2. L’apogée des grands domaines (1870-1930)
The heyday of large estates (1870-1930)
El apogeo de los latifundios (1870-1930)
p. 43-73
Résumés
Front 1870, the development of communications enhanced the integration of producers in the national market and facilitated the arrival of a new wave of migrants from the Altiplano. Whereas the ranchos were specialised in the production of fattened cattle for the Mexico City market and production of sugar for sale in the region, Indian farmers were hit hard by competition from the large cotton estates in the northern part of the country. Their incomes fell and they became increasingly indebted. The larger cattle breaders and dealers succeeded in appropriating the land belonging to the old Indian communities and that of small farmers through usury and mortgage loans. Estates varying in size from 1,000 to 20,000 hectares were established.
The farming System that they established was based on the concentration of very large areas in a catchment. The operator thus controlled the water supply required for the sugar plantations and the various ecological stages through which the cattle moved. The high pastures were grazed during the rainy season and the animals were then brought clown to more humid grazing land at the bottom of the slopes and then to the cultivated land in the valley bottoms where the stubble was grazed at the end of the dry season. A single cowherd could look after a large number of cattle and intermediate intake was kept very small.
However, herd size and the size of the area planted with sugarcane depended on the number of landless farmers that each owner managed to settle on his estate. Sharecroppers and tenant farmers produced crop residues eaten by the cattle during the most critical period. They also planted and cut sugarcane. By taking half of the sharecroppers’ maize harvest and an average ofa third of that of his tenant farmers, the owner built up a stock of grain for fattening the beef cattle and pigs sold in Mexico City.
The sharecropper just managed to feed his family and sometimes one or two pigs with the harvest share left to him. He was in any case dependent on the advances on harvest allowed to him by the owner. A few tenant farmers had a slightly greater margin for accumulation, but the appropriation of crop residues by the landowner forbade the ownership of more than two or three head of cattle and made it impossible for them to build up a capital.
A partir de 1870, el desarrollo de las comunicaciones acelera la integración de los productores al mercado nacional, al mismo tiempo que favorece la llegada de una nueva ola de migrantes originarios del Altiplano. Mientras los ranchos ganaderos se especializan en la producción de ganado de engorda, con destino al mercado de México, y en la de azúcar vendida en la región, los campesinos indígenas padecen la competencia de los latifundios algodoneros del norte del país. Sus ingresos se derrumban y su endeudamiento crece. Mediante la usura y los prestamos hipotecarios, los grandes ganaderos y los comerciantes de ganado logran apropiarse de sus tierras, constituyendo latifundios cuyo tamaño rebasa a veces las 20,000 hectáreas.
El sistema de producción que desarrollan estos hacendados descansa en la concentración de grandes superficies a la escala de una cuenca. De esta forma, se adueñan del agua necesaria al cultivo de caña, así como de los diferentes pisos ecológicos entre los que trashuma el ganado. Los animales se mantienen así en los pastizales más altos durante el temporal antes de bajarse hacia agostaderos de llano más húmedos y, a fines de la temporada seca, hacía los rastrojos abandonados en las tierras de cultivo. Este manejo permite que un solo vaquero cuide un vasto número de animales, mientras que el consumo de insumos queda muy limitado.
En cambio, el tamaño del hato y la superficie sembrada de cana dependen del número de campesinos sin tierra que cada propietario logra fijar en su finca. Arrendatarios y medieros producen los esquilmos que consume el ganado en el período más crítico y proveen la mano de obra para la plantación y la cosecha de la caña. Acaparando la mitad de la cosecha de sus medieros y la tercera parte, en promedio, de la de sus arrendatarios, el propietario también se adueña de las reservas de grano útiles para la seba de bueyes y de puercos que, posteriormente, venderá en el mercado de México.
La parte del trabajo que le queda al mediero apenas le permite alimentar su familia y, en ocasiones, a uno a dos puercos. En todo caso, no le alcanza para adquirir los medios de producción que utiliza. Los arrendatarios disponen de un margen de acumulación algo mayor, pero las posibilidades de constituirse un capital productivo quedan limitadas ya que el hacendado se adueña de la totalidad de los esquilmos y les impide poseer más de dos o tres cabezas de ganado.
Texte intégral
Le contremaître : « Qui est Dieu ? »
Le chœur des journaliers et des métayers :. Don Genaro Péreznegron1 »
1Entre 1870 et 1910, avec l’établissement de la Pax Porfiriana2 et la mise en place d'une législation libérale garantissant la viabilité et la rentabilité des investissements nationaux et étrangers, il se produit dans l’ensemble du Mexique un essor sans précédent du capital commercial et financier. La région du Moyen Balsas n'échappe pas à ce développement. Elle voit ses liens avec le marché national se renforcer, la compétition avec d’autres régions et d’autres producteurs s'affirmer. Cette mise en concurrence et la pénétration de puissants capitaux commerciaux vont provoquer la ruine des petites exploitations agricoles et un mouvement de concentration foncière sans précédent.
L'INTÉGRATION AU MARCHÉ NATIONAL SE RENFORCE
2Le développement des marchés régionaux qui se produit à la fin du xixe siècle correspond en majeure partie à l’essor des communications et à l'incorporation croissante à l'ensemble national de régions jusqu’alors enclavées. Le facteur principal de cette évolution fut sans doute l’expansion rapide des chemins de fer : en trente ans se construisirent plus de 20 000 kilomètres de voies ferrées dans tout le Mexique. Si la région du Moyen-Balsas ne fut pas directement touchée par l'avancée du rail, elle bénéficia cependant énormément de celle-ci. En 1897 était inauguré le terminal de Zitácuaro qui reliait la zone minière du nord-est du Michoacán à la capitale du pays et plaçait de facto le plus grand centre de consommation d’Amérique latine à proximité immédiate des Terres Chaudes. Deux ans plus tard, la ligne México-Iguala atteignait les rives mêmes du Balsas, 120 kilomètres en amont de Pungarabato. Le chemin de fer brisait brusquement l’isolement et l’enclavement qui avaient caractérisé les Terres Chaudes durant près de trois siècles.
3Mais l’essor des communications avait affecté l’économie des Terres Chaudes bien avant l’inauguration des gares de Zitácuaro ou du Balsas. Le développement antérieur des chemins de fer dans le nord du pays y avait induit de nouvelles spécialisations : alors que les régions arides frontalières des États-Unis se tournaient vers l'approvisionnement en bétail de ce nouveau marché et délaissaient ceux de l'Altiplano, de grandes exploitations se constituaient autour de la Laguna de Torreon et se spécialisaient dans la culture irriguée et mécanisée du coton. Ces transformations devaient avoir de fortes répercussions sur l’économie du Moyen-Balsas. D’une part, les producteurs de coton des terres chaudes du golfe du Mexique et du versant Pacifique étaient évincés du marché national par les haciendas de la Laguna et ne fournissaient plus que 10 % de la production nationale dès la fin du xixe siècle (C. Cardoso, 1983.) D’autre part, les marchés urbains de l’Altiplano étaient amenés à chercher de nouveaux fournisseurs de viande et de bétail. Les éleveurs des Terres Chaudes y gagnaient un nouveau débouché sur le marché de México, le plus important du pays. Le renforcement des échanges avec l’Altiplano avait le même effet dynamique sur la production sucrière : alors que la demande nationale en sucre progressait rapidement, la production des Terres Chaudes fut multipliée par sept entre 1883 et 18923. Le développement du marché national et l’intégration de la région du Moyen-Balsas se traduisaient en somme par le renforcement de l’économie métisse, axée sur les secteurs en expansion, face à son homologue indigène, pénalisée par le développement de l’industrie textile dans le nord du pays.
4Le désenclavement des Terres Chaudes a également favorisé le rétablissement des courants migratoires en provenance de l’Altiplano. Même si elle n’eut pas la portée sociale ni l’importance relative de l’implantation métisse au xviiie siècle, l’augmentation de la population entre 1860 et 1920 fut considérable, dépassant 175 %4. À partir de 1890, la population des Terres Chaudes a eu un rythme de croissance double de celui observé pour l’ensemble du Michoacán. Et l’écart s’est encore creusé entre 1910 et 1920, lors de la période révolutionnaire : alors que la population de l’ensemble du pays subissait une légère dépression, celle de la région a poursuivi sa progression (fig. 10).
5Contrairement à ce qui s'est produit dans de nombreuses régions du Mexique5, l’arrivée du chemin de fer aux portes des Terres Chaudes a représenté le début de l’âge d’or du commerce muletier dans la dépression du Moyen-Balsas. Aux caravanes qui descendaient depuis Zitácuaro, Morelia ou Tacámbaro s’ajouta dés le début du xxe siècle un trafic régulier de petites péniches et de chalands entre la station de chemin de fer du Balsas et les villages situés sur le cours du fleuve. Des embarcations chargées de tissus, outils, ustensiles manufacturés et aliments approvisionnaient les populations riveraines, avant d’être halées par des mules vers l’amont CP. R. Hendrichs, 1945). La situation de la région de Huetamo, au pied de l’Altiplano, en faisait également un tremplin idéal pour la prospection commerciale des immenses zones qui s’étendaient depuis les contreforts de la Sierra Madre jusqu’à la côte du Pacifique. Les foires régionales de Zitácuaro ou de Coahuayutla, à mi-chemin de la côte et du Balsas, devinrent des centres d’échange entre les produits de l’Altiplano (vêtements, outils, quincaillerie) et ceux des terres chaudes (bétail sur pied, cuirs, fromages, sel, tabac, sucre, alcool et coton)6. Jusqu’à la fin des années cinquante, les Terres Chaudes furent le théâtre d'un intense trafic muletier entre la côte, le fleuve et le plateau central, dont les riverains du Balsas étaient les acteurs principaux.
Figure 10. Évolution comparée des populations des Terres Chaudes et de l’État du Michoacán entre 1870 et 1920.

Sources : annexe 1 et Estadísticas Históricas de Mexico. SPP. México 1985 : 16.
6Trois siècles après l’abandon des mines tarasques, le sous-sol des Terres Chaudes éveillait lui aussi les convoitises. D’abondants gisements de cuivre étaient mis à jour à Nocupétaro, Chirangangueo, Sanchiqueo et Bastan, et des filons d’argent à Espiritu Santo et Tiquicheo (A. L. Velasco, 1892). Les Terres Chaudes retrouvaient la fièvre minière de la conquête espagnole, mais les conquérants avaient cette fois troqué l’épée pour l’appui de puissantes sociétés financières ou commerciales.
7En effet, le développement commercial et minier des années 1870-1910 s’est réalisé en liaison très étroite avec des monopoles industriels et commerciaux solidement établis à l’échelle nationale. Les grandes maisons textiles de México ou de Morelia y ont joué un rôle de tout premier ordre. Dés le début des années 1870, les sociétés J. Oliver y Cia, B. Rovés y Cia, J. Allard y Cia et surtout J. Tron y Cia financèrent la pénétration commerciale vers le Balsas et la Sierra de Guerrero par le crédit et les prêts de marchandises. Si leur intervention fut centrée dans un premier temps sur le commerce textile, elles appuyèrent très vite les secteurs productifs concurrents du coton dans l’économie régionale et contribuèrent à la ruine de cette production en fournissant des tissus à bas prix. Elles finançaient les exploitations d’élevage et les plantations sucrières et parvinrent bientôt à détenir un monopole dans l'octroi du crédit. Ce rôle avait été assumé par l’Église pendant plus de trois siècles. La loi de nationalisation des biens ecclésiastiques votée en 1860, en dépossédant celle-ci de ses propriétés foncières et de son capital financier, avait laissé un vide dans le secteur de l’usure : les compagnies commerciales occupèrent l’espace laissé vacant par l’Église. L’expansion et le dynamisme des marchés, en particulier dans le secteur sucrier, pousssaient les ranchos et les haciendas à augmenter rapidement leur capacité productive et à s’endetter. Le phénomène fut général dans le pays : dans la dépression voisine du Tepalcatepec, « la majorité des propriétés sucrières commença à travailler avec des crédits de campagne autorisés par des commerçants de Morelia... »7.
8Entre 1870 et 1920, les Terres Chaudes ont à la fois attiré des migrants et des capitaux. Ces injections n’ont pas été sans effet sur l’équilibre du groupe hégémonique régional, la répartition de la terre et celle des autres moyens de production. L'époque « de paix et de progrès » qui clôt soixante années d’instabilité a permis la formation d’une bourgeoisie financière et commerçante qui va progressivement supplanter l’ancienne oligarchie foncière mise en place dans la région au cours du xviiie siècle.
LA FORMATION D'UNE OLIGARCHIE
9L’étude des archives notariales du district de Huetamo pour les trois dernières décennies du xixe siècle reflète une monopolisation du crédit par les compagnies commerciales de l’Altiplano. Entre 1870 et 1910, les achats anticipés de bétail, sucre, maïs et les prêts hypothécaires se sont multipliés. À la fin du xixe siècle, les compagnies J. Oliver, B. Rovés et J. Tron avaient accumulé des hypothèques sur plusieurs milliers d’hectares appartenant à différents propriétaires des Terres Chaudes8. « À mesure qu’avançait le Porfiriato, le groupe commercial et financier [...] se constitua clairement comme la fraction la plus puissante et dominante du bloc hégémonique local. Elle contrôlait le commerce des produits agricoles ainsi que l’approvisionnement de marchandises non agricoles ; et à travers les prêts hypothécaires et d’autre nature, exerçait un fort contrôle sur la fraction réellement propriétaire.9 » À travers l’usure, le capital commercial s’affirmait comme la clé de voûte de l’économie régionale.
La montée en puissance des commerçants-usuriers
10Un nombre limité de commerçants, agents locaux des maisons de négoce de l’Altiplano, a joué un rôle central dans ce système de crédit et de financement des propriétés privées. Ces commerçants, créoles de l’Altiplano ou migrants récemment venus d’Europe, s’étaient installés dans les Terres Chaudes au cours des années 1870. Ils y ouvrirent des magasins où s’échangeaient tous types de denrées, qui fonctionnaient également comme de petites banques locales de crédit où l’on pratiquait des taux d’intérêt mensuels de 3 % À la fin du xixe siècle, on comptait treize de ces « magasins mixtes » à Huetamo, et cinq autres à Zirándaro (J. Figueroa D., 1899). Par cette implantation, les commerçants pouvaient couvrir l’ensemble de la dépression du Balsas ainsi que tout le versant nord de la Sierra de Guerrero.
11Leurs activités se sont rapidement centrées sur les secteurs en expansion : l’importation de produits manufacturés, outils et tissus, et l’exportation de bétail sur pied. Jusqu'à la révolution de 1910 et sur l’ensemble des marchés urbains de l’Altiplano, le prix de la viande et celui des peaux ont en effet suivi une progression très supérieure à celle que connaissaient les autres denrées agricoles10. Les commerçants achetaient le bétail en période de soudure, lorsque la valeur des animaux affaiblis par la saison sèche était la plus faible et les besoins de trésorerie des ranchos les plus importants. Mais ils ne recevaient les animaux que six mois plus tard, à la fin de la saison des pluies, après qu'ils aient bénéficié de cinq mois d’embouche sur des pâturages verts. À ce stade, le bénéfice du commerçant dépassait déjà 100 % : entre la prise de poids des animaux au cours de la saison des pluies et les conditions usuraires du prêt, une tête de bétail achetée 6 à 8 pesos valait six mois plus tard 14 pesos sur le marché de Huetamo ou de Zirándaro11. Les animaux étaient ensuite engraissés au maïs avant d’être vendus à Toluca ou à México. On pouvait réaliser sur ces marchés une seconde prise de bénéfice dépassant 100 % : vers 1895, un bœuf acheté à conditon usuraire 8 pesos à Zirándaro était vendu gras six à huit mois plus tard pour 60 ou 70 pesos dans la capitale12.
12Le système de crédit concernait également le secteur sucrier. On trouve dans les archives notariales des références à l’achat de la récolte de tel ou tel planteur, à un prix extrêmement faible, six ou huit mois avant que celle-ci soit effectuée. Au cas où il n’aurait pu honorer ce contrat, le propriétaire s’engageait à rembourser jusqu’à deux fois et demie l’avance qui lui avait été faite, l’hypothèque de ses terres ou de son bétail servant de garantie13. La tonne de sucre brun acquise « sur pied » par le commerçant pour 43 pesos en septembre 1880 pouvait être vendue six mois plus tard 88 pesos sur le marché local14.

1. Une noria, enfin de saison sèche, sur le cours du Balsas et la culture irriguée du maïs sur les plages alluviales.

2. Le Balsas en fin de saison sèche à hauteur de Zirándaro. Les parcelles de deux éjidataires, séparées par une clôture, ont été pâturées pendant cinq mois de saison sèche : il ne reste plus que des fanes grossières sur le sol.

3. Le Balsas en fin de saison sèche. De part et d'autre de la clôture : à gauche, une parcelle surpâturée par le bétail, à droite, une prairie mise en défens.

4. Un hameau entouré de terres de labour (mais) occupe un fond de vallon, tandis que des maquis épineux sur les versants servent de pâturages.

5. La culture du melon par pompage a envahi, en 1989, les terres alluviales de l'ejido de San Pedro (municipio de Tiquicheo).

6. Cultures maraîchères au pied des ouvrages d'irrigation réalisés au début du siècle sur l'hacienda des frères Pardo (Tiquicheo).

7. L'un des derniers moulins à canne à sucre encore en service, sur l'emplacement de l'ancienne hacienda de El Limon. (Cio de agua, município de Tiquicheo).

8. Habitation et grenier à mais dans un ejido du piémont (município deTiquicheo)

9. Les vaches allaitantes enfermées dans le corral du rancho de Guadalupe (município de Huetamo) après la traite.

10. Cinquante ans après la Réforme agraire, de « Révolution » il n'est plus question que sur les murs.

11. Tradition et modernité : une église presque en ruine dans le village de Monte Grande (município de Tiquicheo) et un tuyau servant à l'irrigation d'une parcelle de melon.
13Les commerçants locaux, érigés en « sociétés mercantiles » dont les plus fameuses furent Yrigoyen Hermanos, N. Gonzalez y Cia ou celle de Florencio Jaimes, commencèrent ainsi dès les années 1880 à déposséder nombre de petits propriétaires du contrôle de la terre et à contester le pouvoir de l’oligarchie foncière traditionnelle. L’histoire de la famille Yrigoyen Olace illustre mieux que toute autre l’emprise croissante des capitaux commerciaux dans le domaine foncier puis industriel. Elle s’était implantée à Huetamo au début des années 1880, installant des « magasins mixtes » en divers points stratégiques de la région (Huetamo, Tiquicheo, Espiritu Santo) et se livrant au commerce de bovins entre les rives du Balsas et l'Altiplano15. La société Yrigoyen Hermanos se lança bientôt dans la location de terres et la production de grains, afin probablement d’assurer l’embouche du bétail rassemblé dans la région avant sa vente sur l'Altiplano16. En 1891, Yrigoyen Hermanos opérait depuis le piémont de l’Altiplano jusqu’aux contreforts de la Sierra de Guerrero et avait multiplié son capital financier par neuf en huit ans17. Entre 1880 et 1900, la société acquiert l’hacienda de Corupo, les terrains de Santa Maria et de San Miguel, près de Zirándaro, ainsi que la moitié des haciendas de Coenandio, de San Antonio et de Santa Barbara18. Ces deux dernières étaient alors les propriétés les plus prospères de la région ; on y produisait chaque année 92 tonnes de sucre blanc et 48 de sucre brun, 650 hectolitres d’alcool et près de 80 tonnes de maïs19.
14Du foncier, les investissements sont passés ensuite au secteur industriel et minier. D’abord par l’acquisition de mines de cuivre et d’argent à Bastán, dans la municipalité de Huetamo20. Ensuite par l’achat d’une distillerie et d’une raffinerie de sucre à Tacámbaro, au centre de l'un des principaux bassins sucriers du Michoacán (D. Figueroa, 1899). En 1907, la société a fondé à Huetamo une usine d’extraction d'huile de sésame, la plus importante de la vallée du Balsas. Au début du siècle, les établissements Yrigoyen occupaient un pâté de maisons entier au centre de la ville et avouaient un chiffre d’affaire de 129 500 pesos, le quatrième de l'État du Michoacán et le second hors de Morelia21. Ils comprenaient une épicerie, un magasin de vêtements et chaussures, une pharmacie, une quincaillerie, une fabrique de glace, un moulin, et jouaient le rôle de banque régionale de dépôts et de crédit.
15D’autres grands seigneurs du commerce régional ont édifié des fortunes considérables à la même époque, par exemple Nestor et Salvador González ou Florencio Jaimes. La famille González contrôlait la majeure partie des achats de bétail dans les municípios de Zirándaro et de Coyuca, depuis la rive gauche du Balsas jusqu’aux rebords de la Sierra. Elle détenait six ranchos d'élevage sur les deux rives du fleuve22 et avait participé, en association avec les frères Yrigoyen, à l’achat de l’hacienda sucrière de San Antonio.
16Le grand commerce régional ne fut certes pas l’unique acteur de la concentration foncière de l’époque porfiriste mais il y prit une place prépondérante. Une grande partie des achats de terres aux communautés indigènes ou à des propriétaires métis endettés se fit également à partir du capital accumulé par le biais du commerce itinérant ; ce fut le cas d'ignacio Péreznegron, qui acheta pour une bouchée de pain des étendues considérables au village de Purungueo pour devenir vers 1870 l’un des plus importants latifundistes de la région. Plus encore que les propriétaires métis, les paysans indiens ont été les principales victimes du mouvement de concentration foncière qui s’est produit entre 1870 et 1910.
Le fractionnement et la vente des terres des communautés indigènes
17Les villages indiens qui avaient résisté tant bien que mal aux migrations métisses du xviiie siècle bénéficiaient encore en 1870 d’étendues considérables de terrain dans toute la région. Mais les transformations macro-économiques et les lois libérales de démantèlement des biens de mainmorte23 détenus par l’Église et les communautés indigènes bouleversèrent, en quelques années, les structures foncières. Dans les années 1868-1869, les villages indiens se virent intimer par les autorités administratives du district de Huetamo l’ordre de procéder au « désamortissement »24 et à la répartition des terres entre les différents membres de chaque communauté. On a beaucoup écrit à propos de la résistance opposée par les villages indigènes du Michoacán au démantèlement des communautés à la fin du xixe siècle25. Certains historiens y ont vu l'ultime manifestation d'une lutte de classes séculaire entre des sociétés communautaires et le capitalisme en expansion. La façon dont s’effectua le « désamortissement » des terres indigènes dans la région du Moyen-Balsas tend à démontrer que cette lutte était consommée depuis déjà longtemps.
18Il s’est agi, dans la majorité des cas, d'une formalité administrative avalisant un processus d’individualisation du foncier déjà bien avancé. La multiplication des rapports de production et d'échange entre les villages indiens et les ranchos métis ne permettait plus d'interpréter la société régionale en termes monolithiques, par la juxtaposition de deux entités opposées dans leurs intérêts. Les villages indiens tendaient à ne constituer qu’un élément, certes particulièrement défavorisé, d’une société ranchera unique. La rapidité avec laquelle disparurent les relations communautaires qui y subsistaient démontre leur fragilité : dès 1880, il n’existait plus de propriété indivise dans les Terres Chaudes du Michoacán.
19Le « désamortissement » et la distribution des terres des communautés furent immédiatement suivis de ventes massives de leur patrimoine foncier. Touchés de plein fouet par la crise de l’économie cotonnière et soumis au paiement de l’impôt foncier sur leurs nouvelles propriétés, les paysans indiens furent les premières victimes des « sociétés mercantiles » et des prêts hypothécaires qu’elles consentaient. Des ventes furent aussi effectuées pour couvrir les frais de cadastrage et de répartition qui incombaient aux communautés26. En 1896, le préfet de Huetamo pouvait écrire que « la majeure partie des indigènes, dès qu’ils reçurent leurs fractions, les aliénèrent, [...] vendirent leurs portions et aucune réclamation ne fut présentée »27.
20Les autorités politiques et les grands commerçants locaux y trouvèrent l’occasion de constituer de véritables seigneuries : l'hacienda de Cuenandio et les ranchos de Pejo et de la Pareja, que L. Sotelo acheta aux indigènes de Huetamo, Purechucho et San Lucas ; les plantations sucrières de Quenchendio, propriété de la communauté de Cutzeo, acquises par le préfet L. Valdés28 ; les vallées de Papatzindán et de Canario, soit 15 000 hectares, achetées par I. Péreznegron aux villageois de Purungueo29 ; ou les terrains de Ziritzícuaro, El Rosario, Arroyo Hondo et El Guajal en bordure du Balsas achetés par la famille Gonzalez à la communauté de Purechucho. En moins de vingt ans le patrimoine foncier des communautés du Moyen-Balsas fut dissous. Les paysans indiens, dépossédés de leur lopin, vinrent renforcer, en s'y mêlant, le petit peuple des métayers et des ouvriers agricoles (peones) employés sur les domaines. Sans disparaître physiquement, la population indienne cessait d’exister en tant qu'entité sociale et culturelle, et même comme catégorie statistique des recensements effectués dans la région.
L’apogée des grands domaines
21Pendant les quarante années qui précédèrent le soulèvement paysan de 1910, la concentration des moyens de production a eu dans les Terres Chaudes une dimension considérable. Dès 1892, 17 personnes détenaient plus du quart du cheptel de l’ensemble du district de Huetamo30. Cette tendance s’accentua encore au cours des vingt années qui suivirent et la Révolution n’y apporta aucun changement notable : l'incorporation de la bourgeoisie foncière aux files « révolutionnaires » constituait une garantie de sa survie à moyen terme. Au milieu des années vingt, une quinzaine de familles possédait plus du quart de la superficie totale de la région et probablement près du tiers de ses troupeaux (fig. 11).
Tableau III. Les principaux latifundia des Terres Chaudes au milieu des années vingt
Propriétés | Propriétaires | Superficies | Remarques |
1 San Antonio | Yrigoyen Hnos | environ 18 000 ha | hacienda sucrière |
2 El Palmar | famille Garcia | plus de 20 000 ha | environ 4 000 bovins |
3 Quenchendio | Agustin Valdés | environ 20 000 ha | canne à sucre-élevage |
4 Albarán | Rafael Gaona | environ 20 000 ha | prés de 8 000 bovins |
5 Cutzian Grande | C. Elorza | environ 20 000 ha | environ 4 000 bovins |
6 Coenandio | Casildo Diaz | plus de 15 000 ha | élevage |
7 Sta Teresa | R.Celis | environ 15 000 ha | environ 4 000 bovins |
8 Ziritzícuaro | S. González | 6 000 ha ( ?) | plus de 20 000 ha au Guerrero |
9 Turitzio | famille Romero | 6 000 à 7 000 ha | élevage |
Tiquicheo | frères Pardo | environ 10 000 ha | tannerie et commerces |
10 Monte Grande | F. Renteria | prés de 10 000 ha | élevage |
Tiringucha | Renteria Luviano | environ 10 000 ha | élevage |
11 Diverses | V. Patino | 10 000 ha | 4 000 bovins, Caràcuaro |
12 San M. Canario | J. Péreznegron | environ 10 000 ha | canne à sucre-élevage |
13 San Carlos | frères Flores | environ 10 000 ha | sucre, 1 000 bovins |
14 Buenavista | D. Cosio | 8 100 ha | élevage |
Sources : entrevues avec A. Celis, E. Echenique et P. Garcia, Huetamo ; N. Romero, Turitzio ; J. Gaona, Tiquicheo ; C. Péreznegrón, Cuarangueo. Archives de la Secretaria de Reforma Agraria, Morelia : Dotación, district de Huetamo ; dossiers 121, 387, ejicios de Turitzio, Ziritzícuaro, Cumburindio, San Jerónimo, Sanchiqueo et Capeo. Les numéros correspondent aux domaines représentés sur la figure 11.
22Au début des années trente, et malgré les premières et timides expropriations, la répartition du foncier reflétait encore la polarisation extrême de la société dans les Terres Chaudes : 21 % de la superficie demeuraient entre les mains de 14 personnes et 3,35 % des propriétaires (à peine 0,07 % de la population totale !) conservaient le contrôle de 69 % des terres de la région (F. Foglio M., 1936).
23C’est dans la plaine alluviale que le mouvement de concentration foncière fut le plus marqué. Les conditions topographiques y permettaient le développement des activités agricoles et pastorales à de moindres coûts, ainsi qu’une communication plus aisée avec les marchés régionaux et nationaux. Certaines vallées du piémont, celles de San Antonio, de Canario ou de Papatzindán, conservaient un attrait comparable du fait de leur potentiel pour l’irrigation et la production sucrière. Les parties accidentées du nord de la région furent en revanche moins touchées par la pénétration des capitaux commerciaux et la société y échappa davantage aux rapports de production capitalistes : les ranchos de taille moyenne y connurent une relative stabilité, même si la désintégration des communautés indiennes s’y effectua avec une rapidité comparable et de façon aussi complète.
Figure 11. L’apogée des grands domaines : le paysage foncier des Terres Chaudes autour de 1920.

Sources : voir tableau III. Les limites sont approximatives, elles ont été tracées à partir des témoignages oraux et des rapports des délégués de la Secretaria de Reforma Agraria mentionnant les ranchos et divers lieux-dits appartenant aux différentes haciendas.
24Quel a pu être l’effet de cette concentration foncière sur les itinéraires techniques employés dans les Terres Chaudes ? Il apparaît que le développement de l’économie capitaliste fut loin de provoquer des changements techniques importants à l’échelle des grands domaines, et que le système de production mis en place au xviiie siècle par les migrants métis n’a que peu évolué au long de cette période. L’apparition du sésame dans les systèmes de culture et la disparition du coton furent les principales évolutions. Mais la production de sésame n’eut longtemps qu'un intérêt marginal pour les ranchos d’élevage, du fait de sa très faible valeur fourragère. Les propriétaires s’efforcèrent au contraire de freiner sa diffusion auprès des métayers de leurs domaines.
Figure 12. Distribution de la terre entre propriétaires fonciers en 1930.

Sources : F. Foglio M. (1936) : Geografia Económico-agricola del Estado de Michoacán : 22.
25La concentration foncière, l’élimination d’un grand nombre de fermiers, et l’installation de nombreux propriétaires dans la ville de Huetamo conduisirent en revanche à un contrôle accru sur les domaines et la production, à défaut d’en modifier réellement l’organisation. Les structures productives rodées depuis deux siècles dans les domaines d'élevage des « gens de raison » furent conservées, même si les grands propriétaires les adaptèrent en fonction de leur rapport au marché. La solution fut une combinaison de rapports de production « traditionnels » basés sur le métayage pour les cultures vivrières et de travail salarié pour les productions commerciales.
L'HACIENDA : ORGANISATION ÉCONOMIQUE ET RAPPORTS DE PRODUCTION
Des systèmes de culture adaptés aux contraintes écologiques
26Peu de régions au centre-ouest du Mexique présentent d’aussi rigoureuses contraintes au développement des activités agricoles que les Terres Chaudes. Au premier rang desquelles le régime des pluies : les précipitations sont concentrées sur moins de quatre mois et la date d’établissement de la saison des pluies est tellement variable qu’il est impossible de programmer les travaux agricoles. La faible amplitude du cycle pluvial oblige pourtant le producteur à avancer autant que possible les semis. Mais, à l'issue de huit mois de saison sèche, les sols sont souvent si indurés que le labour est pratiquement impossible. Aussi le travail du sol avec l’araire et les semis se succèdent généralement dans le courant du mois de juin, dès que le régime des pluies est bien établi. D’importants goulots d’étranglement apparaissent alors pour l’emploi de la main-d’œuvre. L’humidité et les températures élevées se conjuguent pour favoriser une forte levée des adventices qui, très rapidement, menace d'étouffer les cultures. À peine le semis achevé, il faut donc s’atteler aux travaux de sarclage, les renouveler parfois trois fois en six semaines, mobiliser au cours de cette période toute la force de travail familiale et souvent nombre d’ouvriers agricoles pour pouvoir couvrir toute la superficie semée. Si la saison des pluies se fait attendre jusqu’à la deuxième quinzaine de juin, une véritable course contre la montre commence pour tous.
27Un quelconque retard dans la date de semis peut compromettre la récolte à venir. Car une brusque interruption des précipitations se produit généralement dans le courant du mois d’août, pour une période qui peut varier de cinq à parfois vingt jours (fig. 13). L’importance de ce phénomène varie sensiblement d’un point à l’autre de la région. Il se fait plus sensible dans la partie sud-ouest qui borde le Balsas, mais aucun recoin des Terres Chaudes n’en est protégé. Si cette « canicule »31 se prolonge et survient au moment de la floraison du maïs, les rendements sont en général affectés dans une proportion majeure. Pour éviter le risque d’une perte importante de la récolte, il s’avère donc nécessaire de semer le maïs environ quarante jours avant le début du mois d’août, soit le temps requis pour le développement des plantes et la fécondation des épis. Or il n’est pas rare qu’à la fin du mois de juin les pluies soient encore insuffisantes pour permettre les labours.
28Ces conditions permettent de comprendre pourquoi, en 1930, les rendements des cultures vivrières dans le district de Huetamo étaient inférieurs de près de un quart à la moyenne de l'État du Michoacán : entre 700 et 800 kilos de maïs à l’hectare sur les parcelles labourées en année de pluviosité moyenne32. Les années de sécheresse étaient plus durement ressenties dans la région qu’en aucune autre partie du Michoacán, et le maïs y atteignait des prix record (G. Sanchez D., 1984). Dans ces conditions, les stratégies développées par les paysans visaient essentiellement à réduire les risques de mauvaise récolte, en particulier par la combinaison des cultures. Les parcelles de cultures vivrières constituaient une association complexe d’espèces et de variétés de cycles biologiques distincts qui assuraient une récolte minimale quelle que soit la pluviométrie. Les semis se faisaient toujours en poquets où l'on mêlait, de place en place, une graine de haricot ou de courge aux semences de maïs. Les densités demeuraient faibles, 20 000 pieds de maïs à l’hectare et environ 2 000 à 2 500 plants de courge sur les parcelles travaillées à l’araire. Jusqu’à trois variétés distinctes de maïs étaient employées, chacune ayant un cycle végétatif particulier. La plus productive, plus sensible à la « canicule » du fait de la longueur de son cycle (4 mois), était associée à des variétés plus précoces. Les maïs de trois mois et de quarante jours parvenaient à fleurir avant l’établissement de la « canicule » et permettaient de disposer, durant la période de soudure, d’épis tendres à défaut d’être très pleins. De la même façon on combinait les variétés de haricots, le judío dans les endroits secs et la comba sur les lieux plus humides, et différents types de courges, la tamalayota pour l’alimentation familiale, la pipián que l’on donnait aux porcs après avoir vendu les graines et le bule utilisable comme récipient, flotteur pour la pêche, etc.
Figure 13. Bilan hydrique dans la période de développement végétatif des cultures (15 juillet-25 août) dans le sud-ouest des Terres Chaudes.

Sources : voir annexe 2.
29Les stratégies de diminution des risques s’étendaient également à la sélection des parcelles de culture. Les terres labourées en fond de vallée étaient semées de façon continue pendant parfois plus de vingt ans, sans rotation culturale ni jachère, avant d’être laissées en friche trois à cinq ans. La préparation du terrain avec l’araire ne constituait pas un labour et ne permettait pas de retourner la terre. Les transferts de fertilité entre les différentes couches du sol restaient donc limités et la terre s’appauvrissait rapidement. La répétition de la culture du maïs favorisait en outre la multiplication des adventices, contre lesquelles il fallait lutter, en croisant les « labours » dès leur germination, et par des sarclages précoces, à peine achevés les semis. La portance des sols ne permettant pas l'emploi des attelages, les sarclages étaient effectués à la tarecua, un lourd manche de bois d’environ 1,6 à 1,7 mètre de long, terminé par un fer large et triangulaire qui, manié comme une bêche, venait couper les adventices au niveau de la racine. Le nettoyage d’un hectare dans ces conditions exigeait à deux reprises entre douze et quinze jours de travail. Lorsque les plants de maïs étaient suffisamment hauts, dans le courant du mois d’août, un fauchage au machete venait encore compléter les sarclages.
Figure 14. Pluviométrie et humidité du sol dans les Terres Chaudes.

Sources : S. Diaz et al. (1985) : 36-50.
30Par la quantité de travail qu’elle requiert et les faibles rendements obtenus, la culture attelée avait moins d’attraits que les versants que l’on pouvait cultiver par défriche-brûlis. La biomasse incendiée garantit une fertilité très supérieure à celle des terres labourées chaque année : elle autorisait, malgré l’érosion et des densités de semis moindres (environ 15 000 pieds de maïs à l’hectare), des rendements moyens de 1250 kilos. Le travail était également moindre : on semait directement et la faible levée d’adventices permettait de réduire les travaux de sarclage à un simple nettoyage au machete33. La plus lourde besogne, la défriche, pouvait s’étaler sur plusieurs mois de la saison sèche. De plus, le semis effectué au bâton fouisseur pouvait avoir lieu beaucoup plus tôt, sur un sol encore sec. On devançait ainsi les adventices, mais aussi la « canicule », ce qui permettait l’emploi de variétés de cycle plus long, plus productives. L’inconvénient majeur d’un tel système est la rapide dégradation du milieu qu'il provoque. Dès la seconde année de culture, les mauvaises herbes tendent à envahir la parcelle, les pluies torrentielles lessivent le sol découvert et la fertilité du terrain commence à chuter rapidement. Ces difficultés deviennent insurmontables à l'issue d'un troisième cycle de culture et mettent en péril l’équilibre même du système. Un recrû forestier prolongé devient indispensable. Il doit être suffisamment long pour assurer la reproduction de la biomasse arborée et la disparition des adventices. Dix ans au moins étaient alors considérés comme un minimum. Le système de culture par défriche-brûlis exigeait donc une superficie beaucoup plus étendue : avec deux années de culture et quinze de recrû forestier, il fallait à une famille une surface douze à treize fois supérieure à celle dont elle aurait eu besoin sur une terre de labour.
31Réduire les risques, c’était aussi s’assurer d'un revenu monétaire minimal en associant une culture commerciale pouvant s'intégrer dans le calendrier de travail du maïs. Après la crise de la production cotonnière à la fin du xixe siècle, c’est le sésame qui remplit cette fonction en occupant un milieu écologique et un cycle de culture totalement différents de ceux utilisés pour la culture du coton. Le sésame présente en effet un potentiel de résistance à la sécheresse et d’adaptation aux sols pauvres qui permet de le cultiver à peu près partout, à l’exception des terrains frais, tels que les défriches, ou trop humides, comme les plages alluviales où était cultivé le coton. Il se pose ainsi en complément idéal des cultures vivrières dans l’occupation des sols et dans les stratégies des petits producteurs. Sa résistance permet de privilégier le maïs à l'époque des semis, les travaux sur le sésame s’intercalant entre ceux des cultures vivrières, et sa récolte ayant lieu un mois plus tôt. Malgré une action érosive certaine, un travail de sarclage important et des rendements ne dépassant pas 450 kilos à l’hectare34, seule l’opposition des propriétaires, qui n’avaient aucun intérêt pour une plante d’aussi faible valeur fourragère, en freina l’expansion.
32Les tentatives pour exploiter au mieux les ressources disponibles ont sans doute trouvé leur meilleure expression dans le développement de la petite irrigation et des cultures vivrières de décrue. Sur les rives des principaux cours d’eau, le Balsas, les rivières Tuzantla, Carácuaro ou Purungueo, partout où l’étiage laissait apparaître de petites plages, celles-ci étaient exploitées dès la récolte du maïs, au prix parfois d’un travail considérable. Là où le coton était autrefois semé, des jardins potagers naissaient pour quelques mois ; des pieds de tomates, de piments, de poivrons, de melons, de pastèques, de tabac, quelques mètres carrés de maïs se développaient sur les sols engorgés puis étaient soigneusement arrosés chaque jour lorsque l’humidité résiduelle n’était plus suffisante. Lorsque le courant le permettait, d’incroyables échafaudages étaient installés, des norias amenant l'eau jusqu’à une hauteur de cinq mètres, qui pouvaient irriguer jusqu’à un hectare si la configuration du rivage s’y prêtait. Pour des superficies plus réduites, de petits balanciers étaient employés, que l'on établissait sur un canal de dérivation (fig. 15). Les produits étaient vendus sur les marchés locaux.
Figure 15. Les petits systèmes d'irrigation employés dans les Terres Chaudes vers 1930.

33Les efforts d’irrigation des propriétaires terriens s’orientèrent presque exclusivement vers la canne à sucre. Les exigences en eau de cette culture en limitaient les possibilités d’expansion, aussi eut-on souvent recours à une gestion très stricte des quelques rivières qui alimentaient l’irrigation : à San Antonio, il était formellement interdit de prélever de l’eau en amont de la plantation. Sur les noyaux irrigués se concentrèrent les rares tentatives d'innovation des propriétaires : des canaux cimentés et parfois de petits aqueducs existaient à San Antonio, San Carlos, Tiquicheo ou Quenchendio ; des presses métalliques ou des moulins à eau y avaient remplacé les presses en bois pour le broyage de la canne et les charrues d’acier furent employées en substitution des araires. La canne était plantée en janvier-février et récoltée entre novembre et le mois de mars de l’année suivante. L’irrigation permettant le regain des plantes coupées, la plantation pouvait être exploitée durant six à huit ans. Un ou deux cycles de maïs et de haricots, plus rarement de riz, s’intercalaient alors avant un nouveau cycle de huit ans. Bien que les plantations de canne à sucre aient toujours représenté une superficie très réduite à l'échelle des Terres Chaudes, guère plus de 400 hectares en 193035 (0,2 % de la superficie cultivée dans la région), elles suffisaient à l’approvisionnement en sucre et en alcool de celle-ci et permettaient même la vente d’excédents sur l'Altiplano.
Métayers, fermiers et journaliers, une stratification du prolétariat rural
34Les latifundia s'étant spécialisés dans deux types de productions, le bétail destiné aux marchés de l’Altiplano et le sucre pour la consommation locale, leur organisation devait répondre à deux exigences majeures, en garantissant une base fourragère constante au cours de l’année et en assurant la disponibilité de la main-d’œuvre employée pour la culture de la canne à sucre. Ces contraintes ont déterminé la coexistence de rapports de production basés sur le métayage pour la culture vivrière et de relations de travail salarié pour les productions commerciales directement contrôlées par les propriétaires. Cette organisation permettait la reproduction à moindre coût d'une force de travail dont les propriétaires pouvaient disposer dès qu’ils en avaient besoin. Les paysans sans terre stationnés sur les propriétés ne constituaient pas pour autant une classe monolithique ; il est indispensable d'en percevoir la complexité pour comprendre les évolutions qui se firent jour lorsque la Réforme agraire fit voler en éclats les grands domaines.
35Le métayage a constitué la hase des rapports de production au niveau de la propriété, sous la forme d’un pacte de sujétion et de protection entre le propriétaire et les animados. Le métayer était en général attiré par les avances qui lui étaient faites : un toit, 5 hectolitres de maïs et l’équivalent en argent de 5 autres hectolitres, soit un total de 700 kilos de grains, permettant à une famille de quatre à cinq personnes de passer les six mois qui s’écoulaient entre ce versement et la récolte. La cession d'une vache et de son veau pendant la durée de la saison des pluies complétait parfois ces garanties ; en échange des soins donnés aux animaux, la famille du métayer pouvait bénéficier durant trois mois du lait que le veau ne consommait pas. Le métayer pouvait en outre solliciter à tout moment l’aide financière du propriétaire sans que lui fussent exigés des intérêts.
36La parcelle reçue en métayage équivalait à la superficie pouvant être travaillée par une paire de bœufs, soit environ 5 hectares. Le propriétaire s’engageait à la clôturer et à la débroussailler, fournissait les outils nécessaires (araire, joug, courroies) et les animaux de trait, à charge pour le métayer d’en assurer l’entretien. En décembre, celui-ci remettait la moitié de la récolte égrainée et restituait les avances en grain qui lui avaient été faites. Il laissait sur la parcelle les pailles et les feuilles de maïs à la disposition du bétail et s’acquittait de ses dettes d’argent. Pour éviter de payer celles-ci avec du maïs, dont le prix était alors au plus bas, les métayers étaient amenés à monnayer leurs services au cours de la saison sèche sur les plantations sucrières ou autour des troupeaux.
37Les perspectives d'accumulation d’un métayer demeuraient réduites. Les témoignages recueillis concordent pour affirmer que les terrains labourés étaient généralement cultivés jusqu’à l’épuisement : les 5 hectares alloués à un métayer ne produisaient pas plus de 3 500 à 4 000 kilos de maïs. L’acquittement des termes du contrat et des dettes contractées à sa reconduction lui laissaient entre 1 350 et 1 650 kilos de grains36 pour l'entretien de sa famille, soit de quoi nourrir pendant un an cinq à six personnes : la stricte reproduction de la force de travail. Au-delà de ce seuil, l’entretien durant cinq ou six mois des animaux de trait, l’élevage de quelques volailles, l’engraissement d’un porc ou les simples exigences de l’habillement de la famille obligeaient le métayer à recourir à de nouvelles avances. Les années de sécheresse, la famille n’avait d’autre recours que la cueillette de fruits sylvestres pour survivre : gousses de la parota (Enterolobium cyclocarpum) ou du pinzãn (Pithecellobium dulce), pitayas (figues de barbarie de Lemaireocereus weberi), nanches (Malphigia mexicana Juss).
38Les produits du métayage constituaient une rente appréciable pour les grands domaines, certains d’entre eux, comme l’hacienda de San Antonio, engrangeaient de ce fait jusqu’à 220 tonnes de maïs chaque année. Au début des années trente, sur la base de rendements de 700 à 800 kilos par hectare, un métayer payait ainsi à son employeur la valeur de la terre qu'il travaillait en à peine plus de deux ans37. Ces conditions demeuraient certes éloignées du servage pour dettes que l’on pouvait observer dans une grande partie du pays, mais la liberté du métayer n’en était pas moins extrêmement réduite38. Seule une très bonne récolte pouvait lui permettre de se soustraire aux avances en grains et en numéraire et de solliciter un contrat plus avantageux par le fermage d’une parcelle.
39Les fermiers ne constituèrent qu’une fraction minoritaire de la population des grands domaines et étaient même absents de bon nombre d’entre eux. Le fermage était un privilège accordé par le propriétaire ou son administrateur à une personne qui leur était liée par des liens de parenté ou de parrainage. Il supposait de la part du producteur une large autonomie financière, dans la mesure où il devait fournir tous les outils nécessaires à la culture et assumer la totalité des coûts de l'alimentation de sa famille et de la production, sans espérer de la part du latifundiste d’autre aide que des prêts aux taux de 3 et 5 % mensuels. Un fermier s’établissait généralement sur une partie boisée qu'il lui fallait ouvrir à la culture, défricher, clôturer et dessoucher. Pour une famille de quatre à cinq personnes, abandonner le statut et la « sécurité » du métayage pour un contrat de fermage requérait l’investissement de plus de quarante pesos en aliments, semences et outils39, soit trois mois du salaire d’un ouvrier agricole. Le risque pris était considérable puisqu'il pouvait conduire à la ruine du fermier si la récolte était mauvaise.
40Le loyer de la terre demeurait relativement modéré et fixé dans toute la région à un hectolitre de maïs pour 8 litres de semences. Les parcelles labourées avaient la superficie de celles des métayers, environ 5 hectares, représentant un fermage de 500 à 600 kilos de céréales selon la qualité du sol et les densités de semis qu'il pouvait accepter. Très rarement, deux paires de bœufs et environ 10 hectares étaient alloués à certains fermiers disposant d’une main-d'œuvre familiale suffisante. Ces conditions avantageuses étaient en partie compensées par le loyer des animaux de trait (5 hectolitres de grain par bœuf), qui élevait le coût du fermage à 1 200 ou 1 300 kilos de maïs, équivalents au tiers de la valeur marchande de la parcelle cultivée40. Pour une famille de quatre à cinq personnes, le seuil de reproduction d'un tel système se situait autour de 2 600 kilos, ou la production totale de 3,5 hectares41. Le reste de la récolte permettait d’engraisser trois ou quatre porcs et d’entretenir quelques poules.
41Cette marge pouvait théoriquement permettre au fermier d’entreprendre une culture de rente sur une partie de sa parcelle. Mais les fanes des deux cultures commerciales qui se diffusèrent dans la région, le coton puis le sésame, n’ont qu’une valeur fourragère limitée. Du fait d’un travail de sarclage plus complet, la culture du sésame a en outre l’énorme désavantage de ne laisser que très peu de mauvaises herbes à la disposition des animaux, sa valeur fourragère une fois la récolte effectuée pouvant être évaluée à 40 % environ de celle des résidus d’une culture de maïs42. On conçoit que les propriétaires se soient généralement opposés à cette culture.
42Le crédit fut sans doute le talon d’Achille des fermiers, comme il l’avait été auparavant pour les petits producteurs indépendants devenus animados. Les emprunts leur étaient facturés aux taux de 20 à 30 % d’intérêts pour les six mois du cycle de cultures pluviales et les prêts de maïs devaient être remboursés à raison d’une fois et demi le volume confié. Au-delà d’un certain seuil, pour l’obtention de tout autre prêt, le fermier se voyait dans l’obligation de vendre sa récolte sur pied à la moitié de sa valeur. Sa situation demeurait de ce fait relativement précaire, le volume de grains récoltés et mis en réserve déterminant directement la forme d’accès à la terre pour l’année suivante : une mauvaise récolte entraînait la diminution du nombre des fermiers et l’augmentation de celui des métayers.
43Les fermiers cherchaient donc à s’affranchir de la plus lourde portion du loyer, celle qui concernait les animaux de trait. Or, sans être immenses, leurs possibilités d’accumulation étaient réelles. L’embouche de quelques porcs, la vente de petites quantités de sésame s’ils étaient autorisés à les cultiver, pouvaient leur permettre au bout de deux ou trois ans d’acquérir un animal de trait, d’accroître le surplus familial et de devenir à terme autonomes dans l'emploi de la force de traction43. Mais de nombreux propriétaires s’opposaient formellement à l’entrée sur leurs domaines d’animaux qui ne leur appartenaient pas. Les autres la limitaient à deux ou trois têtes de bétail (une vache et sa suite) et imposaient un droit de pâturage de 12 pesos par an et par animal, soit plus du tiers de la valeur moyenne d’une vache en 193044. De telles limitations avaient en outre l'inconvénient d’interdire au fermier la possession conjointe d'une paire de bœufs et de leur relève, l’obligeant à recourir périodiquement à la location et à l’achat de nouveaux animaux.
44En définitive, l’accès à une portion de maquis à cultiver par défriche-brûlis était encore la plus rentable des options pour le fermier. Le loyer était limité à celui de la terre et les densités de semis, plus faibles que sur les parcelles labourées, réduisaient son coût de 25 à 50 %45. La culture sur brûlis permettait surtout d’obtenir des rendements supérieurs de 50 % à ceux d'une parcelle labourée, au prix d'un travail très inférieur. Dans ces conditions et après paiement du fermage, la culture de trois hectares laissait un produit net de trois tonnes de maïs en moyenne et, déduits les besoins pour l’alimentation de la famille, un surplus de 1 800 kilos environ : de quoi acheter une vache ou engraisser une demi-douzaine de porcs. Cette marge conférait au fermier une autonomie peu désirable pour le propriétaire. Aussi les superficies mises en défriche étaient-elles généralement limitées à deux ou trois hectares par famille et laissées à des personnes de confiance. Pour le propriétaire, l’intérêt de ce type de contrat résidait essentiellement dans l’éclaircissement du couvert arboré, permettant l’accroissement de la production de fourrages herbacés après abandon de la parcelle. Les risques d’érosion imposaient d’en limiter l’extension, mais dans certaines zones particulièrement accidentées, elles étaient le seul système de culture possible.
45Une dernière forme de fermage concernait les rives des cours d’eau où l’on produisait des fruits et des légumes durant la saison sèche. Ce fut aussi la seule qui imposait le paiement du loyer en espèces avant même d’entreprendre la culture : 12,5 à 15 pesos par hectare, soit plus d’un mois de salaire. L’accès à ces terrains supposait que le fermier se soit dégagé de tout engagement vis-à-vis du propriétaire.
46L’accès à la terre, sous quelque forme que ce soit, restait conditionné à l’assentiment du propriétaire, au terme d’une longue période probatoire de travail salarié à son service. Les jeunes gens qui voulaient demeurer sur le domaine se voyaient ainsi confier une paire de bœufs et la mise en culture d’une parcelle pour démontrer leur capacité de laboureurs sans avoir à assumer aucun des coûts de la production. Ces gananes recevaient nourriture et vêtements et étaient souvent logés dans la maison même de leur patron, mais ceux qui avaient la charge d’une famille pouvaient solliciter d’autres conditions : une hutte de branchages, 4 à 5 hectolitres de maïs et le salaire normal d'un journalier. Il s’agissait là de la première marche d’un lent processus d’accumulation qui les conduisait d’abord au métayage puis, si la chance leur souriait, au fermage.
47Ces perspectives faisaient des gananes une population stable et fixée sur l’exploitation. Ce n’était pas le cas de la majorité des ouvriers agricoles et de leurs familles, en quête perpétuelle d’un emploi sûr et d’un toit, d’un domaine à l’autre. Le cycle des cultures pluviales leur assurait le plein emploi durant environ trois mois, pour les semis et les sarclages, puis à l’occasion des récoltes. Four un salaire quotidien d'un demi-peso au début des années trente, l’équivalent de 12 kilos de maïs, il gagnaient dans ce laps de temps à peine de quoi nourrir une famille de quatre à cinq personnes pendant un an ; le revenu d’un journalier était dans les Terres Chaudes inférieur de près de 40 % à la moyenne observée dans l’État du Michoacàn46.
48Le problème de l’emploi et de la survie devenait plus aigu avec l’arrivée de la saison sèche. La récolte de la canne à sucre ne procurait pas suffisamment de travail et une grande partie des ouvriers agricoles s’exilait sur les plantations de café de la côte du Pacifique ou dans les bassins sucriers de Zitácuaro, Tacámbaro, Urecho. Ceux qui avaient gagné le droit de séjourner sur un grand domaine s’employaient sur les défriches, à la cueillette de fruits sylvestres et surtout au ramassage du cascalote (Caesalpinia cacalaco), l’écorce employée dans le tannage des peaux. Les acheteurs itinérants offraient en 1935 jusqu’à 0,5 peso pour une arrobe de 11,5 kilos. Mais il fallait auparavant avoir acquitté un droit de 0,4 peso par arrobe au propriétaire du terrain, de sorte que la rémunération d’un tel travail dépassait rarement 0,3 peso par jour, selon les témoignages recueillis. La collecte des écorces est donc restée une caractéristique de la couche la plus misérable de la population, celle qui demeurait endettée à vie auprès cl un propriétaire.
La conduite des troupeaux
49Un rancho de 1 500 hectares hébergeait en général une demi-douzaine de métayers ou fermiers et leurs familles, ainsi qu’un caporal, chargé des soins d’un troupeau bovin de 150 à 200 têtes de bétail. Sur les bases qui viennent d'être exposées, on peut estimer la superficie qui y était cultivée annuellement à 40 hectares, soit moins de 2,5 % de la surface totale.
50La conduite des troupeaux visait à garantir le maintien des animaux à partir des seules ressources fourragères du rancho en s’appuyant sur une rotation relativement simple des animaux sur les pâturages. Dès les premières précipitations, le bétail était envoyé sur les parties les plus élevées et fraîches de l'exploitation, là où la poussée d’herbe était la plus précoce. Il s’y maintenait en broutant les bourgeons et les jeunes pousses. Les animaux demeuraient environ six mois sur les pâturages de grama (Hilaria cenchroides) et d'aceitilla (Bouteloa filiformis), jusqu’à la fin novembre. Le troupeau était alors transféré sur des prairies plus basses et humides, qui avaient été mises en défens durant toute la saison des pluies, puis sur les terrains de culture où subsistaient les chaumes de maïs. L'exploitation était donc divisée en trois parties, dont les capacités de rétention d’humidité étaient distinctes.
Figure 16. Calendrier fourrager d’un rancho des Terres Chaudes dans la première moitié du xxe siècle.

51Il s’agissait en fait d'un mécanisme de transhumance au sein même des grandes propriétés, visant l’exploitation optimale des différents étages de l’écosystème. L’efficacité de ce mode de conduite des troupeaux dépendait donc de la capacité des domaines à s’étendre et à recouper l’ensemble des étages écologiques. Une fois cette concentration effectuée, le système fonctionnait pratiquement seul, à partir d’un suivi minimal et sans requérir le moindre investissement.
52La période critique dans la conduite du troupeau se situait au cours des deux derniers mois de saison sèche. Les résidus d’un hectare de maïs permettaient l’entretien d’environ trois unités animales durant cette période et pas davantage47. La superficie mise en culture au niveau de chaque exploitation devait donc correspondre à la taille du troupeau qui y était entretenu. En fait, les enquêtes réalisées dans la région démontrent que ces deux variables s’ajustaient en général strictement, ce qui équivaut à la mise en culture d’environ 50 hectares pour un troupeau de 150 têtes de bétail, jeunes et adultes confondus (E. Léonard et H. Médina, 1988).
53Cette constitution d'une réserve de fourrages secs ne servait qu’à limiter la perte de poids des animaux tout au long de la saison sèche. Ce n’est qu’à la faveur des quatre mois de pluies de juillet à octobre que le bétail engraissait sur les pâturages verts. Au cours de cette période s’effectuait la fécondation de vaches demeurées stériles le reste de l’année du fait d’une alimentation déficiente, en minéraux notamment. De la sorte, les mises-bas avaient lieu en fin de saison sèche et les veaux bénéficiaient très vite de la montée de lait qui suivait l’arrivée des pluies. Mais la reproduction et la lactation représentaient une telle dépense poulies vaches qu’il se passait en général treize à seize mois entre la mise-bas et le retour de chaleur, soit environ deux ans entre les naissances. La productivité des troupeaux demeurait donc très faible : le nombre de naissances annuelles ne dépassait pas 20 à 25 % des effectifs d’un troupeau et il fallait plus de trois ans pour qu’un jeune atteigne un poids de 250 à 300 kilos.
54Le cycle des vêlages assurait une production de lait maximale au cours de la saison des pluies, entre les mois de juillet et octobre. Au début du mois d’août, les veaux étaient séparés de leurs mères et parqués dans un enclos. Chaque matin, les vaches étaient traites avant d’être laissées quelques heures avec leur veau puis ramenées sur les pâturages. La traite se poursuivait durant trois mois, jusqu’à ce que les ressources fourragères ne permettent plus ces prélèvements quotidiens. Ici encore, la production demeurait faible, environ deux litres par animal et par jour. Un troupeau de 150 têtes, produisant environ 35 veaux à l’année, permettait chaque jour de traite la confection d’un fromage de 7 kilos, guère plus.
55La conduite du troupeau reposait sur le caporal. Ses conditions d’existence plaçaient ce personnage en bonne position dans la pyramide sociale du rancho. Il recevait comme salaire la totalité du produit de la traite, la jouissance de deux ou trois paires de bœufs et le libre accès aux terrains de culture correspondants. Il était libre de faire appel à des métayers ou de louer ces attelages pour son compte. Le caporal bénéficiait même parfois d’un intéressement à la production du troupeau : il recevait, sur l’hacienda de San Antonio, deux pesos pour chaque vêlage. En contrepartie, il devait assurer le paiement de ses aides, vachers ou garçons de traite. Mais, même si sa famille ne pouvait assumer ces charges, le système assurait au caporal un excédent annuel de prés de 100 pesos et plus de 300 kilos de fromage48., de quoi acheter cinq à six vaches et engraisser une dizaine de porcs. Si les propriétaires leur imposaient le plus souvent une limite assez basse à la possession de bovins, les caporales entretenaient généralement des troupeaux d’une cinquantaine de chèvres qui divaguaient dans les maquis du rancho sous la garde d’un chien. Ils s’imposaient donc comme des personnages à part au sein des grands domaines, un privilège qui leur était généralement accordé en raison de liens de parenté avec les propriétaires.
56Pour préparer les animaux à la vente, les mâles de trois à quatre ans étaient souvent castrés à la fin de la saison des pluies et mis en enclos pour une période d’embouche de trois mois. Ils étaient nourris avec les stocks de maïs obtenus des fermages et des métayages. Les animaux ne parvenant pas à digérer la totalité du maïs, on attachait un porc au pied de chaque bœuf, qui se nourrissait des déjections de celui-ci et engraissait dans le même temps. Les porcs étaient acquis jeunes, souvent en paiement des dettes des métayers qui les avaient nourris durant le cycle pluvial avec des courges et de l’herbe.
57Ce système d’embouche connut quelques perfectionnements dans les premières années du xxe siècle, lorsque la culture du sésame commença à se diffuser chez les petits propriétaires et les fermiers. Près de Huetamo et à San Antonio, la société Yrigoyen engraissait les animaux achetés alentour avec un mélange de maïs moulu et de tourteaux de sésame. On parvenait ainsi à sortir au terme de 90 jours des animaux atteignant 700 kilos et d’une configuration idéale pour le marché de México. Bien que sujet à caution, le recensement agricole de 1930 donnait le chiffre de 1 325 têtes de bétail engraissées dans la région, la plupart dans la municipalité de Huetamo. Mais il ne s’agissait que d’une petite proportion (2 %) de l’important troupeau bovin (64 600 têtes de bétail) qu’entretenaient les Terres Chaudes dès cette époque.
LES TERRES CHAUDES DANS L'ENVIRONNEMENT NATIONAL
58Au début des années trente, les Terres Chaudes avaient complété leur intégration à l’économie nationale même si, par bien des aspects, elles demeuraient en marge des grands axes d’échange du centre du pays. L’infrastructure des communications ne s’était guère modifiée depuis l’époque coloniale, si l’on excepte l’installation de deux lignes télégraphiques dans les années 1880 : seule une piste, qui demeurait impraticable à tout véhicule, reliait la région à l'Altiplano et toutes les autres voies se réduisaient à des chemins muletiers (fig. 17). Hormis un trafic fluvial d’intensité mineure au long du Balsas, la totalité des transports se faisait encore à dos de mule. Mais la faiblesse des infrastructures n’empêcha pas le développement des échanges commerciaux. La structure du commerce régional demeura le reflet de la concentration des richesses qui s’était produite avant la fin du siècle, mais elle constitua également un facteur de différenciation au sein de la masse des paysans sans terre.
Vachers et muletiers sur les routes commerciales
59Le bétail sur pied représentait la part la plus importante des exportations de la région du Moyen-Balsas. À la fin de la saison des pluies, lorsqu’ils revenaient des pâturages avec un poids maximal, les animaux étaient rassemblés, sélectionnés et les plus âgés étaient envoyés vers les places commerciales de l’Altiplano et surtout sur le marché de México. Les animaux y étaient convoyés directement en lots de 30 à 50 têtes ou, plus fréquemment, amenés jusqu’aux stations de chemin de fer de Zitácuaro ou de Toluca où ils étaient vendus à des commissionnaires de la capitale. Depuis Huetamo, le trajet durait dix à douze jours jusqu’à Zitácuaro, quinze jours pour arriver à Toluca et dix-sept à dix-huit à México. Des pâturages étaient loués à chaque étape par l’un des vachers qui précédait le troupeau. En dépit de prix moins attractifs, la place de Morelia, plus proche, attirait une partie des ventes des environs de Nocupétaro et de l’hacienda de San Antonio. À partir du mois de mars, les mâles qui avaient été sélectionnés et engraissés suivaient à leur tour le même chemin ; les ventes se poursuivaient de la sorte tout au long de la saison sèche, jusqu’à la fin avril.
60Malgré l’existence d’un potentiel important dans la région et d’une demande stable sur l’Altiplano, les animaux de trait ne constituèrent qu’une fraction négligeable du commerce de bovins. Quelques paires de bœufs étaient certes envoyées de Tiquicheo vers la vallée de Toluca et Atlacomulco, ou de Carácuaro vers Tacámbaro, mais la mauvaise adaptation des animaux au climat plus froid du plateau en limitait la demande. Les porcs gras en revanche furent l’objet d’un commerce régulier avec Zitácuaro et Morelia. Ils étaient acheminés par voie terrestre en lots de 70 ou 100 animaux. Des mules chargées de maïs accompagnaient le convoi afin de poursuivre l’embouche des porcs tout au long du trajet : entre Huetamo et Zitácuaro, on obtenait une prise de poids atteignant 15 kilos par tête en quatre semaines. Malgré ces délais, l’embouche de porcs et leur vente sur les marchés urbains de l’Altiplano constituaient certainement la valorisation la plus rentable du maïs collecté sur les grands domaines.
Figure 17. Principales voies de communications et essor du commerce régional au début du xxe siècle.

61Le commerce des produits agricoles concernait essentiellement de petits volumes de sucre, huile et graines de sésame, et d’écorces de cascalote, expédiés vers Morelia ou Zitácuaro. Les ventes de sésame prirent une importance croissante au cours du xxe siècle, après l'installation de l’usine d’extraction d’huile de la société Yrigoyen. Comme le commerce du bétail, elles étaient le domaine réservé d’usuriers qui achetaient sur pied la récolte des fermiers et métayers des grands domaines, souvent à la moitié de sa valeur. En échange d’un peu de sucre, de maïs ou de quelques mètres de tissu que les commerçants fournissaient à crédit aux producteurs durant la saison des pluies, « le sésame rapportait 150 % trois mois plus tard, avec la terrible condition qu’à défaut de paiement à la première récolte, ils se feraient payer le double à la récolte suivante, et ils ont fait emprisonner des misérables pour ce motif »49 Le sésame était transporté jusqu’aux usines Tron Hermanos ou Santa Lucìa à Morelia, ou à la station de chemin de fer de Zitácuaro. Il pouvait être également revendu sur la place de Huetamo, à la fabrique Yrigoyen ou à l’un des six ateliers d’extraction d’huile qui existaient dans la région50. Une fois mise en barils, l’huile était expédiée à dos de mules vers Morelia et le Bajío.
62De façon générale, le commerce de gros demeurait contrôlé par les grands capitaux régionaux et les propriétaires terriens. Mais la distribution des produits manufacturés dans les ranchos et les zones enclavées permit l’émergence d’un groupe de petits commerçants saisonniers. Des petits propriétaires et les fermiers qui avaient pu acheter un âne ou une mule et se libérer des corvées sur les grands domaines venaient solliciter auprès des grands négociants des prêts de marchandises. À la fin de la récolte, ces colporteurs se dirigeaient vers l’ouest de la région ou vers la Sierra de Guerrero et la côte du Pacifique avec de la farine, du sucre, quelques pièces de tissu et des ustensiles métalliques manufacturés. Ils échangeaient ces produits contre des chèvres, des cuirs, du tabac, du mezcal (l’alcool extrait de la sève d’agave) et du sel qui étaient ensuite revendus dans les villages des Terres Chaudes ou parfois transportés jusqu’à Tacámbaro, Pátzcuaro ou Zitácuaro. Le trafic se poursuivait tout au long de la saison sèche, jusqu’à la période de préparation des semis au mois de mai.
63Le commerce muletier constituait un moyen d’accumulation rapide, mais il dépendait de l'appui des grands commerçants et donc des recommandations ou des liens de parenté dont le candidat pouvait se prévaloir auprès de l’oligarchie régionale. Il demeurait hors d’atteinte de la grande masse des métayers et des journaliers, de tous ceux qui ne pouvaient accéder à la propriété d'un âne ou se libérer des corvées pour dette sur le domaine pour la durée d’un voyage.
L'oligarchie face au mouvement révolutionnaire
64Le soulèvement révolutionnaire de 1910 secoua violemment les Terres Chaudes, sans pour autant conduire à une remise en question du pouvoir des grandes familles qui avaient édifié leur prospérité lors de la dictature porfirienne. L’engagement des grandes familles dans l’insurrection madériste contre le pouvoir de don Porfirio puis dans la défense de la nouvelle Constitution leur permit de limiter l’impact du soulèvement populaire local (V. Oikion Solano, 1986). La victoire finale de la tendance réformatrice bourgeoise sur les forces agraristes leur garantit une relative stabilité. Après avoir donné deux généraux à la défense de la Révolution, l’oligarchie régionale parvint à se faire représenter par deux députés fédéraux et deux gouverneurs d’États (dont l’un en Basse-Californie !). En évitant toute marginalisation politique, elle parvint à filtrer la diffusion du message agrariste qu’avait fait naître la Révolution et à contrôler ses effets.
65Aussi les programmes de réforme agraire restèrent-ils longtemps sans effet dans les Terres Chaudes. Les troupes fédérales stationnées dans la région et placées sous les ordres de membres de l’oligarchie locale furent plus souvent employées à étouffer les revendications paysannes qu’à les défendre51. En dehors de ces pressions, l'absence de noyaux de population d’importance au sein des grands domaines rendait difficile l’aboutissement des demandes de dotations de terres (pour qu’une telle demande soit prise en compte par l’administration, elle devait émaner d’un « noyau de population » d’au moins vingt personnes de plus de seize ans). En 1933, seize ans après l’établissement des décrets agraires de 1917, moins de 11 500 hectares avaient été soustraits à la grande propriété dans le district de Huetamo, soit 1,9 % des terres de la région (F. Foglio M., 1936). Absolument rien n’avait changé pour l’immense majorité des arrimados.
66Ainsi, au cours des dernières décennies du xixe siècle se produit un double mouvement de pénétration : une nouvelle vague de migrants et des capitaux commerciaux se dirigent depuis l'Altiplano vers la région du Moyen-Balsas. Il s’agit d’un phénomène général à l’ensemble du Tropique Sec mexicain, jusqu’alors enclavé, dont l'intégration à l’économie nationale se complète au cours de cette période52. Comme dans beaucoup d’autres régions, l’élevage bovin extensif, la clé de la révolution agricole créole et du développement de la propriété privée au siècle précédent, constitue le secteur d’investissement privilégié des capitaux. Cette association – on pourrait parler d’imbrication – entre capital commercial et élevage bovin ne sera pas démentie jusqu’à nos jours.
67Le marché du bétail sur pied est alors en pleine expansion sur l'Altiplano et autorise des taux de profit importants. Pour que la rentabilité de cet élevage soit maximale, il faut concentrer des superficies considérables, au niveau de tout un bassin versant, de façon à s’assurer le contrôle des différents étages écologiques entre lesquels transhume le bétail et celui des ressources hydriques qui permettent de développer une petite production sucrière. Les réseaux de commerce et d’usure deviennent le principal instrument de paupérisation et d’expropriation des paysans qui occupaient ces terres. Les petits tenanciers indiens et les migrants pauvres deviennent des producteurs de fourrages et une main-d’oeuvre occasionnelle, assujettie au domaine. Ainsi se met en place une société duale, caractérisée par une concentration extrême des richesses et des moyens de production : un schéma classique au Mexique et en Amérique latine.
Notes de bas de page
1 Entrevue réalisée à Cuarangueo, município de Tiquicheo, avec Camilo Péreznegron, petit-neveu de don Genaro.
2 Période de stabilité qui clôt l'intervention française et la guerre civile, et accompagne la longue dictature de Porfirio Díaz.
3 Memorias del Gobiemo del Estado de Michoacán, 1883, et 1892. Morelia 1883 et 1892.
4 La population du sudest du Michoacán passe de 18 400 habitants en 1860 à 50 677 en 1921.
5 Voir le cas de Cotija, évoqué par Alvaro Ochoa (1988).
6 Maria de la Cruz Labarthe (1969) décrit ces circuits commerciaux et leurs ramifications dans la région de Zacatula, située sur la Sierra Madre.
7 G. Sanchez D. (1988) : 280. Le sud-ouest du Michoacán connaît à la même époque un processus de désenclavement et de pénétration du capital commercial simi1aire.
8 AGN Morelia. K. Escobar 1880, no ; 1881, no 21. F.Abejas 1883, no 19 ; 1888, no 8. fuzgado de letras 1886, no 18.
9 H. Diaz Polanco (1982) : 48. Cette citation, qui concerne le Valle de Santiago, situé dans le Bajío, semble pouvoir s’appliquer à la plus grand partie du Centre-Ouest mexicain au cours de la seconde moitié du XIVe siècle.
10 L’augmentation du prix de la viande fut de 73 % entre 1885 et 1908 au Michoacán, alors que pour l’ensemble des denrées agricoles cette augmentation ne dépassait pas 30 % SPPInegi (1985) : Estadísticas Históricas de Mexico : 739-740. Voir aussi D. Cosio V. (1965) : 138.
11 AGN Morelia, Districto de Huetamo, F. Abeja 1881,no 1 et 1882, no 2.
12 AGN Morelia. Districto de Huetamo. Juzgado de 1a Instancia, 1894, no 27 ; K. Kaerger (1900) : 301.
13 AGN Morelia. Districto de Huetamo, F. Abeja 1888, no 4.
14 Ibid., R. Escobar, 1880, nos 42 et 51 ; et Memorias del Gobierno del Estado de Michoacán 1884.
15 Ibid., F. Abeja, 1883, no 54.
16 Ibid., 1883, no 67 et 1884, no 22.
17 Ibid,. F. Abeja 1891, no 27.
18 Ibid., Juzgado de Letras 1885, no 36 ; M. Méndez 1896, no 16 ; G. Sanchez D. et R. A. Ferez (1989) : 110.
19 Memorias del Gobiemo de Michoacán 1889. Morelia 1889.
20 AGN Morelia. F. Abeja 1891, no 24 et M. Mendez 1896, no 12
21 Memoria de Hacienda del Estado de Michoacán de Ocampo. Ejercicio Fiscal 1907-1908. Morelia 1908.
22 AGN Morelia. Districto de Huetamo. R. Escobar 1880, nos 1 et 17, Juzgado de 1a Instancia 1889, no 28.
23 À savoir les biens possédés et administrés collectivement par des associations civiles ou religieuses et qui n’étaient pas transmissibles par héritage.
24 Les lois de « désamortissement » visaient à mettre sur le marché les biens fonciers que le régime colonial avait soustrait en les confiant sous une forme indivisible aux communautés indiennes ou à l’Église.
25 Voir notament G. Sanchez D. (1988).
26 Archive del Poder Ejecutivo de Michoacán. Hijuelas. Livre 1, f. 76-77.
27 Lettre du préfet de Huetamo au gouvernement du Michoacán. Apem Livre 5, f. 31-36 et Livre 4, f. 168-169.
28 Apem Livre 1, f. 76-77 et 213-213 v°.
29 Enquête réalisée avec Camilo Péreznegron.
30 Memorias del Gobierno ciel Estado de Michoacán, 1892.
31 La Canicula est le nom donné dans toute la région à cette courte sécheresse.
32 F. Foglio M. (1936). Tome I, : 316-317 et le Primer Censo Agrícola-Ganadero 1930.
33 « Le fait que la culture du maïs donne dans la plaine un rendement trés inférieur à celui des versants est surprenant, en dépit de densités de semis trés supérieures [...]. Du fait que ces terrains sont plus infestés que les défriches des versants, ils requièrent quatre travaux de nettoyage (labours et sarclages) au lieu de deux » (P. Hendrichs P.. 1945 : 37).
34 313 kilos/hectare en moyenne dans la région d’aprés le Primer Censo Agricola-Ganadero.
35 D’aprés le Primer Censo Agricola-Ganadero.
36 Soit la moitié de la récolte (1 700 à 2 000 kilos) moins les 5 hectolitres (350 kilos) prêtés par le propriétaire, en supposant que les avances en numéraires soient remboursées par des journées de travail durant la saison sèche.
37 Vers 1933, le prix d'une tonne de maïs fluctuait dans la région autour de 40 pesos. Celui de 5 hectares de terre labourable se situait en moyenne à 165 pesos, soit à peine plus de 4 tonnes de maïs, ou le produit de deux ans de métayage (F. Foglio M., 1936, tome I : 256 et 346).
38 La condition des métayers demeurait relativement favorable dans les Terres Chaudes si on la compare avec ce qu’elle était en d’autres régions telles que Oaxaca. Fn échange de la moitié de la récolte, les métayers devaient y fournir l'attelage de bœufs, payer un droit de récolte d'un centavo par sillon et participer aux corvées sans rémunération aucune. (K. Kaerger, 1900 : 220-221).
39 10 hectolitres de maïs que prêtait le propriétaire à ses métayers, soit 28 pesos, environ 60 à 80 litres de semences pour la mise en culture de 5 hectares (1,5 à 2,5 pesos), un araire (5 pesos), un joug et ses courroies (5 pesos également) font un total de 40 pesos. Il s'agit d'un minimum, l’emploi souvent nécessaire de journaliers pour les travaux de sarclage ou de récolte n’étant pas pris en compte.
40 1 300 kilos de maïs achetés au producteur avaient vers 1930 une valeur de 51,5 pesos et 5 hectares de terres labourées valaient alors 165 pesos en moyenne.
41 Soit 1 300 kilos en paiement du loyer, 1 000 à 1 200 kilos pour l’alimentation de la famille durant une année et environ 200 kilos pour le complément alimentaire des bœufs durant le cycle de culture.
42 Sur un hectare, les résidus de culture du maïs ont une valeur approximative de 1100 unités fourragères, alors que dans le cas du sésame, cette valeur descend à 450 UF (E. Léonard et H. Médina, 1988 : 49).
43 Le prix d’un taurillon équivalait en 1930 à celui d’une tonne et demie de maïs, la production moyenne de 2 hectares.
44 En 1930, la valeur moyenne d’une tête de bétail dans les Terres Chaudes ne dépassait pas 35 pesos (F. Foglio M., tome II : 18).
45 Les densités de semis étaient d’environ 8 à 9 litres de semences à l’hectare sur une défriche contre 10 à 12 litres sur une parcelle labourée.
46 0,8 peso par jour en 1930 (F. Foglio M., 1936, tome. III : 242).
47 La production fourragère d’un hectare de fanes de maïs peut être évaluée à 1,5-1,8 tonne de matière sèche, soient environ 700 à 800 unités fourragères (Memento de l'Agronome, ministère de la Coopération, 1980). Il faut ajouter à ce total la valeur des adventices, (700 et 800 kilos de matière sèche, soit 300 UF). Si 70 % environ de ces fourrages sont effectivement consommés par les animaux (soit 730 UF), et en se basant sur des besoins quotidiens de 4 IJF par animal, un hectare de fanes de maïs permet théoriquement l’entretien de 3 animaux durant soixante jours.
48 . Si l’on considère des salaires de 0,5 peso pour un vacher et de 0,3 peso pour un garçon de traite, les charges salariales d’un caporal ne devaient pas excéder 175 à 180 pesos par an. Une fois déduite la consommation familiale, deux parcelles de maïs lui laissaient un produit de 6,7 tonnes, l’équivalent de 270 pesos en 1930. Son bénéfice net s’élevait à 90 pesos, sans prendre en compte le produit de la traite.
49 Archives de la Secretaria de Reforma Agraria, Morelia. Dotación, exp. 121, année 1927 (cité par G. Sánchez D. et R.A. Pérez, 1989 : 128).
50 F. Foglio M., 1936, tome III : 245.
51 Voir l’exemple du lieutenant R.Vázquez, lançant ses soldats contre des paysans qui occupaient des terrains dont il avait pourtant été légalement dépossédé par décret présidentiel (G. Sanchez D. et U.A. Pérez, 1989).
52 Voir H. Cochet (1993).
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