Annexe 9. Les effets de l’exposition au méthylmercure chez les adultes
p. 373-389
Texte intégral
INTRODUCTION
1Les effets toxiques de l’absorption de méthylmercure sur la santé ont été décrits pour la première fois en 1940 par des chercheurs anglais, à la suite de l’exposition, par inhalation, de quatre travailleurs d’une usine de fabrication de fongicides. Les symptômes principaux d’intoxication comprenaient des sensations de brûlure et de picotement aux extrémités des membres et autour de la bouche (paresthésie), une réduction concentrique du champ visuel, un affaiblissement de l’ouïe, des pertes de coordination (ataxie) et des difficultés d’élocution (dysarthrie) (Hunter et al., 1940 ; Inskip et Piotrowski, 1985). La connaissance des effets de l’exposition environnementale au méthylmercure sur la santé humaine est toutefois récente et fortement liée à l’étude des catastrophes de Minamata et Niigata (Japon) et d’Irak.
2Au Japon, dès 1956, la contamination des produits de la pêche par des effluents industriels fut la cause de l’intoxication sévère d’habitants de deux villages côtiers, où initialement 46 personnes décédèrent (Harada et Smith, 1975). Une meilleure connaissance de la maladie, de même que l’observation d’une période de latence pouvant atteindre plusieurs années (WHO, 1976, 1990), ont depuis permis de confirmer que plus de 2 200 personnes ont été victimes de l’exposition au méthylmercure (Harada, 1992 ; Eto, 1997). Plus de 40 ans après, on continue à documenter de nouveaux cas (Harada, 1995 ; Kinjo et al. 1993 ; Ninomiya et al., 1995 ; Takeuchi et al., 1996).
3Le second grand désastre eut lieu en Irak, à l’automne de 1971, quand la contamination de grains utilisés pour l’alimentation par un fongicide à base de méthylmercure provoqua un empoisonnement massif de la population. Plus de 6 000 personnes furent hospitalisées et au moins 450 d’entre elles décédèrent (Bakir et al., 1973). Une forme de paresthésie, qui consiste en une sensation de brûlure et de picotement autour de la bouche et aux extrémités des membres, a été établie comme étant la première atteinte à se manifester chez 5 % des personnes exposées présentant un taux de mercure dans les cheveux d’au moins 50 µg/g (WHO, 1990).
4Ce n’est que récemment que des recherches ont été entreprises sur les effets de l’exposition à long terme à des niveaux plus bas de méthylmercure, découlant de la consommation fréquente, et souvent quotidienne, de poissons contaminés au méthylmercure. Les premières études réalisées dans le Nord canadien, chez les autochtones, donnèrent des résultats équivoques (Health and Welfare Canada, 1979 ; Wheatley et al., 1979 ; McKeown-Eyssen et Ruedy, 1983 a et b ; Spitzer et al., 1988). Les dernières, menées en Amazonie brésilienne, montrent une détérioration des fonctions visuelle et motrice en lien avec le niveau de mercure dans les cheveux, en deçà de 50 µg/g chez les adultes (Lebel et al., 1997, 1998 ; Dolbec et al., 2000) et chez les enfants (Grandjean et al., 1999).
5Nous examinerons d’abord l’absorption, la distribution et l’élimination du méthylmercure dans l’organisme humain, puis les mécanismes de toxicité et les effets sur la santé, en nous attachant particulièrement aux études effectuées chez les populations adultes en Amazonie. Enfin, nous replacerons ces données dans un cadre d’analyse permettant de proposer une stratégie d’intervention préventive.
ABSORPTION, DISTRIBUTION ET ÉLIMINATION DU MÉTHYLMERCURE
6L’ingestion d’aliments contenant du méthylmercure constitue la voie la plus importante pour l’assimilation de ce toxique. À la suite de la consommation de nourriture contaminée, plus de 90 % du méthylmercure est absorbé à travers la paroi gastro-intestinale et transféré rapidement dans la circulation sanguine (Berlin, 1986). Quatre-vingt-quinze pour cent du mercure dans le sang se trouve dans les globules rouges (WHO, 1990) et peut alors être diffusé dans tout l’organisme en un délai de quatre jours (Clarkson et al., 1988). Son accumulation dans les divers organes s’effectue suivant différents degrés d’affinité.
7Le cerveau présente une affinité particulière pour le mercure organique. On y retrouve des concentrations trois à six fois supérieures à celles des autres organes (Berlin, 1986) et on estime le rapport des concentrations de mercure cerveau/sang à environ six chez l’humain (WHO, 1990). Le méthylmercure traverse la barrière hémato-encéphalique, empruntant un système de transport analogue à celui d’un acide aminé neutre, ce qui permet sa diffusion dans le cerveau et l’expression de sa toxicité (Aschner et Aschner, 1990). La figure 1 présente un schéma du transport et du métabolisme du méthylmercure.
8Des études sur des singes montrent que, après une brève exposition au méthylmercure, la forme méthylée est prédominante dans l’ensemble des structures cérébrales (Vahter et al., 1994). Cependant, lors d’une exposition prolongée, la forme dominante est le mercure inorganique (Vahter et al., 1994). Dans le cerveau de victimes de Minamata, longtemps après que l’exposition eut cessé (26 ans), on a observé uniquement la présence de mercure inorganique (Takeuchi et al., 1989). Les cellules responsables et le site de cette transformation du mercure organique vers la forme inorganique sont encore mal connus. Cette observation de la déméthylation endogène du mercure organique dans le cerveau, après une exposition prolongée, pourrait signifier que, dans les cas d’exposition à long terme au méthylmercure, la toxicité se révèle par les mécanismes d’action du mercure inorganique et non par la forme organique d’origine (Charleston et al., 1994, 1996 ; Vahter et al., 1994).
9Le processus de déméthylation se produit également dans d’autres parties du corps. En fait, une partie du méthylmercure absorbé peut être convertie en mercure inorganique par des mécanismes endogènes de transformation au niveau des divers organes. Le sang étant constamment détoxifié par le foie, le méthylmercure et le mercure inorganique rejoignent cet organe où, liés au glutathion ou à des peptides sulfurés, ils sont libérés dans la bile. Le processus d’élimination débute par la sécrétion dans la bile du mercure organique et inorganique. La portion inorganique, très faiblement assimilable par la membrane intestinale, sera directement éliminée par voie fécale. La portion organique sécrétée dans l’intestin est en partie déméthylée par la microflore intestinale et excrétée ; une proportion élevée est cependant remise en circulation (Clarkson, 1992). Les selles constituent donc la voie par laquelle plus de 90 % du méthylmercure absorbé sera éliminé. Il faut y ajouter l’élimination marginale par l’urine, la sueur et les cheveux.
10Le mercure retenu dans les cheveux est métaboliquement stable car, dès leur sortie, ceux-ci se kératinisent (Clarkson et al., 1988), de sorte que la mesure du mercure contenu dans les cheveux constitue un bio-indicateur d’exposition de choix, utilisé dans des études de contamination environnementale. Il s’est révélé valide et précis pour évaluer l’exposition humaine au méthylmercure. Sachant que les cheveux poussent à une vitesse d’environ 1 cm par mois, des analyses séquentielles permettent de dresser un tableau de l’exposition des dernières années (Lebel et al., 1997 ; Dolbec et al., 2001 ; Boischio et Cernichiari, 1998).
11Le taux d’excrétion quotidien du méthylmercure est d’environ 1 % de la dose ingérée et sa demi-vie biologique est, approximativement, de 70 jours, ce qui explique sa forte persistance chez l’humain consommant régulièrement des aliments pollués. Un modèle proposé par le WHO suggère que l’état d’équilibre entre l’absorption et l’élimination serait atteint après un an d’exposition continue à la même dose. En conséquence, en état d’équilibre, la présence d’une concentration endogène de méthylmercure 100 fois supérieure à la dose ingérée quotidiennement peut être prédite (WHO, 1990).
MÉCANISMES DE TOXICITÉ ET EFFETS SUR LA SANTÉ HUMAINE
12Au Japon et en Irak, l’ingestion d’aliments contaminés ne provoqua l’apparition d’aucun signe clinique de toxicité chez l’humain avant une période pouvant aller de quelques semaines à plusieurs années (WHO, 1990). Les raisons de ce délai demeurent toujours inconnues. L’inhibition de la synthèse protéinique neuronale, antérieure à l’observation de signes cliniques d’intoxication, est l’hypothèse la plus documentée depuis les travaux de Yoshino et al. (1966).
13L’accumulation de méthylmercure dans le cerveau, observée chez les adultes victimes d’une intoxication, entraîne des dommages très focalisés sur la structure cérébrale, au niveau du cortex visuel (fissure calcarine), des cellules granulées du cervelet (région du sulci) et du gyrus postcentral (WHO, 1990 ; Korogi et al., 1994 ; Eto, 1997). Les raisons de cette localisation spécifique des dommages sont mal connues. Parmi les hypothèses découlant d’expériences sur le modèle animal, on citera l’incapacité de certaines cellules neuronales, particulièrement les cellules granulées, à effectuer la réparation des dommages causés par le méthylmercure (Syversen, 1977). Il est également possible que les petits neurones cérébraux soient plus vulnérables à ces agressions en raison de leur quantité limitée de cytoplasme et de leur faible capacité de synthèse protéinique pour réparer des dommages (Jacobs et al., 1977). Le système nerveux périphérique présente aussi une dégénérescence des fibres nerveuses sensorielles des extrémités, avec démyélinisation et augmentation du collagène résultant de la réparation incomplète et irrégulière de ces fibres (Harada, 1995).
14Dans le cortex visuel et le thalamus des singes, on a observé une augmentation du nombre des cellules microgliales réactives à la suite de l’exposition à de faibles doses de méthylmercure (Charleston et al., 1994, 1996). Les cellules microgliales sont généralement reconnues comme étant phagocytiques et leur induction est attribuée à une réponse visant à enlever des débris cellulaires. Il est possible que les astrocytes qui sont morts et qui contiennent beaucoup de mercure soient éliminés par les cellules microgliales. La localisation des astrocytes à l’interface des neurones et de la barrière hémato-encéphalique rend ces cellules particulièrement vulnérables à l’accumulation du mercure (Aschner, 1996 ; Aschner et al., 2000). On peut également postuler que les cellules gliales réactives s’activent à expulser le mercure disponible dans le milieu extracellulaire (Charleston et al., 1994, 1996).
15Le fœtus est beaucoup plus sensible que l’adulte à l’exposition et les dommages provoqués au cerveau en développement sont plus généraux. Le mercure organique traversant la barrière placentaire s’attaque de façon diffuse à la cytoarchitecture du cerveau (Burbacher et al., 1990 ; Chang, 1977). Le cytos-quelette des neurones serait endommagé par la dépolymérisation des structures microtubulaires qui sont essentielles à la division cellulaire et à la migration neuronale. Les enfants nés de mères fortement exposées peuvent être victimes de paralysie cérébrale, comme ce fut le cas au Japon et en Irak (WHO, 1990). À de plus faibles doses maternelles, les signes de toxicité peuvent se manifester par des retards moteurs et mentaux (WHO, 1990 ; McKeown-Eyssen et Ruedy, 1983). Des études en cours sur les effets de L’exposition au méthylmercure in utero sur le développement des enfants sont discutées plus en détail dans l’annexe 10.
16Les accidents japonais et irakien ont permis d’établir une gradation dans l’apparition des symptômes cliniques liés à l’exposition au méthylmercure. Les premiers effets cliniques chez l’adulte se caractérisent par des altérations non spécifiques des fonctions somatosensorielles, visuelle, auditive et de celles concernant la coordination des mouvements, qui sont principalement sous le contrôle du cervelet (WHO, 1990). Généralement, au début de l’apparition des symptômes, l’individu perçoit des sensations de brûlure et de picotement aux membres et autour de la bouche (paresthésie), une sensation de malaise et une vision embrouillée. Par la suite, il y a aggravation des atteintes, avec une réduction concentrique du champ visuel, un affaiblissement de l’audition, des pertes de coordination (ataxie) et des difficultés d’élocution (dysarthrie) (Inskip et Piotrowski, 1985 ; WHO, 1990). Outre le système nerveux central, le système nerveux périphérique peut être atteint lors de fortes expositions. Il est alors possible de détecter une faiblesse musculaire, comme ce fut le cas en Irak (Bakir et al., 1973). En phase ultime, l’individu fortement exposé tombera dans un coma fatal. Le caractère non spécifique des premiers symptômes d’altération et leur apparition progressive après une période de latence posent des difficultés diagnostiques pour la reconnaissance d’une intoxication au méthylmercure (Inskip et Piotrowski, 1985).
17Il n’a pas été possible d’établir avec précision les relations dose-effet entre les altérations de la santé et l’exposition dans le cas des contaminations de Minamata et de Niigata. La période nécessaire à la reconnaissance de l’origine de l’intoxication, de même que l’imprécision des méthodes d’analyse de l’époque, n’ont permis évaluer qu’à partir de 1960 les niveaux de mercure dans les cheveux des victimes. Ces niveaux pouvaient atteindre 700 ppm (Harada et Smith, 1975). Seule une faible relation entre la dose et le développement de la maladie fut observée chez des individus adultes de Niigata. On estime qu’une concentration de mercure dans les cheveux variant de 82 à 100 µg/g représente la concentration seuil pour le développement des premiers symptômes cliniques de la maladie de Minamata (paresthésie) (WHO, 1990).
LES ÉTUDES EN AMAZONIE
18Ces dernières années, une série d’études a porté sur les effets du méthylmercure sur le système nerveux des populations riveraines en Amazonie brésilienne, plus particulièrement dans la région du Tapajós, où les niveaux d’exposition, comme en témoignent les concentrations de mercure dans les cheveux, sont de beaucoup inférieures à ce qui fut observé lors des désastres japonais et iraquien (Lebel et al., 1996, 1998 ; Dolbec et al., 2000). En revanche, le profil d’exposition de cette population, dont le régime alimentaire est à base de poisson, montre que l’exposition à de faibles doses est constante (Lebel et al., 1997 ; Dolbec et al., à paraître), et qu’elle commence in utero (Boischio et Cernichiari, 1998).
19Les études menées chez les populations amazoniennes portent non pas sur la présence de signes cliniques de la maladie de Minamata, mais sur les atteintes précoces au système nerveux, évaluées à l’aide d’épreuves fonctionnelles validées, qui fournissent des informations précises et quantitatives. En fait, durant ces vingt dernières années, l’étude des effets neurotoxiques précoces a connu un essor important (Anger et al., 1993 ; Iregren et Gamberale, 1990 ; Mergler, 1998 ; Johnson et al., 1987 ; Weiss, 1996 ; Stephens et Barker, 1998). Ce type d’étude vise à évaluer la détérioration des fonctions nerveuses chez des populations exposées aux substances toxiques, en amont de la maladie où l’atteinte au système nerveux est, dans la plupart des cas, irréversible. Des batteries de tests des fonctions motrices, sensorielles, cognitives et émotionnelles ont été développées et validées afin de mesurer le degré d’atteinte (Amler et al., 1995 ; Anger et al., 1993, 1994 ; Letz, 1990 ; Johnson et al., 1987 ; Hartman, 1988 ; Mergler, 1998). Le profil de la diminution neurofonctionnelle en lien avec l’exposition reflète les effets des substances toxiques sur le système nerveux. La mise en évidence d’une telle relation permet d’intervenir de façon préventive. Dans les études menées en Amazonie, le choix des fonctions évaluées reposait sur les connaissances en neurotoxicité du méthylmercure et les signes et symptômes de la maladie de Minamata, ainsi que sur les limites contextuelles – il s’agit de populations peu éduquées, vivant dans des lieux retirés, avec un accès limité à l’électricité.
20Les populations riveraines ayant participé aux trois études en Amazonie présentent des caractéristiques similaires (tabl. I). La première étude, qui était davantage une étude de faisabilité et fournissait des résultants préliminaires, portait uniquement sur des personnes âgées de moins de 35 ans, les niveaux de scolarisation n’ayant pas été rapportés. Les concentrations de mercure dans les cheveux sont similaires à celles observées dans d’autres régions amazoniennes (Akagi et al., 1995 ; Barbosa et al., 1998 ; Boischio et Cernichiari, 1998 ; Boischio et al., 1995 ; Grandjean et al., 1993 ; Leino et Lodenius, 1995 ; Malm et al., 1990, 1995 ; Palheta et Taylor, 1995).
21Les résultats de ces études ont permis de mettre en évidence des relations dose-effet pour des mesures de motricité, notamment la coordination et la rapidité des mouvements fins (Lebel et al., 1996, 1998 ; Dolbec et al., 2000), ainsi qu’une relation entre le niveau de mercure dans les cheveux et la perte de sensibilité aux contrastes visuels (Lebel et al., 1996, 1998). La figure 2 illustre la relation entre le niveau de mercure et la performance dans une épreuve de coordination et de dextérité manuelle, évaluée à l’aide du test de Santa Ana (version Helsinki)1. La performance, ajustée pour les effets de l’âge, de l’éducation, du sexe, de l’alcool et de l’arthrite à l’aide de la méthode des covariances, montre une diminution significative en relation avec le niveau de mercure dans les cheveux. Les données des autres épreuves motrices (Fingertapping, Grooved Pegboard) dans cette étude (Dolbec et al., 2000) et dans les études antérieures (Lebel et al., 1996, 1998) vont dans le même sens.
22Dans le cadre des deux dernières études citées, le Dr Fernando Branches, médecin de la région du Tapajós, qui fut formé à Minamata pour évaluer de façon clinique la maladie de Minamata, a pu examiner des sous-populations issues de chacune d’elles et les soumettre à des tests neurologiques. À l’examen habituel, il a ajouté l’évaluation d’une tâche complexe de coordination motrice, avec un mouvement faisant alterner les mains sur les genoux (Branches Alternate Movement Task, BAMT), illustré dans la figure 3. Les résultats des examens cliniques ont indiqué que, pour la plupart, l’examen neurologique se révélait normal. Toutefois, des prévalences élevées ont été constatées pour l’hyperréflexie, la réduction du champ visuel et les mouvements désorganisés au BAMT (tabl. II). Seuls ces derniers présentent un lien avec le niveau de mercure dans les cheveux (tabl. III). Les données sur la régression linéaire montrent que l’âge des individus, leur village d’appartenance et la teneur en mercure dans leurs cheveux supérieure à 20 µg/g expliquent les résultats.
23En Amazonie, les recherches ont également porté sur la relation entre l’exposition au méthylmercure et des propriétés cytogénétiques des lymphocytes (Amorim et al., 2000). Les résultats suggèrent une baisse de l’indice mitotique en lien avec le niveau de mercure dans les cheveux. La figure 4 illustre la relation observée.
UNE APPROCHE PRÉVENTIVE EN AMAZONIE
24Les recherches menées en Amazonie montrent que, même en l’absence de signes cliniques, le méthylmercure auquel les populations sont exposées altère le fonctionnement du système nerveux, particulièrement les fonctions de la vue et de la coordination motrice. Ce profil d’atteinte est conforme aux connaissances provenant des études expérimentales et des recherches sur la maladie de Minamata. Les relations dose-effet observées dans ces études servent d’indicateurs pour évaluer l’impact du méthlymercure sur le cerveau.
25Les résultats obtenus suggèrent que la relation entre l’exposition et la santé se présente selon un continuum dont le début se situe avant les manifestations de la maladie, les dommages augmentant avec l’exposition cumulée ; les populations amazoniennes se trouveraient à l’heure actuelle aux premiers stades (fig. 5). Toutefois, nous ne connaissons pas les facteurs, autres que l’exposition, qui déterminent la vitesse d’avancement le long de ce continuum. Certes, on pourrait s’attendre à ce que l’état des personnes les plus vulnérables, pour des raisons de santé, d’habitudes de vie ou de susceptibilité génétique, progresse plus rapidement, rendant le diagnostic différentiel de ta maladie plus difficile. Un autre problème ressort des études sur les animaux et des recherches sur les personnes souffrant de la maladie de Minamata, à savoir un certain délai constaté dans l’apparition des atteintes (Rice, 1996, 1998).
26Un des avantages de l’évaluation des effets précoces est la possibilité d’identifier une situation de risque à un moment où l’atteinte est encore réversible ou stable. Dans le cas des populations amazoniennes, une étude pilote a été entreprise auprès des habitantes d’un village du Tapajós pour tenter, dans le cadre d’une recherche participative, de réduire l’absorption de mercure, tout en maintenant la consommation de poisson. Plusieurs actions permettant aux villageois de mieux comprendre les résultats des études sur la source du mercure, la contamination différentielle des poissons et les effets sur la santé ont été organisées au sein du village. Ceux qui avaient participé à l’étude de 1995 ont été réévalués en 2000, à la même saison. Les résultats obtenus pour les mêmes tests neurologiques seront mis en relation avec leurs taux de mercure passés et du moment. Si les résultats s’avèrent positifs, cette étude pourrait servir de modèle pour de futures actions à travers la région amazonienne.
CONCLUSION
27Bien que la situation amazonienne ne soit pas encore comparable aux drames japonais et irakien, elle n’en est pas moins inquiétante. Cela pourrait signifier que des populations vivant loin des sites d’orpaillage et au cœur de zones déboisées sont exposées par leur alimentation au méthylmercure provenant des ressources halieutiques, qui constituent la base et fréquemment les seuls éléments du régime alimentaire. Compte tenu de la poursuite des activités d’orpaillage et de déforestation, et de la persistance du toxique dans l’environnement, il est impératif de dresser un tableau scientifiquement valide de la situation afin de pouvoir agir, si nécessaire, de façon préventive.
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Notes de bas de page
1 Le test de Santa Ana (version Helsinki) fait partie du Neurobehavioral Core Test Battery utilisé depuis 1985 pour évaluer les effets neuromoteurs associés à l’exposition aux substances toxiques (Johnson et al., 1987). Il a été validé à travers des recherches dans un grand nombre de pays (Anger et al., 1993, 1994).
Auteurs
Donna Mergler, directrice du centre d’études Cinbiose à l’université du Québec (Canada)
mergler.donna@uqam.ca
Jean Lebel, administrateur du programme Santé et Écosystème, Centre de recherches pour le développement international, Ottawa (Canada)
jlebel@idrc.ca
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