Synthèse – point 4. Quels risques pour la santé des populations amazoniennes ?
p. 40-46
Texte intégral
1L’alimentation des populations humaines, basée sur la consommation de poisson, est la source majeure de l’imprégnation par le méthylmercure. Cette forme toxique biocumulable atteint certaines fractions de la population autochtone déjà fragilisée par des conditions sanitaires précaires, aggravées par la présence de diverses maladies endémiques.
2La concentration de mercure dans le cheveu constitue l’indicateur pertinent de l’imprégnation individuelle par le méthylmercure. Une atteinte neurologique est observée au sein des populations amazoniennes les plus exposées.
3L’intoxication est double chez les orpailleurs, les raffineurs et les bijoutiers qui s’exposent en outre aux vapeurs de mercure au cours de leurs activités professionnelles. Leur voisinage n’échappe pas à cette seconde forme d’intoxication. L’indicateur dans ce cas est la concentration de mercure dans les urines.
LES POISSONS REPRÉSENTENT LA SOURCE ESSENTIELLE DE PROTÉINES POUR BEAUCOUP DE POPULATIONS AMAZONIENNES ET EN MÊME TEMPS LE PRINCIPAL SUPPORT DE CONTAMINATION PAR LE MEHG
4La contamination mercurielle de l’environnement amazonien affecte la santé des populations locales, à travers la consommation de poissons imprégnés de fortes quantités de Hg organique (MeHg) et l’exposition au Hg métallique utilisé dans les processus d’extraction et de purification de l’or. Ces deux formes toxiques du Hg qui, chez les humains, se différencient par leur voie d’absorption et par les effets cliniques qu’elles produisent sont à considérer séparément.
5La présence de MeHg dans le poisson fait courir un risque aux populations, adultes et enfants, lequel, comme on peut le prévoir, augmente avec la fréquence de la consommation de poisson. Or cette fréquence est très élevée, souvent quotidienne. La quantité moyenne de poisson consommée par les habitants d’Amazonie est estimée à 200 g par jour. Les consommations individuelles, et par conséquent les ingestions de MeHg, sont très variables. Elles dépendent de divers facteurs socio-démographiques, tels que les habitudes de vie des différentes populations, des groupes sociaux qui les composent, de l’âge et du sexe. Le groupe à plus haut risque est représenté par les pêcheurs et leur famille qui consomment en moyenne plus de poisson que le restant de la population (annexe 7). Ainsi, les recommandations alimentaires, qui se fondent sur l’équilibre à respecter entre les aspects bénéfiques et néfastes de la consommation de poisson, doivent tenir compte des différences constatées d’une communauté à une autre et au sein d’une même communauté.
6Les études menées en Amazonie sur la contamination des poissons, résumées dans l’annexe 4, indiquent que le niveau de Hg dans les poissons carnivores dépasse souvent 0,5 µg/g (poids frais). Ce taux de contamination, pour de nombreux gouvernements, représente un seuil critique, au-delà duquel la consommation de poisson présente un risque pour la santé humaine. Toutefois, cette valeur, visant à prévenir l’ingestion excessive de Hg, a été établie en fonction d’une consommation modérée de poisson, et non d’une consommation quotidienne, comme c’est le cas pour beaucoup de communautés amazoniennes. Le bien-fondé de cette norme est actuellement remis en question par plusieurs organismes de surveillance environnementale à travers le monde (annexe 11). Un abaissement de ce seuil critique est à prévoir. La France devrait d’autant plus en tenir compte qu’elle a ouvert une exception pour les prédateurs majeurs, pour lesquels elle a fixé un seuil de tolérance de 1 µg/g.
7Hormis certains animaux consommateurs de poisson pouvant contenir des teneurs élevées de MeHg, l’eau et les aliments d’origine terrestre, dans lesquels le Hg n’est présent qu’à l’état de traces, ne contribuent que très peu à la contamination alimentaire.
DES SIGNES D’ATTEINTE NEUROLOGIQUE PRÉCOCE SE MANIFESTENT AVEC D’AUTANT PLUS DE NETTETÉ QUE LES NIVEAUX DE HG DANS LES CHEVEUX SONT ÉLEVÉS
8La plupart de nos connaissances sur la toxicité du MeHg proviennent des deux grands désastres qui ont eu lieu au Japon et en Irak, respectivement en 1956 et en 1971. Dans les deux cas, les expositions ont été beaucoup plus intenses et plus brèves que celles qui sont rencontrées en Amazonie. Les problèmes de santé liés à l’exposition se manifestaient par des troubles d’ordre neurologique ayant pour principaux signes et symptômes des sensations de brûlure et de picotement aux extrémités des membres et autour de la bouche, une réduction concentrique du champ visuel, un affaiblissement de l’ouïe, des pertes de coordination et des difficultés d’élocution, pouvant mener à long terme au coma et à la mort. A l’heure actuelle, il existe peu de recherches publiées sur les effets toxiques pour les humains de l’exposition au MeHg en Amazonie. Toutefois, les études réalisées auprès des adultes (annexes 8 et 9) et des enfants (annexe 10) indiquent l’apparition de signes d’atteinte neurologique précoce qui se manifestent avec d’autant plus de netteté que les niveaux de Hg dans les cheveux sont élevés. Ces résultats sont conformes aux études réalisées chez les animaux et à nos connaissances sur l’action toxique du MeHg sur le cerveau.
9La concentration de Hg dans les cheveux, qui constitue un moyen efficace pour connaître l’exposition au MeHg, montre que les niveaux d’exposition chronique auxquels sont soumises les populations riveraines amazoniennes sont parmi les plus élevés au monde (annexe 7). Les nombreuses études qui ont été effectuées auprès de ces populations indiquent des niveaux moyens de Hg dans les cheveux se situant aux alentours de 10 µg/g. Toutefois, il existe des individus présentant des concentrations supérieures à 50 µg/g, particulièrement chez des pêcheurs et leur famille. Ces niveaux sont étroitement dépendants de la fréquence de consommation de poisson. A l’échelle mondiale, il est rapporté des valeurs moyennes allant de 1,4 µg/g pour une consommation hebdomadaire de poisson à 11,6 ug/g pour une consommation quotidienne.
10Le niveau de Hg dans les cheveux augmente ou diminue en fonction de la fréquence des repas à base de poissons et du taux de Hg dans ces poissons. Les personnes qui consomment principalement des poissons carnivores ont une imprégnation très supérieure à celles qui consomment plutôt des poissons herbivores. Dans la région amazonienne, le niveau de Hg dans les cheveux peut connaître des variations saisonnières et régionales, reflétant les espèces de poissons consommées et les habitudes alimentaires (annexe 7).
11Le MeHg possède la propriété de traverser la barrière placentaire, de sorte qu’il contamine le fœtus et le nouveau-né. Le niveau d’exposition de ces derniers reflète tout à fait celui de la mère. Il faut ajouter que les effets sur la santé des nouveau-nés sont plus néfastes que pour les adultes puisque leur barrière hémato-encéphalique est encore en formation et ainsi plus vulnérable au passage du MeHg vers le cerveau. Les atteintes toxicologiques sont plus sévères chez le fœtus lors de la formation des principaux organes, notamment celle du système nerveux. D’une façon générale, les jeunes enfants sont également plus sensibles à l’exposition au MeHg que les adultes (annexe 10).
12Les recherches en Amazonie indiquent que, même en l’absence de signes cliniques, le niveau de MeHg auquel les populations sont exposées modifie le fonctionnement du système nerveux. Elles mettent en évidence des atteintes neurologiques précoces touchant plus particulièrement les systèmes moteur et visuel à des concentrations d’imprégnation de Hg bien en dessous de 50 µg/g dans les cheveux, taux fixé à la suite des drames de Minamata et de l’Irak et considéré jusqu’à ce jour comme le seuil d’apparition des premiers signes cliniques. Ces résultats suggèrent que les effets du MeHg débuteraient bien avant que les symptômes de l’intoxication se manifestent. Ils contribueraient à expliquer le continuum observé dans le processus de détérioration de la santé. L’état actuel des connaissances ne permet pas de dire si les premiers effets observés sont réversibles, stables ou progressifs.
13Il faut ajouter que dans les communautés amazoniennes, qui vivent dans la pauvreté et entourées de maladies endémiques (paludisme, hépatites, parasitoses...), la neurotoxicité du Hg peut constituer un obstacle supplémentaire aux efforts d’amélioration de leur qualité de vie.
LE MERCURE MÉTALLIQUE, FORME CHIMIQUE DE L’EXPOSITION PROFESSIONNELLE
14Dans le secteur minier aurifère, l’exposition professionnelle provient principalement de l’inhalation de vapeurs de Hg. Les orpailleurs, les raffineurs et les bijoutiers sont les plus directement exposés. Les populations vivant au voisinage des sources d’émission sont également exposées dans la mesure où elles respirent un air enrichi en vapeurs de Hg. Les systèmes de prévention, tels que des masques, des appareils de ventilation, de récupération de Hg ou des vapeurs émises, sont, dans la plupart des cas, inexistants ou, au mieux, rudimentaires, en mauvais état et non entretenus. La situation est aggravée par le manque de connaissances techniques et l’ignorance de la toxicité du Hg. De plus, pour les exploitations artisanales et les petits groupes de mineurs, le coût des équipements protecteurs peut être trop élevé par rapport au peu de bénéfices qu’ils retirent de cette activité.
15Les vapeurs de Hg, une fois inhalées, sont absorbées par l’organisme. Dans ce cas, le bio-indicateur de choix, qui est le cheveu pour la contamination au MeHg, devient l’urine. Les études menées chez des travailleurs impliqués dans l’activité minière et dans la purification de l’or, ainsi que chez des populations vivant à proximité des maisons de rebrûlage, révèlent des taux de Hg dans les urines très variables. Les valeurs les plus élevées, qui se retrouvent chez les individus directement en contact avec les vapeurs de Hg, dépassent largement la concentration reconnue pour engendrer des symptômes d’intoxication (30 µg/g de créatinine).
16Deux types d’intoxication sont mis en évidence (annexe 6).
17L’intoxication aiguë résulte d’une forte dose absorbée sur une courte période de temps. Cela se produit particulièrement lors du brûlage ou du rebrûlage de l’amalgame. Les premiers symptômes, qui apparaissent rapidement après l’exposition, sont principalement de nature respiratoire, semblables à ceux d’une grippe. Ils sont suivis de symptômes plus sévères qui portent sur le système nerveux central, l’appareil respiratoire, les systèmes gastro-intestinal et urologique. Les atteintes au système nerveux central sont celles qui persistent le plus longtemps. Elles peuvent laisser des séquelles.
18L’intoxication chronique est la conséquence d’une exposition à des niveaux plus faibles et sur une plus longue durée. Son importance est fonction de la dose inhalée et de la durée d’exposition. Il existe quelques études portant sur les orpailleurs et sur des personnes qui travaillent ou qui vivent à proximité des maisons de brûlage. Ces études signalent des signes neurologiques et rénaux classiques d’empoisonnement chez les personnes les plus exposées, des symptômes précliniques, non spécifiques, tels que fatigue, irritabilité, perte d’appétit, chez les personnes moins exposées. Toutefois, à ce jour, ces études restent très ponctuelles.
LES POPULATIONS À RISQUE SONT FRÉQUEMMENT AFFECTÉES PAR DES MALADIES ENDÉMIQUES
19Les populations exposées au Hg organique via la consommation fréquente de poisson ou au Hg métallique par l’inhalation directe de vapeurs de Hg se trouvent, pour la plupart d’entre elles, dans une situation sanitaire très précaire. Les raisons en sont multiples : manque d’hygiène, malnutrition, dures conditions de travail dans les champs, dans les placers ou dans la forêt, absence de mesures préventives et d’assistance médicale. Ces populations sont d’origines très diverses, comprenant des communautés autochtones traditionnelles et diverses communautés d’immigrants ayant quitté leur région natale à la recherche de travail, notamment dans l’orpaillage. Le nord-est du Brésil a été le point de départ des plus nombreuses migrations, encouragées par des initiatives de l’État brésilien soucieux de développer la région amazonienne (annexe 14). Les mouvements migratoires, les divers brassages sociaux et la poussée démographique qui ont suivi ont eu des répercussions négatives sur la santé des populations en facilitant la dispersion des maladies endémiques et l’introduction de maladies nouvelles. La liste des maladies répertoriées est longue : paludisme, hépatites, diarrhées, dengue, fièvre jaune, leishmanioses, tuberculose, lèpre... (annexe 8).
20Il est important de mentionner qu’une recrudescence de la malaria a été observée dans les zones d’orpaillage où les modifications environnementales favorisent le développement des vecteurs de cette maladie. Récemment, des études ont été entreprises pour examiner l’influence de l’exposition au Hg sur cette présence élevée de la malaria observée dans les zones d’orpaillage. Elles permettent de penser que, comme chez l’animal, le Hg métallique pourrait affaiblir le système immunitaire, donc diminuer la résistance à la malaria et favoriser la propagation de cette maladie infectieuse.
21Les activités d’orpaillage modifient l’environnement en créant notamment de vastes bacs à décantation qui deviennent des milieux à eaux stagnantes rapidement colonisés par des moustiques porteurs de maladies tropicales (paludisme, fièvre jaune, dengue). A ces maladies à vecteurs s’ajoutent d’autres pathologies liées aux mauvaises conditions sanitaires (hépatite, sida, parasitisme, etc.). Sur des populations affaiblies par ce cortège de maladies, l’intoxication par le Hg inorganique et par le MeHg n’en est que plus accentuée (annexe 8).
22Bien que l’impact du mercure sur la santé soit difficile à évaluer car il est malaisé de discriminer les symptômes des maladies présentes et ceux des intoxications au Hg, il ne peut pour autant être négligé.
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