Chapitre 3. Les jardins de l’Éthiopie
p. 69-112
Texte intégral
1Le Wolaita prend la forme d’un « territoire naturel », mais demeure un jardin : un espace largement anthropisé. Il doit sa singularité à « une agriculture de type “jardinière” qui assure au paysage des régions concernées une grande originalité amplement empreinte de séduction. » (Faye, 1994 : 280). Dans ce territoire rural, principalement mis en valeur par l’agriculture, les pratiques agricoles constituent le vecteur principal d’anthropisation. Or ces systèmes agricoles se singularisent, entre autres, par la présence d’une culture relativement marginale en Éthiopie parce que typique du Sud : l’arboriculture de l’enset.
2L’enset représente un symbole identitaire fort, pour les Wolaita comme pour les autres peuples partageant sa culture, qui se double d’une dimension politique non négligeable : « cultiver et manger de l’ensät, c’est aussi s’opposer » (Gascon, 1995 : 72). Bref, tout concourt à faire de cette culture le révélateur d’une singularité méridionale. W. Shack va jusqu’à poser les fondements d’une civilisation de l’enset, une « ensete culture » (Shack, 1966).
3La forte symbolique de l’enset masque en réalité la diversité régionale des pays qui composent cette aire culturale – et pas nécessairement culturelle. Elle fait envisager les paysages et les pratiques agraires qui les façonnent comme une stricte expression de l’enséiculture, assimilant le monde agreste de ces pays à quelques bouquets d’enset, dominant des champs neutres et uniformes.
4Réduire la réalité agricole du Wolaita à la seule culture de l’enset représente, à nos yeux, un dangereux parti pris qui interdit toute appréhension du territoire wolaita, lequel ne se distingue alors absolument plus de celui de ses voisins enséiculteurs. L’erreur paraît d’autant plus préjudiciable qu’elle est répandue et que l’identité wolaita repose en partie sur ses paysages ruraux. Il semble donc nécessaire d’indiquer comment les paysages ruraux peuvent constituer les marqueurs de l’identité wolaita et pourquoi il faut se garder de les assimiler trop rapidement et superficiellement à des paysages de l’enset.
Paysages bigarrés et diversité culturale du Wolaita
5La singularité des paysages wolaita repose sur une alliance originale entre l’enset et d’autres cultures, céréales, tubercules et légumineuses pour l’essentiel. La diversité des productions agricoles se lit directement dans des paysages qui se composent de très nombreux éléments (photo 11).
6La diversité végétale et surtout culturale qui apparaît dans les paysages wolaita découle de l’environnement naturel et du savoir-faire agricole de ce peuple de jardiniers qui parvient à faire coexister, sur de petites superficies, une grande variété de plantes cultivées et(ou) sélectionnées. Une telle variété culturale confère aux paysages une diversité végétale que l’on interpréta souvent comme le signe d’une richesse agricole.
7Les multiples bouquets d’enset, la mosaïque multicolore des champs, l’irrégulier semis des petites huttes jaunes, la touche vert tendre des prairies, les bois, les haies et les majestueux arbres autour des habitations composent un bocage wolaita bigarré. Ce paysage, semi-fermé par des haies plus ou moins bien conservées, ne doit pourtant rien à la présence de l’enset, mais tout à celle du bétail qui impose l’embocagement des champs cultivés.
8Ce « bocage polygénique » présente, de ce fait, un double visage : à la fois riche et confus, il n’est pas désordonné et traduit une véritable règle d’organisation de l’espace agricole, basée sur un modèle d’agencement des exploitations paysannes. La variété de ses formes provient de la diversité des systèmes de production mais également des différentes fonctions des arbres ou arbustes utilisés pour enclore les champs.
9Les arbres destinés à la mise en défens des champs, comme ceux qui servent à délimiter les propriétés paysannes, sont les seuls à participer réellement à l’embocagement. Ce sont souvent des arbres utiles (fruitiers ou eucalyptus) qui dessinent des haies simples, sans stratification. En général peu nombreuses, les haies rectilignes ne soutiennent que partiellement le bocage wolaita, qui est de fait semi-ouvert.
10À l’inverse, les bouquets d’enset, ainsi que les lambeaux de forêt plus ou moins allongés en bas des versants, participent considérablement à la fermeture du paysage et renforcent l’impression bocagère. Il ne faut pas s’étonner, alors, du caractère un peu confus de ces paysages qui n’ont du bocage qu’une apparence plus ou moins trompeuse – de plus en plus trompeuse à mesure que la fonction agro-pastorale des paysages tend à diminuer sous le coup de la réduction du cheptel.
11Et pourtant, en dépit de l’évolution des pratiques culturales, la reproduction d’un modèle social et agricole perdure et les paysages conservent une apparence bocagère, qui soutient largement l’identité des terroirs wolaita.
Des paysages bigarrés
Les paysages « rectangulaires »
12B. Roussel oppose aux paysages circulaires observés au centre du pays par E. Chouvin, les paysages rectangulaires du pays gamo : « le thème géométrique majeur des paysages des hauts plateaux de l’Éthiopie centrale est un cercle à l’image des églises, celui du paysage gamo est manifestement le rectangle : rectangles des champs cultivés, limités parfois par des haies vives, rectangles des plantations d’arbres et de bambous, rectangles enfin des jardins boisés qui entourent les habitations » (Roussel, 2001 : 17 ; Chouvin, 1996). En présentant la signature paysagère du pays dorzé (en pays gamo), il est surprenant de constater à quel point l’auteur exprime également celle du Wolaita, à quelques nuances près.
13L’originalité des paysages wolaita repose sur la reproduction d’un modèle d’organisation des exploitations agricoles répété depuis plusieurs générations par les paysans wolaita. Chaque exploitation agricole se compose ainsi de six espaces (plus ou moins rectangulaires) ordonnés avec soin autour de la maison, chacun de ces espaces se définissant par des fonctions sociales et(ou) agricoles (photo 12).
14Le seuil de la maison forme l’aire plus ou moins circulaire du basuwa, espace domestique de l’intimité. Entièrement désherbé, il est souvent délimité par un léger rebord. Régulièrement balayé par les femmes, il accueille les jeux des enfants et les principaux travaux domestiques (séchage des récoltes, entretien du matériel agricole, confection de vannerie…) (photo 13). Son entretien contribue au caractère soigné des paysages wolaita. C’est le lieu où s’exprime le plus pleinement la relation affective que les hommes entretiennent avec leur terroir, puisque c’est là que l’on enterre les cordons ombilicaux des nouveau-nés. Ce lieu de l’intimité est assez réduit et ne s’étend que sur une dizaine de mètres carrés. Le rectangle de la pelouse (karya) forme un espace de convivialité qui suit immédiatement le seuil de la maison. Il est ombragé par différentes espèces d’arbres (Acacia sp., Ficus sp., Erythrinas sp.…) et appartient parfois à plusieurs familles. Espace de convivialité, c’est aussi un lieu de représentation sociale de tout premier ordre. La taille du karya est en effet proportionnelle au niveau de richesse et de prestige d’une famille (photo 14). À l’occasion, cette pelouse abrite les principales cérémonies, mariages et enterrements – avant l’arrivée des Églises, c’est là que l’on enterrait les morts de la famille. C’est également le lieu où se déroulent les manifestations villageoises les plus prestigieuses, comme la geressa, célébration des hauts faits d’un héros local, à l’occasion de laquelle on organisait des « cavalcades » de chevaux. C’est donc un espace qui peut être relativement vaste. Sa forte connotation sociale explique son maintien jusqu’à aujourd’hui, en dépit de la pression foncière grandissante et l’évolution de ses fonctions ; il se transforme peu à peu en pâture.
15Si le basuwa délimite l’aire de l’intimité, de l’intérieur, de la famille, le karya correspond à l’espace de l’extérieur, du devant. Les notions sociales, d’intérieur et d’extérieur, se transcrivent spatialement dans le Wolaita, mais aussi en Éthiopie, en une opposition entre l’avant et l’arrière de la maison. On voit bien au travers des deux catégories l’importance du lien affectif au sol dans ces espaces domestiques et s’il ne justifie pas à lui seul l’existence d’un lien affectif au territoire tout entier, du moins y participe-t-il.
16Dans le jardin, darkua, l’attachement au sol se manifeste d’une autre façon : c’est le seul espace agricole entièrement dévolu aux femmes, et il fait à ce titre l’objet de soins très attentifs. Il s’apparente à un « jardin de case » dans lequel les femmes cultivent des épices, des légumes, des plantes médicinales et ornementales. Bordé par des arbres fruitiers (manguiers, avocatiers, papayers et canne à sucre), il est extrêmement soigné et bénéficie d’un amendement régulier. Majoritairement destiné à la consommation domestique, il joue un rôle important dans l’alimentation en permettant d’enrichir et de diversifier les apports alimentaires d’une famille. Dans certaines exploitations, il peut néanmoins s’étendre quelque peu sur la karya, pour la culture de productions maraîchères destinées à la commercialisation. Il représente un des espaces les plus productifs de l’exploitation paysanne.
17Vient ensuite le rectangle de la plantation, l’emeria. Planté d’enset et dans une moindre mesure de café, il forme un espace très important dans le système agricole. Il se subdivise en plusieurs parcelles, celle de la pépinière à enset, celle de la plantation proprement dite et parfois celle de la plantation de café. Abrités sous les plants d’enset, les caféiers des basses terres sont parfois disséminés en périphérie de la plantation, tandis que dans les étages supérieurs on les trouve en culture spécifique sur des parcelles bordant la plantation d’enset (photo 15). L’emeria représente environ 25 % de la superficie totale de l’exploitation agricole (Gebreheiwet Assegahegn, 1971, non publié).
18Les parcelles dessinent également des rectangles dans le vaste espace des champs ouverts, le shoka, qui occupe la moitié de la superficie totale – planté, il prend le nom de gosha. Cultivé en céréales, tubercules ou légumineuses, il constitue l’espace le plus diversifié de l’exploitation et se délimite parfois par quelques arbres fruitiers matérialisant ses bornes. On y trouve l’ensemble des arbres fruitiers présents dans le jardin de case ainsi que quelques espèces non comestibles, destinées au seul marquage du sol.
19Traditionnellement le shoka se termine par une pâture privée, le matta gadya. D’après J.-M. Byakweli (2000), les pâturages occupaient des superficies encore importantes au xixe siècle, mais la plupart ont aujourd’hui disparu et ont été mis en culture. Localisés en bas de la pente, ils se déployaient souvent sur des terrains difficiles à mettre en culture. De même le mitta gadya, le bois privatif qui fermait la plantation en bas du versant, ne persiste que dans de très rares exploitations.
20Ce modèle paysager exprimé à l’échelle de l’exploitation paysanne organise l’ensemble du territoire rural wolaita, en constituant un important facteur d’identification. L’association de plusieurs exploitations paysannes sur un même interfluve délimite un finage paysan, qui regroupe ainsi des zones d’habitat, des bois, des pâtures et des champs. À l’opposé du terroir auréolaire que l’on observe dans d’autres campagnes africaines, celui-ci fait preuve d’un éclatement beaucoup plus important ; les paysans semblant s’être partagés le saltus comme l’ager. Il n’y a pas ainsi un bois communautaire mais autant de bois, de pâtures et de champs que de familles paysannes. La dispersion de l’habitat et l’éclatement des espaces communautaires rendent difficile la reconnaissance des limites d’un terroir villageois, de même que la lecture des paysages ruraux.
21D’un point de vue strictement paysager, le terroir, « empreinte agraire et espace social à géométrie variable » (Pélissier, 1995 : 34), se confond avec le territoire, puisque le modèle d’exploitation agricole couvre la totalité de l’espace agricole wolaita, à quelques très rares exceptions. L’identité paysagère du territoire est donc directement liée à celle des exploitations agricoles. Le territoire résulte de la simple juxtaposition des exploitations et de la capacité de ce modèle à prendre forme dans l’espace rural du Wolaita.
La réalité à l’image du modèle paysager
22Les contraintes foncières modernes et les modifications des pratiques agricoles perturbent le modèle paysager et pourtant, à l’exception des espaces gadya, les paysages expriment toujours avec beaucoup de fidélité l’adéquation à cette norme paysagère, comme le montre la photo 16 du cahier couleurs. Des contraintes multiples, dont il n’est pas toujours aisé pour les paysans de se dégager, participent au respect de ce modèle paysager dans les campagnes wolaita. Diverses contraintes topographiques s’ajoutent ainsi aux impératifs agronomiques.
23Nous voyons, par exemple, sur les versants du wereda de Damot-Gale que les exploitations s’organisent dans le sens de la pente. L’habitat est traditionnellement localisé au sommet des interfluves ; les parties basses des versants, soumises à une érosion plus violente, ne sont pas mises en culture et servent de bois et de pâturages. Le toukoul abrite les hommes et les animaux, dont les déjections ont constitué pendant longtemps la principale source d’amendement des sols. L’habitat-étable marque ainsi le point nodal de l’organisation de l’espace : sa dispersion permet une économie de temps et de travail dans les travaux des champs et notamment dans les transferts manuels de fertilité. Kefale Alemu et Sandford (1991) rapportent que les plantations d’enset, abandonnées pendant la période de « villagisation », dépérirent du fait du rallongement des temps de transport des déjections animales quand les paysans durent s’installer dans des villages éloignés de leur plantation.
24Les espaces agricoles situés au plus près du toukoul sont, de fait, les plus exigeants en fumure animale. Et les exploitations agricoles wolaita s’organisent donc autour d’un gradient de redistribution de la fertilité.
25Mais la dispersion des habitations obéit également à des règles très précises. Sans entrer dans les détails du droit foncier, il faut d’ores et déjà souligner que la transmission du droit d’usufruit sur le sol est patrilinéaire : le père divise ses terres en autant d’exploitations qu’il a de fils, lorsque ceux-ci se marient et qu’ils cherchent à s’installer. Les exploitations nouvelles dessinent des lanières, prélevées aux périphéries de l’exploitation paternelle et toujours découpées dans le sens de la pente afin que l’héritier puisse à son tour agencer son exploitation sur le modèle traditionnel. Le système de résidence patrilocale nous renseigne par ailleurs sur les liens familiaux qui unissent les propriétaires des quatre toukoul qui surmontent le versant sur la photo 16 : il s’agit vraisemblablement de deux frères vivant dans les vieux toukoul (légèrement grisés sur la photo) et de leurs fils respectifs installés dans les toukoul plus récents.
26Ce modèle d’organisation de l’espace paysan s’avère être un guide efficace dans la lecture des paysages wolaita, en renseignant à la fois sur les pratiques agricoles et sociales. Les modes successoraux qui permettent la reproduction du modèle d’organisation de l’espace lui confèrent en outre une caractéristique de tout premier ordre : les exploitations sont toutes d’un seul tenant, le morcellement des exploitations n’ayant pas cours dans le Wolaita.
27Les exploitations qui font exception à ces règles d’organisation de l’espace ne sont pas nombreuses, du moins dans les étages des collines et de la montagne, les basses terres présentant parfois des réalités bien différentes. Même alors, il faut plutôt considérer leurs particularités paysagères comme une tentative d’adaptation au modèle que comme un refus de celui-ci. Il n’existe en effet pas d’autre modèle alternatif dans le Wolaita mais on constate bien des variations aux marges de l’étage médian.
28La figure 9 qui schématise trois exploitations représentatives des différents étages témoigne justement d’une assez stricte correspondance au modèle paysager. L’étagement des conditions agro-climatiques ne fait pas vraiment obstacle à la diffusion du modèle. Seul le nombre des parcelles varie entre les trois exploitations, mais les bois et les pâturages, pourtant rares, sont bien situés en périphérie arrière de chacune d’elles. Dans les basses terres, il arrive néanmoins, en raison des fortes contraintes climatiques, que ce modèle se réduise à sa plus simple expression : une plantation d’enset, sans café, et un shoka, presque exclusivement planté en maïs.
29Quel que soit l’étage, les plantes cultivées le plus intensivement se trouvent au plus près de l’habitation, et on cultivera plutôt du maïs que du sorgho dans les champs du proche shoka. Néanmoins, la richesse des paysans et leur capacité à recourir à des engrais chimiques peuvent modifier cet agencement cultural. Les impératifs de transfert de la fertilité, qui régissent ce modèle agricole, provoquent chez les paysans des formes nouvelles d’organisation de l’espace, sous le double impact de la diminution des superficies cultivables par exploitant et de l’utilisation d’engrais chimiques. La plantation d’enset accueille ainsi de plus en plus fréquemment d’autres cultures particulièrement exigeantes en engrais. Quelques plants de canne à sucre ou de petites parcelles de maïs – sachant que ce dernier est normalement cultivé en plein champ, en utilisant de l’engrais chimique et non animal – colonisent parfois l’intérieur de la plantation d’enset alors que ses périphéries sont de plus en plus souvent mises en culture avec du taro, de l’igname ou des patates douces, parfois dans une telle proximité que les parcelles semblent alors être complantées. Ces pratiques, qui procèdent d’une minimisation des risques et d’une volonté d’intensification de la culture du maïs, entraînent une certaine désorganisation des plantations d’enset et de café qui sont alors mitées par des cultures de champ extérieur. Elles témoignent d’une réorganisation profonde des systèmes agraires, dans laquelle l’enset cède peu à peu sa place au profit du maïs.
30Les adaptations les plus courantes, mais qui ne sont pas nécessairement les plus anodines, puisqu’elles perturbent l’identité paysagère commune, sont liées aux contraintes topographiques et à la pression foncière. Cette dernière oblige les exploitants à des remaniements internes et se traduit le plus souvent par une extension de la SAUée aux dépens des bois et des pâturages. Dans certains cas extrêmes, les exploitations sont désorganisées au point de ne plus posséder de plantation d’enset (dans les très basses terres) ou, au contraire, de se réduire à cette seule plantation (chez les paysans les plus pauvres).
31De même, les fortes contraintes topographiques de l’altitude désorganisent totalement le bel agencement des interfluves et donnent à voir des paysages un peu plus confus, en provoquant notamment le morcellement des exploitations. Enfin, des contraintes économiques participent elles aussi à une remise en question du modèle paysager, qui demeure néanmoins pertinent dans l’organisation actuelle de l’espace agricole wolaita.
La colonisation paysagère
32De tels paysages s’étendent jusqu’à couvrir aujourd’hui la quasi-totalité de la superficie du Wolaita utile, se répandant largement au-delà des collines de la woïna dega.
33Parce que ce système vise à l’utilisation optimale d’un versant pentu et qu’il laisse une large place à la culture de l’enset, nous le pensons originaire de la woïna dega, qui est en outre l’étage le plus anciennement peuplé. L’écosystème de l’enset se situe, en effet, entre 1600 et 2100 m, altitudes auxquelles il produit les meilleurs rendements. Mais dans le Wolaita, comme dans beaucoup de « pays de l’enset », la plante est « ubiquiste » et colonise tous les étages ; des plantations plus ou moins fournies s’échelonnent depuis les hautes pentes des monts Damot et Kindo jusque dans les basses terres du Rift et de l’Omo. E. Westphal (1977) estime ainsi que 1 200 m est la limite altitudinale inférieure de sa mise en culture, et 3 000 m la limite supérieure.
34Les mouvements de population entre les trois étages expliquent l’exportation de ce modèle agricole originaire de la woïna dega. Les paysages et les systèmes agricoles des basses terres se modifièrent en effet, avec l’installation définitive de leurs exploitants, directs ou indirects. Avant la Réforme agraire, les basses terres étaient majoritairement mises en culture par des paysans résidant dans les étages supérieurs et n’y cultivant que les plantes adaptées à la sécheresse, tels le gingembre, le coton, le sorgho, les haricots et, plus tardivement, le maïs. Lors de l’installation des paysans dans les basses terres, exigée par la Réforme agraire, ceux-ci s’approprièrent leur nouvel environnement en y appliquant le modèle d’organisation de l’espace qui leur était familier, à savoir celui de leur étage d’origine. De secondaires, les exploitations devinrent principales et reproduisirent alors le modèle cultural et culturel forgé par une société paysanne originaire de la woïna dega.
35La mise en valeur du Wolaita utile, tel qu’il se présente aujourd’hui, relève bien de l’exportation d’un modèle global d’organisation de l’espace et non seulement de la culture de l’enset. Certaines exploitations des basses terres du Rift, qui abritent des bois privés témoignent ainsi d’une scrupuleuse observance du modèle paysager (Planel, 1999 : 78). Alors que les basses terres offrent des bois et des pâturages en abondance, certains paysans condamnent pourtant une partie de leur exploitation pour y planter du bois. Phénomène d’autant plus curieux que la collecte du bois, dans les espaces communaux non mis en valeur, ne pose aucune difficulté, pas même du point de vue juridique.
36Les basses et les hautes terres qui représentaient au début du siècle les deux principales réserves foncières du Wolaita ont donc été modelées à l’image des terres du milieu : l’identité paysagère du Wolaita est donc également celle d’un étage, celui de la woïna dega.
37Ces terroirs pleins, pressés de toutes parts, en haut comme en bas des versants, par des besoins en terre toujours plus impérieux, s’adaptent, se modifient et, ce faisant, perdent un peu de leur belle géométrie. Ils expriment par là même leur réactivité à l’accélération de la pression démographique. Généreux, saturés, conquérants, ces paysages ne sont jamais tant wolaita que lorsqu’ils se parent d’une certaine confusion.
Des systèmes de production diversifiés
38L’étagement climatique de la montagne wolaita autorise la présence d’une vaste palette culturale. Si les contraintes culturales sont limitées dans chaque étage, les possibilités semblent au contraire infinies à l’échelle du Wolaita et de l’ensemble de la région, comme le montre l’exemple du pays dorzé (gamo) où l’on cultive la pomme. Introduite il y a une trentaine d’années par les missionnaires de l’Église évangélique (Mekane Yesus), elle est aujourd’hui largement répandue et alimente les circuits commerciaux nationaux (Roussel, 2001).
39En dépit des variations provoquées par l’étagement, il existe bien un système agricole propre au Wolaita, reposant sur quatre piliers principaux : les céréales, les légumineuses, les tubercules et des cultures secondaires diverses, maraîchères, fruitières et arboricoles (tabl. 5).
40La richesse agricole du Wolaita se manifeste autant par la diversité culturale que par l’importance relative des rendements. Si les rendements élevés en maïs peuvent s’expliquer par l’impact des programmes de modernisation agricole qui préconisent les variétés à hauts rendements (VHR) et les engrais, ceux de la patate douce témoignent davantage de l’efficacité des savoir-faire locaux. En 1977, à une période antérieure à la mise en œuvre des programmes de modernisation agricole, le WADU estimait déjà à 20-22 q/ha les rendements en maïs, ce chiffre étant supérieur aux rendements que l’on observe aujourd’hui dans le Nord-Omo, et à plus forte raison, en Éthiopie. De même, les bureaux du ministère de l’Agriculture du wereda de Damot-Gale annoncent des rendements en maïs de 50 q/ha en grande saison des pluies (60 q/ha en petite), contre 10 q/ha pour les variétés locales de maïs cultivées sans engrais et 13 q/ha avec engrais, ce qui est conforme à la moyenne nationale.
41S’ajoute à cela une grande diversité culturale, dans la mesure où la région se situe au carrefour de différentes traditions agricoles. L’enset, le café, le tef et les pois représentent des plantes indigènes, alors que le taro et le bananier, depuis longtemps cultivés, ont été importés d’Asie (J.-P. Chrétien, in Chastanet, 1998 : 213). Les haricots et le maïs en provenance du continent américain atteignirent la région au xviie siècle et les systèmes agraires sont aujourd’hui enrichis de cultures introduites plus récemment : patate douce et légumes variés.
42La diversification agricole se décline selon deux modes distincts : par des associations culturales de champs extérieurs qui prennent la forme d’un micro-assolement et où chaque parcelle est soumise à sa propre rotation culturale. Mais aussi par des pratiques de complantage traditionnelles dans le jardin de case, mais qui se répandent aujourd’hui en périphérie de la plantation d’enset et parfois dans le gosha, du fait de la réduction des superficies disponibles par exploitant. La culture du haricot de juillet, semé juste après la plantation de pomme de terre, est ainsi de plus en plus courante dans le gosha (Le Pommelec, 2000 : 72). Et pourtant malgré une récente extension du complantage, ce sont les associations culturales du gosha qui demeurent les plus complexes. Les principales associations culturales que l’on y observe sont les suivantes :
Patate douce/Légumineuse/Maïs
Patate douce/Maïs ou légumineuse/Maïs
Patate douce/tubercule/maïs
Légumineuse/Céréale ou tubercule/Maïs
43Le rythme de l’alternance des productions dépend de la durée de leur cycle. Les plantes à cycle long (taro et sorgho, 12 mois), qui ne permettent pas d’obtenir deux récoltes annuelles sur une même parcelle, connaissent aujourd’hui un certain recul car elles gênent la flexibilité des rotations culturales. De plus, ces plantes ne s’intègrent pas dans les programmes de modernisation agricole du Wolaita et subissent la concurrence du maïs et de la patate douce, principalement. L’intensivité de l’agriculture wolaita autorise ainsi deux récoltes, plus ou moins articulées autour des deux saisons pluviales, comme le montre le calendrier cultural (fig. 10).
44En théorie, l’éventail cultural est large mais dans la pratique la palette se réduit (tabl. 6) : blé, maïs, orge, tef et sorgho constituent les céréales les plus répandues ; patate douce, pommes de terre et taro les tubercules les plus fréquemment cultivées ; fèves, pois et haricots forment l’essentiel des légumineuses, alors que les légumes frais consistent principalement en carottes, betteraves, courges et choux divers.
45La rotation de base se compose de maïs et de patate douce qui représentent les deux cultures les plus répandues sur les exploitations, et plus particulièrement dans le gosha. On cultive également du blé, de l’orge et du sorgho comme céréales secondaires, ainsi que des patates du Wolaita (bleutées), des pommes de terre irlandaises, de l’igname et du taro comme autre tubercule.
46Tef et produits maraîchers (carottes, betteraves, citrouilles et choux) représentent, avec le café, les principales cultures commerciales de la région. Bénéficiant d’un cycle très court (3 mois), elles peuvent s’insérer à n’importe quel moment dans les rotations culturales du gosha et colonisent fréquemment les périphéries de la plantation, parfois d’ailleurs en complantage avec des tubercules. Souvent plantés en pépinière dans le jardin de case, les légumes nécessitent un apport important en fumure, d’où leur localisation en proximité des plantations d’enset et de café. Le tef, comme les autres céréales, se trouve systématiquement sur les champs extérieurs ; semé à la volée, il requiert une parcelle plus grande que celle des légumes et ne peut être complanté.
47À l’échelle de l’exploitation, l’association dominante est la suivante : enset/maïs/patate douce. Principale nourriture en période de soudure, la consommation d’enset apparaît nettement sur le tableau 6, mais cela ne préjuge en rien de son rôle dans l’organisation des paysages wolaita, qui sont davantage structurés par la grande diversité culturale des systèmes de production.
Les paysages de l’enset
48À l’image du Wolaita, les paysages qui composent la « ceinture de l’enset » (carte 1) ne sont pas nécessairement des paysages qui doivent leur structuration à cette forme particulière d’arboriculture. En effet, on est aujourd’hui en droit de se demander si l’enset représente bien le pilier des systèmes agraires, tel que les Wolaita le revendiquent (et avec eux, nombre de chercheurs), ou s’il n’est pas plutôt un marqueur identitaire – du fait de ses nombreuses implications sociales, spatiales et même politiques – perdant peu à peu son impact paysager. Les pays « mangeurs d’enset » parurent, en effet, bien étranges lorsqu’ils furent intégrés à un empire qui ne connaissait que le goût du tef. Si les conquérants furent prompts à assimiler l’originalité des campagnes méridionales à la culture de l’enset, c’est peut-être qu’ils connaissaient dejà la plante mais ne l’appréciaient que pour ses qualités ornementales.
49L’enset est l’arbre aux multiples appellations : Ensete ventricosum ou edulis est sa dénomination scientifique mais on le nomme plus vulgairement et de façon erronée faux bananier, tant sa ressemblance avec l’arbre fruitier est marquante. Les Wolaita le désignent communément sous le nom de utta.
50Un plant d’enset présente un profil caractéristique (photos 17 dans le cahier couleurs et 18) : de grandes feuilles partent d’un pseudo-tronc. Toutes variétés confondues, la taille des feuilles peut atteindre cinq mètres de hauteur alors que celle du tronc est plus réduite, 3,50 m au maximum. En revanche sa circonférence est assez importante, de l’ordre de 2 m à 2,50 m. Cultivé en plantation monospécifique, l’enset présente dans le Wolaita, une grande diversité variétale puisque l’on dénombre plus de 110 cultivars (komuwa) différents, offrant diverses qualités phénotypiques (taille, couleur des limbes et des nervures, texture des feuilles), agronomiques (durée du cycle, productivité, résistance aux maladies) et gustatives (saveur et consistance) (Kefale Alemu et Sandford, 1991). On distingue en général les plants femelles, plus goûteux et récoltés plus précocement, des plants mâles, plus résistants mais moins savoureux.
Les vertus de l’enset
51L’enset fait l’objet d’une arboriculture intensive, car la pulpe comestible de son tronc a longtemps servi de base à l’alimentation wolaita. Mais les avantages de l’enset ne sauraient se réduire à ceux d’une culture vivrière et ses nombreuses qualités ont donné lieu à une abondante littérature, qui énumère consciencieusement ses incontestables vertus. Nous nous contenterons ici d’en citer les principales. La première, et non des moindres, correspond à la variété des usages domestiques de la plante, dont les paysans exploitent chaque partie.
52La pulpe du pseudo-tronc se cuisine de quatre façons : le qotcho (uncha, en wolaitigna) est un pain réalisé avec la pulpe râpée et fermentée, le bulla (itima, en wolaitigna) est une sorte de porridge à base d’une poudre d’amidon issue de la déshydratation du jus extrait de la pulpe du pseudo-tronc (mais également des inflorescences), lors d’une phase de pré-fermentation. Le worke (godeta) ressemble au qotcho : c’est une préparation à base de pulpe écrasée et fermentée. Enfin, l’amicho (doysetida utta) consiste en de gros morceaux de pulpe fermentée mais non râpée. Il existe également d’autres préparations à base d’enset présentées avec beaucoup de détail dans le rapport pour Farm Africa rédigé par Kefale Alemu et Sandford (1991). Les feuilles qui servent à entourer les pains de qotcho et autres aliments pendant la cuisson, ont également une utilité culinaire.
53Les fibres de l’enset (golla) servent à confectionner des cordages ou des ficelles plus ou moins résistants en fonction de leur mode d’extraction ; tissées, elles sont utilisées en vannerie. La résistance de ces fibres est telle que le gouvernement a pendant un temps pratiqué la transformation des fibres d’enset en lieu et place du sisal, aujourd’hui importé – ce projet, bien que représentant un réel débouché pour la région, a été abandonné en 1984.
54Les résidus de la plante servent d’engrais vert (mulch) dans les champs ou de fourrage pour les animaux, tout particulièrement en cas de retard des petites pluies. Ainsi, lorsque la saison sèche coïncide avec la période de soudure, l’enset nourrit à la fois les hommes et les animaux. Par ailleurs, les grandes feuilles séchées de l’enset forment un matériau de construction abondant et participent au tissage de « canisses » destinées à de multiples usages (les cloisons de séparation des toukoul sont toujours réalisées de cette façon).
55Tous les mangeurs d’enset lui reconnaissent également des vertus médicinales plus ou moins assimilées à celles d’un fortifiant. Mais on rapporte d’autres qualités curatives plus intéressantes : les produits de l’enset aideraient à soigner le choléra comme d’autres diarrhées et certaines variétés, comme « Lonchingie », pourraient être utilisées à des fins contraceptives (Kefale Alemu et Sandford, 1991).
56Enfin, dernier avantage et non des moindres, l’enset se conserve aisément, surtout si on le compare aux céréales stockées dans des greniers aériens (photo 19). La pulpe mise à fermenter est enveloppée dans des feuilles et enfouie dans le sol de la plantation ; elle s’y trouve ainsi à l’abri de la plupart des agents de destruction des récoltes. Dans de très bonnes conditions, elle peut y demeurer plusieurs années, bien que dans la pratique elle soit consommée au bout de six mois (la conservation sur pied se limite également à cette même période). Le processus de fermentation proprement dit, dure, quant à lui, entre deux semaines et un mois.
57On ne saurait terminer ce panégyrique sans faire référence, ne serait-ce que brièvement, aux avantages sociaux que procure une plantation d’enset. Bien qu’il soit consommé en période de soudure, lorsque les autres aliments font défaut, sa consommation peut revêtir un caractère prestigieux. Il est ainsi régulièrement cuisiné à l’occasion des grandes cérémonies wolaita et éthiopiennes : mariages, rites funéraires et « fête de l’invention de la croix » (Mesqel) intervenant après les grandes récoltes de septembre et marquant le début de la nouvelle année dans le calendrier éthiopien. Célébrée dans toute l’Éthiopie, Mesqel revêt une signification particulière pour certains peuples de l’enset, notamment en pays guragé, où elle est fêtée par la plantation de jeunes enset. Dans les traditions wolaita, un jeune homme ne peut prendre femme s’il ne lui garantit pas la présence d’une plantation suffisamment mâture et développée pour la cacher des regards indiscrets, et lui tenir lieu de salle de bain. Des plantations de grandes tailles témoignent, il est vrai, de la capacité d’un paysan à capitaliser et à immobiliser une terre, qui n’est alors pas occupée par des cultures annuelles, marchandes notamment ; cette richesse lui confère un prestige social indéniable.
L’enset, une culture peuplante ?
58Parmi les nombreuses qualités de l’enset, sa capacité à supporter de fortes densités de population explique sans doute le succès de sa culture. Ainsi A. Gascon souligne-t-il la ressemblance entre enséiculture et riziculture. Mais ce n’est pourtant pas tant l’enset qui représente une « culture peuplante », que l’ensemble du système agricole auquel il participe car, à l’inverse des Wolaita, les consommateurs réguliers d’enset connaissent de fortes carences alimentaires.
59Le talon d’Achille de la plante réside effectivement dans la faiblesse et le déséquilibre de son apport nutritif. Tous les paysans qui la cultivent savent bien que ses produits doivent être associés à ceux de l’élevage aussi bien qu’à des légumineuses. Les protéines animales sont en effet indispensables pour pallier les carences alimentaires d’un régime uniquement constitué d’enset. Si l’on poursuit la comparaison avec la riziculture (tabl. 7), on s’aperçoit rapidement que les apports nutritifs de l’enset sont loin d’être aussi riches que ceux du riz.
60L’enset n’offre pas les mêmes garanties que la culture du riz et ne saurait donc expliquer, à lui seul, les fortes densités de population qui l’accompagnent. La déficience énergétique de l’enset est d’autant plus marquée, si l’on étend la comparaison aux autres piliers de l’alimentation éthiopienne (tabl. 8). Soulignons brièvement que l’enset est pauvre en calories, alors que toutes les céréales offrent un apport énergétique plus important, de l’ordre de 330 à 385 kcal (Favier, 1989 : 286). De même, les apports protéique et lipidique des céréales et notamment du sorgho sont bien meilleurs que ceux de l’enset. Ainsi, un régime à base d’enset doit nécessairement, et de façon plus impérieuse qu’avec le riz, être complété par d’autres apports protéiques. Les vertus nutritives de l’enset ne prennent donc toute leur signification que lorsqu’elles sont associées à un régime de protéines animales, ce qui n’est pas toujours possible dans des sociétés qui souffrent d’une importante diminution du cheptel par exploitant. La consommation exclusive, ou même préférentielle, de l’enset s’avère donc peu avantageuse.
61Cela explique sans doute que les Wolaita diversifient leur consommation, comme l’exprime justement Techale Berou, un paysan du qebelé de Futo (Bolosso-Sore) : « l’enset ne peut être la solution à nos problèmes car, de toute façon, nous avons besoin d’autre chose pour manger ».
62La rumeur veut que les apports en fer de l’enset soient exceptionnels et justifient sa consommation. Ils sont certes supérieurs à ceux du maïs, quoique la différence soit peu marquée, mais ils demeurent très inférieurs à ceux du sorgho, qui est pourtant une culture en voie d’abandon dans le Wolaita.
63Le « miracle de l’enset », pour reprendre la formule consacrée par A. Gascon (2002 : 103) ne résulte donc pas de ses capacités nutritives mais davantage de sa capacité de résistance à la sécheresse. Certes, les céréales assurent une base alimentaire plus sûre, mais leur réseau racinaire ne leur permet pas de faire face à un déficit hydrique. À l’inverse, l’enset ne souffre pas d’un manque d’eau chronique. Une période de sécheresse n’entraîne pas de diminution des rendements de la plante qui stocke l’eau dans son pseudo-tronc pendant plus de trois ans ! Dans le Wolaita, l’enset constitue donc plus une plante de sécurité alimentaire que la base de l’alimentation. Ainsi n’est-elle régulièrement consommée que dans les hautes terres et fait, ailleurs, l’objet d’une consommation occasionnelle (soudure et fêtes).
64Les peuples mangeurs d’enset présentent, en réalité, différents types de consommation (Brandt, 1997). Les populations oromo, ayant adopté tardivement la culture de l’enset, réservent sa consommation aux périodes de mauvaise récolte. De même dans les régions occidentales de l’Éthiopie, Wollega ou Illubabor, l’enset n’est pas consommé quotidiennement et ne représente qu’une culture de sécurité alimentaire (Ajebe Ligaba, 1984). À l’inverse, les populations sidama, guragé, kambatta, hadiya, gamo-gofa et wolaita le consommaient plus régulièrement il y a peu, puisqu’il entrait dans le régime alimentaire courant. Mais H. P. Huffnagel (1961 : 287) observait, dès les années 1960, des nuances au sein des pays « gros » mangeurs d’enset. À population à peu près égale, la consommation totale des Wolaita était 2,5 fois moins importante que celle des Sidama ou des Guragé, soit 87 600 tonnes de qotcho contre 215 956 tonnes et 205 570 tonnes. La situation des Wolaita, pourtant anciens cultivateurs d’enset, semble donc évoluer aujourd’hui vers celle des peuples oromo et l’on ne peut plus considérer le Wolaita uniquement comme un « pays de l’enset ». Le ministère de l’Agriculture (Land Utilisation and Crop Production Survey, 1976) estimait ainsi en 1977 que l’enset occupait 1/5 à 1/6 de la SAUée du pays guragé. D’après nos calculs les plantations d’enset n’occuperaient aujourd’hui qu’à peine 2 % de la SAUée du wereda de Kindo-Koïsha (MOA, 2000).
65C’est véritablement comme une culture de sécurité alimentaire que les paysans envisagent le rôle de cette plante. Arjo Megano, qui vit à la périphérie d’Areka, pense ainsi que « l’enset est leur ami », puisqu’il ne sèche pas si les précipitations sont faibles, qu’il procure des rendements réguliers – au contraire du café – et qu’il autorise la pratique du complantage pour faire face à la faiblesse des superficies cultivables. Il faut également remarquer que sa faible commerciabilité dans le Wolaita où toutes les familles en possèdent, à l’exception de quelques rares urbains, renforce son rôle de gardien de la sécurité alimentaire. Sauf maladie, ou sécheresse continue, les réserves alimentaires de l’enset ne sortent pas de l’exploitation, ce qui est loin d’être le cas des stocks céréaliers.
66En outre, l’enséiculture s’accommode assez bien de la faiblesse des superficies disponibles, sa productivité à l’hectare étant, de loin, la plus élevée de toutes les cultures pratiquées dans le Wolaita. Des études conduites par Farm Africa (Kefale Alemu et Sandford, 1991 : 29), montraient qu’un plant d’enset utilisait un espace moyen de 1,55 m2 dans la pépinière, et de 6,25 m2 dans la plantation ; soit un espace total moyen de 4,35 m2 et la possibilité de cultiver 2 300 plants à l’hectare ! Par ailleurs, des recherches menées par le WADU en 1979-1980 indiquaient qu’une quantité comprise entre 40 et 70 plants matures pouvait nourrir une famille de 5 à 6 personnes pendant un an, dans la mesure où ladite famille ne tirait que la moitié de ses apports alimentaires de l’enset. Ce qui porte à un espace compris entre 170 et 300 m2 la superficie minimum requise pour une plantation capable de nourrir une famille pendant un an. Si l’on considère comme Gebreheiwet Assegahegn que la plantation d’enset occupe 25 % d’une exploitation moyenne de 0,45 ha, la superficie réelle des plantations est alors dix fois supérieure à la superficie théorique minimale nécessaire à l’alimentation d’une famille. La forte productivité de la plantation de l’enset, par rapport aux parcelles céréalières est toute fois inférieure à celle de certains tubercules (Stanley, 1996), qui par ailleurs ne requièrent pas un grand investissement en travail pour leur transformation/consommation.
Enset, engrais ou paysan ? les jardiniers paysagistes du Wolaita
67Tout comme le riz, les techniques culturales de l’enset ont une incidence déterminante sur l’organisation des paysages wolaita et expliquent en partie leur spécificité. Il ne s’agit pas ici d’analyser dans le détail les techniques culturales de l’enset, qui sont fort bien présentées dans différents ouvrages (Le Pommelec, 2000 et Kefale Alemu et Sandford, 1991), mais de l’envisager comme un agent de premier ordre dans l’aménagement du territoire wolaita.
68On considère souvent que l’enset « marque profondément les paysages agraires au sud d’Addis-Abeba » (Gascon, 2002 :103), mais cette remarque perd de sa pertinence dans le cas wolaita, où l’emprise paysagère de l’enset reste superficielle et dissimule des techniques culturales qui dépassent largement le cadre de sa seule culture.
69La multiplication de l’enset se fait par voie végétative. Le bulbe d’un jeune plant est divisé en deux parties plantées dans une pépinière, elles donneront des rejets (hata) ultérieurement replantés dans différents endroits de la plantation. À l’occasion des transplantations, les emplacements de la pépinière ou de la plantation qui doivent recevoir les jeunes hata font l’objet d’un important apport en fumure organique : chaque plant reçoit un panier de fumure après plantation et les emplacements destinés à la transplantation reçoivent également du fumier. L’exigence en fumure animale de la plante oblige la plantation, et a fortiori la pépinière, à se situer près de la zone de stabulation du bétail afin d’éviter un trop long transport des déjections animales. Celle-ci se trouve donc derrière l’habitation principale qui sert à la fois d’étable et de maison. Le toukoul et la plantation sont reliés par un petit canal qui favorise la circulation du purin vers la pépinière, parcelle qui exige l’amendement du sol le plus minutieux et qui se situe donc entre le toukoul et la plantation proprement dite.
70La gestion de la fertilité des sols et, à travers elle, les transports de fumure, animale ou organique (les résidus de l’enset pouvant être enfouis dans le sol même de la plantation ou dans les champs plus éloignés) déterminent l’organisation des exploitations wolaita. Les espaces agricoles sont ainsi répartis autour d’un gradient de fertilisation : les espaces les plus exigeants se situant près de l’étable et de la plantation, les deux sources de fertilisants. De même, les pâtures sont proches des champs afin de limiter au minimum la perte des déjections animales.
71La redistribution de la fertilité détermine donc l’organisation des paysages wolaita. L’enset, bien qu’il représente l’élément paysager le plus facile à identifier, se trouve néanmoins soumis à cette règle commune des transferts de fertilité. L’amendement des sols, principalement d’origine animale, ne dépend donc pas de l’enset, qui constitue alors un élément de l’exploitation paysanne au même titre que les autres. En réalité la gestion de la fertilité, comme principe de structuration des paysages, traduit plutôt le rôle du travail humain dans la construction paysagère du Wolaita. D’un certain point de vue, l’enset n’est qu’une manifestation, parmi les autres composantes paysagères, de l’extraordinaire labeur wolaita.
72Aujourd’hui, le fait que cette norme paysagère découle d’une gestion « traditionnelle » de la fertilité soulève bien des interrogations. L’utilisation de plus en plus répandue d’engrais chimiques ne prometelle pas des transformations paysagères, dans la mesure où la redistribution d’une fertilité d’origine animale perd de son incidence ? Le recours massif aux engrais chimiques conduit donc à une fossilisation des paysages, qui se présenteront bientôt comme un héritage d’anciens systèmes agricoles. Dans certaines études, de tels paysages sont d’ailleurs présentés à l’appui d’une analyse des systèmes agraires du xixe siècle (Byakweli, 2000). Toujours visibles dans le Wolaita, ils perdent beaucoup de leur signification agricole, mais conservent une fonction identitaire forte (Planel, 2003 b : 53).
73Ces considérations ne diminuent pas, en effet, la connotation identitaire des plantations d’enset. Il serait peut être bon, en revanche, de repenser l’analyse des paysages et des structures agraires des pays qui composent la « ceinture de l’enset » et qui ne sont peut-être plus nécessairement, à l’image du Wolaita, des pays de l’enset, c’est-à-dire des pays dans lesquels les pratiques agricoles sont principalement déterminées par cette culture. Certes le faible impact de l’enset sur l’organisation des paysages est une caractéristique proprement wolaita, le phénomène étant sans doute moins prononcé chez les Guragé et peut-être chez les Gamo.
74S’il y a bien des paysages marqués par l’enset, n’est-ce pas surtout par abus de langage et parce que la plante, originale en Éthiopie, attire le regard ? L’enset est sans conteste une plante miraculeuse, ou tout du moins une plante dont la culture est très avantageuse pour les populations rurales du Sud éthiopien, mais de tels miracles valent peu en regard de l’extraordinaire maîtrise agricole des Wolaita, qui façonne plus sûrement les paysages de la région que les impératifs de l’enséiculture.
L’agriculture wolaita
75La singularité de l’agriculture wolaita soutient en partie l’identité du Wolaita, qui se présente principalement comme un territoire rural. En dépit de la réduction des superficies cultivables par exploitant, l’intensivité des pratiques culturales permet aux paysans de cultiver des productions diversifiées largement responsables de la spécificité paysagère régionale.
76L’agriculture wolaita se définit avant tout comme une réponse aux fortes densités de population observées dans la région. Diversité et intensivité culturales sont les maîtres mots des pratiques agricoles wolaita et confèrent au territoire une identité agreste forte.
Une agriculture savante
77Savants jardiniers, les paysans wolaita sont renommés dans toute l’Éthiopie pour leurs techniques agraires. Au sein de « l’Éthiopie heureuse » pourtant si favorisée, rares sont les peuples à s’enorgueillir d’une telle reconnaissance : les Dorzé sont considérés comme les meilleurs tisserands ; les Guragé, outre leur redoutable sens du commerce, confectionnent le plus goûteux des tejj, et seuls les peuples hadiya et kambatta pourraient rivaliser avec les Wolaita.
78Les Wolaita ont ainsi développé une agriculture intensive et intelligente qui se fonde sur une très grande faculté d’adaptation aux éléments naturels extérieurs, notamment climatiques, ainsi qu’aux contraintes agronomiques inhérentes à leur agriculture, comme en témoignent la flexibilité de leurs rotations culturales, la pratique du complantage et la compatibilité de leurs cultures.
Flexibilité des orientations culturales
79La pratique des associations culturales sur une même parcelle autorise une grande souplesse dans la sélection des cultures. En réponse directe aux modifications climatiques observées par les paysans, les rotations initialement prévues peuvent se modifier. En cas de retard des précipitations, les paysans substituent fréquemment une plante à cycle court à la culture initialement prévue. Ainsi, dans la woïna dega, le maïs précoce est souvent remplacé par de l’orge ou du haricot (Le Pommelec, 2000 : 81). Les superficies dévolues aux cultures à cycle long (12 mois) ont tendance à se réduire. C’est notamment le cas du taro, dont la longueur du cycle ne permet pas aux paysans de tenir compte des variations de la qualité des pluies entre la petite et la grande saison des pluies.
80De même, après un déficit de la petite saison des pluies quand la soudure s’annonce difficile du fait des faibles récoltes en maïs, les paysans cherchent à minimiser le risque alimentaire ; ils plantent souvent en patate douce des superficies plus importantes que prévues, lors des semis suivants de grande saison des pluies. Ils jugent plus aléatoires les rendements d’un deuxième semis en maïs : en effet, les grandes pluies peuvent être trop fortes et détruire les récoltes ou au contraire aussi faibles que les « petites » et provoquer une diminution des rendements. Dans ce cas, les paysans utilisent une partie des superficies destinées à la culture du maïs pour planter des patates douces, moins sensibles aux variations pluviométriques. Les rendements élevés de la patate douce permettent en effet une reconstitution sûre et rapide des réserves alimentaires et l’utilisation d’un tubercule garantit une récolte correcte en cas de prolongement du déficit hydrique sur la deuxième saison pluvieuse. Pour avoir assisté à trois périodes d’arrivée des petites pluies, nous savons combien les paysans sont dans l’impossibilité de prévoir la durée exacte du retard des pluies (va-t-il se prolonger jusqu’aux grandes pluies ?). De même qu’ils ignorent parfois avec quelle culture ils vont ouvrir la saison agricole. À l’exception des paysans qui participent aux programmes de modernisation agricole et qui commencent par le maïs, comme leur impose le protocole, les autres peuvent ouvrir la saison culturale avec la patate douce. En culture principale, la patate douce est cultivée de mai à octobre. Il existe également un autre cycle (plantation en octobre et récolte en mai) qui intervient dans des rotations secondaires.
La figure 11 rend bien compte de l’emploi sécuritaire de la patate douce dans les rotations culturales. En cas de faibles précipitations lors des « petites pluies » – comme ce fut le cas en 1997, 1999 et 2000 – les superficies plantées en patate douce sont importantes, jusqu’à 6 300 ha pour l’ensemble du wereda de Damot-Woyde. Dans le cas contraire, si les premières pluies sont satisfaisantes (1998), les superficies ainsi plantées diminuent considérablement. La patate douce est donc bien utilisée afin de reconstituer les réserves alimentaires réduites par une mauvaise pluviométrie lors de la première saison culturale. M. Le Pommelec (2000 : 82) observe également une autre utilisation de la patate douce : lorsque les perspectives de récoltes sont mauvaises (toutes espèces confondues) la patate douce peut être plantée tardivement en juillet, alors même que les sols mouillés sont lourds et difficiles à travailler, et n’être récoltée qu’en décembre.
81L’alliance culturale dominante (tubercule/céréale) s’inscrit dans une stratégie alimentaire paysanne et répond à l’instabilité climatique de la région. Les tubercules résistant mieux aux déficits pluviométriques, les paysans y consacrent une part importante de leur exploitation, ce qui réduit d’autant leur capacité à cultiver des céréales mieux valorisées sur les marchés. En un sens, la nécessaire immobilisation d’une partie de l’exploitation par les tubercules, en prévision de l’endémique instabilité pluviométrique dans la région, constitue une véritable contrainte agricole. Elle ne met pourtant pas en danger les agriculteurs qui se nourrissent de patate douce, alors qu’une gestion similaire du vivrier commercialisable peut s’avérer beaucoup plus dangereuse du point de vue alimentaire.
82La souplesse des orientations agricoles propres à chaque exploitation entraîne de fait une grande variabilité de l’emprise au sol annuelle de chaque culture (tabl. 9).
Les superficies plantées en patate douce peuvent varier du simple au double d’une année à l’autre, comme ce fut le cas entre 1997 et 1998 et entre 1998 et 1999. Les cultures secondaires varient également dans des proportions importantes : la culture de l’orge augmenta en 1998 et diminua fortement en 2000, de même que celle du blé. Les cultures commerciales évoluent aussi dans les mêmes proportions et ont plutôt tendance à diminuer, comme le montre l’exemple du tef. Mais, dans l’ensemble, les productions les plus aléatoires sont les légumineuses et les tubercules secondaires (pomme de terre). La culture des haricots connaît sans doute les variations les plus importantes : de 4 800 ha semés dans le wereda de Damot-Woyde en 1997, la superficie tomba à 2 200 ha l’année suivante, puis remonta à 9 200 ha en 1999 et à 7 000 ha en 2000.
83La souplesse des rotations culturales wolaita se remarque particulièrement dans la variabilité des cultures secondaires, telles les légumineuses et quelques tubercules, à l’exception du taro, dont les superficies qui lui sont consacrées sont étonnamment stables ; constat qui renforce indéniablement sa parenté avec l’enset et prouve que sa diminution, si elle a bien eu lieu, est vraisemblablement ancienne.
84Aujourd’hui, la patate douce, première culture vivrière du Wolaita, connaît une variabilité importante au même titre que les cultures secondaires. Phénomène qui témoigne d’une généralisation de l’adaptabilité des rotations culturales, laquelle concerne bien l’ensemble des éléments du système de production, et non seulement les cultures secondaires.
85Si les facteurs pluviométriques et phytosanitaires qui commandent cette « adaptabilité » culturale sont fondamentaux, les paysans rencontrent aujourd’hui de nouvelles contraintes, économiques notamment, qui entravent leur gestion des rotations culturales et diminuent leur choix en terme de cultures ; le maïs ne peut ainsi plus faire l’objet de telles spéculations alimentaires car sa culture est de plus en plus régie par les protocoles du ministère de l’Agriculture.
Complantage et compatibilité des cultures
86La cultura promiscua, normalement réservée au jardin de case, s’observe également dans d’autres espaces de l’exploitation paysanne : plantation d’enset et champs extérieurs.
87Dans les basses terres du wereda de Soddo-Zuria, des plants d’enset sont disséminés dans le jardin de case et, lorsque ceux-ci sont récoltés, les paysans sèment parfois du maïs hors saison afin de pouvoir obtenir une petite récolte lors de la soudure – récolte d’autant plus indispensable que l’enset a déjà été consommé. Aux étages supérieurs, le complantage se pratique à l’intérieur même de la plantation – mais toujours en périphérie – afin de compenser la faiblesse des superficies cultivées. Il est également pratiqué dans les champs extérieurs, le maïs pouvant par exemple servir de tuteur à l’igname.
88Ces différentes formes de complantage participent à l’effort paysan de minimisation des risques agricoles. L’usage du haricot précoce qui arrive à maturité en pleine période de soudure, alors que le maïs et la patate douce n’ont encore rien produit, représente de ce point de vue une culture très intéressante. Cependant ce haricot, qui termine son cycle pendant les petites pluies aléatoires du printemps, fait prendre des risques économiques en année « normale » (bénéficiant d’une pluviométrie moyenne), c’est pourquoi il est souvent complanté avec le maïs précoce – ce qui oblige les paysans à un désherbage manuel des céréales et augmente leur charge de travail.
89Quelles qu’elles soient, les rotations culturales prennent en compte trois paramètres principaux : la superficie dévolue à chaque culture, la compatibilité des spéculations en terme de cycle et leur complémentarité en terme de gestion de la fertilité. Les fèves et les pois sont ainsi cultivés sans aucun amendement, car leur effet fertilisant est connu des paysans. De même, nombre de cultures exigeantes occupent les soles qui portaient précédemment du maïs cultivé avec engrais. Enfin, en terme de gestion de la fertilité, l’association culturale de base (céréale, tubercule et légumineuse) prend une signification supplémentaire, chacune des cultures nécessitant une forme d’amendement particulière qui les rend compatibles : fumure organique pour les tubercules, minérales pour les céréales et effet « amendant » des légumineuses.
90La compatibilité des cultures dépasse ainsi de beaucoup la seule compatibilité des cycles culturaux ; le maïs suit toujours une légumineuse ou un tubercule qui, récolté par arrachage, permet un premier ameublissement du sol, lequel facilitera la préparation du sol, effectuée à l’araire (Le Pommelec, 2000 : 82). De même, le taro, qui nécessite un apport en fumure organique important, précède souvent la culture du maïs.
91Les Wolaita choisissent donc avec soin, en fonction d’impératifs divers, les productions qu’ils vont cultiver sur leur exploitation. D’une certaine façon nous pouvons même dire qu’entre l’enset et le taro qui présentent à peu près les mêmes avantages culturaux, ils ont choisi l’enset plus qu’ils n’en ont hérité. Au contraire de l’enset, le taro subit une diminution importante des superficies qui lui sont consacrées : il occupe moins de 1 % de la SAUée totale du wereda de Soddo-Zuria (tabl. 6). Il demeure toutefois assez présent dans les basses terres où sa culture vient en seconde position après celle la patate douce – preuve supplémentaire de l’originalité de ces espaces.
92Une étude conduite dans les années 1970 par le WADU démontrait que la place du taro était faible en termes d’occupation du sol et de production, bien qu’elle demeurât prédominante en ce qui concernait la consommation domestique. Des études menées dans les années 1980 et 1990 par l’Institute of Agricultural Research d’Areka conduisirent aux mêmes conclusions : le taro reste une production mineure du système agricole wolaita, dont la culture semblait même négligeable dans les terres de la woïna dega du wereda de Bolosso-Sore.
93Les avantages de cette culture sont pourtant nombreux : rendement élevé (70 à 80 q/ha), bonne résistance aux maladies, à la sécheresse, aux trop fortes pluies et au gel, bonnes conditions de conservation, forte demande sur le marché et existence d’une fonction sociale. La plante est, en effet, utilisée dans certains rituels : elle régit la « cérémonie du taro » inaugurant une nouvelle maison et représente également l’aliment consommé par les enfants après une circoncision ou une excision. À bien des égards, les « miracles » de l’enset sont également ceux du taro.
94D’origine asiatique, la culture du taro est ancienne dans la région. Elle aurait été adoptée par des groupes bantouphones dès la première pénétration de la forêt des hauts plateaux de la Corne africaine et se serait ensuite diffusée vers les populations couchitiques du Nord (Baluchet et Philippson, in Chastanet, 1998). Certes, le taro n’est pas une plante indigène, au même titre que l’enset, mais l’ancienneté de son adoption en fait une plante bien connue des populations locales. Pourtant, cette culture demeure aux yeux des paysans une culture annuelle possédant un cycle trop long de 12 mois, alors que l’enset pérenne leur paraît plus avantageux. Cet état de fait laisse donc supposer que l’enséiculture procède d’un choix et non simplement d’un héritage. Nous en déduisons à nouveau que seules les orientations agricoles des Wolaita président véritablement à l’organisation de leurs paysages.
L’agriculture des fortes densités
95Les fortes densités de population du Wolaita font à la fois le succès et le malheur des agricultures paysannes. Une gestion performante de la fertilité permet aux paysans d’entretenir des associations culturales complexes et d’obtenir de bons rendements. Or, cette gestion de la fertilité nécessite une très forte intensification en travail et accapare l’essentiel des travaux paysans. De même, la réduction des superficies cultivées, sous le coup de la pression démographique, oblige à une plus grande intensification des pratiques, dans la mesure où l’extension de la SAU n’est plus possible. De ce point de vue, l’agriculture wolaita dans son ensemble, et pas seulement l’enséiculture, n’est pas sans rappeler la riziculture.
Gestion intensive de la fertilité
96Le savoir-faire agricole et horticole des Wolaita dépend largement de leur gestion de la fertilité (fig. 12) : les légumineuses sont utilisées comme des plantes améliorantes, les tubercules qui produisent beaucoup de feuilles fournissent une abondante fumure organique – redistribuée ou non entre les différentes parcelles de l’exploitation – et enfin, les céréales sont aujourd’hui très fréquemment cultivées à l’aide d’engrais chimiques fournis par les instances locales du ministère de l’Agriculture. En outre, toutes les cultures offrent des résidus utilisés dans la gestion de la fertilité des sols. À ces modes de fertilisation, il faut ajouter la part de l’engrais animal qui est certes un peu plus faible dans le gosha que dans l’emeria mais qui reste déterminante dans le jardin de case, et celle des engrais verts « extérieurs » : adventices divers et émondes de ligneux. L’ensemble des apports extérieurs requiert un travail répété du sol qui permet ce faisant d’améliorer la structure des sols soumis à une culture quasi continue. De fait, la jachère, qui participait naguère à ce processus complexe de restitution de la fertilité, est de moins en moins pratiquée sous le coup de la réduction des superficies disponibles par exploitant.
97L’efficacité de l’agriculture wolaita repose sur une savante redistribution de la fertilité, qui concerne tout autant les champs extérieurs que la plantation d’enset. De sorte qu’on ne saurait dire si la plantation bénéficie de plus de soins que les champs éloignés. Il semble, au contraire, qu’à chaque espace corresponde une égale intensivité en travail et que seule la nature des travaux agricoles varie. Les espaces proches du toukoul reçoivent un apport extérieur en fumure animale alors que les champs les plus éloignés fonctionnent davantage sur le mode d’une reconstruction de la fertilité, artificielle ou non, les espaces intermédiaires étant soumis à des redistributions de la fertilité entre les différentes parcelles (les différents espaces de l’exploitation). Aujourd’hui, ce mode de redistribution de la fertilité – à l’échelle d’une exploitation – est modifié par les apports d’engrais chimiques dont bénéficie le maïs cultivé sur les champs extérieurs. En conséquence, le niveau d’intensification culturale est double : en travail et en intrants.
98La redistribution de la fertilité suppose un travail important et quasi continu. Même la morte-saison agricole, qui s’étend de décembre à début février, connaît une activité agricole, puisqu’on y prépare le sol à l’araire pour les semis de petite saison des pluies à venir et qu’on y récolte le tef. La capacité de travail agricole est ainsi la clé de ce système et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, elle est parfois réduite.
99La main-d’œuvre familiale et la force de traction du cheptel sont les deux principaux agents du travail agricole. Du fait de l’importante division du travail, tous les membres de la famille participent aux travaux agricoles et(ou) domestiques. Les gros travaux (labour, arairage, semis, transplantation des enset, sarclage, buttage…) sont effectués par les hommes. Les femmes, en plus des tâches domestiques, s’occupent essentiellement de la récolte et du stockage des vivres, de la collecte et de l’épandage des déjections animales ainsi que de la culture du jardin de case. Les enfants sont mis à contribution pour la collecte du bois, de l’eau, de l’herbe et le gardiennage des animaux, pour ceux qui résident dans la qolla et la basse woïna dega. Dans les étages supérieurs les animaux sont gardés au piquet.
100La plantation d’enset est particulièrement représentative de l’intensivité en travail des exploitations wolaita. La préparation du sol de la plantation constitue l’un des travaux les plus lourds de l’enséiculture, en particulier lorsqu’il convient de créer une nouvelle plantation. Cela explique d’ailleurs le recours à l’entraide communautaire. Le sol doit être creusé à la houe sur une profondeur de 35 à 40 cm, afin que l’on puisse y déposer le fumier. La transplantation, qui permet la mise en terre des rejets prélevés sur un plant adulte, suppose un travail de préparation du sol tout aussi important dans la pépinière – cette tâche moins pénible que la précédente est néanmoins répétée beaucoup plus fréquemment. Le désherbage et l’entretien des jeunes plants sont également continus dans la pépinière. À cela, il faut ajouter le travail de préparation du qotcho et de l’épandage presque quotidien du fumier, pied par pied.
101Ces deux dernières tâches, uniquement réalisées par les femmes, concentrent une charge considérable de travail et constituent pour J.-M. Byakweli, avec l’opération de transplantation des plants, une limite technique à l’amélioration des rendements : « Chaque panier rempli de fumier pèse en moyenne 30 à 40 kg. Si on admet que chaque ménagère doit au moins faire 10 tours par semaine (3 fois par jour et pendant 3 à 4 jours par semaine), cela revient à transporter 300 à 400 kg de bouse récoltés, transportés et épandus chaque semaine. » (Byakweli, 2000 : 76). Ajoutons à cela le travail de la récolte des plants, qui mobilise pour deux plants cinq femmes pendant une journée entière.
102Quelle que soit l’importance des travaux agricoles dans la plantation d’enset, l’intensification en travail est une constante de l’agriculture wolaita et concerne l’ensemble des pratiques culturales. La culture du maïs, bien qu’elle soit réalisée avec des engrais chimiques, requiert toujours un investissement en travail considérable, ne serait-ce qu’en terme de préparation du sol (tabl. 10).
103Dans le système agricole wolaita, où l’intensification des systèmes provient principalement d’un investissement en travail, l’utilisation de l’araire présente un avantage considérable : celle-ci permet de substituer la force de travail animale à la main-d’œuvre humaine. J.-M. Byakweli remarque ainsi que certaines opérations de sarclage devant être réalisées à la houe sont parfois effectuées à l’araire lors des périodes de forte activité agricole, ce qui permet une productivité cinq fois supérieure à celle de la houe (Byakweli, 2000 : 77).
Les agro-pasteurs wolaita
104La possession de bétail joue un rôle essentiel dans les pratiques agricoles. La culture à l’araire attelée (kadoua) et l’utilisation de la fumure animale dans la gestion de la fertilité font du bétail le principal auxiliaire agricole des paysans. Le bétail se trouve à la rencontre des deux axes majeurs qui organisent l’agriculture wolaita : l’intensivité en travail et la gestion de la fertilité. Ainsi préside-t-il, davantage que l’enset, à l’organisation des paysages wolaita.
105Sur la montagne éthiopienne « paît le cheptel le plus important d’Afrique (27 000 000 de bovins, 18 000 000 d’ovins et 18 000 000 de caprins), beaucoup plus important que les troupeaux des éleveurs nomades des basses terres. » (Gascon, 2001 : 194). Avec un cheptel bovin estimé à 542 026 têtes, le cheptel wolaita représente 2 % du cheptel national (pour 1,9 % de la population et 0,3 % du territoire).
106Le Wolaita, par l’importance de son cheptel, s’individualise nettement au sein des pays de l’enset. D’après les résultats du recensement agricole de 1997-1998 (tabl. 11) le cheptel du Nord-Omo (essentiellement wolaita) occupe une position dominante dans le cheptel régional (SNNPR).
107Le cheptel du Nord-Omo et a fortiori celui du Wolaita présentent une grande diversité. Si, du point de vue alimentaire ou commercial, toutes les catégories animales ont un rôle à jouer, du point de vue agricole seul le cheptel bovin est significatif. Le Nord-Omo possède ainsi la plus grande proportion de gros bétail, également réparti entre les bœufs et les vaches, lesquelles sont essentiellement destinées à la production laitière. En revanche, les bœufs sont très peu abattus pour leur viande, ceux destinés à l’embouche ne constituent que 0,5 % du cheptel total, les autres, majoritaires, étant utilisés comme animaux de trait ; ils représentent alors environ un tiers du cheptel global (CSA, Agricultural Sample Survey, 1997-1998, vol. II : 57).
108La répartition des bœufs de trait est assez inégale au sein du monde paysan et conditionne, pour une grande part, l’évolution des pratiques agricoles. De même, l’importance du cheptel dépend des ressources fourragères, plus ou moins abondantes en fonction des étages, le cheptel le plus nombreux se situant dans les basses terres.
109Le gros bétail domine le cheptel wolaita (tabl. 12). Il est également composé de vaches et de bétail jeune (aussi nombreux que le bétail adulte) : l’on comptabilise ainsi 23 467 vaches pour 17 066 bœufs dans le wereda de Damot-Woyde en 2000, et 38 521 jeunes animaux (veaux, génisses et jeunes bœufs) pour 40 533 adultes. Le rapport entre animaux jeunes et adultes traduit les constantes transformations de ce cheptel (vente, abattage, décès) et témoigne à la fois d’une faible capitalisation dans le bétail – à la différence des autres éleveurs éthiopiens –, ainsi que d’une certaine précarité des conditions d’existence du troupeau, en perpétuelle reconstitution.
110L’importance numérique du cheptel régional renseigne davantage sur le nombre de propriétaires de bétail, c’est-à-dire de paysans, que sur la disponibilité du bétail par paysan. Nous verrons que les troupeaux individuels sont très restreints.
111Les Wolaita ne sont pas uniquement des jardiniers ; ils appartiennent également au cattle complex qui englobe une grande partie des peuples d’Afrique de l’Est. Ils partagent avec les Oromo, les Sidama et les Hadiya des cérémonies fondées sur la possession d’un troupeau important qui confèrent au propriétaire du cheptel un grand prestige : afin de faire valoir sa nouvelle reconnaissance sociale le propriétaire d’un troupeau de 100 têtes, voire de 1 000, conviait tout son voisinage à un festin durant lequel il faisait creuser une vaste fosse, tapissée de bouse de vache, et remplie de lait, dans laquelle il se baignait. Tous les participants lui rendaient alors les honneurs en buvant du lait. De telles cérémonies n’ont plus cours aujourd’hui du fait de l’appauvrissement des paysans ; la dernière, mémorable, qui eut lieu dans le wereda de Damot-Woyde se déroula dans les années 1930.
112En revanche, la dimension sociale du bétail reste d’actualité dans le Wolaita où les paysans aiment à se considérer comme appartenant à un peuple né de la rencontre entre éleveurs et cultivateurs. C’est ainsi que les Wolaita expliquent aujourd’hui le peuplement des basses terres : seuls les éleveurs seraient venus peupler ces terres ingrates pour l’agriculture mais riches en pâturages.
Une légende rapporte, qu’à l’origine, tous les Wolaita étaient des éleveurs. Un jour qu’il gardait son troupeau, un berger du nom de Saware Sangalo, prit quelques graines et les planta dans le sol qu’il travailla à la houe et désherba. Deux semaines plus tard, il remarqua quelques jeunes pousses qu’il mit en défens contre les ravages des troupeaux ; trois années plus tard, il apprenait l’agriculture à ses voisins. Ce mythe explique ainsi l’ascendance pastorale du peuple wolaita. Nous ne pouvons néanmoins nous empêcher de voir dans l’étendue du savoir agricole de Saware Sangalo une origine pastorale plus revendiquée que réelle. Il semble bien, au contraire, que les Wolaita soient un vieux peuple d’agriculteurs.
113Aujourd’hui, les paysans pratiquent tous, dans la mesure de leurs moyens, un élevage associé à l’agriculture. Si la dimension sociale du bétail demeure importante dans les campagnes, ce dernier est surtout considéré comme un moyen de production agricole, et ce d’autant plus que les pratiques pastorales, proprement dites, rencontrent des contraintes de plus en plus nombreuses : « Les troupeaux sont très restreints (quelques têtes) et les animaux restent fréquemment à l’attache près de l’habitation, bénéficiant des sous-produits de cette agriculture intensive, les terres à vocation pastorale étant très réduites. » (Faye, 1994 : 280).
114Le Wolaita abrite donc des systèmes agraires diversifiés et intensifs offrant une bonne capacité de résistance à la soudure. Pourtant les dynamiques foncières et économiques à l’œuvre dans la région – mais également dans l’Éthiopie tout entière – ne cessent de déstabiliser les économies paysannes qui dépendent de moins en moins de la seule gestion agricole. Il n’en demeure pas moins que les paysages très humanisés du Wolaita, continuellement « redessinés » par les paysans qui s’adaptent à des contraintes changeantes, forment un des premiers fondements de l’identité de ce territoire, sans pour autant que leur originalité au sein des « pays de l’enset » apparaisse comme une évidence.
Le Wolaita, archétype du Sud éthiopien ?
115Tous les pays appartenant à la ceinture de l’enset présentent d’indéniables ressemblances avec le Wolaita. Il existe une réelle parenté des paysages de l’enset induite par la signature si particulière des bosquets d’enset disséminés autour des habitations. Mais, dans la grande famille des cultivateurs d’enset qui occupe un espace s’étendant jusqu’à la frontière kenyane (carte 1), les degrés de parenté diffèrent. Kambatta, Hadiya, et dans une certaine mesure Guragé forment un premier ensemble, très proches des Wolaita : ils partagent tous de fortes densités de population, de faibles superficies agricoles disponibles et une intensivité commune des systèmes agraires. Vient ensuite un deuxième groupe composé des Gamo, Sidama et Gédéo qui offrent des ressemblances, notamment paysagères, mais dont on devine aussi une autre ascendance et qui font preuve, de ce fait, d’une réelle singularité agricole, ne serait-ce que parce qu’ils semblent soumis à une plus faible pression foncière. Enfin, les Wolaita partagent également quelques similitudes avec un troisième ensemble plus occidental : les Daoro et autres peuples du Kafa, qui pratiquent la culture de l’enset mais qui ont construit des paysages bien différents en raison d’un peuplement moins fort.
116L’identité du territoire wolaita se définit alors en rupture comme en continuité avec l’espace régional voisin. Certaines singularités, historiques et ethniques notamment, individualisent un territoire qui partage toutefois de fortes similitudes paysagères avec ses voisins.
117Un parfait continuum paysager existe ainsi entre les pays kambatta, hadiya et wolaita, comme de fortes similitudes avec le pays guragé. La situation démographique et foncière de ces pays est équivalente et les systèmes agraires offrent des profils semblables. Seule l’architecture des habitations rurales permet de distinguer rapidement les pays kambatta, hadiya et wolaita en dépit d’une très grande monotonie des paysages (photo 20 du cahier couleurs). On distingue une construction de type kambatta (djagira), également utilisée en pays hadiya, et une autre wolaita. Curieusement, le type kambatta se retrouve très fréquemment au nord du Wolaita, jusqu’au mont Damot – on nous a affirmé que la réciproque était vraie en pays hadiya. Seules les régions les plus méridionales autour des monts Kindo se signalent par une identité architecturale typiquement wolaita. Cette unité est néanmoins très relative puisque commence à se diffuser la construction de maisons modernes, avec un toit en tôle ondulée (korkoro).
118Cette communauté architecturale vient donc renforcer des similitudes géographiques nombreuses qui incitent à considérer ces espaces comme faisant partie d’un même ensemble régional. La région du Nord-Omo, au sens géographique et non administratif du terme, comprend ainsi les pays qui bordent, sur la rive orientale, le cours supérieur de l’Omo.
119L’indéniable communauté agricole et paysagère qui lie le Wolaita à ses voisins, jette les bases d’un découpage régional nouveau, basé sur des critères géographiques et non ethnico-linguistiques comme c’est aujourd’hui le cas en Éthiopie. C’est pourquoi nous utiliserons désormais le nom de Nord-Omo pour faire référence à cette région géographique et celui de Semen-Omo pour désigner la réalité administrative.
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