Introduction
p. 33-38
Texte intégral
Les lacs tchadiens hérités d’une longue histoire hydrogéologique et paléoclimatique ont été de tout temps des lieux de vie pour les sociétés (lac Bokou, Ounianga Serir, octobre 2016).

© IRD/P. Deschamps.
1Le climat sahélien est caractérisé par une alternance de périodes humides et de périodes sèches. Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, les reconstitutions montrent qu’aux périodes humides et fastes pour les écosystèmes succèdent des phases de péjoration climatique ayant des conséquences parfois dramatiques sur les environnements et les êtres vivants associés. Cette succession concerne des périodes qui ont été très longues, d’autres très courtes. Elle a été vécue encore très récemment au Sahel avec la sécheresse des années 1970 et 1980, qui a succédé à la phase relativement humide des années 1950. Depuis le début des années 2000, une tendance à l’augmentation des précipitations est observée en réponse à une accélération du cycle hydrologique et à l’augmentation globale des températures. Cependant, pour le futur immédiat, tous les modèles climatiques ne s’accordent pas et ajoutent de l’incertitude en prédisant des tendances contraires d’une simulation à l’autre sur l’évolution des précipitations. Une tendance qui semble néanmoins faire l’unanimité est une augmentation de la variabilité interannuelle de la pluviométrie, renforçant la difficulté de la prédiction du changement climatique de la région.
2La validation de ces modèles climatiques établis à l’échelle globale repose en partie sur leur capacité à reproduire la variabilité passée. En ce sens, l’histoire du Sahara et du Sahel offre une opportunité exceptionnelle de tester les réponses des écosystèmes aux forçages externes et aux rétroactions internes du système climatique. En effet, cette région a connu des périodes beaucoup plus humides que celle observée pendant le xxe siècle et on sait que cette région n’a pas toujours été la vaste étendue aride balayée par les vents que nous connaissons aujourd’hui. L’une des périodes qui a particulièrement attiré la communauté scientifique au cours de ces dernières décennies se situe entre 12 000 et 5 000 ans pendant l’Holocène : la région était alors caractérisée par un paysage verdoyant, couvert de prairies et d’arbres, parsemé de nombreux lacs et incisé par de grands réseaux fluviatiles. De nombreux travaux se sont intéressés à caractériser la fin de cette période humide et la transition avec la période sèche qui a suivi, puisque cela permet de tester un analogue sur les récurrences des périodes sèches, dramatiques pour les populations.
3La reconstitution de cette histoire climatique est possible grâce à l’étude d’archives sédimentaires, en particulier celles accumulées au fond des lacs. Les lacs sont d’excellents enregistreurs de la dynamique du cycle hydrologique à l’échelle de leur bassin versant. Par leur localisation topographique en fond de cuvette, l’ensemble des particules drainées sur leur bassin enregistrent les caractéristiques des événements climatiques. De même, au sein de la masse d’eau, des organismes conservent une signature de ces événements. L’observation, la mesure et l’analyse de ces informations sédimentées au fond des lacs permettent de retracer leur histoire hydrologique, reflet d’une partie de l’histoire climatique régionale.
4Dès les premières explorations géologiques sur le territoire tchadien, il a été mis en évidence des témoignages sédimentaires de l’histoire hydrologique et climatique dans le bassin du lac Tchad. L’évolution du lac Tchad a été retracée sur des périodes très anciennes en mettant en évidence des phases de transgression et de régression. Lors de la dernière phase de transgression, il y a 10 000 ans, le Mégalac Tchad aurait atteint une superficie 25 fois plus grande que sa taille moyenne actuelle, recouvrant une superficie de plus de 350 000 km2.
5Si les données sur l’histoire du lac Tchad sont de plus en plus fournies, très peu sont disponibles sur les autres lacs tchadiens. Le lac Fitri a fait l’objet de descriptions rapides inscrites dans le Mégalac Tchad. Les lacs Léré et Iro, localisés à l’extérieur de cet ensemble, sont peu ou pas décrits. Seul le lac Yoa à Ounianga Kebir a fait l’objet d’un carottage en 2008 mettant en évidence l’histoire paléohydrologique de cette région au cours des 6 000 dernières années. Cet enregistrement a apporté des données importantes sur la fin de la période humide Holocène, qui encore aujourd’hui attise le débat sur les mécanismes responsables de cette transition climatique. Des enregistrements complémentaires, couvrant les derniers siècles, mettent en évidence la dynamique paléohydrologique des lacs d’Ounianga dans le contexte d’aridité actuelle.
6Les travaux du programme Gelt complètent cette histoire des lacs du Tchad en consacrant une attention particulière aux archives sédimentaires, archéologiques et hydrologiques.
7Une étude portant sur les archives morphosédimentaires autour du lac Fitri et son contexte géomorphologique met en évidence le potentiel particulièrement intéressant de ce lac pour renforcer la connaissance paléohydrologique et paléoclimatique à l’échelle de l’ensemble de la région. Son intérêt se situe aussi, pour la période actuelle, dans sa capacité à rendre compte des dynamiques du climat sahélien parce qu’il est principalement alimenté par la rivière Batha qui draine un bassin versant situé exclusivement dans la bande sahélienne, alors que le lac Tchad informe plus spécifiquement sur la dynamique tropicale du climat de la région. Plusieurs autres axes de recherche ont été ouverts qui viendront à terme compléter cette histoire sédimentaire et climatique régionale.
8Une autre étude portant sur une carotte prélevée dans la cuvette sud du lac Tchad apporte des données originales sur l’évolution du lac entre 11 000 et 5 000 ans. Si de nombreux travaux ont quantifié l’extension maximale du lac au cours de cette période, peu ont reconstitué les variations du lac en continu au cours du temps. Ces résultats précisent la chronologie de la période humide Holocène, en particulier sa terminaison et la transition avec la période aride à partir de 5 000 ans.
9Les civilisations anciennes et les vestiges qu’elles ont laissés localement témoignent aussi d’un environnement particulier et de son évolution. L’archéologie complète intimement l’histoire régionale, même si les vestiges sont épars et difficiles à repérer dans l’immensité régionale. Il est évident que la dynamique hydrologique a marqué considérablement l’histoire des peuplements et des sociétés, en particulier au cours du Néolithique.
10Le Sahara tchadien recèle de nombreux témoignages des sociétés pastorales notamment au nord du Tchad lorsque le lac Tchad atteignait son extension maximale au cours de l’Holocène. Les populations repoussées sur les contreforts de l’Ennedi et du Tibesti ont laissé des traces de leur vie, que nous retrouvons aujourd’hui grâce à des gravures et des peintures sur roche, des outils taillés ou encore des structures d’habitat organisé autour des paléorivages. Pour la première fois, dans la région du Borkou, une représentation d’activités de pêche et de navigation est mise en évidence. Cette activité est mise en relation avec la dynamique hydrologique du lac Tchad dont elle marque la localisation des rivages à certaines périodes et suggère, notamment avec les représentations des pirogues et de transport de marchandises, une forme de sédentarisation des populations. La prospection archéologique réalisée dans la région d’Ounianga, peu ou pas étudiée compte tenu des conditions très contraignantes de son climat et de sa difficulté d’accès, révèle également de nombreux témoignages archéologiques et la présence de populations depuis le Paléolithique et le Néolithique. Les gravures rupestres confirment la diversité de la faune sauvage typique des zones soudaniennes (éléphants, girafes, antilopes) et du bétail domestiqué au Néolithique. Pour la première fois aussi, est mentionnée une activité métallurgique inédite à ces latitudes. La qualité de conservation des sites d’habitation précoloniaux témoigne d’une histoire locale particulièrement mouvementée pour des sociétés lacustres soumises aux questions d’insécurité depuis au moins plusieurs siècles. Elle révèle aussi une économie de subsistance très adaptée aux conditions de la sécheresse, où ce n’est pas l’eau de surface du lac, mais celle des résurgences et puits dans la nappe d’eau douce qui fait ressource.
11Les questions liées à la variabilité contemporaine de la ressource en eaux sont étudiées ici à partir de l’exemple du lac Fitri, où les rythmes de crue et de décrue conditionnent les activités anthropiques. Face à l’absence de suivis hydrométriques de surface, les méthodes issues de la télédétection spatiale ont été utilisées pour estimer la superficie du lac sur la période 1972-2015, en tenant compte de la variabilité intra et interannuel du régime hydrologique. Cet exemple souligne les différences de perception de la variabilité lacustre selon les temporalités envisagées dans cette première partie : celles de l’ère géologique, du changement climatique, de la mémoire des hommes et femmes, de l’année, de la saison. Si l’expérience des uns peut renseigner le devenir des autres, leur appréhension au sein d’un même système relève d’une réalité complexe difficile à saisir. Toutefois, la prise en compte de ces temporalités constitue un enjeu majeur pour la connaissance et l’action dans ces zones lacustres.
Auteurs
Christine Raimond, géographe, directrice de recherche, CNRS, UMR Prodig, Paris, France.
Florence Sylvestre, paléoclimatologue, directrice de recherche IRD, Cerege, Aix-en-Provence, France.
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