Riz, risques et incertitudes : d’une maîtrise à une dépendance
L’exemple des riziculteurs des Hautes Terres malgaches
p. 437-452
Texte intégral
1Risque mais aussi aléa, incertitude, précarité, insécurité... autant de termes pour nommer les problèmes aux multiples aspects que rencontrent les agriculteurs malgaches.
2Dans la production du riz et dans la production agricole en général, ils sont, à des niveaux différents, confrontés à plusieurs incertitudes.
3Il y a tout d’abord, pour la riziculture, le risque lié à l’écologie des Hautes Terres. « Les paysans sont, si l’on ose dire, assurés de subir au moins une mauvaise récolte tous les quatre ou cinq ans » (raison, 1984). Le climat et ses accidents ne sont pas favorables à la riziculture. L’étude de la riziculture sur les Hautes Terres de Madagascar, en système traditionnel et dans le cadre d’une opération de développement à objectif d’intensification, montre que dans le premier cas les riziculteurs ont, par leur connaissance du milieu et leurs pratiques, mis au point une gestion du risque. Au contraire, avec la SOMALAC (Société Malgache d’Aménagement du lac Alaotra) qui véhicule un système de riziculture intensive reposant sur un bon contrôle de l’eau à l’aide du réseau mis en place sur le périmètre hydro-agricole, la mauvaise maîtrise de l’eau introduit un facteur d’incertitude pour les agriculteurs. Cette insécurité instaurée par le projet s’ajoute au risque « traditionnel » et aboutit à une situation d’une grande précarité. L’accumulation de facteurs d’incertitude se traduit à plusieurs niveaux. Elle désorganise l’itinéraire cultural du riz, avec une incidence sur le rendement, et désarme les riziculteurs qui adoptent en réponse à cette situation une stratégie anti-risque basée sur l’extensification et qui s’éloigne de l’objectif de la SOMALAC.
4Sur les Hautes Terres centrales de l’Imerina, autour de Tananarive, le relief est constitué par des collines d’altitude moyenne autour de 1 200-1 400 m dont les versants aux pentes plus ou moins accentuées constituent un réseau de basfonds de taille inégale — vallon, vallée et plaine alluviale — dont la pente d’ensemble est faible. Les Hautes Terres associent deux grandes unités, les basfonds où se concentrent les rizières (tanimbary) et les tanety (ou collines) domaine de l’élevage des bœufs et des cultures pluviales. Dans le système agraire, l’eau — eaux de surface et eaux de pluie — est une préoccupation constante des agriculteurs. C’est un facteur et un outil écologiques dont la gestion quotidienne montre la connaissance précise qu’en ont les communautés rurales étudiées (blanc-pamard, 1985). Cette eau qui est tant attendue au début de la saison des pluies et autour de laquelle s’organise tout un système de production dont la riziculture irriguée est l’élément principal, il faut tour à tour et en même temps s’en protéger, la récupérer, l’évacuer. Il faut en contrôler la quantité mais aussi la qualité. Par des pratiques variées, elle irrigue mais intervient aussi dans la lutte contre les adventices. Elle est une sécurité et a nécessité pour cela la mise au point de pratiques très perfectionnées.
5La culture du riz dépend de deux impératifs majeurs, la chaleur et l’eau. Dans des conditions optimales (dobelmann, 1976), le riz exige une température moyenne de 28° à 30° et entre 900 et 1 000 mm d’eau, ce qui correspond à des besoins en eau de plus de 12 000 m3/ha pendant la durée du cycle végétatif qui dure de 130 à 200 jours.
6Le climat, avec une température parfois très basse et une pluviosité souvent médiocre n’est pas favorable et, dans ces conditions marginales, la riziculture reste une remarquable réussite. Les riziculteurs ont su s’accommoder d’un milieu difficile avec des pratiques culturales efficaces qui reposent sur une connaissance très fine du milieu. Ils reconnaissent que, pour le riz, les facteurs importants sont la température extérieure et celle de l’eau, l’alimentation en eau et la texture imperméable du sol due à la présence de l’argile.
7Par riz irrigué, on entend la riziculture avec maîtrise de l’eau assurant le maintien permanent d’une lame d’eau. Il faut pouvoir disposer de l’eau pendant les travaux de préparation de la rizière et avoir de l’eau pendant le cycle complet de la plante. La riziculture irriguée se différencie en deux systèmes de culture suivant la pratique ou non du repiquage. Le semis direct est un système extensif de riziculture. Le système intensif se caractérise par le semis en pépinière. L’intérêt que les riziculteurs voient dans la pépinière par rapport au semis direct, c’est une moins grande dépendance vis-à-vis des premières pluies. Le problème de l’eau ne se pose pas pour les pépinières qui peuvent bénéficier des eaux de source. L’eau s’écoule lentement, de gradin en gradin, par des brèches pratiquées dans les diguettes, après avoir circulé tout autour de la parcelle dans de petites rigoles. La terre a besoin d’être humide ; c’est seulement au moment de la germination et de l’enracinement des plants que la parcelle doit être submergée. Le repiquage a lieu à des dates différentes suivant les possibilités d’alimentation en eau dans les rizières. L’avant-veille du repiquage, on diminue le niveau d’eau de la rizière pour chauffer le sol (hampafana ny tany) afin que la pousse des jeunes plants soit activée. Les plants sont repiqués dans une boue fluide qui est nécessaire pour effectuer cette opération dans les meilleures conditions. Dès la reprise des plants, on maintient la hauteur de la lame d’eau autour de 10 cm pour lutter contre le développement de la végétation adventice. L’entretien de la rizière se poursuit par la conduite de l’eau. Comme la culture se fait pendant la saison des pluies, l’eau d’irrigation est un complément qui apporte la sécurité à la culture. Les exploitants doivent veiller à maintenir le niveau d’eau jusqu’à la période du tallage, 40 à 50 jours après le repiquage.
8La maîtrise de l’eau est fonction des conditions topographiques et climatiques. L’organisation des fonds de vallée montre l’utilisation des facteurs orographiques et des disponibilités en eau ; les parcelles sont doucement étagées du bas de tanety au point le plus bas et séparées par des diguettes plus ou moins élevées. L’irrégularité décevante de la pluviosité dans son volume global et dans sa répartition demeure le principal souci des paysans ; elle doit être compensée par un réseau d’irrigation, ce qu’autorise la nature des sols de bas-fonds. Le réseau de circulation des eaux est très ingénieusement adapté à une topographie de détail et aux ressources en eau et est caractérisé par un système très souple d’irrigation et de drainage. Dans le cas d’irrégularités météorologiques — pluviométrie et température —, celui-ci sert de tampon. Si les pluies tardent ou sont faibles, l’eau peut être conduite dans la rizière ; s’il pleut trop, l’eau peut être évacuée. La maîtrise de l’eau permet à la riziculture d’être presque indépendante des conditions du milieu.
9La définition et la classification des saisons montrent combien la répartition des précipitations rythme l’année en 3 ou 4 saisons d’une durée inégale. Le climat des Hautes Terres est du type tropical d’altitude à deux saisons bien tranchées. Il est caractérisé par une saison sèche nette de mai à septembre. Les mois d’octobre et d’avril reçoivent quelques précipitations. Les pluies se concentrent pendant la saison chaude de novembre à mars. La pluviométrie annuelle moyenne est de 1 350 mm, la moyenne des températures est inférieure à 20°.
10Les agriculteurs des Hautes Terres vivent dans l’espoir de précipitations suffisantes à chaque saison de culture du riz. La première saison est fahavaratra (le temps des orages) caractérisé par les premières pluies qui sont capitales alors que l’année agricole débute un mois avant, en septembre, avec lohataona (la tête de l’année) qui est la période d’attente en fahavaratra. Le fahavaratra est la saison la plus longue et la plus importante de novembre à mars. Dans la plaine d’Antanetibe, les agriculteurs accordent une grande importance aux prémices de fahavaratra : aux petites pluies — l’ora-tokana (pluie unique) en octobre, les ora-kateloana (pluies qui durent trois jours à la fin du mois), les ora-kerinandro (les pluies qui durent une semaine) — comme aux intervalles secs dont on sait qu’ils sont cruciaux pour le riz. C’est-à-dire pour les travaux de préparation de la rizière et le semis après lequel il ne doit pas pleuvoir pour permettre aux grains de s’enraciner sans mouvements d’eau qui les disperseraient. Ceci tient aussi au fait que le très lourd travail de hersage et planage, qui a pour effet d’aplanir au mieux le sol de la parcelle pour éviter que ne restent des creux avec des flaques d’eau où le grain aurait tendance à flotter, serait annulé en cas de fortes pluies continues.
11De la même façon, le lohataon-kely, petite période sèche entre les premières pluies et le « vrai » fahavaratra, est perçu très nettement mais ne doit pas se prolonger car il retarde le repiquage. L’autre grande saison est ririnina, période froide et sèche, qui dure d’avril à septembre ou seulement de juin à septembre quand les agriculteurs identifient une saison, fararano, la dernière eau de mars à juin, caractérisée par l’arrêt des pluies et la moisson.
12Il est intéressant de noter que la subdivision la plus détaillée concerne l’installation des pluies avant que ne commence le fahavaratra en décembre. Les agriculteurs sont sensibles à l’incertitude interannuelle du début de la saison des pluies. On prendra deux exemples. Dans la région de Mahitsy les riziculteurs sont inquiets si le lohataon-kely qui se situe normalement au mois d’octobre se poursuit jusqu’en novembre et a des conséquences fâcheuses sur l’alimentation en eau des pépinières et des futures rizières. En 1980, près d’Ambatolampy, au sud de Tananarive, la saison des pluies a commencé trop tôt. Les paysans rencontrent des ennuis avec les travaux de labour car la terre retournée est arrosée aussitôt par une pluie abondante qui laisse pousser facilement les mauvaises herbes, obstacles rendant très difficiles les travaux de repiquage du riz. Vues dans leur ensemble, de nombreuses rizières semblent n’avoir pas été labourées du fait que les mottes submergées par les mauvaises herbes ne se distinguent plus. D’après les cultivateurs, les rizières ne pourront plus produire convenablement parce qu’elles sont refroidies par la constante eau pluviale depuis la fin de l’hiver.
13Tout est fait pour profiter au maximum de l’eau qui tombe (de pluie) et qui coule (de surface) et pour pallier l’irrégularité des pluies dans un sens comme dans l’autre (sécheresse ou inondation). À la station de Mahitsy on a enregistré 2094 mm en 1958, année de très graves inondations, alors que la moyenne annuelle se situe à 1388 mm. Le total mensuel des précipitations varie aussi dans des proportions très grandes. On a enregistré dans la même station 718 mm en décembre 1958 alors que la moyenne de ce mois est 310 mm, 14 mm en octobre 1952, 215 mm en octobre 1958 et une moyenne pour ce mois de 50 mm. Le trop d’eau jusqu’à une certaine limite et selon le stade végétatif du riz ne gêne pas les riziculteurs, l’excès d’eau pouvant être évacué (tatatra azo vakiana, canal que l’on peut casser) par les canaux. Les riziculteurs du Moyen-Ouest disent même considérer le cyclone comme bénéfique « à condition qu’il apporte des pluies et pas des vents trop forts qui couchent les plants de riz ». Les irrégularités des précipitations sont particulièrement sensibles lors de l’établissement de la saison des pluies — dont on sait l’importance pour l’agriculture — en octobre, novembre, décembre.
14Les exploitants se plaignent surtout car l’année « moyenne » pour les précipitations n’existe pas. 1982 a connu de graves inondations, les rizières les plus basses de heniheny ont été submergées. En 1983 il n’a pas plu pendant le mois de décembre ; le vallon a le moins souffert car il bénéficie des eaux de source. Dans la plaine alluviale où certains avaient déjà repiqué, les mauvaises herbes ont envahi les parcelles, le tallage a été mauvais « l’eau n’ayant pas nourri suffisamment la plante ». D’autres exploitants ont attendu les pluies tardives de janvier pour des rizières mal alimentées en eau et la production en a été affectée.
15La qualité comme la quantité des eaux est un élément que les riziculteurs prennent en compte. Ils distinguent, d’une part, les quantités d’eau nécessaires à la préparation du sol de la pépinière et de la rizière et, d’autre part, la consommation d’eau dans la pépinière puis dans la rizière qui concerne le développement de la plante et varie suivant la durée du cycle végétatif et la variété de riz. On doit veiller à maintenir le niveau d’eau jusqu’à la période de tallage, 40 à 50 jours après le repiquage. En relation avec les exigences du riz, les riziculteurs savent améliorer, grâce à l’eau, les conditions d’un bon développement de la plante et savent également corriger les mauvais effets des eaux froides en jouant sur la hauteur de la lame d’eau. Ils régulent la température de l’eau en modifiant la hauteur d’eau qui a le rôle d’un matelas thermique. Une augmentation de la nappe d’eau en refroidit la température, un abaissement la réchauffe. Dans les rizières qui viennent d’être repiquées, ils utilisent ce pouvoir tampon de l’eau en maintenant la hauteur de la nappe vers 2-3 cm. De plus, parmi les fonctions écologiques de l’eau en riziculture irriguée, il faut signaler que l’eau participe à la lutte contre les adventices et évite ainsi de trop lourds sarclages. Les riziculteurs manipulent l’eau dans des conditions bien précises. Dans la plaine d’Antanetibe où est pratiqué le semis direct, le sarclage manuel n’est pas effectué mais les riziculteurs combinent, avant et après le semis, une série d’actions qui ont pour effet de supprimer les adventices avec des techniques à sec puis avec l’eau. Après le labour, fin septembre, qui entraîne l’enfouissement à sec de la végétation herbacée et des chaumes de riz, on fait entrer l’eau dans la parcelle à partir du canal. Le hersage est effectué jusqu’à 2 à 3 fois à quelques jours d’intervalle puis le planage. On laisse la terre se ramollir ; le but est double, d’une part, obtenir une terre bien molle et un sol bien plat sans creux où une flaque d’eau ferait que le grain flotterait et ne s’enracinerait pas, d’autre part, décomposer la végétation enfouie et combattre toute croissance d’herbes. Au bout d’une semaine, on évacue l’eau. La pluie n’est attendue que 15 à 20 jours après le semis. Un mois après le semis, les plants étant robustes, on fait rentrer l’eau dans la parcelle. À nouveau, cette technique d’entrée d’eau soudaine et en quantité étouffe les adventices qui ont accompagné le riz dans sa croissance. On ferme la vanne de sortie et on laisse la parcelle pleine d’eau, sur 50 cm environ, jusqu’à la maturité du riz, vers la fin du mois de mars. Un mois avant la récolte, qui a lieu en avril-mai, on ouvre la vanne de sortie.
16Les riziculteurs disent qu’ils ne font rien contre les mauvaises herbes — dans le sens d’une façon culturale (le désherbage) — mais ont d’autres moyens pour les combattre. C’est l’eau qui asphyxie les concurrentes du riz grâce à un savant dosage de la hauteur d’eau basé sur la croissance du riz et des adventices et sur leurs tailles différentes.
17De la même manière, pour le repiquage, les exploitants veillent à la préparation de la parcelle où le riz est repiqué. Une fois les travaux de hersage effectués, ils augmentent le niveau de l’eau dans la parcelle pour achever d’étouffer la flore adventice avant que les plants de riz ne soient repiqués. Le sarclage manuel qu’effectuent les femmes après le repiquage est ainsi moins lourd.
18Dans un pays de longue tradition rizicole l’eau participe de différentes façons à la riziculture irriguée. Elle représente une sécurité dans un milieu d’altitude où les conditions climatiques restent marginales. Elle est un outil écologique dans la mesure où par des pratiques variées, elle participe aux différentes phases de l’itinéraire cultural. Dans un système de riziculture traditionnelle on voit tout l’intérêt à connaître les valeurs attribuées à cette ressource ainsi que les pratiques culturales et leurs significations vis-à-vis du milieu et de son utilisation.
19La riziculture traditionnelle est orientée vers une réduction maximum du risque climatique qui repose sur la gestion de l’eau. Il n’en est pas de même à la SOMALAC chargée de développer une riziculture intensive irriguée. Cette opération a nécessité la mise en place d’une infrastructure hydraulique sophistiquée dans laquelle la maîtrise de l’eau n’est pas assurée. L’eau qui est en riziculture traditionnelle un facteur de sécurité devient ici un facteur de risque et conduit les riziculteurs à mettre en œuvre des stratégies prudentes les superficies en semis direct restent importantes — qui ne correspondent pas aux objectifs d’intensification de la SOMALAC.
20La SOMALAC — Société Malgache d’Aménagement du Lac Alaotra — créée en 1961 est intervenue dans une région qui constitue une entité géographique, la cuvette de l’Alaotra à 160 km au nord-est d’Antananarivo. Les Sihanaka étaient autrefois les seuls occupants de la cuvette ; avec des activités de riziculture et de pêche, leur implantation était restée très localisée.
21Des colons européens mais aussi des malgaches, des Merina principalement, s’installent dans la zone occidentale. La mise en valeur rizicole de la région ne démarre qu’après la seconde guerre mondiale. La SOMALAC à sa création prend en main les aménagements hydro-agricoles ayant pour but la maîtrise de l’eau sur trois périmètres délimités couvrant 30 000 ha. Chargée de développer une riziculture intensive irriguée, la SOMALAC a également effectué un réaménagement foncier visant au remembrement et au lotissement des exploitations. L’opération a pris en compte un espace homogène dans le sens d’une vaste cuvette où il est possible de produire du riz grâce à l’irrigation. L’unité de cette région tient à trois caractères : son immensité, son hydromorphie, sa potentialité rizicole. En fait, derrière l’étiquette SOMALAC, se cachent trois périmètres de culture dont les conditions hydrauliques, foncières et humaines ainsi que l’histoire sont différentes. La population reste aujourd’hui très inégalement répartie entre Sihanaka et immigrés — des Merina principalement — dont les traditions et les techniques rizicoles sont différentes.
22L’essentiel des aménagements et lotissements ont été terminés en 1974. À partir de cette date, la SOMALAC n’a pu entraîner ni des gains de productivité, ni une assurance de la production avec en particulier aucune sécurité des approvisionnements en eau en relation avec les phénomènes climatiques.
23La culture du riz est dominée par deux systèmes de culture majeurs : le semis direct et le repiquage, ce dernier étant privilégié par la SOMALAC. Leurs résultats varient du simple au double. Ils semblent se stabiliser autour de 3 t/ha pour le riz repiqué et de 1,7 t/ha pour le semis direct. L’observation des variations interannuelles montre des écarts plus forts pour le riz repiqué que pour le semis direct laissant supposer une plus forte vulnérabilité du système en repiquage aux aléas climatiques et à leurs conséquences hydrauliques.
24Le climat est de type tropical semi-humide et chaud. Les précipitations annuelles sont de l’ordre de 1 200 mm avec une nette croissance du nord au sud et un important effet d’altitude sur les bordures de la cuvette. On distingue une saison sèche bien marquée d’avril à octobre et une saison humide de novembre à mars. A Ambohitsilaozana, la pluviométrie moyenne est de 1 099 mm. L’irrégularité interannuelle est très forte, avec une variation sur 35 années (1944-1978) de 750 mm à 1 841 mm (fig. 1). On prendra pour exemple les totaux de trois années consécutives : 1 247 mm en 1975, 895 mm en 1976, 1 011 mm en 1977. Se succèdent année pluvieuse, année sèche ou encore retard ou avance de premières pluies, autant d’éléments qui sont néfastes pour la riziculture. De plus, la moyenne du nombre des jours de pluies est de 60 jours, mais elle peut varier de 50 à 95 jours suivant les années. Cette irrégularité s’accorde mal avec des pratiques impératives et avec un calendrier d’intensification basé sur des données moyennes. La forte variabilité interannuelle ne manque pas d’avoir d’incidence sur celle des résultats si les aménagements n’assurent pas une sécurité d’approvisionnement en eau. Les années 1980/1981 et 1981/1982 montrent la très forte vulnérabilité aux accidents climatiques.
251980/1981 se caractérise par une sécheresse extrêmement forte, entraînant immédiatement une baisse des superficies, la modification des systèmes de cultures, une forte chute des rendements (moins 500 kg/ha en riz repiqué et moins 300 kg/ha en semis direct) et de la production totale. Les paysans se trouvaient dans une très mauvaise situation financière pour aborder la campagne suivante 1981/1982. Ceci explique le changement du riz repiqué au semis direct (48,5 % en 1980/1981, 37,5 % en 1981/1982). Les paysans ne disposaient pas des fonds nécessaires pour faire face aux coûts engendrés par le repiquage. 1981/1982 se traduit par un renversement total de la situation climatique : excès d’eau et inondations qui se traduisent encore, mais dans une moindre mesure, par des réductions de superficies mais aussi par des pertes de production.
26L’année 1982/1983 a eu une pluviométrie caractéristique d’une année moyenne mais la forte inversion qui s’était produite au cours des campagnes 1980/1982 au détriment du repiquage et en faveur du semis direct ne s’est amenuisée que faiblement ; le taux du semis direct reste supérieur à ce qui prévalait avant 1980/1982. De plus on peut remarquer que la bonne climatologie a plus profité au riz en semis direct — avec un rendement de plus de 2 tonnes — qui est souvent une quasi culture pluviale, qu’au riz repiqué. L’étude des 2 campagnes montre la vulnérabilité hydraulique, agronomique et économique des systèmes de culture paysans de la SOMALAC.
27Le projet d’intensification rizicole de la SOMALAC repose sur un itinéraire cultural très strict dont la maîtrise de l’irrigation est une des conditions essentielles afin de pouvoir respecter le calendrier cultural normalisé. Ainsi « une lame d’eau comprise entre 10 et 15 cm doit être maintenue en permanence dans les parcelles, sans cesse renouvelée puis évacuée après la coupe », comme le recommande la SOMALAC.
28Dans les 3 périmètres aménagés et répartis entre des attributaires pour une riziculture intensive, l’eau manque malgré la mise en place d’un réseau sophistiqué (fig. 2.)
PC 15 | PC 23 | PC Nord | |
Superficies cultivées | 2 802 ha | 11 207 ha | 14 794 ha |
Superficies correctement irriguées | 2 000 ha | 5 420 ha | 8 709 ha |
29Au total 16 127 ha sur les 28 303 ha cultivés sont correctement irrigués. D’un côté, les paysans rendent le « Génie » responsable d’une telle carence car, avant les aménagements, la zone « ne souffrait pas d’eau », de l’autre, les techniciens mettent essentiellement en cause la gestion de l’eau par les paysans.
30Dans le PC Nord, par exemple, le débit moyen totalisé est de 21 350 1/s, suffisant pour irriguer 8 500 ha alors que le périmètre est beaucoup plus vaste. De plus, les ressources en eau d’irrigation ne correspondent pas au calendrier des besoins. L’eau d’irrigation, bien qu’en quantité insuffisante, est disponible en saison des pluies, au moment où les rizières sont elles-mêmes alimentées par les pluies. C’est donc particulièrement pour la pépinière, le repiquage et la floraison-maturation — aux deux extrémités du cycle cultural — que les besoins en eau sont mal assurés.
31Les problèmes du réseau tiennent à des facteurs techniques, structurels d’une part et d’entretien d’autre part.
32La création de tels réseaux dans les zones les plus basses de la cuvette ne prend pas en compte la gestion amont-aval des bassins versants. On a misé sur la seule maîtrise du périmètre. Aujourd’hui, la pénurie d’eau est due à des défauts techniques connus. L’accumulation des dépôts sableux dans les réservoirs de stockage et dans les canaux est liée au phénomène d’érosion accélérée qui dégrade les reliefs déboisés des bassins versants. Cette perte d’eau vient aussi des paysans qui, au fil de l’eau, prennent de l’eau sur les rivières pour irriguer leurs parcelles en amont des PC.
33Le manque d’eau tient aussi à l’aménagement interne. L’affaissement de la tourbe lié à l’assèchement par drainage a été sous-estimé. L’important troupeau bovin participe également à la dégradation du réseau. Les digues des canaux s’écroulent à cause du passage répété de gros troupeaux pâturant le long des chemins sur les diguettes et s’abreuvant dans les canaux.
34Enfin rien n’a été fait pour informer les paysans, les Sihanaka, d’une part, qui pratiquaient une riziculture traditionnelle sur le marais par brûlis et semis à la volée sans aucun aménagement, les immigrés, d’autre part, qui ont une longue tradition de riz repiqué. Or, pour ces derniers, originaires des Hautes Terres, la gestion des collines du haut des collines jusqu’aux bas-fonds rizicoles reste une tâche importante qu’ils savent maîtriser ; de plus, ils n’utilisent pas deux types de canaux pour l’irrigation et le drainage mais un seul canal qui a les deux fonctions d’irriguer et de drainer. Un apprentissage pour ces deux populations qui sont les utilisateurs et acteurs dans cette opération a fortement manqué.
35La gestion et l’entretien sont complexes puisque le SDR (Service de Développement Rural) et la SOMALAC en ont tous deux la charge. Cette dernière est incapable de faire respecter la bonne marche de circulation du réseau.
36Les canaux tertiaires et quaternaires sont le plus souvent ensablés ou envahis par la végétation. Les paysans ne les entretiennent pas, disant qu’ils ne vont pas curer un canal où ils ne sont pas sûrs que l’eau arrivera. Ils ne curent qu’à l’arrivée de l’eau et retardent ainsi le calendrier cultural. Ou encore ils surcreusent ou élargissent les quaternaires pour voir arriver l’eau à leur parcelle. Ou bien ils dérivent l’eau du canal drain IV — où il y a de l’eau... — vers leurs parcelles en le bouchant en aval.
37On assiste aujourd’hui à une inversion de fonction des canaux : les drains surélevés pourraient jouer le rôle d’irrigateur et les irrigateurs dont le plancher est affaissé celui de drain. L’utilisation de cette inversion de fonction n’est pas encore « autorisée ». Pourtant les cultivateurs qui manquent d’eau n’hésitent pas à aller la récupérer dans le canal drain.
38Paysans et techniciens se renvoient la responsabilité du manque d’eau. Pour les techniciens, malgré l’existence des défauts techniques connus, le débit alimentant le périmètre est suffisant, pour les paysans l’eau n’est pas dans la rizière quand il le faut. Ces derniers remarquent le volume des eaux dans les canaux drains par rapport aux irrigateurs. Ceci leur fait dire : « ce n’est pas l’eau qui fait défaut, c’est plutôt une mauvaise organisation de sa distribution ». De plus, beaucoup de ces attributaires ont connu la période où la zone « ne souffrait pas d’eau » et où l’on savait « répartir l’eau » avec une irrigation du temps des concessions européennes par simple buse guidant l’eau dans les parcelles. Enfin, les riziculteurs ajoutent qu’ils comprendraient la pénurie en période de forte sécheresse mais qu’il ne devrait pas y avoir de problème d’eau en période normale pour toutes les raisons qu’ils évoquent.
39Ainsi l’eau qui peut représenter une sécurité pour les riziculteurs est ici en fait un risque constant.
40Les deux systèmes de semis direct et de repiquage coexistent. Bien que ce dernier fasse l’objet de tous les efforts de la SOMALAC, il ne concerne d’après une moyenne établie de 1974 à 1982 que 52 % des superficies rizicoles. Les variations interannuelles sont fortes de 37,5 % en 1981/82 à 59 % en 1977. Les deux calendriers rizicoles montrent le décalage par rapport aux calendriers optimaux de la SOMALAC avec des travaux de labour plus tardifs et des opérations beaucoup plus étalées : semis de mi-novembre à fin mars, pépinière de mi-octobre à mi-décembre et repiquage de début décembre à fin février (fig. 3).
41En semis direct, les riziculteurs sèment des quantités importantes entre 160 à 200 kg à l’ha, une plus forte densité du semis étant destinée à apporter une sécurité par rapport à l’insuffisance d’eau et à combattre les adventices. La SOMALAC recommande 150 kg/ha. Le repiquage dans des conditions « normales » doit avoir lieu 45 jours après le semis en pépinière ; les bonnes dates de repiquage sont entre le 1er novembre et le 30 décembre, la date limite étant le 15 janvier.
42Le choix du système cultural en début de campagne agricole dépend des « possibilités » de chacun des exploitants, de leurs objectifs et de leur marge d’incertitude. Ceux-ci tiennent compte tout d’abord des caractéristiques et des résultats de la campagne précédente mais aussi de la connaissance qu’ils ont de la maîtrise de l’eau à la parcelle, de la taille de la parcelle, de la main d’œuvre utilisable dont la force nécessaire varie en fonction du semis direct ou du repiquage, des possibilités en main d’œuvre salariée (liquidités financières), en travailleurs agricoles familiaux et en entraide, enfin du matériel agricole qui est disponible ou qu’il faudra louer.
43Au fur et à mesure du déroulement de la campagne agricole, les paysans font des choix au niveau des pratiques culturales qui sont basés sur la connaissance qu’ils ont du milieu et qui sont appliqués dans leur quotidienneté en fonction de la gestion de l’eau d’irrigation et des pluies. Ils portent sur la lutte contre les adventices, les dates des façons culturales (retard voulu pour lutter contre les adventices, obligé par manque d’eau ou contraint par la recherche de salariés), enfin sur les pratiques plus ou moins expéditives. On a pu noter une très grande souplesse alors que les techniques proposées par la SOMALAC ont une grande rigidité : « il faut... » (tokony) (voir le calendrier cultural en p. 450 et 451 qui concerne surtout le repiquage).
44L’eau « miantoka my vokatra » (qui assure la production) est un grave problème dans ce système de riziculture irriguée qui repose sur une bonne alimentation en eau. Il faut insister sur la véritable tyrannie qu’exerce l’eau pour les riziculteurs ; l’eau, c’est-à-dire la combinaison de l’eau de pluie et de l’eau d’irrigation qui doit la devancer et en être le complément.
45On rencontre plusieurs problèmes d’eau dans la rizière :
- il n’y a pas d’eau
- il n’y a pas assez d’eau
- l’eau arrive en quantité mais trop tard. Par exemple, pour le riz repiqué, il faut de l’eau le 15 octobre dans la pépinière mais l’eau n’arrive que le 15 décembre
- l’eau est mal répartie sur toute la parcelle mal nivelée
- l’eau stagne dans la parcelle au moment où elle devrait être évacuée avant la moisson.
46Dans tous ces cas l’eau nécessite un surcroît de travail et crée une insécurité. Les paysans subissent une double contrainte du fait du retard de l’eau et de la position, en conséquence, des périodes de travaux dans le temps.
47Le choix de l’un ou l’autre des systèmes de culture a une signification par rapport à la maîtrise de l’eau qui apparaît plus nettement chez les migrants que chez les Sihanaka. Il reste vrai que le semis direct est considéré par beaucoup comme une stratégie anti-risque. On a pu noter qu’il n’y a pas de relation directe entre « Bien servi en eau/repiquage » ou « Mal servi en eau/semis direct » mais plutôt entre la maîtrise de l’eau et le rendement plus ou moins élevé. Le semis direct est une réponse au manque d’eau mais est pratiqué aussi pour d’autre raisons, que l’analyse des systèmes de production permet d’éclaircir.
48Les paysans qui ont une mauvaise maîtrise de l’eau d’irrigation font un semis tardif vers le 22-25 décembre au moment où ils sont sûrs de pouvoir bénéficier des eaux de pluies et avant les fêtes de fin d’année.
49Il reste que, quelque soit le système de culture adopté, la gestion de l’eau reste un gros travail. Ces travaux sont, en début de campagne, l’entretien des canaux et diguettes et, tout au long de la culture du riz, la surveillance de l’eau qui occupe 4 mois les riziculteurs en semis direct, 6 mois ceux en repiquage à raison de plusieurs fois par semaine.
50La gestion de la non-assurance de l’eau coûte du temps et nécessite des « techniques à mettre au point ».
51Pour les paysans, l’eau désherbe et est traditionnellement utilisée dans les façons culturales pour lutter contre les adventices. Ici, dans les conditions présentes, elle ne peut plus intervenir favorablement car elle n’est pas toujours en quantité suffisante et au moment voulu. Des aménagements ont été adoptés qui concernent le système de culture :
52• La solution générale est d’augmenter la quantité de semis : 60 et même 80 kg/ha en repiquage, 160 et jusqu’à 200 kg/ha en semis direct. La quantité augmente d’autant plus que l’exploitant est en retard par rapport au calendrier.
53• Le retard volontaire du semis est également une pratique pour amoindrir la pousse des adventices. En semis direct, certaines parcelles mal assurées de l’eau d’irrigation sont semées tardivement de façon dense. Dans ce cas, les paysans ne sarclent pas manuellement (opération extrêmement coûteuse en temps) et ne cherchent pas à acheter de Désormone (herbicide). Le rendement est moindre mais l’exploitant n’a pas à surmonter le coût du désherbage. Le pire est, qu’après un semis direct ainsi calculé, l’eau se fasse attendre, les adventices ayant alors le temps de se développer et de concurrencer les grains de riz qui ont du mal à s’enraciner. Pour cette raison, la prégermination est quelquefois effectuée. La même technique est adoptée en repiquage. La pousse maxima des adventices se situant entre le 1er décembre et le 15 janvier, les riziculteurs retardent la date des repiquages après le 15 janvier afin que le cycle végétatif du riz ne soit pas en concurrence avec celui des adventices. Ils perdent sur le rendement (perte estimée à 500 kg/ha) mais sont gagnants sur la quantité de sarclage qui représente un gros travail.
54Tout ceci va à contre-sens de la politique de la SOMALAC pour laquelle le respect du calendrier cultural est un des 5 thèmes d’intensification et qui préconise l’utilisation conjointe de deux herbicides (Désormone et Stam F 34), le premier produit se trouvant au marché noir, en faible quantité et pas au bon moment, c’est-à-dire en début de campagne, le second étant absent.
55En raison du manque d’eau, alors que celle-ci est traditionnellement utilisée pour diminuer le travail du désherbage, et du manque de produits chimiques, pratique introduite, les paysans se trouvent désarmés face au problème des adventices et jouent sur le calendrier cultural en attendant janvier-février où ils sont assurés d’une quantité d’eau. On voit comment l’action conjuguée du manque d’eau et de désherbant se répercute négativement sur le calendrier.
56• D’autres solutions concernent l’adoption d’un système de culture plutôt qu’un autre. Ainsi, on a pu remarquer chez certains riziculteurs, migrants surtout, qui regrettaient de ne pas pouvoir repiquer à cause du manque d’eau, une pratique intéressante en semis direct avec une technique plus élaborée. Après le labour à sec, ils effectuent le hersage et le planage aux premières pluies puis évacuent l’eau qu’ils laissent entrer à nouveau en quantité un certain temps pour étouffer les adventices. L’eau est à nouveau évacuée, une bonne mise en boue est faite et le semis a lieu sur un sol bien préparé. Cette façon culturale combine une bonne préparation du sol et la lutte contre les adventices.
57• Une autre solution est le système mixte, avec juxtaposition des deux systèmes sur un même lot ou sur une exploitation, ce qui a l’inconvénient d’étaler dans le temps un calendrier déjà chargé.
58• La stagnation de l’eau est également un problème en fin de cycle cultural, quand il est nécessaire d’évacuer l’eau de la rizière à maturité, quinze jours avant la coupe environ. Ceci entraîne un travail supplémentaire : les exploitants creusent au milieu de la rizière un canal d’évacuation des eaux vers le canal qui borde la rizière ; dans ce canal dont le plancher est trop haut l’eau stagne également. La technique est de barrer ce canal pour retenir l’eau en amont et permettre ainsi l’écoulement de l’eau de la rizière.
59On a des paysans en quête d’eau et le second type d’actions concerne le réseau d’irrigation. Les riziculteurs ont une stratégie qui les oppose aux techniciens du service hydraulique : ils cherchent par des actions qualifiées d’illégales par la SOMALAC à « avoir de l’eau dans leurs parcelles ». Ces actions sont pour la SOMALAC le témoignage de l’indiscipline paysanne et expliquent en partie le manque d’eau sur le PC. Ce sont pour les paysans les moyens d’avoir de l’eau en quantité, puisqu’elle coule dans les canaux, et à temps, puisque les travaux de préparation, de semis et de repiquage ne peuvent pas attendre. Ces actions sont individuelles et collectives. Les pratiques individuelles sont néfastes pour les voisins dont les parcelles aval manquent d’eau à la suite de l’installation de ces prises « pirates ». Ce sont des barrages temporaires, hesika, installés sur les irrigateurs quaternaires, découpés dans la diguette mitoyenne du canal et de la parcelle pour dévier l’eau et augmenter le débit qui entre dans la rizière par la brèche ainsi ouverte. Ceci rappelle la pratique employée sur les Hautes Terres où, dans le système d’irrigation traditionnel, on casse un morceau de diguette et on obstrue le canal en aval de la parcelle à irriguer.
60D’autres actions sont plus graves car elles détériorent le réseau d’irrigation. Ce sont la construction de batardeaux sur les drains III pour amener l’eau dans l’irrigateur III qui lui est parallèle et n’a pas d’eau. Ceci a plusieurs conséquences. Le drain et l’irrigateur étant séparés par le chemin d’accès aux rizières, il faut ouvrir le chemin perpendiculairement aux deux canaux. De plus, en aval de l’ouvrage, le canal drain III n’a plus d’eau jusqu’au canal II et la parcelle du côté de ce drain sera difficilement irriguée pour des raisons d’équilibre de la nappe d’eau. On constate également la destruction des ouvrages où se trouvent les repères réglant le débit des canaux.
61L’eau est un facteur de production important. Dans une riziculture coûteuse, l’eau « qui assure la production » doit remplir son contrat c’est-à-dire apporter la sécurité d’une bonne récolte. Or la mauvaise maîtrise de l’eau fragilise le système introduit par la SOMALAC et crée un risque. Aussi les exploitants ont mis au point toute une stratégie anti-aléatoire qui les détourne de l’intensification et donc du repiquage. Il faut d’ailleurs insister sur le fait que l’eau est incontestablement un facteur de meilleur rendement mais n’est pas l’élément significatif d’un système de culture par rapport à un autre comme aurait tendance à le dire le discours de la SOMALAC. Dans l’échantillonnage du PC 23, où les riziculteurs pratiquent le semis direct, 65 % sont bien servis en eau et 34 % mal servis en eau, le jugement intervenant du point de vue du système de culture.
62On passe d’une maîtrise des aléas climatiques en système traditionnel par une gestion de l’eau à une dépendance sur les périmètres de culture de la SOMALAC dans un système hydraulique non sécurisé sur la moitié des superficies cultivées. À la SOMALAC, on a introduit paradoxalement par le biais d’un aménagement hydro-agricole la précarité qui conduit les riziculteurs, à adopter le semis direct dont le rendement est fonction de la pluviométrie.
63Une gestion du risque par les uns, une stratégie anti-risque par les autres sont deux solutions à la réduction du risque climatique. Il reste qu’on ne peut isoler cet aléa ; les riziculteurs des Hautes Terres de Madagascar sont confrontés à d’autres risques de caractère technique, social et économique qu’ils prennent en compte dans la stratégie globale qu’ils mettent en œuvre dans leur système de production.
LE CALENDRIER CULTURAL1
641. Pépinière : à entreprendre dès qu’il y a suffisamment d’eau et qu’il commence à faire plus chaud, au plus tard le 15 décembre.
- Il faut préparer correctement le sol, effectuer le labour, la mise en boue, le planage.
- Une pépinière de 3 ares suffit pour une rizière de 1 ha. Répandre de l’engrais de fond à raison de 5 kg NPK par are.
65Les semences :
- utiliser des semences sélectionnées
- prégermination des semences en sacs pendant une demi-journée dans l’eau puis exposées au soleil
- semences de 8 kg par are sur le sol mis en boue.
66Il faut veiller à l’irrigation :
- Une fois le semis effectué, le sol doit toujours être humide pendant 3 jours.
- Du 4e au 8e jour on irrigue le soir et on évacue l’eau le matin.
- Du 8e au 15e jour, maintenir entre 3 et 4 cm la hauteur de la lame d’eau ; eau à renouveler 2 fois.
- Du 15e jour au 30e jour : maintenir entre 5 et 8 cm la hauteur de la lame d’eau ; eau à renouveler 2 ou 3 fois.
67Il faut protéger les plants contre les poux de riz et veiller, si les plants jaunissent, à répandre du sulfate d’ammoniaque.
68Après 30 jours2 arracher les jeunes plants de la pépinière et repiquer.
692. Préparation de la rizière
- Aménager le sol.
- Labour profond, le mieux serait de faire un labour après la récolte suivi d’un deuxième labour.
- Hersage.
- Irrigation et mise en boue.
- Planage.
703. Repiquage : le 15 janvier au plus tard
- Il faut des jeunes plants de riz de 30 jours, aussi faut-il commencer à temps les travaux de la pépinière.
- Sélection : n’utiliser que les jeunes plants de riz robustes et sains.
- Le sol de rizière. Pas besoin de beaucoup d’eau, il suffit que le sol soit boueux. Après le repiquage, pas d’irrigation pendant les 10 premiers jours.
- Les pieds de riz : lors du repiquage, deux tiges suffisent pour un pied de riz. Écartement entre deux rangées de pieds de riz : 20 à 25 cm. Écartement entre deux pieds de riz dans une rangée : 10 à 15 cm.
714. Tallage
- 10 jours après le repiquage, irrigation jusqu’au 1/3 de la hauteur des plants de riz. On comble les trous, on remplace les plants morts.
- 1 mois après le tallage, on assèche complètement la rizière jusqu’à ce qu’elle soit crevassée.
- on irrigue de nouveau jusqu’au tiers des plants de riz. En même temps on répand de l’engrais chimique.
- Sarclage ou désherbage, veiller à ce qu’il n’y ait pas de mauvaises herbes dans la rizière.
725. Protection contre les ennemis du riz (poux et parasites de la plante adulte c’est-à-dire borers)
73Ils sévissent surtout après le tallage et entraînent une diminution de la récolte. Les traitements aériens donnent de bons résultats.
746. Épiaison — Floraison
75L’irrigation est importante. Il faut veiller à ce qu’il y ait suffisamment d’eau pendant ces périodes qui durent 3 semaines environ. C’est le moment où l’eau en quantité suffisante est la plus nécessaire.
76On veille au désherbage : la rizière doit toujours être propre.
777. Maturité
78On commence à assécher petit à petit la rizière dès que le riz mûrit, c’est-à-dire 8 à 10 jours avant la moisson.
798. Moisson
80Quand tout le riz de la rizière est mûr, on récolte.
***
81Semis direct (dans le cadre, à gauche sur le document)
- Préparer le sol dès qu’il y a suffisamment d’eau et qu’il commence à faire plus chaud. Au plus tard le 15 décembre.
- Hersage (qu’il convient d’effectuer après le labour qui suit la récolte)
- Irrigation
- Engrais NKP, 300 kg par hectare en plus du fumier de porc
- Mise en boue
- Planage
- Semis : semences sélectionnées, pré-germées à raison de 120 kg par hectare
Bibliographie
bibliographie
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Blanc-Pamard (C.) et Milleville (P.), 1985. — Pratiques paysannes, perception du milieu et système agraire : 101-138. In A Travers Champs, Agronomes et Géographes, Collection Colloques et Séminaires ORSTOM, Paris, 297 p.
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Le Bourdiec (F.), 1978. — Hommes et paysages du riz à Madagascar. Imprimerie de Foiben-Taosarintainin’i Madagasikara, 647 p.
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Raison (J. P.), 1984. — Les Hautes Terres de Madagascar et leurs confins occidentaux. Paris, ORSTOM/Karthala, 2 tomes, 651 p. et 605 p.
Rakoto Ramiarantsoa (H.), 1985. — Développement à contre-sens : un aménagement hydroagricole qui n’a pas donné les résultats escomptés (Réseau hydro-agricole du PC 23 BIRD, cuvette du lac Alaotra, Madagascar) : 409-420. In Les politiques de l’eau en Afrique. Développement agricole et participation paysanne. Sous la direction de G. Conac, C. Savonnet-Guyot, F. Conac, CNRS ACCT, Paris, Economica, 767 p.
Notes de bas de page
1 Traduction du calendrier cultural présenté par le MPARA (Ministère de la Production Agricole et de la Réforme Agraire) et diffusé par de grandes affiches dans le cadre de « Taona Zina » (Pour une année prospère). Ce document est reproduit à la page précédente.
2 Sont en italiques les consignes très strictes du calendrier cultural qui sont encadrées de noir dans le document original.
Auteur
Géographe CNRS, URA 94, EHESS, 54 Bd. Raspail, 75006 Paris.
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