Introduction
Au nom du développement une (re)fabrication des territoires
p. 9-36
Texte intégral
« En vertu du pouvoir de mes mots j’ai décrété le Morne territoire marron ! et aussi longtemps que ce poème aura force de loi cela sera ! »
Sedley Richard Assonne, 2002
Le Morne, territoire marron !
1Le territoire est mort ! Sa fin a été annoncée (Lévy, 1993 ; Badie, 1994, 1995 ; Castells, 1996 ; Ohmae, 1996 ; Veltz, 1996 ; Virilio, 1997), voire célébrée dans une perspective libérale (Fukuyama, 1992) ou fédéraliste (Habermas, 2000). Malgré quelques recompositions, le territoire de l’État-Nation tient pourtant bon. Il fait même preuve de résilience là où il paraissait le plus menacé, en Afrique subsaharienne notamment où de violentes crises et guerres civiles contemporaines l’atteignent profondément sans toutefois l’achever1, si ce n’est dans de très rares cas comme en Somalie. Son intégrité en revanche est partout contestée (Brunet, 1990 ; Olivier de Sardan, 2000) : c’est la promotion du gouvernement local qui autonomise ses composantes, c’est la transfrontaliarité qui est désormais encouragée, et c’est l’intégration régionale de plus en plus poussée qui le dépasse.
2Depuis plus d’une décennie, c’est donc plutôt la fabrication débridée de territoires qui est à l’ordre du jour à l’échelle planétaire, et ce au nom du développement, tandis que les États se repositionnent tout en se désengageant (Sassen, 2001 ; Brenner, 2004). Il y a d’une part, une vague sans précédent de redécoupages associés aux politiques de décentralisation, et d’autre part, une profusion de périmètres d’intervention et de mobilisation institués par les nouveaux acteurs territorialisés dits de la société civile (ONG, associations, groupes d’entrepreneurs...) et leurs partenaires internationaux.
3Ces périmètres chevauchent, recoupent, recouvrent ou englobent les mailles administratives officiellement reconnues. Ils peuvent aussi se référer à un groupe, une communauté et se focaliser sur un lieu ou un ensemble de lieux. La production contemporaine des territoires locaux n’obéit donc plus exclusivement à l’encadrement administratif du territoire national d’un côté et à la gestion des services publics municipaux de l’autre, mais plutôt à une logique de recherche des territoires multiformes du développement, au sens d’espaces de mobilisation des différents acteurs potentiels du développement autour d’un projet. Deux mots d’ordre qui se déclinent en de multiples interprétations, accompagnent, justifient et encouragent ces mutations : « gouvernance » et « développement durable ».
4Ainsi les travaux transversaux sur les découpages, les dynamiques et les gestions territoriales ne se focalisent plus sur l’État comme ce fut le cas jusqu’au début des années 1990 (Gottmann, 1952 ; Bataillon, 1977 ; Baduel, 1985 ; Thery, 1991) mais sur les décentralisations (Mawhood, 1993 ; Bennet, 1994 ; Meligrana, 2004 ; Rey et al., 2004) et plus encore sur la profusion des acteurs (Mc Carney, 1996 ; Cox, 1997 ; Chaleard, Pourtier, 2000 ; Gerbaux, Giraut, 2000 ; Gumuchian et al, 2003 ; Barlow, Wastl-Walter, 2004 ; Barnet, Low, 2004).
5Des signaux forts rappellent comment la promotion du local et l’effacement de formes nationales de régulation, de planification ou de redistribution laissent de côté des collectivités sociales et spatiales. Ces processus s’accommodent par ailleurs de prélèvements pour ne pas dire du pillage de ressources rares. Enfin, ils permettent l’exploitation forcenée de main-d’œuvre captive au Sud, accélérant au Nord le démantèlement du Welfare State.
6Partout, les pouvoirs publics investis dans un travail de recomposition plus ou moins radicale sont en quête de modèles, ils doivent aussi innover pour réussir la mobilisation pour le développement appelée de leurs vœux, parallèle bien souvent à leur désengagement. L’heure n’est plus à la rationalisation cartésienne, mais plutôt à une certaine géométrie flexible de type postmoderne pouvant accompagner la complexité liée aux multiples ancrages et périmètres territoriaux des réseaux d’acteurs.
7Le Nord est tenté d’aller voir au Sud comment tradition, réseaux sociaux, marchands et identitaires ont pu se conjuguer avec administrations territoriales coloniale et postcoloniale, tandis que le Sud tend à s’éloigner d’une démarche de mimétisme et interroge les impasses des modèles du Nord, tout en cherchant à capter les nouvelles rentes du développement durable (Berdoulay, Soubeyran, 2000 ; Stohr et al., 2001 ; Joliveau, Amzert, 2001 ; Ferguene, 2003).
Démarche
8Cet ouvrage entend interroger cette quête territoriale universelle avec un double objectif : cerner la nature et les contradictions de la postmodernité territoriale, et dégager les éventuels modèles à l’œuvre : modèles territoriaux et modèles émergents de régulation territoriale.
9Pour ce faire, nous avons choisi de donner la parole à des spécialistes de la question territoriale qui ne partagent pas forcément les mêmes approches. Participent ainsi à cet ouvrage des analystes des mutations territoriales contemporaines, des détracteurs du leurre territorial et des chercheurs de modèles ou de formes de régulation des dispositifs territoriaux. Les premiers donnent du sens aux nouveaux dispositifs émergents en les remettant dans une perspective historique, les seconds rappellent les limites, voire les impasses, d’une approche exclusivement territoriale des réalités spatiales, enfin les derniers ouvrent des voies d’un possible développement territorial, sans jamais céder à l’angélisme. Tous finalement soulignent les enjeux contemporains de la question territoriale.
10Notre démarche se veut résolument comparatiste, embrassant Nord et Sud dans les mêmes interrogations et jouant sur les éclairages réciproques, les résonances qu’offre la comparaison de l’apparemment incomparable (Detienne, 2000). Les tentatives de croisement Sud-Nord sur la question contemporaine des territoires du développement sont d’ailleurs rares, à quelques notables exceptions (Razin, 2000 ; Lardon, Maurel, Piveteau, 2001 ; Kumsa, McGee, 2001 ; Barlow, Wastl-Walter, 2004).
11Deux types de chapitres sont ainsi mêlés dans chacune des parties de l’ouvrage, quelques-uns partent d’analyses monographiques, mais la plupart présentent d’emblée des lectures croisées. Celles-ci sont basées notamment mais pas exclusivement sur l’Afrique du Sud et la France, les archétypes des traitements territoriaux inégalitaires et égalitaires, chacun en pleine recomposition.
12L’Afrique du Sud, après avoir redessiné la carte de ses provinces et gommé les anciens pseudo-États qu’étaient les bantoustans, s’est engagée dans une municipalisation intégrale de son territoire. Le principe d’équité territoriale guide cette refonte radicale qui joue à différentes échelles sur l’association d’espaces privilégiés et d’espaces laissés pour compte. Il s’agit d’une rupture avec un ordre révolu qui sacralisait et organisait la différence, rupture qui nécessite le recours à une rationalisation de type moderne. Cependant, le raccommodage d’espaces profondément marqués par l’ingénierie territoriale ségrégationniste de l’apartheid bute sur l’inertie spatiale des formes et représentations produites par ce système, que la nouvelle carte administrative et politique ne peut suffire à effacer. Par ailleurs, les tendances universelles à la complexité sont présentes et la rationalisation doit aussi tenter de trouver les articulations nécessaires entre des réseaux d’acteurs qui se nourrissent d’appartenances multiples, ainsi qu’entre les nombreux projets et constructions nouvelles de territoires qu’ils soient élaborés par le bas « bottom up » ou imposés par le haut « top down ».
13La France connaît aujourd’hui sa troisième révolution territoriale. Après celle, à chaud et radicale en 1790, du département égalisateur, puis celle à froid et non encore achevée de la région moderne et décentralisatrice, voici venu le temps de la troisième révolution territoriale, celle de l’intercommunalité de projet avec le pays mobilisateur et l’agglomération solidaire. Ces derniers mois ont vu la mise en veille de cette révolution de la coopération intercommunale au profit d’un débat sur le transfert de nouvelles compétences aux régions, montrant, si besoin en était, l’interpénétration des deux bouleversements que constituent, d’une part, la coopération de gestion et de projet entre communes et, d’autre part, la régionalisation.
14Dans les cas français comme sud-africain, il est donc question de refonte radicale de l’organisation territoriale de l’État et des communes, il est aussi question d’émergence de nouveaux acteurs avec leurs territoires et espaces du projet. En France, la création de la carte départementale et l’uniformisation du statut communal à partir de la carte paroissiale fut un acte géo-historique fondateur vieux de deux siècles qui rompait avec la dimension territoriale de la société d’Ancien Régime et qui a fonctionné comme référence pour nombre d’États-nations en construction. La refonte territoriale sud-africaine contemporaine apparaît, quant à elle, comme le dernier et spectaculaire avatar de l’avènement d’une République démocratique sur les décombres d’un ordre ancien, ici ségrégationniste et d’origine coloniale. Il ne s’agit pas pour autant de se focaliser exclusivement sur ce décalage et de convoquer l’antériorité française et le modèle qu’ils ont pu constituer pour des États-nations en (re)construction. L’enjeu de la confrontation de ces deux expériences paraît davantage relever de l’analyse comparée des formes que revêtent les interférences entre, d’une part, l’impératif d’homogénéisation territoriale du projet politique national (largement hérité dans le cas de la France et en cours de constitution dans le cas de l’Afrique du Sud) et, d’autre part, la recherche de différenciation territoriale qui marque la production contemporaine des territoires du développement. Autrement dit, c’est la question de l’articulation des principes modernes et postmodernes en matière de recomposition territoriale, que posent chacun à leur manière, mais de façon aiguë, les cas français et sud-africain.
15Ces deux cas, auxquels s’ajoutent des expériences africaines contrastées, permettent tout d’abord de questionner la nature postmoderne des recompositions et des productions territoriales contemporaines.
Postmodernité territoriale ?
16Dans le chapitre initial, Roland Pourtier évoque des âges successifs de la territorialité : celui de la fluidité pour la prémodernité, celui de la géométrie pour la modernité, et celui de la biologie pour la postmodernité ; un peu comme s’il évoquait les grandes divisions des temps territoriaux, agencés selon une suite linéaire et périodisée. Le schéma aide naturellement à la compréhension d’un dispositif qui s’échafaude sur le temps long. Privilégiant une conception moderne du temps, il propose une grille didactique, sachant que toute période ne rompt pas brutalement avec celle qui la précède, ni ne tranche abruptement avec celle qui lui succède et qu’on remarque des périodes « d’entre-deux » chevauchantes, et éventuellement hybrides.
17Achille Mbembé, s’appuyant sur les travaux de Braudel, rappelle la pluralité des temporalités et des régimes de subjectivité qui rendent ces temporalités possibles et signifiantes, et la distinction qu’opérait le grand historien entre « les temporalités de longue ou très longue durée, les conjonctures lentes et moins lentes, les déviations rapides, certaines instantanées, les plus courtes étant souvent les plus faciles à détecter ». Une façon de signifier que, dans ces temps de postmodernité, bien des chevauchements sont possibles, entre temporalités à vitesse variable, sans que l’on puisse privilégier l’une d’entre elles au détriment d’une autre. Il revient sur l’effacement relatif du territoire national africain et de ses frontières, pour identifier les nouveaux espaces des pratiques et représentations. Ceux de la guerre, du religieux, de la métropolisation, de l’échange mais aussi de la mode et de la sexualité, et les recompositions en grands ensembles qu’ils agencent ou qu’ils révèlent. Il décrit « une géographie en genèse, faite de limites virtuelles, potentielles et réelles ».
18Sargie Narsiah et Brij Maharaj revendiquent une approche « réaliste critique » inspirée de Henri Lefebvre et de Michel Foucauld pour se livrer à une critique sévère du processus de redécoupage provincial post-apartheid. Réalisée presque à chaud, puisque les idées originales qui alimentent ce chapitre remontent à 1997, cette critique se fonde moins sur la continuité relative avec les découpages techniques du régime de l’apartheid, que sur l’écueil d’une vision technocratique de la construction territoriale dans lequel aurait sombré la commission de démarcation. Toujours selon eux, une telle vision définit le contenant territorial selon des principes fonctionnalistes et lui attribue des vertus d’auto-construction du contenu, en d’autres termes, la technocratie croit en une région fonctionnelle à révéler techniquement et qui se renforcerait par son institutionnalisation. Cela s’oppose à la vision des auteurs d’une région nécessairement produite par les tensions et les conflits d’intérêts inhérents à la société locale et conduisant de ce fait à des limites fluctuantes. Le processus de régionalisation a permis à différentes conceptions (fonctionnaliste, économique, naturaliste et identitaire) du territoire politique de s’exprimer. Il a laissé en suspens cependant la question du traitement des marges provinciales, celles où l’on confinait des citoyens de « seconde zone » dans des espaces relégués loin des cœurs économiques et politiques. C’est la seconde phase du redécoupage, celle de la municipalisation intégrale, qui innovera en créant des municipalités transrégionales en lieu et place de certaines de ces zones de relégation.
19C’est la mise en parallèle de cette expérience sud-africaine et de l’expérience française que propose Armand Frémont dans une esquisse comparative. S’il souligne le caractère vibrionnaire et le jeu de mobilités qui structurent profondément les fonctionnements spatiaux et sociaux, il souligne l’inégal rapport à ces mobilités contemporaines, selon qu’on les maîtrise, qu’on les subisse ou que l’on en soit exclu. Aussi, suggère-t-il de mettre les espaces de la relégation au centre et non plus aux confins des préoccupations dans les contextes aussi bien sud-africains que français. Quant à la complexité territoriale, si elle répond à la diversité et à l’enchevêtrement des fonctionnements socio-spatiaux ainsi qu’à la nécessaire diversité des réponses, elle peut aussi engendrer l’illisibilité territoriale, le risque étant alors d’alimenter le sentiment de dépossession d’une partie de la société vis-à-vis de ses institutions perçues comme accaparées par une technocratie.
20Avec le cas du Maroc, Saïd Boujrouf analyse une forme singulière de constitution progressive d’un dispositif territorial complexe. Ce dispositif implique différentes générations, différentes légitimités et différents référentiels des territoires administratifs et économiques et crée un jeu d’acteurs lié aux diverses configurations en présence. Territorialités précoloniales réinterprétées, modernes et postmodernes cohabitent et s’interpénètrent au gré des réformes et des politiques publiques, sans véritablement s’articuler. Elles empruntent aux référentiels de la Royauté (allégeance), de l’Arabité (nationalisme), de l’Africanité (question berbère, tribalisme), de l’Islam (juridiction), de l’Occidentalité (fonctionnalité, démocratie). L’auteur montre que l’on peut utiliser l’expression « innovation territoriale » pour désigner les ajustements des acteurs locaux qui tentent de conjuguer, au prix de quelques dérives, les structures anciennes ou issues de la société civile et leurs réseaux avec ce que proposent l’État et les collectivités locales.
21Ces différentes analyses nous invitent donc à envisager la recomposition territoriale en terme de postmodernité, au sens du dépassement de la modernité territoriale, celle amorcée par la mise en ordre administratif des États-nations européens et de leurs empires coloniaux, puis poursuivie avec la généralisation de l’État-nation. Cette modernité territoriale avec ses variantes unitaires et fédérales se caractérisait par la rationalité et le fonctionnalisme (« l’âge de la géométrie » selon l’expression de Roland Pourtier). La rationalité s’exprimant par les principes de pavage et d’emboîtement des maillages territoriaux, et le fonctionnalisme par le principe de chef-lieu et de ressort associé. Ces principes inventés par les empires dès la période antique furent systématisés et perfectionnés à la période moderne (Moriconi-Ébrard, 2003). Même si ce qui relève de la « modernité » territoriale n’est pas exempt d’hétérogénéité et de différenciation. Bruno Latour (1991) dit que la modernité, à la différence de la prémodernité, sépare radicalement le social construit (qui doit obéir aux impératifs de rationalité, d’efficacité et de progrès) du naturel donné, inerte (mais contraignant et exploitable), tout en créant des objets hybrides qui relèvent en fait des deux sphères.
22Dans les contextes coloniaux et notamment africain, l’assimilation initiale du sauvage à la nature a produit une modernité territoriale spécifique. La modernité ne s’y est pas forgée par rapport à un milieu et des structures relevant d’un ordre à dépasser par leur caractère traditionnel, ce qui fut le cas en Europe, mais par leur altérité et leur caractère archaïque, signes du sauvage que l’on range du côté de la nature et d’une tradition indépassable, exclue de la sphère du social progressiste à construire. Ainsi, les États-nations postcoloniaux, et notamment africains, ont systématisé le principe de pavage homogène hérité de l’époque coloniale (ex-cercles et gouvernorats) aux échelons infranationaux (régions, provinces, arrondissements, départements, districts...), mais ils ont également dans bien des cas conservé une opposition juridique entre espace urbanisé bénéficiant du statut municipal et espace rural sous l’emprise du droit et du pouvoir local dit coutumier (Mamdani, 1996).
23Lorsque l’on analyse les nouveaux dispositifs sous l’angle de leurs caractéristiques ou de leurs tendances postmodernes, c’est leur géométrie variable régionale et locale qui retient l’attention, ainsi que la dimension culturelle des choix politiques. Force est de constater qu’après la dernière vague de modernisation/rationalisation des réformes menées à l’apogée des États-nations dans les années 1950 à 1970, voici venu le temps de la dérogation et de l’adaptation souple.
24Celle-ci se base sur la promotion de la démocratie participative via certains segments spatialisés de la société civile. Elle produit une gestion différenciée des territoires ruraux et métropolitains, accorde un certain crédit à des revendications régionalistes ou localistes, et promeut la valorisation des environnements patrimoniaux et sociaux.
25Ces adaptations s’effectuent selon différentes modalités. Tout d’abord, c’est la création non systématique d’échelons supra-communaux, notamment pour les aires métropolitaines, et l’organisation d’une coopération liée à des projets territoriaux temporaires. Ensuite, il y a l’octroi de statuts particuliers pour la reconnaissance de spécificités fonctionnelles (aires métropolitaines, quartiers) ou historiques et politiques : des « nations », des « peuples » ou des « communautés historiques » sont érigés en tant que tels au rang de collectivité territoriale ou de province avec statut particulier. Enfin, c’est le recours aux référents culturels dans la détermination des nouveaux territoires du développement ou de l’encadrement local.
26Ces tendances expriment un certain retour à ce que Claude Raffestin (1980) et à sa suite Marie-Claude Maurel (1984) appellent les « mailles concrètes » par opposition aux « mailles abstraites » fondées d’un point de vue fonctionnel, mais qui souffriraient d’un déficit d’adhésion et de sentiment d’appartenance. Parallèlement, avec la création de territoires spécialisés et le traitement institutionnel différencié de l’espace, c’est l’idée même de maillage qui est battue en brèche. On s’éloigne en effet des pavages intégraux (« wall to wall » comme disent les Anglo-saxons) et systématiques propres à la logique moderne du politique (Lévy, 1994).
27Il semblerait que l’Afrique du Sud soit plutôt un contre-exemple dans ce contexte. Le Grand apartheid, avec ses provinces blanches et ses bantoustans, aurait pu apparaître par certains aspects comme un modèle monstrueux de postmodernité en matière d’ingénierie territoriale (hétérogénéité des mailles à toutes les échelles ; primat des critères culturels, en réalité raciaux). Il s’agissait d’un système mis en place à des fins purement politiques et ségrégatives, qui devait d’ailleurs être doublé d’un système beaucoup plus rationnel fait d’entités qui transcendaient les frontières raciales : grandes régions économiques de planification et petites régions pour la desserte des services. L’actuelle refonte intégrale peut a contrario apparaître comme un modèle de rationalisation appliquée à un système hétérogène, mais au-delà de la normalisation qui le caractérise, il autorise des innovations hardies (municipalités transprovinciales) et recourt à des emprunts (gouvernement métropolitain) qui constituent autant de dérogations à la rationalité et à l’homogénéité du nouveau dispositif. Dans le même temps, des territoires d’intervention et de projet apparaissent ponctuellement ; ils ignorent les mailles municipales et contribuent à la mise en place d’une architecture spatiale d’une complexité chronique.
28Le cas sud-africain invite donc à une certaine prudence. Les tendances contemporaines à l’introduction d’une géométrie variable dans les systèmes d’administration territoriale ne doivent en effet pas être trop vite réunies sous les expressions de « new medievalism » (Anderson, 1996) ou « fin des territoires » (Badie, 1995) ou encore « renouveau de la Cité-État ». En ouverture de ce recueil, Roland Pourtier nous dit ainsi qu’elles ne correspondent pas à un retour à « l’âge initial de la fluidité », mais plutôt au passage au troisième âge « celui du modèle biologique », celui des entre-deux et des espaces flous. On peut bien sûr noter ici ou là, la reproduction, l’adaptation ou la revendication de formes médiévales, pré-étatiques ou impériales de la territorialité et du pouvoir, davantage basées sur des appartenances communautaires et des liens d’allégeance que sur la maîtrise de l’étendue (limites floues, hétérogénéité des mailles, enclaves). Elles peuvent être les signes de résurgences ou émergences de particularismes et de tentations identitaires. La plupart des tendances postmodernes traduisent cependant davantage des tentatives de gestion décentralisée démocratique et (ou) partenariale de la complexité territoriale faite d’appartenances multiples et de réseaux entrecroisés. Elles peuvent correspondre aussi à une volonté de la part des États de plus en plus désengagés de se rapprocher des espaces de mobilisation potentielle, en particulier de ceux de certaines « coalitions territoriales » selon l’expression que Kevin Cox développe dans cet ouvrage, et que Gilles Sautter appelait « la dynamique spatiale du développement économique ».
29Paradoxalement, ce sont d’ailleurs les systèmes centralisés qui semblent aujourd’hui les plus enclins à introduire les innovations territoriales postmodernes. En Europe, c’est le cas de l’Espagne post-franquiste, du Royaume-Uni de l’administration Blair ou de l’Italie des années 1990. Mais la France n’est pas en reste en matière d’arrangements institutionnels destinés à gérer les collectivités locales d’outre-mer, et notamment la Nouvelle-Calédonie, ou dédiés à l’avenir de la Corse (« Processus de Matignon »). À une autre échelle, le primat du projet et de la mobilisation partenariale dans la politique des pays apparaissent comme des modèles en matière de postmodernité territoriale. En Afrique du Sud comme au Mali (Lima, 2003), voire même au Maroc, c’est bien de systèmes rationnels et unitaires que semblent émerger des innovations territoriales radicales qui nécessitent d’être contextualisées, mais qui peuvent faire école dans d’autres situations.
30Encore faut-il accorder une certaine pertinence à l’approche territoriale en matière de développement, or nombreux sont ses détracteurs qui disposent d’arguments convaincants. On se rappellera d’ailleurs que l’étymologie même du mot développement (qui renvoie à l’affranchissement ou la libération de l’enveloppe) le rend en principe rétif à l’idée de circonscription, voire de territoire.
Le territoire en cause : le leurre et l’impasse
31La deuxième partie regroupe ainsi des approches critiques qui remettent en cause l’évidence territoriale, soulignant chacune à leur manière qu’il peut s’agir d’un leurre ou d’une impasse.
32L’affranchissement du libre jeu des forces économiques vis-à-vis des territoires a été souligné et même théorisé par des auteurs marxistes (Lefebvre, 1974 ; Harvey, 1985, 2000), et plus généralement par ceux qui tentent de penser le postfordisme et la dimension économique de la postmodernité (O’Brien, 1992 ; Krugman, 1995 ; Veltz, 1996 ; Castells, 1996, 1998 ; Scott, 1998). Avant eux, il avait été magistralement montré sur la très longue durée par F. Braudel avec ses Économies-mondes (1979).
33Dans la veine marxienne, Kevin Cox s’attaque ici à la croyance bien européenne et particulièrement française, d’une détermination de l’ordre socio-spatial par la territorialité publique. Celle-ci ne constituerait en fait qu’une écume ou une aporie, tandis que des forces, notamment celles du marché, autrement plus efficaces, travailleraient les territoires en profondeur sans être réellement perturbées ni même influencées par l’ordre de la décentralisation2 ou de la déconcentration. Mieux, l’État et ses politiques publiques, loin d’être principalement régulateurs, seraient avant tout influencés, voire instrumentalisés, par des intérêts particuliers. Les réalités états-uniennes mais aussi sud-africaines du temps de l’apartheid et parfois européennes étayent cette démonstration, qui ne nie cependant pas le positionnement spatial stratégique des acteurs privés. Kevin Cox a par ailleurs montré comment ces acteurs privés peuvent se situer sur différents niveaux, jouer sur les échelles (politics of scale) et distinguer un espace de dépendance (pour la production), d’un espace d’engagement (pour la défense et la valorisation des positions économiques). Ce serait l’essence du « glocal » (Swyngedouw, 1997) capitaliste qui loin d’ignorer les territoires jouerait sur leur multiplicité et les combinerait avec les réseaux pour pouvoir s’en affranchir en fonction de la géométrie variable dans le temps et dans l’espace de ses intérêts propres.
34Par-delà la question du marché effectivement non réductible à une approche aréolaire et circonscrite, on sait que le territoire est également réducteur en ce qu’il a tendance à enfermer dans des limites une formation sociale qui dépendrait prioritairement de sa substance ou qui la définirait. Or, la globalisation et la métropolisation sont basées sur la mobilité et multiplient les rapports individuels et collectifs à l’espace (Berthelot, Hirschhorn, 1996 ; Offner, Pumain, 1996 ; Gérard-Varet, Paul, 1998 ; Vodoz et al., 2004), rendant un peu plus caduque une approche qui prétendrait que le territoire (et même les territoires emboîtés) seraient un mode d’appréhension pertinent de l’ensemble des spatialités sociales (Giddens, 1994). Cela a également été bien montré par Denis Retaillé dans des situations apparemment éloignées des réalités les plus immédiates de la globalisation et de la métropolisation : en Afrique et plus particulièrement au Sahel (Retaille, 1993). Dans le présent ouvrage, il va plus loin et ne s’attaque pas seulement à la croyance en la pertinence de la territorialisation, mais aux postures épistémologiques qui ne tiendraient pas compte de la fluidité spatio-temporelle des rapports à l’espace. Sa critique va en effet bien au-delà du relativisme culturaliste qui tient souvent lieu d’opposition à l’analyse spatiale et il débouche sur une proposition théorique. Selon lui, « la mondialisation ne réalise pas la fin des territoires, mais d’autres territoires s’installent, auxquels il est nécessaire de donner d’autres références épistémologiques que la continuité topographique ». Ainsi, il préconise une conception de l’espace, qui serait flou mais non sans substance : l’espace mobile. Conception à rapprocher certainement de la « territorialité itinérante » précoloniale de Achille Mbembé.
35C’est une posture relativiste qui se défie également du territoire qu’adopte Jean-Luc Piermay en s’intéressant à la frontière comprise au sens large. Elle est repérée partout, et notamment au sein de la ville, quand des fractures sociales et spatiales s’appuient sur des divisions ou des oppositions historiques. Les ressources frontalières basées sur un éventail très large de différentiels font alors l’objet d’une approche comparative qui montre le poids des contextes africain et européen, mais souligne également quelques convergences. La frontière sous toutes ses formes en ressort finalement réhabilitée. En tant qu’entre-deux, à l’avant-garde des nécessaires connexions socio-spatiales3, elle est appréhendée avant tout comme source d’innovation dans les modes inventifs de valorisation économique et sociale des différences. L’innovation comportementale, également observable en ces lieux de confrontation et de marginalité, est ici à nouveau évoquée, après avoir fait l’objet de développements dans le chapitre d’Achille Mbembé.
36C’est plutôt l’impossible bornage ethnique d’un espace qui transparaît dans la chronique et l’analyse du processus guyanais de municipalisation. La société guyanaise a pourtant un caractère profondément métis et évolutif et ses territorialités sont fondamentalement mobiles dans le sens qu’emploie Denis Retaillé. Marie-José Jolivet évoque ainsi les contradictions entre tendance à l’éthnicisation territoriale dans de petites entités municipales et territorialités élargies, les groupes impliqués dans le séparatisme communal semblant prêts à amputer leurs aires de pratiques communautaires, qu’elles relèvent de la propriété collective ou individuelle. L’auteure cependant ne s’arrête pas à une interprétation classique en terme de compensation locale de la mondialisation par des tendances au repli identitaire et territorial, elle propose de contextualiser le phénomène dans le cadre d’une région française d’outre-mer. La partition communale permettrait alors l’accès à des ressources politiques et à la gestion de financements publics pour et par des groupes qui ne sont pas encore en position de s’affirmer sur la scène politique régionale à l’heure de son sacre par la décentralisation.
37On dispose ici d’une contextualisation et d’une interprétation de la production territoriale issue du registre de la reconnaissance identitaire dont le débat sur les nouvelles provinces sud-africaines nous avait donné une autre illustration. Registre qui se nourrit aussi de son contrepoint : « la nouvelle illusion de l’individu sans lieu, l’être délocalisé et dépourvu de limites, un nomade de caricature, l’homme fusionnel qui ne connaîtra que le Grand Tout mondial folklorisé, ignorant de l’universel et du particulier (...) une société de cette sorte, vidée de l’idée même d’habiter » (Legendre, 1999).
38Au-delà de ce qui apparaît bien cependant comme une impasse identitaire porteuse de toutes les dérives xénophobes, on retrouve finalement le risque du simplisme que comporte la recherche d’homogénéité socio-spatiale à base culturelle : l’espace de l’individu ou l’espace de la communauté (unique) comme ferment de la territorialité. Alors que l’anthropologie est plutôt encline à déconstruire ces territoires identitaires (Amselle, 1985 ; Ethnologie Française, 2004), c’est d’une certaine géographie culturelle que vient le penchant pour une définition étroitement communautariste et autochtoniste du territoire. Ainsi, Edward W. Soja (1971 : 19) définissait-il la territorialité comme « un phénomène comportemental associé à une organisation de l’espace en sphères d’influence et territoires distincts et délimités, considérés au moins partiellement comme exclusifs par leurs occupants et concepteurs ». Presque trois décennies plus tard, Christine Chivallon (1999) estime que « Le territoire est l’un de ces modes [de relations à l’espace]. Celui-ci fait référence à une expérience particulière de l’espace de l’ordre de la durée et de la singularité communautaire » (p. 136), tout en précisant qu’« il ne s’agit pas d’en faire un type idéalisé renouant avec le mythe d’une communauté solidaire enracinée à une terre complice et bienfaisante » (p. 131). On rejoint pourtant là le genre utopique avec l’isolat communautaire qui lui sert de figure centrale (Trousson, 1999) même si le propos tend à la généralisation. Réductionnisme, dont le danger d’une application à un territoire décomplexifié est rappelé par Yves Barel : « Le plus souvent, un territoire est une réalité complexe formée d’éléments variés. Il existe effectivement des territoires apparemment simples, par exemple l’individu lui même, la famille, le village ou le quartier, la profession, la classe sociale, le livre, la race, l’ethnie, la nation, etc. En général, cette “simplicité” cache une redoutable complexité interne. » (Barel, 1986 : 133)
39C’est peut être chez les poètes qu’il faut aller se ressourcer pour trouver les voies du dépassement du territoire enfermant et réducteur. Si certains s’en prennent en fait à l’esprit de clocher avec véhémence
« C’est vrai qu’ils sont plaisants, tous ces petits villages,
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités,
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages,
Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est d’être habités,
Et c’est d’être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts,
La race des chauvins, des porteurs de cocardes,
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part. »
Georges Brassens, 1972
La ballade des gens qui sont nés quelque part
40ou stigmatisent avec lucidité le travers humain de l’enfermement sécuritaire
« La mescaline refuse l’apaisement du fini
que l’homme savant en l’art des bornes sait si bien trouver.
Infinivertie, elle détranquillise.
Et c’est atroce.
L’homme, partout menacé d’infini fait tout ce qu’il peut pour en être à l’abri. Très justement. »
Henri Michaux, 1964
L’infini turbulent
« Pas question de nier
Le charme de l’enclos,
Sa verdure, son art
De ramasser, autour
De l’ombre et du soleil,
Du temps qui s’égarait.
Pas question si l’on peut
Le quitter, voir plus loin,
Revenir si l’on veut,
Si l’enclos n’est pas la paroi
Autour de soi.
Sinon, le temps
Pris dans l’enclos
Est de toute autre consistance. »
Guillevic, 1970
Paroi, Gallimard
41c’est finalement toujours l’érection de murs, de limites, de parois et de remparts bouchant les horizons qu’ils dénoncent. La contradiction entre l’universel et le particulier, le local et le global, la Terre et le Monde (pour reprendre l’opposition heideggerienne4) apparaît dépassable dès lors que les poètes s’attaquent au mur, à la limite, et non plus à la substance qui ainsi n’épuise pas les appartenances. C’est le « Territoire marron » de notre épigraphe décrété par le Mauricien Sedley Richard Assonne (2002), ou le magistral aphorisme de Miguel Torga (1954) s’enflammant depuis le Brésil pour sa province natale portugaise de Tràs-os-Montes : « L’Universel, c’est le local moins les murs. »
42On est dès lors pas très loin d’une utopie situationniste du local qui permet de penser des modèles alternatifs. Ainsi, c’est Guy Debord dans la Société du Spectacle (1967) qui en appelle à une « critique de la géographie humaine à travers laquelle les individus et les communautés ont à construire les sites et les événements correspondant à l’appropriation, non plus seulement de leur travail, mais de leur histoire totale. Dans cet espace mouvant du jeu, et des variations librement choisies des règles du jeu, l’autonomie du lieu peut se retrouver, sans réintroduire un attachement exclusif au sol, et par là ramener la réalité du voyage, et de la vie comprise comme un voyage ayant en lui-même tout son sens ». Du côté de la géographie radicale et marxiste, David Harvey dans son ouvrage prospectif sur les Espaces de l’espoir (2000) rejoint cette utopie du local alternatif en la combinant à l’invocation d’une action anticapitaliste globalisée.
43L’utopie du local alternatif est à replacer dans la recherche tout azimut des modèles territoriaux du développement. Elle y côtoie des approches fonctionnalistes en quête d’optimum territorial, mais aussi des réflexions sur l’articulation, sur la gouvernance et la régulation dans un contexte de complexité territoriale.
Modèles territoriaux : de l’alternative à la régulation
44Pour certains contempteurs de cette complexité territoriale, la quête d’un hypothétique optimum territorial5 apparaît comme le remède. La région fonctionnelle constitue alors toujours une référence ; hors espace métropolitain, elle prend souvent la forme du bassin de vie qui conjuguerait complémentarité entre centre polarisateur (pourvoyeur d’emploi et de services) et périphérie résidentielle (voire récréative). L’OCDE (2002) recense ainsi les régions fonctionnelles de ses membres, telles qu’identifiées par les organismes statistiques nationaux, cela en vue de leur promotion dans les dispositifs territoriaux administratifs. Les services de la Commission européenne cherchent à promouvoir de telles entités dans leur nomenclature des unités territoriales statistiques (NUTS) qui sert de cadre harmonisé aux programmes de sa politique régionale. Les doctrines des découpages au Nord comme au Sud font généralement la part belle à ces critères fonctionnalistes combinés avec ceux de la légitimité historique et culturelle, et éventuellement à la dynamique de projet (Desplanques, Vanier, 1998 ; Giraut, 2000 ; Antheaume, Giraut, Maharaj, 2003 ; Meligrana, 2004).
45La version métropolitaine de l’optimum territorial, celle du bon périmètre du gouvernement métropolitain, de son espace légitime (Levy, 1998) obéit plutôt à une définition morphofonctionnelle englobant la totalité de l’agglomération (Cameron, 1999 ; Razin, 1998). Si l’existence d’enclaves et le déficit d’intégration spatiale nourrissent les critiques géographiques du gouvernement local urbain (Monnet, 2002 ; Leresche, Joye, 1993), en revanche la question de leur extension périphérique reste plus floue (Mangin, 2004) et une partie de la critique des institutions métropolitaines met en avant l’effet frontière qu’elles peuvent engendrer (Briffault, 1996).
46Parmi les modèles qui alimentent la recherche de l’optimum territorial à différentes échelles se trouvent également des références à la fonctionnalité environnementale et notamment la figure du bassin versant. Elle est revendiquée prioritairement comme cadre de la gestion sectorielle ou intégrée de l’eau, mais elle peut aussi faire une apparition dans les débats sur les découpages politico-administratifs comme une alternative pseudo-apolitique (cf. son apparition dans le débat sur les nouvelles provinces sud-africaines) et (ou) des espaces du développement local comme le cadre de la gestion intégrée et planifiée des ressources (Grujard, 2003 ; Lefkowitz, 2004).
47C’est justement cette figure du bassin versant apparemment « imparable » par son « objectivité », sa fonctionnalité et sa cohésion physique, qui fait l’objet d’un examen critique à partir de ses instrumentalisations géopolitiques et économiques dans le chapitre de Stéphane Ghiotti. Il rappelle comment cette figure est intégrée dans un référent international qui renvoie à l’expérience française et à ses agences de bassin et ses grandes compagnies privées de gestion. Il analyse les modalités de l’application de ce modèle au territoire libanais, « château d’eau autour duquel s’est construit au cours des siècles un château de cartes » selon la formule d’André Fontaine. L’expérience révèle les accommodements ou les compromis qu’une telle territorialisation pseudo-naturelle peut intégrer, la carte et le fonctionnement des offices de l’eau ayant plus à voir avec un partage inégalitaire du territoire d’une part, et la constitution d’espaces rentables pour une privatisation sélective d’autre part, qu’avec une simple division en bassins hydrographiques.
48Loin des modèles fonctionnalistes de bassins, qu’ils relèvent de la polarisation urbaine ou de la logique environnementale de drainage, des regards se tournent vers les configurations socio-spatiales. L’enjeu est alors d’identifier parmi ces configurations celles qui sont porteuses de développement local. C’est évidemment l’économie régionale qui semble en pointe dans ces démarches avec le modèle des Systèmes productifs localisés (SPL).
49À partir de leurs études des jeux d’acteurs économiques citadins en Afrique de l’Ouest et en Amérique latine (Mexique et Brésil), Yves-André Fauré et Pascal Labazée plaident pour l’identification de configurations productives locales aux formes hétérogènes. Sans toutefois s’enfermer dans la recherche ou la promotion d’hypothétiques systèmes productifs localisés conformes aux districts industriels ou à leurs avatars, dont les auteurs nous rappellent les pérégrinations scientifiques au Nord et au Sud.
50Bernard Pecqueur, un des théoriciens du développement local, mobilise sa connaissance des réalités du Sud pour prolonger les acquis de ses travaux au Nord et plaider pour le développement territorial. Un certain optimisme est alors possible : le territoire et la spécification sauvent le développement et permettent son redéploiement. Au passage, il insiste sur les deux approches du territoire, le territoire donné, sans valeur ajoutée, voire facteur de contrainte ; et le territoire construit, produit d’un processus qui génère de la valeur ajoutée durable par le jeu des acteurs impliqués.
51Ce que suggère cette apologie de la construction territoriale par l’implication dans la valorisation des ressources locales latentes, c’est que tous les arrangements territoriaux sont possibles et même souhaitables, dès lors qu’ils contribuent au processus du développement territorial. On rejoint là les tenants d’un accompagnement de la construction territoriale et du « zonage à dire d’acteurs » (Lhopitallier, Caron, 1999 ; Lardon, Maurel, Piveteau, 2001 ; Bonin et al., 2001 ; D’Aquino, 2002). Dès lors, le constat que tout ou presque est possible dans les recompositions territoriales contemporaines, une fois défini le gabarit moyen de la maille et quelle que soit la doctrine initiale énoncée, n’est plus un problème. La multiplicité des critères et leur usage à géométrie variable dans les argumentaires pour valider ou invalider un découpage, ne seraient finalement qu’une expression de la complexité territoriale contemporaine (Gerbaux, 1999 ; Lajarge, 2000 ; Bopda, 2001 ; Lolivé, 2003). La question n’est plus celle de la légitimité et de la fonctionnalité territoriale, mais celle de l’articulation entre les construits territoriaux du projet et les territoires donnés de l’administration et de la représentation politique. Martin Vanier s’appuie essentiellement sur le cas français pour analyser les modalités de l’interterritorialité – clé d’une possible gouvernance de la complexité territoriale contemporaine – et poser les jalons de sa théorisation. L’interterritorialité n’est pas nouvelle, elle ne serait pas un pur produit de la postmodernité, davantage un adjuvant, voire un catalyseur des fonctionnements réticulaires et spatiaux permettant leur articulation en valorisant notamment les lieux de l’entre-deux. Cela au risque d’une certaine illisibilité que craint Armand Frémont, mais avec l’espoir d’une possible régulation de dynamiques multiples non réductibles à quelques cadres territoriaux, aussi fonctionnels soient-ils.
52Alain Dubresson et Sylvy Jaglin envisagent justement les dimensions territoriales de la régulation à partir de leurs expériences métropolitaines africaines. Ils proposent de revenir à une définition politique de la territorialisation, inspirée de la définition de Robert Sack (1986), qu’ils différencient de la spatialisation : simple zonage en modalités spécifiques d’aménagement ou de gestion. Leur approche pose alors la question des enjeux de la détermination des cadres et des échelles de la territorialisation. Le processus de fragmentation lié à l’autonomisation gestionnaire de simples zones socio-spatiales est bien montré ici pour la gestion de services marchands comme la fourniture en eau et son assainissement en milieu métropolitain, mais les questions sont aussi posées à partir de la reconnaissance d’une territorialité à des grappes d’entreprises, à des lotissements sécurisés (gated communities) ou à des complexes marchands.
53À l’issue de cette présentation de l’ouvrage, de son esprit, de ses références et de son contenu, des convergences apparaissent au-delà de la diversité des approches et des points de vue. Il n’est d’ailleurs pas question de gommer cette diversité et certaines contradictions pour proclamer un consensus artificiel. Ainsi, la critique marxiste (Kevin Cox) ou anthropologique et ontologique (Denis Retaillé) du recours au territoire s’oppose à la définition du développement territorial de Bernard Pecqueur par exemple. En revanche, ces différentes approches nous paraissent complémentaires pour éclairer les enjeux des recompositions territoriales. On aura par ailleurs noté la présence forte de la postmodernité territoriale comme objet d’analyse, mais aucun des auteurs ne se réclame explicitement d’une approche qui privilégierait le culturel communautaire comme principe de territorialisation, ou imposerait la prise en compte du naturel comme un préalable à la construction territoriale, ou encore préconiserait une hétérogénéité absolue dans les recompositions territoriales.
Acceptation, compréhension et maîtrise de la complexité territoriale
54Si convergence il y a, c’est bien dans l’affirmation (mais pas la préconisation) d’une territorialité contemporaine à géométrie variable d’une part, et de l’avènement de la complexité territoriale d’autre part. Ainsi, les espaces et territoires sont flexibles, labiles (Piermay), mobiles (Retaillé), protéiformes, osmotiques (Pourtier), « non confinés dans des frontières ou limites, ils bougent, se superposent, s’emboîtent, s’opposent » (Frémont), la territorialité est fluide, multiple, plurielle, instable (Mbembé), « construite et non donnée » (Pecqueur), les limites sont mouvantes, floues (Pourtier), incertaines...
55Ces constats ne sont certes pas nouveaux : Georges Perec en 1974 affirmait ainsi dans Espèces d’espaces que « les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd’hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions » (p. 16). Il y a près de trente ans, Armand Frémont (1976) établissait également une typologie en régions fluides, enracinées et fonctionnelles (Frémont, 1976). À l’époque, la fluidité régionale majoritaire dans le Tiers Monde semblait devoir régresser inéluctablement au profit de la fonctionnalité régionale, mais la postmodernité a plutôt introduit la fluidité dans le fonctionnel (Amilhat-Szary, 1999).
56Au fil de l’ouvrage deux idées forces se dégagent : celle de la relativité de la capacité territoriale, et celle de l’enjeu du choix des modèles territoriaux à l’œuvre pour accroître ou minimiser cette capacité territoriale.
57D’une part, tout ne se joue pas sur le territoire, bien souvent dérisoire face à la mobilité du capital et des hommes dans le cadre de la globalisation et de la métropolisation, d’autre part, l’enfermement territorial, même issu de la recherche d’un optimum fonctionnel ou d’un cadre légitime, est bien souvent négateur d’une spatialité complexe.
58Ainsi le « Vive les territoires ! » du titre, destiné à prendre le contre-pied de la thèse de la « fin des territoires », est loin d’être une devise que nous proposons, c’est aussi une stigmatisation de l’idéologie du « tout territorial » qui domine les politiques publiques et occupe le jeu, débridé par l’affaiblissement de l’État, des acteurs du développement.
59En revanche, l’enjeu territorial existe et il n’est pas à sommes nulles. Il y a des gagnants et il y a des perdants et les modèles qui circulent sont tout sauf neutres, dans la mesure où ils peuvent accroître la capacité ou l’incapacité territoriale, et promouvoir des niveaux partenaires tout en marginalisant d’autres.
60C’est toute la question du choix des modèles, des gabarits, des configurations, des coalitions recherchées ou revendiquées dans les territoires d’action dont on se dote ou que l’on reconnaît. Prenons l’exemple du développement durable, référence de toute politique ou démarche de développement contemporaine, dont il a été peu question ici en tant que slogan mais dont les ingrédients socio-spatiaux (participation, redistribution spatiale, valorisation et gestion des ressources locales sur la longue durée) ont été décortiqués sous plusieurs angles. Force est de constater que l’échelle privilégiée, mais aussi le gabarit et la configuration des territoires supports, jouent ici un rôle fondamental selon qu’ils correspondent ou non à des territoires administratifs ou du gouvernement local, et selon qu’ils privilégieront une approche naturelle qui peut être homogène (massif au sens large, terroir au sens des spécificités agronomiques) ou fonctionnelle (bassin versant), ou une approche sociale qui peut également être homogène (quartier, village, grappe de villages, chefferie) ou fonctionnelle (terroir associant des unités complémentaires, région polarisée, parcours). À ces choix ou ces modèles implicites, sont associées des conceptions et des ambitions divergentes que l’on se doit d’expliciter.
61Il existe en effet des acceptions contradictoires du développement durable à l’œuvre dans le mouvement contemporain de recomposition territoriale. On peut en identifier trois principales.
62Une conception bien connue du développement durable est nettement conservationniste. Il s’agit alors de la délégation à des pouvoirs publics d’une mission de protection d’espaces naturels, considérés comme patrimoine commun de l’humanité. Cette conception nécessite l’inventaire et la délimitation des espaces à protéger au regard de critères élaborés en dehors du cadre local ou régional, puis la délégation à une autorité du rôle de gestionnaire de ces espaces protégés. Avec ce primat de la préservation, l’enjeu du développement durable est donc la conservation d’un bien collectif extirpé des usages locaux. La configuration spatiale préconisée est alors exclusivement naturaliste, c’est la « logique de massif » au sens large, c’est-à-dire une entité spatiale homogène d’un point de vue topographique et (ou) biogéographique (un massif montagnard comme un massif forestier), voire culturel pour un paysage humanisé.
63Une autre conception du développement durable consiste en la simple prise en compte du long terme dans les opérations d’aménagement ou de développement local. Celle-ci s’opère en introduisant une gestion rationnelle et intégrée des ressources qui s’appuie sur une gestion autochtone territorialisée de processus globaux, avec un éventuel transfert d’expériences et un appui méthodologique. Il ne s’agit donc pas d’un aspect du développement ou d’une condition du développement, mais d’une manière de faire du développement à partir des ressources sociales et économiques locales valorisées dans un projet de territoire. Les configurations territoriales retenues sont alors fonctionnelles et reposent soit sur une certaine homogénéité économique à partir des modes de mise en valeur, et des spécialisations productives, bref du « système productif local », soit sur la polarisation exercée par un centre. Cette approche peut se décliner à différentes échelles.
64La troisième conception correspond davantage à un type de développement local basé essentiellement sur la gestion des ressources environnementales et paysagères. Si la mobilisation des acteurs de terrain est également nécessaire, elle s’effectue sur des pratiques définies ailleurs et reconnues d’utilité sociale. Il y a donc là délégation de la gestion environnementale et paysagère à des acteurs identifiés et localisés qui se distinguent par leurs pratiques. Il n’y a pas un type de configurations spatiales associé à cette approche qui peut très bien s’accommoder d’un ensemble de sous-espaces sans continuité territoriale avec un fonctionnement en réseau, et c’est plutôt l’échelle locale qui est privilégiée au moins à titre expérimental. Son idéal-type territorial combine cependant entité naturelle et entité fonctionnelle d’un point de vue socio-économique, le bassin versant constitue ainsi une référence pour cette approche. Dans les faits, on en reste souvent aux micro-territoires d’expérimentation ou d’avant-garde, quartiers ou terroirs notamment, avec des exploitations modèles au Nord et des grappes de villages mobilisées au Sud.
65Nonobstant la nécessité de clarifier le caractère contradictoire de ces doctrines ou approches à forte dimension territoriale, les nombreuses réflexions officielles6 ou qui se veulent opérationnelles sur les rapports entre territoires et développement durable préfèrent mettre en exergue le rôle des territoires institutionnels indépendamment de leur nature et leur décerner une mission d’intérêt général (Glass, 2002). Éventuellement, ils rappellent la nécessité du partenariat ou de la complémentarité entre actions à différents niveaux (démarche Agenda 21). Ils ne s’aventurent sur la question des configurations que pour promouvoir l’idée de la recherche d’un milieu apte à l’émergence d’un projet territorial durable, lié aux ressources matérielles et immatérielles locales (Da Cunha, Ruegg, 2003) avec éventuellement le modèle des SPL comme référence (Sauvin, 1998 ; Benko, 2001) ou celui des bassins versants. Mieux la recherche de l’optimum tient parfois lieu d’alternative à une réflexion sur les agencements nécessairement complexes. Dans le monde francophone, la notion de pays est ainsi censée incarner au niveau local les vertus géographiques des ordres naturel, historique et fonctionnel, sans jamais avoir été dénaturée par l’ordre politique (Giraut, Lajarge, 1998). Une hiérarchisation claire des niveaux est rarement établie : Bertrand Zuindeau (2000), Alan Grainger (1999) et Roger Brunet (1997) affirment le primat de l’Universel et en appellent à une contractualisation avec les territoires à partir des niveaux responsables. Ces mêmes auteurs, mais aussi Denis Requier-Desjardins (1999), Jacques Theys (2000) ou l’équipe de la revue en ligne Développement durable et territoires7, insistent par ailleurs sur les effets de la concurrence des territoires ou de la disjonction entre territoires de pratiques et territoires représentés, et préconisent en fait de tenter de suturer toutes ces territorialités actives.
66Malgré ces différentes voix du côté de la recherche, on reste plutôt dans un contexte de pénurie de réflexions sur les enjeux des modèles territoriaux véhiculés, et d’idéalisation d’une approche territoriale dont on ne reconnaît pas préalablement la nécessaire complexité et les limites.
67Encore s’agit-t-il des approches qui reconnaissent au territoire (mais un territoire souvent unique et fantasmé) une certaine capacité ou une certaine légitimité à servir de cadre de l’action et de la mobilisation. Or de nombreuses approches du développement, y compris durable, assimilent le territoire à l’intendance qui doit suivre et sont pour cette raison considérées comme « a-territoriales ». En fait, ces conceptions souvent libérales et participationnistes du développement se défient des circonscriptions administratives mais aussi des espaces de la représentation politique, des collectivités territoriales et du gouvernement local, privilégiant systématiquement les espaces fragmentés du public choice sur la gestion intégrée des services (Boyne, 1996 ; Keating, 1995), des groupes cibles de la société civile sur une collectivité territoriale et donc la démocratie participative sur la démocratie représentative. Il s’agit des approches du développement préconisées par nombre d’agences internationales et par la Banque mondiale dans sa lutte contre la pauvreté et dans ses stratégies d’offre différenciée en services. Banque mondiale qui par ailleurs fait disparaître du champ de l’action publique d’État toute démarche territorialisée (World Bank, 1997). Les collectifs et les entreprises partenaires des programmes émanant de ces bailleurs de fonds disposent cependant de bases spatiales : village ou quartier pour les uns, station ou site pour les autres. La cohérence est alors celle d’une structure sociale supposée homogène, partageant des normes consensuelles et constituant une petite unité spatiale (Agrawal, Gibson, 1999), ou celle de l’espace du projet immobilier intégré ou de la gestion privée de site. Les périmètres sont autonomisés sous forme de concessions ou d’isolats régis ici par la coutume ou la tradition, et là par le marché. Ils sont en quelque sorte franchisés. À noter d’ailleurs que les utopistes du local peuvent rencontrer les pourfendeurs de l’intervention publique dans ces espaces de la société civile portés notamment par « l’ONGisation »8 du développement (Lang, 1997 ; Leander, 2002).
68Les dispositifs complexes du développement local associatif ou des projets stimulés par les bailleurs de fonds internationaux, peuvent être alors vus sous l’angle d’une profusion sympathique d’initiatives comme « Les Aït débrouille » du Haut Atlas (Mernissi, 1998) ou sous celui, plus inquiétant, d’un « système de projets » qui, pour certains auteurs, dont le surprenant Fukuyama que l’on n’attendait pas dans un tel positionnement (2004 : 69-70), serait une conséquence mais aussi une cause de la déliquescence des États (Ben Arrous, 1996 ; Olivier de Sardan, 2000). L’atomisation territoriale qui en découle contribue, non pas tant à la complexité territoriale, à laquelle l’interterritorialité peut apporter une réponse, qu’à une certaine incapacité territoriale.
69En reprenant la démonstration de Sylvy Jaglin et Alain Dubresson et celles menées à d’autres échelles sur les politiques d’aménagement du territoire (Giraut, 1999, 2002) ou du développement local (Bornstein, 2000) ou encore urbain (Uitermark, 2002, 2005), on peut affirmer que si le territoire politique (métropolitain, national, régional, municipal...) est bien le cadre (hétérogène et composite spatialement) d’une régulation potentielle entre des zones (homogènes spatialement), son atomisation, par autonomisation de ses parties ou zones, anéantit ses possibilités de régulation (au sens de planification, de redistribution et de péréquation). Autrement dit, si l’on transfère le pouvoir territorial à des « infra-territoires » communautaires ou à des « para-territoires » concédés, en fait à de simples zones, on produit de la fragmentation et d’autres formes d’articulation sont alors nécessaires à un éventuel maintien d’une quelconque gouvernementalité.
70Ce sont donc finalement les vertus potentielles, en termes de justice socio-spatiale (Reynaud, 1981), du territoire politique intégrateur qui ressortent, mais aussi les enjeux de ses recompositions et les risques de sa fragmentation. On reste cependant conscients que l’enjeu est autant dans la nature des territoires que dans leur articulation avec l’englobant. L’ouvrage, dans sa diversité, peut revendiquer un plaidoyer pour une complexité territoriale évidente, nécessaire mais à maîtriser. Maîtrise qui passe par la reconnaissance et l’invention d’échelons et de cadres territoriaux politiques subsidiaires, c’est-à-dire qui se substituent aux autres pour des fonctions de régulation potentielle des efforts de développement. Échelons et cadres qui peuvent être ceux d’une « interterritorialité » ambitieuse et évolutive qui ose le « supra » lorsqu’il est nécessaire, et le préfère toujours au « para » et à « l’infra » quand il s’agit d’arbitrer. Il en va de la valorisation de la diversité territoriale et d’une certaine garantie contre les risques d’enfermement inhérents à la territorialité. Il s’agit aussi, et peut-être surtout, de ne pas laisser le local, qu’il soit central ou périphérique, aux prises avec un global marchand dont il ne serait plus qu’un simple instrument ou un rebut. Vive les territoires ! La reconnaissance de leur pluralité et de leur fluidité est un gage contre l’enfermement qui guette. Vive surtout les territoires subsidiaires et évolutifs de la régulation !
Notes de bas de page
1 On pense notamment en Afrique de l’Ouest au Liberia, à la Sierra Leone et à la Côte d’Ivoire et en Afrique centrale à la République démocratique du Congo.
2 Voir également à ce sujet Dubresson et Faure (éd.), 2005. Dans l’introduction, les auteurs mettent en évidence les décalages entre « les organigrammes institutionnels de la décentralisation et les niveaux de formation ou de consolidation des dynamiques économiques localisées ».
3 On retrouve ici une thèse également chère aux observateurs et théoriciens des confins ou de certaines marges comme « avant-gardes territoriales » (de Koninck, 1993 ; Antheaume, Giraut, 2002 ; Soja, Hooper, 2002).
4 Mise en perspective par Augustin Berque (2004).
5 Optimum territorial dont est affublé régulièrement en France le mythe du pays. Voir à un siècle d’intervalle les ouvrages de Pierre Fonçin (1898) et de Loeitz Laurent (2002) et les prises de position dans le champ de l’aménagement du territoire de Jean-François Gravier (1949) et Jean-Louis Guigou (1996). L’inanité de cette notion d’optimum ou plutôt de cette quête, est dénoncée à partir d’approches de géographie politique (Giraut, Vanier, 1999), d’économie régionale (Thisse, 1997) et de droit (Ortiz, 1994).
6 « Le Territoire est un système complexe, comprenant non seulement des espaces urbanisés, ruraux et autres, comme des terrains industriels, mais aussi la nature dans son ensemble et l’environnement dans lequel vivent les êtres humains. C’est le support et le cadre indispensable de l’établissement et de l’activité de l’homme et par conséquent la base du développement durable. » Extrait de la déclaration sur la Dimension territoriale du développement durable adoptée par les ministres responsables pour l’aménagement du territoire lors de la 13e session de la Conférence européenne des ministres responsables de l’Aménagement du territoire (Cemat), à Ljubljana, le 17 septembre 2003, session intitulée : « Mise en œuvre des stratégies et perspectives pour le développement territorial durable du continent européen ».
7 http://www.revue-ddt.org. Le projet de la revue en ligne est également d’éclairer la pluralité territoriale contemporaine dans ses rapports et ses effets avec et sur le développement durable, voir notamment l’article introductif de Langanier, Villalba, Zuindeau (2002).
8 L’expression a été forgée pour qualifier la forme dominante de promotion et de défense de la cause féminine, elle pourrait utilement être reprise pour qualifier la dynamique de développement local telle qu’elle apparaît dans nombre de zones marginales, à l’image de la montagne marocaine que nous présente Saïd Boujrouf dans cet ouvrage ou celle du Sahel mais également des Balkans.
Auteurs
frederic.giraut@ujf-grenoble.fr
maître de conférences, université Joseph-Fourier, UMR PactE/Territoires, et UR de l’IRD Développement local urbain, Grenoble.
Antheaume@ird.fr
directeur de recherche à l’IRD, UR Développement local urbain, dynamismes et régulations, et laboratoire Gecko-Paris-X, Nanterre.
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