Synthèse – point 3. Expression clinique de la dengue
p. 62-66
Texte intégral
Question 7. MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES DES FORMES SÉVÈRES DE LA DENGUE
1La recherche sur les mécanismes physiopathologiques des formes sévères de la dengue peut-elle améliorer la prise en charge de la maladie ?
2Cette question a été traitée dans un article unique de même intitulé par Michel Strobel et André Cabié.
*
3La dengue est une maladie dont l'expression clinique est aiguë, polymorphe et non spécifique. Ses manifestations (fièvre, douleurs, abattement) sont bruyantes, mais dans l'immense majorité des cas (environ 99 %) elle est parfaitement bénigne.
4Il existe cependant un risque notoire d'évolution de certains cas de dengue vers des formes sévères, hémorragiques ou autres, dont le pronostic est fatal dans une proportion élevée. De telles formes sévères ont fait leur apparition au cours des épidémies de ces dernières années dans les DFA.
5Jusqu'à présent, on n'a pas véritablement pu identifier de facteurs permettant d'évaluer le risque d'évolution d'une dengue « banale » vers une dengue sévère, ou de prédire la fréquence et la létalité des cas de dengue sévère au cours d'une épidémie.
6En l'absence de chimiothérapie permettant d'interrompre le cours de la maladie, comme de signes présomptifs satisfaisants de son évolution, seule une grande vigilance dans l'observation du tableau clinique peut permettre, dès le début de l'épisode fébrile, d'intervenir très précocement pour déclencher la prise en charge symptomatique des manifestations des formes sévères de dengue dès leurs prémices.
7Cette exigence de précocité et d'assiduité peut être contrecarrée par la bénignité initiale des symptômes, qui n'incitera pas le patient à consulter, ou l'amènera à pratiquer une forme d'automédication ou, s'il consulte, affectera son observance de la surveillance qui lui sera prescrite.
8Pour se prononcer sur les possibilités d'amélioration de la prise en charge des formes graves de la dengue dans les DFA, il est utile de faire le point sur quatre questions préalables :
- Quelles sont l'étendue et la spécificité des manifestations cliniques de la dengue ?
- Quelles sont les formes graves de la dengue ?
- Comment les reconnaître et les prédire ?
- Quelles sont actuellement les formes de prise en charge pratiquées dans les DFA ?
L'étendue et la spécificité des manifestations cliniques de la dengue
9À partir de la diversité de ses manifestations cliniques, on peut distinguer plusieurs formes de dengues.
10La fièvre brève indifférenciée dure de un à quatre jours, sans autre manifestation ; elle est sans doute fréquente chez l'enfant. Cette forme est peu spécifique et elle ne donne quasiment jamais lieu à un diagnostic, sauf en situation d'épidémie, quand plusieurs cas familiaux se produisent, par exemple. Elle conduit à sous-estimer largement le nombre des cas de dengue.
11La dengue commune, ou « classique », dure sept jours et se manifeste par une fièvre élevée avec douleurs diffuses intenses (céphalées, douleurs lombaires, articulaires, etc.), asthénie extrême ou abattement, éruption dans 30 à 50 % des cas.
12La dengue commune avec hémorragies minimes et non extensives reste parfaitement bénigne ; elle est cependant difficile à distinguer des formes en voie d'aggravation vers la dengue hémorragique.
13La dengue hémorragique (DHF : Dengue Haemorrhagic Fever, au sens strict de la définition de l'OMS). Les hémorragies sont franches, étendues et abondantes, digestives au premier plan, mais toutes les localisations sont possibles. Il existe des signes biologiques en faveur de cette forme : courbe ascendante des taux de plaquettes croisant la courbe descendante de l'hématocrite. Le taux de mortalité varie de 1 à 10 %.
14La dengue avec choc (Dengue Shock Syndrome : DDS), avec ou sans hémorragies, répond elle aussi à des critères de définition stricts de l'OMS. La gravité est supérieure et la mortalité se situe entre 10 et 40 % chez l'adulte.
15Les dengues sévères qui n'entrent pas dans les critères de l'OMS sont diverses et mal connues, mais de plus en plus fréquemment signalées, y compris dans les DFA. Elles incluent des thrombopénies profondes, des agranulocytoses, des encéphalites, des hépatites sévères, voire fulminantes, des myocardites, des ruptures de rate.
Définition des formes graves ou sévères de la dengue
16Elles englobent les dengues hémorragiques et les dengues avec choc, seules reconnues par l'OMS, ainsi que les autres formes non hémorragiques mais potentiellement létales. Ces dernières ne font pas l'objet de déclarations aux autorités sanitaires, de sorte que leur incidence n'est pas connue ; elles pourraient être aussi fréquentes que les DHF. Assurément sévères pour certaines, elles rendent compte, notamment chez les adultes, d'un certain nombre de décès qui n'entrent pas dans le cadre des définitions des DHF et DSS.
Reconnaissance et prévision des formes sévères
17La reconnaissance des formes sévères est difficile et repose essentiellement sur des critères cliniques. Elles débutent en effet comme des dengues banales, et rien ne les distingue a priori de celles-ci. L'aggravation survient brutalement entre les troisième et cinquième jours suivant le début clinique. On peut s'aider d'éléments biologiques simples quoique non spécifiques : numération de formule sanguine, taux de plaquettes, hématocrite, protidémie, transaminases, CPK, créatinine.
18La prévision de la sévérité est encore plus difficile. On ne dispose pas de critères cliniques satisfaisants et peu de critères biologiques validés permettent de prédire la gravité au niveau du patient. Les facteurs individuels tels que l'âge, les antécédents familiaux, les paramètres génétiques, etc., doivent être considérés. Les contacts antérieurs avec le virus et la virulence de la souche étant fréquemment avancés pour expliquer la sévérité de la dengue, une atteinte antérieure de dengue chez un patient doit être connue du praticien et doit attirer son attention.
19Au plan collectif, pour une zone géographique donnée, l'expérience montre que l'histoire locale des épidémies autorise des prévisions assez fiables en termes de magnitude. En revanche, les prévisions relatives à la sévérité clinique et à la morbi-mortalité semblent tout à fait aventureuses. La sévérité d'une épidémie ne tient pas seulement à la séquence des épidémies.
20Les Antilles françaises ont par exemple été frappées par une épidémie de virus DEN3 en 2000-2001. Ce sérotype n'avait pas circulé dans la zone depuis vingt ans. On pouvait donc supposer que la population lui était très réceptive et craindre une épidémie de grande magnitude, ce qui est effectivement advenu. En revanche, les sérotypes 1, 2 et 4 avaient été responsables de trois épidémies au cours de la décennie 1990-2000, et les facteurs semblaient réunis pour une incidence majeure de DHF. Il n'en a rien été. Les infections séquentielles hétérologues n'apparaissent donc pas comme une condition suffisante pour la survenue de formes sévères. Il faut penser à l'intervention d'autres facteurs, parmi lesquels la virulence virale et la compétence vectorielle.
Prise en charge et traitement
21La dengue commune relève d'une prise en charge médicale ambulante. En revanche, une surveillance clinique est indiquée ; elle est impérative du troisième au sixième jour, période qui correspond au début de la transformation éventuelle en forme sévère.
22Les cas de dengues avec signes de sévérité doivent être hospitalisés sans délai ni hésitation. La suspicion doit être clairement formulée, sans craindre l'excès, car elle doit conduire à une surveillance hospitalière à proximité immédiate d'une unité de soins intensifs.
23L'application des critères d'hospitalisation relève de la compétence médicale, ce qui souligne une fois de plus l'importance de la sensibilisation des praticiens.
24En l'absence de tout traitement spécifique de la dengue, on préconise le paracétamol et une réhydratation orale abondante pour le traitement de la forme classique. L'aspirine est contre-indiquée en raison du risque hémorragique.
25Les formes DHF et DSS relèvent d'un traitement symptomatique, dans des services d'urgence spécialisés, des syndromes hémorragiques graves et des états de choc (rétablissement de l'équilibre hémodynamique par remplissage vasculaire), ainsi que des atteintes hépatiques, cardiaques, cérébrales, etc.
26Les bases thérapeutiques de cette prise en charge des formes sévères découlent directement des connaissances récemment acquises sur les mécanismes physiopathologiques du choc et des hémorragies, et elles ont déjà contribué à réduire la mortalité de la dengue au niveau individuel.
27Ces progrès – les plus significatifs en matière de prise en charge de la dengue – font préconiser la poursuite de la recherche sur les mécanismes physiopathologiques des manifestations graves de la maladie. Tant la répétition des épidémies, l'augmentation de fréquence des cas atypiques de dengue sévère, les difficultés de diagnostic et la quasi-impossibilité actuelle de prédiction de l'évolution des dengues bénignes en dengues sévères, que l'absence persistante de traitement spécifique incitent à intensifier l'information des populations sur la dengue, sa prévention et la conduite à tenir en cas d'accès fébrile, particulièrement en période épidémique.
28Pour les mêmes raisons, la prise en charge de la dengue pourrait être l'objet d'une session annuelle de formation des médecins libéraux. Les médecins hospitaliers, en particulier les urgentistes, devraient bénéficier d'une formation appropriée sur le diagnostic et la prise en charge de la dengue et de ses formes sévères. Il apparaît enfin indispensable que tous les acteurs de la prévention et du contrôle de la dengue dans les DFA soient assistés et encadrés par un dispositif performant d'évaluation épidémiologique.
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