Conclusion
p. 175-179
Texte intégral
1Venu des lointains orientaux, le trachome a laissé des traces profondes dans l’histoire de l’humanité qui nous sont parvenues par les tout premiers écrits. Intimement lié aux invasions, aux mouvements des armées, ainsi qu’à ceux des populations, il a marqué durablement l’imaginaire collectif au même titre que les épidémies de peste ou de choléra. Ayant disparu du paysage occidental dès la fin du xixe siècle avec le développement économique et l’amélioration de l’hygiène, il s’est transformé, lors de l’expansion coloniale vers l’Afrique, en une maladie tropicale ou exotique touchant essentiellement les populations autochtones. Des campagnes de luttes importantes ont été alors menées en Afrique du Nord, facilitées par l’apparition des premiers antibiotiques administrés sous forme de collyres ou de pommades. Une diminution importante de l’endémie a pu être constatée, liée à la fois aux mesures médicales mises en œuvre et aux changements socio-économiques. Après les indépendances, il était implicitement admis que la maladie disparaîtrait d’elle-même des régions pauvres avec le développement et l’urbanisation rapide.
2Ces prédictions ne se sont pas réalisées et le trachome représente toujours, au tournant du xxie siècle, la première cause de cécité évitable dans le monde, cause que l’on aurait vraisemblablement pu rapidement éliminer si une action volontariste avait été entreprise au niveau mondial. La décision a de fait été prise en 1996 avec la création de l’Alliance de l’OMS pour l’élimination du trachome cécitant d’ici l’an 2020.
3Il était indispensable avant d’agir de connaître précisément l’étendue de la maladie. Les nombreuses enquêtes épidémiologiques qui ont été réalisées au niveau national ou régional à la fin des années 1990 ont permis de dresser une cartographie presque exhaustive et ont révélé que la maladie touchait encore un nombre important d’enfants dans des pays au sud du Sahara comme le Mali, où un tiers d’entre eux était concerné.
4Les données les plus récentes montrent que le trachome touche encore en 2008 plus de 82 millions d’individus qui vivent dans les régions les plus pauvres du monde. On compte 7,8 millions d’adultes présentant un trichiasis qui devrait être opéré pour éviter l’évolution possible vers la cécité.
5Le trachome pèse d’un grand poids en termes d’invalidité et de souffrance. La maladie affecte en premier lieu l’Afrique subsaharienne, qui concentre à elle seule les trois quarts des cas. Son retentissement économique est considérable et a été estimé à 2,9 milliards de dollars US par an. Ce chiffre dépasse le PIB de plusieurs des pays concernés comme le Niger ou le Mali.
6La cartographie du trachome dans les pays d’Afrique subsaharienne réalisée entre 1996 et 2001 a permis de quantifier l’importance du problème et de bien définir ce qui appartient au présent, le trachome actif des enfants, et ce qui est le reflet des infections passées, le trichiasis des adultes. Dans certains pays comme le Mali ou le Burkina Faso, le taux de trichiasis élevé constaté chez les adultes est le reflet des contaminations qui ont eu lieu des décennies auparavant et qui persistent encore de façon importante aujourd’hui chez les enfants, puisque l’épidémie reste très active parmi eux. En revanche, dans d’autres pays comme le Sénégal, on observe une transition épidémiologique de l’affection : des prévalences élevées de trichiasis sont retrouvées chez les adultes, séquelles de la maladie dont ils ont été victimes plusieurs dizaines d’années auparavant, mais le trachome des enfants a fortement diminué.
7Le trachome est une maladie de société expliquée par de nombreux facteurs biologiques et sociétaux qui s’intriquent. Elle touche préférentiellement les personnes les plus pauvres des villages les plus petits et les plus isolés. Le manque d’eau, expliquant des pratiques d’hygiène défectueuses, apparaît déterminant, comme l’est aussi la saleté de l’environnement péridomestique favorisant la pullulation des mouches ophtalmotropes. Une connaissance plus fine des déterminants apportée par les travaux récents est importante pour définir les niveaux d’intervention et cibler les groupes les plus à risque. Le lien entre le niveau de richesse et le trachome a été démontré. La maladie peut être considérée comme un marqueur de pauvreté, et la lutte contre l’affection devrait être prise en compte dans les programmes de réduction de la pauvreté.
8L’évolution du trachome actif vers le trachome cicatriciel cécitant n’est pas uniforme et elle est imparfaitement connue et expliquée. Nous avons ainsi montré au Mali que le trachome des régions sèches du Nord apparaissait beaucoup moins cécitant que le trachome des régions humides du Sud. Plusieurs hypothèses ont été avancées, qu’il convient de tester. La biologie moléculaire peut y contribuer. La description du génome de l’agent pathogène a été réalisée et l’analyse des cascades de molécules liées à la réaction inflammatoire met en évidence des différences de réaction selon les populations. L’histoire naturelle de la maladie doit encore être approfondie, en particulier pour évaluer le rôle des co-infections et celui des déficits en vitamine A. Une meilleure connaissance des déterminants de la gravité de la maladie permettra de privilégier, pour y mener des actions, les communautés dans lesquelles l’évolution vers la cécité est la plus rapide.
9L’affection semble pouvoir disparaître d’elle-même dans certains pays comme le Népal lorsqu’il y a une amélioration du niveau de vie et une pression antibiotique non liée à la lutte contre le trachome. Ces conditions ne sont pas réunies dans les pays du Sahel, et les actions médicales et environnementales s’avèrent indispensables si l’on veut voir diminuer puis disparaître la cécité due au trachome. Depuis une dizaine d’années, la lutte contre l’affection est de nouveau engagée avec la mise en œuvre de la stratégie CHANCE, qui vise à interrompre la transmission par des moyens biomédicaux et à empêcher toute réémergence en améliorant l’hygiène et le milieu.
10L’approche chirurgicale restera encore pendant de nombreuses années primordiale pour éviter que les cicatrices déjà constituées n’aboutissent à la cécité. L’acte chirurgical est bien codifié, et il est possible de le confier à des infirmiers spécialisés en ophtalmologie ou parfois généralistes sous réserve qu’ils soient bien formés, encadrés et évalués. L’acceptabilité de cette chirurgie par les patients dépend en grande partie de la confiance qu’ils ont envers les opérateurs, et donc du taux de succès de ces derniers. L’acte chirurgical doit être proposé gratuitement ou à faible coût le plus près possible du domicile des patients en mobilisant les équipes du district vers les villages.
11La réduction du nombre de porteurs de Chlamydia trachomatis et l’interruption de la transmission par une antibiothérapie de masse deviennent envisageables depuis l’entrée en lice de l’azithromycine. Cet antibiotique administré par voie orale une fois par an aux populations concernées fait naître de grands espoirs pour lutter contre l’affection. La distribution et la stratégie choisies relèvent des ministères de la Santé des pays concernés. L’introduction et la diffusion à large échelle impliquent de réfléchir à l’organisation des campagnes et aux répercussions qu’elles auront sur l’écologie microbienne ainsi que sur les systèmes de santé. L’antibiothérapie peut concerner au départ l’ensemble de la population de façon indiscriminée ou bien être limitée aux enfants et aux femmes avant que le niveau d’endémie ne diminue suffisamment pour ne traiter que les personnes atteintes et leurs familles. La distribution d’antibiotiques sur tout ou partie d’un territoire pendant un nombre d’années indéfini soulève bien des problèmes au niveau de l’organisation du système de santé et de la disponibilité du médicament qui à l’heure actuelle dépend du donateur. La mise en circulation d’un antibiotique efficace et actif sur de nombreuses affections implique une grande vigilance de la part des autorités sanitaires des pays concernés. Dans un proche avenir, le plus difficile ne sera pas de distribuer de façon indiscriminée un antibiotique à la totalité de la population d’un district où la prévalence de l’affection est élevée, mais de le distribuer de façon ciblée aux seules communautés ou aux familles dans lesquelles l’infection persiste. Il est en effet alors nécessaire de diagnostiquer l’affection et d’examiner les paupières des enfants. Ce diagnostic relativement difficile doit donc être enseigné dès maintenant aux infirmiers, aux aides-soignants, voire à des agents de santé villageois. La mise au point d’un test diagnostic biologique simple, robuste et réalisable sur le terrain serait d’un grand appoint et permettrait de contourner cette difficulté.
12La mise à disposition de l’azithromycine sous forme de collyre devient envisageable maintenant que cette formulation a obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Les premières expérimentations en conditions de terrain apparaissent prometteuses et permettent d’envisager son utilisation, soit comme relais des campagnes de masse d’azithromycine orale, soit comme modalité d’antibiothérapie de première intention.
13Quoi qu’il en soit, ces distributions d’antibiotiques, si elles restent isolées, risquent d’aboutir à des échecs et à un retour rapide de l’affection après arrêt de la pression antibiotique. En revanche, si elles sont couplées avec des mesures améliorant l’accès à l’eau et favorisant l’hygiène, elles peuvent conduire à une réduction importante et pérenne du niveau d’infection. Les actions de développement favorisant l’accès à l’eau doivent être entreprises, elles sont primordiales pour améliorer l’hygiène des enfants mais représentent la partie la plus coûteuse du programme de lutte. Elles auront aussi des effets collatéraux bénéfiques sur d’autres affections. Il en est de même de toute action environnementale visant à diminuer la pullulation des mouches.
14Toutes les actions entraînant une amélioration du niveau de vie auront un effet bénéfique. Coupler l’action contre le trachome avec la lutte contre la pauvreté permettrait aux programmes de lutte contre cette maladie de dépasser un cadre sanitaire vertical et de s’intégrer dans un projet de société global axé sur les plus démunis. Cela nécessite d’intéresser et de convaincre les pouvoirs politiques afin d’obtenir leur engagement, indispensable à une action pérenne et efficace s’inscrivant dans une perspective internationale. Cette approche est en totale cohérence avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement que s’est fixés la communauté internationale.
15Il faut être cependant conscient que la mobilisation des fonds internationaux nécessaire à une action d’envergure qui va s’échelonner sur au moins deux décennies est conséquente et qu’il importe de bien positionner la lutte contre le trachome par rapport à d’autres maladies comme le sida, la tuberculose ou le paludisme, qui bénéficient de fonds multilatéraux de grande envergure. En 2007, l’inclusion du trachome dans le cadre des maladies négligées permet de l’inscrire durablement dans des programmes de santé publique qui peuvent fédérer de nombreux intervenants. Il faudra cependant être très attentif à ce que l’approche multidisciplinaire originale qui guide la stratégie actuelle ne disparaisse pas au profit d’une distribution exclusive d’un médicament qui représente le modèle type pour la plupart des maladies appartenant au groupe des maladies tropicales négligées.
16L’ambition de cet ouvrage aura été de démontrer que la maladie, ancienne, est complexe et qu’il faut pour la combattre agir non seulement sur l’agent causal, mais aussi, et ce dans le même temps, sur les facteurs environnementaux et sociétaux, en tenant compte des données scientifiques les plus récentes.
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