4. Regards croisés sur la finca
p. 91-116
Texte intégral
1Pour parvenir à la finca Los Angeles, il faut sortir de la route municipale qui traverse Colomba. On rejoint alors une piste en terre sur laquelle deux voitures peuvent difficilement se croiser. À moins de disposer d’un véhicule à double transmission ou d’un camion, il est fréquent de rester embourbé dans les trous d’eau creusés par les nombreuses rivières qui sortent de leurs lits pendant les pluies. Après vingt minutes d’une traversée cahoteuse au milieu des caféières, on prend un chemin empierré encore plus sinueux et accidenté que le précédent. Aucun panneau ne signale qu’il mène à la finca Los Angeles, comme si les personnes qui l’ignoraient n’avaient rien à y faire. Après quelque 300 m, les caféières s’ouvrent sur un premier hameau. Plus haut, en continuant le chemin encore 500 m, on atteint un deuxième groupe d’habitations. La finca Los Angeles s’étend actuellement sur 120 ha de surface accidentée. Avec une forêt d’une douzaine d’hectares, deux campements d’habitation, une usine de transformation du café, une pépinière, une parcelle d’un demi-hectare consacrée à des cultures vivrières, une école, une maison de maître, une chapelle et plusieurs chemins, l’exploitation est assez représentative de la moyenne plantation qui domine dans la Costa Cuca.
LES LIEUX HABITÉS DE LA FINCA
2Les aspérités du relief, la diversité de la végétation et les admirables points de vue au détour des chemins de la Costa Cuca ne laissent persister une impression d’exotisme que pendant un cours laps de temps. L’émerveillement cède progressivement le pas à la monotonie, voire même à un sentiment d’étouffement. Peu à peu, la région apparaît bien pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une « caféière géante ». Un bon moyen d'échapper à l’emprise soporifique de cette uniformité végétale est de parcourir une finca en compagnie d’un ouvrier agricole. De nouveaux espaces émergent alors, juxtaposés les uns aux autres, façonnés par la perception du guide. Parce qu’ils sont directement rattachés à des fonctions économiques ou à l’exercice de l’autorité, certains de ces espaces « objectivent » l’organisation hiérarchique de la plantation. D’autres, en revanche, se placent en marge de l’ordre établi et semblent s’y soustraire à la fois sur un plan géographique et symbolique.
Description générale des campements
Le modèle générique de l’habitat
3Au Guatemala, on emploie davantage le terme d’ouvrier (obrero) dans le secteur industriel que dans le secteur agricole. Ici, on parle plus fréquemment de travailleur (trabajador). En outre, on appelle campement (ranchería) le regroupement des petites baraques (ranchos) destinées aux habitants des plantations, les rancheros. À première vue, l’analogie entre un campement de plantation et une ville coloniale d’origine espagnole s’impose comme une évidence. Dans les deux cas, un réseau de ruelles découpe l’espace selon le principe du damier. Les rues sont droites, les maisons basses et la perspective d’ensemble est celle d’un quadrilatère. Ces particularités donnent au passant l’impression d’être toujours observé où qu’il aille. Mais l’analogie s’arrête là. Car, dans une ville coloniale, le promeneur ne manque pas de rejoindre la place principale autour de laquelle se regroupent l’église, la mairie, l’ancienne demeure du gouverneur et le terreplein central ombragé qui accueille le marché hebdomadaire. Pour y parvenir, il traverse des rues recouvertes de pavés ronds, il longe des murs de pierre blanchis à la chaux ou masqués par de lumineux bougainvilliers. En revanche, le voyageur ne trouve ni place, ni marché, ni demeures d’importance dans une ranchería. Aucun signe extérieur de richesse ne vient distinguer les ranchos réservés aux ouvriers permanents et à leurs familles. Hormis quelques buvettes, les rancherías sont également vides de ces quartiers animés d’artisans spécialisés et caractéristiques des villes coloniales. Les ruelles sont boueuses et les baraques en bois d’un blanc passé exhibent des taches marron délavé provenant de l’eau qui s’écoule des toits de tôle ondulée rouilles. À l’échelle du Guatemala, les conditions d’habitation des ouvriers de plantation font frémir le voyageur.
4À la finca Los Angeles, les ranchos des deux campements sont alignés en plusieurs files parallèles. La première file de logements longe la piste qui permet d’accéder à l’exploitation et la traverse tout entière. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on l'appelle pompeusement l’« Avenue ». Des petits jardins, larges d’environ 8 m, séparent la première file de ranchos de la seconde. La seconde file n’est séparée de la troisième que par une petite ruelle boueuse de 1,50 m. En fait, les ranchos de la première et de la seconde file ont leur jardin du même côté, ce qui pose parfois des problèmes de cohabitation. Les jardins des ranchos de la troisième file sont orientés vers les caféières. Dans l’ensemble, ces jardins sont sensiblement plus grands que ceux des deux premières files. Dans le sens de la longueur, enfin, les files sont entrecoupées d’allées tous les deux ranchos. Chaque groupe de deux ranchos, avec les jardins attenants, est désigné du nom de « pâté ».
5Chaque baraque mesure 10 m de longueur sur 3 m de largeur. L’intérieur se divise en deux pièces de superficie identique. Les ouvertures sont réparties de manière symétrique : deux portes et quatre fenêtres pour chaque rancho. Les cuisines, les réserves à bois et les éviers pour laver la vaisselle sont à l’extérieur dans les jardins. Dans ces derniers, les familles sèment diverses plantes alimentaires et décoratives dans des proportions qui varient d’un rancho à l’autre. De manière générale, les familles possèdent également quelques volailles. En revanche, seul un nombre limité d’habitants élève un cochon ou des animaux de basse-cour destinés à la vente. Dans ce cas, les animaux sont précieusement gardés dans un enclos de bambou situé au centre du jardin (cf. fig. 6).
6Pour laver les assiettes, les rancheros disposent d’un petit évier en ciment construit derrière leur maison, côté jardin. Les éviers sont pourvus en eau de pluie par des gouttières de bambou posées à partir des toits. De plus, chaque campement dispose d’un point d’eau potable fermé par un robinet. Les villageois y ont un accès permanent. Pour les soins du corps et le lavage du linge de maison, les rancheras se rendent à la rivière qui « dessert » exclusivement leur campement. Enfin, chaque ranchería dispose d’un petit terrain de sport et d’un moulin à moudre le maïs. Ces différentes composantes font partie intégrante de la sphère villageoise, quoique les règles qui en commandent l’usage divergent parfois grandement selon les campements.
« Ceux du Haut » et « Ceux du Bas »
Un double système d’appellation
7Les appellations utilisées par le planteur et l’administrateur coexistent donc avec celles qu’utilisent les habitants lorsqu’ils sont entre eux (cf. tabl. vii). Ceux du Haut ont en effet baptisé leur campement du nom de Saint Jean Le Haut (San Juan El Alto) et s’autodénomment, comme on l’a dit, les Juanatecos (les habitants de San Juan) du nom du hameau d’où ils proviennent. Occupé par les Costeños, le Campement du Bas est appelé le village Les Palmes (Las Palmas). Alors que les Juanatecos appellent leurs voisins du nom par lequel ils s’autodénomment (les Costeños), les Costeños appellent Indios l’ensemble des Juanatecos.
Tableau VII. Termes de désignation des campements et des habitants de la finca selon les acteurs.
Noms des campements | Noms des habitants | |
Planteur | Campement du Haut | Ceux du Haut |
Juanatecos | San Juan El Alto | Juanatecos |
Costenos | Campement du Haut | Indios |
8Pourquoi le planteur ne désigne-t-il pas les villageois – et les villages – par les noms qu’ils se donnent ? Quand on lui pose la question, Don Agustín semble irrité. Il explique que tous ces termes sont « imaginaires et confus » et que, pour diriger « une vraie exploitation agricole », il faut « simplifier et clarifier les choses au maximum ». L’emploi de termes comme « Ceux du Haut » et « Ceux du Bas », au détriment des noms utilisés par les ouvriers, reflète explicitement la volonté du planteur de ne pas souscrire à des poncifs qui opposent les ouvriers entre eux.
Estimation du nombre des rancheros
9Le nombre exact des résidents à la finca Los Angeles est presque impossible à déterminer, quoique l’on connaisse la totalité des ouvriers permanents : 17 chez Ceux du Haut et 38 chez Ceux du Bas (cf. tabl. viii). On sait aussi que tous ces ouvriers à temps plein vivent maritalement, ce qui élève le nombre des habitants à 110. En revanche, le calcul du nombre des enfants présente quelques difficultés. De fait, les rancheros ne déclarent pas les enfants morts en bas âge et oublient de compter ceux qui sont absents de la finca ou encore les enfants qui, ayant fait une mésalliance, sont gommés de la parenté. En revanche, les rancheros adoptent facilement les enfants issus d’unions illégitimes, voire de parents décédés étrangers à la finca. C’est donc de manière très approximative qu'on peut estimer à cinq le nombre d’enfants entretenus par un couple dont le mari est ouvrier permanent à la finca. Dans l’un et l’autre village, un seul couple n’a pas d’enfants et le chiffre de 12 enfants est un maximum.
10À ces résidents reconnus comme légitimes, il faut cependant ajouter les personnes qui se greffent aux familles rancheros en leur étant parfois apparentées. Ces personnes, dont le séjour à la finca est plus ou moins durable, sont appelées les « visiteurs » par le planteur. En principe, ces derniers ne sont tolérés que pour « le temps d’une visite », c’est-à-dire pendant quelques jours. Le nombre de visiteurs varie considérablement selon les époques et les opportunités de travail offertes par la plantation. En dehors des périodes de cueillette – où les visiteurs acquièrent un statut d’ouvrier temporaire – on peut raisonnablement estimer à une centaine de personnes la population flottante répartie entre les deux campements de la finca. En tout, cette dernière abrite donc en permanence un peu moins de 500 personnes.
11On remarque cependant que, toute proportion gardée, les visiteurs Costeños sont bien plus nombreux que les visiteurs juanatecos, cette particularité étant probablement liée à la distance géographique qui sépare Ceux du Haut de leur terroir d’origine et donc de leurs parents. À terme, il est néanmoins vraisemblable que le rapport s’équilibre entre les deux campements. De fait, la nouvelle génération de Juanatecos commence à se marier avec des habitants de la région (pas encore avec ceux de la finca toutefois), à l’instar des Costeños.
« La tête » de la finca
L’usine de transformation du café
12Il faut sortir du périmètre du premier campement et poursuivre sur une cinquantaine de mètres pour atteindre l’église, légèrement surélevée à droite de la piste. Trente mètres plus loin, se trouvent l’école et la maison de l’administrateur. Cette maison, plus confortable que la baraque de l’ouvrier moyen, fait face à l’usine où le café est transformé, séché et stocké. Encore plus loin, au sommet d’une petite colline, on aperçoit la demeure du planteur, partiellement masquée par une épaisse végétation. Ces différentes constructions composent ce qu’on appelle le casque ou la tête (casco) de la finca (cf. fig 7 et 8)1.
13Partout au Guatemala, le processus de transformation du café en cerise en café pergamino s’effectue par la technique dite de la voie humide. Cette technique requiert l’installation d’une véritable « usine » (appelée le beneficio), d’abondantes ressources en eau et en bois, et des machines. En général, les benefícios sont construits à l’endroit de la plantation où l’eau abonde, indépendamment de la distance qui les séparent des caféières. C’est que la plupart des usines furent construites dans les années trente-quarante, alors que le réseau électrique n’était encore qu’à l’état de projet. D’ailleurs, l’électricité n’a toujours pas atteint la plupart des fincas. Bien entendu, les benefícios sont de taille et de capacité variables.
14La transformation du café par voie humide obéit à une série d’étapes complémentaires. Après avoir été cueillies, les graines mûres sont portées à dos d’homme au beneficio. Les sacs sont alors pesés. Puis, le café est déversé dans une grande cuve d'eau pour être superficiellement lavé2. Les graines sont ensuite entraînées dans un siphon qui mène aux dépulpeurs. C’est alors qu’un premier tri mécanique peut être fait en fonction du calibre des graines. Dans ce cas, les graines suivent séparément la suite des opérations. Le bain a pour fonction de décoller la fine couche mielleuse, le mucilage, qui recouvre l’ultime coquille, encore appelée « parchemin », et qui renferme les graines (d’où son nom de café « en parche »). Au terme d’un trempage d’environ 2 heures, les peaux et la pulpe sont rejetées avec de l’eau courante vers l’extérieur du beneficio. Après le dépulpage, le café est canalisé vers les cuves de fermentation pour y rester 18 à 20 heures consécutives, jusqu’à la mi-journée du lendemain. Immédiatement après la fermentation et le démucilaginage, le café est acheminé par un conduit en ciment vers le patio, l’aire de séchage naturelle. L’opération permet à la fois de laver le café et d’éliminer les graines trop sèches qui flottent à la surface. Le café en parche est alors étalé au soleil pendant quelques heures. Le lendemain matin, on ressort les noyaux et on les laisse à nouveau sécher au soleil jusqu’au nouvel arrivage de café fraîchement lavé. Au cours de l’étape suivante, les graines sont déversées dans un grand bac relié à un ventilateur qui répand de l’air chaud et termine le séchage (20 heures environ). Le séchage a pour but de ramener le café à un taux d’humidité, compris entre 10 % et 12 %, permettant la conservation et le décollement de la parche. Cette dernière opération, qui s’effectue mécaniquement dans des appareils à percussion, est appelée le décorticage. Elle revient la plupart du temps aux exportateurs. Après avoir été séché, le café pergamino est immédiatement mis en sacs. En principe, les sacs pèsent une cinquantaine de kilos, mais, en réalité, ils contiennent un plus ou moins grand nombre de noyaux, précisément selon le taux d’humidité du café. Ces différentes opérations mobilisent de la main-d’œuvre3.
15Le beneficio comprend donc plusieurs parties : l’usine à proprement parler, le patio et la pépinière (cf. fig. 7). L’usine est une vaste construction rectangulaire à étage. Au rez-de-chaussée, elle comprend la salle des machines, la réserve des outils et des produits chimiques, la menuiserie et, au premier étage, le grenier à café et le bureau de l’administrateur. Le patio – d’environ 1000 m2 – fait face à l'usine. Légèrement incliné pour permettre l’évacuation de l’eau, il est entouré de grillages pour éviter les vols pendant le séchage des graines de café. Les fenêtres du bureau de l’administrateur donnent directement sur le patio et l’entrée de l’usine. Seuls l’administrateur et le planteur ont les clés du cadenas qui ferme le portail du beneficio. De jour comme de nuit, il est impossible de pénétrer dans l’enceinte de l’usine sans y être invité. Pendant la récolte, la surveillance des installations revient à des gardiens armés, car les planteurs craignent les vols et les attentats.
16La pépinière de la finca, enfin, se trouve en contrebas du beneficio. La pulpe et la peau du café, évacuées de l’usine par des conduites de ciment, sont ainsi déversées à proximité des jeunes plantules auquel le riche matériel organique sert d’engrais. Comme le patio, la pépinière est entourée de hauts grillages de fer pour prévenir les vols. C’est à côté du beneficio, à l’opposé de l’Avenue, que se trouve « La Parcelle ».
17Jusqu’à la fin des années soixante-dix, les ouvriers faisaient patiemment la queue à l’entrée du bureau de l’administrateur lorsque le jour de la paye arrivait. La grille, qui couvre la fenêtre intérieure du bureau, est tout à fait symbolique. Fixée sur un support de bois, elle ne résisterait pas à la force de deux hommes. Aujourd’hui, les modalités de distribution de la paye ont changé, notamment à cause des bandes de voleurs qui sillonnent la région. Néanmoins, le bureau continue d’imposer la discipline et le respect. Lorsqu’ils montent au premier étage pour parler à l’administrateur, les ouvriers se découvrent toujours de leur chapeau de palmes tressées4.
18À l’instar de la majorité des usines de la Costa Cuca, celle de la finca Los Angeles est construite en bois. Elle abrite l'une des premières machines à transformer le café par voie humide de la région. Le matériel, qui a aujourd’hui une centaine d’années, permit à la finca, comme on l’a déjà vu, d’avoir une certaine importance économique dans la région jusque dans les années trente. La réserve à bois et l’entrée par laquelle les ouvriers montent le café fraîchement cueilli se trouvent derrière l’usine, accolées au garage du seul camion de l’exploitation. Le vide et le silence qui règnent dans l’usine en dehors des périodes de récolte sont impressionnants et contrastent fortement avec l’animation permanente autour de l’école et de l’église, situées juste à la sortie.
De la chapelle à l’école...
19La chapelle et l’école ont été construites côte à côte, comme pour rappeler aux villageois les principes de toute bonne éducation. Le planteur est fier de ces constructions. Leur présence signifie que Dieu et l'Instruction sont bien présents à la finca, « ce qui n’est pas le cas dans toutes les plantations de la région » dit-il. Pour Don Agustín, il s’agit de donner aux petits rancheros « toutes leurs chances pour qu’ils réussissent leur vie ». Bien entendu, la charité n’est pas l'unique motif qui guide l’action de notre planteur.
20Sur la Costa Cuca, aucun prêtre n’est rattaché en permanence à une plantation particulière. Ce sont les planteurs qui font venir les prêtres afin qu’ils célèbrent la messe dans les chapelles. Mais, actuellement, la fréquence des messes dans les fincas est en forte diminution. On se contente en effet de donner une célébration pour les « grands jours » de l’année et, parfois, pendant la cueillette du café. Il y a une vingtaine d’années, c’est chaque semaine que les villageois de la finca assistaient à l’office de la chapelle. Aujourd’hui, il faut un décès ou une série de baptêmes pour justifier le déplacement du curé de Colomba. Dans ces conditions, les rancheros les plus pratiquants doivent se rendre à Colomba par le car pour suivre l’office du dimanche, un changement sur lequel je reviendrai. Quoi qu’il en soit, l’époque où les planteurs baptisaient les enfants des villageois est révolue. En fait, seule demeure, sous certaines conditions, la pratique du compérage rituel qui unit le planteur à une famille à l’occasion du baptême d’un enfant (cf. chap. 7).
21Légalement, tout groupe d’habitations qui compte plus de quinze enfants de moins de 15 ans doit disposer d’une école. À la finca, la petite école accueille les enfants des deux campements sans aucune distinction. En revanche, le maître d’école a été recruté par le planteur. D’après lui, une telle mesure est une garantie de sérieux et d’honnêteté. Pour Don Agustín, en effet, les instituteurs du secteur public sont des esprits pervers qui insufflent aux enfants des idées politiques et religieuses subversives. D’ailleurs, dans d’autres fincas de la région, il est fréquent que l’instituteur soit un fils d’ouvrier permanent à qui on a payé des études. Comme dans la plupart des fincas, le maître d’école est seul pour s’occuper de plus de 100 enfants âgés de 6 à 15 ans – parmi lesquels les plus âgés sont fréquemment absents – et répartis entre 6 niveaux d’études. Dans ces conditions, les enfants apprennent tout juste à lire, à écrire et à compter. Mais, en général, les jeunes adorent aller à l’école qui est une occasion de s’amuser. La cloche de l’église sert aussi bien à signaler les offices religieux que la fin de la récréation et le tintamarre rappelle aux élèves qu’il n'est pas encore l'heure d’aller aider les parents dans les caféières (pour les garçons), et à la rivière ou à la maison (pour les filles).
...en passant par la « maison close »
22La maison de l’administrateur se trouve en face de l’usine, juste après l’église et l’école. L’emplacement est excellent pour observer ce qui se passe et entendre ce qui se dit dans le Campement du Bas. La maison est en bois et surmontée d’un étage, marque d’un important statut social. Une grande antenne de télévision occupe une partie du jardin. La maison dispose de l’eau courante, de son propre lavoir et même de l’électricité quelques heures par jour. Enfin, les fenêtres ont des volets et la cuisine se trouve à l’intérieur, selon la conception occidentale de l’habitat.
23Les Costeños désignent la maison de l’administrateur du nom de petite maison (Casa Chica), sous-entendu la maison close. Les rancheros se gardent bien de prononcer ces mots devant son occupant, même si celui-ci est parfaitement au courant de cet usage. Pour les Costeños, l’administrateur a tous les attributs d’un souteneur (chulo) qui soutire de l’argent à des personnes qui travaillent pour lui5. Il est notable que les Costeños réservent cette appellation à une personne qui, finalement, reste subordonnée au planteur. En fait, les ouvriers ont infiniment plus de respect à son égard. Les surnoms de « Boss ou de Monsieur le Président (Señor Presidente) sont les plus ironiques que l’on puisse entendre. C’est que, pour les villageois, l'administrateur contraint les gens à travailler tandis que le planteur leur donne de l’argent et les protège. Les Juanatecos sont plus respectueux que leurs voisins envers Don Manolo. La modération de cette attitude leur vaut d’ailleurs les réprimandes des Costeños qui n’hésitent pas à les traiter de lâches.
La « Résidence du Maître » : la vue d’en haut
« La Finca »
24Située au sommet d’une colline recouverte d’une végétation touffue, la résidence du maître (Casa Grande) paraît inaccessible. Pour la rejoindre, il faut suivre un chemin qui monte en colimaçon. D’en bas, on remarque à peine une vaste baie vitrée. De cet emplacement, on a une vue imprenable sur les deux villages ouvriers et la « tête » de la finca. Le terme de Casa Grande, en réalité, désigne l’ensemble formé par la maison de maître, le jardin qui la prolonge et la petite baraque des domestiques.
25La maison d’habitation est simplement appelée La Finca par Don Agustín et les membres de sa famille. Elle fut entièrement construite en bois de pin importé des États-Unis au cours de l’année 1902. À l’époque, les arrières-grands-parents de Don Agustín l’avaient commandée en préfabriqué à une compagnie de San Francisco. L’architecte et les menuisiers s’étaient rendus eux-mêmes au Guatemala, ainsi que le stipulait le contrat d’achat. Secondés par la main-d’œuvre locale, ils achevèrent d’édifier la demeure en deux mois. La maison repose sur une chape de ciment de 400 m2. Le rez-de-chaussée donne d’un côté sur le jardin et, de l’autre, sur la colline. Le toit de la maison est en tôle ondulée. Les planches de bois d’origine ont été remplacées après les frayeurs provoquées par l’éruption du volcan Santa Maria en 1902 alors que la maison était à peine achevée.
26L’intérieur de la demeure est plutôt sobre. La division des pièces reproduit un modèle de maison bourgeoise occidentale très classique. On y pénètre par un corridor dont l’entrée donne sur le jardin. Sur la droite du corridor, la salle à manger est séparée de la cuisine par une remise où l’on stocke la nourriture. Face à la salle à manger, sur la gauche du corridor, le bureau est suivi de la chambre de Don Agustín. En poursuivant le corridor, on pénètre dans le salon. Vers la gauche, on rejoint les sanitaires et deux autres chambres. L’une est occupée par le gardien de la maison et l’autre est réservée aux invités. Toujours à partir du salon, on gravit un escalier de bois menant à l’étage des chambres. Chacune d’elles est peinte d’une couleur différente. Il y a la chambre verte des enfants de Don Agustín qui viennent rarement ; la chambre jaune de ses défunts parents ; et deux petites chambres – l’une bleue et l’autre rose – réservées à ses petits-enfants.
27L’essentiel du mobilier de la maison a été fabriqué par des artisans de la région ou acheté à Quetzaltenango. Les tables, les chaises, la desserte de la salle à manger, les meubles de cuisine, les lits, les coiffeuses et les armoires sont entièrement en bois. Il subsiste toutefois quelques souvenirs d’Espagne : quelques pièces de vaisselle, une horloge, deux portraits de famille, un coffre. Rien à voir avec le luxe des grandes haciendas d’origine coloniale qui existent encore dans les Andes équatoriennes par exemple.
28Comme celle de l’administrateur, la maison ne reçoit l’électricité qu’entre 18 h30 et 21 h30. Passée cette heure, il faut activer le groupe électrogène. Entre 1950 et 1960, un téléphone reliait la maison de maître à la maison de l’administrateur, mais il a été abandonné depuis. L’eau, en revanche, abonde. Une pompe relie l’unique salle d’eau et la cuisine de la maison à la citerne qui alimente l’usine. D’après Don Agustín, la proximité avec le beneficio serait la raison pour laquelle ses arrières-grands-parents décidèrent de construire la demeure à son emplacement actuel.
29Si l’on en croit Don Agustín, la première Casa Grande était beaucoup plus rustique que la maison actuelle. Située au beau milieu des caféières, elle se réduisait à deux petites pièces prolongées d’une cuisine. Pourtant, Don Agustín est fier d’affirmer qu’il s’agissait, en 1873, de l’une des premières constructions de la région. En réalité, il existait à l’époque des maisons de maître déjà importantes. Plusieurs propriétés – La Victoria Chuvá, Las Marias, San Francisco Miramar et Las Mercedes – appartenaient à d’importants hommes politiques ou à des immigrés allemands. Aujourd’hui, les résidences de ces propriétés sont en partie reconstruites en ciment. Le modèle américain de la maison basse « de type Miami » l’emporte très largement sur le modèle colonial d’origine européenne. Finalement, les églises, les usines et, parfois, les campements sont les derniers vestiges de l’époque pionnière de la caféiculture.
Le jardin et la baraque des domestiques
30Aux yeux des ouvriers, c’est le jardin qui entoure la maison de maître qui lui confère toute son originalité. Le soin avec lequel il est entretenu et la rareté de ses plantations (roses, tulipes) provoquent l’émerveillement perpétuel des villageoises. Comment est-il possible qu’on maintienne « un jardin qui ne serve à rien » dans un univers où la moindre parcelle de terre est exploitée ? Un autre sujet d’étonnement réside dans le fait que la femme de Don Agustín, Dona Irina, s’occupe seule de ce jardin. Étrange endroit que celui-ci où des fleurs qui ne se vendent pas sont entretenues et arrosées par la patronne. Ce jardin représente l’antithèse de tout ce que les populations rancheras ont l’habitude de voir à la finca.
31La description de la Casa Grande ne serait pas complète sans celle du « petit rancho de Flavio ». Il s’agit en réalité de deux baraques côte à côte et identiques à celles qu’on voit dans les campements. Distants d’une trentaine de mètres de la maison de maître, ces logements abritent « la famille la plus fidèle et la plus dévouée qui soit à la finca ». Le chef de cette famille de 17 personnes, Flavio, est l’arrière-petit-fils du principal mam qui a fait venir des Indiens dans les annexes du domaine. Flavio a vécu avec le siècle dont il ne cesse de commenter et d’interpréter les événements. Comme ses aïeux, il s’est vu confier l’intendance de la Casa Grande. La famille de Flavio n’est pas vraiment comme les autres. Certains enfants ont reçu des bourses de la part de Dona Irina pour aller étudier à la ville ; d’autres ont été recrutés comme domestiques chez des parents de Don Agustín ; plusieurs de ses fils sont également les gardiens de la propriété et de la Casa Grande. La famille de Flavio, rattachée aux maîtres depuis un siècle, jouit d’un prestige social supérieur et mène une existence très à l’écart des deux campements de la plantation. Lorsqu’elles lavent le linge, les femmes de la famille de Flavio utilisent le réservoir de la grande maison ; lorsqu’elles moulent le maïs, elles emploient le moulinet de la « grande cuisine » ; lorsqu’elles se marient, elles prennent des conjoints à l’extérieur de la finca. Autre privilège, les descendants mâles de Flavio ont tous le droit de vivre dans le rancho familial bien qu’ils ne travaillent pas dans les caféières.
LES LIEUX EN FRICHE ET LES LIEUX CULTIVÉS
32Aux yeux des finqueros de la Costa Cuca, toute terre qui n’est pas plantée en café est à la fois « sauvage, inutile et dépourvue d’intérêt ». Le récit des exploits menés par les ancêtres pour défricher la forêt de la région à la fin du siècle dernier est encore extrêmement vivace dans les familles. Lentement, à force de courage et de travail, la Costa Cuca « a cessé d’être une friche pour devenir une campagne, une caféière géante ». Dans l’esprit des finqueros la transition écologique de la friche à la campagne est également synonyme de progrès économique et social. Ce processus est l’œuvre de la civilisation et ceux qui pensent le contraire sont des arriérés.
L’espace forestier
33À l’origine, la forêt vierge de la région était de type ombrophile, garnie de lianes, d’épiphytes et d’arbres de hauteur extrêmement variée. Aujourd’hui, les quelques espèces d’arbres repérables dans les parcelles de forêt résiduelle donnent une bien faible idée de la densité de la végétation primaire : amate blanco (Ficus jimenezli) et negro (Ficus cotinifolia), conacaste (Enterolobium cyclocarpum), ceiba (Ceiba pentandrum), guachipilín (Diphysa sabinioides), guapinol (Hymenaea courbaril), hormigo (Platymiscium dimorphandrum).
34En général, les planteurs appellent « le bois » l’espace forestier mineur encore compris dans leur exploitation (cf. tabl. IX). Les 12 ha de bois non défrichés dont dispose la finca Los Angeles sont contigus aux 15 ha de bois de l'exploitation voisine. Le maintien d’un tel espace, qui a sans cesse diminué au profit des caféières, est devenu rare sur la Costa Cuca. Aujourd’hui, seules les crêtes les plus exposées au vent, les versants les plus pentus des collines et la partie supérieure du Chuvá sont encore boisés6.
35Jusque dans les années soixante, les finqueros entretenaient partiellement les espaces forestiers pour en extraire le bois indispensable à la réparation des benefícios, des ranchos ou des chapelles. Mais, aujourd’hui, les planteurs construisent ou rénovent de plus en plus fréquemment en béton. S’ils recourent au bois, à l’instar de Don Agustín lorsqu’il fit reconstruire les deux rancherías de la finca en 1980, ils l’achètent taillé et sur mesure à des menuisiers. Actuellement, Don Agustín considère certaines zones du bois de la finca comme une éventuelle caféière de réserve.
36Comme la plupart de ses voisins, on constate toutefois que notre planteur n’utilise que du bois originaire de la finca pour l’entretien de la Casa Grande. Peu à peu, le bois d’origine local remplace donc le pin importé des États-Unis. Ce choix manifeste le souci du finquero de « faire souche » dans la région. D’ailleurs, la Casa Grande est elle-même appelée la « souche de la famille ». Le fait que la souche de la famille se maintienne grâce à un élément, le bois, issu du monde « sauvage, inutile et dépourvu d’intérêt » constitue une victoire symbolique. Cela montre en effet que le bois – au sens forestier – prend un sens véritable lorsqu’il sert une cause civilisatrice. C’est une incontestable source de légitimité symbolique pour les familles du café initialement étrangères au pays.
37Les habitants du Campement du Bas déclarent que la « forêt » – ils ne disent pas le bois – est réservée aux índias : « pourquoi aller y perdre son temps alors qu’il y a le foot ? » dit-on ; ou encore : « c’est un endroit rempli d’animaux dangereux ; les Indias s’y sentent bien parce qu’elles y sont un peu chez elles ». D’une certaine manière, les Costeños partagent le même dédain que le planteur vis-à-vis de la forêt, quoiqu’ils ne soient pas toujours cohérents avec leur propos. La chasse au fusil dans la forêt, sous le contrôle du planteur, est en effet une activité fort prisée chez les hommes. Pour pénétrer dans la forêt, les chasseurs suivent alors des sentes de chasse préalablement tracées et fréquemment entretenues.
38En réalité, seules les habitantes du Campement du Haut se rendent régulièrement dans ce qu’elles appellent le monte (littéralement la montagne ou la friche). Aussi, loin d’y perdre leur temps, elles vont y cueillir des fruits et différentes « herbes » médicinales ou culinaires dont elles font grand usage. Pour les Juanatecas, le monte est un espace nourricier au statut particulier. De fait, il appartient à la finca tout en étant délaissé par elle. On verra que la notion de monte s’applique également aux allées qui mènent à la rivière à laquelle les seuls habitants du Campement du Haut ont accès.
39La forêt, en revanche, est un endroit récréatif pour tous les enfants de la finca. Accompagnés du maître d’école, ils vont y faire des promenades régulières. À cette occasion, ils empruntent les sentes de chasse dessinées par les chasseurs. Puis, ils rejoignent les enfants d’une plantation voisine. Les écoliers se retrouvent alors autour d’une pièce d’eau pour y pêcher de petits poissons. Parfois, en fin d’après-midi, les jeunes gens se rendent en petits groupes dans la forêt, armés de frondes et de lance-pierres, pour chasser les oiseaux. C’est seulement lorsqu’ils deviennent adolescents que les Costeños se tiennent éloignés des bois, conformément à ce que leur ordonnent les parents.
Tableau IX. Désignations et usages de l’espace forestier à la finca Los Angeles.
Locuteurs | Espace forestier | Usages de l’espace forestier |
Planteur | Le « Bois » | « Caféière de réserve » |
Ceux du Haut | Le « Monte » | Chasse (hommes/Cueillette (femmes) |
Ceux du Bas | La « Forêt » | Chasse (hommes) |
Enfants | La « Forêt » | « Chasse » aux oiseaux/Promenade |
La « campagne »
Les « chemins d’ouvriers »
40Le bois et la campagne sont deux espaces distincts qui se définissent l’un par rapport à l’autre, bien que la référence au premier pour définir le second ne soit pas toujours explicite. À l’inverse de l’espace forestier, la campagne (campo) est donc perçue par le planteur comme un endroit « familier, propre, organisé, civilisé ». De fait, la campagne désigne l’ensemble des caféières de la finca. Pour Don Agustín, l’expression « se rendre à la campagne » signifie « aller au travail ».
41Chaque matin, lorsque les ouvriers se dirigent à pied vers les caféières, ils quittent l’Avenue pour emprunter les chemins d’ouvriers (caminos de mozos) qui parcourent la finca. Recouverts eux aussi de galets de pierre ronds qui proviennent des rivières de la région, ces chemins de traverse, larges d’environ 3 mètres, permettent le passage du petit camion de la finca. Le véhicule ne transporte jamais les ouvriers, mais seulement l’équipement agricole lourd dont ils peuvent avoir besoin dans les caféières (barils d’engrais, pompes).
42Lorsqu’ils arrivent à la caféière où ils vont passer la journée, les ouvriers prennent des petits sentiers rectilignes qui coupent les plantations. En fait de sentiers, il s’agit plutôt de zones de passage que les ouvriers sont priés d'utiliser. Il est en effet interdit de se frayer un passage anarchique dans les caféières. Ces allées ne sont donc pas plus larges que l’espace qui sépare deux rangs de caféiers (environ 2 m). On les reconnaît parce que, au sol, l’herbe est plus foulée qu’ailleurs et que le terrain est boueux.
43La plupart des chemins d’ouvriers sont bordés d’arbres décoratifs ou fruitiers : bananiers, papayers, avocatiers, orangers, citronniers. Ces arbres, selon l’expression de Don Agustín, sont « la propriété de tous les travailleurs » : « de cette manière, dit-il, ils peuvent s’alimenter pendant les pauses et reprendre des forces ». Mais seuls les ouvriers du Bas consomment effectivement les fruits de ces arbres auxquels, d’ailleurs, ils n’apportent aucun soin. C’est donc le planteur qui doit en ordonner régulièrement l’entretien. Pour les Costeños, en effet, les arbres fruitiers des chemins d’ouvriers sont indissociables des caféières, c’est-à-dire des lieux et du temps de travail. Pour eux, entretenir ces arbres reviendrait à faire des heures supplémentaires non rémunérées. Don Agustín interprète quant à lui l’attitude des ouvriers comme la manifestation d’un grand laisser-aller naturel.
44La fonction des chemins d’ouvriers est également de baliser la plantation, car ils sont désignés par les noms des parcelles de café où ils mènent (cf. tabl. x). Comme dans la plupart des fincas du pays, chacune des parcelles porte le nom d’un lieu ou d’un être cher au planteur ou à sa famille. Don Agustín affirme que c’est son arrière-grand-père qui a baptisé les caféières, lesquelles ont reçu les noms du terroir basque des origines et de la mère du fondateur. En baptisant les terres à leur manière, les planteurs se sont inscrits symboliquement dans le paysage et dans l’histoire de la terre qui leur a donné asile. Souvent, les noms donnés aux parcelles et aux fincas reflètent la nostalgie d'une ère à jamais révolue. À l’occasion, ils évoquent les espoirs placés dans la nouvelle existence. Quoi qu’il en soit, ces noms sont souvent les uniques liens avec une époque, un lieu et des êtres que la plupart des planteurs d’aujourd’hui n’ont jamais connus.
Les caféières
45En 1988, la finca Los Angeles a produit environ 4 000 quintaux de café pergamino. Cette année-là, la surface caféière en production était d’environ 100 ha, le reste des terres se répartissant en forêt (12 ha), en constructions (beneficio, campements, Casa Grande, soit près de 1,5 ha) et en chemins (environ 1 ha). Le rendement de café à l’hectare de la finca est donc supérieur à la moyenne nationale : 40 quintaux au lieu de 34. Néanmoins, ces chiffres ne doivent pas masquer les différences qui apparaissent d’une parcelle à l’autre de l'exploitation (cf. tabl. xi et fig. 9).
Tableau X. Noms des parcelles et des contremaîtres qui y sont rattachés.
Prénoms des contremaîtres | Noms des parcelles |
Don Eulogio | La Nariz del Gato |
Don Canuto | El Rincón |
Don Fernando | Santa Eugenia |
Don Heriberto | Las Orejas |
Don Isaac | El Ojo Azul |
Don Pepe | El Asintal |
46Ainsi, la Nariz del Gato est la parcelle la plus productive de toutes. Exclusivement plantée en café de la sous-variété caturra, la caféière – qui s’étend sur une quinzaine d’hectares – bénéficie d’une terre et d’un climat idéal. Avec 1 600 pieds de café à l’hectare, elle produit environ 10 kg de cerises par arbuste, soit 80 quintaux à l’hectare, c’est-à-dire plus du double de la moyenne nationale. Le coût de production évolue également en proportion puisqu’il se monte à environ 7 000 FF. La somme est de plus de 40 % supérieure à celle dépensée, en moyenne, dans les plantations les plus modernisées du pays.
47À l'opposé, la parcelle Santa Eugenia est la moins rentable de toute. Elle présente les caractéristiques techniques des caféières « telles que nos grands-pères les appréciaient ». Au lieu de former un lot homogène, la parcelle est en effet plantée en files » ou en « cycles » de caféiers, de quatre âges différents, de la sous-variété bourbon. En 1988, la caféière a produit une vingtaine de quintaux de café, sachant que les pieds avaient entre 22 et 25 ans. C’est pendant mon séjour que Don Agustín prit la décision, en dépit de la baisse des prix du café, de rénover 5 ha de cette parcelle qui en compte en tout une vingtaine.
48Le passage entre les deux façons culturales révèle une évolution importante dans les conceptions que se font les planteurs de la caféiculture. Sur ce sujet, Don Agustín s’est d’ailleurs opposé à son père, Don Alfredo, lequel considérait que les plantations en lots compacts ne permettaient pas de bien suivre le développement des arbres. Pour Don Alfredo, les travaux d’entretien étaient en effet décidés rangs par rangs lors de longues promenades quotidiennes à travers les plantations. C’était aussi l’occasion d’« accompagner » les ouvriers dans leur travail et de les encourager. À l’inverse, Don Agustín affirme qu’une politique culturale doit être systématique. Il s’agit donc de traiter la totalité d’une parcelle de manière homogène pour simplifier les opérations et gagner du temps. Cette manière de faire, dont le coût est très élevé, est particulièrement rentable lorsque la conjoncture du marché caféier est favorable. Dans la situation inverse, en revanche, les pertes sont lourdes, car il faut continuer à investir beaucoup d’argent pour maintenir la caféière en état.
Tableau XI. Structures de la production de café par parcelle à la finca Los Angeles.
Parcelles en (ha) | Superficie total (q) | Rendement brut ($) | Rec. net ($)* | Rec. |
La Nariz del Gato | 15 | 1 200 | 84 000 | 66 750 |
El Rincón | 17 | 605 | 42 350 | 39 960 |
Santa Eugenia | 20 | 400 | 28 000 | 14 600 |
Las Orejas | 19 | 675 | 47 250 | 34 520 |
El Ojo Azul | 17 | 570 | 39 900 | 28 510 |
El Asintal | 17 | 550 | 38 500 | 27 110 |
Total | 105 | 4 000 | 280 000 | 211 450 |
49Le bon développement de la plante et l’abondance de la récolte sont également proportionnels aux soins portés aux arbustes, notamment la taille. Il s’agit d’une activité qui requiert une main-d’œuvre abondante juste avant la floraison. Par ailleurs, le recépage du tronc (à une hauteur d’environ un mètre) – qui a pour but de faire repartir la plante – a lieu tous les dix ans environ.
50Une autre opération culturale, le sarclage, est nécessaire. Ce travail, qui nécessite là encore une main-d’œuvre nombreuse, devrait être accompli une fois par an. Il en est de même pour le désherbage. Selon l’intensité des pluies, les hommes coupent l’herbe plus ou moins rase à l’aide d’une machette. Cela permet à la fois de nourrir le sol, les herbes formant un humus de couverture, et de faciliter le passage des ouvriers dans les caféières. On effectue ce travail deux à quatre fois par an et en tout cas au moins une fois avant la récolte.
51La nécessité d’épandre des engrais chimiques varie selon l'âge de la plantation. On utilise aussi les déchets de pulpe du café pour les jeunes plants. Seuls les paysans du café utilisent de l’engrais naturel. Rares sont les grandes plantations, pratiquant à la fois le café et l’élevage, où l’on répande du fumier dans les caféières. L’aspersion d’insecticide varie quant à elle selon les risques liés à l'altitude et aux épidémies du moment. En général, Don Agustín pulvérise des produits contre les nématodes (sorte de vers parasites favorisés par l’humidité) et autres insectes dévastateurs au moins une fois par an.
52Notre planteur prend également le soin de faire tailler, une fois dans l’année, les arbres d’ombrage. Ce travail, qui peut prendre plusieurs semaines selon la superficie et l’intensité du couvert végétal, est lourd et dangereux pour les ouvriers. Mais il est indispensable pour satisfaire les besoins des familles en bois d’œuvre et pour faire fonctionner l’usine à café.
LA DOUBLE FIGURE DES RANCHEROS : À LA FOIS OUVRIERS ET VILLAGEOIS
53Dans toutes les fincas du pays, le statut d’ouvrier agricole permanent confère un certain nombre de droits et d’obligations prévues par le code du travail qui fut promu en 1947. Mais ces règles légales coexistent avec des usages qui ne figurent dans aucun code. Ces usages, qui varient d’une finca et d’une région à l’autre, sont présentés comme des prérogatives par les planteurs. Pour les villageois, il s’agit de droits qui se fondent sur la parole donnée. Contrairement aux lois du travail, les règles coutumières sont bien connues de tous les habitants des fincas. De manière générale, les planteurs se montrent infiniment plus respectueux de la coutume que du code du travail – par ailleurs fort peu contraignant.
Le statut d’ouvrier permanent
54Par travailleur permanent (permanentes), le code du travail entend les personnes qui bénéficient d’un contrat de travail à durée indéterminée et qui sont déclarées à la Sécurité sociale (cf. tabl. xii). Pour ce faire, les planteurs retiennent 6 % du salaire mensuel de chaque ouvrier et prennent à leur charge une somme équivalente pour couvrir le reste de la cotisation. Le salaire des permanents est fixé par la loi : entre 1987 et 1989, il se montait à 180 Quetzales par mois (environ 243 FF), soit à 6 Quetzales par jour (un peu plus de 8 FF). Ce salaire minimum est inférieur à celui des ouvriers de l’industrie ou du bâtiment. En principe, les permanents ont également droit à 10 jours de congés payés par an. À cette occasion, souvent à Pâques, on leur verse des étrennes (environ 10 % du montant du salaire minimum). Les permanents ont aussi droit à 12 jours de congés maladie par an. De surcroît, un ouvrier licencié reçoit une indemnisation (équivalant au montant du salaire minimum en vigueur multiplié par le nombre d’années d’ancienneté). Enfin, les ouvriers peuvent partir en retraite anticipée à l’âge de 60 ans, à moins qu’ils ne continuent à travailler jusqu’à l’âge de 65 ans. Dans les deux cas, ils reçoivent une allocation de retraite d’environ la moitié du salaire minimum. En tenant compte des charges sociales, un ouvrier permanent coûte un peu moins de 200 Quetzales (270 FF) par mois à son employeur. À la finca Los Angeles, la somme d’argent dépensée mensuellement pour payer les 45 ouvriers permanents (16 Juanatecos et 29 Costeños) se monte à 9000 Quetzales (soit 12150 FF)7.
55L’école est aussi un droit pour tous les enfants âgés de moins de 15 ans dont le père est ouvrier permanent8. L’entretien de l’école est à la charge des planteurs. Le salaire des instituteurs est pris en charge par le ministère de l’Éducation et les plantations. Néanmoins, si les finqueros souhaitent disposer d’un maître d’école non fonctionnarisé, ils doivent lui verser la totalité de son salaire.
56En principe, les soins médicaux sont dispensés dans des Centres de Santé » qui dépendent directement du ministère. Mais la précarité des services fournis est extrême. Le plus souvent, ouvriers et planteurs doivent mettre ensemble, dans des proportions égales, « la main à la poche » pour payer les consultations coûteuses de médecins indépendants et de leur choix.
57Enfin, le statut d’ouvrier permanent confère également le droit de se syndiquer, à condition toutefois que la plantation emploie au moins 20 ouvriers permanents – ce qui est presque toujours le cas. Mais, j’y reviendrai, ce droit est loin d’être respecté par les planteurs et pas toujours revendiqué par les ouvriers eux-mêmes.
58En contrepartie de ces droits sociaux, les permanents doivent travailler 8h par jour pendant 6 jours de la semaine. La journée de travail commence cependant très tôt : 6 h du matin pendant la saison des pluies et 7 h pendant la saison sèche. Elle est interrompue par deux pauses de durée inégale. La première, pendant la matinée, dure environ une demi-heure et donne l’occasion aux ouvriers de prendre le petit-déjeuner ; la seconde, vers midi, leur permet de déjeuner en une heure environ. Dans les deux cas, la nourriture est amenée dans les caféières par les épouses ou les jeunes filles des permanents. Le menu des rancheros est invariable : haricots noirs, tortillas, café et, seulement le dimanche, des tantales9. Un œuf cuit sur le plat vient parfois agrémenter l’ordinaire. À quelques nuances près, ce régime alimentaire est celui de tous les rancheros du pays. Il compte en tout cas parmi les plus pauvres d’Amérique centrale.
Tableau XII. Droits sociaux des ouvriers permanents.
Salaire minimum | 180 Quetzales | 243 FF |
Sécurité sociale | ||
Septième jour | ||
Congés payés (10 Jours) | ||
Congé maladie (12 Jours) | ||
Étrennes (une fois l’an) | 72 Quetzales | 97 FF |
Allocation retraite | 90 Quetzales | 121,50 FF |
Indemnités de licenciement | Variables | Variables |
59À l’échelle du pays, les lois les plus élémentaires ne sont pas toujours respectées. Dans une plantation du San Marcos, j’ai vu que l’on verse des étrennes aux ouvriers, mais qu’on ne leur paye pas leurs congés annuels, prétextant que les premières y suffisent. Dans une plantation caféière du département de Santa Rosa, le propriétaire impose la dispersion de l’habitat aux ouvriers afin de ne pas être obligé de construire une école pour les enfants. Le prétexte du planteur est que les gens « doivent vivre sur leur lieu de travail » et que, compte tenu de la superficie de l’exploitation, « l’école, s’il y en avait une, serait trop loin de chacun des campements ». Il en est de même pour les congés payés et le septième jour de la semaine. En Alta Verapaz, un grand planteur ne fait travailler ses ouvriers que quatre jours par semaine pour ne pas avoir à leur payer le jour de repos hebdomadaire. Celui-ci, en effet, ne devient obligatoire que si les ouvriers travaillent cinq jours d'affilée. À ma connaissance, les jours de repos et les congés payés sont régulièrement offerts aux familles rancheras de la Costa Cuca.
60Sans doute faut-il préciser que, dans la plupart des fincas de café, le statut d’ouvrier permanent n’est accessible qu’aux hommes. Le fait de donner un travail temporaire à une femme est même souvent présenté comme un régime de faveur. Certes, cette situation d’ensemble n’exclut pas que des activités soient réservées aux femmes, comme l’entretien de la pépinière par exemple. Mais ce type de spécialité, souvent justifié par des arguments empruntés au registre de la sexualité, concerne une minorité de femmes. Dans la plupart des fincas, elles constituent toujours une main-d’œuvre d’appoint et de remplacement10.
Les prérogatives des villageois
61Indépendamment du droit écrit, il existe donc dans les plantations des coutumes qui échappent au code du travail. Ces règles, qui changent d’une finca à l’autre, ne sont pas toujours inspirées par le planteur, mais résultent souvent de divers compromis. Le plus souvent, le compromis s’établit entre le planteur et les ouvriers, quelle que soit leur origine. D’autres fois, mais c’est plus rare, il s’agit de compromis entre les ouvriers des deux campements. Dans tous les cas, je montrerai plus loin que le planteur se doit de prendre en compte des contraintes d’origine extérieure provenant des mouvements politiques, économiques, sociaux, religieux et culturels divers qui structurent la société globale.
62À la finca Los Angeles, chaque famille de résidents est placée sous la responsabilité matérielle et morale de son » chef » encore appelé « logeur ». Aux yeux du planteur, c’est l’ouvrier permanent qui est responsable des personnes qui vivent sous son toit. Si l’une d’entre elles faillit aux règles de la plantation, c’est donc sur le chef de famille que rejaillit la faute. Selon la gravité de celle-ci, il peut avoir à payer de son emploi.
63En principe, le droit à disposer d'un logis revient donc à tous les ouvriers permanents de sexe masculin. Mais ce droit s’accompagne d’une règle en théorie incontournable. Chaque rancho ne peut en effet abriter qu’un seul ouvrier permanent à la fois. En conséquence, un jeune homme ne peut parvenir à cette fonction que lorsque celle de son père, ou de son logeur, se libère. La plantation n’attribue donc qu’un poste d’ouvrier permanent par rancho et par famille. À l’inverse, tous les ouvriers licenciés doivent quitter la finca avec l’ensemble de leurs corésidents. Ils remettent ainsi leur ancien logis à la disposition de Don Agustín. En dépit de ces principes, on constate que la finca Los Angeles compte 50 ranchos pour 55 ouvriers permanents répartis entre deux campements. Cet écart montre bien que le planteur ne peut pas rigoureusement contrôler le ratio emploi/résidence.
64Chaque rancho, on l’a dit, est doté d’un petit jardin. Les familles en font cependant un usage extrêmement varié. Depuis quelques années, Don Agustín a interdit aux rancheros de faire pousser des bananiers qui risquent, selon lui, de provoquer des maladies dans les caféières. En dehors de cette interdiction, le planteur demande aux familles de ne pas avoir plus d’une dizaine d’animaux de basse-cour à la fois et, surtout, de ne pas élever de cochon, ceux-ci pouvant provoquer des dégâts dans les caféières. Mais, encore une fois, la réalité est tout autre. Plusieurs familles ont en effet aménagé des petits enclos de bambous pour élever cochons et volailles. Par ailleurs, quelques familles développent des activités commerçantes dans le cadre des ranchos : buvettes, confection textile, fabrication de savons...
65Le droit au logement s’accompagne de celui d’utiliser les rivières qui reviennent à chaque campement. Situées en contrebas des rancherías, elles sont essentielles à la vie domestique. Leur fréquentation favorise également, on le montrera en détail, une sociabilité féminine qui échappe au regard du planteur et des hommes en général. De même, les villageois ont le droit de disposer chaque année d’une certaine quantité de bois mort. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres fincas de la région, ce bois provient des caféières et non de l'espace forestier. Enfin, chaque ouvrier permanent se voit récompensé d’un sac de café pergamino chaque année après la récolte. Son volume, dit-on, permet de préparer deux bols de café par jour pour le chef de famille pendant un an.
Changements et continuité chez les rancheros : retour sur la petite histoire de l’exploitation
66Jusque dans les années soixante, la distribution hebdomadaire ou bimensuelle de rations alimentaires aux ouvriers permanents et temporaires était fréquente dans la région. Des témoins de l’époque affirment que ces rations étaient insuffisantes et, surtout, que les patrons sans scrupules profitaient de l’occasion pour retenir abusivement de l’argent sur les salaires. En général, la distribution de rations alimentaires allait de pair avec l’existence d’une boutique patronale où les ouvriers pouvaient se procurer les vivres qui leur manquaient, payables en bons et à des prix exorbitants. Sur la Costa Cuca, les rations alimentaires, les boutiques patronales et l’usage de monnaie non convertible – qui sont organiquement liées – ont aujourd’hui disparu ou ne subsistent que sous une forme résiduelle et temporaire.
67À la finca Los Angeles, l’usage de bons n’est plus en vigueur depuis 1922. La boutique patronale, quant à elle, a été fermée par le père de s dans les années cinquante » afin que les rancheras puissent vendre elles-mêmes des aliments aux ouvriers de passage et en retirer tous les bénéfices ». C’est à cette époque que fut ouverte la première buvette de la finca. Aujourd’hui, les trois buvettes du Campement du Bas ne peuvent pas vendre de produits alimentaires aux ouvriers. Toutefois, cela n’empêche pas les commerçants de fournir, à titre exceptionnel et en secret, quelques produits alimentaires de première nécessité achetés au marché du village voisin (Colomba). Parfois, les commerçants avancent également de l'argent à leurs clients. Néanmoins, l’endettement d’un ouvrier n’est jamais très important et, surtout, il n’est pas compensable en travail.
68En réalité, la boutique patronale, le système de la monnaie non convertible et les rations alimentaires – qui étaient destinés à fixer les ouvriers dans les plantations en favorisant leur endettement – sont progressivement devenus superflus. L’augmentation démographique dans les fincas et les populations qui ont migré sur la côte dans les années cinquante ont en effet favorisé l’émergence d’un sous-prolétariat local prêt à vendre sa force de travail à n’importe quelle condition. La nécessité de fixer les ouvriers par des moyens coercitifs ne se justifiait donc plus, compte tenu de l’extrême abondance de la main-d’œuvre dans et à la périphérie des plantations. En abandonnant ces procédés impopulaires, les finqueros consolidaient également l’image qu’ils souhaitaient donner d’eux-mêmes d’entrepreneurs capitalistes ayant rompu avec des relations de travail féodales.
69Enfin, l’intérêt que les planteurs de la Costa Cuca portent aux conditions quotidiennes d’existence des ouvriers s’est considérablement accru depuis quelques années. Je montrerai plus loin que cette attitude coïncide avec l’émergence des revendications de la guérilla qui est apparue dans la région au début des années quatre-vingt. L’état général d’une ranchería et les conditions d’existence dans une plantation ne résultent donc pas du seul bon vouloir des planteurs, mais plutôt, sans que les ouvriers s’en doutent eux-mêmes, elles renvoient à des dynamiques qui leur échappent. Loin d’agir dans un univers fermé au monde extérieur, les finqueros sont sans cesse confrontés à des contraintes et à des acteurs allogènes à la plantation auxquels ils doivent parfois se soumettre.
Notes de bas de page
1 « Casque de finca : partie dans laquelle une propriété rurale comprend les logements, bureaux et installations industrielles » (Armas, 1991 : 39).
2 Les graines vertes sont mises de côté par les cueilleurs dans les caféières et descendues dans des sacs distincts des graines mûres. On les laisse mûrir une semaine avant de les transformer. Le ramassage du café vert n’est pas toujours compté aux cueilleurs. Il leur rapporte, quoi qu’il en soit, toujours moins que le café mûr.
3 Dans le chapitre 6, je montrerai comment les ouvriers du beneficio se répartissent le travail et, surtout, comment ils le perçoivent, notamment par rapport au travail dans les caféières.
4 L’usage de se découvrir est également en vigueur entre ouvriers. On raconte qu’un ouvrier qui ne se découvre pas lorsqu’il entre dans la maison d’un voisin signifie qu’il couche avec la femme de celui-ci et, par conséquent, qu’il le défie ouvertement.
5 Tant parmi les planteurs que les ouvriers, de nombreuses anecdotes circulent sur les unions illégitimes et les droits de cuissage. Les planteurs ont coutume de rappeler que commettre l’adultère est un acte particulièrement dangereux pour eux tant la jalousie des femmes indiennes, comme des femmes costeñas, est redoutable. Ils racontent à cet égard que les premières utilisent des poisons tandis que les secondes préfèrent la machette pour se venger de leurs époux infidèles
6 Y. Chevalier estime que le couvert forestier ne représentait plus que 28 % de la surface du pays en 1986 contre 88 % au xvie siècle, ce qui signifie que le rythme de la déforestation à l’échelle du pays est d’environ 900 km2 par an (1987 : 148).
7 Si l’administrateur, les surveillants et le chauffeur sont également des « permanents », ils occupent cependant des fonctions à part sur lesquelles je vais revenir.
8 La scolarisation des enfants des ouvriers temporaires, en revanche, n’est pas obligatoire.
9 On appelle tamal la pâte de maïs – qui sert à préparer les tortillas – cuite dans une feuille de mashán (arbre d’identification inconnue) ou de bananier. Lorsqu'il est fourré aux légumes ou à la viande, le tamal est un véritable plat de fête
10 Dans les plantations de canne à sucre étudiées par Bossen, des femmes occupent des postes fixes et bénéficient des prérogatives qui s’y rattachent (1984 : 140). Mais ces femmes, même dans les ingenios les plus modernes, restent très minoritaires.
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