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La diffusion du sorgho repiqué dans le bassin du lac Tchad

The diffusion of transplanted sorghum in Lake Chad Basin

p. 207-241

Résumés

En imposant seuls le sorgho repiqué dans toute la bande soudano-sahélienne du bassin tchadien, y compris dans des terrains où l’on ne l’attendait pas, les paysans ont montré leur capacité à innover dans leur agriculture et à produire leur propre développement. Une large prospection menée au Tchad et au Cameroun a abouti à la collecte de 159 panicules, dont les rapprochements par similitude de caractères et homonymie ont permis de déterminer 40 variétés locales parmi 5 grands groupes régionaux : les muskuwaari du Diamaré, les bareye du sud du lac Tchad, les aouk du Salamat, les gagnan du Guéra et le tchangala du Fitri. La description de ces variétés montre une très grande diversité tant du point de vue morphologique que des qualités gustatives qui les caractérisent. Plusieurs variétés parmi les plus répandues donnent une farine bien blanche, très appréciée en ville, ce qui explique en partie l’engouement pour ces sorghos et le développement d’un véritable marché. La répartition spatiale des variétés ainsi que l’histoire relevée pour chacune d’elles ébauchent les grands axes de la diffusion du sorgho repiqué dans le sud du bassin du lac Tchad. Si l’extension des superficies est impressionnante au cours des dernières décennies, la diffusion variétale est très lente entre les différentes régions de production. Exclusivement assurée par les éleveurs transhumants et ponctuellement par des voyageurs, le plus souvent commerçants, inexplicablement arrêtée à l’ouest du Nigeria, la diffusion du sorgho repiqué reste encore aujourd’hui à l’initiative des paysans.

By imposing by themselves the cultivation of counterseason sorghum along the Sudano-Sahelian region of the Lake Chad Basin, including places where it was not expected, the farmers showed their capacity to innovate and produce their own development. A large study carried out in Chad and Cameroon lead to the collection of 159 panicles. The similarities and homonymy helped to determinate 40 local varieties among 5 regional groups: the muskuwaari from Diamaré, the bayrere from southern Lake Chad, the aouk from the Salamat, the gagnan from Guéra and the tchangala from Fitri. The description of these varieties shows a great diversity, from a morphological point of view as well as for the taste. Many varieties among the most widespread produce very white flour, which is much appreciated. It explains the sudden interest in this sorghum and the development of a flourishing market. The spatial extension and the history of these varieties give the main axes of their diffusion. If the spatial expansion has been impressive in the past few decades, the diffusion of some varieties is now very slow between the various regions of production. Seasonal migrating farmers and occasional travellers, generally traders, spread transplanted sorghum but, surprisingly, only to west Nigeria, the diffusion remains in the hands of the farmers.

Entrées d’index

Mots-clés : sorgho repiqué, innovation agricole, Cameroun, Tchad

Keywords : transplanted sorghum, crop diffusion, self induced development


Texte intégral

1Une innovation agricole originale des populations rurales du bassin tchadien est l’utilisation en contre-saison des terres argileuses inondées pour repiquer du sorgho (Sorghum durra ou durra caudatum). Depuis longtemps maîtrisée, cette culture connaît une diffusion importante au cours des dernières décennies, qui est particulièrement visible dans le paysage, mais aussi dans les dynamiques du développement rural de la région (Raimond, 1999 ; Mathieu et al., 2002). Les variétés utilisées acceptent les conditions édaphiques difficiles de ces terrains et sont capables de puiser dans les réserves hydriques de ces sols pour accomplir leur cycle végétatif, en saison sèche sans autre apport d’eau. Il s’agit de variétés de sorghos qui ont progressivement été « désaisonnées » pour s’adapter aux conditions édaphiques rigoureuses de la saison sèche. « Muskuwaari » dans le nord du Cameroun, « masakwa » au Nigeria, « berbéré » au Tchad, le sorgho repiqué connaît un large développement dans la région depuis la moitié du xxe siècle. Les raisons et les modalités de l’adoption massive des sorghos repiqués dans les secteurs concernés sont liées aux effets conjugués de l’introduction de la culture cotonnière qui réquisitionnent main-d’œuvre et terres agricoles pendant la saison pluviale, à la péjoration climatique, – les sorghos repiqués échappant en partie aux stress hydriques –, et à l’augmentation importante de la demande en ville pour ces sorghos (Raimond, 1999). Un travail spécifique réalisé sur les variétés traditionnelles permet de reconstituer l’histoire de la diffusion du sorgho repiqué à l’échelle du bassin tchadien, tout en précisant leurs qualités agronomiques et gustatives.

2Le terme de « variété » pour regrouper les espèces cultivées est assez vague pour les scientifiques, mais il l’est plus encore pour les agriculteurs africains qui cultivent un matériel variétal extrêmement hétérogène. Il existe au Nigeria, au Nord Cameroun et au Tchad une multitude de formes domestiques de sorghos, aux caractéristiques botaniques et alimentaires et aux aptitudes agricoles très différentes (Niqueux, 1959 ; Bezot, 1963, 1965 ; Le Conte, 1965 ; Curtis, 1966 ; Eckebil, 1970 ; Assegninou, 1976 ; Monthe, 1977 ; Orstom (coll.), 1984 ; Seignobos, 2000). La description des sorghos repiqués que nous proposons ci-dessous est une illustration de cette grande hétérogénéité. Elle repose sur les classifications basées sur l’expérience et les connaissances locales. J.R. Harlan (1987) définit ces populations variétales comme les « variétés de pays », ou variétés traditionnelles, par opposition aux cultivars modernes uniformes. Si elles varient beaucoup d’aspect, chacune porte un nom local et est identifiable par des propriétés ou caractères particuliers : précocité, productivité, adaptation à des conditions climatiques, à des pratiques culturales, à des maladies et des parasites locaux, exigence pédologique, valeur gustative. Ces variétés traditionnelles peuvent aussi être classées en fonction de leur utilisation future : farine, boisson...

3Cependant, le polymorphisme très important qui existe entre les individus composant une variété traditionnelle, joint à l’abondance des noms vernaculaires souvent synonymes ou homonymes, n’est pas fait pour simplifier une étude d’ensemble.

La grande diversité des variétés traditionnelles de sorgho repiqué

4La prospection des variétés traditionnelles de sorgho repiqué a porté sur la région la plus large possible afin d’avoir une vision d’ensemble sur le bassin tchadien. La collecte des panicules a été faite pendant deux campagnes agricoles : en 1994-1995 dans les préfectures du Chari-Baguirmi, du Mayo Kebbi (nord), du Batha, du Guéra et du Salamat au Tchad et en 1996-1997 dans le sud du Mayo Kebbi au Tchad et dans les provinces du Nord et de l’Extrême Nord au Cameroun.

5Cette prospection a permis de collecter 159 panicules, dont les différents caractères sont détaillés dans ma thèse (Raimond, 1999). Il va de soi que la collection ainsi rassemblée n’est pas exhaustive : les nouvelles variétés rencontrées ont été collectées systématiquement, en notant celles qui étaient majoritairement repiquées dans la région de référence1.

6La grille de description a été établie à partir de critères définis par les sélectionneurs de sorgho : il s’agit de la forme et de la compacité des panicules, de la couleur des grains des glumes, de la présence ou non d’aristes (« poils » situés à l’extrémité des glumes qui les protègent contre les oiseaux granivores) et de taches brunes. Pour les sorghos repiqués, les critères de distinction entre les variétés traditionnelles reposent principalement sur les caractères de couleur des grains et des glumes, la compacité et le port de la panicule. Ce dernier caractère est généralement indiqué dans le nom de la variété : amchilkhe traduit un pédoncule droit en arabe, am kined-jire un pédoncule crossé. La présence d’aristes est très recherchée par les agriculteurs. A ces caractères morphologiques permettant de relier les variétés traditionnelles à la classification botanique, nous avons ajouté les caractères relevant plus spécifiquement de la classification locale : durée du cycle végétatif, taille des plants à maturation, qualité gustative, couleur de la farine.

7La forme de la panicule, qui est généralement retenue comme un caractère important de détermination des types botaniques, intervient très rarement dans les classifications locales. Les critères de hauteur de plant et de longueur du cycle végétatif sont également évoqués, mais ils diffèrent énormément selon la localisation et les disponibilités en eau de la parcelle : ces caractères ne sont généralement pas représentatifs d’une variété locale. Les caractères particuliers, comme l’apparition de grains doubles, sont mentionnés mais ne font pas l’objet d’une variété particulière, les agriculteurs ne choisissant généralement pas les panicules réservées aux semences dans ces groupes-là : ils ont cependant un nom, par exemple am timano signifie « les jumeaux » en arabe tchadien.

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Figure 1. Distribution des variétés traditionnelles de sorgho repiqué au Tchad et au Cameroun.

8Les noms locaux ont été systématiquement relevés dans la langue utilisée. Les qualités productives et gustatives ont été rapportées par les cultivateurs et les consommateurs. La description morphologique a été réalisée sur la parcelle lorsque les périodes de récolte le permettaient. Sinon, elle a été faite à partir de la panicule déjà récoltée, la description du plant entier étant faite par les cultivateurs. L’histoire des variétés traditionnelles a été notée pour chacune des panicules collectées.

9Le rapprochement des variétés entre les différentes régions de collecte s’est effectué en deux étapes. Chaque fois que cela a été possible, nous avons amené les cultivateurs à comparer eux-mêmes les variétés traditionnelles d’autres régions, afin de pouvoir faire le lien entre elles. Nous avons ensuite travaillé à partir de la toponymie. Les résultats de cette analyse ont permis d’établir une carte de distribution des variétés traditionnelles de sorgho repiqué (Raimond, op. cit. et figure 1).

10Les appellations génériques locales du sorgho repiqué sont en principe équivalentes. Les trois noms désignant le sorgho repiqué les plus courants sont exprimés dans les langues les plus parlées dans la région, l’arabe tchadien et le fulfulde, les langues véhiculaires du Tchad, du Cameroun et du Nigeria. Berbere (arabe) désigne à l’origine la terre noire où le repiquage du sorgho est possible, mais la signification a été étendue à la plante elle-même. Le terme initial semble avoir été masakwa emprunté au kanuri, mais il n’est plus employé au Tchad. On constate la même évolution du langage au Cameroun où le terme karal décrivant les sols argileux des zones humides désigne de plus en plus fréquemment la culture.

11Ces termes recouvrent en outre des variétés traditionnelles de sorgho repiqué très différentes, de sorte que ces noms désignent non seulement le sorgho repiqué, mais aussi la provenance des variétés désignées : au Tchad, où le fulfulde n’a pas la même importance qu’au Nord-Cameroun, muskuwaari désigne les variétés de sorgho repiqué cultivées dans la région de Maroua, qui correspondent à un écotype très particulier. Inversement, berbere désigne les variétés de sorgho repiqué venues du Tchad dans le pays tupuri.

12Le passage de ce niveau à celui des variétés traditionnelles, en tentant de faire des rapprochements entre elles et les régions où elles sont cultivées, est un exercice beaucoup plus difficile et ce pour plusieurs raisons. Les grands types sont difficiles à distinguer car le ou les caractères qui les décrivent peuvent ne pas être toujours homogènes. Ainsi, un type comme le safrari, unanimement reconnu dans le Diamaré (Cameroun) pour la couleur jaune de ses grains et sa panicule crossée, peut comporter des variétés à grains blancs ou à pédoncule droit. Nous pourrions multiplier les exemples. Cette hétérogénéité des caractères peut provenir de l’utilisation des matériels variétaux dans des milieux différents du traditionnel, entraînant une modification de certains caractères. Nous avons constaté les différences de taille des plants d’une même variété traditionnelle, le bareye amchilkhe, en fonction de leur localisation dans la parcelle et des écartements observés entre les trous de repiquage (Raimond, op. cit.). Il est possible que la couleur des grains puisse également changer : ce phénomène est observé pour les variétés de chetaye ou de djiressa en fonction du terrain dans la plaine d’inondation du bahr Azoum (sous-préfecture d’Am Timan, Tchad). Djiressa hamar deviendrait un peu blanc suite à un problème de pollinisation.

13Le rapprochement des variétés par homonymie est souvent limité par des règles qui diffèrent selon les régions et les langues, ce qui a déjà été observé dans d’autres domaines. Pour celui des variétés locales de sorgho repiqué, nous pouvons donner deux exemples :

  • les nouvelles variétés, dont on ne connaît pas le nom dans les régions d’origine, sont souvent désignées avec des vocables étrangers qui sont assez imprécis. C’est notamment le cas des muskuwaari trouvés dans les régions limitrophes du Nord-Cameroun et même dans la sous-préfecture d’Am Timan, ou des masakwa recensées dans la sous-préfecture d’Abou Déïa et dont la provenance serait Goz Beïda ;

  • il est généralement admis que les variétés locales prennent le nom du terroir où elles sont cultivées. Nous en avons l’exemple pour une variété reconnaissable par la couleur généralement foncée de ses grains : amkarouba est mise dans le type des gagnan dans le sud du massif du Guéra. Elle se nomme aouk amkarouba dans la sous-préfecture d’Am Timan et porte le nom de son terrain d’origine dans la région de Melfi. Sa couleur varie en fonction des sols où elle est cultivée : elle peut prendre des teintes orangées dans la région de Liwi (sous-préfecture d’Abou Déïa).

14Enfin, il aurait été intéressant de relever les panicules spécialement réservées pour la fourniture de semences. En effet, si les agriculteurs reconnaissent très bien leurs variétés traditionnelles et tous les caractères imputables au biotope, ils en réservent certaines pour les semences et en écartent d’autres. Ou ils gardent une panicule de chaque variété afin de varier un peu le goût de la boule. En règle générale, les variétés les moins appréciées pour leur goût sont aris-tées et très colorées. Par ces pratiques, ils opèrent une sélection visuelle, affinant sans cesse le matériel génétique dont ils disposent, à la manière des premiers agriculteurs qui domestiquèrent le sorgho sauvage (Mazoyer, Roudart, 1997).

15Au total, les 159 panicules ramassées au cours des deux collectes montrent une grande hétérogénéité des caractères spécifiques des sorghos repiqués. Cependant, une très grande majorité des panicules collectées appartient au type botanique Sorghum durra. Quelques panicules sont des Sorghum caudatum, essentiellement parmi les groupes de baburi du Nord-Cameroun et quelques autres variétés de la plaine du Salamat. Tous les intermédiaires entre ces deux types cultivés sont également représentés. La diversité des couleurs observées sur les grains est très importante : ils peuvent être blancs, jaunes ou bruns en passant par toutes les nuances intermédiaires.

16Il apparaît que la grande diversité de ces variétés traditionnelles ne se rattache pas à un cultivar homogène. Mais elles ont en commun de s’adapter à une grande sécheresse, ce qui permet leur repiquage en contre-saison.

Les muskuwaari du Diamaré

17Le muskuwaari est cultivé principalement dans les provinces du Nord et de l’Extrême Nord du Cameroun. Il comprend 7 types principaux dans le Diamaré : safrari, majeri et adjagamari, sukatari, manduweiri et sulkeiri. Les trois premiers sont les plus importants et regroupent une multitude de variétés traditionnelles. Nous n’indiquerons ici que les grands groupes, les détails des variétés du Diamaré étant indiqués par N. Perrot et al. dans le présent ouvrage.

18Le safrari désigne les sorghos repiqués à grain jaune, donnant une farine blanche. Sa panicule est compacte et de forme globuleuse ou elliptique, sur un pédoncule crossé. La taille des plants à maturation est généralement petite, de 1,40 m environ. Les Fulbe du Diamaré ont une prédilection pour les Sorghum durra, et plus particulièrement ces variétés de safrari. Celles-ci prennent le nom de murel dans la vallée de la Bénoué et elles sont présentes dans tout le Mayo Kebbi tchadien.

19Le majeri est également un Sorghum durra à grain blanc, la boule et la farine sont blanches. Ils ont la même taille de plant et de grain que le safrari. Seule adjagamari se trouve en position plus septentrionale : elle fait partie des variétés repiquées au nord de N’Djaména, où elle n’occupe pas des superficies importantes. Elle est par contre la préférée des Fulbe de la Bénoué qui la nomment dalassi.

20Le groupe des burguri (fulfulde) ou burgoye (tupuri) désigne tout muskuwaari donnant une farine et une boule colorée, généralement moins appréciée que les variétés précédentes. J. Barrault et al. (1972) classent la multitude de variétés que comprend ce type en trois groupes en fonction de la couleur des grains, blancs teintés de brun, rouge ou brun plus ou moins délavés ou blanc craie, et en fonction de la présence d’aristes (burguri gassa). Dans ce dernier cas, les grains sont amers au stade laiteux, ce qui constituerait en même temps que les aristes, un frein aux déprédations des oiseaux mange-mil.

21Enfin, les dernières variétés sakatasare et manduweiri sont moins importantes mais ont été trouvées également au Mayo Kebbi.

22Il faut mentionner en dehors du groupe des muskuwaari celui des baburi caractérisé par un cycle végétatif se réalisant en partie pendant la saison des pluies et se terminant en saison sèche. Ces sorghos (Sorghum caudatum) sont, dans la dépression tupuri, plus anciens que les muskuwaari : le baburi a été pendant très longtemps considéré comme l’espèce représentative des Tupuri, mais tend à disparaître au profit des variétés de muskuwaari (Guillard, 1965 ; Fekoua, 2002). Ils ont un cycle long et sont repiqués sur des sols moins argileux, possédant donc une moins bonne rétention en eau que les vertisols, ils nécessitent un aménagement en billon.

23Nous n’avons pas rapporté de panicules de ce groupe, mais J. Barrault et al. (op. cit.) en font la description. Ils sont beaucoup plus homogènes que les muskuwaari et se séparent entre deux variétés : le wale-mansan et le madesse. Le premier a une panicule demi-lâche à lâche, ovoïde avec un pédoncule droit, à grains blancs mats avec couche brune et donne par conséquent une farine colorée. Le madesse possède un grain totalement rouge, surtout utilisé pour la fabrication de la bière de mil.

Les bareye au sud du lac Tchad

24Le bareye est le groupe le plus représenté et gustativement le plus apprécié dans la région du Chari-Baguirmi (Tchad). Il comprend de nombreux phénotypes qui sont tous caractérisés par une meilleure adaptation aux conditions édaphiques plus difficiles du milieu sahélien et s’adaptent à tous les sols à tendance vertique. Leur cycle est également plus court que les variétés du Diamaré.

25On distingue deux sous-groupes de bareye : l’un a une panicule crossée (doncoq, arabe), l’autre dressée. Dans ces régions, le bareye crossé a un meilleur rendement et un cycle plus long que le bareye dressé. Leur tige est sucrée et très consommée par les hommes comme les animaux. Les grains sont ronds, généralement blancs, les glumes noires et donnent une farine très blanche qui peut être mélangée à la farine de blé pour faire du pain.

26Le bareye est le seul qui talle (un plant peut donner deux à trois tiges). A maturité, il peut atteindre 2 m en bonne saison pluvieuse. Si cette variété est gustativement la préférée des hommes, elle l’est également des oiseaux. Les attaques sur bareye sont telles, que beaucoup l’ont abandonné au profit de variétés moins sucrées, voire amères comme am suffa.

27Les Kanembu distinguent parmi le sous-groupe des bareye dressés, le portogo (panicule ronde, compacte et grains blancs), le yamanic (panicule filiforme, lâche et grains rouges), et le bulboye (panicule longue, compacte et grains blancs).

28Le bareye angaratawaral (waral = varan en arabe) présente un pédoncule droit et une panicule compacte. Les grains sont blancs et les glumes noires. Très proche, anchitere a une panicule semi-compacte et des glumes brunes.

29Il est également intéressant de noter des cas de dégénérescence des variétés. Amatiman, « la mère des jumeaux », a la particularité d’avoir deux grains par glumelle. Elle apparaît dans les champs semés en bareye et est réputée pour donner double rendement, ce qu’il faudrait vérifier. Les plus beaux épis sont conservés pour les semences qui sont mélangées aux autres variétés de bareye pour le semis en pépinière. Il n’est pas certain que les générations suivantes gardent le caractère des grains doubles.

30Adjagma est également très appréciée et très cultivée dans la région. Elle présente un plant de même taille que le bareye. La tige est sans pruine2, la panicule est filiforme et semi-lâche. Ses grains sont ronds, vitreux, de couleur jaune et donnent une farine blanche, de mieux en mieux appréciée. C’est pourquoi son prix est le plus élevé sur les marchés. Cette variété a le cycle végétatif le plus long de toutes les variétés rencontrées. Selon les conditions hydriques, elle peut développer des talles aériens (un plant d’adjagma peut donner plusieurs panicules). Elle est sujette aux attaques d’oiseaux.

31Le groupe des burzuglo rassemble de nombreuses variétés. La plus importante est une variété aristée (am suffa) introduite récemment dans la zone. Elle est précoce mais plus exigeante en eau au début de son cycle. La tige ne présente pas de pruine et la panicule est dressée. Les grains ont une couleur jaunâtre et donnent une farine blanche. En plus de l’amertume des grains, les aristes constituent une défense efficace contre les attaques d’oiseaux. Ce facteur explique l’extension que connaît cette variété depuis une vingtaine d’années, malgré l’amertume de sa farine.

32Le burzuglo andurdume a une panicule dressée, plus longue et compacte, un grain blanc très dur et des glumes noires. La farine est blanche. Il est également peu apprécié des oiseaux.

33Anguldja est une variété précoce. Elle présente un pédoncule droit et une panicule lâche. Les grains sont rouges et ressemblent aux variétés de sorgho pluvial. Peu attaquée par les mange-mils, sa farine rouge au goût amer fait qu’on l’utilise pour la fabrication de la bière : cette variété traditionnelle se rattache donc au groupe des burguri des Fulbe et n’est produite par les Arabes Showa, musulmans, que pour sa commercialisation à N’Djaména.

Les aouk du Salamat

34Les variétés traditionnelles de la province du Salamat (Tchad) peuvent être rassemblées en deux grands groupes.

35Les variétés « rustiques », les plus anciennes, nommées chetaye et aouk sont essentiellement présentes dans le sud de la préfecture. On les trouve plus au nord, dans le massif central tchadien, sur les bords de l’ouadi Hima dans les alentours d’Oum Hadjer et dans les plaines inondables du secteur de N’Goura : cette localité semble être, au nord, la limite occidentale de la diffusion des variétés traditionnelles du Salamat. Plus au sud, les plaines inondées par le bahr Batha de Laïri, l’Erguig et par le Chari au niveau de Niellim et de Sahr n’ont pas été visitées.

36Ces variétés ont un cycle végétatif long et se conservent très longtemps en raison de leur enveloppe externe épaisse. La variété chetaye en particulier peut se conserver pendant 3 ou 4 ans sans problème. Les autres variétés traditionnelles sont rassemblées sous le nom « aouk », qui est celui du bahr qui traverse la région d’Haraze Mangueine et marque la frontière avec la République centrafricaine. Ces variétés ont généralement des grains blancs et sont réputées pour leur tige sucrée. La pépinière est installée début septembre, le repiquage intervient en octobre et la récolte en février-mars, le cycle s’étend sur 6 ou 7 mois. Ces variétés dégénèrent lorsqu’elles sont cultivées sous pluies, contrairement à la variété chetaye qui supporte beaucoup mieux un « resaisonnement », pratiqué dans le massif central tchadien (Dokatchi).

37Les nouvelles variétés sont regroupées sous le nom de djiressa et sont arrivées au cours de la sécheresse de 1984-85 par l’intermédiaire des Arabes Rachid en provenance de la sous-préfecture d’Abou Déïa. Elles sont plus précoces que les premières, ce qui présente deux avantages non négligeables pour les populations rurales.

38En effet, les sorghos repiqués représentent 90 % des productions céréalières régionales : une récolte précoce permet d’écourter la période de soudure alimentaire, qui se situe ici au cœur de la saison sèche. Le second avantage est d’échapper en partie aux ravages causés par les oiseaux granivores.

39On distingue essentiellement la variété à grains blancs (djiressa beida) de la variété à grains rouges (djiressa hamar). Cette dernière est largement prédominante et peut être confondue avec celle plus ancienne de chetaye, mais elle possède des panicules plus petites. Ces deux variétés ont un bon tallage à partir des pieds comme à partir de nouveaux bourgeons. Elles sont également plus résistantes aux stress hydriques que les variétés rustiques en raison de leur cycle végétatif plus court. Djiressa hamar semble avoir un meilleur rendement car cette variété possèderait des grains plus nombreux et plus serrés par panicule. Aouk a plus de glumes et moins de grains. Sachant que l’eau n’est pas un facteur limitant dans ce secteur soudanien, on obtient 10 sacs de aouk beida contre 15 sacs de djiressa hamar et 13 à 14 sacs de aouk abroun.

40Finalement, on peut définir 6 groupes parmi les variétés de sorgho repiqué dans le secteur d’Am Timan : aouk, chetaye (groupe local, cycle long), chiguera (local, cycle moyen, aussi ancienne qu’aouk), djiressa (cycle court en provenance d’Abou Deïa), bangalo et farik.

41Bangalo regroupe toutes les variétés qu’on ne connaît pas : pendant la rébellion 1967-1969, Bangalo était le nom d’un campement militaire établi près d’Am Timan. Les agriculteurs ont pris les semences de sorgho qui faisaient partie des vivres envoyées par l’Etat et lui ont donné ce nom. Karama pourrait être rattaché à ce groupe. Le groupe des farik rassemble les variétés sucrées : gagnan, fatarita. Lorsque tout n’est pas consommé en vert, les surplus sont transformés en farine uniquement si l’on est dans le besoin car elles sont peu appréciées pour la boule. Même à Abou Déïa, ces variétés sont remplacées par djiressa.

42Les variétés prennent un nom local par village, ce qui rend les recoupements difficiles. Par exemple, Amkouba est le nom d’un village à la sortie du marché à bétail d’Am Timan.

43Les variétés sucrées, comme amkhougab ou fatarita, ne se cultivent pas à proximité d’un plan d’eau car elles attireraient les oiseaux qui en sont friands. Ces variétés seraient issues de variétés pluviales qui ont été repiquées uniquement pour leur consommation à l’état laiteux, éventuellement grillées.

44Les variétés en provenance du Cameroun sont rares dans cette région très éloignée. Nous en avons rencontré une, qui par son nom de muskuwaari et sa description, peut s’apparenter aux madjeri de la plaine du Diamaré. Les agriculteurs nous en ont décrit une autre que nous n’avons pas rencontrée : elle porte le nom local amagueg que l’on peut rapprocher du groupe des burguri. Elle a une panicule lâche, un pédoncule droit, des grains crèmes tachés de rouge, glume blanc-rouge, fleurs mâles blanches, avec des tiges sucrées ou non.

Les gagnan du Guéra

45Les panicules collectées dans la région du Guéra se subdivisent en deux groupes principaux : les djiressa de couleur blanche ou rouge et les gagnan dont l’unité tient plus à leur bonne capacité de production qu’à une couleur particulière. Les gagnan couvrent la gamme la plus étendue des types variétaux que nous avons eus à définir.

46Les djiressa sont dominants au nord de la préfecture : la variété à grains jaunes est crossée et de haute taille (2,5 à 3 m de haut), alors que la variété à grains blancs est plus petite (1,5 m). Le bogoroho a des panicules blanches au port dressé (village de Dokatchi). La variété chetaye est la meilleure variété, tant pour son goût que pour le rendement qu’elle peut donner ; elle a été importée d’Am Timan3. Elle est de couleur jaune foncé et a un pédoncule crossé. Le chetaye ne donne pratiquement pas de déchets : « quand on bat, ils donnent beaucoup ». Il peut se conserver pendant deux ans car la dureté de ses grains le protège mieux, mais il est aussi beaucoup plus difficile à moudre que les autres variétés. On ne le trouve dans la région que dans les plaines les mieux inondées.

47Le chetaye peut éventuellement présenter des aristes : dans ce cas, il est séparé des autres, autant pour les semences que pour le battage, car cette variété est moins bien commercialisée. Chetaye rebecha est cultivé en très petite quantité dans le sud du massif.

48Aouk beida est la variété la plus ancienne et encore la plus cultivée dans le sud du massif du Guéra (sous-préfecture d’Abou Deïa).

49Les variétés de gagnan sont moins anciennes que les aouk. Elles se caractérisent par un cycle végétatif très long, qui atteint très fréquemment 7 mois. La variété la plus courante a des grains jaunes et des fleurs jaunes. Elle porte le nom de tcharo dans la région d’Am Timan. Elle est réputée pour se conserver très longtemps et la farine obtenue donne une bonne boule. Certaines variétés sont caractérisées par des panicules très fournies (gagnan amalan : « plein de graines »), lâches (gagnan eleman) ou des grains sucrés (gagnan ambalao). Une variété très blanche, gagnan beida ou laban al inze (lait de chèvre) est plus sucrée et se consomme à l’état laiteux (farik). Elle se conserve au plus pendant une année en raison des fréquents ravages des rongeurs. Gagnan amfondjula a un cycle court de 4 mois et demande un sol très humide : elle est généralement repiquée plus tard pour que l’épiaison se fasse en même temps que les autres variétés. Abou djiressi, à la panicule plus lâche, grains bruns, est ici rattachée aux gagnan.

50Les variétés amkaram sont essentiellement repiquées sur le pourtour des parcelles en raison de leur goût amer, dissuasif pour les oiseaux granivores. Ces variétés sont également caractérisées par des besoins en eau plus élevés que les autres variétés de ce secteur.

Le tchangala du Fitri

51Les cycles végétatifs des sorghos repiqués sont décalés dans la région du Fitri en raison du retard de la crue du lac. La mission ayant eu lieu en novembre dans cette région, nous n’avons pas pu observer ni récolter les différentes variétés locales. La description sommaire que nous en donnons est celle des agriculteurs interrogés, qui ont par ailleurs reconnu celles qui avaient été rapportées du Guéra.

52Les Bilala connaissent plusieurs variétés qui sont différenciées en fonction de leur couleur. Les variétés à panicule droite, regroupées sous le nom de tchangala, sont anciennes, de couleur rouge ou blanche :

  • le tchangala ashe, avec des grains de couleur rouge et un cycle végétatif de 120 jours ;

  • le tchangala rava possède des grains de couleur blanche et un pédoncule droit, avec un cycle végétatif plus court, de 90 jours.

53La variété bareye ashe, crossée avec des grains blancs et des glumes rouges, a été diffusée récemment par l’ONDR. Elle est caractérisée par une courte taille et un cycle végétatif très court, de 70 jours.

54Une variété aristée a été abandonnée pour sa faible résistance face aux insectes pendant la pépinière, malgré son adaptation aux attaques aviaires. Elle est encore cultivée dans la région de Galo près d’Ati. Cette variété est appelée tchangala bi (« bi » signifie poil en bulala) et peut être jaunâtre ou blanc avec des glumes noires, elle donne une boule jaune.

55Les variétés de sorgho repiqué en bordure de l’Abou Telfan sont reconnues par les agriculteurs du Fitri, ce qui laisse à supposer qu’elles y sont également cultivées.

Valeurs gustatives du sorgho repiqué

56Aujourd’hui, la diffusion variétale d’une région à l’autre se fait difficilement. Quand elle se fait, ce ne sont pas des qualités gustatives particulières que les agriculteurs recherchent : en liaison avec la péjoration climatique observée au cours des dernières décennies, et particulièrement dans les régions les plus septentrionales, ils recherchent plutôt les variétés à cycle court. En région soudanienne et sahélo-soudanienne, ils espèrent aussi avancer la période de maturation des panicules pour éviter les ravages des oiseaux granivores. On assiste ainsi à une tendance vers l’uniformisation des variétés cultivées, en particulier dans la région du Salamat. Dans cette région, les nouvelles variétés de djiressa hamar ont un goût amer peu apprécié, ce qui explique que les variétés d’aouk, plus rustiques et au cycle végétatif plus long, sont encore très présentes dans cette préfecture.

57La grande hétérogénéité du matériel variétal du sorgho repiqué exposée ci-dessus explique la diversité des goûts de la farine et de la boule. A l’intérieur de chaque groupe de sorgho repiqué, les variétés traditionnelles sont plus ou moins gustativement appréciées, soit pour le goût de la boule (elle est plus ou moins sucrée), soit pour son effet de satiété (elle « tient bien au ventre »), soit pour sa faculté à être consommée à l’état laiteux, soit encore pour ses tiges sucrées, consommées comme de la canne à sucre. Ce caractère intéresse également les éleveurs, qui donnent les tiges comme fourrage aux troupeaux pendant la saison sèche, et dont les qualités nutritives ont été démontrées par des études bromatologiques réalisées au nord de N’Djaména en 1995 (Raimond, op. cit.). Certaines variétés sont cultivées exclusivement pour être consommées comme farik par les Arabes : elles sont ramassées à l’état laiteux et grillées dans les champs pour être consommées sur place. Elles constituent alors l’unique repas pris dans la journée, à une période où le gardien ne peut quitter le champ menacé par les oiseaux granivores.

58Un caractère commun à la majorité des sorghos repiqués est la dureté des grains : ils sont réputés pour être très difficiles à moudre. Ce caractère morphologique a été confirmé par les mesures biométriques réalisées sur une partie de la collection, qui montrent que les grains sont partiellement à presque entièrement vitreux. La généralisation des moulins dans les villages et en ville a donc pu contribuer à l’augmentation des productions et de leur commercialisation.

59De nombreuses variétés donnent une boule blanche, qui est très appréciée à la campagne comme en ville. Ce caractère, ajouté à la date de récolte qui permet d’obtenir une production disponible sur le marché au cœur de la saison sèche, constitue un attrait majeur pour les populations urbaines. La variété bareye est même utilisée dans la fabrication du pain à N’Djaména, en la mélangeant avec de la farine de blé. La demande croissante en sorgho repiqué participe à l’explication de la forte extension des superficies cultivées en sorgho repiqué à la périphérie des centres urbains.

60Pour apprécier les critères de qualité gustative entrant dans la sélection des variétés de sorgho repiqué, il ne faut pas considérer uniquement l’alimentation humaine, mais aussi celle des animaux, et pas seulement des bovins. En effet, les principaux prédateurs de la culture étant le Quelea quelea et le Passer luteus, les cultivateurs usent de toutes les ruses pour tenter de limiter les dégâts qu’ils peuvent causer dans les parcelles. En la matière, les avis divergent, et les recettes aussi. Par exemple, si certains préfèrent les panicules crossées, qui préservent une partie des grains inaccessible à l’oiseau, d’autres préfèrent les pédoncules droits avec une panicule lâche, sur laquelle un oiseau ne peut pas se poser...

61Les techniques pour effrayer les oiseaux granivores sont connues, de même que les dispositifs ingénieux mis au point par les agriculteurs et leurs enfants : élimination systématique des arbres dans et autour de la parcelle pour éviter qu’ils ne se posent, épouvantails de toutes sortes, leurres (sacs en plastique, bandes magnétiques...), bruits (cordes hérissées de boites de conserve que l’on agite...), cris... Certains choix variétaux sont également opérés à cette fin. Ils expliquent la conservation de variétés pourtant réputées comme très amères. Celles-ci sont repiquées sur les pourtours des blocs cultivés afin de dissuader les oiseaux granivores. Il est remarquable qu’il existe au moins une variété aristée dans chaque région visitée. Mais ce caractère forme-t-il une variété traditionnelle particulière ? L’apparition des aristes semble se réaliser dans chaque grand groupe de variétés traditionnelles identifiées. On en retrouve ainsi dans le groupe des bareye au sud du lac Tchad, mais aussi dans le groupe des safra dans la région de Maroua, ou dans celui des aouk dans le Salamat.

62Dans le Salamat, comme dans le Diamaré (Perrot et al., op. cit.) ce sont des variétés amères qui sont repiquées sur le pourtour des parcelles pour lutter contre les oiseaux granivores : c’est le cas d’amkaram repiqué dans la plaine inondée par le bahr Azoum et que l’on retrouve également dans les terrains les plus humides de la sous-préfecture d’Abou Déïa. Dans les autres régions de production, on introduit souvent des variétés plus amères à l’intérieur des parcelles en espérant sauver une partie de la récolte en cas d’attaque sévère. Ces panicules sont écartées lors des battages pour ne pas altérer le goût de l’ensemble de la récolte.

Reconstitution historique de la diffusion du sorgho repiqué

63Les bonnes capacités de production du sorgho repiqué, ainsi que ses qualités gustatives globalement bien appréciées à la campagne comme à la ville, sont à l’origine de l’extraordinaire développement de cette culture dans l’ensemble du bassin tchadien. Dans l’Extrême Nord du Cameroun, cette forte extension est évidente au cours des dernières décennies : le sorgho repiqué s’impose dans le paysage agraire, et représente aujourd’hui plus de la moitié de la production céréalière (Fusillier et Bom Konde, 1997). Dans le Salamat au Tchad, il est devenu la culture principale. Partout, il est d’abord voué à la consommation familiale mais la part des surplus commercialisés va en augmentant. L’arrivée du sorgho repiqué sur les marchés de N’Djaména et des villes du Nord-Cameroun à partir de janvier-février, outre qu’elle permet d’obtenir un bon prix de la production au cultivateur, joue sans doute également un rôle de régulateur « naturel » des marchés urbains dans la mesure où il arrive après les autres céréales pluviales (mil pénicillaire, sorgho, maïs, riz).

64Les recherches variétales interviennent peu dans la diffusion des variétés traditionnelles du sorgho repiqué. Pourtant, certaines se retrouvent assez loin de leur région d’origine. Leur distribution actuelle et l’histoire de leurs déplacements permettent de reconstituer leur diffusion dans la région.

65Le sorgho repiqué est étroitement lié aux groupes d’éleveurs pratiquant une transhumance de grande amplitude. Il est indissociable des groupes peuls conquérants des grandes plaines ouvertes du Nord-Cameroun, que leurs voisins désignent comme les initiateurs de ce type de culture (Seignobos, 2000). Le sorgho repiqué ne peut pas non plus être dissocié des groupes arabes qui ont diffusé différentes variétés dans tout le Sahel tchadien jusqu’à des latitudes relativement basses dans la plaine du Salamat.

Les origines

66La domestication des plantes et l’adoption de l’agriculture par les populations néolithiques est établie à 9 000 BP (Quéchon, 2002) dans le Sahara et le nord du Sahel. Si les bas-fonds sont depuis longtemps des lieux de culture, comme l’attestent les cultures de riz dans le Delta central du Niger ou dans la vallée du Nil, il est beaucoup plus difficile de déterminer le début de la pratique du repiquage du sorgho dans les zones inondables du bassin tchadien pour deux raisons : la difficulté de distinguer sorghos pluviaux et sorghos repiqués et la rareté des travaux archéologiques sur ce sujet.

67Selon les recherches archéologiques menées plus spécifiquement dans le sud du bassin tchadien, la maîtrise de la domestication végétale indispensable à une agriculture déjà diversifiée est identifiée avant 500 ans avant notre ère. Selon A. Marliac (1991), l’Age de fer du Diamaré (ier siècle apr. J.-C. au xviiie siècle) était basé essentiellement sur le sorgho, très probablement S. caudatum : « Le Sorghum bicolor dispersé au plus tard vers 1 000 BC avait déjà dû être manipulé pour donner naissance au caudatum attesté à Daima au Nigeria au ix-xe siècle. Le nombre de variétés actuelles en plaine, soit 1 530 témoigne aussi d’une domestication » (p. 766). Ce sorgho serait récolté à la fin de la saison des pluies sur les sols sableux à sablo-argileux bien draînés, éventuellement sur des sols moins faciles mais bénéficiant d’une hydromorphie remontante naturelle ou induite (diguettes en bas de pente, agriculture de décrue comme les mils flottants chez les Mousgoum). Ceci explique leur répartition autour des zones hydromorphes non exploitées.

68Devant les difficultés à différencier des variétés de sorgho repiquées ou non à partir du matériel archéologique, nous pouvons tenter de retracer la domestication du Sorghum durra, qui rassemble la grande majorité des variétés recensées dans le bassin tchadien. Toutefois, toutes les variétés locales de sorgho repiqué ne sont pas des Sorghum durra et inversement, tous les Sorghum durra ne sont pas des sorghos repiqués. Retracer l’origine des Sorghum durra ne comporte donc qu’un caractère indicatif et ne résout pas l’ensemble de la question de l’origine du sorgho repiqué.

69D’ailleurs, les recherches menées sur ce thème sont sujettes à contestation. Harlan et Stemler (1976, p. 475) pensent que les Sorghum durra ont évolué en Inde puis seraient revenus dans la vallée du Nil au temps des Grecs et des Romains. Ils se seraient diffusés dans l’intérieur des terres africaines via l’islam, à travers les empires musulmans du sud du Sahara, Kanem, Baguirmi, Bornou. Depuis lors, cette hypothèse indienne est contestée par de nombreux auteurs qui montrent le rôle de l’Afrique dans la domestication des Sorghum durra (Marliac, 1991 ; Doggett, 1970 ; Ollitrault et al., 1989 ; Cleuzio et Constantini, 1982 in T. Otto, 1993 ; Blench, 2003).

70La culture du sorgho, et accessoirement celle du niébé, pourrait en certains endroits, et jusqu’à des périodes récentes, avoir été beaucoup plus développée que l’élevage. Parmi les graines de Sorghum bicolor identifiées par T. Otto sur le site de Salak, de nombreux témoins appartenaient au S. durra dès le ve ou ve siècle4. Cette période correspond à une occupation relativement sédentaire des plaines et à un défrichage des zones hydromorphes à partir du xie siècle (Marliac, 1995). Elle est également contemporaine de l’apparition d’une nécropole à Mowo, ce qui peut marquer une emprise territoriale croissante peu être lié à une crise démographique (Langlois, 1997). Les sociétés auraient recherché de nouvelles terres sur les espaces encore inexploités. Tout ceci permet d’envisager que le repiquage du sorgho fut pratiqué dans la plaine du Diamaré bien avant les Kanuri au Bornou (Langlois, 1995, p. 623). Malheureusement, nous ne disposons d’aucune preuve ancienne de la présence de sorghos au Nigeria qui permettrait de confirmer cette hypothèse.

71La présence d’outils agricoles est rare5 : seuls deux fers d’instruments aratoires, probablement des fers de houe, ont été trouvés dans ces différents sites. Il est impossible de retrouver des bâtons à fouir en bois en raison de l’activité incessante des termites. Il est difficile de déterminer l’ancienneté de la technique de construction des grandes diguettes. Partant du principe que la culture du sorgho repiqué est irréalisable sans diguettes sous des pluviométries de 600 mm au sud du lac Tchad, G. Connah estime qu’elles ont dû apparaître dès la découverte du fer et son utilisation pour les outils agricoles (G. Connah, 1981). Comme on estime que la technique du repiquage du sorgho serait postérieure au xe ou xie siècle, les diguettes auraient pu apparaître en même temps que le repiquage. Si la rareté du matériel archéologique disponible ne permet pas de conclure avec certitude sur l’ancienneté de la technique du repiquage, elle le peut moins encore pour celle des diguettes.

72La première référence historique recensée, indirecte, du sorgho « dhura » remonte au vie siècle dans le Bornou au Nigeria (Mai Idris Alauma, cité par Detlef Gronenborn, 2001), sans que l’on puisse confirmer qu’il s’agisse bien du sorgho repiqué. A partir du xviie siècle, T. Otto (1993) constate à travers l’étude des charbons de bois une régénération de la couverture arborée de type soudano-sahélien que l’auteur attribue aux effets d’une diminution de la pression anthropique et de l’amélioration des disponibilités en eau en liaison avec un climat plus humide. Cette période est suivie d’une nouvelle dégradation qui reprend avec la pratique des feux de brousse utilisés par les bergers pour régénérer les pâturages. Ces pratiques sont contemporaines de l’arrivée des Fulbe et de leurs troupeaux dans le Diamaré.

73Par ailleurs, « Une étude ethnobotanique récente, sur les collections de sorghos en provenance du lac Tchad a abouti à la très surprenante conclusion que de nombreux sorghos durra n’appartiennent pas à un cultivar commun, mais sont unis par leur manière d’être cultivés [...]. Si cela est vrai, alors il se pourrait que ce soient les pratiques culturales qui se sont diffusées plutôt qu’un cultivar spécifique. Il est vraisemblable que cela s’est produit pendant la période médiévale » (traduit de Blench, 1997, p. 90).

74Il est donc difficile de préciser les origines de la culture du sorgho repiqué. Les recherches archéologiques n’apportent pas de réponses pour trancher la question. De plus, les rares auteurs qui mentionnent le sorgho repiqué le confondent souvent avec le Sorghum durra. Or nous avons vu que celui-ci n’est pas forcément repiqué et qu’il ne rassemble pas toutes les variétés locales de sorgho repiqué dans le bassin tchadien.

75Ainsi, le grand mouvement de diffusion ancienne entre le Soudan et le Bornou était, au départ, basé sur la théorie du retour des Sorghum durra de l’Inde via la vallée du Nil. Il faut finalement rester très prudent sur la question. Le Soudan représente pour de nombreuses populations, il est vrai musulmanes, l’origine des variétés de sorgho qu’elles repiquent.

La diffusion par les Fulbe

76Les différentes populations productrices de sorgho repiqué au nord du Cameroun désignent clairement leurs voisins peuls comme les initiateurs de ce type de culture. C. Seignobos (2000) résume ainsi l’histoire de la diffusion ancienne des sorghos repiqués : « Dans l’éventail des sorghos de la province de l’Extrême Nord, le fond caudatum, durra et durra caudatum est le plus important, bien qu’on se trouve sur la marge la plus occidentale de leur aire. La progression des caudatum, puis des durra, en provenance du nord-est via le Ouaddaï, le Fitri, le Baguirmi, le Bornou, fut continue et en accord avec les poussées migratoires successives ». L’origine des variétés de sorgho repiqué du Bornou est confirmée par l’approche linguistique appliquée par Doris Löhr (2001) qui montre, à partir de l’analyse du terme masakwa dans les langues tchadiennes, qu’elle proviennent de l’est. La progression de ces variétés « enregistrera toutefois deux contre-courants notables et relativement récents à partir de leur zone de confrontation avec les guinea du centre et de l’est du Nigeria. Ce fut le « retour » de durra sous forme de sorghos très spécialisés, les sorghos du type muskuwaari. Du nord-ouest, de leur berceau qu’est le Bornou, ils revinrent dans le bassin du lac Tchad et descendirent vers la Bénoué » (Seignobos, idem). L’absence de références à une pratique du repiquage beaucoup plus ancienne dans les traditions orales fait penser que cette technique aurait fortement régressé entre les xve et xviie siècles et qu’elle ne concernait plus que de faibles superficies au moment de la conquête peule.

77Toutefois, certaines informations tendent à montrer que les Fulbe n’auraient peut-être pas été les premiers à diffuser le sorgho repiqué dans les plaines nord camerounaises6. Mais l’origine de ces sorghos semble être au Bornou où les traditions agricoles sont plus ancrées que chez les groupes peuls, sédentaires depuis peu. Les variétés traditionnelles ont été développées sous des pluviométries de l’ordre de 600 mm de pluies et se seraient diffusées au sud dans un milieu pédologique équivalent.

78Dans le nord du Cameroun, il semble que cette culture soit restée très marginale jusqu’à l’arrivée des conquérants peuls dans la deuxième partie du xviiie siècle et les Fulbe apparaissent comme les principaux acteurs de cette diffusion. La première grande extension du sorgho repiqué est située par C. Seignobos au milieu du xixe siècle avec la destruction du centre de traite et de commerce de Pataawal au nord-est de Mindif, au moment des guerres de Modibbo Hayatu de Balda (1883-1890). Les Kanuri se dispersèrent en diffusant le muskuwaari dans les lamidats peuls, principalement le long du mayo Boula. Cette extension du sorgho repiqué a progressivement touché les habe (fulfulde : non musulman) au début du xxe siècle (Seignobos, 2000).

79Le muskuwaari fut initialement cultivé sur les vertisols modaux de type topomorphe sans aménagement particulier (zone supportant un recouvrement d’eau inférieur à 40 jours par an). La première variété introduite semble avoir été le burgu, qui a « ouvert la voie aux muskuwaari ». La culture passa aux vertisols lithomorphes les plus humides, puis elle toucha tous les sols vertiques et apparentés, avant de s’emparer de certains harde limitrophes.

80Selon C. Seignobos, les premières ethnies non peules à adopter ces muskuwaari furent les Tupuri, les ethnies des massifs-îles et les montagnards descendus en plaine à l’ouest de l’aire de peuplement peul (monts Mandara). Les Tupuri adoptèrent très facilement le sorgho repiqué, qu’ils nommèrent donlong, dès la fin du xixe siècle. Cette adoption fut d’autant plus facile qu’ils considèrent ces nouvelles variétés comme une prolongation de leurs variétés traditionnelles de baburi repiquées pendant la seconde moitié de la saison des pluies et récoltées en décembre. Pour J. Cabot (1965, p. 116), les variétés de muskuwaari cultivées dans le Moyen Logone sont originaires du Cameroun et atteignent peut-être le pays Tupuri par Binder, où elles sont cultivées aux pourtours des lacs et des dépressions inondables. Les Tupuri le développèrent d’abord sur les marges de leur peuplement, le cœur du pays tupuri restant voué aux baburi. Depuis la décolonisation, ils ont peuplé le « no man’s land » qui les séparait des Fulbe, la localisation des sites d’habitat étant essentiellement conditionnée par la présence de karal pour cultiver le sorgho repiqué. Ces sorghos sont à ce point intégrés à l’agrosystème qu’ils participent même aux rituels.

81Si cette culture fut adoptée assez précocement par les populations montagnardes descendues en plaine, leur réticence pour intégrer le sorgho repiqué dans les cérémonies rituelles est plus grande. Ils sont cependant cités dans les cultures des Fulbe et des Giziga occupant la plaine de Maroua dès 1928 par les rapports de tournée des administrateurs, alors que la même année, les Mundang, Giziga et Tupuri de Kaélé n’en avaient pas cultivé. La culture a été ensuite suspendue pendant 7 à 10 ans en raison de vagues successives d’acridiens entre 1931 et 1937. Dans les années 1945/50, les Muzuk, voisins orientaux des Masa, s’ouvrent aux muskuwaari.

82La diffusion du sorgho repiqué reprend avec beaucoup plus d’envergure dans les années 1950-1960, dans le même temps que se développe la culture du coton. Le sorgho repiqué fut adopté de façon significative par les Giziga en 1964 à Godola et à Gawar Hosere, en 1965 à Mokyo. Les Musey de la région du « bec de canard » (forme marquée par les frontières camerounaises au sud de Bongor) l’adoptent plus récemment, mais très rapidement, en raison de l’importance prise par la culture cotonnière et empruntent les variétés de safrari aux Fulbe chez qui ils travaillent comme manœuvres. Les variétés de sorgho repiqué sont également, dès 1965, dans la zone de Ba-Illi chez les Kouang, les Gabri et les Sumray (Cabot, 1965).

83Les emprunts variétaux les plus courants sont alors le safrari, la variété la plus appréciée des Fulbe, dont les semences sont vendues sur les marchés. Les populations non musulmanes découvriront plus tard les variétés de burguri qu’ils adopteront d’autant plus facilement que leur goût se rapproche des variétés de sorghos rouges cultivées sous pluie qu’ils consomment habituellement. Ces variétés autorisent également le brassage de la bière, propriété non négligeable...

84Les populations masa restent très réticentes à l’adoption du sorgho repiqué et le rejettent pendant de nombreuses années. Il n’a fait son apparition dans la dépression de Bongor que depuis quelques décennies, en raison de plusieurs contraintes d’ordre climatique, hydrologique et économique (Raimond, 1999).

85La gamme des muskuwaari s’est progressivement enrichie de nouvelles variétés venues essentiellement de leur aire de dispersion du Bornou. Elle bénéficie actuellement de nouveaux éléments en provenance des berbere du Tchad. Il s’agit essentiellement de variétés appartenant au groupe des bareye : nous retrouvons ainsi des panicules surnommées « Guélengdeng », du nom de la localité tchadienne, dans les collections de sorgho repiqué du pays tupuri. C. Seignobos indique cette variété également chez les groupes fulbe du canton de Bogomoro et de Malbum. Cette variété de bareye provient en fait de la zone sahélienne tchadienne et a été diffusée par les Arabes Showa. Elle serait arrivée en pays tupuri en 1963-1964 par le biais de « petites communautés tupuri, implantées à Guélendeng sur les bords du Chari, qui furent le vecteur de l’introduction du berbere dans le Nord-Cameroun. [...] En dépit de liens étroits entre ces Fulbe (du canton de Bogomoro et de Malbum) et leur région d’origine, aucun berbere ne fit retour sur cette ligne de migration. [...] Les Fulbe pris dans la remontée du front pionnier tupuri vont l’emprunter rapidement [...]. Il arrive aux portes de Maroua en 1984 » (Seignobos, 2000). Cette variété représente actuellement la première production de nombreux villages fulbe.

86Au Nigeria, les Sorghum durra font actuellement l’objet d’une culture extensive consacrée à la vente sur les marchés des centres urbains de l’Adamaoua, en particulier le long de la Bénoué à proximité de Yola (Blench, 1997).

La diffusion par les Arabes Showa

87La diffusion du muskuwaari en provenance du Bornou par les groupes peuls est très importante puisque nous retrouvons ces variétés traditionnelles dans tout le Nord Cameroun, le Mayo Kebbi au Tchad, et probablement dans le nord-est du Nigeria. La diffusion attribuée aux groupes arabes showa est cependant d’une amplitude encore plus importante. Elle couvre toute la zone sahélienne du bassin du lac Tchad, entre Dikwa et Oum Hadjer en passant par N’Djaména et le lac Fitri. Ils l’imposeront également rapidement au xixe siècle dans les aires de parcours autour du Guéra et jusqu’en pays Salamat.

88La question est de savoir si les groupes arabes ont participé, au même titre que les Fulbe, au mouvement de retour des Sorghum durra vers l’est, ou s’ils ont diffusé des variétés traditionnelles provenant des premiers Sorghum durra venus de l’est. Pour répondre à ces questions, il faut distinguer plusieurs courants et plusieurs périodes.

89L’origine kanuri des variétés cultivées par les Arabes Showa sédentaires au sud du lac Tchad a été montrée. Il a été importé du Bornou, et le passage du Chari se serait amorcé à la fin du xixe siècle avec les variétés de bareye. Il a ensuite progressé dans les secteurs inondés par le Chari jusqu’à Massaguet, pour arriver dans les années 1930 dans la région de Massakory. La découverte du berbere est généralement attribuée à un commerçant : « en allant vendre des œufs d’autruche au Nigeria, un parent a vu la culture du berbere et en a rapporté les semences » (informateur du village de Malaouaya, canton Mani au Tchad). La diffusion s’est faite ensuite par contact avec les populations la pratiquant. Après les variétés de bareye, d’autres sont arrivées telles qu’anguldja, au goût très apprécié mais au cycle végétatif très long. Les variétés de burzuglo ont été diffusées plus récemment.

90Les Arabes Banisset en provenance du Batha déclarent avoir connu le repiquage du sorgho avant d’arriver dans le Bas-Chari. Ils auraient même rapporté des semences du lac Fitri au cours de leur migration pendant le xixe siècle. Mais elles ne se sont pas adaptées aux conditions édaphiques, plus difficiles dans les dépressions fluvio-lacustres de la zone deltaïque du Chari que sur les bordures du lac Fitri. Ces variétés ont été remplacées par les semences mieux adaptées en provenance du Bornou, dont le secteur de Balgué apparaît alors comme un centre important de culture du sorgho repiqué, où les marchands ambulants se sont procurés des semences. Cette localité est même évoquée par J.C. Zeltner (1970 p. 191) à l’occasion de la description des conquêtes de Rabah à la fin du xixe siècle : « la nouvelle capitale (établie à Dikwa en 1893) commandait les deux rives méridionales du Tchad. Elle se trouvait en outre au sein d’une région humide particulièrement fertile, en bordure du Balgué, célèbre pour ses cultures de mil blanc repiqué (masakwa) ».

91Dans les villages kanembou de la région de Massakory, l’implantation du sorgho repiqué est intervenue plus tard, dans les années 1930-1940. Les informateurs décrivent l’adoption de cette nouvelle production en ces termes : « Les gens du Kanem ne connaissaient pas cette culture. Leurs esclaves voyageaient pour fournir de la main-d’œuvre dans les régions agricoles méridionales. Ils ont connu le sorgho repiqué auprès des Arabes Banisset, des Arabes Wulad Abu Issé et Wulad Abu Ali dans la région de N’Djaména et de Massaguet et en ont rapporté les semences. Les Kanembou n’ont d’abord pas prêté attention à cette culture importée par leurs esclaves. Mais vu les bonnes productions obtenues pendant plusieurs années consécutives, ils l’ont aussi adoptée ».

92Le sorgho repiqué a d’abord été cultivé dans les cuvettes bénéficiant d’une inondation d’origine pluviale. Des diguettes étaient faites pour retenir l’eau dans les dépressions les moins profondes. Cette culture a provoqué le défrichement de nombreuses cuvettes, contribuant sans doute très largement au déboisement de la région. Après avoir fait l’objet d’essais à petite échelle, le berbere s’est étendu et a été intégré dans le système de production, de sorte que toutes les cuvettes inondables sont actuellement exploitées.

93Les fractions arabes, parvenues au Bornou au début du xviiie siècle au terme d’un vaste courant migratoire, ont donc participé au mouvement de retour du sorgho repiqué vers l’est, au même titre que les groupes Fulbe, avec des variétés mieux adaptées aux conditions sahéliennes. Ce sont également les Arabes qui ont apporté les premières variétés de sorgho repiqué dans la région de Garoua au Nord-Cameroun (E. Mohammadou, 1988).

94A l’est du Tchad, les informateurs du Salamat affirment que les premières fractions arabes hémat, probablement installées dans la plaine inondable au cours du xviie siècle, ont trouvé des populations autochtones mang qui pratiquaient déjà la technique du repiquage avec différentes variétés d’aouk blanc. Ces variétés au cycle végétatif supérieur à six mois, ont à présent pratiquement disparu en raison de leur très grande exigence en eau. Elles seraient antérieures à l’arrivée des Fulbe au Nord Cameroun, antérieures aussi à la diffusion des variétés attribuées aux Arabes Showa dans les plaines situées au sud du lac Tchad7.

95Quelques témoignages anciens confirment cette hypothèse. En 1924, l’administrateur Martine signale que, déjà à cette époque, le sorgho repiqué est la céréale la plus cultivée dans les plaines du Salamat : « le mil le plus répandu est le berbere qui trouve son terrain de prédilection dans le baloye. Semé en pépinière, il est repiqué lorsque les eaux se sont retirées. Il est récolté en mars » (Martine, 1924, p. 81). Un peu plus tard, en 1941, Boujol et Clupot indiquent également que le berbere est la culture la plus importante de la subdivision de Melfi (Seignobos, 2000).

96La description des variétés locales est également porteuse d’enseignements. Dans le sud du massif du Guéra, les premières variétés de sorgho repiqué sont les mêmes que dans le secteur d’Am Timan, aouk et chetaye. Pour les agriculteurs de Foulounga (sous-préfecture d’Abou Déïa), les nouvelles variétés de djiressa qui tendent à les remplacer au cours des dernières décennies viendraient du Soudan, via Goz Beïda. Ce sont pourtant ces variétés qui sont cultivées depuis beaucoup plus longtemps dans la région de Mongo. On les retrouve actuellement jusqu’au pied des inselbergs de N’Goura.

97Finalement, il semble que les groupes de variétés aouk, chetaye et djiressa appartiennent à un fond commun en provenance du Soudan, les premières étant plus anciennes que la dernière. Si le Salamat semble être une terre particulièrement privilégiée pour la culture du sorgho repiqué, le Soudan a la réputation de l’être plus encore.

98Il est difficile de faire un lien avec les variétés cultivées dans la région du Fitri, et donc de conclure sur un mouvement de diffusion commun à tout l’est du Tchad, et sur l’antériorité du foyer de dispersion du Salamat par rapport à celui du Fitri. L’antériorité de celui-ci sur le foyer de dispersion du Bornou est cependant évoquée par les populations kanuri.

99L’hypothèse de l’existence de plusieurs foyers de dispersion très anciens dans le bassin du lac Tchad est la plus probable : le Salamat, le Fitri et le Bornou. A partir de ces foyers, des variétés adaptées aux conditions bio-climatiques locales spécifiques se sont diffusées dans l’ensemble du bassin tchadien. Il semble que les anciennes variétés du Salamat, au cycle long et très exigeantes en eau, se soient étendues vers le nord dans des périodes très anciennes, en s’étendant dans le Massif central tchadien. Dans un contexte récent de péjoration climatique, les variétés sahéliennes au cycle plus court se diffusent vers le sud. Ces diffusions anciennes et actuelles des sorghos repiqués sont toujours attribuées aux éleveurs transhumants qui sont amenés à se déplacer souvent entre les zones sahélienne et soudanienne. Le rôle des différentes fractions arabes dans la diffusion des sorghos repiqués est indéniable pour une période récente. Nous manquons d’informations concernant une période plus ancienne. Les Arabes étaient pourtant déjà présents, nombreux et puissants au Kanem et au Fitri pendant les campagnes d’Idris Aloama entre 1580 et 1617 (Zeltner, 1970, p. 116). Leurs aires de transhumance n’ayant pas beaucoup évolué, nous pouvons supposer que les échanges entre les régions du Fitri et du Guéra, où se situent leurs principaux parcours, étaient déjà importants à cette époque et que le rôle des Arabes Showa dans la diffusion du sorgho repiqué était alors identique à l’actuel.

Une innovation agricole locale moteur de developpement

100La diffusion des variétés locales de sorgho repiqué est encore actuelle, mais elle est très lente à l’échelle du bassin tchadien, notamment au Tchad où les conditions de circulation et de communication sont difficiles, alors que les agriculteurs sont unanimement, et localement, demandeurs de nouvelles variétés. Celles du Salamat sont particulièrement attendues car réputées pour leurs bons rendements.

101Au Cameroun, les courants migratoires, spontanés ou organisés entre la province de l’Extrême Nord très peuplée et celle du Nord qui l’est beaucoup moins, sont les vecteurs de la diffusion de nouvelles variétés dans la vallée de la Bénoué. Les groupes tupuri, chez qui la migration est une stratégie plutôt qu’une contrainte, sont particulièrement actifs dans l’importation, en provenance de la zone sahélienne tchadienne, de variétés de bareye mieux adaptées à des conditions édaphiques difficiles. Ces variétés, et plus précisément celle qui est surnommée « Guélendeng », tendent à remplacer les anciennes variétés de safrari et madjeri, pourtant mieux appréciées par les populations fulbe.

102Les transhumances importantes des Arabes qui, dans un contexte de péjoration climatique, recherchent des pâturages toujours plus au sud, contribuent encore aujourd’hui à diffuser des variétés sahéliennes. C’est le cas dans l’est du Tchad, où les anciennes variétés d’aouk et de chetaye cultivées dans la plaine du Salamat et le sud du massif du Guéra sont remplacées par les variétés de djiressa récoltées plus tôt et plus résistantes à la péjoration climatique qui touche également ces régions méridionales.

103Enfin, la forte extension des superficies repiquées observée dans l’ensemble de la région dans la deuxième moitié de ce siècle est étroitement liée à la culture du coton. Si celle-ci n’a été possible que grâce aux importants défrichements de karal au Nord-Cameroun dans les années 1960, le recul de cette culture commerciale dans les années 1970 dans certaines régions du Tchad a joué, au contraire, un grand rôle dans le développement du sorgho repiqué qui joue alors le rôle de vivrier marchand, notamment dans le Salamat et le Mayo Kebbi.

104Parmi les candidats à la culture du sorgho repiqué, les éleveurs transhumants sont très nombreux à choisir de se fixer sur les terroirs, au moins le temps de la culture du sorgho repiqué. La vaste plaine du bahr Azoum réunit de nombreux atouts qui en font un lieu d’établissement privilégié pour ces éleveurs : elle présente le meilleur potentiel productif connu pour cette culture et constitue déjà la destination des troupeaux pendant la saison sèche. Les rythmes de défrichement se sont accélérés de façon spectaculaire, à mesure que l’on prenait conscience des atouts agronomiques et commerciaux du sorgho repiqué.

105Le système de culture du sorgho repiqué en décrue n’est pas resté circonscrit aux foyers anciens (Fitri, Bornou, Salamat) ; il s’est étendu dans tous les milieux l’autorisant. Les Fulbe l’ont diffusé jusque dans la cuvette de Garoua où le sorgho a été repiqué dès l’installation du lamidat (1830). Les Tupuri de la région des lacs de Fianga ont très vite adopté ce sorgho repiqué par leurs voisins peuls installés à Binder, mais ils l’ont très longtemps cantonné sur les marges de leur aire de peuplement : ils conservaient à l’intérieur de celle-ci leurs variétés traditionnelles de baburi. C’est seulement à partir de ces dernières décennies que le sorgho a été repiqué en décrue, en bordure des lacs. Enfin, l’adoption des variétés camerounaises de sorgho repiqué en décrue par les Mundang du lac Léré est également récente.

106La question concernant l’arrêt de la diffusion des écotypes de sorgho repiqué à l’ouest du Nigeria reste entière. Dans les domaines sahélien et soudano-sahélien du bassin tchadien par contre, et ce malgré des milieux naturels très différents, on tend vers une uniformisation des agrosystèmes. Ceux-ci se centrent sur la double culture du coton et du sorgho repiqué dans la zone cotonnière ; le sorgho repiqué tend à devenir la culture principale dans les secteurs sahéliens et soudaniens hors de la zone cotonnière en jouant le rôle de vivrier marchand.

107Son développement ayant longtemps été jugé trop dépendant d’un type de sol spatialement limité, et sa culture étant parfaitement maîtrisée par les cultivateurs, donc difficilement « améliorable », le sorgho repiqué a longtemps été mis à l’écart des programmes de recherche et de développement dans la région. Ce n’est ainsi que depuis le début des années 2000 qu’il est pris en compte au Nord du Cameroun (Mathieu, 2000 ; Ousman et al., 2000 ; Bousquet, Legros, 2002).

108Le développement spectaculaire des sorghos repiqués témoigne de la « plasticité » des agrosystèmes traditionnels et leur adaptabilité au contexte environnemental et socio-économique de plusieurs façons :

  • les paysans ont pu remplacer leurs céréales pluviales, très aléatoires et dépendantes des totaux annuels des pluies et de leur répartition, par une culture de contre-saison nécessitant un apprentissage technique, en particulier pour le repiquage ;

  • l’utilisation d’un grand nombre de variétés, différemment adaptées aux aléas de la culture (sécheresse, inondation, résistance aux oiseaux granivores...) montre la très grande capacité d’adaptation des écotypes de sorgho repiqué, d’une part, et la maîtrise des agriculteurs qui jouent sur leurs diverses qualités pour limiter leurs risques, d’autre part ;

  • les priorités agro-économiques favorisent l’extension du sorgho repiqué par rapport aux autres cultures commerciales (coton, arachide) ;

  • le manque à gagner sur les parcours dévolus à l’élevage est en partie comblé par les tiges de sorgho repiqué, très bien valorisées par le bétail ; cet avantage en fait une culture privilégiée pour les éleveurs, qui en sont les principaux diffuseurs.

109Cette évolution s’accompagne d’un changement important des habitudes alimentaires des populations productrices et urbaines. Les formes de consommation ne changent pas : la boule est toujours au centre du repas. Mais en adoptant massivement le sorgho repiqué, les pasteurs ont délaissé les mils pénicillaires traditionnellement échangés contre les produits de l’élevage produits en zone sahélienne, pour les variétés de sorgho repiqué. En ville, celui-ci concurrence le maïs dans la composition de la boule. Ainsi, l’uniformisation des agrosystèmes implique une certaine uniformisation des régimes alimentaires à l’échelle du bassin tchadien, qui est le moteur de la transformation de cette céréale en vivrier marchand.

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Notes de bas de page

1 Un travail spécifique sur les variétés dans le Diamaré est présenté dans ce volume par N. Perrot, S. Goné, B. Mathieu.

2 Pruine : matière cireuse qui, sous la forme d’une mince couche poudreuse blanche, recouvre la tige de certaines variétés de sorgho.

3 Cette variété aurait atteint le village de Dokatchi via le canton Dadjo dans les années 1990.

4 Des graines de sorgho, trouvées dans les sites de Moundour et de Tchoukol, sont attribuées à l’Âge de Fer Ancien (autour du ve siècle). Parmi les trois graines de sorgho identifiées à Moundour, deux pourraient appartenir au durra. Mais là aussi, un doute subsiste : elles pourraient être d’origine intrusive. Finalement, la plus ancienne trace de sorgho relevée jusqu’à présent est rapportée par T. Otto sur le site de Bibalé au Nord Cameroun (communication orale in O. Langlois, 1995, p. 608) : il s’agit d’empreintes végétales sur terre cuite datant du ier siècle apr. J-.C., semblant correspondre à des tiges de sorgho cultivé En l’absence d’étude plus approfondie, il est encore difficile d’affirmer qu’il ne s’agit pas d’une autre plante.

5 Par contre, il faut noter la découverte de deux fers d’iler à Moundour dans la plaine du Diamaré au Nord Cameroun (l’un remontait à l’Âge du fer moyen II, daté entre les xiie et xve siècles) témoignant d’une agriculture très extensive et consommatrice d’espace, encore pratiquée aujourd’hui dans une grande partie de la zone sahélienne (Raulin in Langlois, 1995, p. 680). Au cours de cette période, la culture des sorghos est toujours pratiquée, mais les populations moins nombreuses ont de plus en plus recours à la cueillette.

6 C. Seignobos (2000) rapporte que des Zumaya et Giziga Bi Marva, ethnies en place avant la conquête peule, connaissaient le sorgho repiqué avant l’arrivée des Fulbe : il aurait été rapporté par les Kanuri au cours de leurs razzias à partir du Bornou. Les Fulbe Mawndin, installés auprès des Zumaya à Usur et Yoldéwo, auraient aussi importé la technique du repiquage. D’autres informateurs Makyama de Bogo disent avoir subtilisé des semences de muskuwaari au Bornou, avant leur conquête par les Kanuri : ces variétés anciennes auraient disparu avec les guerres.

7 Les informateurs de Dokatchi (sous-préfecture de Mongo) indiquent que le sorgho repiqué est une culture très ancienne, car « même leur premier ancêtre le cultivait ». Cette information brute n’a pu être précisée : sachant que les traditions orales couvrent une généalogie n’excédant généralement pas plus de dix générations, nous pouvons supposer que cette culture était déjà connue au début du siècle dernier, c’est-à-dire bien avant l’introduction du sorgho repiqué au sud du lac Tchad et dans la région de Massakory.

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