
30 Aides, à travers le Réseau Afrique 2000, soutient les associations d’un point de vue technique, en terme de renforcement de leurs capacités. Elle n’hésite donc pas à réorienter les associations du Réseau vers Solidarité Sida pour des demandes de financement, d’où une montée en complémentarité intéressante dans le développement des actions.
31 Sur les ambiguïtés relatives à la terminologie « association communautaire », voir Gruenais et al. (1999 : 15).
32 En 2001, les soutiens internationaux représentent, dans leur totalité, 100 000 euros. S’ils monteront jusqu’à 650 000 euros au plus fort de la croissance de Solidarité Sida (en 2003), l’aide accordée par Solidarité Sida à une même association excédera très rarement 30 000 euros et la majorité des projets soutenus s’évalueront à plutôt quelques milliers d’euros.
33 Cahier spécial d’information sur Solidarité Sida, « 1992-2007. 15 ans d’énergie solidaire », 2007 : 5.
34 Solidarité Sida a organisé ses premières missions de terrain dès 2001, au Burkina et en Côte d’Ivoire. Les missions deviendront cependant plus nombreuses quand Solidarité Sida obtiendra le soutien financier du ministère des Affaires étrangères et de l’Union européenne en 2005.
35 Ces éléments peuvent être resitués dans le contexte de la création du Fonds mondial en juin 2001, sachant que seuls les pays peuvent répondre aux appels d’offres du Fonds mondial : le secteur privé et les associations locales ne peuvent présenter de demandes de financement, sauf cas exceptionnels, pour les pays soumis à un régime de dictature spécialement. Par ailleurs, pour bénéficier des financements du Fonds mondial, les procédures sont longues et contraignantes. Ainsi, dans le cadre du Fonds mondial – mais on pourrait en dire à peu près autant de l’ensemble des financements des institutions internationales et bilatérales –, les demandes de financement sont évaluées par un comité technique – Technical Review Panel –, qui émet des recommandations ; lesquelles sont ensuite validées – ou non – par le Board. Puis s’engage un processus de négociation entre le Fonds et les pays afin d’élaborer plus finement les projets. Les financements font ensuite l’objet d’un suivi très rapproché avec un rapport sur les décaissements tous les 3 mois.
36 La notion de « faire avec » recoupe plus ou moins celle de « partenariat » (utilisée préférentiellement au mot « soutien », qui présuppose l’unilatéralité). Évidemment, d’autres associations disputent à Solidarité Sida ce savoir-faire et ce savoir-être dans la construction de relations équitables avec les associations du Sud. Voir notamment Réseau Afrique 2000 (2001) pour le cas d’Aides. Plus largement, sur la question de la légitimité des militants du Nord à parler pour ceux du Sud et la manière dont les gouvernants, hauts fonctionnaires ou autorités religieuses ont pu accuser les activistes du Nord de néo-colonialisme pour disqualifier les mobilisations transnationales, nous renvoyons à de M. de Cenival, 2000.
37 Témoignage d’Aliou Sylla, président d’Arcad-Sida au Mali, in Solidarité Sida, Rapport d’activités, 2001 : 10.
38 Ce manque de rapport au concret et cette difficulté à évaluer précisément l’utilité de son engagement dans la lutte contre le sida lorsque l’on n’est pas en contact direct avec des personnes atteintes font d’ailleurs partie des éléments fréquemment avancés par les bénévoles ayant pris leurs distances avec Solidarité Sida pour justifier leur désengagement.
39 http://data.unaids.org/publications/irc-pub03/aidsdeclaration_fr.pdf
40 Source : article d’Emmanuel Dollfus, Rue de Savoie, n° 1, février 2002.
41 Pour une analyse détaillée des enjeux relatifs à la production et à la diffusion des médicaments génériques, « entre perturbation et contrôle de la politique mondiale », voir Dixneuf (2003).
42 Un tourneur est une personne dont le métier consiste en l’organisation des tournées de concert des artistes (c’est lui qui fait le lien entre les artistes ou leurs agents et les salles de spectacles).
43 Comment Dire est un organisme de formation et d’intervention pour le développement du counseling dans l’infection VIH/sida.
44 Une nouvelle association. Sida Info Service, a adhéré à la plate-forme Elsa en janvier 2004, tandis que l’association CMDIS l’a quittée en mars 2005.
45 Voir www.plateforme-elsa.org
46 Source : Solidarité Sida, Rapport d’activités, 2005 : 13. D’après ce même rapport, ce sont finalement 138 personnes qui ont bénéficié du programme « Solidarité Traitements » au Togo, au Burkina Faso et aux Philippines, en 2004.
47 Le poste de coordinatrice consiste à assurer la relation avec les associations et les négociations avec le fournisseur d’ARV (Cypla) et le suivi des commandes.
48 Le programme « Solidarité Traitements » est d’ailleurs légèrement antérieur au Partenariat associatif pour l’accès aux antirétroviraux (PAARV) de Sidaction. Ce partenariat, lancé fin 2002 en direction des associations africaines soutenues par Sidaction, a des objectifs proches du programme « Solidarité Traitements », en ce qu’il favorise l’accès aux traitements antirétroviraux des membres les plus actifs de ces associations, et permet ainsi de garantir leur survie et la stabilité des équipes sur le terrain. Pour plus de détails, voir le site internet de Sidaction : http://www.sidaction.org/international/progcommunautaires/paarv
49 Voir Transversal, juillet-août-septembre 2004, n° 20 : 17.
50 Soit un total de 26 000 morts.
51 Voir l’article de Pierre Dudziak dans la lettre interne de l’association, Rue de Savoie, n° 8, été 2003.
52 Concept similaire aux Nuits du zapping, le zapping étant cette fois construit autour des meilleurs sketches des humoristes de Canal +.
53 Utilisés comme les Tickets Restaurant, ces supports de paiement ont pour avantage de favoriser le respect de la dignité de la personne humaine en laissant au bénéficiaire le choix de ses achats alimentaires, vestimentaires ou d’hygiène, en fonction de ses goûts, sa culture et sa religion. Ce système de Tickets Services est une forme d’aide directe originale qui concourt à la spécificité de Solidarité Sida depuis ses toutes premières initiatives de redistribution des fonds.
54 Entre la personne salariée « chargée de soutiens France » et sa supérieure hiérarchique responsable de l’ensemble des programmes de lutte contre le sida.
55 Par exemple en réprouvant publiquement la pénalisation du racolage et la loi sur la sécurité intérieure portant sur le dispositif de prévention des associations ou contre l’intronisation du système de franchises médicales.
56 On peut considérer que l’investissement de Solidarité Sida sur le terrain de la précarité des publics touchés par le VIH apparaît jusque dans le domaine de la prévention, à partir de 2002 surtout. En effet. Solidarité Sida accorde alors une importance particulière, à travers ses interventions de terrain, aux associations de réinsertion de la région parisienne et aux foyers de jeunes travailleurs et favorise la formation d’adultes-relais dans le cadre de projets d’éducation par les pairs avec la Protection judiciaire de la jeunesse.
57 En ce qu’il met Solidarité Sida partiellement à l’abri des injonctions des autres associations, l’appelant à un discours « plus politique ». Une permanente soulignait récemment, au cours d’une conversation informelle : « Il y a un moment où on est bien obligés de se positionner un minimum. (...) Bruno Pascal [leader de la mobilisation contre les franchises à travers son mouvement de grève des soins] vient tous les ans sur scène à Solidays, avec l’association qu’il préside [le Patchwork des Noms]... Et puis sur des sujets comme celui-là, si Solidarité ne signe pas au moins un appel à la manifestation, il y a un moment où c’est Act Up qui finira par venir zapper Solidarité Sida ! ».
58 Sachant que les jeunes en général semblent plus motivés par des enjeux de solidarité globale que nationaux ou communautaires et qu’ils sont particulièrement attirés par les causes humanitaires. Sur ces questions, voir entre autres Barthelemy (2000 : 162-165) ; Roudet et Tchernia (2001) ; Becquet et Linares (2005).
59 Voir notamment Muxel (1990 ; 2001).
60 Des rétributions plus matérielles existent également, dont le fait de pouvoir assister gratuitement aux spectacles sur lesquels la personne s’engage comme bénévole.
61 À partir de 2004-2005, cette professionnalisation est d’ailleurs synonyme de « séniorisation » : alors qu’elle privilégiait jusqu’à présent l’emploi de jeunes débutant leur vie professionnelle à Solidarité Sida (souvent après un stage au sein de la même structure), Solidarité Sida embauche désormais des personnes bénéficiant d’une expérience professionnelle préalable dans le monde associatif et plus spécifiquement dans la lutte contre le sida. Inversement, des salariés formés à Solidarité Sida iront rejoindre à cette époque des structures telles que le Crips. Le fait est que la « séniorisation » des effectifs permanents creuse la distance entre bénévoles et salariés, le décalage d’âge venant alors renforcer le sentiment de dépossession éprouvé par les bénévoles.
62 A propos des effets de la professionnalisation et de la montée en expertise des organisations humanitaires sur la gestion des effectifs bénévoles, consulter notamment Collovald (2001) ; Collovald et al. (2002) ; Lefevre et Ollitrault (2007).
63 Solidarité Sida emboîte ici le pas à d’autres structures et en particulier à Médecins sans frontières, qui avait utilisé un concept similaire avec un camion itinérant dans le cadre de sa campagne « Médicaments essentiels » à la fin des années 1990.
64 Source : le site internet créé pour l’occasion : www.onsenfoutpas.org
65 L’appel à la manifestation pour la Parade du 21 mai est rédigé de la manière suivante : « Nous sommes de plus en plus nombreux à refuser l’abandon de millions de malades du sida dans les pays pauvres. Le 21 mai nous devons en faire la preuve ! »
66 Les visuels de la campagne d’affichage 2005 « 30 jours pour » seront d’ailleurs réutilisés ultérieurement, avec un nouveau sous-titrage mettant en avant des responsabilités diffuses : « A Paris, Bruxelles, Genève ou New York, nous attendons de nos élus politiques qu’ils s’engagent fermement dans le combat de l’accès aux traitements pour tous » (voir par exemple la 4e de couverture du Cahier spécial d’information sur Solidarité Sida édité à l’occasion des 15 ans de l’association).
67 Ainsi, dès 2005, Solidarité Sida obtient un financement de l’Union européenne pour les années 2005-2008, pour un projet de soutien à 9 partenaires associatifs en Côte d’Ivoire (en post-crise du fait de la partition du pays). Parallèlement, à partir du milieu de l’année 2005, Solidarité Sida bénéficie d’un financement du ministère des Affaires étrangères visant à aider des associations à s’autonomiser et à diversifier leurs sources de financement. Ces deux financements prendront fin en 2008.
68 En 2005, les soutiens extérieurs (financements publics et privés) représentent 52% des ressources de Solidarité Sida (hors gratuités). Les 48 % restants (ressources directes générées par Solidarité Sida) se répartissent en produits d’exploitation des évènements (billetterie, merchandising...) (45 %) et dons, cotisations ou produits financiers exceptionnels (3 %). En 2002, la part des soutiens extérieurs n’était que de 31 %. (Sources : Solidarité Sida, rapports d’activités 2002 et 2005).
69 Solidarité Sida, Rapport d’activités du Fonds Afrique, 2007.
70 Réunion thématique organisée à l’intention des bénévoles de Solidarité Sida, le 28 mars 2007.
71 Depuis janvier 2007, la loi reconnaît aux régions françaises la compétence en matière de coopération internationale.
72 On perçoit quand même encore là la différence de moyens existant entre Solidarité Sida et d’autres structures. La somme récoltée par Sidaction en 2008 via la seule vente aux enchères réalisée lors du dîner annuel de la mode contre le sida en janvier 2008 est par exemple de 750 000 euros.
73 La région Île-de-France est le plus gros contributeur avec 150 000 euros, devant la Mairie de Paris, seule collectivité locale autre que les régions à avoir abondé le Fonds jusqu’à présent (132 000 euros, soit environ 20 % du total).
74 Cependant, au-delà des difficultés propres à Solidarité Sida, il faut noter que la plupart des festivals ont subi d’importantes baisses de fréquentation en 2007.
75 Le streetfundraising présente entre autres avantages de permettre une stabilisation des ressources des associations et un élargissement par rapport à la base des donateurs habituels (globalement les plus de 60 ans, même si des nuances existent en fonction des causes soutenues) dont on s’est aperçu au milieu de la première décennie des années 2000 qu’ils étaient sur-sollicités (laissant craindre une saturation du marché de la collecte de fonds) (Rieunier et al., 2005). Il a été démontré par exemple que les jeunes donnaient plus facilement suite à un démarchage dans la rue qu’à un courrier (voir notamment Malet, 2004 ; Fondation de France, 2004).
76 Fin 2006, Aides a annoncé renoncer à répondre aux appels à projets de Sidaction au motif qu’il y aurait trop de lenteurs dans les procédures d’attribution des fonds et que son retrait permettrait à des structures plus petites qu’elle de bénéficier des fonds redistribués par Sidaction. En s’appuyant sur un nouvel outil de collecte de fonds privés, à travers le streetfundraising, Aides entre cependant en concurrence frontale avec Sidaction, sachant que, à l’inverse de cette dernière, elle bénéficie aussi de financements publics (importants).
77 Dans la pratique, il semblerait que l’on assiste plutôt à une forme de post-fléchage : en fonction de la somme versée par telle entreprise ou telle collectivité, Solidarité Sida sélectionne un projet soutenu pour une valeur équivalente et opère un « zoom » permettant à cette entreprise ou à cette collectivité de valoriser très concrètement sa contribution.
78 Néanmoins, la durée du mandat des régions semble pouvoir garantir une certaine stabilité des financements et Solidarité Sida n’a cessé d’affirmer sa volonté de privilégier une politique de pérennisation des projets. Une idée qui semble se dessiner consisterait à proposer à quelques structures ayant déjà atteint une taille assez importante un accompagnement sur deux ou trois ans, ce qui leur donnerait le temps de se retourner et d’engager les démarches nécessaires pour prétendre aux financements du Fonds mondial ou d’autres bailleurs plus importants que Solidarité Sida.
79 « Les énoncés humanitaires tendent (...) à adopter une structure uniforme requise par leurs usages pratiques. Il s’agit de focaliser l’attention des donateurs sur le malheur de bénéficiaires individualisés et dotés de caractéristiques susceptibles de provoquer l’émotion – les enfants, les femmes, les handicapés (les “victimes” en général) plutôt que les combattants blessés, les toxicomanes ou tous ceux qui peuvent sembler responsables de leur situation. C’est en présentant des cas de détresse, exempts de tout détail susceptible de retenir le don, que le discours humanitaire atteint sa plus grande efficacité » (Juhem, 2001 : 16).
80 Notons que Solidarité Sida finance actuellement quelques projets axés sur le dépistage mais ceux-ci envisagent plutôt le dépistage en tant que porte d’entrée dans la prise en charge pour des populations vulnérables, dans des zones reculées où les besoins sont très importants. Il ne s’agit donc pas de financer des campagnes de masse.
81 Loi de finances 2008, publiée au Journal Officiel le 27 décembre 2007. Act Up-Paris estime que cette baisse équivaut à priver de traitement 10 000 des 140 000 malades que la France soutenait à travers le Fonds mondial. Le G8 s’est engagé à financer la santé en Afrique à hauteur de 60 millions de dollars au cours des prochaines années, les États-Unis étant censés financer la moitié de cette somme... et la France 1/60e.
82 Initialement, la baisse annoncée était même de 15 %. Voir le communiqué de presse cosigné par Act Up, Aides, Sidaction et Solidarité Sida, le 28 août 2007.
83 Cf. Les lois de sécurité intérieure.
84 Pour un questionnement sur la fiabilité des nouveaux chiffres, voir le dossier paru dans Transversal, janvier-février 2008 : 10-14.
Auteur
Doctorante en science politique. Centre de recherches sur l'action politique en Europe (CRAPE, Université Rennes 1). Membre du comité de rédaction de la revue à comité de lecture Genre, sexualité & société
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