Peuplement et environnement dans les Guyanes
Entre 10000 BP et 1000 BP
p. 259-266
Texte intégral
Les chasseurs (paléo-indiens)
1Les premiers habitants du Nord de l’Amérique du Sud étaient des chasseurs de mégafaune au Venezuela occidental, à l’ouest du Plateau des Guyanes. Ils appartiennent à la culture El Jobo, datée entre 14000 et 12000 BP. Deux autres cultures paléo-indiennes similaires lui correspondent : la culture Canaima du haut Caroni au Venezuela oriental, et la culture Sipaliwini dans le sud du Surinam (Boomert, 1980). Ces trois cultures ont notamment en commun l’utilisation de pointes bifaciales de 7 à 10 cm de longueur.
2Dans les Guyanes (fig. 3), les vestiges des chasseurs Canaima et Sipaliwini ont principalement été trouvés en milieu ouvert déboisé, essentiellement les savanes. Diverses données indiquent que, il y a environ 10 000 ans, se serait développée une phase climatique relativement sèche, caractérisée par des savanes plus ou moins ininterrompues entre la région côtière du Venezuela oriental et le Sud du Guyana, le Surinam et la Guyane française. Ces sites paléo-indiens n’ont pas été trouvés en forêt tropicale. Deux phases peuvent être distinguées dans la culture Sipaliwini : une phase plus ancienne de chasseurs de mégafaune Pléistocène tardive (comme des mammouths, des mastodontes et mégathériums) et une phase plus récente de chasseurs de faune moderne (des cerfs et autres animaux de cet ordre). Les vestiges consistent en des outils lithiques taillés (surtout des pointes pédonculées (fig. 2) ou concaves et des couteaux et des déchets de débitage). Les sites sont seulement des ateliers de fabrication : on y trouve les déchets de taille et les outils rejetés. Ces sites sont donc intéressants, mais limités en informations.
3La situation est différente dans les savanes orientales du Venezuela (fig. 1), par exemple dans le site Canaima de Tupuken. Un charbon de bois a été daté dans un niveau où des os de mégafaune étaient associés à des outils lithiques. Le matériel de Tupuken sert de référence pour la classification d’outillages similaires d’autres sites (Versteeg et Bubberman, 1992). Les outils suggèrent que les savanes ouvertes étaient les zones d’activité les plus importantes de ces chasseurs-cueilleurs. Par ailleurs, ceux-ci ont certainement étendu le domaine des savanes en utilisant le feu. La cueillette de fruits et de noix était probablement concentrée vers les marges de la forêt, près des savanes. Les cultures Canaima et Sipaliwini sont datées des onzième et dixième millénaires BP.
Les collecteurs (méso-indiens)
4Vers le neuvième millénaire BP, les premiers collecteurs méso-indiens (ou archaïques) de la culture Alaka se manifestent dans la zone côtière nord-ouest du Guyana (fig. 1). Les sites Alaka se caractérisent par de grandes concentrations de coquillages (véritables shell mounds ou sambaquis), qui apparaissent comme des collines émergeant du paysage plat. La plupart atteignent une altitude de quelques mètres, et les habitats étaient progressivement surélevés en même temps que la surface des monticules (Evans et Meggers, 1960). Les habitants ont exploité les réserves de coquillages présentes à l’ouest du fleuve Essequibo. Entre l’Essequibo et l’Amazone, les eaux côtières contiennent trop de vase (et peut-être aussi trop d’eau douce) pour nourrir de grandes quantités de coquillages comestibles. Aussi, cette partie littorale est-elle pauvre en coquillages (Versteeg et Bubberman, 1992).
5Trente monticules Alaka existent dans les régions côtières des marais d’eaux douce et saumâtre du Guyana (les districts North West et Pomeroon). Des sondages ont été faits dans quelques-uns de ces sites. Dans le site de Barabina Hill les coquillages (nérites, Puperita pupa) et les crabes servaient de nourriture de base vers 6000 BP. La chasse, la pêche, et la consommation de produits dérivés du palmier de marais (Mauritia flexuosa) complétaient ce régime. Ce site fut occupé durant quelques siècles (William 1985). Selon nos informations, ces sites d’amas coquilliers furent les premiers villages habités en permanence dans les Guyanes. Apparemment, les coquillages ont fourni une quantité suffisante de protéines pour un séjour permanent. En outre, les régions côtières sont riches en autres moyens de subsistance, comme les plantes et les fruits : plusieurs zones écologiques peuvent être exploitées ensembles. On peut y trouver conjointement des biotopes d’eau douce, saumâtre, et salée, chacun de ces écosystèmes ayant sa propre flore et faune.
6Les gens de la culture Alaka ont vécu pendant des milliers d’années sur la côte du Guyana jusqu’à 3000 BP. La dernière datation provient du site de Hosororo Creek, où fut trouvée une poterie non décorée. Il n’y a pas d’évidence d’agriculture, et les coquillages étaient encore la source d’aliments la plus importante (Williams, 1988). Récemment, des chercheurs ont proposé de réviser ces anciennes datations. La poterie grossière d’Alaka ressemble un peu à celle de la culture céramique Taperinha du bas Amazone, datée de 6000-7000 BP. Malgré le fait que des datations aussi anciennes n’aient pas été trouvées au Guyana, certains pensent que les céramiques des cultures Alaka et Taparinha sont contemporaines (Roosevelt, 1991 ; Boomert, manuscrit 1991).
Les agriculteurs
7Les premières cultures d’agriculteurs/céramistes des Guyanes trouvent essentiellement leurs racines dans la région du Haut et du Moyen Orénoque. On distingue successivement quatre cultures (ou traditions) : proto-saladoïde, saladoïde, barrancoïde et arauquinoïde. J’utilise comme exemples des sites du Surinam parce je les connais de première main. Le plus ancien site est Kaurikreek, dans le Surinam Occidental.
8La poterie a quelques aspects saladoïdes (les adornos), mais elle est essentiellement proto-saladoïde (fig. 4). Cette dernière a des parallèles avec la céramique des sites anciens du Haut et du Moyen Orénoque. Le site de Kaurikreek est situé au milieu de la forêt, sur le bord d’une petite rivière ou crique, précisément au passage de la plaine côtière et des sables pléistocènes. Le site est daté de 3 000 ans BP environ (Versteeg, 1985). On ne peut pas déterminer si les habitants de Kaurikreek furent de bons navigateurs, c’est-à-dire en même temps des Indiens de forêt et de grand fleuve ; on peut en effet gagner le grand fleuve Corantijn à pirogue ou à pied en quelques heures.
9La situation est totalement différente dans le site saladoïde de Wonotobo. Localisé sur la rive orientale du fleuve Corantijn. Ce site tient une place idéale pour l’exploitation des ressources de la rivière et de la forêt. Le moyen de transport le plus important de ces Indiens fut certainement la pirogue. Les villages saladoïdes consistaient probablement en de grandes malocas construites autour d’une place cérémonielle (plaza). Le site de Wonotobo contient de la poterie saladoïde et fut habité durant les premiers siècles de notre ère (datation de ca. 1900 BP) (fig. 3).
10Les sites barrancoides et arauquinoïdes ont la même ampleur que les précédents. Ils étaient bâtis dans les marais côtiers du Surinam et de Guyana, et ils furent occupés depuis respectivement 300 de notre ère (barrancoïdes), 600 de notre ère (arauquinoïdes) jusqu’à l’époque coloniale. Ces sites sont situés sur des cheniers – des bancs de sable – ou sont constitués de monticules artificiels d’argile dans les zones où manquent les cheniers. Ces monticules se situaient dans la zone d’eau douce, proche des eaux saumâtres (Versteeg, 1992). La pirogue était importante pour ces exploiteurs de marais. Le diamètre des monticules et des villages varie de 100 à 200 m et leur hauteur entre 1 et 2,50 m.
11L’agriculture de manioc ou de maïs était pratiquée sur des champs artificiels surélevés et drainés, dans les marécages. Ce type de champ permet une agriculture permanente. La même adaptation est trouvée au Guyana et en Guyane française, mais les sites arauqui-noides en Guyane française sont sur des cheniers, et pas sur des monticules artificiels. On trouve des sites arauquinoïdes sur tout le littoral des Guyanes depuis l’Orénoque jusqu’à l’Ile de Cayenne. Les plus anciens sites proto-saladoïdes, saladoïdes et barrancoïdes se trouvent seulement au Venezuela Oriental, au Guyana et au Surinam occidental.
12Le fait le plus important est que la population des Guyanes semble se limiter à un environnement principal d’exploitation durant les périodes paléo-indienne et méso-indienne. Dans la période néoindienne, les villages ont été construits dans différents environnements : la zone côtière, à l’intérieur des Guyanes sur les rives des grands fleuves, mais aussi en pleine forêt. On trouve en même temps des sites marginalisés dans les savanes. Il est évident qu’après la période néo-indienne formative, l’homme guyanais est en état de vivre presque partout : il est devenu ubiquiste.
Bibliographie
Boomert A., 1980 — The Sipaliwini archaeological complex of Suriname. Nieuwe West-lndische Gids, 54-2 : 94-108.
BoomertA., 1991 — Agricultural Societies in the continental caribbean. Unesco generai history of the Carribean,, vol. 1. The autochtonous societies. (multigr.)
Roosevelt A.-C, Housley R.-A., Imazio da Silveira M., Maracanca S., Johnson R., 1991 — Eighth millenium pottery from a prehistoric shell midden in the Brazilian Amazon. Science, 254 : 1621-1624.
Veersteg A.-H., 1985 —
The prehistory of the young coastal plain of Wesr Suriname. Berichten rijksdienst oudheikundig Bodemonderzoek, 35 : 653-750.
Veersteg A.-H., Bubeberman F.-C., 1992 — Suriname before Columbus. Mededelingen Surinaams Museum, 49a.
Auteur
Aad Versteeg, faculteit der Archeologie, universiteit Leiden BP 9515, 2300 RA Leiden, Pays-Bas. Vrstg@wxs.nl
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