7. Les facteurs de risque du trachome actif
p. 68-91
Texte intégral
1Les facteurs de risque du trachome actif ont été tout d’abord analysés à partir des données de l’enquête malienne (Schémann et al., 2002). Ils sont pour la plupart confirmés par les enquêtes conduites dans d’autres pays de la sous-région. Une étude particulière sur la relation mouches et trachome a été réalisée à partir des données de l’enquête menée au Burkina Faso (Schémann et al., 2003).
UNE MALADIE DE L’ENFANT, UNE MALADIE DES FEMMES
Les déterminants individuels
L’âge
2La distribution selon l’âge des différents signes du trachome dépend en partie de la stabilité et de l’endémicité de la maladie dans la communauté. Le trachome actif est plus fréquent chez les enfants d’âge préscolaire, avec des prévalences pouvant dépasser 50 ou 60 % dans les zones d’hyperendémie (fig. 1). La prévalence du trachome actif diminue avec l’âge, devenant faible à l’âge adulte. Dans les zones où le trachome a été endémique pendant longtemps, la présence de cicatrices augmente avec l’âge, et la prévalence de ces cicatrices chez les plus de 25 ans peut atteindre parfois 90 %.
3Dans les zones hyperendémiques, les enfants d’âge préscolaire représentent le principal réservoir de l’agent infectieux. L’infection se manifeste dès la première année et la prévalence augmente très rapidement pour atteindre un maximum qui serait classiquement d’autant plus précoce que le niveau de l’endémie est plus élevé. Nous n’avons cependant pas noté de différences significatives dans les pays où nous avons enquêté : les prévalences maximales étaient observées à l’âge de trois ans au Mali aussi bien qu’au Sénégal, où la prévalence était bien moindre.
4La prévalence du trachome actif diminue ensuite progressivement et l’infection laisse place à des lésions cicatricielles qui sont de plus en plus fréquentes au fil du temps. Après 10 ans, on observe que la prévalence décroît de manière importante aussi bien chez les garçons que chez les filles. Cette distribution typique des zones d’hyperendémie a aussi été retrouvée en Tanzanie (Taylor, 1988).
5La prévalence du trachome actif reflète à la fois l’incidence et la durée de la maladie. En Gambie, où les habitants de 20 concessions ont été examinés deux fois par semaine pendant six mois, la durée du trachome actif diminuait fortement avec l’âge (Bailey et al., 1999), variant de 7 à 13 semaines chez les enfants âgés de 0 à 4 ans à 1 ou 2 semaines chez les enfants de 15 ans et plus. En revanche, chez ces derniers, il y a proportionnellement plus de trachome sévère (TI) que chez les plus jeunes.
Le sexe
6Chez les enfants, il n’y a pas de différences de prévalence du trachome actif réellement significative entre les sexes. Il n’en est pas de même pour les adultes, chez qui les atteintes de trachome actif apparaissent plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Les séquelles tardives du trachome comme l’entropion-trichiasis et les opacités cornéennes sont de toute façon beaucoup plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Cet excès de risque est attribué aux contacts permanents avec les enfants, qui représentent le principal réservoir de l’infection (Congdon et al., 1993).
Les comportements
Contacts mères-enfants
7Plusieurs études ont montré que les mères d’enfants trachomateux présentent plus de risques d’avoir elles-mêmes un trachome actif que les femmes dont les enfants n’ont pas le trachome ou que celles qui ne prennent pas soin des enfants (Taylor et al., 1985).
8La mère peut aussi transmettre le trachome à l’enfant. Au Mali, les enfants élevés par des femmes présentant un trachome actif (cela représente 7,5 % des mères) ont près de trois fois plus de risques d’être trachomateux (OR = 2,86) (Schémann et al., 2002).
Promiscuité
9Si la survenue de trachome n’apparaît pas liée au nombre d’habitants vivant dans une concession (au contraire, il y a moins de trachomateux dans les grandes familles), sa fréquence augmente en fonction du nombre de personnes dormant dans une même pièce. Ce risque accru découle du contact entre individus infectés et non infectés partageant le même lit. Au Népal, Katz et al. (1996) avaient rapporté les mêmes constatations.
UNE MALADIE LIÉE AU MANQUE D’EAU ET AU DÉFAUT D’HYGIÈNE
Hygiène et eau
La saleté du visage, fortement associée au trachome actif
10Les sécrétions oculaires et nasales des jeunes enfants représentent clairement des sources d’infection. Les enfants présentant un visage sale ont plus de risque d’avoir un trachome : au Mali et au Sénégal, la prévalence du trachome actif est pour eux deux fois plus élevée, et celle du trachome intense trois fois plus. Le phénomène est encore plus marqué au Burkina Faso où, parmi les 30,2 % d’enfants au visage sale, 70,2 % présentent un trachome actif, versus 8,4 % lorsque le visage est propre (Schémann et al., 2003).
Les pratiques d’hygiène
11L’effet bénéfique engendré par la pratique de laver le visage des enfants a déjà été rapporté par Taylor et al. (1985) au Mexique à partir d’une enquête par questionnaire. En revanche, d’autres études conduites au Malawi par Tielsch et al. (1988), au Brésil par Luna et al. (1992), au Mexique par Wilson et al., (1987) ou en Tanzanie par Taylor et al. (1989) n’ont pas été concluantes.
12Une étude d’intervention communautaire randomisée a été conduite en Tanzanie pour tester l’efficacité du lavage du visage après antibiothérapie de masse visant à diminuer le trachome. L’impact du lavage était significatif sur la fréquence du trachome intense (mais pas sur celle du trachome folliculaire) (West et al., 1995).
13Par ailleurs, après traitement de masse, les enfants qui avaient gardé un visage propre étaient deux fois moins à risque de trachome actif un an après la campagne et trois fois moins à risque de trachome sévère. Il s’agit du seul essai contrôlé, les autres enquêtes ayant étudié ce phénomène étaient en effet transversales, utilisaient un questionnaire et présentaient donc des biais d’information évidents, les mères ayant tendance à surévaluer les pratiques d’hygiène.
14Les études menées par l’IOTA dans les pays d’Afrique sahélienne confirment l’effet bénéfique des pratiques d’hygiène. C’est ainsi qu’au Mali, la pratique d’un bain quotidien est associée à une diminution du risque de moitié (fig. 2) et celle d’un lavage du visage en dehors du bain de 28 % (fig. 3). Ces effets protecteurs sont retrouvés au Burkina Faso, où la pratique du bain quotidien est associée à une diminution de la prévalence du trachome actif (OR = 0,43). De même, mais dans une moindre mesure, le fait de laver le visage deux fois est associé à un effet protecteur indépendamment de la pratique du bain (OR = 0,85).
15L’usage du savon apparaît aussi positif, 60 % des enfants en bénéficiant étant moins à risque d’être trachomateux (OR = 0,66 pour TF/TI et 0,53 pour TI).
16Au Mali comme en Tanzanie, l’utilisation de mouchoirs ou de serviettes pour sécher le visage a un effet protecteur contre le trachome actif et le trachome sévère (Schémann et al., 2002 ; West et al., 1989). Cela peut sembler paradoxal, puisque les mouchoirs et serviettes utilisés pour plusieurs enfants à la suite pourraient au contraire favoriser la transmission de l’infection via les sécrétions essuyées. Mais la possession de ces serviettes peut aussi témoigner de meilleures pratiques d’hygiène générale ou d’un niveau socio-économique plus élevé.
17Laver le visage n’a pas d’effet sur l’évolution de la maladie, mais peut réduire les risques d’auto-réinfection ou de transmission d’un enfant à un autre. En Tanzanie, une étude longitudinale a montré que des enfants qui avaient un visage sale au premier examen mais un visage propre au second étaient moins susceptibles de développer un trachome sévère (OR = 0,21) que les enfants qui avaient un visage sale lors des deux examens.
La disponibilité de l’eau et son utilisation
18Le trachome survient plus fréquemment dans les communautés ou concessions où l’approvisionnement en eau est difficile. Il existe de fait une corrélation positive entre la distance à un point d’eau et la prévalence du trachome. C’est ainsi qu’au Mali, la prévalence du trachome chez les enfants est plus faible (28,8 %) lorsqu’il existe un puits dans la concession et elle s’élève à 46,3 % dès lors que la mère doit parcourir plus de 1 kilomètre pour se rendre à la source (fig. 4). Cette corrélation est confirmée par d’autres études : c’est ainsi qu’une distance de plus de 200 mètres en Chine (Assaad et al., 1969) ou de plus de 180 mètres en Inde (McArthur et Rameshwar, 1970), une durée de marche de plus de 30 minutes au Malawi ou de plus de 2 heures en Tanzanie (Taylor, 1988) augmentent significativement le risque de trachome. Il y a dans tous les cas un net avantage à avoir accès à l’eau près de la maison ou à l’intérieur de la concession, quelle que soit la nature de la source, puits traditionnel ou fontaine (Prost et Négrel, 1989).
19En Afrique, la difficulté d’accès à l’eau entraîne une utilisation moindre dans les zones rurales (Cairncross, 1987 ; Schémann, 2002). La distance à la source d’approvisionnement en eau apparaît comme un facteur limitant la quantité d’eau apportée à la maison, et l’eau est de ce fait une denrée rare, dont l’usage pour les pratiques d’hygiène sera restreint. Les pratiques d’hygiène dépendent en effet étroitement de la disponibilité en eau. Au Mali, on a relevé une relation inversement proportionnelle entre la distance d’approvisionnement en eau et la propreté du visage des enfants. La fréquence des bains et du lavage du visage apparaît inversement corrélée à la distance à parcourir. Plus celle-ci croît, moins les pratiques d’hygiène sont fréquentes, et plus les visages sont sales.
20La prévalence du trachome actif au Mali est de fait inversement corrélée à la quantité d’eau utilisée par la mère pour laver ses enfants. La quantité d’eau utilisée dans une maison (quelle qu’en soit la destination) apparaît généralement corrélée à une moindre prévalence du trachome, comme cela a été constaté au Maroc (Kupka et al., 1968), en Gambie ((Bailey et al., 1991) ou au Brésil (Luna et al., 1992). En revanche en Tanzanie, West et al. (1989) n’ont pas trouvé de relations entre la quantité d’eau utilisée et le trachome.
21Le manque d’eau est donc un facteur de risque. La qualité de l’eau n’apparaît pas influer directement sur le trachome, la prévalence étant identique si l’eau provient d’un puits de forage ou si elle provient d’un puits traditionnel. Dans les situations de pénurie, les mères utiliseront moins d’eau pour laver les enfants, privilégiant son utilisation pour la cuisine. Cependant, les critères présidant à la décision d’utiliser l’eau pour laver les enfants sont complexes (McCauley et al., 1990), cette décision n’étant pas toujours totalement dépendante de la distance à la source, comme cela apparaît dans plusieurs études en Tanzanie (Taylor et al., 1989 ; West et al., 1991). Si la proximité de l’eau est un élément bénéfique essentiel associé à une diminution de la prévalence, le choix d’user ou ne pas user de cette eau pour les besoins d’hygiène lorsqu’elle est rare apparaît aussi déterminant.
UNE MALADIE DU MILIEU ET DE L’ENVIRONNEMENT
Le monde rural, l’isolement et l’éloignement des centres urbains
22Les villages les moins peuplés et les plus éloignés des centres urbains présentent plus de risques d’héberger des enfants trachomateux. Cela peut s’expliquer par un moindre développement socio-économique, le manque d’équipements et de structures sanitaires et aussi par une moindre pénétration des pratiques d’hygiène. La présence d’une école est ainsi protectrice au Mali (OR = 0,86), tout comme l’existence d’une pharmacie (OR = 0,85). La proximité d’un centre médical est aussi liée à une moindre prévalence du trachome, celle-ci passant de 33,1 % si le centre est situé à moins de 5 km à 37,7 % au-delà de 15 km.
L’environnement domestique
Les mouches
23La présence de mouches a été l’un des premiers facteurs de risque noté pour le trachome. Déjà en 1598, le baron Harant de Poljits qui visitait le Caire émettait l’opinion selon laquelle les mouches étaient responsables des ophtalmies (Nataf, 1952). Plus près de nous, divers auteurs comme Nicolle et Cuenod (1921), Morax et Petit (1929), Nataf et Cuenod (1940) ont cité le rôle possible des mouches comme vecteur de transmission du trachome. McCallan (1931) évoque aussi les mouches mais ne leur attribue qu’une responsabilité très marginale et passive. Ce facteur a aussi été mis en évidence lors d’études récentes : Gupta et Gupta (1970) ; Reinhards (1970) ; Taylor (1988) ; Taylor et al., (1989) ; Brechner et al., (1992).
24En zone d’endémie trachomateuse, les épidémies de conjonctivites bactériennes et l’accroissement de la prévalence du trachome actif ont été observés après des pics de pullulation de mouches (Dawson et al., 1976). Par ailleurs, des études réalisées en Tanzanie ont relevé une association entre la densité des mouches dans la concession ou la présence de mouches sur le visage des enfants et la présence et la sévérité du trachome (West et al., 1991). Les mouches peuvent intervenir comme vecteur physique de transmission de C. trachomatis, et leur capacité à transporter les Chlamydia qui peuvent transmettre l’infection oculaire a été démontrée en laboratoire (Forsey et Darougar, 1981).
25Au Burkina Faso (Schémann et al., 2003), les enfants pour lesquels l’examinateur constatait la présence de mouches sur le visage avaient trois fois plus de risque d’être trachomateux. Même phénomène au Mali (Schémann et al., 1998), où la prévalence du trachome doublait chez les enfants couverts de mouches. Au Burkina Faso, on a également retrouvé une corrélation très forte entre la saleté du visage et la présence de mouches. Les mouches étaient observées chez 36,4 % des enfants à visage sale, alors qu’elles l’étaient rarement (0,3 %) chez ceux qui avaient le visage propre. La pratique d’un bain quotidien ou le lavage du visage s’accompagnait d’une diminution de la fréquence des mouches sur le visage des enfants (OR = 0,58 et 0,44, respectivement).
26Il est admis depuis longtemps que les mouches peuvent jouer le rôle de vecteur passif de Chlamydia trachomatis. Tout ce qui encourage leur pullulation favorise donc le trachome, qu’il s’agisse de l’accumulation d’ordures à même le sol ou de la proximité des animaux. Au Burkina Faso, la présence de mouches sur le visage des enfants était moindre lorsque les ordures étaient collectées à l’extérieur (8,2 %) que lorsque les ordures étaient éparses dans la cour (26,2 %). De même, la présence de latrines dans la cour diminuait la fréquence des mouches (présence de mouches chez 8,2 % des enfants lorsque les latrines existaient contre 12 % dans le cas contraire). En revanche, la présence d’une étable à l’intérieur de la concession n’avait aucune influence sur la fréquence des mouches.
27Les mouches les plus fréquemment retrouvées appartiennent aux espèces Musca sorbens ou Musca domestica, la première espèce jouant le rôle le plus important (Emerson et al., 1999). La lutte antivectorielle et le contrôle des mouches peuvent faire sensiblement diminuer la prévalence du trachome. C’est ainsi qu’en Gambie, la prévalence du trachome a diminué de 75 % après réduction de la densité des mouches par pulvérisation d’insecticides (Emerson et al., 1999). Après trois mois de pulvérisation continue de deltaméthrine, les villages concernés hébergeaient moins de mouches et présentaient une réduction de plus de 60 % du trachome actif. Pulvériser des insecticides dans tous les villages ne représente cependant pas une approche pérenne du contrôle des mouches, et il faudra trouver d’autres mesures de contrôle qui puissent être mises en œuvre au niveau communautaire.
28Les mouches ne représentent cependant pas la seule source de transmission du trachome et ne sont pas indispensables à cette transmission. Des auteurs ont ainsi pu constater la présence du trachome là où il n’y avait pas de mouches, ou dans des lieux où leur population était moins dense (Reinhards et al., 1968). Les mouches apparaissent surtout associées au trachome dans des zones de forte prévalence, ce qui suggère qu’elles contribuent efficacement au maintien d’une transmission, du fait de leur propension à se poser sur les yeux infectés.
Le bétail
29Plusieurs études en Afrique (De Sole, 1987 ; Taylor et al., 1989) ont incriminé le rôle du bétail dans l’infection trachomateuse. En zones arides, la présence d’excréments de bétail crée un environnement optimal au rassemblement de mouches, en particulier Musca domestica (mais pas Musca sorbens). Au Burkina Faso, la présence d’une étable et la possession de bétail étaient associées à une prévalence plus élevée de trachome actif ou intense (Schémann et al., 2003). En revanche au Mali, la présence d’une étable semblait protectrice. Le phénomène est en fait complexe et peut être interprété de diverses façons. D’un côté, l’élevage de bétail près des maisons peut attirer des mouches et aussi correspondre à un mode de vie traditionnel, moins propice au respect de l’hygiène ; de l’autre, il témoigne d’un certain niveau de richesse et de plus de bien-être.
30La présence de bétail n’est vraisemblablement pas un simple marqueur de la présence de mouches, puisqu’en Tanzanie, mouches et bétail apparaissent comme des prédicteurs indépendants de trachome sévère (West et al., 1989).
Les ordures
31Une collection d’ordures dans la cour pourrait attirer les mouches et être donc un facteur de risque pour le trachome. Cet effet a été observé au Burkina Faso (OR = 1,30) pour le trachome actif mais pas pour le trachome intense.
Les latrines
32La présence de latrines fonctionnelles dans les concessions ou les maisons a été associée avec des prévalences plus faibles du trachome dans plusieurs pays (Taylor et al., 1989 ; Courtright et al., 1991 ; Schémann et al., 2002). L’élimination des excrétas humains du sol grâce à la construction et à l’usage de latrines pourrait diminuer la densité des mouches et conduire à moins de trachome (Lane, 1988). Il est démontré que la collection de faeces humains dans les latrines peut réduire la densité de Musca sorbens, puisque les mouches appartenant à cette espèce préfèrent se nourrir dans les faeces fraîches sur le sol et ne sont pas retrouvées sur des matières liquéfiées des latrines (Emerson et al., 2000 ; 2001). Cependant, l’existence de latrines ne signifie pas qu’elles soient utilisées pour autant, en particulier par les jeunes enfants. C’est ce qui a été constaté au Mali, où les enfants défèquent fréquemment à proximité des maisons et répandent un matériel nutritif apprécié par Musca sorbens. Il en est de même en Égypte (Lane, 1988), où si deux tiers des maisons étaient équipées de latrines, la majorité des enfants de moins de cinq ans déféquaient dans la concession ou près de la porte.
33La présence de latrines peut aussi témoigner d’un meilleur statut socio-économique et donc de meilleures conditions d’hygiène. En Égypte, la présence de latrines était associée à d’autres marqueurs d’un statut socio-économique plus élevé, comme une profession plus lucrative et une meilleure éducation du chef de concession, une plus grande ferme ou un cheptel plus important (Courtright et al., 1991).
UNE MALADIE LIÉE À LA PAUVRETÉ ET AU SOUS-DÉVELOPPEMENT
Les conditions socio-économiques, la profession, l’éducation
34Dans les villages et petites villes du Mali comme dans l’ensemble des pays d’Afrique sahélienne, la plupart des familles (92,1 %) vivent dans des maisons en terre. Les enfants habitant des maisons construites en dur sont moins à risque d’être trachomateux (OR = 0,61). Il en est de même de ceux vivant dans des maisons à toit de tôle (OR = 0,63).
35La prévalence du trachome est inversement corrélée à la possession de biens par la famille. En additionnant la valeur monétaire de ces biens, on obtient un indicateur de richesse collectif pour la famille que l’on divise ensuite par le nombre de personnes afin d’obtenir un indicateur individuel. Il existe une relation linéaire inverse entre le niveau de richesse et la prévalence du trachome (fig. 5).
36Le trachome est donc bien une maladie globalement liée à la pauvreté. Un faible niveau d’éducation, l’entassement et un habitat précaire favorisent la maladie. Dans de nombreux pays comme en Tunisie, l’affection a probablement disparu avec l’amélioration des conditions de vie.
37Des constatations analogues sur l’influence du statut socio-économique ont été faites au Népal (Katz et al., 1996). Néanmoins, le trachome peut se rencontrer à tous les niveaux socio-économiques et il paraît difficile de fixer un seuil de pauvreté qui soit prédictif du trachome en tant que problème de santé publique.
38En Afrique sahélienne, la plupart des chefs de ménage sont paysans. Au Mali, les niveaux de prévalence les plus élevés ont été retrouvés chez les enfants des artisans et des pêcheurs (54,7 % et 55,8 % respectivement) et les plus bas chez ceux des fonctionnaires (24 %).
39S’exiler hors du pays représente une expérience très commune pour les hommes de nombreux pays sahéliens, en particulier au Mali où plus de la moitié des chefs de concession déclarent avoir vécu plus de six mois à l’étranger. Cette expérience est associée très significativement à une moindre prévalence du trachome chez leurs enfants. Cela peut s’expliquer par un meilleur niveau de vie, mais aussi par une meilleure sensibilisation aux bonnes pratiques d’hygiène.
40La scolarisation des parents, que cela soit celle du père et encore plus celle de la mère, a un effet protecteur. C’est ainsi qu’au Mali, la prévalence du trachome chez les enfants était réduite d’un quart lorsque la maman avait fréquenté l’école au moins une fois dans sa vie.
Le sous-développement, déterminant primordial de l’endémie trachomateuse
Trachome et indicateurs de développement
41Il est instructif de mettre en rapport les indicateurs témoignant du niveau de développement socio-économique et humain avec le niveau d’infection trachomateuse dans les différents pays, depuis le Cap-Vert, où le trachome n’est plus un problème de santé publique, jusqu’au Niger, où près de la moitié des enfants sont atteints.
42Dans le groupe de pays pour lesquels nous disposons d’informations épidémiologiques au niveau national, la fréquence du trachome actif baisse en même temps que le taux de mortalité infantile diminue et que l’espérance de vie augmente (tabl. XX, fig. 6). Il diminue de la même façon lorsque le taux de fertilité décroît.
43La prévalence du trachome diminue au fur et à mesure que le PIB augmente (fig. 7). Si l’on prend en compte l’indicateur de développement humain, qui intègre non seulement le développement économique mais aussi différents paramètres comme l’éducation, l’accès à l’eau, à la santé, on peut constater que le trachome diminue régulièrement en même temps que l’indicateur de développement humain augmente (fig. 8). La courbe des dépenses de santé par individu suit la même tendance (tabl. XXI).
44La fréquence du trachome chez les enfants apparaît aussi inversement liée à la scolarisation. Les pays où le trachome actif est le plus fréquent sont ceux où les taux de scolarisation des enfants sont les plus bas et où peu d’adultes savent lire et écrire (tabl. XXII).
45L’élévation du niveau de vie, un meilleur accès à l’eau entraînent habituellement des modifications des comportements et une amélioration de l’hygiène. Il existe de fait une relation inverse entre la prévalence du trachome actif et la proportion des personnes ayant accès à l’eau potable (fig. 9). La réduction de la taille des ménages permet aux femmes de porter plus d’attention à leurs enfants et de les prendre mieux en charge en cas de maladie. Elles seront d’autant plus réceptrices aux messages concernant la santé qu’elles auront fréquenté l’école. Le retard du Mali et encore plus du Burkina Faso en ce qui concerne l’éducation des filles contribue pour beaucoup à la mauvaise situation sanitaire de ces pays.
46La comparaison des données socio-économiques des différents pays laisse donc à penser que les progrès du développement participent à la diminution de la fréquence de l’affection chez les enfants.
Le Sénégal, un pays en transition
47La prévalence du trichiasis chez les femmes au Sénégal est supérieure à celle du Mali, alors que la prévalence de la forme active chez les enfants y est trois fois moins élevée. Le trichiasis étant le résultat de plusieurs décennies d’évolution naturelle de la maladie, on peut faire l’hypothèse que la fréquence du trachome actif était plus élevée il y a 10 ou 20 ans, avec une présentation proche de la situation du Mali, et que le nombre important des trichiasis reflète ce passé et devrait diminuer dans les prochaines années.
48La baisse de la prévalence du trachome ne peut être attribuée à une intervention de santé publique visant à contrôler cette maladie : l’explication doit donc être recherchée ailleurs.
49Si l’on compare le Sénégal avec les pays de forte endémie trachomateuse comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, tous les indicateurs démographiques apparaissent meilleurs au Sénégal. L’espérance de vie y est plus élevée, le taux de mortalité globale et le taux de mortalité infantile moins importants. Par ailleurs, le taux de fertilité commence à décroître, indiquant que ce pays est en train d’amorcer sa transition démographique.
50La situation économique apparaît aussi plus favorable au Sénégal, le PIB y étant plus élevé. La structure de l’économie est aussi plus avancée, la part de l’agriculture diminuant au profit de celle des services. En revanche, le pourcentage consacré aux dépenses de santé est sensiblement identique.
Importance des actions de santé : exemple de la Gambie
51Ce petit pays enclavé dans le Sénégal a bénéficié de deux enquêtes nationales sur la prévalence et les causes de cécité à dix années d’intervalle, la première en 1986 (Faal et al., 1989) et la seconde en 1996 (Dolin et al., 1998). En dix ans, la prévalence du trachome chez les enfants de moins de 15 ans est passée de 10,4 % à 4,9 %, soit une réduction de 54 %. La prévalence des opacités cornéennes centrales cécitantes est passée de 0,1 % à 0,02 % pour l’ensemble de la population, ce qui indique une chute de la prévalence des cécités dues au trachome de plus de 80 %. L’enquête cécité montrait que la part du trachome dans l’ensemble des cécités passait de 17 % à 5,6 %.
52Les seuls phénomènes macro-économiques ne permettent pas d’expliquer cette situation. Le pays qui prête le plus facilement à comparaison est le Sénégal, qui entoure complètement la Gambie hormis la façade maritime. Le PIB brut est plus faible en Gambie, mais avec la correction du pouvoir d’achat il est supérieur. Les indicateurs démographiques sont très proches. Les deux pays se différencient par l’accès au système de santé, meilleur en Gambie comme en témoigne la meilleure couverture vaccinale, ainsi que des dépenses de santé par individu supérieures. Le taux de scolarisation primaire est aussi plus élevé en Gambie, et un pourcentage plus important de familles a accès à l’eau potable (tabl. XXIII).
53Ces différences ne suffisent cependant pas à expliquer une diminution de moitié en dix ans de la prévalence du trachome actif et la régression considérable des opacités cornéennes cécitantes.
54Plusieurs actions et interventions sanitaires pourraient expliquer la régression importante de l’endémie.
55Le développement important des soins de santé primaires dans le pays a été effectif, puisque dans tous les villages de plus de 400 habitants un auxiliaire de santé a été identifié et formé. Un millier d’entre eux ont reçu une formation élémentaire en soins de santé oculaires primaires incluant le diagnostic du trachome et sa prise en charge. Par ailleurs, dans un quart des villages du pays, un dépistage systématique du trachome a été entrepris chez les enfants. Un examen oculaire de tous les enfants a été pratiqué dans plus de 200 écoles, avec en même temps la mise en place d’actions d’éducation sanitaire promouvant le lavage du visage. Le traitement des malades reposait sur l’administration de pommade tétracycline et il n’y a pas eu de traitements de masse par azithromycine.
56Ont aussi pu contribuer à cette amélioration les progrès réalisés dans l’approvisionnement en eau, qui est effective dans plus de la moitié des villages, ainsi que la mise à disposition de latrines qui concernait en 1996 près de 80 % de la population rurale.
57Un certain nombre d’actions ont aussi été entreprises pour opérer les trichiasis. On estimait en 1986 que 4 600 personnes devaient être opérées de trichiasis. Ce chiffre a été ramené à 2 400 en 1996. On estime qu’en dix ans, de 1 500 à 2 000 interventions de trichiasis ont été réalisées. Ce n’est cependant pas suffisant pour expliquer la diminution des lésions cicatricielles cécitantes, et on doit prendre en compte le décès des personnes âgées, chez qui ces lésions sont le plus fréquentes.
58Il est donc vraisemblable que toutes les actions volontaristes menées dans le domaine de la santé, qui n’étaient pas spécifiques au trachome mais le prenaient très largement en compte, ont contribué à la diminution de plus de 50 % de la prévalence du trachome actif et de plus de 80 % des lésions cornéennes cécitantes.
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