Chapitre 6. ONG et associations de lutte contre le sida en Afrique
Incitations transnationales et ruptures locales au Cameroun
p. 205-230
Texte intégral
Introduction : un champ en mutation
1Ce texte met en lumière la configuration sociale au sein de laquelle se meuvent les associations camerounaises, à l'heure de l'accès des personnes vivant avec le VIH/sida (PWS) aux médicaments antirétroviraux (ARV)1. Officiellement, le Cameroun comptait en 2008 près de 300 associations de lutte contre le sida, parmi lesquelles 75 sont spécifiques aux PWS. L'évolution des rapports des unes par rapport aux autres est particulièrement importante pour comprendre la longue marche des associations de PWS, depuis leur subordination aux associations et aux ONG plus puissantes impliquées dans la lutte contre le sida dans les années 1990 vers ce qui ressemble aujourd'hui, au moins pour certaines d'entre elles, à une émancipation, avec l'ouverture de plus en plus poussée de leurs réseaux et de leurs ressources à des apports extérieurs.
2L’analyse s'efforce d'abord de replacer le rôle des associations dans l'armature de l'accès aux ARV en Afrique d'un point de vue diachronique. Il s'agit de montrer comment l'élargissement de l'accès aux traitements ARV a coïncidé avec des mutations sociologiques au sein des associations et à des transformations de leurs formes d'organisation et de leurs pratiques à partir du début des années 2000. C'est l'objet de la première partie du chapitre. Dans les années 1990, le champ associatif camerounais était constitué majoritairement de personnes démunies, à plus de 80 % des femmes, confrontées à la précarité et d'extraction sociale modeste, les hommes, minoritaires en nombre, exerçant cependant la direction de la quasi-totalité de ces organisations. Ce texte montre comment le profil sociologique des associations s'est transformé avec la montée en puissance du programme d'accès aux traitements antirétroviraux. Les professions et catégories sociales de la « classe moyenne », représentées par des personnes de plus en plus diplômées par rapport aux effectifs de la période qui avait précédé la disponibilité des traitements, ont fait leur entrée dans les associations, et surtout dans leurs directions. À cette « élitisation » de la dynamique associative est venue s'ajouter une forte féminisation de la conduite de ces organisations, qui rompt également avec les pratiques de « leadership » masculin de la décennie précédente. Un troisième indicateur de cette modification sociologique est constitué par la professionnalisation des acteurs associatifs, notamment dans celles de ces organisations qui parviennent à s'insérer dans le champ institutionnel de la lutte contre le VIH/sida et dans des réseaux internationaux.
3La ville de Douala a été un terrain particulièrement propice à l'étude de ces modifications, complétée ultérieurement par la collecte de données dans les deux autres provinces du projet Polart2.
4L'objectif de l'étude était notamment de comprendre comment les associations interviennent dans l'accès aux traitements ARV qui implique une multiplicité des partenariats et des relations entre acteurs. À cette fin, l'équipe de recherche a réalisé à Douala des entretiens avec plus d'une centaine d'acteurs concernés : responsables administratifs et partenaires internationaux impliqués dans la gestion du programme d'accès aux traitements ARV d'une part, membres et présidents (es) d'une vingtaine d'associations d'autre part3.
Changement global et mutations africaines dans la lutte contre le sida
Les associations camerounaises au regard des dynamiques africaines
5Pour comprendre les antécédents sociopolitiques et sanitaires dans lesquels s'est inscrite la rupture introduite par l'accès aux ARV dans la vie des associations, il nous faut retracer les grandes lignes de la genèse des arènes politiques dans lesquelles elles évoluent. L’exemple des associations camerounaises, dans leurs différences de structure et d'influence comme dans leurs ressources inégales, porte aussi des enseignements au niveau de l'Afrique subsaharienne. Le cas des associations du Cameroun permet ainsi de distinguer des récurrences africaines et internationales, et des spécificités nationales, voire locales.
6Dans les pays d'Afrique subsaharienne les plus précocement touchés par l'épidémie (Afrique du Centre-Est – Ouganda – et les pays d'Afrique australe), les mobilisations collectives de type associatif contre le sida ont pris forme dès la seconde moitié des années 1980. Les pays d'Afrique du Centre et de l'Ouest, comme le Cameroun, ont connu une temporalité différente. Les cultures politiques, liées à des passés coloniaux différents, « pays anglophones » versus « pays francophones » en l'occurrence, expliquent sans doute pour partie que les premiers aient été plus enclins à produire ce type d'action collective. Mais le rôle des facteurs socio-épidémiologiques a probablement été déterminant. Les pays anglophones dans lesquels ces mobilisations collectives ont été les premières à voir le jour (l'Ouganda, la Zambie et un peu plus tard la République d'Afrique du Sud) sont parmi ceux où les taux observés de prévalence du VIH/sida étaient les plus élevés dès les années 1980. Les villes dans lesquelles ont émergé les mobilisations les plus visibles et les plus pérennes depuis les années 1980 correspondent à de véritables situations de crise épidémiologique : Kampala en Ouganda (Demange, 2010 ; Fabing, 1998), Kinshasa dans l'ex-Zaïre avant la guerre civile. De même, dans les États dits « francophones », c'est dans le pays alors considéré comme le plus touché en Afrique de l'Ouest et du Centre, la Côte d'Ivoire4, que sont d'abord apparues les associations les plus dynamiques et les plus actives (Cornu, 1996). Pour autant, cette variable épidémiologique est à mettre en relation avec la capacité historique de la société civile à se mobiliser pour une cause commune, au-delà de la seule intervention de l'État. À ces déterminants, épidémiologiques et socio-historiques, des mobilisations collectives doit être ajoutée la variabilité des dynamiques proprement politiques. L'organisation spécifique de l'État comme la situation politique et économique de chaque pays ont, selon les cas, facilité les mobilisations associatives (par la faiblesse de l'État, notamment là où il était trop faible pour organiser la lutte contre le VIH/sida) ou les ont ralenties (par la prééminence des pouvoirs publics) (Eboko, 2005 ; Patterson, 2005). La capacité d'intervention des partenaires internationaux (organisations non gouvernementales – ONG –, internationales et agences de coopération bi- et multilatérales, etc.) a également joué un rôle significatif dans plusieurs pays, ces partenaires s'efforçant en général de s'appuyer sur l'action des ONG pour « contrebalancer » ce qu'ils perçoivent souvent comme le « bureaucratisme » des services publics gouvernementaux (Desclaux et al., 2010).
7La situation épidémiologique du Cameroun se rapprochait de celle de la plupart des autres pays francophones d'Afrique de l'Ouest et du Centre avec, dans les années 1980, des taux de prévalence considérés comme faibles (0,5 % en 1988) mais dont la progression s'est accélérée dans les années 1990 et 2000 (5,5 % depuis 2004).
8Dans ces pays, qu'ils demeurent peu touchés (comme le Sénégal avec une séroprévalence de 0,7 %) ou qu'ils voient s'établir une dynamique épidémique importante (comme le Cameroun), les mobilisations des PWS ont donc eu du mal à émerger, à l'exception de la Côte d'Ivoire (Cornu, 1996). Un point commun à l'ensemble de ces pays francophones, Côte d'Ivoire compris, est que la création initiale des associations ne s'est pas enracinée dans une mobilisation spontanée et une auto-organisation des PWS elles-mêmes. Les associations dans ces pays ont été majoritairement créées à l'instigation des personnels biomédicaux, des ONG de lutte contre le sida – conduites par ces mêmes personnels – ou encore à la demande des organisations internationales comme Onusida ou le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement). C'est le cas du Sénégal, pour lequel on a pu parler de « genèse d'une participation décrétée » (Mboj, 2007) ou d'associations « sous tutelle » (Delaunay, 1998 et 1999). La Côte d'Ivoire a connu la première une autonomisation des associations (Kerouedan, 1998 ; Kerouedan et Eboko, 1999), grâce à l'intégration de celles-ci dans des réseaux d'ONG internationales et françaises en particulier (Cornu, 1996). Le Cameroun représente une combinaison des types précédents. Les associations de PWS ont d'abord été créées à l'initiative de médecins hospitaliers jouant en quelque sorte un rôle d'« agents doubles », à la fois soignants et présidents des principales associations de lutte contre le sida (Eboko, 1999 b), puis elles ont connu une évolution nette vers plus d'autonomie à l'égard du monde médical, appuyée par des connexions internationales tissées à partir des années 2000. Non sans un certain paradoxe, l'accès aux traitements ARV a ainsi produit un relâchement de l'influence des réseaux de médecins dans le champ associatif, à la faveur d'une médicalisation accrue de la prise en charge des patients.
Genèse et évolution des associations de lutte contre le VIH/sida au Cameroun
9Deux périodes distinctes (avant et après l'accès aux traitements ARV) marquent bien l'historique des associations et ONG de lutte contre le sida au Cameroun. L'organisation de la Septième conférence sur le sida en Afrique (CISA), tenue à Yaoundé en 1992, a provoqué l'essor des actions menées en matière d'information, éducation et communication (IEC) et, de ce fait, a entraîné la création d'associations de lutte contre le sida censées contribuer à ces efforts en direction de la population. Elles naquirent surtout dans les deux plus grandes agglomérations camerounaises : Yaoundé, la capitale politique et, dans une moindre mesure, Douala, la métropole économique. Pendant ces années 1990, on distingue en fait deux types d'organisations impliquées dans la lutte contre le sida, même si toutes partagent alors le même statut juridique d'associations régies par la loi de décembre 1990 réglementant, entre autres, la vie des associations et les libertés publiques. À partir de la loi de décembre 1999 portant sur les associations et ONG, il sera d'ailleurs introduit un statut juridique différencié : les « associations » ne deviennent des « ONG » que sous certaines conditions, notamment après une durée d'existence minimale de trois ans. En outre, certaines ONG peuvent être déclarées par décret présidentiel « d'utilité publique », ce qui constitue, selon cette loi, la condition sine qua non pour recevoir des fonds issus directement de l'étranger (Otayek et al., 2004).
10Les ONG, comme SidAlerte ou la Society for Women and AIDS in Africa (SWAA), dont nous reparlerons plus loin, représentent des filiales nationales de structures internationales – panafricaines ou plus globales – dirigées principalement par des médecins. Leur obédience et leur audience dans les années 1990 furent corrélées à des ambitions nationales et multidimensionnelles (IEC, recherche scientifique, organisation de structures plus petites en réseau, etc.). Les autres, nommées plus communément « associations », couvraient des territoires plus restreints (du quartier à la ville ou à une partie du pays) et des catégories de « bénéficiaires » plus ciblées (jeunes, femmes, élèves, étudiants, personnes vivant avec le VIH, etc.). Pendant cette première décennie de l'essor associatif, et avec des succès variables et différenciés suivant les villes, les ONG ont tenté de réguler, d'encadrer, de contrôler, voire de commanditer les actions des petites « associations ».
11Une donnée essentielle orientait – et continue d'influencer- ce faisceau d'actions collectives : les ressources matérielles et la reconnaissance sociale. En effet, jusqu'à la fin de l'année 1997, la lutte contre le sida en Afrique, et en l'occurrence au Cameroun, fut surtout orientée vers la prévention ou, plus précisément, vers une tentative de contenir localement la pandémie, sans recours thérapeutique spécifique et selon toute vraisemblance sans une volonté politique internationale pour qu'il en fût autrement (Raynaut, 2001). De ce fait, les prérogatives et les missions que les ONG et les associations se sont vues assigner se limitaient principalement à l'IEC, puis au soutien psychosocial des PWS. La connexion aux réseaux de financements, qui pouvaient être soit sollicités directement à l'étranger, soit localement auprès d'agences de coopération sises en majorité à Yaoundé, la capitale politique et administrative du pays, jouait un rôle clé dans les capacités d'action associatives.
12Au cours de cette période, les acteurs biomédicaux ont pu jouer de leurs compétences, de leur influence et de leur légitimité auprès de ces réseaux transnationaux pour occuper l'espace construit entre les bailleurs de fonds et les groupes sociaux « cibles » de la prévention, en servant d'intermédiaires obligés entre donateurs et receveurs. L’inégalité des pouvoirs entre les uns et les autres, entre les « petits » et les « grands », permit un statu quo de la situation pendant près de dix ans. La relative distance entre les sommets de l'État et le personnel technique biomédical – tant celui du Comité national de lutte contre le sida (CNLS) que celui du secteur des ONG – au cours de ces années 1990 concourut à pérenniser une image relativement « oligarchique » de la conduite des actions non gouvernementales les plus visibles. De fait, plusieurs provinces furent pratiquement exclues du champ de la mobilisation associative contre le sida, tandis que Yaoundé fut un centre névralgique qui concentra en son sein de manière régulière près de trois quarts des ONG.
13Le changement induit à partir de l'année 2000 par les mobilisations de la société civile mondiale (les ONG internationales originaires des pays du Nord telles que Médecins sans frontières ou Act Up, par exemple) pour l'accès aux traitements a eu des implications immédiates sur la prise en compte par les pouvoirs publics du rôle des associations dans la « participation communautaire » unanimement prônée par les initiatives internationales (Atun et al, 2009).
14En amont, la redéfinition du rôle des associations et la promotion d'une « nouvelle vague associative » au début des années 2000 s'appuient sur deux phénomènes : d'une part, les initiatives internationales favorisent une meilleure accessibilité financière aux antirétroviraux ARV, jusqu'à leur « gratuité » décrétée en mai 2007, et la lutte contre la stigmatisation des PWS ; d'autre part, ces mouvements internationaux conduisent à une implication politique plus visible du gouvernement et de la présidence de la République dans la lutte contre le sida. Il en découle un contrôle plus important du « politique » sur « l'administratif » (le CNLS en particulier), qui ouvre une série de marges de manœuvre nouvelles pour les associations, y compris celles qui jusque-là ne jouissaient pas d'une véritable reconnaissance.
15En aval, les nouveaux visages de la mobilisation associative prennent trois formes. On assiste tout d'abord à une présence accrue et systématisée des représentants des PWS dans la plupart des discussions qui les concernent, y compris lors des concertations avec les bailleurs internationaux. Ensuite prennent place des catégories sociales « intermédiaires » entre les personnels médicaux et les PWS « indigentes », qui constituaient jusque-là l'essentiel des effectifs des associations locales de lutte contre le VIH/sida. Ces deux facteurs accentuent une dynamique d'émancipation des « petites » associations vis-à-vis des « ONG » qui avaient dominé la scène dans les années 1990. En parallèle, on assiste à une diffusion du mouvement associatif sur le territoire national, plus aucune province du pays n'étant privée, en tout cas officiellement, d'associations de PWS. De son côté, le Réseau camerounais des associations de personnes vivant avec le VIH (Recap+) dénombrait, en 2007, soixante-quinze associations de PWS réparties sur l'ensemble des dix provinces du Cameroun.
16Les développements qui suivent ambitionnent d'analyser les mécanismes et les logiques qui sous-tendent cette mutation en cours.
De la mise sous tutelle biomédicale à l'émancipation ?
17Dans la suite de ce texte, nous nous proposons d'analyser plus en détail les ruptures intervenues entre les deux grandes phases de la mobilisation associative que nous venons de retracer, dans le cas d'une province précise, le Littoral, dont le chef-lieu est la capitale économique du pays, Douala.
Des associations « sous contrôle » (1990-2000)
Une phase de latence
18Au cours de la période 1990-2000, le mouvement associatif est dominé de fait par des ONG adossées à des réseaux internationaux (SidAlerte Cameroun et SWAA notamment), alors que les associations qui émanent directement de la mobilisation des PWS peinent à trouver leur place dans le champ institutionnel.
19SidAlerte Cameroun apparaît en 1992 à l'occasion de la Conférence internationale sur le sida (CISA) organisée à Yaoundé. L’organisateur de la conférence, le Pr Lazare Kaptué, alors président du CNLS depuis la naissance de celui-ci en 1987, devient le président local de SidAlerte International dont le siège est à Lyon. Il est secondé à l'époque par le Dr Zékeng, médecin biologiste, son collaborateur au CHU, autant pour l'organisation de la conférence que pour l'animation de l'association. Un an après avoir pris la tête de SidAlerte au Cameroun, le Pr Kaptué quitte son poste au CNLS. Mais il reste l'une des figures emblématiques de la lutte contre le sida au Cameroun et l'un des interlocuteurs privilégiés des partenaires nationaux et internationaux concernés (Bourgeois et Eboko, 1997 ; Eboko, 1999 a).
20SidAlerte Cameroun a exclusivement œuvré dans le domaine de l'IEC. Elle a mis à la disposition du public des dépliants, des cassettes vidéo, des diapositives, des affiches et des journaux qui pour l'essentiel lui étaient fournis par SidAlerte International. Ces supports étaient aussi distribués lors des campagnes de sensibilisation que les membres, notamment des étudiants, menaient bénévolement au sein des écoles, des associations et dans les quartiers. Le lien avec un partenaire du Nord fut très fortement valorisé tout au long de l'action de l'association. Comme l'explique un ancien membre : « Nous, nous gagnions en crédibilité d'être le prolongement d'une association internationale française... Tous les mois, on recevait 200 exemplaires du journal dont les ventes participaient à la subvention. »5
21Sur le terrain, ce lien international poussait également plusieurs agences de coopération (notamment américaines, allemandes et françaises) à sous-traiter à SidAlerte une partie de leurs opérations, faisant de cette ONG un prestataire de service pour l'encadrement d'associations plus modestes et d'actions auprès des « groupes cibles ». Les domaines d'intervention pour lesquels SidAlerte se voyait sollicitée par les partenaires internationaux sont multiples : formations des « pairs éducateurs » et d'animateurs dans les quartiers, dans les établissements scolaires et universitaires, sensibilisation auprès d'associations dites de ressortissants, etc. Ces interventions s'étendaient même au domaine de la recherche, par exemple en virologie ou sur les comportements sexuels, alors au cœur des préoccupations pour l'élaboration des stratégies de prévention.
22Ainsi, de l'aveu du Pr Kaptué lui-même, c'est SidAlerte qui sera à l'initiative de la création de l'Iresco, un bureau d'études qui s'est spécialisé dans les enquêtes comportementales. Alors « point focal » officiel de nombreux partenaires étrangers, le Pr Kaptué s'est trouvé directement sollicité par la demande internationale en matière d'études et d'enquêtes sociologiques et/ou anthropologiques liées au VIH/sida. Plutôt que de faire appel à des professionnels des sciences sociales des universités camerounaises, il s'est orienté vers les jeunes étudiants qui participaient déjà aux activités de son ONG de lutte contre le sida et dont le cursus présentait un minimum de compétences dans ces domaines. Par la suite, avec la baisse des financements internationaux disponibles pour les grandes enquêtes de population sur le sida, l'Iresco se réorientera vers d'autres domaines d'études auprès des ménages et sur la publication d'un journal destiné aux jeunes.
23Plus généralement, SidAlerte Cameroun s'est retrouvé au centre d'un réseau de partenariats allant de la recherche biomédicale (virologie, CHU) et en sciences sociales (Iresco) à l'information, la formation et au marketing social, en passant par certaines firmes pharmaceutiques. Ces partenariats feront de plusieurs de ses membres des vecteurs actifs de la professionnalisation de la lutte contre le sida au Cameroun, au travers de l'appropriation de nouveaux métiers, y compris dans le secteur du bénévolat.
24Au cours des années 1990, d'autres membres du réseau SidAlerte rejoignent ainsi le Programme de marketing social du Cameroun (PMSC), branche locale de Population Service International (PSI), une ONG américaine qui bénéficie d'un monopole de fait pour la diffusion à faible coût du préservatif (« Prudence ») sur une grande partie du marché africain. Aujourd'hui, cette structure a évolué pour devenir un prestataire d'études commandées principalement par l'Onusida au Cameroun.
25La filiation de SidAlerte se poursuivra après sa disparition en 1998 suite au tarissement de ses financements internationaux et à la fermeture de SidAlerte International. Dans les cas que nous venons de décrire (Iresco, PMSC), la professionnalisation des activités s'est progressivement accompagnée d'une prise de distance à l'égard de la mobilisation collective et d'une sortie de fait du champ associatif. Dans d'autres cas, le lien sera maintenu et les « anciens » de SidAlerte joueront alors un rôle de « passeurs » entre les réseaux internationaux et les associations émanant directement des PWS. Nous en donnerons deux exemples dont la signification va au-delà des itinéraires individuels.
26En une décennie, SidAlerte a inventé ou s'est approprié de « nouveaux métiers » sociaux dans la lutte contre le sida, y compris dans le secteur du bénévolat. Ainsi, la réflexion sur le droit des personnes atteintes d'une part, et le suivi psychologique spécifique des patients d'autre part ont été respectivement mis en œuvre par deux anciens « jeunes » de SidAlerte,
27Tous deux étaient étudiants lorsqu'ils ont intégré le réseau Kaptué. Le premier, Jean-Marie Talom, est juriste. Il a créé « Reds », l'association de référence reconnue par tous les partenaires internationaux du champ du sida au Cameroun en matière d'éthique et de droits des patients, qui sera présentée plus loin. Le second, Jean-Roger Kuaté, s'est investi pendant dix ans dans le soutien aux PWS. Devenu psychologue clinicien, il crée l'association SOS Psy qui fera référence en matière d'interventions psychosociales en faveur des PWS au Cameroun, avant d'être appelé à une carrière internationale et de devenir un des spécialistes du soutien psychologique des personnes vivant avec le VIH (PWS ou P+). Métier qu'il a pratiqué pendant dix ans de manière bénévole, avant de devenir membre de l'association « SOS Villages d'Enfants » (Kinderdorf International), puis d'être recruté et affecté à l'étranger par l'ONU. Jean-Marie Talom est devenu une référence internationale en matière de défense des droits des personnes atteintes et, plus largement, un défenseur de l'éthique dans la lutte contre le sida.
28Reds Cameroun (Réseau éthique droit et sida) est un réseau international né à Dakar en 1994. Reds se spécialise dans le soutien juridique et la défense des droits des PWS et offre ses services aux autres associations camerounaises et aux organismes internationaux (GTZ, MSF, etc.) qui en formulent la demande. Les premières actions de Jean-Marie Talom comme de Jean-Roger Kuaté concernent les discriminations multiples dont les PWS se trouvent victimes dans la vie quotidienne. En particulier, ils sont à l'origine au début des années 2000 des pétitions révélant que des ambassades et des représentations diplomatiques de grandes puissances occidentales exigent, au mépris des conventions internationales auxquelles ces pays adhèrent, les résultats de tests de dépistage du VIH pour l'obtention de visas par les citoyens camerounais.
29En 2005, Reds et son président jouent un rôle actif – qui leur vaudra une renommée internationale – dans la controverse éthique qui conduira les autorités camerounaises à interdire en février 2005 la poursuite d'un essai clinique du Tenofovir pour la prophylaxie préventive du VIH, pour lequel étaient principalement recrutées des femmes se livrant à la prostitution (Singh et Mills, 2005).
30L'autre ONG qui, avec SidAlerte, joue un rôle structurant dans le mouvement associatif des années 1990 est également constituée par la branche camerounaise d'un réseau international, la SWAA (Society for Women and AIDS in Africa). Cette ONG, créée en Afrique australe en 1988, s'est développée sur tout le continent.
31C'est le Dr Henriette Meilo, autre figure médicale pionnière de la lutte contre le sida au Cameroun, qui crée cette association en 1990, au retour d'un séjour professionnel en France qui lui avait permis d'entrer en contact avec certains acteurs internationaux. Avec le soutien de diverses associations étrangères (International Women Health Point, Ensemble contre le Sida, Hôpitaux parisiens...), la SWAAC se lance dans l'IEC et le conseil préventif en s'appuyant pour l'essentiel sur la diffusion de documents en provenance de l'extérieur, à une époque où les PWS camerounaises n'envisagent pas encore de s'auto-organiser. C'est la SWAA-Cameroun qui épaulera la première association de PWS du pays au moment de sa création en 1994, la faisant bénéficier de son expérience.
32Pendant les dix premières années de la lutte contre le sida au Cameroun, les acteurs associatifs majeurs (SWAA et SidAlerte), quels que soient l'énergie et le dévouement dont ils font preuve, tendent à reproduire les recettes éprouvées ailleurs et de s'inscrire dans une dynamique internationale, sans chercher à insuffler un élan spécifiquement national à leur engagement. En témoignent les formes d'organisation, les références, les outils de travail et même le vocabulaire adopté, qui sont souvent glanés au fil des conférences internationales auxquelles les personnalités médicales qui dirigent les principales ONG assistent régulièrement, et dont elles tirent une partie de leur légitimité nationale.
Les personnes vivant avec le VIH au cœur de la lutte : de la vulnérabilité à l'action sociale
33De leur côté, les associations émanant directement des PWS, qui, comme nous venons de l'évoquer, émergent à partir du milieu des années 1990 connaissent des débuts que l'on peut qualifier de chaotiques. Nous l'illustrerons à travers la trajectoire biographique du président de l'une d'entre elles, l'Association des Frères et Sœurs Unis (AFSU), qui regroupait des personnes infectées par le VIH au Cameroun. Cette association comptait plus de 130 adhérents à la fin des années 1990, PWS elles-mêmes ainsi que veuves et orphelins du sida dans trois villes camerounaises (Yaoundé, Douala et Limbe sur la côte atlantique, dans la région du Sud-Ouest).
34Dépisté en 1987 à la suite d'un don de sang, Andrew est parmi les premiers séropositifs déclarés à Yaoundé. Andrew a découvert son statut par hasard, grâce à la curiosité de son frère aîné qui a su décoder les résultats de ses analyses. Les médecins lui avaient juste dit qu'il avait « un problème dans le sang ». À vingt ans, il abandonne sa scolarité en classe de terminale et décide d'en savoir plus sur « la nouvelle maladie ».
35Les médecins investis dans la prise en charge du VIH le sollicitent d'abord pour de multiples examens biologiques. Très vite, sa disponibilité, sa bonne volonté et surtout son état de santé (Andrew était asymptomatique) incitent les médecins à lui proposer de rencontrer les PWS nouvellement diagnostiquées. À titre bénévole, Andrew s'y conforme. L'expérience de conseiller psycho-social d'Andrew commence à titre bénévole, sur le tas. Il assure de manière informelle un conseil post-test, en aidant quelques personnes à « mieux encaisser » l'annonce de leur séropositivité. Ces entrevues nourrissent petit à petit, chez Andrew et certains de ses compagnons d'infortune, la volonté d'organiser l'assistance aux PWS avant et après l'annonce du diagnostic. Pourtant, la rencontre la plus décisive, d'après Andrew, se déroule avec des membres du Réseau africain des PWS, avec lesquels il sympathise lors de la Conférence mondiale sur le sida tenue à Londres en septembre 1991. Andrew constate l'avancée des mobilisations des PWS dans d'autres pays africains, et le dynamisme des associations organisées par des PWS elles-mêmes de certains pays anglophones (Kenya, Ouganda et Malawi).
36Rentré au pays, et employé par l'ONG américaine PSI, le jeune homme de 24 ans s'efforce de « faire quelque chose pour aider les personnes séropositives ». Il entame les démarches administratives pour créer une association consacrée spécifiquement aux PWS et à leur entourage. Ses contacts avec le milieu médical et les sollicitations dont il est l'objet pour soutenir moralement des PWS renforcent sa notoriété, tant auprès des professionnels de santé que des patients eux-mêmes. Le 11 juin 1994, l'AFSU est enfin légalisée. Andrew, âgé de 26 ans, en devient naturellement le président.
37En 1995, l'AFSU se voit offrir l'opportunité de contribuer à un projet de recherche multicentré, soutenu par l'IRD (Institut de recherche pour le développement), dans trois pays africains (Guinée-Bissau, Sénégal et Cameroun) sur les différents sous-types du VIH 1. À Yaoundé, ce projet est baptisé Presica (Prévention du sida au Cameroun). Il s'agissait en réalité d'un projet de recherche biomédicale fondamentale visant à inventorier les différences cliniques et biologiques pour les sous-types respectifs du VIH 1. Mais parce qu'il impliquait un suivi médical des PWS incluses dans le projet, l'AFSU est chargée, au même titre que différents services médicaux, de recruter des PWS volontaires et de les orienter vers le personnel conduisant le projet à l'hôpital militaire de Yaoundé, sous la houlette du médecin-colonel Étel Mpoudi Ngollé, qui a dirigé le PNLS entre 1994 et 1997. De plus, du fait de l'expérience d'Andrew dans ce domaine, l'AFSU se voit confier le « conseil » encadrant le dépistage. À partir de novembre 1996, quand démarre l'inclusion des patients, la participation à ce projet permet d'une part à Andrew d'acquérir un statut professionnel, d'autre part à plusieurs membres de l'AFSU d'accéder à un suivi médical gratuit de leur infection à VIH. Le parcours d'Andrew est une illustration assez représentative de la trajectoire de nombreuses PWS dans la deuxième moitié des années 1990. Ces personnes « affrontaient » l'impact social du VIH en optant pour le statut de « conseiller psychosocial ». La polyvalence des rôles qui étaient assignés à Andrew – et le rôle de conseil qu'il s'est vu progressivement reconnaître auprès des autres PWS -venait pour partie de la tendance de certains médecins à adopter une « posture d'évitement » devant les difficultés de l'annonce d'un diagnostic positif du VIH à leurs patients (Vidal, 1996). De même, la création par le président de l'AFSU d'un statut social (conseiller psychosocial) auprès des acteurs en matière de sida, à partir de la reconnaissance publique précoce de son statut sérologique, n'était pas sans ambiguïté. Le statut que ses qualités intrinsèques lui accordaient et l'aide qu'il apportait au corps médical ne modifiaient pas la position marginale que l'association qu'il dirigeait continue d'occuper dans le dispositif de prise en charge du VIH/sida. La latitude d'action d'Andrew était celle que voulaient bien lui octroyer ceux qu'il « assistait », à savoir les médecins et les professionnels de santé. Cette situation était assez éloignée du modèle du « patient réformateur » que certains, en Occident, ont voulu voir apparaître à la faveur de la lutte contre le sida (Defert, 1989).
La « nouvelle vague » des années 2000
38Un autre parcours biographique va nous permettre d'illustrer les mutations des associations au tournant des années 2000, marquées par l'accès massif aux traitements ARV pour les PWS du Cameroun. Ces mutations correspondent à une « élitisation », une féminisation et une professionnalisation, qui, d'une part, contribuent à renforcer l'autonomie d'action des associations à l'égard de l'État et des professionnels de santé, mais qui, d'autre part, peuvent être source de différenciations sociales dans les mobilisations collectives contre l'épidémie.
39Cadre supérieure à la Direction générale de la Société nationale d'électricité (Sonel), X alerte le service des ressources humaines de son entreprise dès la connaissance de sa séropositivité, obtient un soutien pour son accès aux traitements ARV, et lance en 2001 à Douala avec trois autres femmes infectées par le VIH une nouvelle association, Sunaids. Contrairement aux associations de PWS antérieures, le noyau dirigeant de Sunaids est constitué de personnes d'un niveau d'éducation élevée, qui très vite saisissent la possibilité de s'exprimer, y compris de façon critique, face aux responsables administratifs ou médicaux de la lutte contre le sida et d'attirer l'attention de ces derniers (qui avouent dans les entretiens « apprécier le niveau social » de ces nouvelles interlocutrices). Si X quitte assez rapidement la présidence de Sunaids pour créer dès 2002 une autre association (l'Apsa), celle qui lui succéde, Mme Lucie Z., devient rapidement une figure médiatique reconnue de la lutte contre le sida, tant au Cameroun qu'à l'extérieur. Les « militantes » de Sunaids ouvrent à partir de 2002 à Douala, avec l'appui de la coopération technique allemande (la GTZ), le premier lieu d'écoute et d'accueil pour les PWS, bientôt suivi par l'inauguration d'une ligne téléphonique destinée au public. Dans l'univers associatif de Douala, jusque-là dominé par les femmes médecins de la SWWA, elles offrent une alternative autonome et imposent leur savoir-faire en matière de conseil aux PWS (Umubyeyi, 2002 ; EBOKO, 2002).
40Plusieurs des membres actifs de Sunaids sont conseillères psychosociales, en plus de leurs métiers respectifs. Quelques-unes exercent même à temps plein dans les programmes d'appui aux PWS introduits dans les centres de soins de Douala avec l'accès au traitement ARV Lors de la mise en place, à la demande du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria, principal bailleur des fonds des ARV au Cameroun, de l'instance de coordination de ses programmes dans le pays (CCM) – dans laquelle la participation de la société civile est posée comme une exigence –, une représentante de Sunaids siégera d'emblée au titre des associations, comme quelques autres personnalités associatives.
41L’exemple de Sunaids est révélateur des évolutions plus générales des associations de lutte contre le sida au Cameroun que nous décrirons, dans la suite de ce chapitre, à partir d'observations recueillies dans la province du Littoral (région de Douala).
L'exemple du Littoral : professionnalisation, élitisation et féminisation
42Le champ associatif de la lutte contre le VIH/sida dans la région du Littoral est en plein essor depuis le début des années 2000, à l'image de ce qui a été décrit plus haut pour le territoire national tout entier. Dans cette région, neuf associations sont explicitement reconnues par le Réseau camerounais des associations de personnes vivant avec le VIH (Recap+), mais en 2008 une vingtaine sont officiellement recensées par le Groupe technique provincial (GTP) du CNLS. Le tableau 1 détaille les principales d'entre elles, avec lesquelles nous avons pu entrer en contact.
43Une première conséquence de l'accès aux traitements – et de la manne de financements internationaux qui l'a rendu possible -est d'entretenir une dynamique complexe de collaboration, mais aussi de concurrence, entre les autorités publiques en charge de la lutte contre le sida et le monde associatif renouvelé que nous venons de décrire.
44Le CNLS s'est doté d'administrations déconcentrées appelées GTR (d'abord « Groupes techniques provinciaux », GTP, puis renommés Groupes techniques régionaux, GTR) qui coordonnent les actions à l'échelle de chaque région (antérieurement dénommées les « provinces »). Pour ce qui est du Littoral, le rôle d'appui de l'État à la société civile se résume en un appui technique (formations, stages pour le personnel associatif au siège de ce qui était encore le GTP/Littoral) et en un appui financier. Quoique limité (de l'ordre de un million de FCFA, soit un peu plus de 1 500 euros par an pour une association comptant une quarantaine de membres) et proportionnel aux effectifs et aux activités des associations, ce soutien permet de fournir un début d'assise matérielle stable aux associations, puisqu'il prévoit, entre autres rubriques, les dépenses de fonctionnement. Il permet indéniablement aux autorités d'exercer un certain contrôle sur la mobilisation de la société civile. Ce contrôle peut s'avérer légitime dès lors qu'il s'agit, comme l'expriment des responsables, de « susciter l'émulation », en excluant du champ les « associations portefeuille », souvent unipersonnelles, créées par des individus à seule fin de s'accaparer une partie de la rente financière générée par le soutien international de la lutte contre le sida6 (Umubyeyi, 2002), ou en sanctionnant des associations dont les activités sont mises en sommeil7 au profit de nouvelles associatons faisant preuve de dynamisme8.
45Mais, ce contrôle peut aussi s'apparenter, en tout cas aux yeux d'une partie des acteurs de terrain, à une tentative de reprise en main et de refus d'une dynamique autonome de mobilisation des PWS et de celles et ceux qui les soutiennent. Ce reproche a ainsi été formulé lors de la diffusion par le CNLS d'un « modèle-type de plan d'action » pour les associations. Non sans ironie, certains membres des associations de Douala opposent « les messieurs du sida sec » qui hanteraient les conférences et séminaires des hôtels luxueux des capitales et des stations balnéaires de Kribi et de Limbé à ceux qui, comme eux, « vivent le sida mouillé », celui de la surcharge de travail, de l'épuisement professionnel, « des larmes et des diarrhées ».
46Une deuxième tendance alimentée par l'accès aux traitements, et accélérée par la gratuité des ARV à partir de mai 2007, est celle d'une plus grande appropriation locale de la mobilisation collective, mais qui s'accompagne d'une tendance à la « scissiparité associative »9.
47À la différence de la période qui précède la disponibilité des ARY cette vitalité associative a pu alimenter la captation des instances dirigeantes des associations par les élites, définies ici comme « la minorité disposant, dans une société déterminée, à un moment donné, d'un prestige, des privilèges découlant de qualités naturelles valorisées socialement (par exemple la race, le sang, etc.) ou de qualités acquises (culture, mérites, aptitudes, etc.) » (Busino, 1992 ; voir également Coenen-Huther, 2004). Le diplôme est désormais la ressource essentielle pour accéder au « leadership associatif », comme c'est le cas dans le noyau dirigeant de l'association Sunaids, évoquée plus haut, et de beaucoup d'autres exemples rencontrés dans la province du Littoral10.
48Toutes nos observations convergent pour constater que la professionnalisation de la gestion des associations donne de plus en plus droit de cité au cursus scolaire et académique et à l'expérience professionnelle comme ticket d'accès à la gestion des ressources. Le niveau d'instruction11, les capacités et l'expérience professionnelles antérieures tendent à devenir une exigence cardinale pour s'impliquer dans le versant professionnalisé des activités des associations.
49Il est indéniable que les associations de PWS ont pris depuis les années 2000 un poids institutionnel qui a renforcé l'autonomie de la mobilisation collective à l'égard de l'État d'une part, des personnalités médicales d'autre part. De ce point de vue, sont emblématiques la tenue d'un discours de la présidente du Recap+, également présidente de Sunaids, lors des cérémonies officielles de la Journée mondiale de lutte contre le VIH-Sida en 2007 et le discours de la présidente d'Espoir+ lors du lancement de la seconde phase du projet destiné aux Orphelins et Enfants vulnérables (PNS-OEV) la même année. Ces deux événements marquent une rupture symbolique avec un passé où seuls des responsables administratifs s'exprimaient « au nom des PWS ». Limage d'une « société civile importée, dépolitisée et quelque peu inerte » accolée à celle du sida (Eboko, 2000) ne sied plus à la réalité de la mobilisation collective au Cameroun. Selon la présidente du Recap+, la réduction des coûts des examens biologiques et aujourd'hui la gratuité des ARV sont bien « à mettre à l'actif des associations de PWS », au-delà des directives internationales. La société civile intervient dans les débats politiques et sociaux de la lutte contre le VIH/sida au Cameroun, semble de plus en plus consciente de ses droits et devoirs mais aussi de son rôle fondamental de relais entre la base et le sommet. L'appropriation de l'énoncé du discours et de la formulation des propositions et suggestions lors des journées de mobilisation, et la participation aux ateliers d'élaboration de directives et de recommandations attestent de cette capacité des associations de PWS à ne plus se laisser imposer des objectifs par des acteurs extérieurs. De même, si ces dernières continuent de s'appuyer sur les réseaux internationaux pour améliorer leur rapport de force sur la scène nationale, elles ont largement échappé à « l'inféodation » qui caractérisait souvent les rapports des premières ONG camerounaises avec leurs correspondants étrangers.
50Pour autant, il semble que ces avancées se soient produites au prix d'une prise de contrôle des associations par les « élites », elles-mêmes confrontées à la situation épidémiologique qui voit les couches plus instruites prendre conscience du tribut qu'elles payent à l'épidémie, tout autant si ce n'est plus que le reste de la population.
51Certes, du fait des discriminations associées au sida qui transcendent l'échelle sociale, l'implication d'éléments des couches supérieures dans la mobilisation collective contre le sida au Cameroun ne peut être assimilée, comme c'est le cas dans d'autres domaines, par exemple la gestion des redevances forestières (Bigombe Logo, 2006), à un accaparement pur et simple des ressources par des « élites improductives et déloyales ».
52De même, il est encore trop tôt pour qualifier ce processus de simple reproduction des élites à travers un « recyclage ou un renouvellement conservateur » (Highley et Paluski, 2000). Si certains membres soulignent que désormais « le charisme des présidentes des associations est tellement fort qu'il difficile de les détrôner » et que les élections aux postes de responsabilité sont « des simples formalités d'usage car celui qui affronte la présidente est un pion », les exigences liées à une gestion transparente et démocratique introduite au sein des associations ont conduit en 2007-2008 à un renouvellement significatif des leaders dans plusieurs d'entre elles.
53L’implication des élites entretient néanmoins la « scissiparité associative », déjà évoquée, car elle exacerbe inévitablement la concurrence pour parvenir à des positions prééminentes au sein des associations qui peuvent favoriser l'accès à des lieux spécialisés de pouvoir12. Elle a aussi indéniablement contribué à une relégation des anciens leaders, d'extraction sociale plus modeste, et à une marginalisation de patients démunis qui, dans les premiers temps de la prise en charge, avaient pu parvenir à des positions de conseillers dans les services de soins, remettant ainsi en selle des inégalités sociales « classiques » de la société camerounaise.
54L’interprétation de la prise de contrôle des associations par les élites doit être d'autant plus nuancée qu'une autre tendance lourde est venue la contrebalancer : la prise de pouvoir par les femmes sur la mobilisation collective.
55Les femmes constituent l'essentiel, sinon la quasi-totalité, des effectifs des associations de PWS13, même si on commence à y rencontrer des membres masculins de couples tant séroconcordants que sérodiscordants. Cette présence massive des femmes au sein dans associations ne s'explique pas seulement par le fait qu'elles constituent la couche de la population la plus touchée par le VIH, mais aussi par le fait qu'elles représentent l'essentiel de la catégorie des personnes économiquement faibles. En dépit des évolutions détaillées plus haut des instances dirigeantes des associations, le profil sociologique de leurs membres reste constitué d'une majorité de femmes seules, avec des enfants à charge, sans emploi fixe et survivant d'activités dans le secteur informel. Leur adhésion au sein des associations de PWS reste avant tout motivée par leur vulnérabilité matérielle, qu'elles espèrent atténuer par les quelques subsides que pourrait leur apporter une participation à des activités de conseil, d'information préventive, de témoignage ou d'aide à domicile d'autres PWS. Cette réalité sociologique a servi de base et de tremplin pour la conquête de la direction des associations par les femmes, même si ce sont souvent des personnes de milieu plus aisé qui sont parvenues à cette fin. Sur dix-huit associations de PWS de la province du Littoral contactées, quatorze étaient en 2008 présidées par des femmes. Sur les neuf personnes membres du conseil d'administration du Recap+, six dont la présidente sont des femmes.
56S'il faut bien sûr saluer l'action de personnalités masculines, comme celle des présidents de l'association Colibri, à l'ouest du Cameroun (Bafoussam), ou de l'association Afsupes, la mobilisation collective dans la lutte contre le VIH/sida au Cameroun est marquée par l'empreinte indélébile du militantisme et des itinéraires politiques féminins. Des figures saisissantes comme celles de Mme Lucie Z., de Mme Joséphine B., Mme Marlyse B., Mme Pauline M. de l'Association des femmes actives et solidaires (Afaso) s'identifient désormais aux yeux du public à des « Madame Sida » respectées.
57L’avenir dira jusqu'à quel point cette féminisation de la lutte contre le sida aura permis, au-delà de cette maladie même, de réduire les inégalités de genre profondément ancrées dans les sociétés africaines, comme ailleurs (Desgrees du Lou et Ferry, 2006 ; Desclaux et al., 2009).
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Ce chapitre est une version complétée et rallongée du texte publié par les mêmes auteurs : « ONG et associations de lutte contre le sida au Cameroun. De la subordination vers l'émancipation à l'heure de l'accès au traitement antirétro-viral ». In Eboko F., Abé C, Laurent C, éd., 2010 : Accès décentralisé au traitement du VIH/sida : évaluation de l'expérience camerounaise, Paris, ANRS, coll. Sciences sociales et sida : 269-285.
2 Le projet Polart ANRS 12 120, intitulé « La problématique de l'accès aux médicaments contre le sida. Enjeux, limites et perspectives » (2006-2008) a été mené sous la coordination de Fred Eboko et de Luc Sindjoun (Université de Yaoundé 2, Groupe de recherches administratives, politiques et sociales – GRAPS).
3 Une restitution a eu lieu à Douala en mai 2008, en présence des représentants des associations et du Groupe technique provincial/régional du Comité national de lutte contre le sida.
4 En Côte d'Ivoire, le taux de prévalence du VIH était estimé à 10 % pour la population générale adulte dans les années 1990, avec un pic de 20 % dans la zone de la capitale, Abidjan. Ce taux a été révisé à la baisse (de l'ordre de 5 %) depuis les années 2000, comme dans la majorité des pays africains (Larmarange, 2008).
5 Cf. Umubyeyi (2002).
6 La réglementation camerounaise disposant que seule une personne séropositive est autorisée à créer une association de PWS a également contribué à limiter ce phénomène.
7 On citera dans ce cas les associations telles Aneli de Nkongsamba, Lasoles d'Edéa, Chrysalide de Bonabéri, exclues des financements du GTP en 2007.
8 Ainsi des associations telles Capolias, CAO, Hope-Aids, FEV, La Colombe, Gasup+ Aids, AJSS+ se sont vues récemment reconnaître par le GTP.
9 Ainsi l'association AFSU de Douala, branche locale de la doyenne des associations de PWS au Cameroun, l'Afsu de Yaoundé, s'est scindée en plusieurs associations locales autonomes : Afsupes, Espoir+, Merenso, Aasmero.
10 La présidente du Recap+ est diplômée des universités du Cameroun et du Bénin ; la présidente de la « Fondation Espoir et Vie » (FEV) est étudiante en deuxième année de droit à l'université de Douala. La présidente de l'association Apas, qui est également la déléguée du Recap+ pour le Littoral et membre du conseil d'administration de ce réseau, est cadre supérieure à la Direction générale d'AES-Sonel à Douala Koumassi ; le président de l'association Capolias, titulaire d'un DESS en sciences et techniques comptables, est enseignant dans une institution universitaire privée de la ville de Douala et prépare une thèse de doctorat ; la présidente de l'association New-Way+ est étudiante en deuxième année de BTS en journalisme. NB : informations datées enquête 2007-2008.
11 Le niveau requis pour devenir conseillère au sein d'une association de PWS est le Brevet d'études du premier cycle (BEPC).
12 En témoigne l'éclatement en deux du Recap+, désormais concurrencé par le Canep+.
13 Sur les 42 membres recensés de l'association Actlus+ en 2008, on ne dénombre que sept hommes ; sur les 100 membres de Sunaids, 90 sont des femmes ; sur les 121 membres de l'association Afsupes+, on dénombre 111 femmes ; l'association Espoir+ compte 106 membres parmi lesquels 64 PWS dont 50 femmes.
Auteurs
Sociologue et politologue, chercheur à l'IRD UMR 912 SE4S (Sciences économiques et sociales, Systèmes de santé. Sociétés) Inserm – IRD – Université de la Méditerranée (Aix-Marseille). Enseignant à Sciences Po Paris (Paris School of International Affairs – PSIA).
Politologue, chercheur au Groupe de recherches administratives, politiques et sociales (GRAPS, Université de Yaoundé II). Enseignant à l'Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC – Université de Yaoundé II), Yaoundé.
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