11. La prévention : améliorer l’environnement
p. 115-124
Texte intégral
1La prévention est l’élément majeur de la lutte contre le trachome, faute de quoi les mesures médicales et chirurgicales n’auront pas d’effets durables. Dans la présentation classique de la stratégie CHANCE, elles apparaissent après ces dernières. Nous avons choisi délibérément de les traiter en premier. Seront développées dans ce chapitre les mesures qui ont trait à l’environnement. Nous aborderons dans le chapitre suivant les pratiques individuelles d’hygiène.
LE CONTRÔLE DES MOUCHES ET L’AMÉLIORATION DE L’ENVIRONNEMENT
2Les mouches synanthropiques, et en particulier Musca sorbens, sont reconnues comme vecteur potentiel du trachome puisqu’elles peuvent transporter Chlamydia trachomatis et la déposer sur l’œil d’un enfant sain (Emerson et al., 2000). Nos études ont clairement démontré que la présence de mouches sur le visage des enfants était associée à un risque accru de trachome. Elles suggèrent l’importance du contrôle des mouches pour diminuer la fréquence du trachome.
3Par ailleurs, de nombreuses espèces de mouches peuvent transporter du matériel fécal après y avoir déposé leurs œufs et être ainsi vectrices d’agents pathogènes présents dans les excrétas animaux ou humains (Cairncross et Feachem, 1993).
4La pulvérisation d’insecticides dans des villages gambiens a entraîné en même temps que la diminution du nombre des mouches une baisse de l’incidence du trachome (Emerson et al., 1999).
5Les auteurs ont aussi observé une réduction de 25 % du nombre de diarrhées chez les enfants dans les villages traités par insecticides. Les effets collatéraux d’une réduction de la population des mouches dans un programme antitrachomateux doivent donc être également pris en compte. C’est ainsi qu’au Pakistan, l’élimination des mouches par pulvérisation d’insecticides a pu réduire l’incidence des diarrhées de près du quart (Chavasse et al., 1999).
6La pulvérisation de DDT s’est avérée efficace dans le passé, mais de nombreuses espèces sont maintenant résistantes. S’attaquer aux mouches adultes par épandage extensif d’insecticides risque d’avoir peu d’effets sur leur densité et paraît actuellement inenvisageable.
7La meilleure approche repose donc sur l’assainissement et la suppression des sites de ponte potentiels : excrétas, latrines non couvertes, ordures. Il faut rappeler que le cycle d’une mouche domestique commune comme Musca domestica varie entre 10 et 14 jours, l’œuf déposé se transformant en 6 à 7 jours en une larve qui migrera dans le sol et éclora ensuite. Il est donc important d’éliminer ordures et excrétas avant ce délai.
8Musca sorbens pondant ses œufs préférentiellement sur les excrétas humains déposés au sol et non pas dans les latrines (Emerson et al., 2005), plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse que mettre à disposition des populations des latrines fonctionnelles pourrait faire baisser la densité des mouches (Emerson et al., 2002).
CONSTRUIRE DES LATRINES
9La promotion des latrines et de leur usage par tous, même par les enfants, limitera les sites où se nourrit Musca sorbens et de ce fait réduira leur population. Mettre en place une politique de construction de latrines ne pose pas de réel problème, ni technique, ni économique. Il existe en effet de nombreux modèles en fonction des pays et des conditions géographiques, et ce à des coûts modiques. La grande difficulté est représentée par l’entretien des latrines, faute de quoi les risques sanitaires et les désavantages seront bien supérieurs à l’absence d’intervention. Il faut tenir compte des habitudes et préférences culturelles des communautés et ne pas en imposer la construction et l’utilisation. En effet, les villageois ne vont pas de prime abord construire et utiliser les latrines seulement pour se préserver du seul trachome, qu’ils ne perçoivent pas comme une maladie dangereuse, mais aussi pour lutter contre les maladies diarrhéiques des enfants, à condition que la liaison entre usage des latrines et diminution de ces affections leur soit bien expliquée. D’autres raisons peuvent jouer : le gain d’intimité, le « standing », etc. Le bénéfice en termes de gain d’intimité sera souvent mieux appréhendé. Il est aussi important que les mères déposent les selles des jeunes enfants dans ces latrines.
10Cette mesure aura également des effets sur les diarrhées infantiles. Une étude réalisée au Burkina Faso a ainsi montré que le fait de déposer les selles des enfants dans les latrines diminuait de près de moitié les hospitalisations pour diarrhée (Traoré et al., 1994). Inversement, aux Philippines, lorsque les selles des enfants sont laissées dans le milieu extérieur, on observe un accroissement de 64 % des épisodes diarrhéiques dans les familles concernées (Baltazar et Solon, 1989). Même constatation au Sri Lanka où un risque accru de 54 % a été relevé (Mertens et al., 1992), les auteurs concluant que la seule possession de latrines n’était pas suffisante et qu’elle devait être associée à un contrôle adéquat des selles des enfants.
AMÉLIORER LA PROPRETÉ DES MAISONS ET DES COURS
11Améliorer la propreté en évacuant les déjections animales et les déchets organiques permettra également de diminuer la population des mouches. Musca sorbens pond aussi sur les excrétas animaux, ce qui pourrait expliquer l’association de la proximité du bétail avec un trachome intense constatée par certains auteurs.
12Le rôle et l’importance des excrétas animaux est cependant peu clair. Il est certain que ces déjections peuvent être porteuses d’organismes dangereux pour l’homme tels que Salmonella, Campylobacter ou Cryptosporidium et qu’elles favorisent la pullulation de mouches. De rares études ont montré une association entre excrétas animaux et diarrhée humaine, en particulier lorsqu’il s’agit de cochons (Molbak et al., 1990 ; Bukenya et Nkwolo, 1991). L’importance des déjections animales est de toute façon moindre que celle des selles humaines, et il y a vraisemblablement moins d’infections croisées que l’on n’a pu le penser (Kariuki et al., 1999). Il faut donc rester très prudent avant de prôner des mesures remettant en cause une cohabitation homme-animal très ancrée dans les mœurs. Il est néanmoins globalement souhaitable que les détritus animaux et les ordures soient rapidement évacués des cours des maisons.
AMÉLIORER L’APPROVISIONNEMENT EN EAU
13Les campagnes d’information-éducation-communicaiton (IEC) promouvant les pratiques d’hygiène avec une quantité d’eau qui peut être faible en cas de rareté auront cependant d’autant plus de succès qu’elles s’inscriront dans un programme plus vaste d’amélioration de l’approvisionnement en eau qui les rendra alors crédibles. Il faut rappeler qu’en France, il a fallu que les conditions de confort progressent et que l’eau soit moins rare pour que le bain quotidien des nourrissons se généralise à la fin du xixe siècle (Rollet et Morel, 2000).
14Cairncross (1987) a observé dans les villages du Mozambique que la réduction de la distance à l’eau, et en conséquence du temps passé à la chercher, s’accompagnait d’un accroissement notable de la consommation et que cet accroissement correspondait pour 70 % au bain et au lavage des vêtements. La part de l’eau utilisée pour les enfants passait de 1 % à 10 % du total consommé.
15L’Assemblée générale des Nations unies avait proclamé lors de sa session de 1980 que la décennie 1981-1990 serait celle de l’eau potable et de l’assainissement, et les États s’étaient engagés à faire de l’accès à l’eau potable un droit fondamental de l’être humain. De gros efforts ont été faits, mais force est de constater qu’une majorité des habitants des pays du Sahel n’a pas encore accès à l’eau potable Au Burkina Faso, leur nombre était ainsi estimé en 2000 à 70 % de la population (Unicef, 2003). Les femmes et les fillettes de ces pays passent de nombreuses heures à puiser et ramener l’eau. Celle-ci provient de puits traditionnels profonds ou de puits-forages équipés de pompes. Dans le premier cas, l’absence de moyens d’exhaure limite la quantité d’eau extraite, et dans le second, une maintenance défectueuse est cause de rupture fréquente de l’approvisionnement. Au début du xxie siècle, le financement international pour améliorer l’accès à l’eau et pour promouvoir l’assainissement est en recul, et le secteur privé hésite souvent à financer la création et la maintenance de points d’eau modernes dans les zones rurales les plus reculées et les plus pauvres. En milieu urbain, l’État a tendance à se désengager et à transférer l’adduction d’eau aux entreprises privées sans que cela se traduise obligatoirement par une meilleure couverture, en particulier pour les plus démunis : à Dakar, quatre ans après la privatisation de la distribution de l’eau, la part de la population qui en bénéficiait n’était passée que de 80 à 82 % (Pnud, 2003).
16La gestion et la maintenance des points d’eau doivent être améliorées et optimisées. En effet, nombre de forages s’avèrent non fonctionnels dans un délai plus ou moins long après leur mise en place. C’est ainsi qu’en 1999, 23 % des pompes étaient en panne au Burkina Faso, en raison du manque de pièces de rechange.
17L’entretien des systèmes améliorés d’approvisionnement en eau repose sur les communautés rurales, qui le plus souvent ne sont pas préparées à ces tâches ; il est donc important de les former et de les encadrer. La maintenance de l’équipement et l’installation de nouveaux points d’eau peuvent aussi reposer sur une organisation de type communautaire, ou bénéficier d’une gestion déléguée par laquelle la production, la distribution et la vente de l’eau sont confiées à un opérateur local. Ce type d’exploitation a été mis en place et expérimenté au Sénégal (Cheik Diop, 2002).
18Dans des pays comme le Mali, les communes, dans le cadre de la politique de décentralisation, sont amenées à jouer un rôle important dans la mobilisation des ressources et la mise en œuvre des programmes de développement.
Fiche 6. Mesures environnementales de prévention du trachome
19L’amélioration de l’environnement est un élément clé du contrôle du trachome. Toutes les mesures qui visent à diminuer la pullulation des mouches doivent être considérées.
20Il s’agit de réduire les sites de ponte, d’éliminer tout ce qui peut les attirer, de réduire leur nombre dans les maisons ou dans les lieux collectifs et éventuellement de les éliminer par des méthodes physiques ou chimiques.
21L’assainissement comprend le contrôle des excrétas humains par des latrines adaptées, le contrôle des ordures, des eaux usées et enfin le contrôle des déjections animales. L’amélioration de l’accès à l’eau facilitera par ailleurs la mise en œuvre des conseils d’hygiène.
22(Marioti et Pruss, 2000 ; Rozendaal, 1997 ; Franceys et al., 1992).
Construire des latrines
23Il y a de nombreux systèmes possibles en fonction des habitudes locales, depuis de simples fosses jusqu’aux latrines modernes avec chasse d’eau. Un modèle permet en particulier de bien contrôler les mouches : il s’agit de latrines ventilées où un tuyau obturé à son sommet par un tamis métallique permet d’évacuer les émanations en retenant les mouches. Il est de toute façon important de les construire à plus de 30 m des rivières ou des puits.
24La disponibilité à proximité d’un réservoir d’eau et de savon est également importante pour mettre en pratique les mesures d’hygiène élémentaires après usage des latrines.
25Les latrines doivent pouvoir être utilisées le plus tôt possible par les enfants. Les selles des tout-petits doivent être recueillies et y être déversées (ou à défaut, être enfouies).
Gérer les ordures
26Afin d’éliminer les sites de reproduction des mouches, les ordures domestiques doivent être collectées dans un récipient couvert, et évacuées régulièrement au moins deux fois par semaine dans une fosse située à distance suffisante des habitations et recouverte de terre chaque semaine.
Stocker les aliments
27De nombreux composés organiques alimentaires attirent les mouches, qu’ils soient d’origine animale ou végétale. Certains lieux où les populations se rassemblent comme les marchés sont particulièrement attractifs pour les mouches et en particulier à certaines périodes de l’année lorsque les fruits sont abondants. L’élimination rapide de tous les détritus organiques et le dépôt des aliments dans des récipients couverts peuvent limiter ce phénomène.
Traitement des excrétas animaux
28La collection des excrétas des animaux dans des tas de fumier en fait un lieu de ponte attractif pour les mouches. Ils doivent être à distance suffisante des maisons et peuvent être couverts d’un film plastique, ce qui augmente la température de surface due à la fermentation et les rend impropres à la ponte.
Protection physique des maisons
29Bien que les pièces fermées ne soient pas les plus fréquentées par les habitants des villages durant la journée, il est possible de les protéger des mouches par la fermeture des fenêtres et des portes d’entrée au moyen de grillages ou de rideaux. Ces mesures peuvent être appliquées également aux lieux fermés de rassemblements collectifs comme en particulier les salles de classe. Différents pièges avec appâts sont susceptibles de capturer de nombreuses mouches, à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. De vieux procédés comme les papiers collants attrape-mouches autrefois utilisés dans les campagnes en Europe s’avèrent toujours efficaces.
Méthodes chimiques
30Ces méthodes, qui ne sont pas pérennisables et présentent des risques environnementaux certains, ne doivent être mises en œuvre que lors de phénomènes particuliers de pullulation et sous le contrôle des autorités sanitaires. La pulvérisation dans les maisons d’organophosphorés comme le Dichlorvos est efficace mais doit être proscrite dans les chambres à coucher. Les pulvérisations à l’extérieur d’organophosphorés ou de pyréthrinoïdes qui doivent être quotidiennes au début, peuvent réduire la densité des mouches mais font rapidement apparaître des résistances. L’imprégnation de moustiquaires, de rideaux, de pièces de tissu dans les lieux de repos nocturne des mouches avec ces mêmes catégories d’insecticides ou avec des carbamates peut aussi être efficace. Il est également possible de traiter les lieux de ponte des mouches par des larvicides appartenant à la famille des organophosphorés ou à celle des carbamates.
Améliorer la disponibilité en eau
31Si la qualité de l’eau (notion d’eau potable) est importante pour la la boisson et l’alimentation, il n’en est pas de même pour l’hygiène corporelle, pour laquelle une eau même non potable peut être utilisée, à condition qu’elle soit relativement « propre ».
32La quantité d’eau adéquate pour assurer une bonne hygiène ne peut être fixée de façon absolue puisqu’il faut prendre en compte les difficultés réelles d’approvisionnement. On considère qu’environ 30 à 40 litres d’eau sont nécessaires par individu pour l’usage domestique et l’hygiène personnelle (cela inclut le lavage des vêtements et la préparation des aliments pour la cuisine).
33Creuser des puits et des forages et les maintenir en état de fonctionnement
34De nombreux programmes concourent à creuser des puits et à mettre en place des forages. Le défaut de maintenance ultérieure est la cause de ruptures fréquentes de l’approvisionnement. Les services nationaux de l’hydraulique et les ONG doivent dès le départ prévoir des dispositifs contractuels avec les populations concernées pour fournir les pièces de rechange et assurer le bon état de fonctionnement des infrastructures. Ces programmes d’hydraulique dépassent le cadre du trachome et contribueront à la diminution de nombreuses affections de l’enfant comme les diarrhées ou les dermatoses. Ce sont des programmes transversaux qui amélioreront la santé d’un point de vue global à moyen et long terme.
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