Chapitre 3. Taïwan à l’épreuve du VIH/sida
Réponses nationales et transnationales des ONG taïwanaises
p. 117-149
Texte intégral
1Taïwan n’est pas une île1 ! Cette affirmation, quelque peu déroutante pour quelqu’un qui connaît un tant soit peu sa géographie, s’avère en fait une réalité au regard des maladies infectieuses comme le VIH/sida. En effet, si l’insularité géographique peut être un gage de sécurité nationale, elle n’est en rien une garantie de sécurité sanitaire dans un monde de plus en plus interdépendant. C’est ainsi que le premier cas étranger de séropositivité à Taïwan a été diagnostiqué dès 1984 et que, deux ans plus tard, le virus faisait sa première victime taïwanaise. Le VIH/Sida est donc présent en République de Chine depuis plus de vingt ans et touchait en 2007 plus de 14 000 personnes selon les dernières estimations officielles (CDC, 2007). Comparé aux 8,6 millions d’enfants et d’adultes vivant avec le VIH en Asie (Onusida, 2006 : 24), cela peut effectivement paraître relativement faible en termes d’infection totale. Reste que Taïwan a connu jusqu’en 2005 une croissance des nouveaux cas de VIH de l’ordre de 20 % en moyenne par an, avec un taux de prévalence plus élevé chez les personnes entre 24 et 39 ans (plus de 70 % du total des infections) et la moitié des nouveaux cas recensés chez les jeunes entre 14 et 25 ans, notamment les jeunes filles. Si en 2006 Taïwan a connu une légère baisse statistique des nouveaux cas d’infection par rapport à 2005 (2 985 cas en 2006 contre 3 453 cas en 2005), le nombre d’infections cumulées reste néanmoins élevé par rapport à 2004 (1 569 cas) et aux années précédentes, et surtout ne décroît pas. Cela étant, un certain nombre d’experts taïwanais en santé publique et bien des membres des organisations de la société civile reconnaissent que ces chiffres ne peuvent refléter que partiellement l’état actuel de la propagation du VIH/Sida au sein de la population taïwanaise, étant donné la crainte liée au dépistage et aux conséquences sociales de la divulgation de la sérologie.
2Face à cette réalité, si le rôle des autorités sanitaires taïwanaises représente le pan officiel de la lutte nationale contre ce virus, il n’en reste pas moins qu’à l’égard d’un tel défi sanitaire transnational, l’expérience, à la fois dans les pays riches et pauvres, montre que l’« ingéniosité »2 d’un État n’est plus à elle seule suffisante et que l’efficacité de la réponse face au VIH/sida exige la participation directe d’acteurs non-étatiques. C’est ce partage des prérogatives sanitaires que notre chapitre étudiera dans un pays connu pour le dynamisme de sa société civile (Hsiao, 2004 : 4). Il sera ici question d’apprécier l’engagement de cette dernière et principalement des organisations non gouvernementales (ONG) qui luttent au quotidien contre le VIH/sida. Malgré leur nombre relativement important et une expérience de plus de dix ans pour certaines, on peut aujourd’hui, comme certains le faisaient déjà il y a quelques années (Lin, 1996 : 157), déplorer que peu d’études en chinois – et a fortiori en français (Micollier, 2004) – aient été menées à leur sujet. Ce qui en fait un terrain plutôt vierge dont le défrichage paraît indispensable à une appréciation concrète de la pluralité des mobilisations collectives face au sida dans le monde. Pour ce faire, nous replacerons dans un premier temps l’engagement de ces ONG dans son contexte national, en nous intéressant à la fois à l’évolution des politiques officielles de lutte contre le VIH/sida mises en œuvre par les autorités taïwanaises ainsi qu’aux principaux obstacles auxquels le combat contre le VIH/sida doit en général faire face dans ce pays. Une fois ce contexte précisé, il sera plus précisément question des ONG taïwanaises qui luttent contre le VIH/sida, de leur émergence, de leurs principales activités et des relations qu’elles entretiennent avec les autorités officielles. Ensuite, nous nous pencherons sur les activités transnationales de certaines d’entre elles pour enfin analyser les limites de leurs actions.
Taïwan à l’épreuve du VIH/sida : évolution des politiques de santé publique et obstacles actuels
3Il nous semble ici primordial de rappeler dans quel contexte se déroule l’action des ONG taïwanaises en considérant à la fois les réponses apportées jusqu’ici par les autorités politiques et sanitaires du pays ainsi que les obstacles qui s’opposent aujourd’hui à une lutte efficace contre la propagation du VIH/sida à Taïwan.
Les réponses des autorités politiques et sanitaires taïwanaises face au VIH/sida
4Le Département de la Santé (DOH) a rapidement apporté une réponse institutionnelle à l’émergence du VIH/sida à Taïwan. Dès 1985, un Comité Sida est créé et un premier plan de prévention et de traitement pour le sida est mis en place. Dès 1990, une Loi de prévention et de Contrôle du sida (CDC, 1990) est promulguée afin de poser les bases juridiques de la lutte contre l’épidémie. En 1997, un second plan quinquennal de traitement et de prévention est élaboré. Depuis 2002 ont été lancés un troisième plan quinquennal et un Comité inter-départements de douze agences qui travaille à la promotion de la prévention et du traitement du sida. Bien que Ion ne puisse pas dire qu’aucune mesure de prévention n’ait été mise en place auparavant par les autorités sanitaires, il semblerait que l’approche préventive ait été jusqu’à une période récente étouffée par celle strictement médicale qui repose essentiellement sur la prescription aux personnes séropositives de traitements antirétroviraux (ARV). À ce titre, ces derniers sont depuis 1997 distribués gratuitement aux porteurs du VIH/sida. Une mesure qui a fait de Taïwan le premier pays asiatique à offrir un cocktail anti-rétroviral, entièrement couvert par l’assurance maladie nationale, à ses ressortissants touchés par le virus. Néanmoins, comme de nombreux participants à la 7e conférence internationale sur le VIH/sida, organisée à Taipei en juillet 2004 l’ont souligné, la délivrance gratuite des ARV, certes nécessaire, ne suffit pas. Le Département de la Santé fut à cette occasion ouvertement critiqué pour son manque d’initiative et d’originalité dans le domaine de la prévention, notamment en ce qui concerne la jeunesse taïwanaise. Toutefois, attentives à ces critiques, les autorités sanitaires ont depuis promis d’amplifier le travail préventif afin que la prévention du VIH/sida ne soit plus « une question marginale sur l’agenda du gouvernement », pour reprendre les termes de Steve Kuo, directeur du Centre de contrôle des maladies (CDC) taïwanais (The China Post, 2004 : 3). Ce renforcement de la prévention aura jusqu’ici pris trois formes.
5Tout d’abord, une intensification de la prévention auprès des jeunes, notamment autour de quatre axes principaux : la volonté d’étendre l’éducation sexuelle aux collèges et lycées, la multiplication de lieux d’information pour les adolescents, l’ouverture d’un site Internet dédié aux jeunes et aux questions relatives à la sexualité3, et enfin la promotion du « safe sex ». Sur ce dernier point, au sein d’une politique officiellement présentée comme « politique ABC » – Abstinence (abstinence), Be faithful (fidélité) et Condom (préservatif) – où sont particulièrement privilégiés les deux premiers moyens, il semblerait que progressivement le soutien officiel pour la promotion du préservatif soit désormais plus marqué (The China Post, 2004 : 4). En d’autres termes, les autorités sanitaires cherchent à adapter leurs discours et leurs activités à une société taïwanaise en pleine évolution, notamment chez les jeunes dont les habitudes évoluent et se différencient à bien des égards de celles de leurs parents.
6La seconde mesure préventive concerne les femmes enceintes. Profitant de la journée mondiale contre le VIH/sida, dont le thème était « Les femmes et le VIH/sida », Steve Kuo, directeur du CDC a annoncé le 1er décembre 2004 qu’un test de dépistage du sida serait désormais gratuit et disponible pour les femmes enceintes à partir du 1er janvier 2005. Sans pour autant être obligatoire, cette décision peut être considérée comme un pas en avant vers l’éradication de la transmission mère-enfant du VIH.
7La dernière initiative de renforcement de la prévention cible les utilisateurs de drogues intraveineuses (UDI). Depuis 2003, Taïwan doit faire face à une propagation croissante du VIH chez les UDI, principalement porteurs du type CRF07_BC du virus, qui est une recombinaison des sous-types B (présent en Birmanie) et C (présent en Inde) qui s’opère dans la province chinoise du Yunnan et est ensuite exportée vers la province du Guangxi puis vers Taïwan (Chen et al, 2006). Après une période d’hésitation, les autorités sanitaires ont lancé le 1er août 2005 un programme pilote de réduction des risques (jiarihai jihua) (Liberty Times, 2005 : 10). Ce programme de 18 mois, fortement inspiré des expériences australienne, britannique et française, vise à faciliter l’accès à des seringues propres pour les UDI ainsi qu’à des drogues de substitution (méthadone), mais également aux tests de dépistage du VIH et aux conseils concernant les risques de transmission du virus. On dénombre aujourd’hui environ 730 points de distribution de seringues dans 23 villes, et le gouvernement local de la ville de Tainan, au sud du pays, a même récemment proposé d’augmenter l’accès aux seringues propres en les mettant en vente dans des magasins ouverts 24/24h (7-Eleven, Hi-Life). Par ailleurs, ce programme de réduction des risques mis en œuvre sous l’égide du Département de la Santé a été étendu et à nouveau subventionné en juillet 2006 afin de toucher l’ensemble du pays (Taipei Times, 2006 : 2). De son côté, le ministère de la Justice, qui avait jusqu’à présent interdit aux quatre centres nationaux de traitement des addictions d’accepter des toxicomanes séropositifs, a levé cette interdiction en mars 2007 pour que ces derniers reçoivent gratuitement un traitement de réduction de la dépendance (Taipei Times, 2007 : 3). Selon les données officielles, ce programme national de réduction des risques aurait permis au pourcentage d’infections attribuées au partage de seringues de passer de 72 % en 2005 à 60 % en 2006 (Chen, 2007 : 624).
Les principaux obstacles à une lutte nationale efficace contre le VIH/sida
Une discrimination sociale persistante.
8Principale adversaire de la lutte contre le VIH/sida, la discrimination des personnes vivant avec le virus, dont Evelyne Micollier a précisément montré la fonction dans la construction sociale de la maladie (Micollier, 1999), reste ces dernières années perceptible à tous les niveaux de la société taïwanaise. Ainsi, à quelques mois d’écart, le président de la République, Chen Shui-bian, et la vice-présidente, Lü Hsiu-lien, tenaient un discours totalement opposé sur l’épidémie. En effet, si la vice-présidente, lors d’une intervention publique en décembre 2003, faisait le lien entre la situation du sida et une éventuelle punition divine, le président, après avoir exprimé ses regrets quant à cette position, qualifiait lors de la 7e conférence internationale sur le VIH/Sida, organisée à Taipei en juillet 2004, le sida de « peste du nouveau siècle dont la prévention était du devoir et de la responsabilité de chacun » (Taipei Times, 2004 : 3). Ce manque de concertation, largement critiqué par les ONG, a certes été perçu dans le cas de la déclaration de la vice-présidente comme une incitation à la discrimination, mais a surtout renforcé la suspicion à l’égard de la position du gouvernement sur la question du VIH/sida. Or, ce n’est pas l’interdiction imposée en mars 2007 par le ministère de la Justice à un de ses fonctionnaires stagiaires de poursuivre sa formation suite à la divulgation de sa séropositivité (Taipei Times, 2007 : 2) qui permettra d’estomper cette ambiguïté. Ni même les propos du député directeur général du CDC, Lin Ting, qui conseillait récemment aux femmes séropositives de renoncer à la maternité et à celles déjà enceintes d’avorter (Taipei Times, 2006 :2 b).
9Reste que c’est au quotidien que les Taïwanais(es) vivant avec le VIH sont souvent victimes de discrimination. Ainsi, sur une liste non exhaustive des actions discriminatoires entreprises à leur égard, on pourrait répertorier : la demande de « vacances prolongées » imposée par l’employeur4, les pétitions de voisins apeurés (Taipei Times, 2006 : 8), le refus de donner un emploi5, le rejet familial et l’éloignement progressif des « ami(e)s », l’interdiction de s’inscrire dans une école (Minsheng Bao, 2004 : A15) ou de participer aux activités extrascolaires (Taipei Times, 2006 :2c), etc. Évidemment, l’ensemble de ces discriminations nourrit singulièrement l’anomie sociale des porteurs du VIH, place bon nombre d’entre eux dans des conditions de vie extrêmement précaires et rend par ailleurs plus difficile le dépistage, étant donné la peur qu’inspirent les conséquences sociales et économiques d’une séropositivité avérée. La discrimination a également été au centre d’un débat relatif au contenu médical d’une carte à puce d’assurance maladie à Taïwan, sortie en janvier 2004, qui se prévaut d’être la première du genre en Asie. En effet, bien que le Bureau national de l’assurance maladie (BNAM) ait affirmé que cette dernière ne contiendrait aucune autre donnée médicale que l’historique allergénique du patient, l’idée d’y inclure à l’avenir des données « plus sensibles » (The China Post, 2004 : 5) a nourri un débat révélant deux principales craintes : celle de voir les personnes séropositives refuser d’aller consulter un médecin par peur d’être exposées publiquement, mais également celle du refus de certains médecins de prodiguer des soins une fois au courant de l’état sérologique de leur patient. Ce dernier point met en exergue la question de la relation médecin/patient séropositif qui reste sensible à Taïwan. Si une étude datant de 2004 montrait que seuls 25,2 % des chirurgiens et 18,1 % des dentistes étaient prêts à soigner les personnes vivant avec le VIH/Sida (Ting et Twu, 2004), il semblerait qu’aujourd’hui la situation n’ait que très peu progressé et que l’accès aux soins pour les porteurs du virus reste par conséquent toujours extrêmement limité. Il existe par ailleurs, il est vrai, une trentaine d’hôpitaux et cliniques – sur les 98 hôpitaux et 408 cliniques publics existants – désignés par le gouvernement pour prodiguer des soins aux patients séropositifs, mais ceux-ci sont particulièrement mal répartis géographiquement puisque, à titre illustratif, sur la côte est du pays seul un hôpital a reçu cette mission.
10Les discours discriminatoires sont également récurrents au sein des médias, qui dans de nombreux cas effrayent la population en lui donnant des informations biaisées qui stigmatisent celles et ceux qu’ils considèrent bien souvent comme appartenant à des « groupes à risque » (Taïwan Info, 2005). Parmi ces derniers, les homosexuels masculins sont particulièrement visés. À titre illustratif, il existe à Taipei une piscine municipale où le sauna réservé aux hommes est interdit aux personnes séropositives : un panneau situé à l’entrée du sauna le stipule clairement en chinois et en anglais. Bien qu’il soit évidemment impossible de connaître de visu l’état sérologique d’une personne utilisant l’un de ces endroits, ce type d’interdiction révèle en définitive une profonde discrimination certes en direction des porteurs du virus, mais également à l’égard des homosexuels. En effet, derrière un discours soi-disant médical qui interdirait aux personnes séropositives d’utiliser ces lieux, se trouve en réalité une vision récurrente au sein de la société taïwanaise reposant sur l’idée que les porteurs du VIH appartiennent au « groupe à risque » des homosexuels, connus pour choisir les saunas comme lieux de rencontre. En d’autres termes, interdire les saunas publics aux porteurs du VIH reviendrait à empêcher la propagation du sida provoquée en l’occurrence par des homosexuels contaminés grands amateurs de saunas. Cette crainte a par ailleurs été renforcée par la mauvaise interprétation par les médias d’une étude du très respecté Pr. Chen Yi-Ming qui fit couler beaucoup d’encre en 2004. Ce dernier s’intéressant à la fréquentation des saunas dits « réservés aux homosexuels » montrait en effet que les hommes séropositifs avaient tendance à fréquenter ces lieux plus régulièrement que ceux qui ne l’étaient pas. Les médias instrumentalisèrent cette conclusion afin de faire un certain nombre de raccourcis tous plus anxiogènes les uns que les autres, sans jamais évoquer la nécessité de déployer une activité de prévention dans ces lieux (Chen et al, 2006 : 8). Reposant sur une approche discriminatoire similaire, les dons de sang ont récemment été interdits aux « hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes »6 en plus des travailleuses du sexe et des personnes tatouées (Taipei Times, 2005 : 2). Enfin, de manière extrême, la crainte des personnes séropositives est tellement réelle qu’elle aurait même été utilisée par des trafiquants taïwanais qui, cherchant à introduire des substances illicites à Taiwan, auraient engagé des concitoyens vivant avec le VIH dans le but d’éviter les contrôles des douaniers, considérés comme peu à même de fouiller une personne déclarant sa séropositivité (Taïwan News, 2006 : 1).
Des lois qui attisent la discrimination
11Promulguée en décembre 1990, la Loi de prévention et de Contrôle du Sida vient poser les bases juridiques du contrôle et de la prévention du VIH/sida à Taïwan. Ce texte, qui s’attaque au problème principalement en termes de surveillance et de traitement, a après plusieurs années évolué vers un document qui a l’avantage dans son article 6-1 de statuer que « les individus infectés par le VIH ne doivent être ni discriminés ni privés de leurs droits ». Cependant, comme le VIH/sida est une maladie qui appartient, selon la classification épidémiologique du CD, à la catégorie 4 des maladies infectieuses, il se trouve aussi sous le joug de la Loi de Contrôle des Maladies Infectieuses (CDC, 1944) qui se veut peu loquace sur la question du droit des personnes. Or, si on applique ce texte au VIH/sida, on se retrouve dans une situation où l’isolement (art. 35) et la diffamation (art. 40) peuvent commodément devenir les armes de la lutte contre le VIH/sida.
12La discrimination juridique envers les étrangers est quant à elle matérialisée par l’article 14 de la Loi de 1990 stipulant que « si un étranger est testé positif au test du VIH, l’agence sanitaire du gouvernement central est chargée de lui ordonner de quitter le pays. La personne pourra faire appel une fois sortie du territoire » (CDC, 1990 : 6). Bien que, début 2004, le gouvernement taïwanais ait assoupli cet article, en permettant aux étrangers séropositifs de rester jusqu’à 14 jours sans possibilité d’extension, cette décision ne fait que révéler une extrême naïveté en ce qui concerne les modes de transmission du virus et n’améliore en rien une situation insupportable pour celles et ceux ayant une famille dans le pays. Cette législation restrictive, discriminatoire et stigmatisante, n’est par ailleurs pas sans rappeler celles imposées avec différentes variantes par d’autres pays.
Politique de prévention et promotion du « safe sex » : des points faibles
13Bien que les autorités officielles aient promis de renforcer leur investissement dans la prévention et le contrôle du VIH et qu’elles aient effectivement mis en place un certain nombre d’initiatives indispensables pour lutter efficacement contre ce virus, il semblerait que l’approche médicale de la lutte contre le VIH/sida reste profondément ancrée dans les mentalités des décideurs sanitaires taïwanais. Les chiffres sont en effet éclairants. Le budget que le gouvernement a consacré aux programmes de prévention et de contrôle du VIH/sida a chuté chaque année comparativement à celui destiné aux trithérapies. En 2006, le gouvernement avait ainsi alloué 1,2 milliard de NT$ (27 millions d’euros) aux traitements antirétroviraux, mais seulement 67 millions de NT$ (1,7 million d’euros) – quinze fois moins – en direction des efforts de prévention et de contrôle de la maladie (The China Post, 2007).
14Par ailleurs, si, comme nous l’avons vu précédemment, les autorités sanitaires cherchent à se défaire d’une approche conservatrice de la prévention reposant sur la promotion de l’abstinence et de la fidélité, la promotion du préservatif, également connu sous le terme de « safe sex », reste une question sensible à Taïwan. En avril 2007, le CDC reconnaissait que l’ensemble de ses initiatives promouvant le préservatif n’avait pas reçu le succès escompté, puisque les cas de transmission du VIH par voie sexuelle n’avaient jamais été aussi élevés, notamment chez les jeunes. Cette situation semble être la conséquence de trois principaux écueils. Tout d’abord, un manque d’informations concernant le VIH/sida en direction d’une jeunesse qui n’est pas toujours pleinement au courant à la fois des modes de transmission du virus ainsi que de l’état actuel de sa propagation. On notera à cet égard que bien que le gouvernement ait mis en place, depuis novembre 2002, une vaste campagne d’information et de prévention, que des distributeurs de préservatifs aient été installés à Taipei et que ces derniers soient d’accès facile dans un grand nombre de magasins ouverts 24 h/24, les études montrent que les jeunes considèrent trop souvent le préservatif uniquement comme un moyen contraceptif et non également comme une façon d’empêcher la propagation du VIH. Ainsi, fin novembre 2005, un rapport sur les maladies sexuellement transmissibles de l’hôpital central de Taipei soulignait que sur un groupe de 200 hommes âgés de 20 à 29 ans, 62 % n’utilisaient pas de préservatifs lors de leurs rapports hétéro- et/ou homosexuels (Taipei Times, 2005 : 3). Le second écueil concerne la disponibilité des préservatifs. Bien que des distributeurs aient été installés sur les campus universitaires, si on considère que 70 % des Taïwanais perdent leur virginité entre 15 et 24 ans, que lors du premier acte sexuel seuls 30 % se protègent et que tous les jeunes ne s’inscrivent pas à l’université, un travail de promotion du préservatif en amont de l’entrée à l’université semble indispensable. Mais cette question reste fortement controversée. Toutefois, une négociation entre le CDC et le ministère de l’Éducation est actuellement en cours (Taipei Times, 2007 :2b). Le dernier écueil est quant à lui d’ordre judiciaire. Alors que le CDC prône l’utilisation de préservatifs, la police utilise souvent ces derniers comme preuve accablante pour condamner les travailleuses du sexe et les membres de « sex parties », tout deux illégaux à Taïwan.
Action nationale et défis des ONG
15Après avoir brossé l’environnement général de la lutte contre le VIH/Sida à Taïwan en en soulignant l’évolution et les principaux obstacles, intéressons-nous de plus près au rôle et aux activités des ONG locales en mettant en avant leur émergence et leur fonctionnement, leurs logiques d’action nationale et leurs relations avec les autorités officielles.
Émergence et fonctionnement des ONG
16La « révolution associative » de Taïwan (Salamon, 1994 : 109), caractérisée par la croissance rapide du nombre d’associations civiles entamée vers la fin des années 1980, a été rendue possible à la fois grâce à l’abolition de la loi martiale en 1987 mais également à la prospérité économique du pays. Jusque-là, malgré l’existence d’un certain nombre d’associations, ces dernières se trouvaient le plus souvent cooptées par le parti nationaliste au pouvoir (le Kuomintang). Cette situation, qualifiée par certains d’« autoritarisme mobilisateur » (Rigger, 1996 : 301), rendait le développement des « ONG non traditionnelles »7 quasi impossible. Profitant de ce contexte favorable à la mobilisation collective et prenant conscience de la multiplication des cas de contamination par le virus, les premières associations de lutte contre le VIH/sida vont émerger au début des années 1990 pour ensuite se multiplier. Parmi elles, certaines sont nées de la réflexion d’un groupe composé de personnes vivant avec le VIH/sida et de professionnels de la santé : Light of Friendship AIDS Control Association of Taïwan (Lofaa), Persons with HIV/AIDS Rights Advocacy (PRAA), Association People, Living with Hope, Collective of Sexworkers and Supporters (Coswas). D’autres découlent de la volonté soit d’une fondation de diversifier ses activités (Students against AIDS, Garden of Mercy), soit d’une organisation religieuse soucieuse de réorienter sa mission (Lourdes Home). D’autres encore, de l’initiative d’un ancien membre du gouvernement (Taïwan AIDS Society [TAS]) ou de la volonté gouvernementale d’élargir l’implantation nationale de l’action associative (AIDS Care Association). Enfin, certaines ONG soit sont devenues visibles – après avoir longtemps travaillé dans l’ombre – suite à un enregistrement officiel devenu indispensable pour l’octroi d’un soutien financier du gouvernement (Harmony Home Association), soit ont émergé de scissions intra-ONG, provoquées par des tensions concernant les priorités à suivre en ce qui concerne la lutte contre le VIH/sida (Love and Hope). Si, selon les listes d’enregistrement officiel, on compte aujourd’hui environ 21 ONG/associations (feizhengfu zuzhi/xiehui), fondations (jijirihui), instituts (xuehui) engagés dans des activités relatives au VIH/sida à Taïwan, nous nous intéresserons dans le cadre de ce chapitre à onze ONG qui se sont donné pour unique mandat d’apporter une réponse à la propagation du VIH/sida et aux conséquences sociétales néfastes qui en découlent.
17La plupart de ces ONG sont de petites structures comptant en moyenne cinq employé(e)s, ayant chacun(e) des responsabilités précises mentionnées dans les documents officiels de l’organisation. Les responsables changent rarement, ce qui assure une certaine longévité des projets. Sur les onze organisations étudiées, huit ont pour responsable une femme. À leurs côtés, des volontaires (étudiants, personnes vivant avec le VIH, retraités) les aident dans leur travail quotidien, après avoir été formés. Leurs budgets, plus ou moins connus8, oscillent entre 1,5 et 6 millions de NT$ (38 000 € et 155 000 €) et tendent à augmenter chaque année, bien que la situation économique nationale ne soit pas toujours avantageuse pour le secteur non-lucratif. Les sources de financement sont diverses. Parallèlement aux dons privés, qui représentent souvent une source vitale, les organisations reposent également sur la vente d’objets (gadgets, T-shirts) ou de fleurs, mais peuvent aussi compter sur le soutien du Département de la Santé et celui de la fondation United Way Taïwan9. Cette dernière octroie une aide financière importante après examen du projet associatif, et à la condition de satisfaire des critères de bonne gouvernance – transparence, efficacité, responsabilité, capacité d’évaluation – qui semblent s’imposer progressivement dans l’ensemble du secteur non-lucratif taïwanais.
18Ces dernières années, le milieu associatif taïwanais, dont le développement rapide a été comparé à « la croissance des pousses de bambous après la pluie » (KUAN et al., 2003 : 2), a fréquemment été critiqué pour son excès d’« ONG familiales » composées de deux membres maximum dont les objectifs, la structure et le financement restent des plus vagues (Taipei Times, 2001 : 8). À la différence de ces mini-ONG, les ONG taïwanaises de lutte contre le VIH/sida ont atteint un certain degré de maturité dans leur structure grâce à un travail de terrain, parfois discontinu, d’au moins six années pour la plupart d’entre elles10. Cette période, qui peut paraître courte au regard des expériences étrangères, représente une durée importante à Taïwan étant donné le récent développement de l’ensemble du secteur. De plus, à quelques exceptions près, ces organisations ont réussi à atteindre un équilibre financier durable, indispensable à la poursuite et à l’efficacité de leur travail. Pour autant, la recherche de fonds reste une activité d’une importance primordiale, tant en termes de survie que de temps qui lui est consacré.
Les terrains d’action des ONG taïwanaises
19Les activités menées par les organisations taïwanaises touchent, directement ou indirectement, aux quatre dimensions essentielles de la lutte contre le VIH/sida : prévention/éducation, soins/soutien social, défense des malades et recherche/traitement. L’analyse de ces activités permet d’apprécier leur diversité, tant au niveau de leur matérialisation que du discours qu’elles relayent auprès du public.
Prévention et éducation
20La grande majorité des ONG luttant contre le VIH/Sida à Taïwan (10 sur 11) ont choisi de se consacrer à la prévention, notamment parce que, comme nous l’avons vu, l’engagement réel des autorités dans la prévention et le contrôle de ce virus reste modéré. Une grande majorité d’ONG se tourne vers la jeunesse taïwanaise et parmi elles certaines ciblent des publics plus spécifiques comme les homosexuels, les utilisateurs de drogues intraveineuses (Lourdes Home, Harmony Home, Living with Hope) ou les travailleuses du sexe (Coswas). En général, la prévention auprès des jeunes se fait au sein des collèges, lycées ou universités après l’accord de leurs responsables. Il s’agit habituellement de prévention de masse, dans des amphithéâtres où vidéos, stars, témoignages émouvants et larmes11 viennent faciliter la sensibilisation à un sujet que la plupart des organisations essayent de ne pas aborder trop directement12. Des concours d’affiches ou de courts-métrages sur le VIH/sida sont également organisés par une ONG comme Students against AIDS qui offre une récompense de 2 000 € au vainqueur. Il n’est cependant pas rare que des établissements d’enseignement refusent ce type d’activités, notamment des institutions scolaires privées qui « ne comprennent pas pourquoi leurs étudiants auraient le sida »13. La prévention auprès des UDI semble beaucoup plus difficile. La peur de la divulgation auprès des forces de police accentue leur mise à l’écart et donc leur difficulté d’accès à la prévention. Cependant, quelques organisations tentent par un travail d’approche progressive et de mise en confiance de relayer un discours préventif en espérant que, par effet domino, ce dernier se propagera plus largement. Le travail auprès des homosexuels repose sur l’intervention dans les boîtes de nuit où les organisations informent sur le virus et l’importance du préservatif, proposent le dépistage anonyme et sensibilisent quant aux risques encourus lors de la réutilisation de seringues usagées. Quant aux ONG faisant de la prévention auprès des travailleuses du sexe, elles se retrouvent, comme celles travaillant avec les UDI, dans une situation peu aisée. Si leurs activités se concentrent principalement sur l’information, la promotion et la délivrance de préservatifs, elles se trouvent limitées par la criminalisation de la prostitution à Taïwan. Cette situation, qui tient à un texte juridique dont la réforme est prévue, est le principal obstacle qu’une organisation comme Coswas rencontre quotidiennement. Cependant, on peut s’étonner que si certaines organisations s’activent à la décriminalisation de la prostitution, la question de l’arrêt de cette activité et de la réinsertion sociale qui doit en découler ne soit que rarement mentionnée, alors qu’il s’agit d’un élément indispensable pour une riposte efficace au VIH/sida.
21Enfin, certaines organisations mènent aussi des opérations ponctuelles de prévention et de sensibilisation destinées à un public plus large, dans les gares ou lors d’expositions de « patchworks du souvenirs »14.
22Le discours relayé par ces activités de prévention a pour sa part tendance à évoluer en référence à la politique ABC. Ainsi, si certaines organisations (TAS, Garden of Mercy) nourrissent leurs discours préventifs en grande partie de la promotion de l’abstinence et de la fidélité, pour reléguer en dernière position le préservatif, d’autres (PRAA, Living with Hope, Harmony) sont beaucoup plus critiques à l’égard de cette stratégie qui n’est pas sans rappeler les programmes du Plan d’urgence du président Bush pour lutter contre le sida (President’s Emergency Plan for AIDS Relief, PEPFAR)15. Elles inversent donc les priorités et mettent plutôt en avant l’utilisation du préservatif et l’importance du dépistage, et rappellent les limites des deux autres composantes -abstinence et fidélité.
Soins et soutien
23La dimension relative aux soins et au soutien aux malades prend en général deux formes chez les ONG. Tout d’abord, celle de visites aux malades sur leur lieu de résidence, dans les hôpitaux ou dans les prisons, afin de leur prodiguer des soins et de leur apporter un soutien moral (Lourdes Home, Living with Hope, Garden of Mercy). Il s’agit bien souvent de pallier une situation qui en définitive découle de la discrimination et de la stigmatisation des personnes séropositives. Ainsi dans les prisons, les personnes séropositives, à peine informées des conséquences de leur situation sérologique, se voient fréquemment mises à l’écart des autres détenus, délaissées et ainsi affligées d’une double peine. À domicile, elles se retrouvent particulièrement seules lorsque leur famille et leurs connaissances ont fui suite à la divulgation de leur sérologie. Enfin dans les hôpitaux, c’est pour tenir compte des craintes du personnel soignant de travailler auprès des porteurs du VIH/sida que certaines organisations interviennent à la demande des responsables hospitaliers. Pour les ONG, ces activités primordiales pour une lutte élargie contre le VIH/sida et ses conséquences sociétales sont trop rarement mises en œuvre et ne bénéficient pas d’un soutien suffisant de la part des autorités sanitaires.
24La seconde forme de soutien, mais également de soins, consiste à proposer un hébergement, communautaire voire parfois individuel, aux personnes séropositives, que ce soit à court terme (trois mois maximum pour Lourdes Home) ou à moyen et long terme (Garden of Mercy, Harmony Home). Ces services s’adressent à la fois aux personnes vivant avec le VIH/sida sorties de l’hôpital mais encore trop faibles, aux malades en phase terminale, à ceux qui ont des problèmes financiers, aux personnes de passage dans la capitale pour recevoir une thérapie, et depuis peu de temps aux enfants en bas âge dont les parents séropositifs sont dans des situations difficiles (United Evening News, 2004 : 6).
Défense des personnes séropositives
25Face à une discrimination persistante, voire entretenue juridiquement par les textes de loi que nous avons précédemment évoqués, la plupart des ONG s’engagent de manière générale à défendre les droits des porteurs du VIH. Toutefois, c’est en direction de l’ONG PRAA qu’elles orientent habituellement les personnes séropositives victimes de discriminations flagrantes. PRAA s’est en effet donné le rôle d’avocate de la défense au cas par cas des personnes séropositives qui ont été victimes de discriminations au sein du système éducatif, de l’armée, des entreprises, des prisons ou des administrations, suite à la divulgation de leur sérologie. Depuis 1997, plus de 200 requêtes ont été formulées auprès de cette ONG.
26La défense des personnes vivant avec le VIH prend également une forme intersectorielle, notamment lorsque diverses organisations de la société civile taïwanaise se réunissent pour s’opposer à une situation jugée intolérable. Tel fut le cas lors de la mise en service, en janvier 2004, de la carte électronique nationale d’assurance maladie, alors critiquée pour son contenu renfermant des informations personnelles capables de nourrir la discrimination envers les personnes séropositives, ou encore lorsqu’au mois d’août dernier, une alliance civique d’une trentaine d’associations a accusé publiquement les médias insulaires d’atteintes aux droits individuels et de représentation négative des personnes séropositives, mais aussi des homosexuels, des conjoints étrangers et des minorités (Taïwan Info, 2005)16.
Les contacts avec le monde de la recherche
27Le lien entre le monde de la recherche, les organisations taïwanaises et les personnes séropositives semble se faire tout d’abord via les sites électroniques des organisations de lutte contre le VIH/sida, qui fournissent des informations concernant les thérapies, les nouvelles avancées ainsi que les résultats d’études et d’essais cliniques pratiqués à l’étranger. Ces informations proviennent pour la plupart de revues scientifiques étrangères et principalement anglophones, pour lesquelles certaines organisations ont acquis gratuitement les droits de traduction. Ensuite, le lien s’établit aussi physiquement, puisque certaines organisations sont en contact direct avec le monde de la recherche, soit parce que leur responsable est aussi un scientifique (Living with Hope, dont le directeur Chen Yi-ming est également responsable du laboratoire de recherche de l’université Yang-ming à Taipei), soit parce qu’elles appartiennent à une structure plus large qui se voue en grande partie à la recherche (TAS).
Quelles relations avec les autorités officielles ?
28En référence à la classification générale des relations entre les ONG et l’État proposée par Dennis Young (Young, 2000 : 149-172), on peut affirmer que trois sortes de relations se dessinent à Taïwan : des relations de complémentarité, de collaboration et d’opposition. Dans le cas de relations de complémentarité, les ONG « prennent en charge la satisfaction de la demande de biens publics laissée non satisfaite par le gouvernement » (Young, 2000 : 150). Il s’agit en ce qui concerne la lutte contre le VIH/sida à Taïwan du type de relations de la plupart des ONG vues précédemment. C’est par ailleurs une relation complexe, qui se matérialise de différentes façons. Elle repose tout d’abord sur un travail plus holistique, qui permet d’agir là où les autorités ne peuvent ou ne veulent s’engager. Elle se caractérise ensuite par la participation d’ONG à certaines activités du Département de la Santé ou du CDC, ainsi que par la présence physique de certains de leurs responsables comme observateurs au sein d’institutions officielles comme le Département de la Santé, la Direction des prisons ou le ministère de l’Éducation. Cette relation de complémentarité se concrétise également par un soutien financier public qui représente entre 15 % et 25 % des ressources des organisations, même si ce financement reste très irrégulier et dépend de l’adéquation des projets des ONG avec la politique nationale de lutte contre le VIH17. Enfin, les relations entre les différents responsables sont souvent amicales, comme le montrent les invitations fréquentes de Lourdes Home et de Living with Hope à participer à des conférences organisées par les autorités sanitaires.
29Dans le cadre des relations de collaboration, l’organisation est un partenaire du gouvernement, qui aide à la délivrance d’un service largement financé par ce dernier. C’est particulièrement le cas de Lofaa, qui est financée en grande partie par le gouvernement, et de la Taïwan AIDS Society, dirigée par l’ancien ministre de la Santé, Twu Shiing-Jer, qui coopère de manière étroite avec les autorités sanitaires18. Pour reprendre les termes d’E. Micollier, ces deux types de relations – de complémentarité et de collaboration -participent pleinement à la gestion collective des problèmes de santé à Taïwan (MICOLLIER, 1999 : 309).
30Dans le cas des relations d’opposition, les organisations font pression pour que le gouvernement modifie sa politique et cherchent à maintenir une responsabilité de celui-ci face au public. C’est notamment le cas de l’organisation de plaidoyer PRAA, qui se veut très critique à l’égard des politiques concernant le VIH/sida. Ce rôle est notamment possible grâce à une dépendance financière minime à l’égard des autorités sanitaires (8 % de ses ressources). Cette opposition a pris ces dernières années diverses formes. Il s’agit en général de critiques exprimées au sein de sa propre revue Quan (PRAA Taïwan Right Journal), dans des articles de journaux ou encore lors de conférences de presse. Un exemple concret de cette opposition fut la création d’un forum alternatif sur le VIH/sida associant organisations et personnes séropositives simultanément à la conférence internationale organisée par le CDC et le Département de la Santé à Taipei en juillet 2004 (PRAA, 2004). De ces différentes actions critiques découle inévitablement une relation tendue entre PRAA et les responsables officiels.
Les réponses transnationales des ONG taïwanaises face au VIH/sida
31Le niveau global est souvent perçu comme un espace où les ONG qui travaillent avec les personnes séropositives sont actives « tant au niveau de la remise en cause de certaines pratiques médicales que de la défense des droits de ces personnes » (Kenis, 2000 :141). De plus, on sait aussi qu’il s’avère être un endroit privilégié pour l’échange d’informations, d’idées et la création de solidarités pouvant servir à renforcer l’influence des ONG localement (Eccleston, 1996 : 66-89). Mais qu’en est-il des ONG taïwanaises ?
32Dans son dernier livre, Chen Jie, spécialiste de la politique étrangère taïwanaise, considère que « le rôle des ONG taïwanaises sur la scène internationale a été déformé, en quantité et en qualité, par l’isolement diplomatique de Taïwan dans la communauté internationale » (Chen Jie, 2002 : 248). La participation des ONG taïwanaises sur la scène internationale est en effet rendue difficile par l’exclusion de Taïwan du système onusien, ainsi que par les pressions chinoises exercées auprès des pays organisateurs de conférences internationales pour empêcher l’accès aux acteurs taïwanais ou interdire l’emploi du terme « Taïwan » comme nom du lieu d’origine des représentants taïwanais. Si cette situation est une réalité, il s’avère cependant indispensable, en ce qui concerne la lutte contre le VIH/sida, d’y apporter quelques nuances.
Les ONG taïwanaises et les réseaux transnationaux de lutte contre le VIH/Sida
33La région Asie-Pacifique compte un certain nombre de réseaux transnationaux composés d’ONG et de personnes auxquels les ONG taïwanaises se sont jointes. Parmi les plus communément utilisés par certaines ONG taïwanaises, on retrouve l’Asia Pacific Network of People Living with HIV/AIDS (APN+) et le Therapeutics Research, Education, AIDS Training in Asia (Treat Asia).
34Créé en février 1994 et appartenant au réseau mondial Global Network of People Living with HIV/AIDS (GNP+), APN+ est un réseau essentiellement composé d’associations de personnes séropositives de la région Asie-Pacifique. Sa principale mission est d’encourager l’engagement, à tous les niveaux, de ces dernières dans la lutte contre le VIH/sida (Great Involvement of PWA, GIPA). Pour cela, il assiste et conseille les associations locales de personnes séropositives via des programmes de formation, d’échange d’informations, l’organisation de conférences, voire l’aide à la recherche de bailleurs de fonds. Centré sur la recherche médicale, Treat Asia a, quant à lui, été lancé en 2001 par la Fondation américaine de recherche sur le sida (amFAR) en réponse à l’augmentation rapide des cas de VIH/sida en Asie. À la différence d’APN+, il est principalement constitué de professionnels de la santé (médecins, professeurs de santé publique, épidémiologistes) qui souhaitent renforcer le partenariat entre le monde de la recherche et les personnes vivant avec le VIH. Ces espaces représentent pour les ONG taïwanaises de réelles plateformes d’échanges et d’action. Ainsi Living with Hope est en contact permanent via le centre de recherche sur le sida de l’université de Yang-Ming avec le réseau Treat Asia qui a fait du centre un de ses sites de référence à Taïwan19. Quant à PRAA, Lourdes Home, Living Care Association et Harmony Home, c’est avec APN+ qu’elles sont en relation plus ou moins régulière. Ces plateformes se présentent ensuite à la fois comme une source indéniable d’informations, puisque les ONG taïwanaises utilisent les sites électroniques de ces réseaux afin d’avoir accès aux dernières nouvelles relatives au VIH/sida (thérapies, évolutions juridiques, situation épidémiologique)20, mais également comme un moyen d’augmenter leur visibilité dans la région, comme dans le cas de Living with Hope, auquel Treat Asia a consacré une page sur son site en octobre 200421. Quant aux forums virtuels rattachés à ces réseaux (Sea AIDS Forum, PWHA-NET), ils sont également perçus par les ONG taïwanaises comme un outil potentiel d’influence sur les politiques nationales relatives aux VIH/sida. À ce titre, PRAA et Living Care Association les ont utilisés respectivement en décembre 2001 et août 2002 pour diffuser deux pétitions réclamant la révision de la politique discriminatoire du gouvernement taïwanais à l’égard des étrangers séropositifs22. Finalement, ces forums donnent l’occasion aux ONG de débattre, de partager des idées et des expériences avec d’autres acteurs associatifs et d’autres individus de la région.
35Ensuite, les ONG taïwanaises profitent de ces réseaux afin de participer à de nombreuses rencontres internationales : les réunions annuelles de Treat Asia et d’APN+, où sont présents à la fois les différents représentants associatifs et scientifiques régionaux ainsi que quelques personnalités scientifiques extérieures, l’International Treatment Preparedness Summit, organisé par APN+ en 2003 où des représentants d’Harmony Home et de Living with Hope étaient présents, ou encore l’Alternative Community Forum, organisé par la coalition des « Sept sœurs »23 en janvier 2004 à Bangkok où l’on a pu voir quatre ONG taïwanaises. Lors de ces rencontres internationales, l’occasion est par ailleurs donnée aux participants chinois et taïwanais24 de se connaître, de s’informer des situations épidémiologiques nationales respectives et de débattre25. Ce point est capital quand on sait combien, sur la scène inter-étatique, ces relations restent limitées.
36En résumé, les différentes opportunités offertes par les réseaux transnationaux régionaux de lutte contre le VIH/sida sont clairement perçues par les ONG taïwanaises à la fois comme de véritables catalyseurs de relations (guanxi), des espaces d’information, d’apprentissage et de débats, ainsi que comme stimulant un réel sentiment d’appartenance à un combat régional, voire mondial, contre le VIH/sida. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les ONG taïwanaises utilisent ces réseaux. Ainsi, Lourdes Home, pourtant consciente de l’existence de ces réseaux régionaux, n’y porte pas grande attention du fait tout d’abord d’une masse de travail énorme qui lui laisse trop peu de temps pour se consacrer à ce type de « networking », d’une impression de ne pas avoir besoin de leurs informations pour être au courant et enfin du refus de tenir le rôle d’« agence de traduction » pour ces réseaux.
La République populaire de Chine : un autre terrain de lutte pour les ONG taïwanaises
37L’action de certaines ONG taïwanaises se déroule également de l’autre coté du détroit de Formose. C’est le cas d’Harmony Home et de Lourdes Home. Harmony Home travaille à la fois dans les villages de la province du Henan et dans le Guangdong. Dans le Henan, elle aide au logement des séropositifs de passage dans la capitale provinciale, Zhengzhou, pour recevoir des soins, fournit un soutien financier aux familles touchées par l’extrême pauvreté à cause du virus, visite les personnes séropositives dans des cliniques où elles manquent de suivi thérapeutique, se bat pour obtenir des ARV pédiatriques en Chine et aménage des orphelinats pour les orphelins du sida, qu’elle incite par ailleurs à s’inscrire sur des listes qui leur permettront de bénéficier d’une éducation scolaire gratuite. Harmony s’occupe ainsi de quatre lieux différents qui regroupent plus d’une centaine d’orphelins recevant nourriture et formation. Dans le Guangdong, Harmony aide à l’hébergement des malades, les accompagne lors de visites hospitalières et leur procure gratuitement, via certains hôpitaux, des médicaments. Il est par ailleurs très intéressant de voir combien cette ONG taïwanaise a réussi à s’entourer de volontaires locaux prêts à s’investir dans ses activités, mais également à tisser une relation d’amitié et de confiance avec le Dr. Gao Yao-jie, figure mondialement connue pour avoir fait éclater le scandale du sang contaminé dans cette province chinoise, et dont le nom est régulièrement apparu dans la presse internationale à chaque fois que les autorités chinoises lui ont interdit de sortir du pays pour délivrer un discours ou recevoir une décoration.
38Lourdes Home travaille à la fois à Xian (Shaanxi) et à Shenyang (Liaoning) en lien avec les centres de service des diocèses de l’Église patriotique. Sa responsable et quelques-uns de ses travailleurs sociaux y forment des ecclésiastiques sur les questions relatives au VIH/sida ainsi qu’à la santé publique. Ils aident également à la mise en place de centres de soins et de formation, et organisent les visites de ces acteurs sanitaires chinois à Taïwan pour partager leurs expériences et apprendre de la situation locale (Hsieh, 2004).
39Lourdes Home et Harmony furent respectivement invitées par Misereor26 et Médecins sans frontières (MSF), ainsi que par des prêtres et des sœurs voulant œuvrer contre la propagation du VIH/sida dans leurs diocèses. Étant donné le contexte politique, il est particulièrement important de préciser ici que ces activités ne relèvent pas d’une simple aide à distance mais au contraire d’une réelle présence physique des membres de l’ONG dans des provinces encore particulièrement fermées à l’aide extérieure (Henan) afin de travailler sur un sujet toujours très sensible au niveau local en Chine. Cependant, aujourd’hui, le travail effectué par ces ONG taïwanaises est parfois relayé dans les médias taïwanais et chinois. Pour autant, la visibilité et la médiatisation de ces programmes reste faible et peut volontairement diminuer en fonction du public ciblé. Ces interventions en Chine ne sont cependant pas sans obstacles. Le dernier exemple en date tient aux conséquences d’un reportage télévisé concernant le travail d’Harmony dans le Henan. Le gouvernement local, furieux d’être perçu comme inactif, a décidé de fermer un des orphelinats fondés grâce à l’organisation taïwanaise, redirigeant dès lors immédiatement les enfants dans un orphelinat officiel construit en dix-huit jours et désormais sous sa responsabilité (South China Morning Post, 2004 : A6)27. Par ailleurs, à Taïwan, certains activistes se demandent pourquoi des ONG taïwanaises choisissent d’aller aider la Chine étant donné les tensions politiques qui existent entre les deux rives du détroit de Formose28.
40Ainsi, la présence des ONG taïwanaises sur la scène transnationale de la lutte contre le VIH/Sida est une réalité qui tend à se développer et dont Taïwan peut tirer indirectement de nombreux avantages en terme de reconnaissance internationale. Par ailleurs, les crispations souverainistes des deux côtés du détroit ne sont a priori pas un obstacle insurmontable à une coopération sino-taïwanaise en matière de VIH/Sida, notamment si celle-ci repose sur l’engagement et le travail commun de Taïwanais (membres des ONG) et de Chinois (personnes séropositives, professionnels de la santé).
Les défis spécifiques à la réponse associative taïwanaise contre le VIH/sida
Des défis externes
41Reflet de la situation dans de nombreux autres pays, le principal obstacle des ONG taïwanaises reste singulièrement celui de la discrimination et de la stigmatisation des personnes séropositives et de ceux perçus comme ayant des comportements à risque. Si nous avons vu précédemment que les personnes vivant avec le VIH/sida étaient directement touchées par cette difficile situation, les ONG qui les soutiennent sont également directement victimes de la discrimination, dans le sens où certaines d’entre elles se retrouvent limitées dans leurs activités à cause de la stigmatisation des porteurs du virus. Les ONG qui proposent des lieux d’hébergement pour les personnes séropositives ont très souvent choisi de tenir secrète l’adresse de ces endroits et cherchent à ce que les gens du quartier n’en aient pas connaissance. Cette stratégie du secret vient du fait qu’il n’est pas rare que lorsque, pour diverses raisons, ces lieux d’accueil sortent de leur anonymat, ils deviennent la cible de voisins apeurés et furieux qui cherchent à tout prix à les fermer. De manière récurrente, le voisinage exprime alors via des pétitions sa crainte soit d’une dépréciation de son bien immobilier, soit d’une « influence négative » et d’un « risque » pour les habitants du quartier, et particulièrement pour les jeunes. Harmony Home a ainsi été ces dernières années particulièrement touchée par ces pratiques sociétales discriminatoires, puisqu’elle a dû par deux fois déplacer son centre d’accueil et d’hébergement après avoir essuyé le mécontentement voire les menaces des gens du quartier où il était installé. Ainsi son lieu d’accueil du quartier de Wenshan (banlieue de Taipei), ouvert en 2005, a fermé fin 2006, après que la police a révélé aux gens du quartier sa présence et que ces derniers, par la voix du responsable de l’association de voisinage et avec le soutien d’officiels de la municipalité, ont fait un appel public pour interdire ce lieu. Malgré les tentatives d’explication de Nicole Yang, responsable d’Harmony, et le soutien de nombreuses ONG, l’ONG a préféré se retirer face aux attaques personnelles des voisins à l’égard des personnes séropositives. Néanmoins, consciente de l’importance d’un tel lieu pour les personnes vivant avec le VIH, Harmony a depuis rouvert un centre dans la banlieue proche de Taipei. Cependant, suite à ces événements, les résidents de lieux similaires mis en place par d’autres ONG vivent aujourd’hui dans la crainte quotidienne d’être forcés de déménager.
42Défendre les personnes séropositives victimes de discrimination reste également toujours une tâche ardue pour les ONG. Dans ce domaine, pour reprendre les termes d’Ivory Lin, responsable de PRAA, le travail de plaidoyer des ONG doit très souvent composer avec une situation où « les crevettes font face aux requins » (xiaoshiami dui dashayu) (Lin, 2004). En effet, d’un côté, les discriminateurs profitent des lois et jouent d’arguments fallacieux pour éloigner les personnes séropositives, et de l’autre, étant donné l’existence d’une réelle discrimination contre les porteurs du VIH à Taïwan, les personnes discriminées restent réticentes à l’idée d’engager avec l’aide de PRAA une procédure judiciaire contre les discriminateurs, car elles craignent en définitive que celle-ci les expose publiquement, ne facilite pas à terme leur réinsertion professionnelle et n’améliore pas pour autant leurs conditions de vie. Cette situation permet malheureusement aux pratiques discriminatoires de bien souvent rester impunies, et donc de se poursuivre dans le silence le plus complet.
43L’obstacle que rencontraient les ONG pour travailler auprès des UDI semble s’atténuer avec, comme nous l’avons vu préalablement, un programme de réduction des risques et une prise de conscience du ministère de la Justice de l’importance de fournir un traitement aux UDI séropositifs. L’ensemble des ONG considère le programme de réduction des risques mis en place par les autorités comme une étape importante de la réponse nationale à l’égard du VIH/sida. Certaines d’entre elles avaient en effet auparavant déjà cherché, dans le cadre de la prévention, à fournir des seringues propres aux utilisateurs de drogues intraveineuses ou pensaient devoir le faire sous peu. Mais la situation d’illégalité dans laquelle elles se trouvaient dès lors ne leur permit pas de toucher un nombre important de personnes. Aujourd’hui, au sein de ces programmes de réduction des risques, les ONG fournissent un service de conseil en coopération étroite avec les bureaux locaux de santé.
44Néanmoins, malgré la réussite des programmes de réduction des risques des autorités sanitaires, des ONG s’interrogent sur un certain nombre de points. Des activistes rappellent en effet que l’investissement dans ce genre de mesures, s’il est indispensable, ne doit pas faire oublier l’importance capitale de la promotion du « safe sex », notamment auprès des jeunes, et de la prévention en général. Selon eux, lancer un mauvais message à la population en se focalisant uniquement sur les UDI serait contre-productif. Ils rappellent dès lors que ce ne sera qu’en couplant ces mesures de réduction des risques à une active promotion du préservatif que Taïwan pourra juguler la progression du VIH/sida. Des ONG se posent des questions quant à elles sur les capacités réelles des autorités sanitaires à atteindre les UDI dont elles connaissent la crainte pour tout ce qui est officiel. Elles rappellent en effet que tant que la loi taïwanaise les considérera comme des criminels et que le ministère de l’Intérieur aura pour mission de les arrêter – par exemple aux alentours des centres d’échange de seringues –, les programmes de réduction des risques ne pourront être pleinement efficaces. C’est la raison pour laquelle certaines ONG comme Lourdes Home et Living With Hope considèrent qu’au vu du nombre important d’arrestations de possesseurs de seringues, il est également indispensable de faire un travail de prévention auprès des UDI directement dans les prisons.
Des défis internes
45Il suffit d’un survol rapide de l’implantation géographique de ces associations pour se rendre compte d’un déséquilibre important entre le nord et le sud du pays. En effet, sur les onze associations mentionnées auparavant, neuf sont basées dans le Nord, notamment à Taipei, une se situe dans le centre de l’île, à Taichung, et une se trouve dans le Sud, à Kaohsiung. Notons que seule Lourdes Home possède un centre à la fois à Taipei et à Taichung. Ainsi Taïwan, en dehors de la capitale, se trouve en ce qui concerne la lutte contre le VIH/sida face à un « désert associatif ». Cette situation handicape sérieusement la lutte nationale contre le VIH/sida et ses conséquences sociales, dans le sens où les obstacles vus précédemment ne sont pas combattus dans toute une partie de l’île. Conscient du problème, le Département de la Santé, dès 1999, a alors décidé de soutenir financièrement l’implantation de AIDS Care Association à Taichung. De leur côté, les associations semblent limitées par des ressources humaines et financières qui ne permettent pas de développer leurs activités en direction d’autres régions.
46Ensuite, bien que le Département de la Santé parle d’« Alliance des ONG sida à Taïwan »29, la plupart des responsables d’ONG s’accordent pour dire que la coopération horizontale reste en définitive très limitée. C’est en général plutôt chacune de leur côté qu’elles ont pris l’habitude de travailler. Ce qui n’empêche pas des coopérations ad hoc, comme celle entre Lourdes Home (mais aussi d’autres) et PRAA, qui consiste à communiquer à cette dernière les cas de personnes discriminées. Il existe aussi une certaine solidarité pour les questions d’hébergement et de soins, mais cela reste plutôt rare.
47En outre, les ONG restent engagées dans une concurrence effrénée en ce qui concerne les financements octroyés par différents bailleurs de fonds (ministères, fondations...), qui est souvent à l’origine de tensions, de suspicions entre ses prétendants et d’un certain « patriotisme d’organisation » (Ryfman, 2004 : 68). Cela étant, nombreuses sont les ONG qui regrettent cette situation et reconnaissent qu’une meilleure coopération entre les ONG « sida » permettrait de mener à Taïwan une lutte plus efficace contre la propagation du virus.
Conclusion
48Ce chapitre s’articulait autour de quatre ambitions. Tout d’abord, donner un bref aperçu de la situation actuelle du VIH/sida et de la lutte à son encontre à Taïwan, et par la même occasion souligner les obstacles que rencontrent les personnes vivant avec le VIH/sida et les ONG qui les aident. Ces éléments nous paraissent d’autant plus importants qu’ils ne figurent jamais dans les rapports des agences sanitaires internationales. Ensuite, il était question de souligner le dynamisme, le pluralisme et le caractère indispensable des activités mises en place par certaines ONG taïwanaises. Nous avons par ailleurs pu voir que les activités transnationales des ONG taïwanaises se développaient nonobstant les tensions politiques entre les deux rives du détroit de Formose. Finalement, il s’agissait d’appréhender les défis que les ONG ont et auront à relever si elles veulent améliorer l’efficacité de leurs actions à la fois à Taïwan, mais aussi au sein d’une région abritant 60 % de la population du globe et dont la réponse face au VIH/sida déterminera la magnitude de la pandémie pour la prochaine décennie. En dernier lieu, on notera que la mobilisation de ces ONG fait partie intégrante d’un processus de renforcement mutuel entre les organisations de la société civile et la démocratie à Taïwan (Hsiao, 2004 : 1). En effet, si, d’un côté, l’évolution démocratique du pays a largement permis la croissance de ces ONG et, par la même occasion, du nombre et de l’étendue des services destinés aux personnes vivant avec le VIH/sida, de l’autre, le rôle de plaidantes que se donnent certaines ONG permet de donner quotidiennement la parole aux personnes touchées par le virus ou discriminées pour leurs « comportements à risque », et par conséquent de renforcer la démocratie à Taïwan.
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Notes de bas de page
1 Il s’agit d’une analogie à John Donne, qui rappelait que, face aux maladies infectieuses « aucun homme n’est une île ».
2 Le concept d’« ingéniosité » est, selon Thomas F. Homer-Dixon, utile pour analyser la réaction d’un État face à un défi.
3 Voir : http:/A/vww.young.gov.tw
4 C’est le cas pour les personnes séropositives fonctionnaires. En ce qui concerne les employés séropositifs du privé, il n’est pas rare que la direction cherche par tous les moyens à les licencier.
5 Un nombre croissant d’entreprises insistent pour que le futur employé passe un examen de santé comprenant une prise de sang. S’il s’avère que la personne est séropositive, très souvent sa chance d’obtenir le poste vacant est quasi nulle.
6 C’est également le cas en France, cf. « L’exclusion permanente des homosexuels masculins du don du sang suscite une polémique », Le Monde, 14 juin 2006.
7 En opposition aux « ONG traditionnelles » contrôlées par l’État et le parti nationaliste Kuomintang (KMT) ; voir Chen Jie, Foreign Policy of the New Taïwan. Pragmatic Diplomacy in Southeast Asia, Northampton, Edward Elgard, 2002 : 235-238.
8 Si le Bureau des Impôts impose aux ONG de lui déclarer leurs budgets, rien ne les oblige dans la loi à rendre publiques des informations concernant le montant des dons, le soutien gouvernemental ou encore leurs dépenses. Bien que certaines ONG semblent les mettre à disposition sur leur site Internet, dans leurs rapports annuels d’activité ou encore dans leurs newsletters mensuelles, bien souvent leur situation financière n’est pas dévoilée publiquement.
9 Voir : http://www.unitedway.org.tw/
10 Harmony Home Association a été officiellement enregistrée en 2003, or sa responsable et certains de ses volontaires travaillent auprès des personnes séropositives depuis plus de quinze ans.
11 La responsable d’une organisation nous a expliqué comment elle demandait à une bénévole capable de pleurer volontairement de monter sur scène au côté d’une personne séropositive expliquant sa situation, pour « toucher le cœur des jeunes ».
12 Bien des responsables associatifs reconnaissent, après y avoir assisté ou l’avoir personnellement mise en place, qu’une prévention qui s’attaque froidement au sujet, soit effraie le jeune auditoire, soit le rend hermétique à la question étant donné qu’il ne s’y reconnaît pas.
13 Entretien avec le responsable de l’association Lofaa, le 10 janvier 2005, Taipei.
14 Il s’agit de panneaux de tissus réalisés à la mémoire des personnes séropositives décédées. Pour une analyse de leur signification ainsi que de leur rôle dans la lutte contre le VIH/sida à Taïwan, voir Micollier (2004 : 231-234).
15 Entretien avec Lin Yi-Hui, responsable de l’association PRAA, le 26 août 2004, Taipei.
16 Sur la représentation des personnes séropositives dans les médias, voir Hsu Mei-Ling, Lin Wen-Chi, Wu Tsui-Sung dans Micollier (2004).
17 On constate ainsi que si les projets de prévention sont bien accueillis, ceux relatifs aux services le sont beaucoup moins.
18 Entretien avec Twu Shiing-Jer, ancien ministre de la Santé et responsable de Taïwan AIDS Association, le 19 novembre 2004, Taipei.
19 L’autre site étant le Taipei Veterans General Hospital.
20 Tout comme l’accès à Internet, la compréhension de textes électroniques en anglais provenant de ces réseaux est généralisée au sein des associations taïwanaises, qui comptent toujours au moins une personne capable de les lire. La traduction en chinois puis la mise en ligne de ces informations sur leurs sites respectifs leur prend toutefois un certain temps.
21 Treat Asia, Treat Asia Site Profile AIDS Prevention and Research Centre, National Yang-Ming University, Taipei, Taïwan. Disponible sur : [http://www.amfar.org/cgi-bin/iowa/asia/news/index.html?record=51].
22 La pétition du 14 décembre 2001 est disponible sur http://archives.healthdev.net/sea-aids/msg00103.html, celle du 24 août 2002 sur http://archives.hst.org.za/sea-aids/msg00388.html.
23 Les « Sept sœurs » (Seven Sisters) ou Coalition of Asia-Pacific Regional Networks on HIV/AIDS comprend : APCASO (Asia/Pacific Council of AIDS Service Organizations), ASAP (AIDS Society of Asia and the Pacific), CARAM-Asia (Coordination of Action Research on AIDS and Mobility in Asia), AHRN (Asian Harm Reduction Network), APR (Asia Pacific Rainbow), APN+ (Asia-Pacific Network of People Living with HIV/AIDS) et APNSW (Asia-Pacific Network of Sex Workers).
24 Treat Asia compte cinq centres chinois de recherche sur le VIH/sida et APN+ a un représentant de Hong Kong ; quant aux autres réseaux appartenant aux « Sept sœurs », les membres chinois y participent aussi.
25 Entretien avec Nicole Yang, responsable d’Harmony Home Association, le 30 novembre 2004, Taipei. Entretien avec Wang Chung-Chi, responsable de Living with Hope, le 2 décembre 2004, Taipei.
26 Misereor a longtemps travaillé à Taïwan sur différents projets sanitaires et sociaux, avant de pouvoir aller œuvrer en Chine. Entretien avec un ancien membre de Misereor, Pékin, mai 2005.
27 Dans cet article, il est fait référence, sans plus de précisions sur leur pays d’origine, aux « liens étrangers » que le responsable de l’orphelinat entretenait.
28 Entretiens avec des activistes taïwanais ayant voulu rester anonymes, Taipei, septembre 2006.
29 « Taïwan AIDS NGO Alliance », voir : www.aids.cdc.gov.tw.
Auteur
Politologue, spécialiste des relations internationales. Enseignant-chercheur, Université médicale de Taipei (TMU), Taiwan.
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