Avant-propos
p. 15-19
Texte intégral
1Nul ne doute de l’importance écologique, mais aussi symbolique, des forêts tropicales et surtout équatoriales. L’ancienneté de leur occupation, la façon dont les sociétés les ont « jardinées », étaient des thèmes dont il fallait débattre, en croisant le regard naturaliste avec celui des sciences humaines. L’ouvrage que nous présentons ici est le fruit d’un séminaire organisé au laboratoire Ermes (Enseignement et recherche sur les milieux et les sociétés) de l’IRD (Institut de recherche pour le développement, ex-Orstom), à Orléans, les 15 et 16 octobre 1998. Il a réuni une cinquantaine de participants, appartenant à des disciplines diverses (botanique, paléoclimatologie, agronomie, géographie, anthropologie, anthropobiologie, archéologie) et concernés par la question des interactions sociétés/environnements en milieux tropicaux. Cette manifestation se proposait d’examiner la question des adaptations aux environnements forestiers humides, à différentes échelles de temps (de l’Holocène aux derniers siècles) avec comme principal objectif de faire le point sur l’état des problématiques. Aux exposés présentés à cette occasion sont venus s’adjoindre des contributions complémentaires, d’où résulte une grande diversité d’approches qui reflète bien la complexité des thèmes abordés. Le nécessaire dialogue entre sciences de la nature et sciences de l’homme constitue toutefois le lien premier de ces réflexions.
2Trois principaux registres de questionnement avaient été retenus. Le premier concernait l’éventuelle existence de corrélations entre les grands événements paléoclimatiques holocènes, les phénomènes de peuplement et les états de développement. Le deuxième s’intéressait plus particulièrement aux modes d’occupation et modes de vie en forêt tropicale en s’interrogeant sur les relations existant entre les aires de dispersion des traits culturels, linguistiques et ethniques. Le dernier domaine abordé concernait principalement l’usage des plantes utiles et cultivées et la diffusion des principaux tubercules et céréales tropicales.
3Cette variété rend difficile toute tentative de compte-rendu ou de synthèse. Les études de cas (écologiques ou anthropologiques) présentées, réalisées à des échelles très diverses, ne prétendent à aucune exhaustivité et ne peuvent donc être facilement intégrées à une vision théorique plus globalisée. La confrontation des chronologies, du rythme des évolutions, et des caractéristiques écologiques régionales, susceptibles de régir tant les évolutions végétales qu’humaines, sont sans doute, dans ces conditions, le plus sûr axe de réflexion qui émerge de ces travaux.
4Dans l’aire de l’Afrique forestière, concernée par une petite majorité des articles, la présence très ancienne de l’homme permet d’étudier la question des occupations humaines et de leurs impacts sur l’environnement sur un important laps de temps, couvrant le quaternaire récent. Les travaux de B. Guillet, de P. Lavachery, de J. Maley, de P. de Maret, et de D. Schwartz et al., cherchent, plus particulièrement, à reconstituer, au moyen d’approches et d’échelles diverses, les évolutions du climat, de la végétation et des cultures humaines à la fin de la dernière période glaciaire et dans les premiers temps de l’Holocène. Un premier fait remarquable, du point de vue de l’analyse des évolutions culturelles humaines, est que les importants changements climatiques qui marquent l’Holocène ancien ne semblent s’accompagner, dans un premier temps et dans cette aire du monde, que d’une très faible évolution et adaptation technique des sociétés. Les vestiges caractéristiques du Late Stone Age, tradition lithique débutée il y a 40 000 ans, semblent perdurer, sans grands changements, jusqu’à l’Holocène moyen. Cette persistance traduit-elle l’importance des refuges forestiers pleistocènes et l’expansion postérieure des populations adaptées à ces refuges ? On peut toutefois se demander si l’absence d’évolution de cette industrie microlithique ne cache pas des évolutions importantes déjà entreprises dans d’autres domaines (en particulier la domestication des végétaux), dont la traduction en terme de vestiges conservés reste mal caractérisée.
5Les recherches de A. Assoko, de M. Delneuf, T. Otto et M. Tinon, de R. Oslisly et L. White, ainsi que celles de C. Mbida, concernent les périodes plus récentes de la préhistoire africaine. Durant ces derniers millénaires, on assiste très clairement à une diversification des traits culturels sous l’effet de phénomènes de nature sans doute diverses. L’apparition d’une économie néolithique et le développement postérieur d’importantes activités métallurgiques paraissent en effet témoigner d’évolutions qui reflètent des adaptations internes, mais qui semblent également étroitement liées à des phénomènes de diffusion et à d’importants mouvements de population en provenance de régions voisines. Il est important de noter que le peuplement de la zone forestière africaine semble caractérisé par l’existence d’importants hiatus d’occupation qui traduisent vraisemblablement la disparition du peuplement de certaines micro-régions, à une époque donnée. Il est encore difficile de faire la part, dans ces phénomènes, de l’influence des variations environnementales (recrûs forestiers, aridification) et des processus historiques (guerres, esclavage, migrations).
6Les travaux de M-C. Dupré, de F. Gaulme et de B. Pinçon qui portent sur les périodes historiques, postérieures au contact européen et les articles concernant la période actuelle de Y. Alexandre, de A. Fabing, de A. Hladik, C-M. Hladik et E. Dounias, et de Youta Happi et al., insistent tous sur l’importance des activités humaines modernes et de leur distribution spatiale quant à la répartition des peuplements végétaux. Toutefois, si l’impact de certaines activités comme les transports, la métallurgie et la production céramique peuvent avoir été la source d’importants changements localisés, les évolutions climatiques paraissent également jouer un rôle non négligeable. L’utilisation sociale des ressources végétales constitue en elle-même une histoire complexe, où interviennent des connaissances spécifiques et des modes de gestion plus ou moins idéologisés.
7Le peuplement de l’Amérique tropicale (A. Versteeg, F. Valdez, J. Guffroy) présente une certaine originalité par rapport à la situation africaine, puisque l’occupation humaine y est beaucoup plus récente et ne paraît réellement effective qu’à la fin de l’époque glaciaire, dans des environnements sans doute assez différents de ceux de la période actuelle. La dispersion rapide sur de vastes territoires de groupes porteurs de technologies comparables semble témoigner, dans un premier temps, d’un mode de vie récurrent centré sur la chasse des gros animaux, selon des modalités sans doute héritées des cultures du paléolithique supérieur de leur région d’origine : l’Eurasie orientale. L’adaptation progressive aux environnements particuliers rencontrés paraît s’être effectuée postérieurement, consécutivement à la disparition de la mégafaune pleistocène et aux changements environnementaux induits par les variations climatiques de l’Holocène ancien. Ce processus d’évolution s’est accompagné d’une diversification culturelle, reflétant sans doute une plus grande diversité des ressources exploitées et un spectre plus étendu des activités humaines. La sédentarisation de certains groupes, facilitée par l’abondance relative et localisée de ces ressources, a sans doute favorisé les expériences horticoles, prémisses d’une domestication des végétaux.
8Les articles concernant les périodes plus récentes (F. Kahn et al. et S. Rostain) attestent de l’existence d’une économie agricole tropicale basée sur la production mais aussi la protection de certains plantes utiles, avec un impact parfois important sur les peuplements végétaux actuels.
9Un dernier ensemble de travaux (H. Forestier, D. Guillaud, A. Walter) traitent de cas situés dans l’aire indo-pacifique. En Asie du Sud-Est, où le peuplement moderne s’est installé durant la dernière période glaciaire, il semble exister, comme en Afrique tropicale, une grande continuité entre les traditions technologiques du Pléistocène final et celles de l’Holocène ancien. Plus tardif, le peuplement initial du Pacifique insulaire témoigne de l’existence de différents modes de vie, basés sur des ressources de base peu diversifiées, et distribués sur des territoires morcelés et écologiquement différenciés.
10Au terme de ce rapide bilan, et sans vouloir négliger l’impact des contraintes et évolutions environnementales locales ou globales, il convient de noter que certaines données anthropologiques apparaissent de manière récurrente dans les études présentées. Ces éléments semblent en particulier mettre en évidence ; a) l’importance des échanges et de la mobilité des groupes humains dans les processus de développement ; b) un certain conservatisme des pratiques techniques qui contraste avec une relative rapidité d’adoption de ressources alimentaires nouvelles ; c) le lien existant entre la diversification des activités humaines et l’émergence de structures sociales complexes.
Auteur
Jean.Guffroy@orleans.ird.fr
Jean Guffroy, IRD, UR 92, 5 rue du Carbone, 45072 Orléans, France.
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