Introduction générale
p. 7-13
Texte intégral
1En Côte-d’Ivoire, comme dans les autres pays d’Afrique occidentale, le développement de l’agriculture est nécessaire pour dominer l’explosion démographique et la croissance urbaine, qui ont débuté il y a trois décennies et pour s’adapter à la diminution de la pluviométrie annuelle enregistrée depuis la fin des années soixante.
2À côté des cultures vivrières ancestrales : igname, banane plantain, manioc, maïs et des plantations de café et de cacao créées au début du xxe siècle, l’État ivoirien a développé d’autres secteurs agricoles, par le biais de sociétés de développement. Dans les années soixante-dix, les plus importantes étaient la CIDT pour le coton, la SODEPALM pour le palmier à huile, la SODERIZ pour le riz et la SODEPRA pour l’élevage.
3En 1973, la Compagnie ivoirienne pour le Développement des Textiles (CIDT), qui succédait à la Compagnie française pour le Développement des Textiles (CFDT), lançait une opération de développement rural dans quatre départements du nord-ouest du pays : Odienné, Boundiali, Korhogo et Ferkéssédougou (figure 1)1, où avait été développée la culture cotonnière depuis 1962. Il s’agissait essentiellement d’introduire la culture attelée, mais aussi d’intensifier les cultures vivrières et de fixer les champs. Les organismes qui finançaient l’opération demandèrent une étude d’accompagnement, pour analyser les transformations des systèmes agraires, sous l’influence de cette politique. L’étude fut confiée aux auteurs, géographes de l’ORSTOM2.
4Du point de vue des auteurs, l’évolution des systèmes agraires du Nord-Ouest de la Côte-d’Ivoire doit d’abord être mise à l’actif de la population paysanne, toujours à la recherche de l’innovation qui améliorera son niveau de vie ou l'organisation de son travail. Certaines innovations furent proposées par la CIDT, mais d’autres furent spontanées ou suscitées par d’autres organismes de développement, par exemple la Société pour le Développement de la Production animale (SODEPRA) qui travaillait aussi dans le Nord-Ouest ivoirien, à la même période. Il s’agit néanmoins d’un dynamisme forcé : les paysans savaient qu’ils devaient s’adapter à tout prix pour vivre, c’est-à-dire pour se nourrir et avoir un peu d’argent pour diversifier leur alimentation, s’habiller, se soigner et s’éduquer de façon rudimentaire. La seule production de vivriers pour l’alimentation familiale ne leur aurait permis que de survivre très difficilement, en marge d’une société paysanne déjà bien peu bénéficiaire de l’économie de marché.
5Ainsi, cette étude est centrée sur la gestion paysanne des systèmes agraires, gestion fortement marquée par l’influence de la CIDT.
6À long terme, le champ d’application de l’opération de développement, menée par la CIDT à partir de 1973, concernait l’ensemble des quatre départements du Nord-Ouest. À court terme, l'opération fut testée sur un espace plus réduit, situé au nord de Boundiali ; la CIDT y était bien installée, après que la CFDT y avait développé avec succès la culture cotonnière et l’expansion plus limitée des arbres pouvait faciliter les défrichements préalables à l’utilisation des charrues. C’est donc sur cet espace réduit que furent analysés, de 1974 à 1978, les sociétés et les systèmes agraires effectivement marqués par l’opération de développement de la CIDT.
7Limiter cet espace n’a pas été simple. Certes, les paysages du Nord-Ouest changent en fonction de la pluviométrie, mais de façon insensible. Par ailleurs, les trop faibles variations de densité de population ne permettaient guère de différencier des régions, sauf celle de Korhogo, beaucoup plus peuplée pour des raisons historiques. Enfin, les villes ne polarisaient que de petits espaces. Néanmoins, quatre régions aux potentialités agricoles différentes furent mises en évidence, à l’intérieur des départements de Korhogo et de Boundiali qui recouvrent approximativement le pays sénoufo occidental (figures 1 et 2), (J. Wurtz, 1974 ; J. Peltre-Wurtz, 1976 a). La région située au nord-ouest correspond à celle où la CIDT lançait son opération de développement, puisqu’en 1973 elle y avait vendu 307 de ses 337 premières charrues et qu’en 1974 elle y avait défriché au bulldozer 39 des 40 premiers blocs destinés à la culture attelée. La Bagoué, qui arrose la région et se jette dans le Niger au Mali, séparait plus qu’elle n’unissait les habitants de ses deux rives, jusqu’en 1978 où un pont fut construit pour remplacer le radier, inutilisable quatre mois sur douze. Pourtant, dès 1974, des habitants de la région, qui avaient émigré dans les grandes villes de Côte-d’Ivoire et qui désiraient participer au développement de leur pays d’origine, avaient créé une association dénommée Mutuelle de la Bagoué. Ces émigrés actifs ne considéraient donc pas leur rivière comme un obstacle, puisqu'ils utilisaient son nom pour identifier la région qu’ils voulaient développer. Il nous a semblé logique alors de conserver cette appellation.
8La surface de la région de la Bagoué (figure 2) avoisine 9 000 km2. Dans un paysage de savane arborée s’est développée une agriculture diversifiée. En 1973, parmi les cultures vivrières dominaient les céréales : maïs et sorgho au nord-ouest, maïs et riz pluvial au sud-est, riz dans les bas-fonds depuis quelques années. Les cultures de rente étaient représentées par l’arachide et surtout par le coton depuis 1962. Enfin, l’élevage des bovins était généralisé. La région est assez bien délimitée sur trois côtés : frontière nationale au nord (Mali), ethnique à l’ouest (pays malinké), climatique au sud (plus de sept mois de pluie par an, au sud de la ville de Boundiali) ; en revanche, la limite orientale est plus floue. Aussi, afin de ne pas enfermer l’analyse dans un cadre trop rigide, celle-ci fut étendue à la portion de territoire ivoirien compris à l’intérieur d’un rectangle de 150 km sur 130 km. Cet espace englobe non seulement la région de la Bagoué, mais aussi une petite partie du pays malinké à l’ouest, la ville de Boundiali au sud et une partie de la région de M’Bengué à l’est, soit un territoire de 15 000 km2, où vivaient 180 000 habitants en 1975.
9En 1973, la région de la Bagoué était caractérisée par un fort développement du coton (10 ares en moyenne par habitant), après dix ans de culture encadrée par la CFDT et la CIDT, pour deux raisons au moins :
- D’abord la terre n’y manquait pas en 1962, quand cette culture fut introduite dans le Nord-Ouest, alors que dans la région de Korhogo par exemple (figure 2), la densité de la population était telle qu’il manquait d’espace sur les interfluves pour cultiver les vivriers nécessaires à l’alimentation de la population ; il n’avait donc pas été question d’y introduire cette culture.
- Par ailleurs, le coton n’était pas entré en concurrence avec l’igname et le riz pluvial, les deux autres cultures de rente du pays sénoufo. Ces deux cultures ne se développent bien que dans la partie méridionale du pays, où il pleut plus de sept mois sur douze et plus particulièrement au sud-est, dans la région de Sirasso-Dikoudougou (figure 2) où les récoltes sont bien vendues parce qu’y fonctionne, depuis longtemps, un bon circuit de commercialisation privée (P. Richard, 1981). Pour cette raison, la culture cotonnière était encore très marginale dans cette région en 1973 (1,5 are de coton par habitant).
10La région méridionale de Boundiali (figure 2) aurait pu être choisie par la CIDT pour tester son opération de développement : la terre y était abondante, les cultures d’igname et de riz pluvial n’étaient destinées qu’à la consommation locale en l’absence d’un véritable circuit de commercialisation (X. Le Roy, 1983) et l’élevage bovin y était bien développé ; enfin cette région était même davantage cotonnière (14 ares de coton par habitant en 1973) que celle de la Bagoué. Cependant, elle fut écartée de l’opération test de la CIDT, car il était prévisible que les défrichements préalables à la culture attelée y seraient difficiles à réaliser, la strate arborée étant abondante, à cause d’une pluviosité plus forte qu’au nord et d’une densité humaine plus faible (6 hab. par km2 en 1965).
11L’approche de quatre espaces emboîtés fonde l’analyse de la gestion paysanne des systèmes agraires de la région de la Bagoué. Cette approche a permis un constant mouvement de confrontation des résultats obtenus par les auteurs, responsables chacun de l’étude de deux de ces espaces, et la pertinence de l’analyse finale repose en grande partie sur cette confrontation (figure 1).
12La politique menée par la CFDT puis par la CIDT, de 1962 à 1978, est le seul point d’attaque de l’étude de l’espace le plus vaste, correspondant aux quatre départements du Nord-Ouest, qui fait l’objet d’une courte première partie de l’ouvrage. Des documents fournis par la CFDT et la CIDT ont permis à J. Peltre-Wurtz de mesurer d’abord l’action globale de ces deux sociétés jusqu’en 1973, de comparer ensuite les résultats obtenus dans la région test de la Bagoué à ceux moins avancés de l’ensemble du Nord-Ouest, de mieux saisir enfin la logique de cette opération, parfois difficile à déchiffrer sur un petit espace.
13Des documents témoignant notamment des paysages, de la population, de la culture cotonnière et de l’élevage depuis l'année 1955, sont les outils d’une approche plus diversifiée de la région de la Bagoué et en particulier d’une analyse de la répartition de la population, de l’occupation des sols et des mutations récentes de l’agriculture et de l’élevage. Des enquêtes complémentaires, effectuées à Kasséré, l’une des sous-préfectures de la région (figure 2), précisent des notions mal élucidées à partir des seuls documents précédents, en particulier les migrations de population, l’histoire foncière des villages et les transferts de travail et de bovins, des noyaux peuplés vers leur périphérie. B. Steck analyse ces deux espaces emboîtés dans la deuxième partie de l’ouvrage.
14C’est sur l’espace le plus restreint, celui du terroir de Syonfan, situé dans la région de la Bagoué, tout près de Kasséré que la gestion paysanne des systèmes agraires a pu être observée avec le plus de précision, par le biais d’enquêtes rétrospectives démographiques et agricoles, par le suivi de l'organisation sociale, agricole et économique villageoise, durant quatre ans et par celui de l’utilisation des champs pendant deux années agricoles au moins. J. Peltre-Wurtz a choisi d’étudier ce village, parce que ses habitants étaient parmi les premiers à avoir acheté des charrues à la CIDT et parce que la densité relativement élevée des champs pouvait donner aux paysans des raisons de s’intéresser à leur fixation. Cette analyse fait l’objet de la troisième partie de l’ouvrage.
Notes de bas de page
1 Afin de rendre ce texte plus accessible, nous avons conservé l’orthographe des noms de lieux adoptée sur les cartes IGN au 1/200 000 des feuilles de Tingréla, Boundiali, Niéllé, Korhogo. C’est la référence géographique la mieux connue du public. Mais pour de nombreux lieux, l’orthographe, ou même l’appellation, varie d’une source d’information à une autre.
2 Ce texte a été écrit à partir d’un premier rapport remis à la CIDT (J. Peltre-Wurtz, B. Steck, 1979) et après que les deux auteurs eurent rédigé, l’un deux articles (J. Peltre-Wurtz, 1984 a et b), l’autre une thèse (B. Steck, 1985) sur le sujet.
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