Synthèse – point 1. L’Amazonie, terrain de convergence des facteurs de risque de contamination du milieu par le mercure
p. 21-24
Texte intégral
1Certaines caractéristiques propres au milieu naturel, d’autres aux activités anthropiques, se combinant les unes aux autres, font que l’Amazonie est par nature un système à haut risque en matière de contamination mercurielle. Les caractéristiques de l’atmosphère de la forêt tropicale, la nature géochimique du sol amazonien, la facilité d’exportation du Hg vers des lieux propices à la méthylation où se produit le méthylmercure, forme chimique ultime toxique, sont autant de facteurs qui favorisent cette contamination, laquelle est susceptible d’être observée même en l’absence d’activités anthropiques locales.
LES FORÊTS HUMIDES ET LES PLUIES TROPICALES FAVORISENT LA PRÉCIPITATION DU MERCURE ATMOSPHÉRIQUE VERS LE SOL
2Le mercure présent dans l’atmosphère est à la fois d’origine naturelle et anthropique (annexes 1 et 2). Les émanations du Hg élémentaire, Hg0, en provenance de la croûte terrestre et du manteau via les ouvertures telles que failles et volcans, constituent la source primaire de ce métal. Les surfaces continentales et océaniques qui accumulent les retombées de Hg jouent le rôle de sources secondaires. Enfin, certaines activités anthropiques deviennent des sources de mercure pour la biosphère. Au cours du xxe siècle, les émissions anthropiques auraient triplé les concentrations de Hg dans l’atmosphère et à la surface des océans.
3Au contact des oxydants présents dans l’atmosphère, le Hg s’oxyde en grande partie, puis se dissout dans les gouttelettes d’eau en formation ou encore se fixe par adsorption à des aérosols et finalement retombe lors des précipitations sèches et humides à l’intérieur d’un cercle de rayon généralement inférieur à 50 km. Le temps de séjour du Hg dans l’atmosphère est relativement bref.
4Les forêts tropicales humides seraient émettrices de gaz favorisant l’oxydation du Hg élémentaire tandis que les abondantes pluies tropicales accéléreraient le retour au sol du mercure ainsi oxydé.
5Ces retombées, très inégalement distribuées dans l’espace, dépendent non seulement des sources émettrices de vapeurs de Hg, mais aussi des conditions météorologiques, de la taille des aérosols, et des nombreux facteurs environnementaux qui contrôlent la spéciation chimique du Hg dans l’atmosphère. Les dépôts de Hg concernant la région comprise entre les latitudes 10° N et 10° S, estimés à partir d’une modélisation du Hg en milieu océanique, seraient de l’ordre de 13 µg/m2 par an (annexe 1).
LES SOLS AMAZONIENS SONT NATURELLEMENT RICHES EN HG
6Les sols ferrallitiques amazoniens accumulent le Hg atmosphérique depuis des millions d’années (annexe 2). Des teneurs élevées de Hg dans les sols ont récemment été mises en évidence au Brésil et en Guyane française. Le Hg s’accumule, complexé à la matière organique ou adsorbé à la surface des argiles et des oxyhydroxydes. Les charges cumulées de Hg sont comprises entre 10 et 70 mg/m2 sur les vingt premiers centimètres de sol. Ces valeurs sont jusqu’à dix fois supérieures à celles qui sont mesurées dans les sols des régions tempérées et boréales. Les apports de Hg d’origine anthropique ne peuvent expliquer cet écart (point 2).
7L’explication de cette richesse des sols amazoniens en Hg serait fournie par l’ancienneté de ces derniers et leurs teneurs élevées en oxydes. En effet, les sols ferrallitiques sont à la fois beaucoup plus riches en oxydes de fer et d’aluminium (minéraux bien connus pour leur grande capacité à adsorber les métaux lourds) que les sols des zones tempérées et boréales et aussi plus anciens. L’accumulation du Hg dans les sols amazoniens remonte à plusieurs millions d’années (la formation Alter-do-Chão est âgée de 15 à 30 millions d’années). En comparaison, les sols des zones tempérées et boréales sont relativement récents, certains d’entre eux datent de la dernière glaciation (entre – 5 000 et – 8 000 ans). L’accumulation de Hg se compte en millions d’années en Amazonie, en milliers d’années en Amérique du Nord.
8Ainsi, le Hg se trouve accumulé dans les horizons minéraux des sols amazoniens sur plusieurs mètres de profondeur, essentiellement adsorbé à la surface des particules d’oxyhydroxydes de fer et d’aluminium (annexe 2). Cette particularité fait que des sols ferrallitiques représentent une réserve et une source importante de Hg pour les écosystèmes terrestres et aquatiques des bassins versants.
9Cet important stockage de Hg dans les sols ne constituerait pas un problème en soi s’il n’existait pas des conditions favorables à l’exportation de ce métal vers des sites à méthylation. Or, en Amazonie, le déroulement de certains processus comme l’arénisation et la podzolisation, qui jouent un rôle majeur dans l’évolution naturelle des couvertures pédologiques, facilite la remobilisation du Hg et son exportation vers les milieux aquatiques.
CERTAINS PROCESSUS PÉDOGÉNETIQUES FAVORISENT L’EXPORTATION DU MERCURE VERS DES LIEUX DE PRODUCTION DE MEHG
10L’arénisation n’est autre qu’une érosion sélective des argiles fines, riches en oxydes et en Hg, le long des pentes, sous l’influence du drainage oblique. L’hydromorphie, qui entretient des conditions réductrices au sein des sols, permet la dissolution des oxyhydroxydes de fer, la libération du Hg adsorbé puis son déplacement.
11La podzolisation, actuellement active dans les parties basses des paysages, représente le processus de destruction, en conditions acides et en présence de matière organique, de la matrice argileuse des sols et de libération subséquente du Hg. Nouvellement libéré, le Hg se complexe à nouveau aux substances colloïdales organiques présentes et ainsi accroît sa mobilité. Les teneurs élevées en Hg des matériaux colloïdaux, véhiculés dans les eaux « noires » issues de bassins à intense podzolisation, témoignent de l’importance de ce processus, de par son rôle d’exportateur de Hg (annexes 2 et 3).
12Ces processus géochimiques, qui agissent avec plus ou moins d’intensité sur l’évolution pédogéochimique des sols des bassins versants, sont à l’origine d’une différenciation physico-chimique des eaux des rivières (annexe 3). Ainsi, les bassins versants, dans lesquels prédomine le processus de podzolisation, alimentent des rivières dites d’eaux noires. Ces eaux sont issues des boucliers brésilien et guyanais. De ces régions s’écoulent également des eaux plus pauvres en charge organique, classées « claires » en raison de leur transparence. Enfin, dans le bassin amazonien, sont également identifiées des eaux « blanches », originaires des Andes et très chargées en matériaux en suspension, contrairement aux eaux précédentes. Les eaux blanches présentent généralement des teneurs relativement élevées en Hg, associées à de fortes concentrations de particules en suspension dans les rivières, résultat d’une intense érosion des sous-bassins andins. Ce sont les eaux noires qui présentent les plus grandes concentrations de Hg, ce dernier se trouvant complexé à la matière organique colloïdale. A l’opposé, les eaux claires, pauvres en supports de transport du Hg (matière organique et argiles en suspension), présentent des concentrations plus faibles de Hg.
13Dans certaines régions non anthropisées, de fortes teneurs en Hg inorganique d’origine naturelle sont mesurées dans les milieux aquatiques, soit parce que l’érosion des couvertures pédologiques est intense (bassins andins), soit parce que l’évolution de ces dernières (processus de transformation géochimiques : arénisation, podzolisation et hydromorphie) conduit à une importante exportation de Hg des sols vers les cours d’eau (annexes 2 et 3).
14L’activité anthropique vient s’ajouter à ces processus naturels.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Substances naturelles en Polynésie française
Stratégies de valorisation
Jean Guezennec, Christian Moretti et Jean-Christophe Simon (dir.)
2006
L’énergie dans le développement de la Nouvelle-Calédonie
Yves Le Bars, Elsa Faugère, Philippe Menanteau et al. (dir.)
2010
La lutte antivectorielle en France
Didier Fontenille, Christophe Lagneau, Sylvie Lecollinet et al. (dir.)
2009
Le mercure en Amazonie
Rôle de l’homme et de l’environnement, risques sanitaires
Jean-Pierre Carmouze, Marc Lucotte et Alain Boudou (dir.)
2001
Diasporas scientifiques
Comment les pays en développement peuvent-ils tirer parti de leurs chercheurs et de leurs ingénieurs expatriés ?
Rémi Barré, Valeria Hernández, Jean-Baptiste Meyer et al. (dir.)
2003
La dengue dans les départements français d’Amérique
Comment optimiser la lutte contre cette maladie ?
Raymond Corriveau, Bernard Philippon et André Yébakima (dir.)
2003
Agriculture biologique en Martinique
Quelles perspectives de développement ?
Martine François, Roland Moreau et Bertil Sylvander (dir.)
2005
Lutte contre le trachome en Afrique subsaharienne
Anne-Marie Moulin, Jeanne Orfila, Doulaye Sacko et al. (dir.)
2006
Les espèces envahissantes dans l’archipel néo-calédonien
Un risque environnemental et économique majeur
Marie-Laure Beauvais, Alain Coléno et Hervé Jourdan (dir.)
2006
Les ressources minérales profondes en Polynésie française / Deep-sea mineral resources in French Polynesia
Pierre-Yves Le Meur, Pierre Cochonat, Carine David et al. (dir.)
2016
Le développement du lac Tchad / Development of Lake Chad
Situation actuelle et futurs possibles / Current Situation and Possible Outcomes
Jacques Lemoalle et Géraud Magrin (dir.)
2014