Introduction. Les habitants de la forêt : cueilleurs, chasseurs, agriculteurs, éleveurs
p. 171-173
Texte intégral
1Au xxie siècle, la forêt tropicale et ses ressources demeurent essentielles pour les populations riveraines.
L’agriculture forestière : une pratique universelle mais diversifiée
2Contrairement aux idées reçues, une grande partie des activités forestières est plus proche de l’agriculture ou de l’élevage que de la simple collecte de végétaux ou de la chasse. S’il est une évidence qu’il faut établir, c’est bien celle-ci : les peuples des forêts tropicales cultivent des végétaux variés et conduisent des troupeaux, même si ces activités peuvent prendre des formes très variées et souvent totalement atypiques par rapport aux canons actuels de l’agriculture et de l’élevage.
3Quelles sont ces formes ?
4La plus répandue est l’agriculture sur abattis-brûlis, qui est détaillée par Stéphanie M. Carrière, Edmond Dounias et Geneviève Michon (chap. 13) : un mode d’exploitation imposé par les conditions écologiques du milieu forestier sous les tropiques autant que par les difficultés (financières, politiques, techniques) d’accès à des techniques plus élaborées. L’agriculture sur abattis-brûlis reste aujourd’hui essentielle puisqu’elle concerne plus de 300 millions d’agriculteurs. Il est cependant important de préciser qu’elle n’existe, comme mode de production exclusif, que pour quelques ethnies particulières ou, de façon transitoire, pour certains groupes de migrants sans terre et surtout sans moyens. Par exemple, 14 % seulement du riz pluvial produit à Sumatra est encore cultivé sur l’abattis. Partout ailleurs, ce dernier n’est plus qu’une composante d’un système agricole qui comprend aussi des rizières irriguées ou inondées, des champs de cultures annuelles sèches (manioc, maïs…) et des vergers de plantes pérennes.
5À côté de l’agriculture sur abattis-brûlis, il existe de nombreuses formes de « culture de la forêt », présentées dans le texte de Geneviève Michon (chap. 14). Certaines, comme la « paraculture » des ignames en Afrique et en Indonésie, du sagoutier dans l’archipel indopacifique, ou du palmier Euterpe en Amazonie, sont si discrètes qu’elles restent quasi « invisibles » dans le paysage, du moins pour un œil non exercé à les repérer. Il en va différemment des entreprises locales de reconstruction forestière à plus ou moins grande échelle : jardins de fruitiers, plantations villageoises, agroforêts. Ces systèmes combinent la plantation active d’arbres forestiers utiles à une régénération forestière autonome. Ils conduisent à des systèmes qui ressemblent fort à des forêts naturelles. Présents sur tous les continents, ils apportent une contribution essentielle à l’économie mondiale. Le café en Éthiopie, en Inde, au Laos, au Costa Rica ou le cacao en Afrique sont plantés sous l’ombrage de grands arbres forestiers. Les agroforêts d’Indonésie produisent une grande partie du caoutchouc naturel mondial. À Madagascar, les plantations villageoises d’eucalyptus approvisionnent en charbon de bois la majorité des grandes villes.
6Les diverses formes de cette agriculture forestière ne sont évidemment pas sans incidences sur la structure du milieu forestier ou sur sa biodiversité. En aménageant leurs parcours de collecte ou leurs territoires de chasse, en installant leurs champs, leurs troupeaux et leurs villages dans les espaces forestiers, en plantant des arbres, les sociétés ont transformé la forêt primitive en une forêt humanisée, enrichie en espèces utiles, domestiques, sous des formes aussi variées que celles de ces sociétés elles-mêmes. Mais cela s’est déroulé sans bouleverser les principes de fonctionnement ou les conditions de reproduction de l’écosystème forestier : l’agriculture sur abattis-brûlis comme l’agroforêt permettent le maintien de la plupart des fonctions et des services de l’écosystème de départ tout en assurant de nouvelles fonctions de production et donc de nouveau services.
La chasse et la cueillette : des activités toujours d’actualité
7La collecte de produits forestiers, animaux ou végétaux, est l’activité la plus ancienne développée par les populations humaines vivant au cœur des forêts tropicales. Elle est encore importante aujourd’hui, aussi bien pour la subsistance alimentaire et matérielle des populations forestières que pour la génération de revenus de compléments.
8Cette collecte de produits forestiers est pratiquée aussi bien par les chasseurs-cueilleurs que par les agriculteurs sédentaires. Tous équilibrent leur alimentation ou leur économie par la collecte de produits sauvages très variés. Les fruits et les légumes de la forêt, la viande de brousse, le poisson complémentent la diète quotidienne. Les aliments forestiers peuvent aussi assurer une certaine sécurité lors de mauvaises récoltes ou durant la période dite de soudure. De surcroît, la collecte de produits forestiers pour la vente sur des marchés nationaux ou internationaux, comme le caoutchouc ou les poissons d’aquarium en Amazonie, les rotins ou les nids d’hirondelle en Indonésie, la viande de brousse en Afrique, représente un apport parfois important de revenus monétaires. Les horticulteurs des îles Mentawai, à l’ouest de Sumatra, se souviennent encore des sommes colossales qu’ils ont amassées dans les années 1980 grâce à la collecte du bois d’aigle (produit très prisé dans les pays arabes, et qui peut se vendre plus de 1 000 dollars le kilogramme). À Bornéo, la vente des produits forestiers permet de payer la scolarité des enfants, d’acheter un moteur hors-bord ou une tronçonneuse, de refaire le toit d’une maison, de se soigner. Au Cameroun, lorsque les cours du cacao s’effondrent ou que l’état de la route se dégrade, les agriculteurs se tournent vers la chasse, la cueillette ou la pêche pour combler le manque à gagner des ventes de cacao. Au Brésil, les planteurs de manioc sont aussi collecteurs de caoutchouc ou de noix du Brésil.
9On restreint souvent ces activités forestières à de simples actes de cueillette. C’est en effet ainsi que les premiers récits des explorateurs les ont décrites, et que de nombreux scientifiques les présentent encore aujourd’hui. Cela reflète une fausse évidence, encore bien ancrée dans les esprits : là où la nature est abondante, il suffirait de se servir. C’est une vision totalement tronquée : la cueillette s’accompagne généralement de pratiques sophistiquées visant à protéger les ressources collectées ou à en accélérer le renouvellement, comme le montrent les chapitres d’Edmond Dounias et Geneviève Michon sur la collecte du miel (chap. 15), d’Edmond Dounias sur la chasse en forêt (chap. 16), de Stéphanie M. Carrière, Edmond Dounias et Bernard Moizo sur la pêche en rivière (chap. 17), et de Geneviève Michon sur les produits forestiers non ligneux (chap. 18).
Une pluri-activité aujourd’hui nécessaire
10L’agriculture et la collecte de produits végétaux ne constituent plus aujourd’hui les seules activités productrices des populations forestières : la plupart des agriculteurs en zone forestière sont des pluri-actifs au sens large. Tout en pratiquant la chasse, la pêche et la cueillette et en cultivant leurs champs ou leurs agroforêts, ils ont recours au salariat de façon plus ou moins épisodique, selon les besoins de la famille ou du groupe, et selon les opportunités. Il est ainsi commun, en Indonésie ou au Cameroun, que les jeunes hommes aillent passer quelques années à travailler en dehors du village pour aider la famille et se constituer un pécule qui leur permettra de revenir s’installer au village et d’y prendre femme. Selon les opportunités, ils iront travailler comme manœuvres dans une exploitation forestière, ou migreront en ville vers le secteur du bâtiment ou vers le petit commerce informel.
Auteurs
Ethnobotaniste à l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Ses recherches portent sur les relations des agriculteurs à la forêt.
Ethnoécologue à l’IRD. Elle travaille sur les pratiques paysannes en lien avec le maintien de la biodiversité
Socioanthropologue à l’IRD. Il a mené des recherches en milieu forestier en Asie du Sud-Est et à Madagascar.
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